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06/08/2020 | FRANCE | N°16/10973

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 06 août 2020, 16/10973


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 16/10973 - No Portalis 352J-W-B7A-CIMXJ

No MINUTE :

Assignation du :
12 juillet 2016

JUGEMENT
rendu le 06 août 2020
DEMANDERESSES

Société FACEBOOK IRELAND LIMITED, Intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 1] (IRLANDE)

Société FACEBOOK, INC.
[Adresse 3]
[Localité 2] (ETATS-UNIS)

représentées par Me William KOPACZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1883

DÉFENDEURS

Société CARGO MEDIA AG
[Adres

se 4]
[Adresse 5])

Monsieur [Q] [D]
[Adresse 6]
[Adresse 7])

représentés par Me Alexandra NERI du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avoca...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 16/10973 - No Portalis 352J-W-B7A-CIMXJ

No MINUTE :

Assignation du :
12 juillet 2016

JUGEMENT
rendu le 06 août 2020
DEMANDERESSES

Société FACEBOOK IRELAND LIMITED, Intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 1] (IRLANDE)

Société FACEBOOK, INC.
[Adresse 3]
[Localité 2] (ETATS-UNIS)

représentées par Me William KOPACZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1883

DÉFENDEURS

Société CARGO MEDIA AG
[Adresse 4]
[Adresse 5])

Monsieur [Q] [D]
[Adresse 6]
[Adresse 7])

représentés par Me Alexandra NERI du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0025

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Laurence BASTERREIX, Vice- présidende

assistés de Caroline REBOUL, Greffière,

DÉBATS

A l'audience du 07 juillet 2020 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Gilles BUFFET, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

La société de droit américain FACEBOOK INC offre un service de réseau social en ligne, créé en 2004, accessible à l'adresse etlt;www.facebook.cometgt; et par l'intermédiaire d'applications mobiles pour téléphones portables et tablettes. "Facebook" est un service qui permet aux personnes physiques et aux entreprises de communiquer en ligne avec leurs relations amicales, familiales et professionnelles par le biais de différents outils.

La société FACEBOOK INC est titulaire :

- de la marque verbale de l'Union européenne "Facebook" no5585518 déposée le 22 décembre 2006 et enregistrée le 25 mai 2011 dans les classes de services 35, 41, 42 et 45 pour désigner les services suivants :

classe 35: publicité; gestion des affaires commerciales; administration commerciale; travaux de bureau; publicité et services de distribution d'informations, à savoir, fourniture d'espace pour petites annonces via le réseau informatique mondial; promotion des produits et services de tiers sur l'internet; compilation et gestion de bases de données informatiques en ligne et de bases de données explorables en ligne.

classe 41: éducation; formation; divertissement; activités sportives et culturelles; fourniture d'un service en ligne d'informations en matière de répertoire contenant des informations sur, et sous forme de, la vie collégiale, l'intérêt général, les petites annonces, la communauté virtuelle, la constitution d'un réseau social, le partage de photographies et la transmission d'images photographiques.

classe 42: services scientifiques et technologiques ainsi que services de recherches et de conception y relatifs; services d'analyses et de recherches industrielles; conception et développement d'ordinateurs et de logiciels; services juridiques; services informatiques, à savoir hébergement en ligne d'infrastructures du web pour le compte de tiers pour organiser et conduire en ligne des réunions, rassemblements, et discussions interactives; et services informatiques sous forme de pages web personnalisées proposant des informations définies par l'utilisateur, des profils et informations personnels; fourniture d'utilisation d'applications logicielles via un site web; services de transmission de données et messagerie instantanée.

classe 45: services personnels et sociaux rendus par des tiers destinés à satisfaire les besoins des individus; services de sécurité pour la protection des biens et des individus; services de rencontres et mise en réseau social.

Cette marque a été régulièrement renouvelée.

- de la marque verbale de l'Union européenne "Facebook" no4535381 déposée le 5 août 2005 et enregistrée le 22 juin 2011 pour désigner les services suivants en classes 35 et 38:

classe 35 : fourniture d'un service de répertoires en ligne contenant des informations sur la vie collégiale, les petites annonces, la communauté virtuelle et la constitution d'un réseau social.

classe 38 : télécommunications ; fourniture de forums de discussion pour utilisateurs inscrits pour la transmission de messages concernant la vie collégiale, les petites annonces, la communauté virtuelle et la constitution d'un réseau social.

- de la marque figurative de l'Union européenne no9724774

déposée le 3 juin 2010 et enregistrée le 11 février 2011 dans les classes de produits et services 9, 36, 38, 41, 42 et 45, comprenant, pour cette dernière classe, les "services de rencontres sociales, de réseautage et de rendez-vous".

La société de droit suisse CARGO MEDIA AG a pour dirigeant M. [Q] [D].

Elle a pour activité l'exploitation d'un site de rencontres pour adultes à caractère sexuel, dénommé "Fuckbook".

M. [Q] [D] a procédé le 17 juillet 1999 à la réservation du nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt;, qu'il a cédé à la société CARGO MEDIA AG le 2 mars 2012, cette société ayant également réservé le 18 janvier 2012 le nom de domaine etlt;fuckbook.xxxetgt;.

Estimant que l'usage du signe "FUCKBOOK" porterait atteinte aux droits qu'elle détient sur ses marques, la société FACEBOOK INC., a, par une lettre du 6 juin 2016, demandé à la société CARGO MEDIA AG et à M. [Q] [D] de cesser tout usage de ce signe en lien avec des services de réseautage social.

Par courrier du 19 juillet 2016, la société CARGO MEDIA AG n'a pas entendu donner une suite favorable à cette demande.

Par exploits d'huissier de justice du 12 juillet 2016, la société FACEBOOK INC a fait assigner la société CARGO MEDIA AG et M. [Q] [D] devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Paris, en atteinte à marques renommées, contrefaçon de marques, atteinte à nom commercial et parasitisme.

Par ordonnance du 18 janvier 2018, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de Paris incompétent pour connaître de l'action en contrefaçon de marques de l'Union européenne intentée par la société FACEBOOK INC contre la société CARGO MEDIA et M. [D] du fait de l'usage des signes "Fuckbook" et "f" sur les sites fuckbook.com et fuckbook.xxx qui ne sont pas accessibles depuis le territoire français ainsi que sur les versions en langue étrangère de ces sites, mêmes accessibles en France et a également déclaré ce tribunal incompétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale et parasitaire intentée par la société FACEBOOK INC contre la société CARGO MEDIA et M. [D] découlant de l'accessibilité à l'étranger des sites fuckbook.com et/ou fuckbook.xxx ou de l'accessibilité en France de leurs versions en langue étrangère.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 23 novembre 2018, la société de droit irlandais FACEBOOK IRELAND LIMITED est intervenue volontairement à l'instance.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 novembre 2018, les sociétés FACEBOOK INC et FACEBOOK IRELAND LIMITED demandent au tribunal de:

Vu les articles L. 717-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 9 et suivants du règlement No 207/2009 du Conseil du 26 Février 2009 sur la marque de l'Union européenne, tel que modifié par le règlement (UE) no 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017,

Vu les articles 2 et 8 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu les articles 325 et 328 et suivants du code de procédure civile,

- DECLARER recevable l'intervention volontaire de la société Facebook Ireland Limited;

- JUGER que les demandes formulées contre M. [Q] [D] sont recevables ;

- REJETER toutes les demandes formulées par la société CARGO MEDIA et M. [Q] [D];

- DIRE ET JUGER que les demandes des sociétés Facebook, Inc. et Facebook Ireland sont recevables et bien fondées;

- DIRE ET JUGER que les marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no005585518 de la société Facebook, Inc. sont des marques renommées en France et plus généralement dans l'Union européenne ;

- DIRE ET JUGER que l'usage du signe "FUCKBOOK" par les défendeurs porte atteinte aux marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no005585518 de la société Facebook, Inc. aux motifs que ces actes tirent indûment profit de et portent préjudice à leur caractère distinctif et leur renommée sur le fondement de l'article 9.2.c du règlement (CE) no 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne et de l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- DIRE ET JUGER que l'usage du signe "FUCKBOOK" par les défendeurs constitue une imitation illicite des marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no005585518 de la société Facebook, Inc. sur le fondement de l'article 9.2.b du règlement (CE) no 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne et de l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- DIRE ET JUGER que l'usage du signe "F" par les défendeurs constitue une imitation illicite de la marque de l'Union européenne "f" no 009724774 de la société Facebook, Inc. sur le fondement de l'article 9.2.b du règlement (CE) no 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne et de l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- DIRE ET JUGER que l'usage du signe "FUCKBOOK" par les défendeurs porte atteinte aux noms commerciaux "Facebook" des sociétés Facebook Ireland et Facebook, Inc. sur le fondement de l'article 8 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883 et de l'article 1240 du code civil;
- DIRE ET JUGER que l'imitation de la présentation et des éléments caractéristiques du site internet Facebook et de la marque de l'Union européenne "f" no 009724774 par les défendeurs constitue des actes parasitaires préjudiciables aux sociétés Facebook, Inc. et Facebook Ireland sur le fondement de l'article 1240 du code civil;

En conséquence,

- FAIRE INTERDICTION à la société CARGO MEDIA AG et à Monsieur [Q] [D] d'utiliser, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, y compris à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial, d'enseigne et de nom de domaine, directement ou par l'intermédiaire de tout tiers, le signe "FUCKBOOK" ou tout autre signe similaire portant atteinte aux droits antérieurs que la société Facebook, Inc. détient sur les marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no005585518 et portant atteinte aux droits antérieurs que les sociétés Facebook Ireland et Facebook Inc. détiennent sur le nom commercial Facebook, sur l'ensemble du territoire français, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour, passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir;

- FAIRE INTERDICTION à la société CARGO MEDIA AG et Monsieur [Q] [D] d'utiliser les noms de domaine "fuckbook.com" et "fuckbook.xxx" ou tout autre nom de domaine avec le terme "fuckbook" ou tout autre signe similaire, pour un service de réseau social ou de rencontres ou un service de mise à disposition de photographies pornographiques ou des services similaires, sur l'ensemble du territoire français, et ce, sous astreinte de 500 euros par
jour, passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir;

- Condamner in solidum la société CARGO MEDIA AG et Monsieur [Q] [D] à verser à la société Facebook, Inc. la somme de 30 000 (trente mille) euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté au caractère distinctif et à la renommée de ses marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no005585518 et en raison du profit indûment tiré par les défendeurs, au sens de l'article 9.2.c du règlement sur la marque de l'Union européenne;

- Condamner in solidum la société CARGO MEDIA AG et Monsieur [Q] [D] à verser à la société Facebook, Inc. la somme de 30 000 (trente mille) euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'imitation illicite de ses enregistrements de marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no005585518 et le logo « F » no009724774, au sens de l'article 9.2.b du règlement sur la marque de l'Union européenne;

- Condamner in solidum la société CARGO MEDIA AG et Monsieur [Q] [D] à verser aux sociétés Facebook Ireland et Facebook, Inc. la somme de 30 000 (trente mille) euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à leur nom commercial;

- Condamner in solidum la société CARGO MEDIA AG et Monsieur [Q] [D] à verser aux sociétés Facebook Ireland et Facebook, Inc. la somme de 30 000 (trente mille) euros à titre de dommages-intérêts pour les actes de parasitisme commis à leur préjudice ;

- ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir pour l'ensemble des mesures sollicitées au présent dispositif, nonobstant appel et sans constitution de garantie;

- CONDAMNER in solidum la société CARGO MEDIA et M. [Q] [D] à verser aux sociétés Facebook, Inc. et Facebook Ireland la somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- CONDAMNER in solidum la société CARGO et M. [Q] [D] aux entiers dépens dont distraction sera ordonnée au profit de Maître William James KOPACZ, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 2 décembre 2019, la société CARGO MEDIA AG et M. [Q] [D] demandent au tribunal de :

Sur la mise hors de cause de Monsieur [Q] [D] :

- JUGER que Monsieur [Q] [D] ne saurait répondre personnellement des actes résultant de l'exploitation par la société CARGO MEDIA d'un site internet et de noms de domaine qui ne lui appartiennent pas ;

- JUGER, par conséquent, que les demandes contre Monsieur [Q] [D] sont irrecevables et qu'il doit être mis hors de cause.

Sur les prétendus actes d'atteinte à la "renommée" des marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381 et no00558518 :

- JUGER qu'aucun acte enfreignant l'article 9.2, paragraphe c) du règlement sur la marque de l'Union Européenne et l'article L.717-1 du code de la propriété intellectuelle n'est caractérisé;

- DEBOUTER la société FACEBOOK INC. de ces demandes de ce chef ;

Sur les prétendus actes de contrefaçon des marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no004535381, "FACEBOOK" no00558518 et "F" no009724774 :

- JUGER qu'aucun acte enfreignant l'article 9.2. paragraphe b) du règlement sur la marque de l'Union Européenne et l'article L.717-1 du code de la propriété intellectuelle n'est caractérisé;

- DEBOUTER la société FACEBOOK INC. de ses demandes de ce chef ;

Sur les prétendus actes de parasitisme à raison de la prétendue imitation des marques de la société FACEBOOK INC. et de l'atteinte à la renommée des marques "FACEBOOK" :

- JUGER irrecevables les demandes formulées par la société FACEBOOK INC. à raison de la prétendue imitation des marques de la société FACEBOOK INC. et de l'atteinte à la renommée des marques "FACEBOOK" en ce que ces demandes sont fondées sur les mêmes faits que ceux sur lesquels elle fonde son action en contrefaçon ;

- FAIRE DROIT à la fin de non-recevoir formulée de ce chef.

Sur les prétendus actes de parasitisme fondés sur la reprise des éléments caractéristiques du site internet "Facebook" sur le fondement de l'article 1240 du code civil :

- JUGER irrecevables les demandes formulées par la société FACEBOOK INC. faute de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon ;

- FAIRE DROIT à la fin de non-recevoir formulée de ce chef ;

- JUGER irrecevables les demandes formulées par la société FACEBOOK IRELAND LIMITED dès lors que la prescription de cette action est acquise ;

- FAIRE DROIT à la fin de non-recevoir formulée de ce chef ;

- JUGER, à titre subsidiaire, les demandes des sociétés FACEBOOK INC. et FACEBOOK IRELAND LIMITED mal fondées en l'absence de reprise, par la société CARGO MEDIA, de fonctionnalités constituant une valeur économique propre à la société FACEBOOK
INC.

Sur la prétendue atteinte au nom commercial "Facebook" sur le fondement de l'article 1240 du code civil :

- JUGER irrecevables les demandes formulées par la société FACEBOOK INC. à raison de la prétendue atteinte à son nom commercial dès lors qu'elle n'exploite pas son nom commercial sur le territoire français ;

- FAIRE DROIT à la fin de non-recevoir formulée de ce chef ;

- JUGER irrecevables les demandes formulées par la société FACEBOOK IRELAND LIMITED à raison de la prétendue atteinte à son nom commercial dès lors que la prescription de cette action est acquise ;

- FAIRE DROIT à la fin de non-recevoir formulée de ce chef ;

- JUGER, à titre subsidiaire, ces demandes mal fondées en l'absence de risque de confusion entre une entreprise exerçant ses activités en France sous le nom commercial"FACEBOOK" et le site de la société CARGO MEDIA exploité sous la dénomination"FUCKBOOK" ;

En tout état de cause :

- CONSTATER que les demandes relatives aux versions et pages en langues étrangères des sites fuckbook.com et fuckbook.xxx échappent à la compétence du Tribunal, conformément à l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 18 janvier 2018 ;

- DÉBOUTER les sociétés FACEBOOK INC. et FACEBOOK IRELAND LIMITED de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER solidairement les sociétés FACEBOOK INC. et FACEBOOK IRELAND LIMITED au paiement de la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, compte tenu des frais irrépétibles des défendeurs pour faire valoir leurs droits dans le cadre de ce litige et qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ;

- CONDAMNER solidairement les sociétés FACEBOOK INC. et FACEBOOK IRELAND LIMITED aux dépens, dont distraction au profit du cabinet HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

Sur la recevabilité des demandes de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED:

La société FACEBOOK IRELAND LIMITED, qui est une filiale de la société FACEBOOK INC, fait valoir qu'elle exerce une activité commerciale en France sous le nom commercial "Facebook" et qu'elle a le plus grand intérêt à demander au tribunal de faire cesser les atteintes à ce nom commercial ainsi que les actes de parasitisme commis à son détriment par les défendeurs.

Elle fait valoir qu'aucune prescription ne peut lui être opposée, les actes incriminés étant continus de sorte que le point de départ de la prescription se trouve reporté à la date de chaque dernier acte d'exploitation du site "Fuckbook"; que la société CARGO MEDIA AG et M. [D] sont donc responsables de tous les actes commis à l'égard de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED qui se sont produits après le 20 novembre 2013 ; qu'en toute hypothèse, au jour de la mise en ligne de la version française du site "Fuckbook", le 18 août 2013, les données relatives au nom de domaine "Fuckbook.com" n'étaient pas publiquement divulguées, celles-ci étant dissimulées par M. [D] qui avait acheté la confidentialité de la titularité de ce nom de domaine et que ce n'est qu'à compter du 30 mars 2014, que le service Whois a révélé les informations concernant les titulaires du nom de domaine "Fuckbook.com" et ce, seulement pendant une brève période.

La société CARGO MEDIA AG et M. [Q] [D] soutiennent que les demandes de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED sont prescrites en application de l'article 2224 du code civil ; que la version française du site "Fuckbook" ayant été mise en ligne le 18 août 2013, l'action aurait dû être engagée avant le 18 août 2018, tandis que la société FACEBOOK IRELAND LIMITED ne peut se retrancher derrière une prétendue anonymisation des données accessibles sur les registres Whois en ligne avant le 30 mars 2014, dès lors qu'il existait des procédures tendant à faire connaître l'identité du titulaire du nom de domaine "Fuckbook.com".

Sur ce :

Aux termes de l'article 325 du code de procédure civile, l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, tandis que l'article 329 dudit code dispose que l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.

La société FACEBOOK IRELAND LIMITED, qui justifie exploiter le nom commercial "Facebook" en France, a un intérêt à agir évident à solliciter du tribunal la cessation des atteintes alléguées au nom commercial "Facebook"ainsi que des actes de parasitisme reprochés aux défendeurs.

L'intervention de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED se rattache, par ailleurs, aux prétentions de la société FACEBOOK INC tendant notamment à la protection de ses droits sur ses marques, par un lien suffisant.

Sur la prescription opposée à la société FACEBOOK IRELAND LIMITED, il est rappelé qu'aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La version française du site "Fuckbook" a été mise en ligne le 18 août 2013, par le biais du nom de domaine etlt;Fuckbook.cometgt;.

Compte tenu du caractère public de ce nom de domaine sur le territoire français à compter de cette date, la société FACEBOOK IRELAND LIMITED est réputée en avoir eu connaissance à partir du 18 août 2013, sans pouvoir prétendre utilement que l'exploitation continue du site aurait eu pour effet de reporter sans cesse le point de départ du délai de prescription qui doit s'entendre de la date à laquelle le site "Fuckbook" a été porté pour la première fois à la connaissance du public français, par une version exploitée en langue française.

A supposer qu'en août 2013, les informations sur le titulaire du nom de domaine "Fuckbook.com' étaient anonymisées sur les registres publics, il était loisible à la société FACEBOOK IRELAND LIMITED d'obtenir l'identité du titulaire de ce nom de domaine par le biais de l'adresse email « pnwtmmwk@whoisprivacyprotect.com » apparaissant en 2014 sur la fiche Whois du nom de domaine « fuckbook.com » permettant de contacter le réservataire anonymisé du nom de domaine litigieux, ou notamment par voie de requête auprès de l'autorité judiciaire.

Aussi, le délai de prescription de l'action de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED ayant commencé à courir le 18 août 2013, celle-ci était donc prescrite en ses demandes lorsqu'elle est intervenue volontairement à l'instance le 20 novembre 2018.

Sur la recevabilité des demandes à l'encontre de M. [Q] [D] :

La société FACEBOOK INC expose que M. [Q] [D] a été le titulaire du nom de domaine "fuckbook.com" de mai 2008 au 2 mai 2012 et l'exploitant du site de 2009 (date de création du site Fuckbook) au 2 mai 2012; que, plus particulièrement, il est resté l'exploitant du site, le "contact administratif", au moins jusqu'au 30 mars 2014; qu'en raison des actes préjudiciables du fait de la réservation du nom de domaine "fuckbook.com" et de l'exploitation du site internet "fuckbook" qui lui sont imputables, la responsabilité personnelle de M. [Q] [D] est engagée.

M. [Q] [D] réplique qu'il ne fait aucun usage personnel du signe "FUCKBOOK" à quelque titre que ce soit, n'étant ni le propriétaire des noms de domaine "fuckbook.com" et "fuckbook.xxx" et n'exploitant pas le site "fuckbook" accessible sur ces deux noms de domaine; qu'il est à l'origine de la création du site de rencontre "fuckbook" et qu'il a procédé à la réservation du nom de domaine "fuckbook.com" en vue de son exploitation; que la société CARGO MEDIA AG a été créée le 27 avril 2010 en vue de lui confier la propriété et l'exploitation du site et que le transfert de propriété a été formalisé le 2 mai 2012 ; que cette société est propriétaire des noms de domaine "fuckbook.com" et "fuckbook.xxx"; que M. [D] ne peut donc répondre personnellement des actes résultant de l'exploitation du site et des noms de domaine par la société CARGO MEDIA AG; que le nom de domaine "fuckbook.com" n'est exploité en France que depuis 2013, de sorte qu'aucun acte d'exploitation sur ce territoire ne peut être reproché à M. [D] avant cette date; que le renseignement du nom et de l'adresse email de M. [D] en tant que "contact administratif" de la société CARGO MEDIA AG, titulaire du nom de domaine "fuckbook.com" sur les registres Whois, ne permet pas d'en conclure qu'il exploite personnellement ce nom de domaine; que le seul renseignement du nom d'une personne physique en tant que contact administratif ne lui confère pas la titularité du nom de domaine; que M. [Q] [D] conclut donc qu'il ne peut être personnellement responsable de l'exploitation du site "fuckbook" pas plus que de celle des noms de domaine "fuckbook.com" et "fuckbook.xxx".

Sur ce :

Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

Il résulte des pièces produites aux débats que M. [Q] [D], qui dirige la société CARGO MEDIA AG qu'il a constituée le 27 avril 2010, a cédé à cette société le 2 mars 2012 tous les droits sur le nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt; qu'il avait réservé en son nom le 17 juillet 1999.

Il ressort du rapport sur le nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt; du 7 juin 2014 produit par la société FACEBOOK INC que la société CARGO MEDIA AG y est mentionnée dans la rubrique "Organisation du titulaire", qui correspond au propriétaire effectif du nom de domaine.

Il est également justifié que la société CARGO MEDIA AG a procédé en son nom à l'enregistrement du second nom de domaine etlt;fuckbook.xxxetgt;, le 18 janvier 2012, pour l'exploitation du site "fuckbook".

Il est établi que le site "fuckbook" n'a commencé à être exploité en France qu'à partir du 18 août 2013, sous le nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt;, tandis que la version française du nom de domaine etlt;fuckbook.xxxetgt; n'existe que depuis le 17 novembre 2015.

Or, à partir du 18 août 2013, seule la société CARGO MEDIA AG était titulaire du nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt; et gérait le site "fuckbook".

Si M. [Q] [D] est mentionné en tant que "contact administratif"sur les registres Whois, il n'en demeure pas moins qu'en sa qualité de "registrant organization" du nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt;, la société CARGO MEDIA AG en est réputée la titulaire et seule responsable de l'utilisation du nom de domaine, la preuve n'étant pas rapportée que M. [D] aurait géré le site "fuckbook" à titre personnel lorsqu'il était devenu accessible sur le territoire français en langue française.

Par conséquent, aucun fait ne pouvant être imputé à M. [Q] [D] à titre personnel, la société FACEBOOK INC doit être déclarée irrecevable en ses demandes formées contre M. [Q] [D].

Sur l'atteinte aux droits de la société FACEBOOK INC sur ses marques de l'Union européenne renommées :

La société FACEBOOK INC rappelle que l'article 9.2.c du règlement sur la marque de l'Union européenne confère une protection spéciale aux marques renommées ; que la marque "Facebook" est une marque renommée, en France et dans l'Union européenne, qui bénéficie donc de cette protection ; que la marque "Facebook" est reconnue et extrêmement célèbre en 2009, le réseau social "Facebook" étant le leader des réseaux sociaux en France et dans le monde ; que la protection spéciale accordée aux marques renommées s'applique indépendamment de tout risque de confusion et qu'il suffit que le public établisse un lien entre les marques ; que le public fera nécessairement un lien avec la célèbre marque "Facebook" en voyant le signe "Fuckbook" en raison des similarités évidentes entre ces signes qui sont purement verbaux, sur le plan visuel, phonétique et conceptuel ; que les services respectivement fournis sous ces signes sont identiques, à savoir le réseautage social, ce qui amènera d'autant le public à établir un lien entre eux ; que le lien entre les signes résulte à la fois de leur grande similarité, de l'identité des services en cause et de la très grande renommée de la marque "Facebook" ; que ces mêmes facteurs créent un risque que la société CARGO MEDIA AG tire indûment profit de la renommée de la marque "Facebook" et qu'elle porte atteinte au caractère distinctif et à la renommée de cette marque; qu'en utilisant le signe "Fuckbook" pour un service de réseautage social, la société CARGO MEDIA AG cherche à obtenir un avantage injustifié par rapport à ses concurrents en raison de la force d'attraction de la marque "Facebook"susceptible de faciliter la commercialisation des services de la société CARGO MEDIA AG, "Fuckbook" étant perçu comme le "Facebook pornographique"; que la société CARGO MEDIA AG profite et bénéficie des investissements réalisés par la société FACEBOOK INC au cours des nombreuses dernières années qui ont permis à Facebook de devenir le réseau social le plus célèbre du monde, le profit de "Fuckbook" provenant de ces investissements en raison de l'association établie par le public entre le signe de la société CARGO MEDIA AG et la célèbre marque "Facebook" ; que la société FACEBOOK INC a également subi un préjudice porté à la renommée de sa marque lié à un risque de ternissement du fait du caractère pornographique des services pour lesquels la société CARGO MEDIA AG utilise le signe "Fuckbook" et du caractère extrêmement vulgaire du terme "Fuck" ; que l'usage du signe "Fuckbook" pour le service de réseautage social de la société CARGO MEDIA AG est susceptible de diluer le caractère distinctif de la marque "Facebook", l'identité de la marque se trouvant dispersée et le public allant cesser d'associer avec certitude la marque "Facebook" à la société FACEBOOK INC, le public ayant connaissance d'un autre signe quasi-identique, ce qui va engendrer des incertitudes quant aux origines commerciales des produits et services proposés sous les signes en cause ; qu'enfin, la société CARGO MEDIA AG ne peut invoquer de "juste motif" selon les termes de l'article 9.2.c RMUE pour prétendre à la poursuite de l'usage de son signe ; qu'à cet égard, la société CARGO MEDIA AG ne peut se prévaloir d'un "juste motif" qui supposerait que l'usage du signe "Fuckbook" ait débuté avant le dépôt des marques "Facebook"; que les marques "Facebook" ont été déposées en 2005 et 2006 tandis que la première utilisation du site "Fuckbook" en langue française remonte à 2013, le nom de domaine et le signe "Fuckbook" n'étant pas exploités ni en 1999 ni en 2003 et certainement pas pour un service de réseautage social ; qu'enfin, la société FACEBOOK INC n'a jamais été d'accord pour une coexistence des signes en cause.

La société CARGO MEDIA AG fait valoir que le tribunal ne peut limiter son analyse aux seuls éléments intrinsèques des signes en cause, mais devra plus généralement tenir compte de tous les éléments de contexte permettant d'apprécier la façon dont le consommateur perçoit le signe "Fuckbook" au moment où il y est effectivement confronté sur le site internet de la société CARGO MEDIA AG ; que le public pertinent pour cette analyse est le consommateur des services de rencontre pour adultes et d'échanges à caractère sexuellement explicite, lequel ne peut se méprendre sur la nature des services proposés et leur indépendance vis-à-vis du service "Facebook" ; qu'avant d'accéder au site "Fuckbook", le public concerné en prend essentiellement connaissance par le biais des publicités diffusées par la société CARGO MEDIA AG sur des sites internet proposant des contenus sexuellement explicites ; qu'au regard du parcours de l'utilisateur avant et pendant l'accès au site "Fuckbook", celui-ci comprend nécessairement qu'il est face à un service de rencontre pour adultes parfaitement distinct du réseau social "Facebook" qui est au contraire connu pour être un service "tous publics" réputé pour sa pudibonderie ; que le degré de similitude, la nature des services que les signes désignent et la coexistence jusqu'à présent paisible entre les signes "Facebook" et "Fuckbook" excluent la dilution et le ternissement des marques "Facebook" ; que, de même, la société CARGO MEDIA AG n'a pas besoin de tirer profit de la renommée des marques "Facebook" au regard de son domaine d'activité très particulier et de ses propres investissements ; que les signes en cause sont dissimilaires en tous points de vue et renvoient à des univers conceptuels étanches et totalement opposés tandis que le signe "Fuckbook" et la marque "Facebook" renvoient à des services distincts destinés à répondre aux besoins spécifiques de publics différents, le signe "Fuckbook" proposant un service de mise en relation de personnes majeures à des fins exclusivement sexuelles, tandis que le signe "Facebook" est associé à des services dédiés au grand public mettant à disposition des contenus ou informations exclusivement de nature non sexuelle, les contenus sexuellement explicites étant prohibés, tandis que les utilisateurs doivent utiliser leur véritable identité, à la différence du site "Fuckbook" où les adhérents ont tous des pseudonymes; qu'en toute hypothèse, l'usage du signe "Fuckbook" ne ternit, ni n'avilit la marque "Facebook" dont la renommée ne confère aucun avantage indu à la société CARGO MEDIA AG, le lien entre les signes étant au demeurant particulièrement faible ; qu'il n'existe aucun préjudice porté au caractère distinctif des marques "Facebook" (absence de dilution) ; que, loin de pâtir d'une quelconque manière de l'exploitation du signe "Fuckbook", le signe "Facebook" a joui d'une force d'attraction et a continué à attraire sans cesse plus d'utilisateurs depuis 2009 ; que le fait que la société FACEBOOK INC ait attendu plusieurs années avant d'engager la présente action alors même qu'elle avait connaissance de l'exploitation du site "Fuckbook" en France établit que l'utilisation de ce signe n'avait aucune conséquence sur les marques "Facebook" et sur l'activité associée à ces marques ; qu'il n'existe pas plus de préjudice porté à la renommée des marques "Facebook" (absence de ternissement), l'exploitation du signe "Fuckbook" depuis 2009 n'empêchant pas les marques "Facebook" d'attirer un nombre d'utilisateurs sans cesse plus nombreux, leur pouvoir attractif étant resté intact tandis qu'il n'existe aucun risque de transfert entre les signes "Fuckbook" et "Facebook"; que la société CARGO MEDIA AG ne tire pas de profit indu de la renommée des marques "Facebook" (absence de parasitisme) ; qu'à cet égard, la société FACEBOOK INC ne démontre pas que la société CARGO MEDIA AG récupérerait du trafic sur le moteur de recherche Google grâce à la proximité entre les signes "Fuckbook" et "Facebook", la société CARGO MEDIA AG ayant, au contraire, développé la clientèle du site "Fuckbook.com", rassemblant aujourd'hui une communauté de 17,6 millions d'utilisateurs, grâce à de très importants investissements propres, en développant une identité visuelle spécifique au service "Fuckbook", par un service riche en fonctionnalités permettant de répondre aux besoins du public visé et à la promotion de ses services ; que le signe "Fuckbook" n'a pas été créé à la suite de la renommée des marques "Facebook" mais résulte de l'acquisition d'un nom de domaine préexistant depuis 1999, alors que le service "Facebook" n'a été créé qu'en 2004; que, si, par extraordinaire, le tribunal devait conclure à l'existence d'un lien entre les signes "Fuckbook" et "Facebook" ainsi qu'à un préjudice à l'encontre de la marque "Facebook" ou un profit indu de la part de la société CARGO MEDIA AG, celle-ci revendique l'existence d'un juste motif pour l'exploitation du signe "Fuckbook" dès lors que le nom de domaine "fuckbook.com" est réservé depuis le 17 juillet 1999, qu'il est exploité pour un site de rencontre pour adultes par la société CARGO MEDIA AG depuis 2009 et que ce n'est qu'à partir du mois de juin 2016 que la société FACEBOOK INC s'est manifestée afin de s'opposer à cet usage en arguant d'un hypothétique préjudice ; que les signes ont donc coexisté de façon paisible pendant au moins sept ans, sans que les marques "Facebook" n'en soient affectées.

Sur ce :

Le règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire a été codifié à droit constant par le règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire, puis par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne qui, aux termes de l'article 9 § 1 et 2, dispose que :

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque:

a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;

b)ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque;

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice.

Ces dispositions sont équivalentes à celles de l'article 5 § 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, qui a codifié la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, et dont l'article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne.

Ainsi, selon l'article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance no2019-1169 du 13 novembre 2019, la reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à la reproduction ou l'imitation d'une marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle précitée.

Interprétant les dispositions de l'article 5 § 2 de la Directive, la Cour de Justice de l'Union européenne a, par un arrêt du 27 novembre 2008 (Intel Corporation Inc. Contre CPM United Kingdom Ltd, Aff. C-252/07), dit pour droit que :

"24 Il y a lieu de constater que les articles 4, paragraphe 4, sous a), et 5, paragraphe 2, de la directive sont libellés en des termes en substance identiques et visent à conférer la même protection aux marques renommées.

25 Partant, l'interprétation de l'article 5, paragraphe 2, de la directive donnée par la Cour dans l'arrêt Adidas-Salomon et Adidas Benelux, précité, vaut également pour l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive (voir, en ce sens, arrêt du 9 janvier 2003, Davidoff, C-292/00, Rec. p. I-389, point 17).

Sur la protection conférée par l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive

26 L'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive instaure, en faveur des marques renommées, une protection plus étendue que celle prévue au paragraphe 1 du même article. La condition spécifique de cette protection est constituée par un usage sans juste motif de la marque postérieure qui tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porte ou porterait préjudice (voir en ce sens, s'agissant de l'article 5, paragraphe 2, de la directive, arrêts Marca Mode, précité, point 36; Adidas-Salomon et Adidas Benelux, précité, point 27, ainsi que du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux, C-102/07, non encore publié au Recueil, point 40).

27 Les atteintes contre lesquelles l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive assure ladite protection en faveur des marques renommées sont, premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque.

28 Un seul de ces trois types d'atteinte suffit pour que ladite disposition soit d'application.

29 S'agissant plus particulièrement du préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, également désigné sous les termes de «dilution», de «grignotage» ou de «brouillage», ce préjudice est constitué dès lors que se trouve affaiblie l'aptitude de cette marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque, l'usage de la marque postérieure entraînant une dispersion de l'identité de la marque antérieure et de son emprise sur l'esprit du public. Tel est notamment le cas lorsque la marque antérieure, qui suscitait une association immédiate avec les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, n'est plus en mesure de le faire.

30 Les atteintes visées à l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive, lorsqu'elles se produisent, sont la conséquence d'un certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces deux marques, c'est-à-dire établit un lien entre celles-ci, alors même qu'il ne les confond pas (voir, s'agissant de l'article 5, paragraphe 2, de la directive, arrêts précités General Motors, point 23; Adidas-Salomon et Adidas Benelux, point 29, ainsi que adidas et adidas Benelux, point 41).

31 À défaut d'un tel lien dans l'esprit du public, l'usage de la marque postérieure n'est pas susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou de leur porter préjudice.

32 Toutefois, l'existence d'un tel lien ne saurait suffire, à elle seule, à conclure à l'existence de l'une des atteintes visées à l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive, lesquelles constituent, ainsi qu'il a été relevé au point 26 du présent arrêt, la condition spécifique de la protection des marques renommées prévue par cette disposition.

Sur le public pertinent

33 Le public à prendre en considération afin de déterminer si l'enregistrement de la marque postérieure est susceptible d'être annulé en application de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive varie en fonction du type d'atteinte allégué par le titulaire de la marque antérieure.

34 En effet, d'une part, tant le caractère distinctif que la renommée d'une marque doivent être appréciés par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels cette marque est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (s'agissant du caractère distinctif, voir arrêt du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland, C-363/99, Rec. p. I-1619, point 34; s'agissant de la renommée, voir, en ce sens, arrêt General Motors, précité, point 24).

35 Partant, l'existence des atteintes constituées par le préjudice porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure doit être appréciée dans le chef du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels cette marque est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

36 D'autre part, s'agissant de l'atteinte constituée par le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, dans la mesure où ce qui est prohibé est l'avantage tiré de cette marque par le titulaire de la marque postérieure, l'existence de ladite atteinte doit être appréciée dans le chef du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

Sur la preuve

37 Aux fins de bénéficier de la protection instaurée par l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive, le titulaire de la marque antérieure doit rapporter la preuve que l'usage de la marque postérieure «tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu'il leur porterait préjudice».

38 À cette fin, le titulaire de la marque antérieure n'est pas tenu de démontrer l'existence d'une atteinte effective et actuelle à sa marque au sens de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive. En effet, lorsqu'il est prévisible qu'une telle atteinte découlera de l'usage que le titulaire de la marque postérieure peut être amené à faire de sa marque, le titulaire de la marque antérieure ne saurait être obligé d'en attendre la réalisation effective pour pouvoir faire interdire ledit usage. Le titulaire de la marque antérieure doit toutefois établir l'existence d'éléments permettant de conclure à un risque sérieux qu'une telle atteinte se produise dans le futur.

39 Lorsque le titulaire de la marque antérieure est parvenu à démontrer l'existence soit d'une atteinte effective et actuelle à sa marque au sens de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive, soit, à défaut, d'un risque sérieux qu'une telle atteinte se produise dans le futur, il appartient au titulaire de la marque postérieure d'établir que l'usage de cette marque a un juste motif.

Sur la première question, sous i), et la deuxième question

40 Par sa première question, sous i), et par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quels sont les critères pertinents aux fins d'apprécier s'il existe un lien, au sens de l'arrêt Adidas-Salomon et Adidas Benelux, précité (ci-après un «lien»), entre la marque renommée antérieure et la marque postérieure dont l'annulation est demandée.

41 L'existence d'un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, s'agissant de l'article 5, paragraphe 2, de la directive, arrêts précités Adidas-Salomon et Adidas Benelux, point 30, ainsi que adidas et adidas Benelux, point 42).

42 Parmi ces facteurs peuvent être cités :
- le degré de similitude entre les marques en conflit ;
- la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné ;
- l'intensité de la renommée de la marque antérieure ;
- le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, de la marque antérieure;
- l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public.

43 À cet égard, il convient d'apporter les précisions suivantes.

44 S'agissant du degré de similitude entre les marques en conflit, plus celles-ci sont similaires, plus il est vraisemblable que la marque postérieure évoquera, dans l'esprit du public pertinent, la marque antérieure renommée. Tel est le cas a fortiori lorsque lesdites marques sont identiques.

45 Toutefois, l'identité entre les marques en conflit et, a fortiori, leur simple similitude ne suffisent pas à conclure à l'existence d'un lien entre ces marques.

46 En effet, il se peut que les marques en conflit soient enregistrées respectivement pour des produits ou des services pour lesquels les publics concernés ne se chevauchent pas.

47 Il convient par ailleurs de rappeler que la renommée d'une marque s'apprécie par rapport au public concerné par les produits ou les services pour lesquels cette marque a été enregistrée. Or, il peut s'agir soit du grand public, soit d'un public plus spécialisé (voir arrêt General Motors, précité, point 24).

48 Il ne saurait donc être exclu que le public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée soit tout à fait distinct de celui concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été enregistrée et que la marque antérieure, quoique renommée, soit inconnue du public visé par la marque postérieure. En pareil cas, le public visé par chacune des deux marques peut n'être jamais confronté à l'autre marque, de sorte qu'il n'établira aucun lien entre ces marques.

49 En outre, même si les publics concernés par les produits ou les services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées sont les mêmes ou se chevauchent dans une certaine mesure, lesdits produits ou services peuvent être si dissemblables que la marque postérieure sera insusceptible d'évoquer la marque antérieure dans l'esprit du public pertinent.

50 Dès lors, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit ont été respectivement enregistrées doit être prise en considération aux fins d'apprécier l'existence d'un lien entre ces marques.

51 Il convient également de souligner que certaines marques peuvent avoir acquis une renommée telle qu'elle va au-delà du public concerné par les produits ou les services pour lesquelles ces marques ont été enregistrées.

52 Dans une telle hypothèse, il est possible que le public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée effectue un rapprochement entre les marques en conflit alors même qu'il serait tout à fait distinct du public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée.

53 Dès lors, aux fins d'apprécier l'existence d'un lien entre les marques en conflit, il peut être nécessaire de prendre en considération l'intensité de la renommée de la marque antérieure, afin de déterminer si cette renommée s'étend au-delà du public visé par cette marque.

54 De même, plus la marque antérieure présente un caractère distinctif fort, qu'il soit intrinsèque ou acquis par l'usage qui a été fait de cette marque, plus il est vraisemblable que, confronté à une marque postérieure identique ou similaire, le public pertinent évoque ladite marque antérieure.

55 Dès lors, aux fins d'apprécier l'existence d'un lien entre les marques en conflit, il convient de prendre en considération le degré de caractère distinctif de la marque antérieure.

56 À cet égard, dans la mesure où l'aptitude d'une marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque et, partant, son caractère distinctif sont d'autant plus forts que cette marque est unique ? c'est-à-dire, s'agissant d'une marque verbale telle qu'INTEL, que le mot dont elle est constituée n'a été utilisé par qui que ce soit pour quelque produit ou service que ce soit hormis par le titulaire de cette marque pour les produits et services qu'il commercialise ?, il convient de vérifier si la marque antérieure est unique ou essentiellement unique.

57 Enfin, un lien entre les marques en conflit est nécessairement établi en cas de risque de confusion, c'est-à-dire lorsque le public pertinent croit ou est susceptible de croire que les produits ou services commercialisés sous la marque antérieure et ceux commercialisés sous la marque postérieure proviennent de la même entreprise ou d'entreprises économiquement liées [voir en ce sens, notamment, arrêts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, point 17, et du 12 juin 2008, O2 Holdings et O2 (UK), C-533/06, non encore publié au Recueil, point 59].

58 Toutefois, ainsi qu'il ressort des points 27 à 31 de l'arrêt Adidas-Salomon et Adidas Benelux, précité, la mise en ?uvre de la protection instaurée par l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive n'exige pas l'existence d'un risque de confusion.

59 La juridiction de renvoi demande plus particulièrement si les circonstances énumérées aux points a) à d) de la première question préjudicielle suffisent à conclure à l'existence d'un lien entre les marques en conflit.

60 S'agissant de la circonstance visée au point d) de cette question, le fait que la marque postérieure évoque la marque antérieure dans l'esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, équivaut à l'existence d'un tel lien."

Le public pertinent des marques "Facebook" no5585518 et no4535381 concerne les usagers des réseaux sociaux.

La renommée des marques "Facebook", qui n'est pas contestée en défense, résulte amplement des pièces produites aux débats, la société FACEBOOK INC justifiant notamment, en produisant une enquête de l'institut de sondage IFOP de 2008, que le site "Facebook" est connu de 68% du public interrogé, soit une progression de 30% par rapport à l'année précédente. Il est établi qu'en 2016, un français sur trois se connecte sur le site "Facebook".

Les marques "Facebook" jouissent d'une renommée particulièrement intense en France et dans l'Union européenne.

Très connues du grand public, leur connaissance va au-delà des seuls usagers des réseaux sociaux.

Sur la comparaison des signes, il est rappelé que les marques "Facebook" no5585518 et no4535381 sont purement verbales.

Le signe "Fuckbook" est représenté, soit sous une forme verbale, soit sous une forme semi-figurative sur le site internet accessible à partir du nom de domaine etlt;fuckbook.cometgt; dans une police d'écriture blanche avec un "F" d'attaque légèrement stylisé :

Sur le plan visuel, les signes "Facebook" et "Fuckbook" ont la même longueur, étant composés de huit lettres. Ils ont six lettres en commun, placées dans le même ordre : "F-C-B-O-O-K". La lettre d'attaque "F" et la dernière séquence "BOOK" sont identiques, le F légèrement stylisé du signe "Fuckbook" figurant sur le site internet n'ayant aucune incidence.

Le public fera donc un rapprochement entre les signes qui commencent par la même lettre et qui se terminent par le même groupe de lettres.

Sur le plan phonétique, la prononciation des signes est proche, commençant par le même son "F" et se terminant par"book" se prononçant de la même manière.

Sur le plan conceptuel, le consommateur retiendra plus particulièrement le terme "book", commun aux signes, signifiant en anglais livre ou recueil d'informations.

Aussi, sur un plan tant visuel que phonétique et conceptuel, les signes en cause sont similaires.

Le public fera donc un lien entre les signes "Facebook" et "Fuckbook".

L'existence de ce lien se fera d'autant plus que les marques "Facebook" présentent une très forte notoriété et que les signes en cause désignent tous les deux des services exclusivement en ligne relativement proches, l'un de réseautage social (Facebook) et l'autre de rencontres entre adultes (Fuckbook).

Par conséquent, en raison de leur forte ressemblance et de la renommée exceptionnelle des marques "Facebook", le signe "Fuckbook" évoquera nécessairement les marques en question dans l'esprit du public pertinent, lequel dépasse en l'espèce les seuls utilisateurs de réseaux sociaux ; ce public sera amené à considérer que le signe "Fuckbook" désigne un site de rencontres à caractère sexuel dérivé du réseau social "Facebook".

La presse a d'ailleurs nettement relevé l'existence d'un tel lien.

Ainsi, dans un article du magazine Les Inrocks du 7 mai 2014, il est indiqué : "Fuckbook, la version "jouissons sans entraves" de Facebook" (...) En ce qui concerne l'avatar porno de Facebook, selon [E] [N] (fondateur du Tag Parfait), jouer la carte du 2.0 et la ressemblance avec le fameux réseau social n'est qu'un moyen pour les magnats du porno de "récupérer du trafic" alors que Google leur fait la guerre".

Dans un article édité le 18 mars 2014, le quotidien anglais "The Guardian" écrit : "Fuckbook : a porn version of Facebook" (pièce FACEBOOK 14).

Dans un article du 10 mai 2014 du site Valentine Magazine "Pinsex, Fuckbook, Pornostagram : Les Pendants X des réseaux sociaux", il est écrit : "Fuckbook, qui fait inévitablement penser à une version X du site Facebook, se présente comme un réseau social pour adultes, en quête de plaisir, qui permet de trouver et rencontrer des gens partageant les mêmes idées que vous" (pièce FACEBOOK 39).

Dan un article mis à jour le 27 avril 2019 (pièce FACEBOOK 40), le site "passionmag.fr" indique : "Fuckbook est le site de toutes les possibilités. Avec son nom accrocheur qui surfe clairement sur un jeu de mot avec le célèbre et gigantesque réseau social Facebook, le site Fuckbook a réussi au fil des années à se perfectionner et devenir un acteur important de la rencontre coquine".

Sur le site "commentseduire.net", un article du 13 octobre 2014, intitulé : "Fuckbook: le facebook du sexe ?" mentionne " Comme son nom l'indique, Fuckbook se positionne clairement comme un Facebook du sexe. Une fois dans le site, la charte graphique fait clairement penser au réseau social de référence, la couleur rose remplaçant le bleu de Facebook."(pièce FACEBOOK 41).

Dans un article du 22 avril 2019 du site "sitederencontreserieux.info", il est indiqué que Fuckbook est un site de rencontre qui "se positionne de façon claire comme un Facebook du sexe. Une fois inscrit, vous pourrez profiter d'une charte graphique faisant penser de façon claire au réseau social de référence, à la seule différence près que la couleur rose n'est pas présente sur Facebook, et remplace le classique bleu". (pièce FACEBOOK 42).

"Fuckbook" est également décrit comme "Facebook du sexe" et "Facebook en version coquine" avec "un aspect réseau social copié sur Facebook"par le site "lacse.fr" le 29 mai 2019 (pièce FACEBOOK 43), et "Facebook du sexe" par le site "bonsitederencontre.com"dans un article du 28 février 2017 (pièce FACEBOOK 44).

Il est donc incontestable que le public fera un lien entre les signes "Fuckbook" et "Facebook".

Ce lien entre les signes est de nature à causer un préjudice évident à la renommée des marques "Facebook".

En effet, dès lors que le signe "Fuckbook" renvoie à un site de rencontres et d'échange de contenus à caractère sexuel, le préfixe "Fuck" présentant ces activités sous un jour vulgaire et obscène, il existe un risque réel que le public associe ce site et ses caractéristiques au site de réseautage social "Facebook", destiné à tous publics et exclusif de tout contenu à caractère sexuel, portant ainsi atteinte à la réputation des marques renommées de la société FACEBOOK INC, en les dévalorisant.

Il en résulte l'existence d'une atteinte à la renommé des marques "Facebook" de l'Union européenne no5585518 et 4535381, tandis que la société CARGO MEDIA AG ne justifie d'aucun juste motif au sens de l'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne l'autorisant à poursuivre l'exploitation du signe "Fuckbook" dès lors que les marques renommées de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381 ont été enregistrées en 2011, que le site "Fuckbook" n'a été exploité en France en langue française qu'à partir de 2013, qu'il n'y a eu aucune coexistence pacifique entre les signes puisque, dès le 6 juin 2016, la société FACEBOOK INC a mis en demeure la société CARGO MEDIA AG de cesser l'utilisation du signe "Fuckbook" avant de l'assigner en atteinte à marques renommée, contrefaçon de marques, atteinte à nom commercial et parasitisme le 18 juillet 2016.

Sur la contrefaçon des marques de l'Union européenne no5585518, 4535381 et 9724774:

La société FACEBOOK INC rappelle que le signe "Fuckbook" utilisé par la société CARGO MEDIA AG est très fortement similaire aux marques verbales "Facebook" no5585518 et 4535381, s'agissant d'une imitation, ce qui génère un risque de confusion entre les signes, les services en cause étant identiques, s'agissant de réseautage social ; qu'à cet égard, le site internet "Fuckbook" permet à ses membres de créer des profils avec leurs photos et d'organiser ces profils au sein d'une base de données afin de permettre leur consultation par d'autres membres du site, ce service étant couvert par la marque "Facebook" no5585518 en classe 42; que le site "Fuckbook" fournit un répertoire en ligne contenant des informations sur la communauté virtuelle en question et permettant de se constituer un réseau, soit un service identique au service couvert en classe 35 par la marque "Facebook" no4535381; que le site "Fuckbook" fournit également divers outils permettant la communication entre ses membres, par l'échange de messages ou la mise à disposition de forums de discussion (chat), soit des services identiques aux services couverts en classes 42 et 38 par les marques "Facebook" no5585518 et 4535381; que le site "Fuckbook" fournit encore des services de partage de photos, vidéos et autres contenus, identiques aux services couverts en classe 41 par la marque "Facebook" no5585518; qu'enfin, le site "Fuckbook" comprend des services de publicité, qui sont identiques aux services couverts en classe 35 par la marque "Facebook" no5585518 ; que les services fournis par la société CARGO MEDIA AG sous le signe "Fuckbook" et les noms de domaine "Fuckbook.com" et "Fuckbook.xxx" étant identiques aux services couverts par les enregistrements des marques "Facebook", tels qu'ils résultent des certificats d'enregistrements qui seuls peuvent être pris en considération, le risque de confusion des signes par association dans l'esprit du public est évident, le public pouvant penser que la société FACEBOOK INC approuve le site "Fuckbook" et qu'elle est liée d'une manière ou d'une autre à ce site, "Fuckbook" étant une version érotique de "Facebook"; que, concernant la marque figurative de l'Union européenne "f" no9724774 désignant notamment les "services de réseautage", ce signe est similaire à la lettre "F" stylisée utilisée par la société CARGO MEDIA AG dans la barre du navigateur du site "Fuckbook et sur Twitter et Google + ; que cette lettre est donc utilisée pour des services de réseautage social, soit des services identiques à ceux désignés par la marque no9724774; que le risque de confusion dans l'esprit du public est évident.

La société CARGO MEDIA AG réplique que l'usage du signe "Fuckbook" n'entraîne aucun risque de confusion avec les marques de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381 pas plus que l'usage du signe "F" stylisé n'en entraîne avec la marque de l'Union européenne no9724774 ; qu'à cet égard, les différences entre les signes et l'étanchéité des services excluent tout risque que le public soit attiré par les services proposés sous le signe "Fuckbook" en croyant qu'ils proviennent de la société FACEBOOK INC ; qu'il existe des différences fondamentales entre les services proposés respectivement sous les signes "Fuckbook" et "Facebook", les services désignés par ces marques ne désignant pas de services à finalité pornographiques ; que, par conséquent, les services désignés par les marques "Facebook" et ceux désignés par le signe "Fuckbook" n'ont pas la même destination ; que l'ensemble de l'analyse relative à l'exploitation du signe "Fuckbook", s'agissant tant de la perception des signes en cause que des services qu'ils désignent, est applicable au signe "F", lequel donne une impression d'ensemble différente de la marque figurative de l'Union européenne no9724774.

Sur ce :

L'article 9-2 a) et b) "Droit conféré par la marque de l'Union européenne" du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne dispose que, sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque:
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

En application du droit interne interprété à la lumière de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres, le risque de confusion doit faire l'objet d'une appréciation abstraite par référence au dépôt d'une part en considération d'un public pertinent correspondant au consommateur des produits et services concernés normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et d'autre part par comparaison entre le signe litigieux utilisé et la marque protégée par référence à son enregistrement indépendamment de ses conditions d'exploitation mais également par comparaison des services et produits visés dans l'enregistrement et des produits et services commercialisés sous le signe litigieux. Le risque de confusion est en outre analysé globalement : tous les facteurs pertinents, dont la notoriété de la marque et l'importance de sa distinctivité, doivent être pris en considération, l'appréciation globale de la similitude de la marque et du signe litigieux devant être fondée sur l'impression d'ensemble qu'ils produisent au regard de leurs éléments distinctifs et dominants.

La contrefaçon s'appréciant par référence à l'enregistrement de la marque, les conditions d'exploitation du signe par le titulaire de la marque sont indifférentes : seules doivent être prises en compte les conditions d'exploitation du signe litigieux et de commercialisation des produits argués de contrefaçon à l'égard desquels la perception du public pertinent sera examinée par référence au signe et aux produits et services visés au dépôt.

Dans ce cadre, le public pertinent est constitué par le consommateur français normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit en l'espèce, l'usager de réseaux sociaux.

Il a déjà été démontré, dans le cadre de l'analyse de l'atteinte aux marques renommées, que les signes "Facebook" et "Fuckbook" sont similaires sur un plan tant visuel que phonétique et conceptuel, eu égard au terme dominant "book" commun aux signes renvoyant à la notion de livre ou de recueil d'informations, et à la lettre d'attaque commune "F".

Concernant la comparaison du signe

utilisé par la société CARGO MEDIA AG, notamment sur Google + et sur Tweeter pour désigner le site "Fuckbook",

avec le signe

déposé à titre de marque figurative de l'Union européenne par la société FACEBOOK INC, laquelle a été enregistrée le 11 février 2011, il est relevé que les signes, qui représentent un "f" stylisé, le premier en majuscule et le second en script, même s'ils sont reproduits sur un fond différent, rose pour le premier et bleu pour le second, présentent une forte similitude.

Il est rappelé que la marque verbale de l'Union européenne "Facebook" no5585518 enregistrée le 25 mai 2011 désigne notamment en classe 35, la compilation et gestion de bases de données informatiques en ligne et de bases de données explorables en ligne, en classe 41, la fourniture d'un service en ligne d'informations en matière de répertoire contenant des informations sur, et sous forme de, la vie collégiale, l'intérêt général, les petites annonces, la communauté virtuelle, la constitution d'un réseau social, le partage de photographies et la transmission d'images photographiques et, en classe 42, les services de transmission de données et messagerie instantanée.

La marque verbale de l'Union européenne "Facebook" no4535381 enregistrée le 22 juin 2011 désigne, en classe 35, la fourniture d'un service de répertoires en ligne contenant des informations sur la vie collégiale, les petites annonces, la communauté virtuelle et la constitution d'un réseau social, et, en classe 38, la fourniture de forums de discussion pour utilisateurs inscrits pour la transmission de messages concernant la vie collégiale, les petites annonces, la communauté virtuelle et la constitution d'un réseau social.

Enfin, la marque figurative de l'Union européenne no9724774

enregistrée le 11 février 2011 désigne, en classe 45, les "services de rencontres sociales, de réseautage et de rendez-vous".

Or, il résulte du procès-verbal de constat de Me [Z] du 8 juillet 2015 effectué sur le site "Fuckbook" par le biais du nom de domaine: etlt;Fuckbook.cometgt;, que ce site permet à ses membres de créer des profils avec leurs photos et d'organiser ces profils au sein d'une base de données afin de permettre leur consultation par d'autres membres du site. Le site fournit un répertoire en ligne contenant des informations sur la communauté virtuelle et permettant de constituer un réseau. Il permet également la communication entre ses membres par l'échange de messages et la mise à disposition de forums de discussion, ainsi que le partage de photos et vidéos et autres contenus.

Par conséquent, les services fournis par le site "Fuckbook" sont au moins pour partie identiques à ceux visés par l'enregistrement des marques de l'Union européenne no5585518, 4535381 et 9724774 de la société FACEBOOK INC.

Compte tenu de la similarité des signes, il existe un risque de confusion manifeste dans l'esprit du public qui sera amené à considérer qu'il existe un partenariat entre la société FACEBOOK INC et la société CARGO MEDIA AG et que les signes "Fuckbook" et "F" sont des déclinaisons des marques de l'Union européenne no5585518, 4535381 et 9724774 destinées à un public adulte à finalité sexuelle et/ou pornographique, le consommateur pouvant estimer que les services en cause proviennent d'entreprises économiquement liées.

Par conséquent, les signes "Fuckbook" et "F" constituent des contrefaçons par imitation desdites marques.

Sur l'atteinte au nom commercial et le parasitisme :

La société FACEBOOK INC se prévaut des dispositions de l'article 8 de la Convention d'Union de Paris du 20 mars 1883 pour soutenir qu'elle a droit à la protection du nom commercial "Facebook"; qu'elle utilise le nom et les marques "Facebook" en France depuis 2006 et toujours à ce jour ; que l'adoption par la société CARGO MEDIA AG d'un nom quasi-identique au nom commercial "Facebook" pour exploiter, sur le même territoire, une activité comportant les mêmes services de réseautage social que ceux exploités par la société FACEBOOK INC est fautive et engage sa responsabilité, dès lors que le risque de confusion dans l'esprit du public est établi, l'utilisation du nom "Fuckbook" causant un grave préjudice de ternissement à l'image attachée au nom commercial "Facebook" du fait du caractère extrêmement vulgaire du terme "fuck" en anglais, outre une dilution du caractère distinctif du nom commercial "Facebook" en France.

Sur les faits de parasitisme allégués, la société FACEBOOK INC fait valoir que la société CARGO MEDIA AG a essentiellement copié le site "Facebook" pour créer son propre site, en reproduisant la présentation, les fonctionnalités et l'agencement.

La société CARGO MEDIA AG fait valoir que la société FACEBOOK INC n'a pas qualité à agir en parasitisme ni en défense de son nom commercial devant le tribunal dans la mesure où elle n'exploite pas le site "Facebook" en France ni ne fait usage de son nom commercial sur ce territoire, le service "Facebook" relevant en France de l'exploitation exclusive de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED, l'usage d'une marque ne pouvant être confondu avec l'usage d'un nom commercial, leurs fonctions étant distinctes ; qu'alors que la marque désigne des produits ou des services, le nom commercial désigne le fonds de commerce d'une société ; que la société FACEBOOK INC n'exploite aucun service ni ne fait usage de son nom commercial en France lorsqu'elle se contente d'autoriser une société tierce, la société FACEBOOK IRELAND LIMITED, à utiliser ses marques sur ce territoire ; qu'en tolérant l'usage fait par la société CARGO MEDIA AG pendant plus de cinq ans, la société FACEBOOK INC a fait naître la croyance légitime qu'une coexistence pacifique était possible; qu'aucune faute ou acte de parasitisme ne sauraient donc être reprochés à la société CARGO MEDIA AG dès lors qu'il n'est fait état d'aucun fait distinct de la contrefaçon de marques, tandis que la prétendue copie des fonctionnalités du site "Facebook" est inexistante; qu'enfin, il n'existe aucun risque de confusion avec le nom commercial "Facebook".

Sur ce :

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En vertu de l'article 8 de la Convention d'Union de Paris du 20 mars 1883, le nom commercial est protégé dans tous les pays de l'Union sans obligation de dépôt ou d'enregistrement, qu'il fasse ou non partie d'une marque de fabrique ou de commerce.

Le nom commercial s'acquiert en France par l'usage.

La société FACEBOOK INC justifie commercialiser ses services sous son nom commercial en France.

Elle est donc recevable à agir au titre des atteintes à son nom commercial et du parasitisme.

Cependant, l'atteinte au nom commercial présuppose l'allégation de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon par imitation des marques de l'Union européenne no5585518, 4535381 et 9724774.

Or, la société FACEBOOK INC ne fait état d'aucun fait distinct de ceux précédemment invoqués au titre de la contrefaçon de ses marques, celle-ci se bornant à faire valoir l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public par l'utilisation du nom "Fuckbook"qui causerait un préjudice de ternissement à l'image attachée au nom commercial "Facebook" du fait du caractère extrêmement vulgaire du terme "fuck" en anglais, outre une dilution du caractère distinctif du nom commercial "Facebook" en France.

Par conséquent, les demandes formées au titre de l'atteinte au nom commercial "Facebook" seront rejetées.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

La société FACEBOOK INC, faisant valoir que la société CARGO MEDIA AG aurait copié la présentation, les fonctionnalités et l'agencement du réseau social "Facebook", en tirant un avantage injustifié, se prévaut donc de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon des marques de l'Union européenne no5585518, 4535381 et 9724774.

Sur le bien fondé de la demande présentée au titre du parasitisme, il résulte de la comparaison des interfaces des sites "Facebook" et "Fuckbook" qu'elles présentent toutes deux une colonne à droite de la fenêtre du navigateur indiquant les contacts de l'utilisateur en ligne; que des fenêtres de discussion instantanée avec les contacts en ligne apparaissent en bas à droite de la fenêtre du navigateur lorsqu'une discussion en ligne commence; que les pages profils ont des présentations très similaires avec une barre supérieure de recherche, une photo de fond, une photo du profil, une barre horizontale en dessous des photos comportant des onglets pour les différentes fonctionnalités, avec en dessous de cette barre une section "exprimez-vous" ; qu'à gauche de la fenêtre du navigateur se trouvent une liste de fonctionnalités identiques : "Fil d'actualité", "Recommandations", "Live cams/Vidéo en direct"; que les sites sont conçus pour que les utilisateurs puissent poster des photos et vidéos et recevoir des commentaires des autres utilisateurs.

Il est rappelé qu'un article du site "commentseduire.net" du 13 octobre 2014 (pièce FACEBOOK 41) indique "Une fois dans le site (Fuckbook), la charte graphique fait clairement penser au réseau social de référence, la couleur rose remplaçant le bleu de Facebook."

Le site "sitederencontreserieux.info" écrit également, dans un article du 22 avril 2019, concernant le site "Fuckbook", qu'"une fois inscrit, vous pourrez profiter d'une charte graphique faisant penser de façon claire au réseau social de référence, à la seule différence près que la couleur rose n'est pas présente sur Facebook, et remplace le classique bleu" (pièce FACEBOOK 42).

Le site "lacse.fr" indique, le 29 mai 2019, que "Fuckbook" a "un aspect réseau social copié sur Facebook" (pièce FACEBOOK 43).

Au regard de ces éléments, il apparaît que la société CARGO MEDIA AG, qui ne justifie pas des investissements effectués pour la création et l'adaptation de son site en langue française, a repris, sans bourse délier, de nombreux éléments de présentation et d'agencement et des fonctionnalités propres au réseau social antérieur "Facebook", ce qui constitue des faits de parasitisme au préjudice de la société FACEBOOK INC.

Sur les mesures réparatrices :

Il sera fait interdiction, aucune demande d'une telle nature n'étant expressément formulée au titre de la contrefaçon de la marque de l'Union européenne no9724774, à la société CARGO MEDIA AG d'utiliser, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, notamment à titre de nom de domaine, le signe "Fuckbook" ou tout autre signe similaire portant atteinte aux droits que la société FACEBOOK INC détient sur les marques de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381, et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement, et pour une durée de six mois, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte.

Concernant l'atteinte à la renommée des marques de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381, le préjudice subi par la société FACEBOOK INC lié au risque d'association du réseau social désigné par ses marques à l'univers pornographique véhiculé par le signe "Fuckbook", sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 15.000 euros par marque, soit 30.000 euros au total.

S'agissant du préjudice lié à la contrefaçon de la marque de l'Union européenne no9724774, l'atteinte aux marques no5585518 et 4535381 ayant été indemnisée de sorte que, pour ces deux marques, la société FACEBOOK INC ne peut prétendre à une double indemnisation au titre de la contrefaçon, il est rappelé que le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne renvoie à l'application du droit national.

En vertu de l'article L716-14 du code de propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1- Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2- Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3-Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Il est incontestable que la contrefaçon par imitation de la marque figurative no9724774 par le signe "F" cause un préjudice moral à la société FACEBOOK INC en raison du risque de confusion généré dans l'esprit du public qui va être amené à considérer que ce signe est une déclinaison de cette marque destinée à un public adulte à des fins sexuelles.
Le préjudice subi sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 5.000 euros.

Concernant les faits de parasitisme, la société FACEBOOK INC est fondée à solliciter une indemnité de 10.000 euros.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société CARGO MEDIA AG sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société FACEBOOK INC 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société FACEBOOK INC sera condamnée à payer à M. [Q] [D] 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le tribunal,

Constate l'intérêt à agir de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED, intervenante volontaire,

Déclare irrecevables car prescrites les demandes de la société FACEBOOK IRELAND LIMITED,

Déclare irrecevables les demandes formées par la société FACEBOOK INC contre M. [Q] [D],

Dit qu'en utilisant le signe "Fuckbook" pour l'enregistrement des noms de domaine etlt;Fuckbook.cometgt; et etlt;Fuckbook.xxxetgt; donnant accès au site dénommé "Fuckbook", la société CARGO MEDIA AG a porté atteinte à la renommée des marques de l'Union européenne "FACEBOOK" no5585518 et 4535381 appartenant à la société FACEBOOK INC,

Dit qu'en utilisant le signe

et "Fuckbook", pour désigner le site "Fuckbook" auquel renvoient les noms de domaine etlt;Fuckbook.cometgt; et etlt;Fuckbook.xxxetgt;, la société CARGO MEDIA AG a commis des actes de contrefaçon par imitation des marques de l'Union européenne no5585518, 4535381 et 9724774 au préjudice de la société FACEBOOK INC,

Déclare la société FACEBOOK INC recevable en ses demandes formées au titre de l'atteinte au nom commercial et du parasitisme,

Dit que la société CARGO MEDIA AG a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société FACEBOOK INC,

Fait interdiction à la société CARGO MEDIA AG d'utiliser, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, notamment à titre de nom de domaine, le signe "Fuckbook" ou tout autre signe similaire portant atteinte aux droits que la société FACEBOOK INC détient sur les marques de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381, et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, et pour une durée de six mois,

Se réserve la liquidation de l'astreinte,

Condamne la société CARGO MEDIA AG à payer à la société FACEBOOK INC 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à la renommée des marques de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381,

Condamne la société CARGO MEDIA AG à payer à la société FACEBOOK INC 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice imputable à la contrefaçon de la marque de l'Union européenne no9724774,

Condamne la société CARGO MEDIA AG à payer à la société FACEBOOK INC 10.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du parasitisme,

Rejette la demande formée par la société FACEBOOK INC au titre de l'atteinte au nom commercial et ses demandes d'indemnités au titre de la contrefaçon des marques de l'Union européenne "Facebook" no5585518 et 4535381 dès lors que l'atteinte à ces marques renommées a déjà été réparée,

Condamne la société CARGO MEDIA AG à payer à la société FACEBOOK INC 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société FACEBOOK INC à payer à M. [Q] [D] 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société CARGO MEDIA AG aux dépens, qui pourront être recouvrés par Me KOPACZ, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

Fait et jugé à Paris le 06 août 2020

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 16/10973
Date de la décision : 06/08/2020

Analyses

Action en imitation illicite de marques de l'UE et actes parasitaires


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-08-06;16.10973 ?
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