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30/10/2020 | FRANCE | N°2

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0760, 30 octobre 2020, 2


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 20/55967 - No Portalis 352J-W-B7E-CSJMF

FMNo : 2

Assignation du :
09 Juillet 2020

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 30 octobre 2020

par Florence BUTIN, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Brigitte RUIZ, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

SOCIETE DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP)
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Maître Emmanuel PIERRAT de la SELARL CABINET PIERR

AT, avocats au barreau de PARIS - #L0166

DEFENDERESSES

S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Fr...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 20/55967 - No Portalis 352J-W-B7E-CSJMF

FMNo : 2

Assignation du :
09 Juillet 2020

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 30 octobre 2020

par Florence BUTIN, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Brigitte RUIZ, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

SOCIETE DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP)
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Maître Emmanuel PIERRAT de la SELARL CABINET PIERRAT, avocats au barreau de PARIS - #L0166

DEFENDERESSES

S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me François DUPUY, avocat au barreau de PARIS - #B0873

S.A. ORANGE
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Maître Christophe CARON de l'AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS - #C0500

S.A.S. FREE
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Yves COURSIN, avocat au barreau de PARIS - #C2186

S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE - SFR
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Pierre-olivier CHARTIER, avocat au barreau de PARIS - #R0139

DÉBATS

A l'audience du 23 Septembre 2020, tenue publiquement, présidée par Florence BUTIN, Vice-Présidente, assistée de Arnaud FAURE, Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Vu l'assignation en référé introductive d'instance, délivrée le 09 juillet 2020, et les motifs y énoncés,

EXPOSE DU LITIGE

L 'ADAGP (société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques) est une société civile régie par les dispositions des articles L.321-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, dont le principal objet est de percevoir et répartir les redevances de droit d'auteur dues au titre de l'utilisation des oeuvres relevant de son répertoire, tant au titre du droit exclusif que dans le cadre de droits en gestion collective obligatoire ou de licences légales. Dans ce cadre, elle représente environ 180.000 auteurs dans le domaine des arts visuels tels que peinture, sculpture, photographie, architecture, design, bande dessinée, manga, illustration, graffiti ou encore création numérique. En application de l'article 9(6) de ses statuts, l'ADAGP a qualité pour agir en justice afin d'assurer la défense des droits individuels de ses membres et des intérêts et droits de la généralité de ses associés.

Parmi son répertoire figurent les oeuvres des artistes suivants:
- [E] [T], né le [Date naissance 3]/1935 ;
- [S] [B], né le [Date naissance 2]/1887 et décédé le [Date décès 5]/1985 ;
- [C] [D], né le [Date naissance 8]/1957 ;
- [V] [L], né le [Date naissance 1]/1914 et décédé le [Date décès 3]/1955;

- [K] [M], né le [Date naissance 1]/19891 et décédé le [Date décès 1]/1976 ;
- [J] [X], né le [Date naissance 5]/1898 et décédé le [Date décès 2]/1967 ;
- [Y] [N], né le [Date naissance 4]/1893 et décédé le [Date décès 4]/1983 ;
- [I] [A] né le [Date naissance 6]/1879 et décédé le [Date décès 6]/1953 ;
- [R] [G], né le [Date naissance 7]/1919.

L'ADAGP expose qu'en décembre 2019, elle a constaté que le site internet [Site Web 3] proposait la vente des reproductions peintes à l'huile sur toile de nombreuses oeuvres d'auteurs appartenant au répertoire de l'ADAGP soit 72 oeuvres de [E] [T], 76 oeuvres de [S] [B], 27 oeuvres de [C] [D], 58 oeuvres de [V] [L], 48 oeuvres de [K] [M], 167 oeuvres de [J] [X], 53 oeuvres de [Y] [N], 48 oeuvres de [I] [A] et enfin 67 oeuvres de [R] [G], ce qu'elle a fait établir par procès-verbal en date du 9 décembre 2019.

Le 20 février 2020, l'ADAGP a par courrier de son conseil demandé aux moteurs de recherche GOOGLE, ORANGE, YAHOO, QWANT et BING de prendre ou de faire prendre toutes mesures utiles en vue d'empêcher l'apparition de toute réponse et toute requête renvoyant vers l'une des pages du site [Site Web 3], ce à quoi il lui a été répondu par les sociétés GOOGLE et QWANT qu'il serait procédé à un déréférencement du site litigieux.

Ayant le même jour sollicité sans succès les fournisseurs d'accès à internet ORANGE, SFR, BOUYGUES TELECOM et FREE en vue de voir ceux-ci mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre toutes mesures propres à empêcher l'accès au site internet [Site Web 3], à partir du territoire français, et/ou par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace et notamment par le blocage du nom de domaine précité, l'ADAGP les a fait assigner en la forme des référés par acte d'huissier en date du 9 juillet 2020 sur le fondement de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, présentant aux termes de son acte introductif d'instance les demandes suivantes :

Vu les articles L. 122-4, L. 321-1, L. 321-2, L. 335-2, L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

DIRE ET JUGER la société ADAGP recevable et bien fondée en toutes leurs demandes, fins et prétentions à l'encontre des sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE ;

DIRE ET JUGER que le site Internet [Site Web 3] contient des contrefaçons d'oeuvres des Auteurs du Répertoire de la société ADAGP ;

CONSTATER le caractère manifestement illicite de l'activité du site internet [Site Web 3] ;

En conséquence :
ORDONNER aux sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle Calédonie, et dans les Terres australes et antarctiques française, et/ou par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace et notamment par le blocage du nom de domaine « [Site Web 3] » ;

ORDONNER aux sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE que ces mesures soient mises en oeuvre sans délai et au plus tard dans les quinze jours à compter du prononcé de la présente décision ;

ORDONNER aux sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE d'informer l'ADAGP de la réalisation de ces mesures ;

DIRE ET JUGER qu'à défaut de se conformer à la décision rendue, chacune des sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE encourra une astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision ;

ORDONNER l'exécution de l'ordonnance au seul vu de la minute sur le fondement de l'article 489 du Code de Procédure Civile ;

CONDAMNER in solidum les sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE, à verser la somme de 4.000 euros à la demanderesse, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

CONDAMNER les sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL PIERRAT et ASSOCIES.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, la société ORANGE présente les demandes suivantes :
Vu l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 11 de la directive no 48/2004/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle,

PRENDRE ACTE que la société ORANGE ne s'oppose pas au principe de mettre en oeuvre une mesure de blocage dès lors qu'elle réunit les conditions exigées par le droit positif, et notamment : l'existence d'une atteinte justifiant la mesure de blocage qui ne doit pas être disproportionnée, le caractère judiciaire préalable et impératif de la mesure dans son principe, son étendue et ses modalités, y compris pour son actualisation, la liberté de choix de la technique à utiliser pour réaliser le blocage, la durée limitée de la mesure et l'interdiction de toute astreinte ;

DIRE ET JUGER que la société ORANGE s'en remet à son appréciation quant à la caractérisation de la proportionnalité qui peut exister entre la demande de blocage formulée par l'ADAGP et l'atteinte au droit d'auteur perpétrée sur le site [Site Web 3].;

DIRE ET JUGER que la société ORANGE s'en remet à son appréciation s'agissant de la prise en charge des coûts des mesures de blocage ;

DIRE ET JUGER que le prononcé d'une astreinte est contraire aux règles de droit, et notamment à celles du droit de l'Union européenne, qu'il n'y a pas lieu de punir la société ORANGE dont la responsabilité n'est pas engagée et qui n'a pas l'intention de s'opposer à une injonction de justice conforme aux règles de droit;

DEBOUTER la demanderesse de sa demande d'astreinte ;

DIRE ET JUGER que la demanderesse doit indiquer au conseil de la société ORANGE si le nom de domaine visé n'est plus actif afin de préciser qu'il n'est plus nécessaire de procéder au blocage de celui-ci ;

DIRE que chaque partie conservera à sa charge ses frais et dépens et qu'il n'y a donc pas lieu à une condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la société BOUYGUES TELECOM présente les demandes suivantes :

Vu l'article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les pièces versées au débat,

APPRECIER si l'ADAGP a qualité à agir,

APPRECIER l'atteinte aux droits d'auteur invoquée par l'ADAGP,

CONSTATER que l'atteinte aux droits d'auteur invoquée par l'ADAGP concerne seulement une partie du site [Site Web 3] alors qu'il ne peut être bloqué qu'en totalité par les FAI dont la société BOUYGUES TELECOM,

APPRECIER si les demandes de l'ADAGP respectent le principe de proportionnalité,

En tout état de cause, dans l'hypothèse où la demande de blocage serait jugée fondée,

ENJOINDRE à la société BOUYGUES TELECOM de mettre en oeuvre les mesures propres à empêcher l'accès de ses abonnés, situés sur le territoire français, au nom de domaine [Site Web 3] dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et pour une durée de 12 mois ;

DEBOUTER l'ADAGP de sa demande d'astreinte ;

DIRE ET JUGER que l'ADAGP devra indiquer aux Conseils des fournisseurs d'accès à internet, dont la société BOUYGUES TELECOM, si le nom de domaine www.pauloeuvreart.com n'est plus actif afin que les mesures de blocage ordonnées les concernant puissent être levées,

DEBOUTER l'ADAGP de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens ainsi que de toute autre demande, fin et prétention en ce qu'elle serait dirigée à l'encontre de la société BOUYGUES TELECOM ;

DIRE que chaque partie conservera à sa charge ses frais et dépens et qu'il n'y a donc pas lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la société SFR présente les demandes suivantes :

Vu l'article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

APPRECIER si l'ADAGP a qualité à agir et si l'atteinte qu'elle invoque est constituée ;

APPRECIER s'il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause, au regard notamment (i) des risques d'atteinte au principe de la liberté d'expression et de communication (risques d'atteintes à des contenus licites et au bon fonctionnement des réseaux) (ii) de l'importance du dommage allégué, (iii) des risques d'atteinte à la liberté d'entreprendre des FAI, et (iv) du principe d'efficacité, d'ordonner aux FAI, dont SFR, la mise en oeuvre des mesures de blocage sollicitées ;

Si le Tribunal considère qu'il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause d'ordonner la mise en oeuvre par les FAI, dont SFR, de mesures de blocage des sites, il lui est demandé de :

ENJOINDRE à SFR de mettre en oeuvre, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, des mesures propres à prévenir l'accès de ses abonnés situés sur le territoire français (et des abonnés situés sur le territoire français de sociétés qui utilisent le réseau de SFR pour fournir des services d'accès à internet), au nom de domaine « [Site Web 2]» ;

ORDONNER que les mesures de blocage mises en oeuvre par les FAI, dont SFR, soient limitées à une durée de douze mois à compter de la décision à intervenir ;

DIRE ET JUGER que l'ADAGP devra indiquer au conseil des sociétés SFR et SFR FIBRE si le nom de domaine « [Site Web 1] » n'est plus actif afin que les mesures de blocage ordonnées puissent être levées ;

DIRE ET JUGER que les parties pourront saisir la présente juridiction en cas de difficultés ou d'évolution du litige ;

ORDONNER que les dépens soient laissés à la charge de chacune des parties ;

REJETER la demande d'exécution de la présente décision au seul vu de la minute ainsi que la demande tendant au prononcé d'une astreinte ;

DONNER ACTE à SFR qu'elle se réserve d'appeler en garantie l'ADAGP pour le cas où il lui serait reproché la mise en oeuvre de la mesure de blocage sollicitée.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la société FREE présente les demandes suivantes :

JUGER que l'éventuelle mesure de blocage ne pourra être prise que sous le contrôle strict de l'autorité judiciaire, exclusivement ;

JUGER que l'éventuelle mesure de blocage ne pourra être prise que vis-à-vis du seul nom de domaine litigieux précisément mentionné par la demanderesse, et actif, au jour où il sera statué ;

JUGER qu'une éventuelle mesure de blocage ne pourra être mise en oeuvre que dans un délai de quinze jours à compter de la signification effective de votre décision, et selon les modalités que la société FREE estimera les plus adaptées à l'objectif à remplir en fonction, notamment, des contingences de son réseau;

JUGER que toute éventuelle mesure de blocage ne pourra être prise que pour une durée déterminée n'excédant pas douze mois;

JUGER que la SOCIÉTÉ DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP) devra avertir officiellement la société FREE dans l'hypothèse où le nom de domaine dont elle aura obtenu le blocage deviendrait inactif ;

REJETER la demande de condamnation de la société FREE à une astreinte ;

REJETER la demande de condamnation in solidum de la société FREE à verser à l'ADAGP une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire plaidée le 23 septembre 2020 a été mise en délibéré le 30 octobre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il est précisé à titre liminaire que la qualité à agir de l'ADAGP au titre de la gestion des droits sur les oeuvres en cause est établie par une attestation de son directeur juridique établie le 4 décembre 2019 ( sa pièce 3).

1-bien fondé de la demande de l'ADAGP :

L'ADAGP expose que le concept même du site Internet [Site Web 3] repose sur une économie faite exclusivement sur la copie illicite d'oeuvres, en ce que son créateur réalise ou fait réaliser sur commande des reproductions contrefaisantes des oeuvres de grands artistes tombés ou non dans le domaine public afin de les vendre via son site Internet et les fait livrer principalement en France.

Elle soutient que le site en cause est géré par la société PAUL OEUVRE D'ART INC successivement domiciliée au Vientnam puis au Cambodge, ce avec l'objectif évident d'échapper aux sanctions civiles et pénales encourues alors que les prestations offertes - soit la réalisation du tableau choisi et sa livraison - sont manifestement destinées à un public français.

Elle expose enfin que les opérateurs de communication électroniques qui commercialisent notamment des offres de téléphonie et d'accès à internet sur le territoire français fournissent un accès au site internet [Site Web 3] et donc aux oeuvres contrefaisantes qui y sont reproduites sur ce site, occasionnant ce faisant un grave préjudice pour l'ADAGP et les auteurs et ayants-droit qu'elle représente.

Les fournisseurs d'accès à Internet ORANGE, SFR, BOUYGUES TELECOM et FREE répondent pour l'essentiel qu'ils s'en remettent à l'appréciation du tribunal sur l'opportunité des mesures de blocage à condition toutefois qu'elles respectent les dispositions légales, ne soient pas disproportionnées au regard des atteintes relevées - faisant observer à cet égard que de très nombreuses oeuvres sont présentes sur le site dont seulement 6% environ sont issues du répertoire de l'ADAGP, et que certaines sont dans le domaine public -, demeurent sous le strict contrôle du juge, respectent la liberté de choix des fournisseurs d'accès quant aux modalités de leur mise en ouvre et aient une durée limitée ainsi qu'un point de départ raisonnablement défini soit un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision.

Ils estiment enfin que le prononcé d'une astreinte de même que leur condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ne sont aucunement justifiés.

Sur ce,

En application de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou reproduction intégrale ou partielle d'une oeuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

Et selon l'article L. 336-2 du même code « en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l'image animée ».

Une mesure de blocage d'un site internet, que seule l'autorité judiciaire peut prononcer, suppose que soit caractérisée préalablement une atteinte à des droits d'auteur ou à des droits voisins.

Dans le cas d'espèce, les pièces versées aux débats montrent que le site pauloeuvreart.com se présente comme proposant des reproductions de tableaux peints à la main de qualité supérieure, réalisées « de manière artisanale » par une équipe de peintres au sein de son atelier. Sont ainsi énumérés des artistes « classiques » ou « incontournables ». L'ADAGP a fait constater par l'un de ses agents assermentés conformément aux dispositions de l'article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle, la représentation et l'offre à la vente de différentes oeuvres des artistes précités issus de son répertoire (pièces DMD 14 et 16).

Il est par ailleurs observé que bien qu'étant établie à l'étranger la société PAUL OEUVRE ART INC propose des services visant notamment un public français, ce qui se déduit de sa présentation en langue française et des messages de clients publiés sur le site qui se déclarent satisfaits du tableau livré. De fait, elle indique sur son site que sa clientèle « se partage entre les États-Unis (70%) et la France (20%), les 10 % restant partagés entre la clientèle locale et le reste du monde ».

Comme le font justement observer les sociétés défenderesses, les oeuvres appartenant au répertoire de l'ADAGP représentent une faible proportion - évaluée à environ 6% - de l'offre du site, le moteur de recherche GOOGLE ayant de fait procédé à un déréférencement limité aux liens concernant ces artistes (pièce DMD 20.1).

Par ailleurs la société PAUL OEUVRE ART INC a été destinataire d'un courrier daté du 3 février 2020 à l'adresse indiquée sur la page « contactez-nous » de son site ainsi qu'à l'adresse paul@pauloeuvreart.com également indiquée, ce qui lui permettait de mettre fin aux actes dénoncés dont elle ne pouvait ignorer au moins à compter de cette date le caractère illicite (pièce DMD 17).

Sur les suites réservées à cette injonction, elle produit des copies de pages du site éditées le 4 juin 2020 montrant pour chaque peintre en cause la persistance de l'offre incriminée. Bien que l'on puisse regretter que ces impressions d'écran n'aient pas été réalisées dans le cadre d'un constat dressé par un agent assermenté qu'il lui était aisé de requérir ou par un huissier, elles suffisent à établir la poursuite des atteintes invoquées en ce que la société en cause revendique une activité ancienne et continue depuis plus de 20 ans (pièce DMD 23).

En ce qu'il permet la reproduction et l'offre à la vente ainsi que l'acquisition par les internautes des oeuvres protégées des artistes précédemment mentionnés, l'activité du site litigieux porte atteinte aux droits des auteurs au sens des articles L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle de telle sorte que l'ADAGP apparaît fondée à solliciter la mise en oeuvre de l'article L. 336-2 précité du code de la propriété intellectuelle, la mesure de blocage sollicitée apparaissant en effet la seule de nature à mettre fin aux actes de contrefaçon.

Elle doit toutefois rester proportionnée, ce qui justifie de limiter sa durée à une année.

Il y a lieu ensuite de réserver aux fournisseurs d'accès à internet le libre choix de la nature des mesures techniques à adopter pour opérer le blocage du nom de domaine [Site Web 3]., en tenant compte de leur organisation, de leur équipement et de la structure de leur réseau, ce d'autant qu'ils doivent en supporter le coût, point qui fait l'objet de réserves de la société FREE mais n'est pas discuté.

Compte-tenu des opérations techniques nécessaires à la mise en oeuvre des mesures, le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision suggéré par les défenderesses pour les rendre effectives apparaît justifié et sera retenu.

Il appartiendra à l'ADAGP d'informer le cas échéant la société ORANGE, la société BOUYGUES TELECOM, la société FREE et la société SFR, durant le temps de la mesure de blocage ordonnée, si le nom de domaine devenait inactif ou si l'ensemble des contenus contrefaisants auxquels il est donné accès étaient manifestement supprimés, ce afin d'éviter que des frais soient inutilement exposés.

2- sur les autres demandes relatives aux frais du litige et modalités d'exécution de la décision :

Il est relevé à juste titre par les fournisseurs d'accès à internet qu'en ne réservant pas une suite favorable aux demandes de l'ADAGP, elles n'ont fait que se conformer aux dispositions précitées impliquant que la mesure de blocage est soumise à une autorisation judiciaire. Les prétentions formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne sont donc aucunement justifiées et doivent être rejetées.

Il n'y a pas non plus lieu d'assortir la décision d'une astreinte,les sociétés défenderesses - qui n'ont aucune responsabilité dans l'exploitation du site litigieux - n'ayant jamais manifesté l'intention de ne pas se conformer à la décision susceptible d'être rendue.

Eu égard aux circonstances de l'espèce, chacune des parties conservera donc à sa charge les frais et dépens exposés.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que le site Internet accessible par le nom de domaine [Site Web 3] contient des contrefaçons d'oeuvres des auteurs du Répertoire de l'ADAGP (société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques) ;

En conséquence :

ORDONNE aux sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, SFR et FREE de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision et pendant une durée de 12 mois à compter de la présente décision, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français, à partir du territoire français, y compris des collectivités d'outre-mer, de la Nouvelle Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises, et par leurs abonnés utilisant leur réseau à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace, au site accessible à partir du nom de domaine « [Site Web 3] » ;

DIT qu'il appartiendra à l'ADAGP d'informer le cas échéant la société ORANGE, la société BOUYGUES TELECOM, la société FREE et la société SFR, durant le temps des mesures de blocage ordonnées, si le chemin d'accès précité venait à ne plus être actif ou si l'ensemble des contenus contrefaisants était manifestement supprimé ;

DEBOUTE l'ADAGP du surplus de ses demandes ;

DIT n'y avoir lieu ni à une obligation d'information ni au prononcé d'une astreinte ;

REJETTE les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chaque partie supportera la charge de ses propres frais et dépens ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire.

Fait à Paris le 30 octobre 2020

Le Greffier,Le Président,

Brigitte RUIZFlorence BUTIN


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0760
Numéro d'arrêt : 2
Date de la décision : 30/10/2020

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-10-30;2 ?
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