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12/03/2020 | FRANCE | N°17/00250

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 12 mars 2020, 17/00250


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 8]

3ème chambre 1ère section

No RG 17/00250 -
No Portalis 352J-W-B7B-CJQYH

No MINUTE :

Assignation du :
28 décembre 2016

JUGEMENT
rendu le 12 mars 2020
DEMANDERESSE

Société MERIAL SAS
[Adresse 6]
[Localité 7]

représentée par Me Isabelle LEROUX de , avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0372

DÉFENDERESSES

S.A. VIRBAC
1ère Avenue 2065 MLID
[Localité 1]

SAS ALFAMED SAS venant aux droits de la société FRANCODEX SANTE ANIMALE
[Adresse 4]
[

Localité 2]

représentées par Me Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD - GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0007

S.A.R.L. FRANCODEX SANTÉ ANI...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 8]

3ème chambre 1ère section

No RG 17/00250 -
No Portalis 352J-W-B7B-CJQYH

No MINUTE :

Assignation du :
28 décembre 2016

JUGEMENT
rendu le 12 mars 2020
DEMANDERESSE

Société MERIAL SAS
[Adresse 6]
[Localité 7]

représentée par Me Isabelle LEROUX de , avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0372

DÉFENDERESSES

S.A. VIRBAC
1ère Avenue 2065 MLID
[Localité 1]

SAS ALFAMED SAS venant aux droits de la société FRANCODEX SANTE ANIMALE
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentées par Me Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD - GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0007

S.A.R.L. FRANCODEX SANTÉ ANIMALE
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Me Myriam MOATTY de l'ASSOCIATION COUSIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0159

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Catherine OSTENGO, Vice-présidente

assistés de Caroline REBOUL, Greffier,

DÉBATS

A l'audience du 06 janvier 2020 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Gilles BUFFET, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société MERIAL SAS fait partie du groupe allemand BOEHRINGER INGELHEIM et se présente comme l'un des leaders mondiaux dans le domaine de la santé animale.

Elle est titulaire de la marque verbale de l'Union européenne no1966787 FRONTLINE enregistrée le 21 janvier 2002 pour désigner, dans la classe de produits 5, les "insecticides et produits antiparasitaires à usage vétérinaire", laquelle a été régulièrement renouvelée.

La société MERIAL SAS commercialise, notamment sous cette marque, des produits anti-puces et anti-tiques pour les animaux comprenant la substance active dénommée fipronil qui était brevetée jusqu'en mai 2009.

La société VIRBAC SA est un laboratoire pharmaceutique dédié à la santé animale. La société ALFAMED SAS est sa filiale à 100% en charge de la fabrication des produits de la société VIRBAC.

Titulaire de la marque verbale française FIPROLINE no3588921, déposée le 17 juillet 2008 et enregistrée dans la classe de produits 5 pour désigner les "préparations vétérinaires, en particulier un antiparasitaire externe", la société VIRBAC SA indique qu'elle commercialisait des produits sous cette marque auprès des pharmacies et des animaleries et jardineries, comprenant le principe actif fipronil mais qu'elle a cessé l'exploitation de cette marque en 2015, ce qui est contesté par la société MERIAL SAS.

Par arrêt du 13 mai 2015, la cour d'appel de Lyon, statuant sur l'appel formé contre un jugement rendu le 19 septembre 2013 par le tribunal de grande instance de Lyon, a, notamment, annulé cette marque.

Selon arrêt du 31 janvier 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 13 mai 2015 du chef de cette annulation.

Statuant comme juridiction de renvoi, la cour d'appel de Lyon, dans un arrêt du 12 mars 2019, a notamment réformé le jugement du 19 septembre 2013 en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque française FIPROLINE no3588921 et débouté la société MERIAL SAS de sa demande de nullité de la marque française FIPROLINE.

Un pourvoi en cassation a été formé contre l'arrêt du 12 mars 2019.

La société FRANCODEX SANTÉ ANIMALE SARL, anciennement ZOLUX SANTÉ, est la filiale de la société ZOLUX également spécialisée dans le domaine de la santé animale, en charge de la distribution de certains produits de la société VIBRAC SA.

Par exploits d'huissier de justice des 28 décembre 2016, la société MERIAL SAS a fait assigner les sociétés VIRBAC SA, ALFAMED SAS et FRANCODEX SANTÉ ANIMALE SARL devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020, de Paris, en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne FRONTLINE no1966787.

Par ordonnance du 25 octobre 2018, le juge de la mise en état a rejeté la demande de droit à l'information de la société MERIAL SAS.

Dans ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 19 août 2019, la société MERIAL SAS demande au tribunal, vu les articles 9.2 b) et c) du Règlement 207/2009 tel qu'amendé par le Règlement UE no2015/2424 sur la marque de l'Union Européenne, et les articles 97.1 et 98 du même règlement, de :

- DIRE que les demandes de la société MERIAL sont recevables ;

- DIRE que la société MERIAL est titulaire de la marque de l'Union Européenne FRONTLINE déposée le 22 novembre 2000 et enregistrée le 21 janvier 2002 sous le no1966787 ;

- DIRE que la marque de l'Union Européenne FRONTLINE est renommée ;

- DIRE qu'en exploitant à titre de marque le signe FIPROLINE sur le territoire de l'Union Européenne, les défenderesses ont porté atteinte à la renommée de la marque de l'Union Européenne antérieure FRONTLINE, sur le fondement de l'article 9.2 c) du règlement communautaire 207/2009 ;

- ORDONNER aux défenderesses de communiquer à la société MERIAL sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard passé un délai de quinze (15) jours à compter de la signification du jugement à intervenir, tous les documents et informations permettant de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon pour toute la Communauté européenne, et notamment :
- les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs de ces produits, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants le cas échéant ;
- les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les produits litigieux,
- et de communiquer tous les éléments permettant de retracer les lots de produits suivants:
* lot No5AMT, EXP : 10/05/2017 (FIPROLINE pour chiens de 2 à 10kg commercialisé sur le marché Hongrois) ;
* lot 4KJN EXP : 21/01/2016 (FIPROLINE pour chiens de 40 à 60kg commercialisé sur le marché Roumain) ;
* lot 5B6M, EXP 05-2017 (FIPROLINE pour chats commercialisé aux Pays-Bas) ;
* lot No58VY, EXP : APR17 (FIPROLINE pour chats commercialisé en Allemagne) ;
* lot No5B16/2, EXP : 05/17 (FIPROLINE pour chats commercialisé au Royaume-Uni);
* lot 58HK, EXP : 24/03/2017 (FIPROLINE pour chat commercialisé en Hongrie) ;
* lot 5BJ6, EXP : 05-2017 (FIPROLINE pour chiens de 40 à 60kg commercialisé aux Pays-Bas) ;

- DIRE que le ribunal se réservera la liquidation de l'astreinte ainsi prononcée ;

A TITRE SUBSIDIAIRE,

- DIRE qu'en exploitant à titre de marque le signe FIPROLINE sur le territoire de l'Union Européenne, les défenderesses ont commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque de l'Union Européenne antérieure FRONTLINE sur le fondement de l'article 9.2 b) du règlement communautaire 207/2009 ;

EN CONSEQUENCE :

- CONDAMNER in solidum les sociétés défenderesses à verser à la société MERIAL la somme de 150.000 (cent cinquante mille) euros, sauf à parfaire en fonction des éléments recueillis au titre de l'article L. 716-7-1 CPI, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée au caractère distinctif de la marque de l'Union Européenne FRONTLINE ;

- CONDAMNER in solidum les sociétés défenderesses à verser à la société MERIAL une indemnité de 2.000.000 (deux millions) d'euros, sauf à parfaire en fonction des éléments recueillis au titre de l'article L. 716-7-1 CPI, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial subi du fait de l'atteinte portée à la marque de l'Union Européenne FRONTLINE ;

- REJETER l'ensemble des demandes reconventionnelles des défenderesses ;

- ORDONNER aux sociétés défenderesses, individuellement ou collectivement, et leur faire obligation sous astreinte, de 10.000 (dix mille) euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir de cesser, faire cesser ou d'interdire et faire interdire à leur(s) distributeurs ou revendeurs toute fabrication, importation, exportation, distribution, offre en vente, vente, commercialisation de produits revêtus de la dénomination « FIPROLINE », et ce, sur tout le territoire de l'Union Européenne, par application de l'article 102 du règlement (CE) no207/2009, et ce encore, sous astreinte de 1.500 (mille cinq cents) euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- DIRE que cette interdiction devra s'étendre à tous les produits FIPROLINE qui se trouveraient stockés chez les distributeurs et/ou revendeurs ou en rayonnage chez les distributeurs et/ou revendeurs, dans l'ensemble de l'Union Européenne et qui seront retournés ou que les sociétés VIRBAC et ALFAMED devront récupérer à leur siège social, à leurs frais, pour destruction sous constats d'huissier, celles-ci faisant leur affaire personnelle d'informer immédiatement par email et/ou par téléphone ou télécopie ou quelque autre moyen que ce soit, tous leurs distributeurs et/ou revendeurs de l'interdiction prononcée et du respect qui s'impose de la décision à intervenir, et ce, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé ce délai ;

- DIRE que le tribunal se réservera la liquidation de l'astreinte ainsi prononcée ;

- ORDONNER la publication de l'arrêt à intervenir dans 10 (dix) quotidiens ou revues hebdomadaires ou mensuelles au choix de la société MERIAL à hauteur de 10.000 (dix mille) euros HT par insertion, aux frais avancés et solidaires des sociétés défenderesses à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

- CONDAMNER in solidum les sociétés défenderesses à verser à la société MERIAL la somme de 50.000 (cinquante mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions nonobstant appel et sans constitution de garantie ;

- CONDAMNER in solidum les sociétés défenderesses aux entiers dépens, incluant les frais de constat en Europe, lesquels seront directement recouvrés par Maître Isabelle LEROUX dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 13 septembre 2019, les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS demandent au tribunal, de :

Vu les articles 480 du code de procédure civile, et 136 du Règlement UE 2017/1001,

- Dire la société MERIAL irrecevable en ses demandes,

Vu l'article L.717-3 du code de la Propriété Intellectuelle,

- La déclarer forclose à agir en ce qui concerne les actes de contrefaçon prétendument commis en Allemagne, en Angleterre et au Benelux,

A titre subsidiaire,

- Annuler ou à tout le moins dire et juger que les différents éléments de preuve produits sont dépourvus de toute force probante (Pièces averses no14, 14bis, 14ter, no28, 29 et 29bis et 34)

- La débouter de l'intégralité de ses demandes.

Faisant droit à la demande reconventionnelle des sociétés VIRBAC et ALFAMED,

- Condamner la société MERIAL à leur payer la somme de 200 000 Euros chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans dix quotidiens ou revues hebdomadaires ou mensuels au choix de la société VIRBAC, à hauteur de 10 000 Euros HT par insertion, aux frais avancés de MERIAL à titre de dommages et intérêts complémentaires,

- Condamner la société MERIAL à leur payer la somme de 50 000 Euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières écritures signifiées électroniquement le 9 septembre 2019, la société FRANCODEX SANTE ANIMALE demande au tribunal, de :

- Dire la société MERIAL irrecevable en ses demandes en application des dispositions de l'article 136.2 du Règlement UE 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union Européenne ;
- Débouter la société MERIAL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner la société MERIAL SAS à payer à la société FRANCODEX SANTE ANIMALE la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- Condamner la société MERIAL SAS à payer à la société FRANCODEX SANTE ANIMALE la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner la société MERIAL SAS aux entiers dépens de la présente instance, et autoriser Me Myriam MOATTY à les recouvrer en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par une ordonnance du 1er octobre 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'irrecevabilité des demandes de la société MERIAL SAS :

Les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS soutiennent que les demandes de la sociétés MERIAL SAS sont irrecevables. Elles font valoir, en premier lieu, que dès la signification de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 13 mai 2015, des instructions ont été données afin que les activités de production et de commercialisation d'antiparasitaires sous la marque FIPROLINE soient arrêtées. Elles ajoutent que la société MERIAL SAS ne justifie d'aucun fait nouveau de poursuite de la commercialisation des produits FIPROLINE depuis l'arrêt du 13 mai 2015. Les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS font ensuite valoir qu'en application du principe de concentration des moyens, il incombait à la société MERIAL SAS de se prévaloir de sa marque de l'Union européenne FRONTLINE, identique à sa marque française FRONTLINE, en même temps que cette dernière dans le cadre de l'instance qu'elle a engagée sur le fondement de la seule marque française ayant notamment donné lieu à l'arrêt du 13 mai 2015, le second litige introduit sur le fondement de la marque de l'Union européenne ayant la même finalité que celui engagé sur le fondement de la marque française, de sorte que la société MERIAL SAS cherche à obtenir indûment une double indemnisation du préjudice qu'elle invoque.

La société FRANCODEX SANTE ANIMALE SAS soutient, au regard de l'article 136 du Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, que si un jugement a déjà été rendu concernant une marque nationale, toute action postérieure entre les mêmes parties fondées sur une marque de l'Union européenne identique doit être déclarée irrecevable, les faits reprochés étant les mêmes que ceux déjà jugés tandis que la mise en cause de la société FRANCODEX SANTE ANIMALE SAS dans le cadre de la seconde instance n'est qu'un artifice afin de permettre à la société MERIAL SAS de prétendre que les parties au litige ne sont pas tout à fait les mêmes que dans le cadre de l'instance précédemment engagée.

La société MERIAL SAS réplique que ses demandes sont recevables. Elle fait valoir, en premier lieu, que l'article 136 du Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne n'est pas applicable. Par ailleurs, elle soutient qu'aucune autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée : que les parties ne sont pas les mêmes dès lors que la société FRANCODEX SANTE ANIMALE SAS n'est pas partie à l'instance lyonnaise, tandis que l'objet de l'action est différent, la présente action visant à sanctionner l'atteinte à la marque de l'Union européenne FRONTLINE sur le territoire de l'Union européenne. La société MERIAL SAS en déduit que les procédures pendantes à [Localité 7] et à [Localité 8] portent sur des titres distincts et ont des objets différents. La société MERIAL SAS ajoute que la commercialisation des produits sous la marque FIPROLINE a continué au moins jusqu'à l'hiver 2016 ainsi bien en France que dans l'Union européenne. Elle rappelle qu'il lui est loisible d'engager un nouveau procès pour des demandes qui n'ont pas fait l'objet d'un précédent litige et que le principe de la concentration des moyens ne peut lui être opposé.

Sur ce :

Aux termes de l'article 136 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne,
1.Lorsque des actions en contrefaçon sont formées pour les mêmes faits entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents saisies l'une sur la base d'une marque de l'Union européenne et l'autre sur la base d'une marque nationale:
a) la juridiction saisie en second lieu doit, même d'office, se dessaisir en faveur de la juridiction première saisie lorsque les marques en cause sont identiques et valables pour des produits ou services identiques. La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir à statuer si la compétence de l'autre juridiction est contestée;
b) la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer lorsque les marques en cause sont identiques et valables pour des produits ou services similaires ainsi que lorsque les marques en cause sont similaires et valables pour des produits ou services identiques ou similaires.

Or, ce texte ne peut recevoir application en l'espèce, dès lors que les actions en atteintes aux marques nationale et de l'Union européenne FRONTLINE n'ont été formées que devant les juridictions françaises.

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Selon l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction de l'ordonnance no2016-131 du 10 février 2016, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

La nouvelle demande qui invoque un fondement juridique que le demandeur s'était abstenu de soulever en temps utile se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation, le demandeur devant présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci (Cass., ass. plén. 7 juill. 2006, Bull. civ. No8).

Aussi, afin que l'autorité de la chose jugée puisse être opposée à la nouvelle demande, le demandeur étant tenu de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estimait de nature à fonder celle-ci, encore faut-il que l'objet de la nouvelle demande soit identique et qu'elle soit fondée sur la même cause.

Il est relevé que l'instance introduite par la société MERIAC SAS le 25 juillet 2011 devant le tribunal de grande instance de Lyon, ayant donné lieu aux arrêts de la cour d'appel de Lyon des 13 mai 2015 et 12 mars 2019, à l'encontre des sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS prenait sa source dans l'atteinte invoquée par la société MERIAC SAS à sa marque verbale française FRONTLINE no94509301 déposée le 3 mars 1994 et renouvelée le 8 décembre 2003.

Or, le présent litige porte sur un titre différent, l'action étant introduite sur le fondement de l'atteinte aux droits de la société MERIAC SAS sur la marque de l'Union européenne FRONTLINE no1966787 enregistrée le 21 janvier 2002 et régulièrement renouvelée : à titre principal, sur l'atteinte à la marque renommée et subsidiairement, en contrefaçon.

Le tribunal judiciaire de Paris n'est pas saisi en qualité de tribunal des marques françaises, pour lequel le tribunal de grande instance de Lyon déjà saisi était compétent, mais en qualité de tribunal des marques de l'Union européenne en vertu du règlement (UE) 2017/2001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne.

Il est relevé, à cet égard, que la société MERIAC SAS sollicite que les atteintes alléguées à sa marque de l'Union européenne soient sanctionnées sur tout le territoire de l'Union européenne.

L'objet de la demande est donc différent.

Par conséquent, indépendamment de la question de la présence à l'instance de la société FRANCODEX SANTE ANIMALE en qualité de distributrice des produits des sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS, assignée par la société MERIAC SAS, eu égard à l'absence d'identité de la demande et de cause, aucune autorité de la chose jugée attachée aux décisions intervenues dans la procédure pendante devant la cour d'appel de Lyon ne peut être opposée à la société MERIAC SAS, de sorte que le principe opposé de l'absence de concentration des moyens est sans portée.

Aussi, sans qu'il soit nécessaire d'examiner à ce stade si les sociétés défenderesses ont cessé de commercialiser les produits sous la marque FIPROLINE après la signification de l'arrêt du 13 mai 2015, cette question relevant du fond du droit et de l'appréciation de la matérialité de l'atteinte alléguée, la société MERIAC SAS doit être déclarée recevable en ses demandes.

Sur la forclusion par tolérance :

Les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS demandent au tribunal de dire la société MERIAL SAS forclose à agir en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne s'agissant de l'Allemagne, de l'Angleterre et du Benelux. Elles font valoir, à cet égard, que VIRBAC est titulaire en Allemagne de la marque verbale FIPROLINE, en Angleterre, de la marque verbale FIPROLINE déposée le 12 juin 2008 et enregistrée le 14 octobre 2008, et au Benelux, de la marque verbale FIPROLINE déposée le 16 juillet 2008 et enregistrée le 14 octobre 2008. Elles indiquent que les produits sont commercialisés sous ces marques sur ces territoires depuis l'année 2009 s'agissant de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne et depuis l'année 2008 en ce qui concerne les Pays-Bas. Elles soutiennent que la société MERIAL SAS avait nécessairement connaissance de ces marques, mais qu'elle n'a introduit la présente instance que le 28 décembre 2016, soit plus de cinq ans après le dépôt et l'enregistrement de ces marques nationales, de sorte que la société MERIAL SAS est forclose, par application de l'article L.717-3 du code de la propriété intellectuelle, en son action s'agissant des territoires du Benelux, de l'Allemagne et de l'Angleterre.

La société MERIAL SAS réplique que la forclusion par tolérance ne peut être retenue au motif que les marques déposées en Allemagne et au Benelux appartiennent à des tiers et que la tolérance prévue par l'article L.717-3 du code de la propriété intellectuelle ne peut s'appliquer que contre une marque française enregistrée. Enfin, elle indique que la preuve n'est pas rapportée qu'elle aurait eu connaissance de l'usage des marques en Allemagne et en Angleterre, tandis que pour le Benelux, une action a été engagée par ses soins le 19 juillet 2012 tendant à la nullité de l'enregistrement Benelux de la marque FIPROLINE.

Sur ce :

Aux termes de l'article L.717-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au litige, est irrecevable toute action en contrefaçon, fondée sur une marque communautaire antérieure, contre une marque nationale postérieure enregistrée dont l'usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que le dépôt de la marque nationale n'ait été effectué de mauvaise foi.
L'irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l'usage a été toléré.

Comme le reconnaissent les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS, les marques FIPROLINE déposées en Allemagne et au Benelux appartiennent à la société de droit allemand VIRBAC TIERARZNEIMITTEL GmbH et non à la société VIRBAC SA qui ne peut donc se prévaloir de marques dont elle n'est pas titulaire.

En tout état de cause, les marques nationales en cause déposées en Allemagne, en Angleterre et au Benelux ne visent pas la France.

Or, l'article L.717-3 susvisé réserve la forclusion par tolérance aux seules marques enregistrées dans le territoire duquel l'action engagée est concernée, soit en l'espèce, le territoire français.

Par conséquent, les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS seront déboutées de leur demande tendant à voir dire la société MERIAL SAS forclose à agir en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne FRONTLINE s'agissant de l'Allemagne, de l'Angleterre et du Benelux.

Sur la marque renommée :

La société MERIAL SAS fait valoir que sa marque verbale de l'Union européenne no1966787 FRONTLINE jouit d'une renommée auprès du public concerné, en l'espèce, constitué de propriétaires de chiens et de chats, auxquels le produit commercialisé sous cette marque est destiné, et ce, dans une partie substantielle du territoire de l'Union européenne. Elle indique que FRONTLINE ressort comme le leader incontestable des produits antiparasitaires pour animaux de compagnie sur les marchés français, belge, néerlandais, danois, italien, espagnol, anglais, portugais; que, quel que soit le pays dans l'Union européenne, la marque FRONTLINE est la marque la plus connue des produits antiparasitaires pour animaux de compagnie, et ce, largement devant les marques concurrentes et qu'en lien avec un fort taux de notoriété, FRONTLINE est la marque de produits antiparasitaires la plus utilisée quel que soit le pays, à l'exception de l'Espagne.

La renommée de la marque de l'Union européenne FRONTLINE n'est pas contestée par les sociétés VIRBAC SA, ALFAMED SAS tandis que la société FRANCODEX SANTE ANIMALE SAS indique émettre les plus expresses réserves sur le caractère prétendument renommé dans l'Union, au sens des dispositions de l'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017, de la marque FRONTLINE.

Sur ce :

Aux termes de l'article 8, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, sur opposition du titulaire d'une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l'enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l'Union européenne qui jouit d'une renommée dans l'Union ou une marque nationale qui jouit d'une renommée dans l'État membre concerné, et que l'usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice.

L'article 9-2 c) dudit règlement dispose également que, sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque (...) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice.

Afin d'apprécier la renommée d'une marque de l'Union européenne, il convient de prendre en compte notamment la part de marché occupée par la marque, la connaissance de la marque par le public concerné dans une partie substantielle du territoire de l'Union européenne, le cas échéant fondée sur des sondages d'opinion, l'intensité de son exploitation, son étendue géographique, la durée de son usage, ou encore l'importance des investissements de son titulaire.

La société MERIAL SAS justifie notamment, aux termes d'une étude de l'institut IPSOS réalisée en 2011 que 50% des propriétaires de chiens et chats en France citaient spontanément et en premier lieu FRONTLINE quand on leur demandait de citer une marque de produit anti-puces et anti-tiques, et 59% en notoriété spontanée, la marque FRONTLINE étant connue de 87% du public en notoriété assistée. L'étude IPSOS de 2010 indiquait également que 49% des propriétaires de chiens et chats citaient spontanément et en premier lieu FRONTLINE pour une marque de produit antiparasitaire, 56% des sondés citaient spontanément FRONTLINE tandis que 85% déclaraient connaître cette marque. Il est établi qu'en 2015, la marque FRONTLINE présentait un taux de notoriété assistée de 91% et qu'elle est la marque de produits antiparasitaires pour chiens et chats la plus fréquemment citée en première position sur le territoire français. En 2010, le produit FRONTLINE était en première position en termes de parts de marché.

Concernant les autres pays de l'Union européenne, il résulte du sondage IPSOS pour 2010 que la marque FRONTLINE est connue de 67% des sondés en Belgique, 67% en Allemagne, 87% en Italie, 74% aux Pays-Bas, 90 % au Portugal et 81% au Royaume-Uni. Il est notamment justifié d'une publicité abondante en Belgique et aux Pays-Bas, le produit FRONTLINE ayant été premier sur le marché avec plus de 60% des parts de marché en 2009 en Belgique et aux Pays-Bas et avec entre 56 et 60% de parts de marché dans les mêmes pays en 2010. Pour l'Allemagne et l'Italie, il est également justifié de la première position en termes de parts de marché du produit FRONTLINE pour 2010.

Aussi, compte tenu du degré élevé de connaissance de la marque FRONTLINE, de la première position de la société MERIAC SAS sur le marché des antiparasitaires pour animaux de compagnie, sans qu'il soit établi que la situation ait changé significativement depuis 2010, de l'usage intensif de la marque dans l'Union européenne et des investissements effectués, il est établi que la marque de l'Union européenne FRONTLINE a acquis une notoriété évidente auprès d'un large public au sein du territoire de l'Union européenne.

Il y a donc lieu de reconnaître à cette marque le caractère de marque renommée au sens des articles 8 et 9 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne.

Sur l'atteinte à la marque renommée :

La société MERIAC SAS soutient que la marque FIPROLINE constitue l'imitation de la marque renommée FRONTLINE. Elle fait valoir que l'atteinte découle de la similitude du signe litigieux avec la marque renommée en se fondant sur l'existence d'éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle, sans qu'il soit nécessaire d'établir un risque de confusion dans l'esprit du public. La société MERIAC SAS affirme que les marques FIPROLINE et FRONTLINE étant similaires, l'impression d'ensemble dégagée par les deux marques engendre une association dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne.

Les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS font valoir que l'imitation de la marque renommée n'est pas constituée, les signes en présence n'étant pas similaires et qu'en toute hypothèse, elles ne tirent aucun profit de la renommée de la marque FRONTLINE

La société FRANCODEX SANTE ANIMALE SAS soutient également qu'il n'existe aucune similitude suffisante entre les signes de nature à caractériser une atteinte à la marque renommée FRONTLINE.

Sur ce :

L'atteinte à la marque renommée, suppose que doit être rapportée la preuve de l'existence d'un lien susceptible d'être fait entre la marque renommée revendiquée et le signe litigieux, selon une appréciation globale prenant en compte tous les facteurs pertinents. Cependant, si un lien doit être établi, la protection des marques renommées n'est pas subordonnée à la constatation d'un risque d'assimilation ou de confusion.

Enfin, la preuve que l'usage d'un signe similaire à une marque antérieure renommée porte ou risque de porter préjudice au caractère distinctif de cette marque suppose qu'il soit démontré que le comportement économique du consommateur moyen des produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée a été modifié consécutivement à l'usage de ce signe.

Le Tribunal de l'Union européenne, dans son arrêt PRADA C/EUIPO du 5 juin 2018 (aff. T-111/16), a jugé que les atteintes visées à l'article 8, paragraphe 5, du règlement 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire sont la conséquence d'un certain degré de similitude entre les marques en conflit, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre les marques, c'est-à-dire établit un lien entre celles-ci. L'existence d'un tel lien dans l'esprit du public pertinent entre la marque demandée et la marque antérieure est, par conséquent, une condition implicite essentielle. L'existence d'un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Parmi ces facteurs figurent le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou de ces services ainsi que le public concerné, l'intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage de la marque antérieure, et l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public. S'agissant du degré de similitude entre les marques en conflit, plus celles-ci sont similaires, plus il est vraisemblable que la marque postérieure évoquera, dans l'esprit du public pertinent, la marque antérieure renommée. En outre, plus la marque antérieure présente un caractère distinctif fort, qu'il soit intrinsèque ou acquis par l'usage qui a été fait de cette marque, plus il est vraisemblable que, confronté à une marque postérieure identique ou similaire, le public pertinent fasse un lien avec ladite marque antérieure. Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que, plus la renommée de la marque antérieure est importante, plus l'existence d'une atteinte sera aisément admise. Afin de satisfaire à la condition relative à la similitude des marques posée par l'article 8, paragraphe 5, du règlement 207/2009, il n'est pas nécessaire de démontrer qu'il existe, dans l'esprit du public concerné, un risque de confusion entre la marque antérieure jouissant d'une renommée et la marque contestée. Il suffit que le degré de similitude entre la marque antérieure jouissant d'une renommée et la marque contestée ait pour effet que le public concerné établisse un lien entre elles, alors même qu'il ne les confond pas.

La Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt antérieur du 20 novembre 2014 INTRA PRESSE C/ OHMI GOLDEN BALLS LTD (noC 581/13), a dit pour droit que :
72- Il y a lieu de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que le degré de similitude requis dans le cadre de l'article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, d'une part, et le paragraphe 5 du même article, d'autre part, est différent. En effet, tandis que la mise en oeuvre de la protection instaurée par la première de ces deux dispositions est subordonnée à la constatation d'un degré de similitude entre les marques en conflit tel qu'il existe, dans l'esprit du public concerné, un risque de confusion entre celles-ci, l'existence d'un tel risque n'est pas requise pour la protection conférée par la seconde d'entre elles. Ainsi, les atteintes visées à l'article 8, paragraphe 5, du règlement no 40/94 peuvent être la conséquence d'un degré moindre de similitude entre les marques antérieure et postérieure, pour autant que celui-ci est suffisant pour que le public concerné effectue un rapprochement entre lesdites marques, c'est-à-dire établit un lien entre celles-ci (voir arrêt Ferrero/OHMI, C-552/09 P, EU:C:2011:177, point 53 et jurisprudence citée).
73 - Selon cette même jurisprudence, l'article 8, paragraphe 5, du règlement no 40/94, tout comme son paragraphe 1, sous b), est manifestement inapplicable lorsque le Tribunal écarte toute similitude entre les marques en conflit. C'est uniquement dans l'hypothèse où les marques en conflit présentent une certaine similitude, même faible, qu'il incombe au Tribunal de procéder à une appréciation globale afin de déterminer si, nonobstant le faible degré de similitude entre celles-ci, il existe, en raison de la présence d'autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la renommée de la marque antérieure, un risque de confusion ou un lien entre ces marques dans l'esprit du public concerné (arrêt Ferrero/OHMI, EU:C:2011:177, point 66).

En l'espèce, le public plus particulièrement concerné est le consommateur de l'Union européenne, usager des produits antiparasitaires à destination d'animaux de compagnie.

Il est constant que les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED ont vendu des produits anti-puces et anti-tiques comprenant le principe actif fipronil sous la marque FIPROLINE sur le territoire de l'Union européenne, même si les défenderesses soutiennent que, postérieurement à la signification de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 13 mai 2015, elles auraient cessé cette la commercialisation des produits sous cette marque.

Les marques FRONTLINE et FIPROLINE, qui portent sur des produits identiques, sont purement verbales.

Sur la comparaison des signes, sur le plan visuel, si les marques FRONTLINE et FIPROLINE comportent toutes deux neuf lettres, dont huit sont communes, la marque FRONTLINE est composée de deux syllabes FRONT/LINE (le E étant muet), tandis que la marque FIPROLINE est constituée de trois syllabes FI/PRO/LINE.

Si les marques commencent par un F pour se terminer par LINE, elles se différencient par les autres lettres placées en 2ème à 5ème position : "RONT" pour FRONTLINE et "IPRO"pour FIPROLINE.

La première syllabe "FRONT" de "FRONTLINE se distingue clairement des deux premières syllabes "FIPRO" de FIPROLINE.

Aussi, visuellement, les signes en présence présentent une faible degré de similitude.

Sur le plan auditif, la marque FRONTLINE se prononce en deux temps : "FRONT" et "LINE", tandis que la marque FIPROLINE se prononce en trois séquences : "FI" "PRO" "LINE".

Concernant la marque FRONTLINE, les premières lettres F et R se confondent dans la première séquence prononcée "FRONT" qui constitue un tout, tandis que, pour FIPROLINE, les lettres F et I se prononcent de manière perceptible. La prononciation des termes d'attaque "FRONT" et "FIPRO" est très différente.

Aussi, le public retenant plus particulièrement la prononciation des radicaux des signes, même s'ils se terminent par le son "LINE", il y a lieu de retenir que le degré de similitude sonore entre les signes est faible.

Sur le plan conceptuel, la marque FRONTLINE est un terme anglais évoquant une ligne de front.

Au sein de la marque "FIPROLINE", seul le terme "LINE" renvoie à la langue anglaise pour indiquer une ligne, une sélection de produits.

La première partie de la marque "FIPROLINE", "FIPRO", est cependant assez proche de la dénomination internationale connue fipronil, substance active insecticide contenue dans les produits commercialisés sous la marque, en reprenant les deux premières syllabes.

La marque pourrait donc être perçue par un public particulièrement averti et connaissant les principes actifs composant les produits vétérinaires comme désignant une ligne de produits à base de fipronil.

Cependant, pour un public d'attention moyenne, un tel rapprochement ne sera pas fait entre les termes FIPRO et la substance active fipronil, de sorte que la marque FIPROLINE n'a pas de signification particulière.

Aussi, d'un point de vue conceptuel, les marques ne présentent pas de similitudes, tandis qu'elles présentent un faible degré de similitude visuelle et auditive.

Il appartient donc au tribunal, par application de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne susvisé, de procéder à une appréciation globale des marques en conflit afin de déterminer si ce faible degré de similitude est néanmoins suffisant, en raison de la présence d'autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la particulière renommée de la marque antérieure, pour que le public concerné établisse un lien entre les marques.

Or, la marque FRONTLINE, qui évoque une ligne de front anti-parasitaire, ne jouit pas d'une renommée exceptionnelle ou particulièrement remarquable et ne présente pas plus une haute distinctivité.

En l'absence de lien conceptuel entre les marques en cause, qui ne présentent pas au demeurant de racines communes, il n'est pas justifié que le public pertinent établira un lien entre les marques FRONTLINE et FIPROLINE en dépit de l'identité des produits visés par leur enregistrement.

L'atteinte à la renommée de la marque de l'Union européenne FRONTLINE n'est dès lors pas caractérisée.

Les demandes formées à ce titre par la société MERIAL SAS seront rejetées.

Sur les demandes subsidiaires au titre de la contrefaçon :

La société MERIAL SAS fait valoir que l'exploitation de la marque FIPROLINE constitue la contrefaçon par imitation de la marque FRONTLINE. Elle rappelle que les signes sont très similaires de sorte que le consommateur d'attention moyenne sera amené à croire qu'il est en présence d'une seule et même marque et que la confusion entre les signes est réelle, ainsi qu'il résulte de l'étude SORGEM réalisée en 2011. Elle soutient que la marque FIPROLINE, qui entretient la confusion avec la marque antérieure de renommée FRONTLINE, leader incontesté du marché, est à l'origine du développement rapide des produits FIPROLINE dès leur entrée sur le marché et de la baisse consécutive des ventes des produits FRONTLINE.

Les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS répliquent que la marque FIPROLINE ne saurait constituer une imitation de la marque de l'Union européenne FRONTLINE, l'impression d'ensemble étant différente sur le plan visuel, que sur le plan phonétique, il n'y a aucune ressemblance particulière tandis que, sur le plan conceptuel, la marque FRONTLINE peut s'envisager comme signifiant une " ligne de devant" ou "ligne de front"alors que la marque FIPROLINE peut évoquer, de par l'emploi du radical "FIPRO", la substance active fipronil composant les produits vendus sous la marque, pratique courante dans le secteur pharmaceutique. Elles en concluent qu'en l'absence de similarité des signes, il n'existe aucun risque de confusion dans l'esprit du public, l'étude SORGEM produite en demande étant sans portée.

La société FRANCODEX SANTE ANIMALE SAS fait valoir que, dès lors qu'aucun lien n'est susceptible de se créer dans l'esprit du public pertinent entre les marques FRONTLINE et FIPROLINE, aucun risque de confusion ne saurait être établi entre ces marques.

Sur ce :

Conformément à l'article 9-2 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque:
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

La marque de l'Union européenne FRONTLINE désigne, en classe 5 les insecticides et produits antiparasitaires à usage vétérinaire, soit des produits identiques à ceux visés par la marque française FIPROLINE.

Dans ce cadre, le public pertinent est constitué par le consommateur de l'Union européenne utilisant des produits anti-puces et anti-tiques pour animaux de compagnie.

Il résulte de la comparaison des signes que, sur le plan visuel, les marques se distinguent clairement en ce qu'elles sont composées de trois syllabes pour FRONTLINE et quatre pour FIPROLINE tandis que la séquence d'attaque de chaque signe est différente : FRONT et FIPRO n'ayant aucun point commun.

Sur le plan auditif, il est rappelé que les séquences d'attaque des marques présentent des différences de prononciation importantes, de sorte que la séquence finale commune en LINE, à supposer qu'elle soit prononcée de manière identique par l'ensemble des consommateurs concernés sur le territoire de l'Union européenne, apparaît ne présenter aucune distinctivité particulière.

Enfin, sur le plan intellectuel, la marque FRONTLINE évoque en anglais une ligne de front, soit une référence au vocabulaire militaire, tandis que la marque FIPROLINE n'a, pour le public moyen propriétaire de chien ou chat aucune signification particulière, sauf à renvoyer à l'idée d'une ligne de produits FIPRO, tandis que, pour un public plus averti au fait des médicaments vétérinaires, le signe FIPROLINE évoque une gamme de produits à base de la substance active fipronil.

Aussi, les signes en cause ne renvoient pas aux mêmes notions.

Par conséquent, eu égard aux différences relevées, l'imitation de la marque FRONTLINE n'est pas caractérisée et il n'est justifié d'aucun risque de confusion dans l'esprit du public entre les signes FRONTLINE et FIPROLINE.

A cet égard, l'étude SORGEM de septembre 2011 produite par la société MERIAL SAS n'apparaît pas probante, les conditions dans lesquelles elle a été établie n'étant pas suffisamment connues.

Les demandes formées au titre de la contrefaçon seront donc rejetées.

Sur les demandes reconventionnelles :

Les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS soutiennent que la présente action présente un caractère abusif, la société MERIAL SAS formant en réalité des demandes identiques à celles formulées initialement devant la cour d'appel de Lyon et cherchant, par une stratégie de harcèlement et d'épuisement, à détruire la concurrence.

La société FRANCODEX SANTE ANIMALE SARL fait valoir également que l'action de la société MERIAL SAS est abusive, celle-ci ne cherchant qu'à faire rejuger à nouveau le litige déjà soumis aux juridictions lyonnaises.

La société MERIAL SAS réplique que son action n'est pas abusive, celle-ci étant distincte de celle initialement soumise devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel de Lyon et qu'elle n'a pas agi contre d'autres concurrents que VIRBAC.

Sur ce :

En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.

La société MERIAL SAS a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, tandis que les sociétés défenderesses ne justifient pas d'un préjudice spécifique qui ne serait pas réparé par l'allocation d'une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles.

Le caractère abusif de l'action n'étant pas justifié, les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts seront rejetées.

La mesure de publication judiciaire sollicitée n'apparaît pas nécessaire et sera écartée.

Sur les demandes accessoires :

Partie succombante, la société MERIAL SAS sera condamnée aux dépens par application de l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner la société MERIAL SAS à payer aux sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS 40.000 euros chacune et à la société FRANCODEX SANTE ANIMALE SARL 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la nature du jugement, l'exécution provisoire n'est pas nécessaire.

PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition par le greffe le jour du délibéré,
- déclare la société MERIAL SAS recevable en ses demandes,
- déboute les sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS de leur demande tendant à voir dire la société MERIAL SAS forclose à agir en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne FRONTLINE s'agissant de l'Allemagne, de l'Angleterre et du Benelux,
- dit que la marque verbale de l'Union européenne no1966787 FRONTLINE présente le caractère de marque de renommée,
- déboute la société MERIAL SAS de ses demandes formées au titre de l'atteinte à la marque renommée,
- déboute la société MERIAL SAS de ses demandes subsidiaires formées au titre de la contrefaçon de la marque verbale de l'Union européenne no1966787 FRONTLINE,
- déboute les sociétés VIRBAC SA, ALFAMED SAS et FRANCODEX SANTE ANIMALE SARL de leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive,
- dit n'y avoir lieu à publication du jugement,
- condamne la société MERIAL SAS à payer aux sociétés VIRBAC SA et ALFAMED SAS 40.000 euros chacune et à la société FRANCODEX SANTE ANIMALE SARL 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société MERIAL SAS aux dépens et autorise, pour ceux la concernant, Me Myriam MOATTY, avocat, à les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Fait et jugé à [Localité 8] le 12 mars 2020.
La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 17/00250
Date de la décision : 12/03/2020

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-03-12;17.00250 ?
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