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15/10/2020 | FRANCE | N°12

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 15 octobre 2020, 12


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 19/14591 -
No Portalis 352J-W-B7D-CRKJS

No MINUTE :

Assignation du :
20 décembre 2019

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 15 octobre 2020
DEMANDERESSE

S.A.S. FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE, anciennement dénommée PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE
[Adresse 2]
[Localité 1]

représentée par Me Valérie LEDOUX de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0301

DÉFENDERESSE

S.A. ARKAMYS
[Adresse 1]
[Localité 2

]

représentée par Me François-xavier TESTU de l'AARPI SALES, TESTU, HILL, HENRY-GABORIAU et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G035...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 19/14591 -
No Portalis 352J-W-B7D-CRKJS

No MINUTE :

Assignation du :
20 décembre 2019

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 15 octobre 2020
DEMANDERESSE

S.A.S. FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE, anciennement dénommée PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE
[Adresse 2]
[Localité 1]

représentée par Me Valérie LEDOUX de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0301

DÉFENDERESSE

S.A. ARKAMYS
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me François-xavier TESTU de l'AARPI SALES, TESTU, HILL, HENRY-GABORIAU et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0355

DÉBATS

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

assistée de Caroline REBOUL, Greffière,

A l'audience du 07 septembre 2020, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 1er octobre 2020. Le délibéré a été prorogé au 15 octobre 2020.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE anciennement dénommée PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE, fondée en 1997, est une entreprise technologique spécialisée dans la conception de solutions audio pour l'industrie automobile, filiale à 100% de l'équipementier FAURECIA depuis 2018.

La société ARKAMYS, fondée en 1998, est quant à elle spécialisée dans la conception de solutions logicielles de traitement numérique et d'amélioration du signal audio à l'origine utilisées dans l'industrie cinématographique, et notamment leur développement dans l'automobile, la téléphonie, la réalité virtuelle et les objets connectés.

Soupçonnant la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE d'exploitation parasitaire de sa technologie, la société ARKAMYS a été autorisée par le délégataire du président de ce tribunal, par une ordonnance du 12 novembre 2019, rendue au visa de l'article 145 du code de procédure civile, à faire pratiquer dans les locaux de la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE des opérations visant à établir la preuve de ces faits.

Les opérations se sont déroulées le 26 novembre 2019.

Par un acte d'huissier du 20 décembre 2019, la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE a fait assigner en référé la société ARKAMYS devant le juge ayant autorisé la saisie afin d'obtenir la rétractation, et subsidiairement, la modification de l'ordonnance.

Dans ses dernières conclusions, la société  FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE (ex PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE) demande au juge des référés, au visa des articles 145, 493, 495 et suivants et 700 du code de procédure civile, L.615-5 du code de la propriété intellectuelle, de :
A TITRE PRINCIPAL,
- DIRE que le président du tribunal judiciaire n'était pas compétent pour ordonner les mesures sollicitées dans la requête de la société Arkamys, laquelle aurait dû être soumise au président du tribunal de commerce de Paris ;
- DIRE que le recours à l'arti cle 145 du code de procédure civile a constitué un détournement de procédure ;
- DIRE que la requête et l'ordonnance du 12 novembre 2019 ayant autorisé la mesure d'instruction au siège de la société PFA n'ont pas été correctement signifiées à cette dernière;
- DIRE que les circonstances du litige ne justifiaient pas une dérogation au principe du contradictoire ;
- DIRE qu'Arkamys ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile ;
- DIRE que les mesures d'instruction ordonnées le 12 novembre 2019 ne sont pas légalement admissibles et portent atteinte au secret des affaires ;
En conséquence,
- ORDONNER la rétractation intégrale de l'ordonnance du 12 novembre 2019, l'annulation des
actes subséquents, et la restitution immédiate de l'intégralité des éléments appréhendés à leur
destinataire à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
- CONDAMNER ARKAMYS à verser à PFA la somme de 10.000 euros
au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER ARKAMYS aux entiers dépens ;
- RAPPELER que l'exécution provisoire est de droit ;

A TITRE SUBSIDIAIRE,
- MODIFIER l'ordonnance pour préciser que les pièces saisies dans le cadre des opérations ne
pourront, le cas échéant, être remises à Arkamys :
? qu'à l'issue d'une décision définitive quant à la validité de l'ordonnance, après expiration de toutes les voies de recours sur ce point,
? et dans le cadre d'une procédure contradictoire de levée de séquestre prévoyant l'intervention d'un expert indépendant.

Dans ses dernières conclusions no2, la société ARKAMYS demande quant à elle au juge des référés de :
- Rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Parrot Faurecia Automotive et,
Se déclarant compétent :
- Dire que la signification de la requête et de l'ordonnance a été régulière ;
- Constater après débat contradictoire que la mesure d'investigation prescrite par l'ordonnance du 12 novembre 2019 dans les locaux de la société Parrot Faurecia Automotive est fondée sur un motif légitime au sens du texte susvisé ;
- Qu'il y a lieu en conséquence de maintenir ladite ordonnance ;
- Débouter en conséquence la société Parrot Faurecia Automotive de sa demande de rétractation;
Subsidiairement, pour le cas de rétractation de l'ordonnance sur requête en date du 12 novembre 2019,
- Ordonner que les éléments actuellement tenus sous séquestre y soient maintenus, jusqu'à l'expiration du délai de voie de recours ordinaire, ou jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel à intervenir si un appel est interjeté ;
En tout état de cause,
- Débouter la société Parrot Faurecia Automotive de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de l'instance ;
- Débouter la société demanderesse de toutes autres demandes ;
- Condamner la société Parrot Faurecia Automotive à verser à Arkamys la somme de huit mille euros (8000 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Parrot Faurecia Automotive aux entiers dépens.

Après trois renvois, l'affaire a finalement été plaidée à l'audience du 7 septembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE sollicite la rétractation de l'ordonnance aux motifs, d'abord, que le tribunal de commerce était seul compétent pour autoriser la mesure, faute de concerner des droits de propriété industrielle précis (Cass. Com. 16 février 2016, no14-25.340) et de respecter les règles propres aux mesures probatoires en matière de contrefaçon, de sorte qu'elle réalise selon elle un véritable détournement de procédure.

La société FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE soutient encore que l'ordonnance et la requête ont été signifiées de manière tronquée, puisqu'il manquait cinq pages de la requête dans la signification, et que la requête n'énonce pas clairement, et in concreto, les raisons ayant imposé qu'il soit dérogé au principe du contradictoire.

La société FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE ajoute que la requête n'apporte aucun indice sérieux de contrefaçon ou d'atteinte justifiant les mesures d'instruction obtenues et, en particulier, ne précise même pas quel serait le produit développé par FAURECIA qui serait la contrefaçon d'un titre de propriété ou l'appropriation fautive d'un savoir-faire de la société ARKAMYS, de sorte que les mesures sollicitées et obtenues étaient dépourvues de tout motif légitime, tandis que la mesure a été obtenue au terme d'une présentation déloyale des faits et en particulier en présentant comme des évidences des faits inexistants.

La demanderesse à la rétractation soutient enfin que les mesures ordonnées n'étaient pas légalement admissibles et, en particulier, que les mots-clés retenus ne pouvaient que conduire à une recherche disproportionnée s'agissant de termes génériques utilisés par tous les opérateurs économiques du secteur.

La société ARKAMYS conclut quant à elle au rejet de la demande de rétractation.

Sur la compétence, elle indique que la requête vise un pillage de technologie supportée par un brevet, ainsi qu'un logiciel, outre une part de technologie non couverte par de tels droits de propriété incorporelle, de sorte que selon elle, seul le juge judiciaire était compétent pour en connaître (Cass. Com., 20 novembre 2012, no11-23.216).

La société ARKAMYS ajoute que la requête n'a pas été signifiée tronquée mais que la société FAURECIA tire argument de la signification de six feuilles blanches.

La société ARKAMYS fait encore valoir que la requête précise les raisons de procéder de manière non contradictoire, et en particulier le risque réel de destruction des pièces.

Enfin, la société ARKAMYS soutient qu'elle justifie amplement du bien fondé de la mesure et de l'exactitude de la chronologie présentée au juge des requêtes, tandis que le choix des mots-clés était tout à fait pertinent.

Sur ce,

a - Sur la compétence du président du tribunal judiciaire

Aux termes de l'article145 du code de procédure civile « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Ces dispositions n'instaurent aucune dérogation aux principes généraux régissant les compétences d'attribution des juridictions civiles et commerciales. Il est à cet égard constamment jugé que la requête doit être présentée au président de la juridiction qui est compétent pour connaître du fond du litige en vue duquel la mesure d'instruction in futurum est demandée.

Relève ainsi de la compétence exclusive du président du tribunal judiciaire, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la demande visant à l'établissement tout à la fois de faits de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-23.216, Bull. 2012, IV, no208).

Relève en revanche de la compétence du président du tribunal de commerce au visa de l'article 145 du code de procédure civile la requête qui, tout en évoquant l'existence d'un brevet, ne suppose l'appréciation d'aucun droit de brevet (Cass. Com., 16 février 2016, pourvoi no14-25.240, Bull. 2016, IV, no31).

En l'occurrence, la requête mentionnait expressément, outre des faits de concurrence déloyale, une possible contrefaçon de brevets (FR 2 918 532, FR 2 982 404 et FR 2 954 654 point no4, puis points no33 et 36 de la requête), de sorte que le président du tribunal judiciaire était bien compétent pour connaître de la requête présentée au visa de l'article 145 du code de procédure civile.

b - Sur le motif légitime d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige

La demande de rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne tendant qu'au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît une telle demande doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. (Cass. Civ. 2ème, 7 juillet 2016, pourvoi no 15-21.579, Bull. 2016, II, no 188)

En l'occurrence, la société ARKAMYS a été autorisée à mandater un huissier aux fins de se rendre dans les locaux de la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE, d'y accéder aux messageries de MM. [C] [T], [X] [N] et [P] [U], trois de ses anciens salariés ou prestataires, et d'y rechercher et extraire :

1- les messages échangés entre ces trois personnes entre le 1er juin 2017 et le 31 août 2019 comportant les mots-clés suivants : Soundstage, SAT, BassExciter, Bass Ex, Arkamys Stage ;

2- tous les messages reçus et envoyés par M. [P] [U] entre le 1er juin 2017 et le 31 août 2019 comportant les mots-clés suivants : AllPass, Stage, SAT, Harmonic, Harmonics, Harmonizer, Rattle Noise, Dry Delay, Polymonial, polinome, C Extract, center extraction, et enfin, Arkamys Speed dependant et Arkamys volume dependant.

Elle soupçonnait, à la suite du départ de ces trois salariés, le détournement de sa "technologie propriétaire", ayant "permis le développement d'un produit qu'elle fournit à un grand nombre de constructeurs automobiles", par le projet "Cockpit audio manager" développé par la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE.

Force est de constater, ainsi que le relève à juste titre la défenderesse, que la société ARKAMYS n'identifie pas dans la requête, et toujours pas au stade de l'instance en rétractation, le ou les produits qu'elle-même développe et commercialise et qui serai(en)t copié(s), grâce à l'aide de ses anciens salariés, par le "Cockpit audio manager" ou le "Carspat" de la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE.

Aussi, faute de pouvoir identifier avec un minimum de précision le produit (à défaut d'un brevet ou d'un logiciel précis) qui serait copié par son concurrent, et de quels faits la mesure vise à établir la preuve, celle-ci apparaît dépourvue de tout motif légitime.

Il y a donc lieu de rétracter l'ordonnance du 12 novembre 2019, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la société PARROT FAURECIA AUTOMOTIVE (devenue  FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE).

Les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu'à l'expiration du délai d'appel ou jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel à intervenir si un appel est interjeté.

Parties perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société ARKAMYS sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société  FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge des référés,

Ordonne la rétractation de l'ordonnance du 12 novembre 2019 et l'annulation de ses actes subséquents, ainsi que la restitution à la société  FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE de l'intégralité des éléments appréhendés en exécution de cette ordonnance ;

Dit toutefois que les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu'à l'expiration du délai d'appel ou jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel à intervenir si un appel est interjeté ;

Condamne la société ARKAMYS aux dépens ;

Condamne la société ARKAMYS à payer à la société  FAURECIA CLARION ELECTRONICS EUROPE la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 15 octobre 2020

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 12
Date de la décision : 15/10/2020

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-10-15;12 ?
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