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28/02/2020 | FRANCE | N°17/14943

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 28 février 2020, 17/14943


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 3ème section

No RG 17/14943
No Portalis 352J-W-B7B-CLTV6

No MINUTE :

Assignation du :
27 octobre 2017

JUGEMENT
rendu le 28 février 2020
DEMANDEUR

Monsieur [S] [VC]
[Adresse 2]
[Localité 1] (SUISSE)

représenté par Maître Philippe GAULTIER de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DÉFENDEURS

Monsieur [F] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Madame [R] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représent

és par Maître Simon CHRISTIAËN de la SELASU CABINET SIMON CHRISTIAËN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0165

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Carine GILLET, Vic...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 3ème section

No RG 17/14943
No Portalis 352J-W-B7B-CLTV6

No MINUTE :

Assignation du :
27 octobre 2017

JUGEMENT
rendu le 28 février 2020
DEMANDEUR

Monsieur [S] [VC]
[Adresse 2]
[Localité 1] (SUISSE)

représenté par Maître Philippe GAULTIER de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DÉFENDEURS

Monsieur [F] [L]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Madame [R] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentés par Maître Simon CHRISTIAËN de la SELASU CABINET SIMON CHRISTIAËN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0165

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Carine GILLET, Vice-Président
Laurence BASTERREIX, Vice-Président
Elise MELLIER, Juge

assisté de Alice ARGENTINI, Greffier

DEBATS

A l'audience du 09 janvier 2020
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

[F] [L], médecin neuropsychiatre, expose avoir élaboré, mis au point et développé, dans les années 1980, avec l'assistance de son épouse, [R] [M], psychoclinicienne et criminologue, une méthode thérapeutique dénommée « chromatothérapie ».
Ils sont titulaires de la marque verbale française no 1662541 CHROMATOTHERAPIE déposée le 4 juillet 1989 auprès de l'INPI et régulièrement renouvelée pour désigner les services suivants en classes 35, 38, 39, 41 et 42 : « Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales. Communications, services télématiques. Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique. Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical. Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical ».

[S] [VC] a déposé la marque suisse CHROMATOTHERAPIE SUISSE le 21 mars 2013, laquelle a été enregistrée sous le numéro 654 010, puis d'autres marques suisse, française et de l'Union européenne. Plus particulièrement, il est titulaire depuis le 28 juin 2016 de la marque verbale française CHROMATOTHERAPIE SUISSE no4 283 611 enregistrée dans les classes 10, 35, 38, 41 et 42 et, depuis le 12 mai 2017, de la marque semi-figurative française no 4 360 836 suivante, enregistrée dans les classes 9, 10, 16, 35, 38, 41, 42 et 44 :

Il a par ailleurs déposé une demande d'enregistrement d'une marque semi-figurative française no4 360 486, à l'égard de laquelle les consorts [L] ont formé opposition le 2 août 2017, l'examen de celle-ci étant pendant devant l'INPI et suspendu en raison de la présente procédure.

Par acte du 27 octobre 2017, [S] [VC] a assigné [R] et [F] [L] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'annulation et de déchéance de leurs droits sur la marque française CHROMATOTHERAPIE no1 662 541.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 août 2019, [S] [VC] demande au tribunal de :

– déclarer Monsieur [S] [VC] recevable et bien fondé en ses demandes ;

– dire et juger que la marque française CHROMATOTHERAPIE enregistrée sous le no1 662 541 est descriptive et sinon déceptive pour désigner les services suivants : Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales ; Communications, services télématiques ; Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique ; Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical ; Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical ;

– déclarer en conséquence nul l'enregistrement de la marque française CHROMATOTHERAPIE no 1 662 541, en ce qu'elle désigne en classes 35, 38, 39, 41 et 42 les services suivants : Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales ; Communications, services télématiques ; Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique ; Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical ; Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical ;

– dire et juger que Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] ne rapportent pas la preuve d'un usage sérieux de la marque française CHROMATOTHERAPIE no 1 662 541 pour désigner en classes 35, 38, 39, 41 et 42 les services suivants : Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales ; Communications, services télématiques ; Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique ; Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical ; Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical ;

– prononcer en conséquence la déchéance, pour défaut d'exploitation, des droits de Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] sur la marque française CHROMATOTHERAPIE déposée le 4 juillet 1989 et enregistrée sous le no 1 662 541, avec effet à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'enregistrement ou à défaut cinq ans avant la délivrance de l'assignation, en ce qu'elle désigne en classes 35, 38, 39, 41 et 42 les services suivants : Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales ; Communications, services télématiques ; Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique ; Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical ; Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical ;

– dire et juger que le jugement à intervenir, une fois définitif, sera inscrit au Registre National des Marques à la requête du greffier ou à l'initiative de la partie la plus diligente ;

– condamner in solidum Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] à verser à Monsieur [S] [VC] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral subi par lui du fait de l'opposition formée ;

– ordonner la publication du jugement à intervenir, in extenso ou par extraits, dans trois journaux, revues ou périodiques, au choix de Monsieur [VC], aux frais avancés de Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M], dans la limite de 5.000 € H.T. par insertion ;

– ordonner également la publication du jugement à intervenir, in extenso ou par extraits, sur la page d'accueil du site internet www.chromatotherapie.com exploité par Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] ;

– débouter Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] de leurs demandes, fins et conclusions ;

– débouter Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] de leurs demandes de dommages-intérêts ;

– condamner in solidum Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] à verser à Monsieur [S] [VC] la somme de 9.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

– condamner in solidum Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Philippe GAULTIER, Avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile ;

– ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2019, [R] et [F] [L] demandent au tribunal, au visa des articles 32-1, 122 et 202 du code de procédure civile, des articles 2222 et 2224 du code civil, de la loi no 64-1360 du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service, du code de la propriété intellectuelle et des éléments versés aux débats de :
– à titre principal :

– constater que l'action formée par Monsieur [S] [VC] à l'encontre de Monsieur [F] [L] et de Madame [R] [M] en nullité de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » pour caractère descriptif ou déceptif est prescrite ;
– constater que Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M] rapportent la preuve d'un usage sérieux de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » à l'égard des services « Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales Communications, services télématiques. Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique. Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical. Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical » ;

– en conséquence, déclarer irrecevable l'action de Monsieur [S] [VC] à l'encontre de Monsieur [F] [L] et de Madame [R] [M] en nullité de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » ;

– rejeter la demande de Monsieur [S] [VC] en déchéance de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » pour défaut d'usage ;

– à titre subsidiaire, si par extraordinaire le Tribunal venait à considérer que l'action de Monsieur [S] [VC] en nullité de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » est recevable,

– constater que les attestations des Docteurs [CK] [I], [A] [MD], [J] [T], [P] [IW], [Z] [KM], [A] [C], [W] [X] et [F] [D], du Professeur [Y] [K] ainsi que de Mesdames [O] [U], [N] [G] [B], [V] [H] et [PE] [E], communiquées par Monsieur [S] [VC], ne sont pas valablement établies et ne sont donc pas opposables en justice ;

– constater que la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » à l'égard des services « Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales Communications, services télématiques. Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique. Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical. Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical » n'est pas descriptive ni déceptive ;

– en conséquence, déclarer irrecevables les attestations des Docteurs [CK] [I], [A] [MD] et [J] [T], du Professeur [Y] [K], de Mesdames [O] [U], [N] [G] [B], [V] [H] et [PE] [E] communiquées par Monsieur [S] [VC] ;

– rejeter la demande de Monsieur [S] [VC] en annulation de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » pour caractère descriptif ou déceptif ;

– à titre superfétatoire, si par extraordinaire le Tribunal venait à considérer que l'action de Monsieur [S] [VC] est recevable et que ses demandes en nullité et/ou déchéance de la marque française no 1 662 541 « CHROMATOTHERAPIE » sont fondées,

– constater que les demandes de réparation telles que sollicitées par Monsieur [S] [VC] ne sont pas justifiées ;

– en conséquence, rejeter les demandes de réparation de Monsieur [S] [VC] ;

– en tout état de cause, rejeter l'intégralité des demandes, fins, moyens et prétentions de Monsieur [S] [VC] à l'encontre de Monsieur [F] [L] et de Madame [R] [M] ;

– condamner Monsieur [S] [VC] à payer à Monsieur [F] [L] et Madame [R] [M], chacun, la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

– condamner Monsieur [S] [VC] à payer à Monsieur [F] [L] et à Madame [R] [M], chacun, la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Monsieur [S] [VC] aux entiers dépens, qui seront recouvrés directement par DWF (FRANCE) AARPI, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 17 octobre 2019 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 9 janvier 2020.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l'exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action en nullité de la marque verbale française CHROMATOTHERAPIE no 1 662 541

Les défendeurs soutiennent que les dispositions de l'article 124, I, 8o de la loi PACTE ne s'appliquent pas aux marques françaises à l'égard desquelles le délai de prescription est expiré antérieurement à l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions. De ce fait, ils estiment que conformément à l'article 2224 du code civil, la prescription de l'action en nullité de la marque litigieuse est acquise depuis le 19 juin 2013 ou, au plus tard, le 1er février 2017, sans qu'aucune cause interruptive du délai de prescription ne soit intervenue.

[S] [VC] invoque le bénéfice des dispositions de l'article L. 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi PACTE, qui ont pour effet de rendre imprescriptible l'action en nullité d'une marque et qui sont applicables, conformément à l'article 124 III de ladite loi, aux titres en vigueur au jour de la publication de celle-ci. Il en conclut que son action en nullité est recevable. A titre subsidiaire, si le tribunal ne faisait pas application de ces nouvelles dispositions, il lui demande de considérer que la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil est inapplicable à l'action en nullité de marque, qui ne peut être qualifiée de personnelle, ni d'action réelle. Il se réfère à la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015 qui ne prévoit aucune prescription à l'action en nullité de la marque et au droit français des marques qui n'a prévu expressément de délais de prescription que pour l'action en contrefaçon et l'action en revendication. Il considère qu'en tout état de cause, le point de départ de la prescription quinquennale ne peut être la date de dépôt de la marque litigieuse, mais le moment où le demandeur en nullité dispose d'un intérêt à agir.

Sur ce,

L'article L. 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du 22 mai 2019, ayant été abrogé par l'ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019, il convient de se référer à l'article L. 716-2-6 du même code qui dispose désormais que « Sous réserve des articles L. 716-2-7 et L. 716-2-8, l'action ou la demande en nullité d'une marque n'est soumise à aucun délai de prescription ».

Conformément à l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a pas d'effet rétroactif. Plus précisément, s'agissant d'une loi relative au délai de prescription, l'article 2222 du code civil prévoit que « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».

Il résulte de ces dispositions que lorsque le législateur modifie le délai d'une prescription, cette loi n'a pas d'effet sur la prescription définitivement acquise, à moins qu'une volonté contraire ne soit expressément affirmée dans ladite loi.

En l'espèce, les dispositions relatives à la prescription de l'action en nullité d'une marque doivent être considérées comme allongeant la durée de la prescription puisqu'elles rendent celle-ci imprescriptible. Le législateur n'ayant prévu dans l'ordonnance du 13 novembre 2019 aucune disposition permettant de déroger à l'article 2222, alinéa 1er du code civil, les dispositions de l'article L. 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle ne peuvent s'appliquer aux actions en nullité de marque engagées à titre principal dont la prescription était déjà acquise lors de son entrée en vigueur.

Or en l'absence de dispositions spécifiques à la prescription de l'action en nullité de marque, celle-ci était, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance susvisée, soumise aux dispositions de l'article 2224 du code civil qui dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». L'action en nullité de marque n'étant pas une action réelle, cette catégorie étant limitativement déterminée, et tendant à faire cesser l'illicéité d'un acte juridique dont les conditions de validité ne sont pas remplies, est une action personnelle dont le point de départ du délai de prescription n'est pas, comme le soutient [S] [VC], le jour où naît l'intérêt à agir du demandeur à l'action, qu'il définit comme le jour où le titulaire de la marque la lui oppose et entrave ainsi la commercialisation de ses produits et services, mais le jour où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du motif de nullité. En l'occurrence, le point de départ de la prescription quinquennale de droit commun ne peut donc être le jour où les défendeurs ont formé opposition (le 2 août 2017) à la demande d'enregistrement de marque française semi-figurative de [S] [VC]. Si la marque litigieuse a été déposée le 4 juillet 1989, il n'est pas établi que le demandeur a eu immédiatement connaissance de son enregistrement ou du motif de nullité qu'il invoque, à savoir son défaut de caractère distinctif. Cependant, il résulte des pièces 4 et 5 des défendeurs que, le 1er février 2012, [S] [VC] a procédé au dépôt, en qualité de mandataire de [R] et [F] [L], d'une marque suisse CHROMATOTHERAPIE dans les classes 10, 35, 38, 41 et 42. Dans le courrier électronique qu'il leur a adressé le même jour, il évoque le dépôt auquel il a procédé, afin de « prendre les devants », en faisant valoir un droit de priorité relatif à un précédent dépôt effectué en 1993, et ce afin de « clôturer toutes transactions préjudiciables envers la Chromatothérapie ». Il ressort de ce message que [S] [VC] entretenait une proximité et un lien de confiance tels avec les défendeurs qu'il pouvait prendre l'initiative de déposer une marque pour leur compte et en tant que mandataire sans avoir besoin de les consulter au préalable, qu'il avait une maîtrise suffisante du droit des marques lui permettant de faire valoir un droit de priorité lors du dépôt d'une nouvelle marque et qu'il avait connaissance d'une ou de plusieurs marques CHROMATOTHERAPIE dont [R] et [F] [L] étaient d'ores et déjà titulaires à la date du 1er février 2012. Par conséquent, il aurait dû avoir connaissance, dès cette date, des faits lui permettant d'engager une action en nullité de la marque litigieuse, de sorte que la prescription de celle-ci est acquise depuis le 1er février 2017 et que les dispositions de l'article L. 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle ne peuvent s'appliquer à la présente procédure. [S] [VC] ayant fait délivrer son assignation à l'encontre des défendeurs le 27 octobre 2017, il sera déclaré irrecevable en son action en nullité de la marque verbale française CHROMATOTHERAPIE no 1 662 541.

Sur la déchéance des droits sur la marque verbale française CHROMATOTHERAPIE no 1 662 541 pour défaut d'usage

[S] [VC] fait valoir que les défendeurs ne rapportant pas la preuve de l'usage du signe CHROMATOTHERAPIE à titre de marque et en France dans les classes de services 35, 38, 39, 41 et 42 depuis l'enregistrement et a fortiori au cours des cinq années précédant l'introduction de la présente procédure, ceux-ci devront être déchus de leurs droits.

[F] et [R] [L] répliquent que la marque a fait l'objet d'une exploitation continue et substantielle sur le territoire français, depuis son dépôt, au regard des services qu'elle vise, usage notamment établi par la participation à différents salons en France (usage de la marque pour les services « publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales » en classe 35 et « communications, services télématiques » en classe 38), les 41 numéros du bulletin du C.E.R.E.C., distribués depuis la fondation de l'association (usage de la marque en France pour le service « distribution des journaux » en classe 39), des brochures, programmes, supports pédagogiques, extraits du site internet etlt;chromatotherapie.cometgt; et livres (usage en France pour les services « éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications ; distribution de films, édition de livres » en classe 41) et les nombreux articles scientifiques, livres, extraits du site internet etlt;chromatotherapie.cometgt; (usage en France pour les « services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique ; maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical ; programmation pour ordinateurs, location de matériel médical » en classe 42). Ils considèrent que, plus généralement, les articles publiés sur les supports destinés au grand public illustrent l'usage de la marque en France pour désigner tous les services susvisés et/ou pour les promouvoir.

Sur ce,

L'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, dispose que « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat.
Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :
1o L'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque,
2o L'usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie,
3o L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée,
4o L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation ».

En l'espèce, pour établir un usage sérieux de la marque litigieuse dans les différentes classes de produits et services dans lesquelles elle a été enregistrée, les défendeurs ont versé au débat de très nombreuses pièces couvrant la période allant du dépôt de la marque jusqu'à l'année 2018 : programmes de salons et de colloques (pièce 11 a), articles destinés à un public spécialisé ou au grand public (pièces 11 a et 11 f), bulletins du Centre d'Etudes et de Recherches sur l'Energétique et la Couleur, ou CEREC (pièce 11 b), brochures et supports pédagogiques destinés aux personnes suivants des séminaires de formation (pièce 11 c), liste de livres sur la chromatothérapie (pièce 11 e) et extraits des sites internet etlt;chromatotherapie.cometgt; et etlt;doctissimo.fretgt; (pièces 11 d et 12).

Cependant, il résulte de l'ensemble de ces éléments que le terme CHROMATOTHERAPIE est utilisé pour présenter une méthode thérapeutique alternative à la médecine occidentale traditionnelle et mettant en oeuvre les bienfaits d'une série de rayonnements de couleur pour soigner différentes pathologies et non à titre de marque pour garantir l'origine de services. A cet égard l'usage, dans certaines des pièces communiquées et à compter de 2001, du terme CHROMATOTHERAPIE®, outre que le caractère ® est dépourvu de valeur légale en France, ne suffit pas à établir que ce terme est utilisé à titre de marque, les articles et communications dans lesquels il apparaît ne faisant qu'exposer les principes de cette méthode thérapeutique telle que les défendeurs, et plus largement les membres du CEREC, l'ont conçue et la mettent en oeuvre.
Au surplus, les pièces communiquées ne permettent nullement d'établir un usage du terme CHROMATOTHERAPIE pour l'ensemble des classes de services dans lesquelles il a été enregistré, mais seulement pour les services d'enseignement, cours, conférences, publications, édition de livres, services d'aides thérapeutiques et recherche scientifique.
Par conséquent, faute de rapporter la preuve qu'ils ont fait un usage sérieux de la marque, pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans, [R] et [F] [L] seront déchus des droits dont ils sont titulaires sur la marque verbale française no 1 662 541 dans les classes 35, 38, 39, 41 et 42 à compter du 4 juillet 1989.

Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

[F] et [R] [L] disent avoir subi un grave préjudice moral du fait de la malice et de la mauvaise foi du demandeur qui est un de leurs anciens élèves et qui a lui-même tenté de s'approprier le terme CHROMATOTHERAPIE en procédant au dépôt de multiples marques CHROMATOTHERAPIE SUISSE. Ils demandent en réparation la somme de 10 000 euros.

[S] [VC] estime que les défendeurs ne justifient d'aucune faute qui lui soit imputable, ni d'aucun préjudice, n'ayant introduit la présente procédure qu'en raison de l'opposition qu'ils ont formée devant l'INPI à l'encontre de sa demande d'enregistrement d'une marque semi-figurative au motif qu'elle contient le terme CHROMATOTHERAPIE.

Sur ce,

Si la responsabilité du demandeur à l'action peut être engagée sur le fondement de l'article 1240 du code civil en cas de faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, aucun manquement n'est caractérisé à l'encontre de [S] [VC], le tribunal ayant en partie fait droit à ses demandes. Les défendeurs seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les mesures réparatrices

[S] [VC] sollicite la réparation, à hauteur de 10 000 euros, du préjudice moral qu'il dit avoir subi du fait de l'opposition formée abusivement devant l'INPI sur la base d'une marque qui n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux en France pour désigner les services visés au dépôt. Il sollicite en outre la publication du jugement à intervenir afin de permettre aux tiers, notamment aux consommateurs, de savoir que le terme CHROMATOTHERAPIE, qui désigne une thérapeutique, n'est pas appropriable sur le terrain du droit des marques et reste à la disposition de tous dans son acceptation courante.

Les défendeurs répondent qu'il n'est pas justifié du préjudice moral subi par le demandeur et que le fait de former opposition à une demande d'enregistrement de marque ne peut être une cause de préjudice. Ils considèrent par ailleurs que la demande de publication du jugement à intervenir ne fait que traduire la volonté de [S] [VC] d'éliminer défintivement ses anciens partenaires sur le marché français.

Sur ce,

Outre que [S] [VC] n'explicite pas le préjudice moral dont il demande la réparation, il ne rapporte pas la preuve que les défendeurs ont commis une faute en formant opposition à sa demande d'enregistrement de marque semi-figurative auprès de l'INPI, ces derniers étant alors titulaires d'une marque antérieure et donc légitimes à agir sur le fondement de l'article L. 712-3 du code de la propriété intellectuelle. Le demandeur sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Par ailleurs, la publication du présent jugement n'apparaît pas opportune en ce que la consultation du registre national des marques est de nature à informer suffisamment les tiers quant à l'existence de droits de propriété intellectuelle sur le terme CHROMATOTHERAPIE. Au surplus, la volonté affichée du demandeur de faire en sorte que le terme CHROMATOTHERAPIE reste à la disposition de tous dans son acceptation courante semble difficilement compatible avec le fait que lui-même est titulaire de marques françaises comportant ce terme. La publication demandée ne sera donc pas ordonnée.

Sur les autres demandes

Les défendeurs, qui succombent, supporteront in solidum les dépens, dont distraction au profit de Maître Philippe GAULTIER en application de l'article 699 du code de procédure civile ainsi que leurs propres frais.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Les défendeurs seront condamnés in solidum à payer à [S] [VC] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Les circonstances de la cause justifient le prononcé de l'exécution provisoire qui apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

Déclare [S] [VC] irrecevable en son action en nullité de la marque verbale française no 1 662 541 appartenant à [F] [L] et [R] [M] épouse [L],

Dit que [F] [L] et [R] [M] épouse [L] sont déchus de leurs droits sur la marque française no 1 662 541 pour les services « Publicité et affaires, aides et conseils aux entreprises industrielles et commerciales. Communications, services télématiques. Éducation et divertissements, enseignement, cours, conférences, publications, distribution de journaux, de films, édition de livres, services d'aides thérapeutiques, services d'aides de laboratoires, recherche scientifique. Maisons de repos, maisons de convalescence, centre de bien-être : tous ces services étant rendus sous contrôle médical. Programmation pour ordinateurs, location de matériel médical » des classes 35, 38, 39, 41 et 42 à compter du 4 juillet 1989;

Dit que la partie la plus diligente devra porter à la connaissance de l'INPI la présente décision devenue définitive afin que soit inscrite au registre national des marques la mention rectificative ci-dessus ;

Déboute [S] [VC] de ses demandes de dommages et intérêts et de publication du présent jugement,

Déboute [F] [L] et [R] [M] épouse [L] de leur demande reconventionnelle en procédure abusive,

Condamne [F] [L] et [R] [M] épouse [L] in solidum à payer à [S] [VC] la somme 5 000 (cinq mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne [F] [L] et [R] [M] épouse [L] in solidum aux dépens, dont distraction au profit de Maître Philippe GAULTIER,

Ordonne l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 28 février 2020

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 17/14943
Date de la décision : 28/02/2020

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-02-28;17.14943 ?
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