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20/01/2020 | FRANCE | N°19/60317

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 20 janvier 2020, 19/60317


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 19/60317 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQZVX

BF/No : 2

Assignation du :
10 Octobre 2019

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 20 janvier 2020

par Gilles BUFFET, Vice président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Marjorie BERNABÉ, Greffier.
DEMANDERESSE

Société IPCom GmbH et Co. KG
[Adresse 1]
[Localité 1]

représentée par Maître Julien FRENEAUX de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocats au barreau de PARIS - #P0390
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br>DÉFENDERESSES

Société XIAOMI HK LIMITED
[Adresse 2]
[Adresse 3]
[Adresse 4]

représentée par Maître Thierry MOLLET VIEVILLE de la SCP DU...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 19/60317 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQZVX

BF/No : 2

Assignation du :
10 Octobre 2019

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 20 janvier 2020

par Gilles BUFFET, Vice président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Marjorie BERNABÉ, Greffier.
DEMANDERESSE

Société IPCom GmbH et Co. KG
[Adresse 1]
[Localité 1]

représentée par Maître Julien FRENEAUX de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocats au barreau de PARIS - #P0390

DÉFENDERESSES

Société XIAOMI HK LIMITED
[Adresse 2]
[Adresse 3]
[Adresse 4]

représentée par Maître Thierry MOLLET VIEVILLE de la SCP DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocats au barreau de PARIS - #P75

S.A.S. XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 2]

représentée par Maître Thierry MOLLET VIEVILLE de la SCP DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocats au barreau de PARIS - #P75

S.A.S. MODELABS MOBILES
[Adresse 6]
[Localité 3]

représentée par Maître Raphaël GONTARD de la SELEURL R G - CABINET GONTARD, avocats au barreau de PARIS - #C1329

S.A.S. IHEALTHLABS EUROPE
[Adresse 7]
[Localité 3]

représentée par Maître Prudence CADIO de la SELAS LPA-CGR, avocats au barreau de PARIS - P0238

S.A.S. RETAIL 2.0
[Adresse 8]
[Localité 4]

représentée par Maître Raphaël GONTARD de la SELEURL R G - CABINET GONTARD, avocats au barreau de PARIS - #C1329

DÉBATS

A l'audience du 16 Décembre 2019, tenue publiquement, présidée par Gilles BUFFET, Vice président, assisté de Marjorie BERNABÉ, Greffier,

EXPOSE DES FAITS

La société de droit allemand IPCom GmbH et Co. KG (ci-après IPCOM) expose avoir pour activité la recherche et développement, la constitution et l'exploitation de portefeuilles de brevets d'invention, en particulier dans le domaine des télécommunications.

La société IPCOM fait valoir qu'elle a acquis en 2007 de la société de droit allemand ROBERT BOSCH GmbH un portefeuille de plus de 160 familles de brevets protégeant des technologies de télécommunication mobile relevant des normes GSM (2G), UMTS (3G) et LTE (4G), dont plusieurs seraient essentiels à ces normes, incluant notamment le brevet européen EP 1 841 268 B2 (ci-après EP 268) qui a pour titre "Accès d'une station mobile à un canal d'accès aléatoire en dépendance de sa classe d'utilisateur".

Le groupe XIAOMI est une entreprise chinoise spécialisée dans la fabrication et la vente de produits électroniques, dont des téléphones mobiles.

La société de droit chinois XIAOMI HK LIMITED est une filiale du groupe XIAOMI.

Elle approvisionne notamment le marché français par l'intermédiaire d'une filiale française, la société XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, de la société MODELABS MOBILES, spécialisée dans l'importation et la vente en gros de téléphones mobiles et des sociétés IHEALTHLABS EUROPE et RETAIL 2.0, détaillants spécialisés avec lesquels la société XIAOMI HK LIMITED a conclu des contrats de distribution les autorisant à exploiter des magasins exclusifs ouverts en France en 2018 et 2019 dénommés "MI STORES".

La société IPCOM indique avoir proposé le 23 novembre 2018 au groupe XIAOMI une offre de licence FRAND, laquelle n'a pas été acceptée, tandis qu'aucune contre-offre correspondant à des conditions FRAND n'a été faite par le groupe XIAOMI.

La société IPCOM a saisi, le 2 août 2019, la High Court of Justice de l'Angleterre et du Pays de Galles d'une action en contrefaçon fondée sur la partie anglaise du brevet EP 268 à l'encontre des sociétés XIAOMI TECHNOLOGY (UNITED KINGDOM) LIMITED, XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE et MYTECH RETAIL DISTRIBUTION LIMITED.

Le 3 octobre 2019, la société IPCOM a formé devant cette même juridiction une demande d'interdiction provisoire de la poursuite de la commercialisation au Royaume-Uni des téléphones mobiles de marque XIAOMI aptes à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G).

Le 12 novembre 2019, la High Court of Justice de l'Angleterre et du Pays de Galles a refusé de faire droit à cette demande, relevant que la société IPCOM ne subirait aucun dommage irréparable en l'absence d'interdiction, laquelle pourrait au contraire entraîner au détriment de XIAOMI un préjudice de nature à occasionner des pertes qui ne pourraient pas être compensées en dommages-intérêts.

La société IPCOM fait valoir qu'elle a constaté l'offre et la vente en France de téléphones mobiles de marque XIAOMI aptes à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G) et qu'elle a fait procéder le 20 septembre et le 2 octobre 2019, étant autorisée par ordonnances du délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris des 18 et 26 septembre 2019, à cinq saisies-contrefaçon dans les locaux des sociétés XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, IHEALTHLABS EUROPE, RETAIL2.0 et MODELABS MOBILES.

La société IPCOM a fait assigner, par exploits d'huissiers des 10 octobre 2019, les sociétés XIAOMI HK LIMITED, XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0 devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour l'audience du 2 décembre 2019.

L'affaire a été renvoyée, à la demande des parties, à l'audience du 9 décembre 2019 et à celle du 16 décembre 2019.

A l'audience du 16 décembre 2019, la société IPCOM demande au juge des référés de :

Vu l'article 64 de la Convention de Munich sur le brevet européen,
Vu les articles L.613-3 a), L.614-7 et suivants, L.615-1 et L.615-3 du code de la propriété intellectuelle,

- Constater que les téléphones mobiles Xiaomi aptes à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G) qui sont offerts, mis dans le commerce, importés, exportés et détenus à ces fins en France par les sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0 constituent des contrefaçons vraisemblables de l'invention protégée par la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 841 268 B2 appartenant à la société IPCom GmbH et Co. KG ;

- Faire interdiction aux sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0 de poursuivre leurs actes d'offre, mise dans le commerce, importation, exportation et détention à ces fins en France de tous modèles de téléphones mobiles de marque Xiaomi aptes à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G), et en particulier des modèles de téléphones mobiles identifiés ci-après :
- les modèles de téléphones mobiles de marque Xiaomi de la gamme "Mi", dénommés "Mi Note 10", "Mi 9 Lite", "Mi 9T Pro", "Mi A3", "Mi 9T", "Mi 9", "Mi 9 SE", "Mi MIX 3", "Mi 8 Pro", "Mi 8", "Mi 8 Lite", "Mi A2 Lite", "Mi A2", "Mi Max 3", "Mi MIX 2S", "Mi MIX 2", "Mi A1";
- les modèles de téléphones mobiles de marque Xiaomi de la gamme "Redmi", dénommés "Redmi Note 8T", "Redmi 8", "Redmi Note 8 Pro", "Redmi 7A", "Redmi Go", "Redmi 7", "Redmi Note 7", "Redmi Note 6 Pro", "Redmi Note 5", "Redmi S2", "Redmi 6", "Redmi 6A", "Redmi 5";
- le modèle de téléphone mobile de marque Xiaomi dénommé "Pocophone F1",

et ce jusqu'à l'expiration de la partie française du brevet européen EP 1 841 268 B2, sous astreinte provisoire de 50.000 ? par jour de retard et de 1.000 ? par infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, l'infraction s'entendant de toute offre, mise dans le commerce, importation, exportation, ou détention à ces fins en France d'un exemplaire de téléphone mobile Xiaomi apte à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G) ;

- ordonner aux sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0 de procéder au rappel de tous les exemplaires de téléphones mobiles de marque Xiaomi identifiés ci-dessus se trouvant en circulation dans les circuits commerciaux et/ou entre les mains de tous tiers ou intermédiaires dont ils utilisent les services, et ce sous astreinte provisoire de 50.000 ? par jour de retard à compter du
prononcé de l'ordonnance à intervenir ;

- Se réserver la liquidation des astreintes ;

- Ordonner la confiscation et le séquestre entre les mains et aux frais des sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0, de tous les stocks de téléphones mobiles de marque Xiaomi identifiés ci-dessus se trouvant en leur possession ou sous leur contrôle en France à la date de l'ordonnance à intervenir, ainsi que des téléphones mobiles repris en stock par ces sociétés en exécution de la mesure de rappel ordonnée ci-dessus, l'ensemble des stocks devant être placés sous scellés aux frais des sociétés défenderesses par tous huissiers désignés à cet effet par la société IPCom GmbH et Co. KG, et ce jusqu'à ce que le juge du fond statue sur leur sort ;

- Déclarer irrecevables, et en tout cas infondées, l'ensemble des demandes des sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0 ; les en débouter ;

- Condamner in solidum les sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0 à payer à la société IPCom GmbH et Co. KG la somme de 250.000 ? sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner in solidum les sociétés Xiaomi HK Limited, Xiaomi Technology France, ModeLabs Mobiles, iHealthLabs Europe et Retail 2.0 aux entiers dépens de l'instance de référé;

- Rappeler que l'ordonnance à intervenir sera exécutoire à titre provisoire de plein droit.

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE demandent au juge des référés de :

Vu les dispositions du code de la propriété intellectuelle et notamment ses articles L.611-1, L.611-6, L.613-8, L.614-11, L.614-12, L.615-2, L.615-3, L.615-5 et R.613-59,

Vu les dispositions de la Convention sur le brevet européen et notamment ses articles 60, 60(1) et 138,

Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales,

Vu la Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et notamment son considérant 22 et articles 3(2), 4 et 9,

Vu l'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, et notamment ses articles 46 et 47,

Vu les dispositions du Code de procédure civile et notamment ses articles 14, 15, 16, 435 et 700,

- CONSTATER l'existence de contestations sérieuses, notamment quant à la qualité à agir et à la vraisemblance de la contrefaçon et qu'il n'y a lieu à référé ;

- DÉCLARER la société IPCom GmbH et Co. KG (HRA 93.950) irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et prétentions ;

En conséquence, l'en DÉBOUTER ;

- CONSTATER que la présente action en référé est pour le moins abusive et déloyale, IPCom GmbH et Co. KG n'ayant pu se méprendre sur l'existence même de ses droits et notamment de leur filiation depuis les inventeurs qui ont seuls droit au brevet en cause ;

- En conséquence, CONDAMNER IPCom GmbH et Co. KG à payer à chacune des sociétés XIAOMI HK Limited et XIAOMI Technology France, une indemnité de 100.000 ? ;

- ORDONNER la publication de la décision à intervenir dans 5 journaux ou périodiques au choix des sociétés XIAOMI HK Limited et XIAOMI Technology France, et aux frais avancés de IPCom GmbH et Co. KG, ainsi que sur les sites de IPCom GmbH et Co. KG pendant 3 mois, et sur leurs réseaux sociaux.

- À titre subsidiaire, s'il était fait droit aux demandes de la société IPCom GmbH et Co. KG :

- SUBORDONNER la poursuite des actes allégués de contrefaçon au paiement d'une garantie sous la forme d'un forfait par les sociétés XIAOMI HK Limited et XIAOMI Technology France ;

- À titre très subsidiaire, SUBORDONNER l'exécution des mesures qui seraient ordonnées au paiement par la société IPCom GmbH et CO. KG d'une provision d'un montant de 50.000.000 ? ;

- CONDAMNER IPCom GmbH et Co. KG à payer à chacune des sociétés XIAOMI HK Limited et XIAOMI Technology France la somme globale de 150.000 ? à titre de remboursement des peines et soins du procès en application de l'article 700 CPC.

- CONDAMNER IPCom GmbH et Co. KG aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SELARL DUCLOS, THORNE, MOLLET-VIEVILLE et Associés, en application de l'article 699 CPC.

La société IHEALTHLABS EUROPE demande au juge des référés de :

Vu notamment les articles 454 du code de procédure civile et L.615-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

- recevoir la société IHEALTHLABS EUROPE en ses moyens, fins et prétentions et ses conclusions et l'en déclarer bien fondée,

- prononcer la nullité de l'assignation délivrée à l'encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE à la requête de la société IPCOM GmbH et Co.KG,

- dire et juger la société IPCOM GmbH et Co.KG irrecevable ou, à tout le moins mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions en l'absence de justification de ses droits sur le brevet EP 268 et subsidiairement de son opposabilité au tiers ainsi qu'en l'absence de vraisemblance de la contrefaçon alléguée,

- débouter la société IPCOM GmbH et Co.KG de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE,

A titre subsidiaire :

- dire et juger que les demandes sollicitées par IPCOM sont disproportionnées,

- débouter IPCOM de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire :

- dire et juger que les mesures d'interdiction, de séquestre et de rappel seront levées à l'expiration du brevet EP 268,

En tout état de cause :

- condamner la société IPCOM GmbH et Co.KG à verser à la société IHEALTHLABS EUROPE la somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société IPCOM GmbH et Co.KG aux entiers dépens de l'instance.

Les sociétés MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0 demandent au juge des référés de:

Vu les articles L.613-5, L.615-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,

- Recevoir les sociétés ModeLabs Mobiles et Retail 2.0 dans leurs moyens, fins et conclusions ;

- Prononcer la nullité de l'assignation à l'encontre des sociétés ModeLabs Mobiles et Retail 2.0 ;

- Dire et juger la société IPCom GmbH et Co KG irrecevable, sinon mal fondée en ses demandes, fins et conclusions, tant (i) à défaut pour elle de justifier de ses droits sur le Brevet EP 268 ou de son opposabilité aux tiers (ii) qu'en raison du défaut de vraisemblance de la contrefaçon alléguée ;

- L'en débouter ;

Plus subsidiairement,

- Conditionner toute mesure provisoire à la constitution d'une garantie de 8 000 000 ? donnée par un établissement bancaire français et fournie par la société IPCom pour assurer l'indemnisation éventuelle des sociétés ModeLabs Mobiles et Retail 2.0 ;

- Dire et juger que toute mesure d'interdiction, de rappel ou de séquestre ne prendra effet qu'après un délai raisonnable qu'il appartiendra à la juridiction de céans de fixer,

- Dire et juger que toute mesure de rappel ou de séquestre sera limitée aux seuls téléphones mobiles de la marque Xiaomi se trouvant, sur le territoire français, sous le contrôle des sociétés ModeLabs Mobiles et Retail 2.0, et rappeler que de telles mesures seront levées à l'expiration du Brevet EP 268, soit le 15 février 2020 ;

En tout état de cause,

- Dire et juger que les demandes de la société IPCom GmbH et Co KG sont abusives, sinon manifestement disproportionnées ;

- Condamner la société IPCom GmbH et Co KG à verser une somme de 30.000 euros à chacune des sociétés ModeLabs Mobiles et Retail 2.0, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société IPCom GmbH et Co KG aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les moyens de nullité :

Les sociétés IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0 soutiennent que l'ordonnance ayant autorisé l'assignation en référé de la société IPCOM ne mentionnant pas de date, cette ordonnance serait nulle et qu'ainsi, tous les actes pris en son application le sont également, étant dépourvus de fondement juridique.

La société IPCOM oppose que l'omission de la date sur l'autorisation d'assigner en référé délivrée par le délégataire du président du tribunal est sans effet sur la régularité de la procédure.

Il est rappelé que l'ordonnance litigieuse s'est bornée, sans qu'aucune démarche particulière n'ait été effectuée par le conseil de la société IPCOM, à fixer une date d'audience devant le juge des référés et un délai maximum pour procéder à la délivrance des assignations.

Aussi, le défaut de date sur cette ordonnance, qui est nécessairement antérieure aux assignations délivrées, n'a aucune incidence sur leur régularité, l'authenticité de l'ordonnance n'étant pas contestée.

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE soutiennent que l'assignation qui leur a été délivrée serait nulle sur le fondement de l'article 56 du code de procédure civile, la société IPCOM se contentant de comparer les revendications du brevet EP 268 avec les trois normes ETSI, sans procéder à une comparaison directe des revendications du brevet avec les produits argués de contrefaçon et sans démontrer le caractère contraignant de tous les passages des trois normes auxquelles il est fait référence.

L'article 56 du code de procédure civile dispose que l'assignation contient notamment, à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice, un exposé des moyens en fait et en droit.

L'article 114 alinéa 2 dudit code prévoit que la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

Aux termes des assignations délivrées aux sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, la société IPCOM vise le brevet dont elle entend se prévaloir, donne une interprétation des revendications et indique en quoi les téléphones mobiles que ces sociétés commercialisent reproduiraient les caractéristiques de la revendication 1 du brevet EP 268.

Par conséquent, les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE ne justifient d'aucune insuffisance de l'exposé des moyens en fait et en droit des assignations de nature à leur causer un grief, celles-ci étant en mesure de se défendre utilement.

Leur demande de nullité des assignations délivrées par la société IPCOM sur le fondement de la violation de l'article 56 du code de procédure civile sera rejetée.

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE soutiennent également que les assignations en référé du 10 octobre 2019 seraient nulles pour un second motif lié au fait que les droits de la société IPCOM sur le brevet EP 268 ne leur étaient pas opposables avant le 25 octobre 2019, date de l'inscription du transfert de propriété à son profit du brevet.

Mais le moyen de nullité soulevé ne concerne pas une nullité pour vice de forme, en l'absence d'irrégularité intrinsèque des assignations, ni une nullité pour vice de fond au sens de l'article 117 du code de procédure civile, la société IPCOM ayant la capacité d'ester en justice.

Ce moyen de nullité sera donc rejeté.

La société XIAOMI HK LIMITED oppose, ensuite, qu'en dépit de l'autorisation du délégataire du président du tribunal qui exigeait la délivrance de l'assignation avant le 11 octobre 2019, l'assignation en référé lui a été délivrée postérieurement à cette date, de sorte qu'elle doit être déclarée nulle, et à tout le moins caduque.

La société IPCOM réplique que le délai fixé a été respecté, l'assignation ayant été remise aux autorités chinoises compétentes le 10 octobre 2019 et que la société XIAOMI HK LIMITED a eu connaissance de l'assignation en temps utile.

Il est justifié que la société IPCOM a adressé copie de l'assignation destinée à la société de droit chinois XIAOMI HK LIMITED aux autorités étrangères compétentes, en application de la Convention de [Localité 5] du 15 novembre 1965, le 10 octobre 2019, une copie de l'assignation ayant été envoyée par la voie postale et reçue le 16 octobre 2019 par la société XIAOMI HK LIMITED.

Par ailleurs, les conseils de la société XIAOMI HK LIMITED se sont manifestés auprès de l'avocat de la société IPCOM le 30 octobre 2019.

La société XIAOMI HK LIMITED a donc bénéficié d'un délai suffisant pour préparer sa défense, ayant même conclu de manière circonstanciée à deux reprises avant l'audience du 16 décembre 2019.

Aussi, le moyen de nullité de l'assignation tiré de l'absence de délivrance dans les délai impartis sera rejeté.

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED, XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0 font valoir que les pièces communiquées en langue anglaise par la société IPCCOM sans traduction, alors qu'elles présentent un caractère technique, portent atteinte au droit au procès équitable, certaines traductions tardives produites ayant désorganisé leur défense.

La société IPCOM réplique que l'absence de traduction en langue française de certaines pièces est sans portée, seul le jugement devant être rédigé en français. Elle indique que la quasi-totalité des pièces litigieuses est en anglais, langue d'usage dans le domaine des télécoms tandis que les défenderesses sont des professionnels de ce domaine d'activité et qu'elle a produit des traductions en français de certaines pièces concernées.

En application de l'ordonnance de [Localité 6] d'août 1539, qui vise les actes de procédure, le juge est fondé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d'une traduction en langue française.

Il est relevé que les sociétés défenderesses, qui commercialisent des téléphones portables, maîtrisent nécessairement la langue anglaise, même lorsqu'elle porte sur un domaine technique, tandis que les sociétés du groupe XIAOMI ont une activité à dimension internationale, étant précisé que la société IPCOM a procédé à la traduction en français d'un grand nombre de pièces.

Par conséquent, l'atteinte au droit au procès équitable n'est pas caractérisée.

Sur les demandes de la société IPCOM:

Aux termes de l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. La juridiction civile compétente peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.

La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. Si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages et intérêts, la juridiction peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu contrefacteur, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun. Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes.

Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable.

Saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées.

Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l'engagement d'une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. A défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés.

Selon le 22ème considérant de la directive no2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées constituent la transposition, "Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle."

Il en résulte que, saisi de demandes présentées au visa de l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, le juge des référés doit statuer sur les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d'apprécier le caractère sérieux ou non de la contestation et, en tout état de cause, d'évaluer la proportion entre les mesures sollicitées et l'atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d'autre, la décision ou non d'interdire la commercialisation du produit contrefaisant.

Sur la recevabilité des demandes :

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED, XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0 font valoir que la société IPCOM est dépourvue de qualité à agir. Elles opposent qu'elles sont recevables à invoquer la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité dans le cadre de la présente instance. Elles indiquent que la société IPCOM ne justifie pas être titulaire du brevet EP 268, ce brevet n'ayant jamais été cédé en mai 2007 par la société ROBERT BOSCH GmbH, qui n'était pas ayant-cause des inventeurs, et qu'en toute hypothèse, s'il était considéré que la propriété du brevet EP 268 aurait été transférée à la société IPCOM par l'effet de sa fusion avec la société IPCOM GmbH et Co KG, ce transfert n'est intervenu que le 25 octobre 2019 du fait de la publication de l'inscription de la fusion, soit postérieurement à l'introduction de la procédure de référé, l'inscription ayant par ailleurs été effectuée par la société absorbée le 19 septembre 2011, ce qui est impossible et la rend dépourvue d'effet.

La société IPCOM réplique que seule est recevable à contester la titularité du brevet européen la personne revendiquant un droit sur celui-ci et non les contrefacteurs. Elle affirme qu'elle est bien titulaire du brevet litigieux. Elle explique, à cet égard, que la demande européenne divisionnaire no07009265.5 dont est issu le brevet EP 268 a été déposée le 8 mai 2007 par la société ROBERT BOSCH GmbH et qu'au cours de la procédure d'examen, cette demande a fait l'objet d'un transfert de propriété à la société IPCOM GmbH et Co KG. La demanderesse fait valoir que le brevet a été délivré à cette société le 17 mars 2010, laquelle a été absorbée le 19 septembre 2011 par la société 140 PROFI-START BETEILIGUNGS GmbH, qui a changé de dénomination sociale lors de la fusion-absorption pour être renommée IPCOM GmbH et Co KG. La société IPCOM soutient qu'elle a régulièrement fait inscrire le 13 septembre 2019 au registre national des brevets l'acte de fusion-absorption du 19 septembre 2011 et le changement de dénomination sociale et que les formulaires d'inscription à l'INPI ne souffrent d'aucune critique sérieuse. Enfin, la société IPCOM indique que les inscriptions ont pris effet à la date à laquelle elles ont été effectuées.

Si, dans le cadre d'une action en référé fondée sur les dispositions de l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, les personnes auxquelles une atteinte vraisemblable aux droits du breveté est reprochée peuvent contester l'apparence de validité du titre invoqué, elles ne sont pas cependant recevables, si elles n'allèguent aucun droit sur le brevet, à contester la qualité à agir du demandeur dès lors que celui-ci justifie que sa titularité résulte de la publication de la délivrance du brevet.

La société IPCOM justifie que la demande de brevet européen EP 07009265.5, qui est une demande divisionnaire déposée le 8 mai 2007 par la société ROBERT BOSCH GmbH de la demande de brevet européen no00916749.5 déposée le 8 mars 1999, a fait l'objet d'une demande de transfert de propriété par la société IPCOM GmbH et Co. KG, le 6 juin 2007 auprès de l'OEB. Le brevet EP 268 a été délivré le 17 mars 2010, la société IPCOM GmbH et Co. KG ayant été désignée en qualité de titulaire du brevet.

Les inventeurs, pas plus que la société ROBERT BOSCH GmbH, n'ont revendiqué un quelconque droit sur le brevet.

Il est justifié que la société IPCOM GmbH et Co. KG a fait l'objet d'une fusion-absorption par la société 140 PROFI-START BETEILIGUNGS GmBH et Co KG, immatriculée au registre des sociétés de Munich sous le noHRA 93950, le 19 septembre 2011. L'acte de fusion-absorption prévoyait que la société IPCOM GmbH et Co. KG transférait l'ensemble de ses actifs, dont nécessairement le brevet EP 268, à la société 140 PROFI-START BETEILIGUNGS GmBH et Co KG. Cette dernière société a changé de dénomination sociale pour devenir IPCOM GmbH et Co. KG.

La société IPCOM établit, par ailleurs, avoir fait procéder, le 13 septembre 2019, à l'INPI au registre des brevets, à deux inscriptions relatives à l'acte de fusion-absorption et au changement de dénomination sociale. Il ne peut être sérieusement soutenu qu'elle ne serait pas à l'origine de ces inscriptions. Ces inscriptions sont opposables aux tiers en application de l'article L.613-9 du code de la propriété intellectuelle.

Si la publication n'est intervenue que le 25 octobre 2019, soit postérieurement à la délivrance des assignations, il est rappelé qu'aux termes de l'article 126 du code de procédure civile, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

Or, au jour de l'audience devant le juge des référés, la fusion-absorption, du fait de sa publication, était devenue opposable aux défendeurs.

Les fins de non-recevoir opposées en défense seront donc rejetées.

Sur la proportion des mesures sollicitées :

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE font valoir que les mesures d'interdiction sollicitées par la société IPCOM sont exceptionnellement sévères dans leur nature, leur objet et leur portée. Elles soutiennent que ces mesures ont pour unique objet de tenter d'imposer à XIAOMI les termes et les conditions de la licence que la société IPCOM veut voir signée et qui ne peut donc répondre aux conditions FRAND. Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE arguent que la société IPCOM n'a aucun intérêt légitime à agir en référé. Elles font valoir que les demandes d'interdiction sollicitées, même de courte durée, ne répondent pas à l'exigence de proportionnalité, celles-ci étant de nature à leur causer un dommage irréversible, tandis que le seul préjudice éventuel pouvant être subi par la société IPCOM si ses demandes étaient rejetées consiste en la perte d'une redevance, laquelle sera de toute façon attribuée par les juge du fond s'ils estiment fondée l'action en contrefaçon du brevet EP 268.

La société IHEALTHLABS EUROPE soutient également que les demandes formées sont disproportionnées en ce qu'elles sont dirigées contre un simple distributeur non-exclusif des téléphones de marque XIAOMI qui n'a jamais été alerté par la société IPCOM, préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon, du caractère prétendument contrefaisant des téléphones de marque XIAOMI. Elle rappelle que le brevet litigieux va expirer le 15 février 2020 et que la société IPCOM a déjà engagé une procédure au fond devant le tribunal afin de voir reconnaître la contrefaçon du brevet EP 268 et obtenir réparation du préjudice qu'elle aurait subi. La société IHEALTHLABS EUROPE considère que la présente action en référé a été formée dans le seul but de faire pression sur le groupe XIAOMI pour le contraindre à signer le projet de licence à des conditions plus favorables aux intérêts de la société IPCOM.

Les sociétés MODELABS MOBILES et RETAIL2.0 affirment encore que les demandes de la société IPCOM sont disproportionnées, celles-ci visant à faire retirer du marché français la totalité des téléphones mobiles de marque XIAOMI pour une durée de quelques semaines seulement. Elles indiquent que ces mesures auront pour effet de nuire de manière irréversible à leur activité ainsi qu'à leur personnel, celles-ci impliquant la rupture brutale d'un contrat d'approvisionnement sur des produits représentant plus de 30% de leur chiffre d'affaire, alors qu'elles n'ont jamais été informées par la société IPCOM de l'existence d'une éventuelle contrefaçon du brevet EP 268.

La société IPCOM réplique que les sociétés défenderesses exagèrent les conséquences que les mesures provisoires sollicitées auraient à leur égard et que sa demande d'interdiction, qui ne peut s'analyser en un abus de position dominante, est proportionnée, l'expiration proche du brevet étant indifférente. Elle soutient que lui refuser les mesures provisoires de cessation et de rappel des produits lui fait courir le risque de perdre définitivement toute crédibilité, tant à l'égard des contrefacteurs des brevets essentiels inclus dans le portefeuille des brevets Bosch, qu'à l'égard des concurrents de ces derniers qui ont souscrit des licences d'exploitation et qu'il en résulterait un anéantissement de la valeur de ce portefeuille, lequel constitue l'un des principaux actifs de la société IPCOM.

Il est rappelé qu'aux termes de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, en son article 3, les Etats membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés. Les mesures procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.

A cet égard, le 22ème considérant de cette directive indique "qu'il est (également) indispensable de de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle."

Selon les directives de l'ETSI du 8 octobre 2018, un brevet est essentiel lorsqu'il n'est pas possible sur le plan technique (mais pas sur le plan commercial), compte-tenu des pratiques techniques normales et l'état de l'art généralement accessibles à la date de normalisation, de fabriquer, vendre, louer, disposer de, réparer, utiliser ou mettre en oeuvre des dispositifs ou procédés qui sont conformes à la norme, sans contrefaire ce brevet.

La société IPCOM soutient que le brevet EP 268 serait essentiel à la norme UMTS(3G) et qu'ainsi, l'ensemble des téléphones mobiles commercialisés sous la marque XIAOMI, qui sont aptes à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G), reproduiraient les caractéristiques de la revendication 1 du brevet.

S'agissant d'une technologie nécessaire au fonctionnement de certains types de produits, le titulaire d'un brevet essentiel à une norme, pour pouvoir prétendre au prononcé d'une mesure provisoire d'interdiction en référé, doit donc, non seulement établir que la contrefaçon du brevet apparaît vraisemblable, mais également que l'absence d'interdiction provisoire jusqu'au jugement sur le fond lui occasionnerait un préjudice qui ne serait pas réparé par l'allocation ultérieure de dommages-intérêts couvrant la période pendant laquelle le brevet a été exploité par le supposé contrefacteur sans autorisation.

Par ailleurs, le juge des référés doit prendre en considération tous les éléments pertinents, dont les conséquences économiques négatives pour les parties défenderesses qui découleraient de la mesure d'interdiction et qui ne pourraient être réparées par une indemnité si le tribunal, saisi au fond, était amené à retenir que le brevet n'est pas valable ou que la contrefaçon des revendications du brevet n'est pas caractérisée.

La société IPCOM soutient que l'absence d'interdiction provisoire engendrerait à son détriment un préjudice irréparable lié à l'anéantissement de la valeur de son portefeuille de brevets comprenant le brevet EP 268.

Mais elle ne justifie aucunement de l'existence des licences accordées à d'autres sociétés commercialisant des téléphones portables. Par ailleurs, elle n'exploite pas personnellement le brevet EP 268, de sorte que les produits commercialisés par les défenderesses de marque XIAOMI ne lui occasionnent aucune perte de parts de marché.

La société IPCOM ne rapporte donc pas la preuve qu'elle subirait, du fait de l'absence d'interdiction provisoire, un préjudice qui ne serait pas de nature à être réparé par une indemnisation fixée ultérieurement au fond par le tribunal s'il était amené à retenir l'existence de la contrefaçon du brevet EP 268.

Concernant les sociétés défenderesses, l'essentiel des activités des sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE repose sur la commercialisation de téléphones portables.

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE établissent, à travers le rapport CANALYS versé aux débats (pièce no8), que XIAOMI est le quatrième vendeur de téléphones portables en Europe au deuxième trimestre 2019 avec 9,6% de parts de marché et une croissance de 48% en un an, le rapport indiquant que XIAOMI est désormais un acteur majeur en Europe et que sa principale force réside dans les pays européens sensibles au prix, sur les marchés en ligne et ouverts, tandis que les grands opérateurs lui font de plus en plus confiance.

Aussi, comme les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE le relèvent à juste titre, l'interdiction provisoire sollicitée, qui porte sur la totalité des téléphones portables commercialisés en France par le groupe XIAOMI, même pour une durée très limitée, le brevet EP 268 expirant le 15 février 2020, aurait pour effet d'entraîner un arrêt quasi-total de l'activité de ces sociétés. Par ailleurs, les consommateurs seraient amener à acheter des téléphones mobiles d'autres fabricants et ce, souvent dans le cadre de contrats d'abonnement de un ou deux ans, ce qui implique que ces consommateurs se détourneraient des téléphones XIAOMI pendant au moins la durée de ces abonnements, de sorte que les effets de la mesure d'interdiction perdureraient bien après la date d'expiration du brevet. Le manque à gagner subi serait donc considérable, le groupe XIAOMI ne pouvant plus se développer normalement sur d'autres marchés comme celui de la 5G, lequel serait immanquablement doublé d'un préjudice d'image très conséquent auprès des opérateurs de téléphonie mobile, dont les effets négatifs seraient de nature à perdurer dans le temps.

Les sociétés IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL2.0, en leur qualité de distributeurs des téléphones portables XIAOMI, subiraient également, par ricochet, une désorganisation importante et durable de leur activité.

Aussi, les mesures d'interdiction, de rappel et de confiscation des produits auraient des conséquences économiques négatives pour les défenderesses telles qu'elles ne pourraient être réparées par l'allocation de dommages-intérêts dans l'hypothèse où le tribunal serait amené à ne pas faire droit aux demandes de la société IPCOM.

Il s'ensuit que les mesures demandées, portant sur une durée de quelques semaines compte tenu de la date d'expiration du brevet, soit le 15 février 2020, sont manifestement disproportionnées et de nature à entraîner un déséquilibre dans la situation des parties en donnant un avantage indu au breveté qui pourrait être tenté d'imposer une licence à des conditions non frand.

Il convient donc de dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société IPCOM.

Sur les demandes reconventionnelles des sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE:

La publication de la présente ordonnance n'apparaît pas nécessaire et la demande formée à ce titre par les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE sera rejetée.

Les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE ne justifiant pas d'un préjudice spécifique qui ne serait pas réparé par l'allocation d'une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles, leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société IPCOM sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE 40.000 euros chacune, et aux sociétés IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0, 15.000 euros chacune, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

LE PRÉSIDENT,

Rejette les exceptions de nullité des assignations,

Déboute les sociétés XIAOMI HK LIMITED, XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE, IHEALTHLABS EUROPE, MODELABS MOBILES et RETAIL 2.0 de leurs fins de non-recevoir,

Constate que les demandes formulées en référé par la société IPCOM GmbH et Co. KG sont disproportionnées,

Dit par conséquent n'y avoir lieu à référé ;

Déboute les sociétés XIAOMI HK LIMITED et XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE de leurs demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour procédure abusive et en publication ;

Condamne la société IPCOM GmbH et Co. KG aux dépens ;

Condamne la société IPCOM GmbH et Co. KG à payer à la société XIAOMI HK LIMITED 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société IPCOM GmbH et Co. KG à payer à la société XIAOMI TECHNOLOGY FRANCE 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société IPCOM GmbH et Co. KG à payer à la société IHEALTHLABS EUROPE 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société IPCOM GmbH et Co. KG à payer à la société MODELABS MOBILES 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société IPCOM GmbH et Co. KG à payer à la société RETAIL 2.0 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait à [Localité 7] le 20 janvier 2020

Le Greffier,Le Président,

Marjorie BERNABÉGilles BUFFET


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/60317
Date de la décision : 20/01/2020

Analyses

Proportionnalité et FRAND


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-01-20;19.60317 ?
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