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11/09/2019 | FRANCE | N°19/56082

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 11 septembre 2019, 19/56082


T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

No RG 19/56082 - No Portalis 352J-W-B7D-CQCVO

No: 1/FF

Assignation du :
20 Juin 2019

J U G E M E N T
rendu le 11 septembre 2019

en état de référé (article 487 du Code de procédure civile) par le Tribunal de Grande Instance de PARIS, composé de :

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Nathalie SABOTIER, Première Vice-Présidente Adjointe
Gilles BUFFET, Vice-Président

Assisté de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier,

dans l'instance opposant :

BA

YER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH
[Adresse 1]
[Adresse 1] (ALLEMAGNE)

BAYER ANIMAL HEALTH GMBH
[Adresse 2]
[Adresse 2] (ALLEMAGNE)

rep...

T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

No RG 19/56082 - No Portalis 352J-W-B7D-CQCVO

No: 1/FF

Assignation du :
20 Juin 2019

J U G E M E N T
rendu le 11 septembre 2019

en état de référé (article 487 du Code de procédure civile) par le Tribunal de Grande Instance de PARIS, composé de :

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Nathalie SABOTIER, Première Vice-Présidente Adjointe
Gilles BUFFET, Vice-Président

Assisté de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier,

dans l'instance opposant :

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH
[Adresse 1]
[Adresse 1] (ALLEMAGNE)

BAYER ANIMAL HEALTH GMBH
[Adresse 2]
[Adresse 2] (ALLEMAGNE)

représentées par Maître Laetitia BENARD, avocat au barreau de PARIS - #J0022

à :

S.A. CEVA SANTE ANIMALE
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentée par Maître Benoît STROWEL et Maître Amandine METIER, avocats au barreau de PARIS - #P512

DÉBATS

A l'audience du 10 Juillet 2019 présidée par Florence BUTIN, Vice-Présidente, tenue publiquement

LE TRIBUNAL

EXPOSE DU LITIGE

Le groupe pharmaceutique et chimique allemand BAYER se présente comme ayant notamment pour activités la recherche et le développement de produits pharmaceutiques, de produits de santé destinés au grand public, de produits phytopharmaceutiques et de produits de santé animale. Il revendique la position de leader mondial dans ce secteur et une présence dans les 5 continents.

La société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH, chargée de la protection des droits de propriété intellectuelle du groupe BAYER, est titulaire du brevet européen EP 2164496 - ci-après EP'496 - ayant pour intitulé « Formulations contenant des triazinones et du fer », dont la demande a été déposée le 21 mai 2008 sous priorité de la demande de brevet allemande no102007025908 du 1er juin 2007. Le brevet EP 496 a été délivré le 12 avril 2017, et a été maintenu en vigueur par le paiement régulier des annuités.

Le brevet EP 496 concerne des formulations contenant des composés triazinones - tels que le toltrazuril - et des composés de fer tels que le fer (III) dextrane, destinées au traitement de la coccidiose et des états de carences en fer chez les animaux de ferme dont plus particulièrement les porcelets.

Le 11 janvier 2018, la société CEVA SANTE ANIMALE (ci-après CEVA) a formé opposition à l'encontre du brevet EP 496 aux motifs que l'objet des revendications 1 à 17 s'étendrait au-delà du contenu de la demande telle que déposée, que l'invention ne serait pas exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter et enfin, que le brevet serait dépourvu d'activité inventive. L'avis préliminaire de la division d'opposition est daté du 4 octobre 2018.
Par décision du 16 mai 2019, l'opposition a été rejetée à l'issue d'une procédure orale et le brevet maintenu dans sa version telle que délivrée. La société CEVA a formé appel de cette décision qu'elle estime infondée.

La société BAYER ANIMAL HEALTH GMBH (ci-après BAYER AH), titulaire depuis le 18 juin 2019 d'une licence l'autorisant à exploiter le brevet EP 496, a déposé une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit vétérinaire nommé BAYCOX IRON®, consistant en une combinaison de toltrazuril et d'un complexe de fer (III) dextrane en tant que substances actives et le 21 mars 2019, le Comité pour les spécialités pharmaceutiques à usage vétérinaire a rendu un avis positif recommandant la délivrance d'une AMM pour la spécialité vétérinaire BAYCOX IRON 36 mg/ml + 182 mg/ml en suspension injectable.
Le 20 mai 2019, cette autorisation a été délivrée pour le territoire de l'Union européenne et le produit a commencé à être commercialisé en France le 13 juin 2019.

Le groupe français CEVA SANTE ANIMALE, représenté en France par la société CEVA ANIMALE SA, se présente comme un acteur majeur de ce domaine et le premier laboratoire vétérinaire en France, occupant désormais la 6ème place au niveau mondial. Il est implanté dans 42 pays et dispose de 13 centres de recherche et de développement, de 21 sites de production et plus de 3.000 collaborateurs dans le monde entier. Ses activités se concentrent autour de la recherche, du développement, de la fabrication, de la commercialisation et du marketing de produits pharmaceutiques et vaccins pour les animaux de compagnie, les volailles, les ruminants et les porcs.

La société CEVA a développé une formulation injectable - suspension aqueuse - ayant comme principes actifs une combinaison de toltrazuril et de fer (III) dextrane, utilisée dans une préparation pharmaceutique indiquée pour le traitement des coccidioses et de l'anémie des porcelets.

Le 10 novembre 2017, la société CEVA a adressé à la société BAYER IP une lettre faisant état, au visa de l'article L. 615-9 du code de la propriété intellectuelle, de son intention de commercialiser « une formulation vétérinaire injectable contenant une combinaison de toltrazuril et de dérivés complexes de fer (III)-dextrane en tant que principes actifs (?) utilisée pour la préparation d'un produit pharmaceutique qui sera autorisé pour le traitement de la coccidiose et de l'anémie chez les porcelets », sous la marque FORCERIS ®, précisant qu'après leur lancement, ces activités de production seraient menées sur le territoire français et seraient préparatoires à la prochaine commercialisation du produit dans plusieurs pays d'Europe et du reste du monde. Elle indiquait estimer que les activités précitées étaient hors du monopole de la société BAYER, l'étendue de la protection conférée par le brevet EP 496 étant selon elle clairement limitée à des formulations orales et à leur usage pour un traitement oral des infections à coccidies et des carences en fer, ne faisant donc pas obstacle à la production et à la commercialisation d'une formulation injectable.

Le 18 décembre 2017, la société BAYER IP a répondu que ce courrier ne lui paraissait pas respecter les conditions posées par l'article L. 615-9 précité, de sorte que le point de départ du délai pour engager une éventuelle action en déclaration de non-contrefaçon n'aurait pas commencé à courir, et qu'elle ne souscrivait pas à l'interprétation des revendications retenue par la société CEVA dont la formulation, telle que décrite, reproduisait selon elle la revendication 11 du brevet EP 496.

Par acte du 26 décembre 2017, la société BAYER IP a fait assigner en référé la société CEVA SANTE ANIMALE en vue d'obtenir qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte « de fabriquer, de détenir, d'importer, d'offrir à la vente et de vendre sur le territoire national, des préparations pharmaceutiques consistant en une combinaison de toltrazuril et d'un complexe de fer (III)-dextrane, en particulier pour le traitement de l'anémie et la coccidiose chez les porcelets, ainsi que tout autre formulation pharmaceutique tombant notamment sous le coup des revendications 1, 11 et 13 du brevet européen EP no 2 164 496 ».

Ces demandes ont été rejetées par ordonnance rendue le 5 avril 2018 aux motifs d'une part, que la commercialisation imminente du produit litigieux n'était pas établie par le seul courrier du 10 novembre 2017 précité, et d'autre part, qu'en cas d'application thérapeutique ultérieure d'une substance ou d'une composition, les résultats mentionnés dans un brevet servent à apprécier la contribution technique de celui-ci et donc sa validité mais également, en tant que préalable nécessaire à la détermination de sa portée, qu'au cas d'espèce l'ensemble des exemples est consacré à la préparation orale de la combinaison des triazinones de formule (II) ou (III) et des composés complexes polynucléaires de fer (III) polysaccharidéen en vue de son administration à des porcelets, et que « le seul problème à résoudre dans le brevet est la préparation de cette juxtaposition de deux principes actifs déjà connus pour un traitement sous forme orale, de sorte que la caractéristique omise dans la revendication 1 posera problème au regard de la validité du brevet EP 496 ».

Par acte d'huissier en date du 31 janvier 2018, la société CEVA SANTE ANIMALE a parallèlement fait assigner la société BAYER IP en déclaration de non contrefaçon aux fins de voir juger que les activités de fabrication et de commercialisation envisagées n'entraient pas dans le champ de la protection conférée par le brevet EP 496. Cette procédure est enregistrée sous le no RG18/1633. Aux termes de ses conclusions no1 notifiées le 29 octobre 2018, celle-ci a opposé l'irrecevabilité de l'action et à titre subsidiaire, demandé au tribunal de juger que les compositions vétérinaires de la société CEVA reproduisent à tout le moins les revendications 1, 8, 9, 10, 11, 13 et 14 du brevet européen no 2 164 496, sans former à ce stade de demande réparatrice et indemnitaire.

Après avis du Comité pour les spécialités pharmaceutiques à usage vétérinaire rendu le 21 février 2019 relatif au produit vétérinaire FORCERIS 30 mg/ml + 133 mg/ml en suspension injectable pour porcelets, une autorisation de mise sur le marché centralisée a été délivré pour le produit « FORCERIS ? TOLTRAZURIL / GLEPTOFERRON ».

Le 16 mai 2019, le conseil néerlandais de la société BAYER IP a adressé une lettre de mise en demeure à la société CEVA l'intimant notamment de s'abstenir de lancer, d'annoncer la vente, d'offrir et de délivrer le produit FORCERIS® en Europe et/ou aux Pays-Bas, pays dans lequel une procédure d'interdiction provisoire a été engagée par les sociétés BAYER.
Une audience était fixée le 27 août 2019 devant la juridiction de LA HAYE.

Des procédures aux mêmes fins ont également été initiées par le groupe BAYER en Italie et au Danemark.

La société CEVA SANTE ANIMALE a indiqué sa décision de suspendre provisoirement la commercialisation du produit vétérinaire FORCERIS® d'abord aux Pays-Bas - ce par un mail daté du 19 mai 2019 - puis en Allemagne, pays pour lequel elle s'est engagée par courrier du 4 juin 2019 à s'abstenir de mettre sur le marché « des médicaments portant sur une formulation contenant en tant que principes actifs du toltrazuril et du fer (III) sous forme de Gleptoferron » sous réserve de pouvoir mettre fin à cette obligation à tout moment sans motif en adressant un préavis de deux mois à la société BAYER.

S'agissant de la France la société BAYER IP a, selon deux ordonnances rendues le 17 mai 2019 par le président de la formation saisie de l'affaire au fond actuellement pendante, été autorisée à faire diligenter une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société CEVA à [Localité 1] (33). Ces opérations se sont déroulées le 20 mai 2019 et le même jour, la partie saisie a été autorisée par le président de la 3e chambre, 3e section ayant rendu l'ordonnance, à faire assigner la société BAYER IP aux fins d'obtenir le prononcé de mesures destinées à préserver la confidentialité de certains éléments.

Le 21 mai 2019, la société CEVA a fait assigner la société BAYER IP en référé aux fins de voir juger que les informations protégées au titre du secret des affaires devraient être placées sous séquestre dans l'attente d'une décision au fond sur la contrefaçon du brevet EP 496, ordonner à la partie saisissante de ne pas faire usage, en France comme à l'étranger, du procès-verbal de saisie-contrefaçon si la liste des pays d'exportation qu'il contenait n'était pas caviardée et à titre subsidiaire, désigner un expert afin d'examiner les informations sous scellées et de déterminer celles pouvant être communiquées.
Ces demandes ont été partiellement accueillies par ordonnance rendue le 7 juin 2019, l'huissier étant autorisé à ouvrir les scellés (à l'exception de celui constituant l'annexe 5 du procès-verbal, relative à des documents commerciaux internes à la société CEVA) sans organisation d'une expertise de tri.

C'est dans ce contexte que par assignation délivrée le 20 juin 2019 à la société CEVA SANTE ANIMALE, dont les termes ont été repris et complétés oralement à l'audience du 10 juillet 2019, les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH et BAYER ANIMAL HEALTH demandent autribunal statuant en référé de :

Vu les articles 485, 488 et 493 du code de procédure civile,
Vu l'article 138 de la Convention sur le brevet européen ;
Vu les articles L. 613-3, L. 615-1, L. 615-7 et L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle ;
Vu le brevet européen no 2 164 496 ;
Vu l'ordonnance du 5 avril 2018 ;

DIRE ET JUGER que la société CEVA SANTE ANIMALE a commis des actes de contrefaçon ou s'apprête à commettre des actes de contrefaçon du brevet européen no 2164 496 en fabriquant, exportant, offrant, mettant dans le commerce, utilisant et détenant aux fins précitées le produit FORCERIS® ;

INTERDIRE à la société CEVA SANTE ANIMALE jusqu'au 21 mai 2028 inclus de fabriquer, importer, exporter, transborder, offrir en vente, mettre sur le marché, utiliser et détenir aux fins précitées, des compositions pharmaceutiques reproduisant le brevet européen no 2 164 496, sous astreinte de 1.000 euros par conditionnement fabriqué, importé, exporté, transbordé, offert en vente, commercialisé, utilisé ou détenu, quelle que soit sa forme de conditionnement, à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

ORDONNER à la société CEVA SANTE ANIMALE de rappeler et/ou de retirer des réseaux de distribution toute composition vétérinaire fabriquée, importée, exportée, transbordée, offerte en vente, commercialisée, utilisée et détenue aux fins précitées, reproduisant le brevet européen no 2 164496, sous astreinte de 500 euros par conditionnement non rappelé ou non retiré des réseaux de distribution, à compter d'un délai de 48 heures suivant la date de la signification de la décision à intervenir ;

CONDAMNER la société CEVA SANTE ANIMALE à payer à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH à titre de dommages et intérêts provisionnels la somme de 986.950,36 euros, en réparation des actes de contrefaçon commis jusqu'à la fin du mois de mai 2019, sauf à parfaire ;

CONDAMNER la société CEVA SANTE ANIMALE à payer à la société BAYER ANIMAL HEALTH GMBH à titre de dommages et intérêts provisionnels la somme de 1.982.928,98 euros, en réparation des actes de contrefaçon commis jusqu'à la fin du mois de mai 2019, sauf à parfaire ;

AUTORISER la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH et la société BAYER ANIMAL HEALTH GMBH à demander que toute composition vétérinaire reproduisant le brevet européen no 2 164 496 soit remise à tout huissier de leur choix, aux seuls frais de la société CEVA SANTE ANIMALE, afin d'empêcher leur introduction dans les circuits commerciaux et la poursuite d'actes de contrefaçon et par conséquent de :
- autoriser la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH et la société BAYER ANIMAL HEALTH GMBH à faire procéder par tout huissier instrumentaire de son choix, à la saisie réelle de toute composition vétérinaire reproduisant le brevet européen no 2 164 496 dans les locaux de la société CEVA SANTE ANIMALE et en tous endroits dans lesquels les opérations révéleraient la présence de produits contrefaisants, afin que ces produits soient conservés sous le contrôle de l'huissier en tout lieu de stockage approprié ;

- autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister d'un officier de police ou de tout représentant de la force publique qui pourra procéder même en dehors de sa circonscription, et de tout expert du choix de la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH ou de la société BAYER ANIMAL HEALTH GMBH, autres que les subordonnés de la demanderesse ;
- autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister par un serrurier, par un informaticien et par toute personne de son étude ;
- autoriser l'huissier instrumentaire à poursuivre, en cas de besoin, ses opérations au-delà de la fin du premier jour ; dans ce cas, autoriser l'huissier instrumentaire à apposer les scellés sur les produits pertinents et, d'une façon générale, à apposer tous scellés ou autres moyens dans le but de préserver, sauvegarder et conserver toute composition vétérinaire reproduisant le brevet européen EP 2 164 496 à saisir dans les lieux de la saisie ;
- autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister par un manutentionnaire, emballeur et conducteur pour le transport des produits saisis et autoriser l'huissier instrumentaire à apporter tout moyen de transporter sur les lieux de la saisie.

ORDONNER à la société CEVA SANTE ANIMALE, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification de la décision à intervenir, à communiquer tous documents ou informations détenus par la société CEVA SANTE ANIMALE afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des compositions vétérinaires reproduisant brevet européen no 2164496, et notamment (i) les noms et adresses des fabricants, grossistes, importateurs et autres détenteurs antérieurs de ces produits, (ii) les quantités produites, importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants ;

ORDONNER à la société CEVA SANTE ANIMALE de communiquer à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH et la société BAYER ANIMAL HEALTH GMBH, par écrit et sous une forme appropriée (divisés en trimestres de l'année calendaire), les documents comptables, certifiés par un commissaire aux comptes, indiquant l'étendue des actes de contrefaçon précités commis par la société CEVA SANTE ANIMALE sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification de la décision à intervenir ;

ORDONNER la publication de l'intégralité de la décision, aux frais exclusifs de la société CEVA SANTE ANIMALE, sous la forme d'un document PDF reproduisant l'entière décision et accessible par un lien hypertexte apparent situé sur la page d'accueil du site Internet de la société CEVA SANTE ANIMALE, quelle que soit l'adresse permettant d'accéder à ce site Internet, le titre du lien étant, dans la langue appropriée :
«Le Président du tribunal de grande instance de PARIS a ordonné une interdiction provisoire, interdisant a la société CEVA de commercialiser en France des produits vétérinaires pour le traitement simultané de l'anémie et de la coccidiose chez les porcelets en contrefaçon des droits de la société Bayer Intellectual Property GmbH, et condamnant cette dernière au paiement de la somme provisionnelle de [a compléter] ? en réparation des préjudices correspondants ».
dans une police de taille 20 (vingt) au moins, pendant 6 (six) mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;

DIRE que le Président sera compétent pour statuer, s'il y a lieu, sur la liquidation des astreintes ;

CONDAMNER la société CEVA SANTE ANIMALE à payer a la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH et la société BAYER ANIMAL HEALTH GmbH. la somme de 200.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sauf a parfaire ;

CONDAMNER la société CEVA SANTE ANIMALE aux entiers dépens et dire que ceux-ci pourront être recouvrés directement par Me Laetitia BENARD, avocat, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience du 10 juillet 2019, la société CEVA SANTE ANIMALE demande au juge des référés de :

Vu l'article 771 du code de procédure civile,

SE DECLARER incompétent et inviter les sociétés du groupe BAYER à mieux se pourvoir devant le juge de la mise en état saisi du litige sur le fond (3e chambre, 3e section, RG 18/1633) ;

Vu les articles 122 et 488 du code de procédure civile, l'article 1355 du code civil, les articles L615-2 et L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle, si le président du tribunal s'estime compétent :

DECLARER la société BAYER IP GmbH irrecevable en ses demandes en raison de l'autorité de chose jugée de l'ordonnance rendue le 5 avril 2018 ;

DECLARER irrecevable à agir la société BAYER ANIMAL HEALTH, licenciée non exclusive, en référé interdiction provisoire ;

REJETER à titre subsidiaire, l'ensemble des demandes des sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY et BAYER ANIMAL HEALTH ;

CONDAMNER, in solidum, les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY et BAYER ANIMAL HEALTH au paiement d'une somme de 200.000 euros à la société CEVA SANTE ANIMALE ;

CONDAMNER in solidum, les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY et BAYER ANIMAL HEALTH aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

A l'audience, les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY et BAYER ANIMAL HEALTH ont ajouté qu'au regard des circonstances nouvelles survenues depuis cette décision, elles sollicitaient que l'ordonnance de référé rendue le 5 avril 2018 soit rapportée et que les mesures provisoires sollicitées soient prononcées.

L'affaire a été plaidée le 10 juillet 2019 et mise en délibéré au 11 septembre 2019.

Par courrier électronique daté du 24 juillet 2019, les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY et BAYER ANIMAL HEALTH ont sans y avoir été préalablement autorisées, communiqué à la juridiction des référés d'une part, la décision motivée de la division d'opposition de l'OEB en date du 16 juillet 2019 ainsi que sa traduction en langue française et d'autre part, une ordonnance rendue ex parte par la section des brevets du tribunal de commerce de Barcelone le 17 juillet 2019 et ordonnant - sous réserve du règlement d'une caution mise à la charge de la demanderesse - aux sociétés CEVA SANTE ANIMALE SA et CEVA SALUD ANIMAL de s'abstenir de fabriquer, d'offrir, d'introduire sur le marché, d'utiliser ou d'importer le médicament FORCERIS suspension injectable.

Ces deux décisions ayant été communiquées dans des conditions permettant à la défenderesse de présenter les observations qu'elle estimait utiles, ce qu'elle a fait aux termes d'un courrier électronique adressé à la juridiction des référés le 25 juillet 2019, elles n'ont pas lieu d'être écartées des débats dont la réouverture n'est néanmoins pas apparue nécessaire en ce qu'elles ne reposent ni sur des faits nouveaux, ni des arguments qui n'auraient pas été débattus dans le cadre de la présente instance.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

1- Sur la compétence du juge des référés et la recevabilité des demandes :

La société CEVA soutient qu'en application de l'article 771 du code de procédure civile, le juge de la mise en état saisi de l'action au fond pendante devant la 3ème section de la 3ème chambre - RG 18/1633, dans le cadre de laquelle la question de la mise en ?uvre par CEVA des revendications du brevet EP 496 est posée - est seul compétent pour connaître de la demande d'interdiction provisoire. Elle estime que les sociétés BAYER ont agi par pur opportunisme procédural pour éviter une date d'audience plus lointaine et se réserver la possibilité d'interjeter appel de la décision à intervenir, ce qui est d'autant plus évident qu'une précédente demande d'interdiction fondée sur le même titre a précédemment été rejetée.

La défenderesse soutient ensuite que l'autorité de chose jugée dont est revêtue l'ordonnance de référé du 5 avril 2018 s'oppose à la recevabilité des demandes de la société BAYER IP en application de l'article 1355 du code civil, ce au regard de l'identité de parties - s'agissant de BAYER IP - d'objet et enfin de cause en ce que les fondements de l'action sont également les mêmes. Elle rappelle les dispositions de l'article 488 alinéa 2 du code de procédure civile en application duquel une ordonnance de référé ayant autorité de chose jugée ne peut être modifiée ou rapportée qu'en cas de circonstances nouvelles dont il n'est pas justifié.

Elle estime enfin que l'action introduite par la société BAYER AH est identiquement irrecevable en application de l'article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle dès lors que cette dernière est licenciée non exclusive des droits sur le brevet européen no 2164496 en vertu d'un contrat soumis au droit français et daté du 18 juin 2019.

Les sociétés BAYER opposent à ces arguments sur la compétence, qu'aucun juge de la mise en état n'est encore saisi dans le cadre de l'action en contrefaçon engagée pour laquelle l'assignation délivrée n'est pas encore placée, qu'elle n'a pas formé de demande reconventionnelle dans le cadre de l'action en déclaration de non-contrefaçon à l'occasion de laquelle il n'existe pas de faits précis allégués et discutés, et que c'est dans un objectif évident de contrôle qu'en application de l'article 812 du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée.
Elle ajoute que la jurisprudence admet qu'en cas d'action en nullité d'un titre, le juge de la mise en état saisi n'est pas compétent pour ordonner des mesures fondées sur l'atteinte aux droits qu'il confère dès lors qu'aucune demande reconventionnelle en contrefaçon n'est formée.

Sur la recevabilité, les demanderesses soulignent que l'ordonnance de référé du 5 avril 2018 refusant de prononcer les mesures d'interdiction réclamées se fonde uniquement sur l'absence d'atteinte imminente établie et que c'est seulement « à titre superfératoire » qu'est évoquée l'absence de vraisemblance de la contrefaçon alléguée, ce au regard de la portée du brevet et des conséquences susceptibles d'en résulter sur sa validité.

Sur ce,

1o- compétence :

L'article 771 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est jusqu'à son dessaisissement seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1. Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et sur les incidents mettant fin à l'instance ;
2. Allouer une provision pour le procès ;
3. Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ;
4. Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5. Ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction.

Le principe selon lequel le juge de la mise en état de la formation saisie d'une action au fond a vocation à connaître des demandes de mesures provisoires s'y rapportant, nonobstant l'existence de la procédure prévue à l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle, n'est pas discuté.

L'action en déclaration de non-contrefaçon prévue par l'article L.615-9 du code de la propriété intellectuelle, de type déclaratoire, permet à un opérateur économique de saisir le juge pour le conduire à se prononcer sur le point de savoir si l'exploitation industrielle qu'il envisage entre ou non dans le champ du titre identifié comme susceptible d'y faire obstacle. Dans le cadre de cette procédure, le breveté peut à titre reconventionnel former une demande en contrefaçon - qui présente en effet un lien suffisant avec les prétentions initiales - pour autant que l'activité en cause ne soit pas limitée à de simples préparatifs.

Il ne peut cependant être reproché dans ce cadre à la société BAYER IP, ni d'avoir sollicité l'autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon du président de la formation saisie de l'action en déclaration de non-contrefaçon, ce que lui imposait en effet l'article 812 alinéa 3 du code de procédure civile évoquant de façon générale « les requêtes afférentes à une instance en cours », ni d'avoir par sécurité juridique engagé une action en contrefaçon par voie d'assignation distincte dans le délai prescrit par l'article R.615-3 du code de la propriété intellectuelle.

Le fait que cette nouvelle instance n'ait pu en l'état être jointe à la première en raison de l'absence de placement de l'acte délivré procède enfin d'une stratégie procédurale qui aussi opportuniste soit-elle, n'a pas lieu d'être sanctionnée dès lors qu'elle ne constitue pas une violation caractérisée des principes de loyauté régissant le procès civil.

L'exception d'incompétence soulevée par la société CEVA ne peut en conséquence être accueillie.

2o- recevabilité des demandes :

L'article 1355 du code civil dispose que « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement.
Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».

Et selon l'article 488 alinéa 2 du code de procédure civile « l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.
Elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles ».
Enfin aux termes des articles L.615-2 du code de la propriété intellectuelle, l'action en contrefaçon est exercée par le propriétaire du brevet. Le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation peut, sauf stipulation contraire du contrat de licence, exercer l'action en contrefaçon si, après mise en demeure, le propriétaire du brevet n'exerce pas cette action.

C'est à juste titre que la défenderesse invoque l'identité de parties, de cause et d'objet de la présente action en référé-interdiction, ce qui est du reste admis par les sociétés BAYER qui ont oralement complété leurs prétentions en sollicitant que l'ordonnance précédemment rendue soit rapportée.

Les demandes aux fins d'interdiction et mesures subséquentes, qui sont recevables en présence d'éléments nouveaux constitués par un début de commercialisation des produits litigieux et le maintien par la division d'opposition de l'OEB du brevet tel que délivré, seront donc examinées sur le fondement de l'article 488 du code de procédure civile.

La société BAYER AH, dont il est établi qu'elle ne bénéficie pas d'une licence exclusive et qui surtout n'est pas partie à l'instance en référé initialement engagée, sera dans ce cadre déclarée irrecevable.

3- bien fondé des demandes d'interdiction et autres mesures provisoires sollicitées :

La société BAYER expose sur le contexte que la société CEVA a lancé une campagne publicitaire d'ampleur et divulgué le futur emballage de son produit, dont la commercialisation imminente a été confirmée par de nombreuses publications de tiers dans la presse spécialisée en Europe, et a compte-tenu de l'issue de la procédure orale devant l'OEB renoncé à l'organisation le 21 mai 2019 d'un événement d'information promotionnelle prévu aux Pays-Bas.
Elle précise que la différence entre la solution selon le brevet et l'état de la technique le plus proche réside dans le fait d'une part, que l'administration des complexes de fer est directement liée à celle de la triazinone, et d'autre part, que les deux composés sont combinés en une seule formulation.
Elle souligne l'absence dans le brevet de toute mention explicite ou implicite selon laquelle des modes d'administration autres que par voie orale seraient hors du champ de l'invention ou ne conviendraient pas à la formulation des compositions vétérinaires revendiquées, et que la portée du titre est inexactement limitée par la défenderesse à des exemples ou à des modes de réalisation préférés.

Elle fait valoir qu'une revendication dont le sens et la portée sont clairs ne saurait être interprétée comme incluant une caractéristique limitative qui découlerait prétendument du contenu de la description.

Sur la validité du brevet, il est soutenu pour l'essentiel que :
-l'objet de la revendication 1 ne s'étend pas au-delà du contenu de la demande telle que déposée, puisque les modes de réalisation correspondants étaient à l'origine décrits comme des alternatives dans la dite revendication ;
-le critère de plausibilité associé à l'analyse de suffisance de description ne trouve à s'appliquer que pour les revendications de nouvelle application thérapeutique, alors qu'en l'espèce il s'agit d'une revendication de produit ;
-le brevet EP 496 fournit les informations permettant de reproduire les formulations revendiquées ;

-à supposer que le critère de plausibilité auquel se réfère la société CEVA soit applicable, il serait conclu en ce cas que le contenu du brevet EP 496 rend plausible le fait que les formulations revendiquées présentent une efficacité simultanée pour le traitement de la coccidiose et de l'anémie chez les animaux ;
-le brevet EP 496 procède d'une activité inventive en ce que si les dérivés de triazinones comme le toltrazuril et les composés complexes de fer(III) revendiqués étaient connus depuis plus de 17 ans avant la date de priorité du brevet EP 496, personne n'avait jamais envisagé de combiner ces deux composés en une seule formulation et cette combinaison n'est aucunement suggérée par les documents de l'art antérieur cités par la société CEVA, lesquels au contraire, ont découragé l'homme du métier de mettre au point une formulation comprenant à la fois des triazinones et des composés de fer puisqu'il était accepté de façon générale qu'une telle formulation combinée ne permettrait pas de répondre au mode d'administration adapté à chacune de ces deux substances actives.

La société BAYER estime enfin que le brevet EP 496 est manifestement contrefait au regard de la formule que met en ?uvre le médicament vétérinaire FORCERIS® de la société CEVA en ce que d'une part, le toltruzaril est une triazinone - et plus spécifiquement une triazinetrione - qui relève de la revendication 1, et d'autre part, le gleptoferron est un composé complexe polynucléaire de fer (III)-polysaccharide, qui relève également de la revendication 1, étant observé que la société CEVA admet elle-même cet état de fait en reconnaissant que la seule différence entre sa composition et celle de la revendication 1 serait son caractère injectable.

La société CEVA conclut au rejet des demandes de mesures provisoires, au double motif que :

1o- la validité du brevet n'est pas acquise, en ce que l'administration certes séparée mais concomitante des deux substances toltrazuril et complexe de fer faisait partie du protocole de routine en vigueur avant la date de priorité du brevet européen no 2 164 496 mis en place à la naissance de porcelets, et la société BAYER a fait état d'un prétendu problème justifiant de les combiner dans une formulation unique alors qu'en réalité, il s'agissait de pallier des inconvénients tenant non pas aux formulations utilisées mais au mode d'administration du produit. L'administration du toltrazuril et du fer par rapport à l'administration du fer seul était déjà connue dans l'art antérieur et les tests réalisés ne montrent aucun effet bénéfique supplémentaire de la formulation par combinaison des deux principes actifs. L'invention objet du brevet EP 496 n'est donc autre que la juxtaposition de moyens connus sans qu'un quelconque effet supplémentaire - synergique - à ceux déjà identifiés ne puisse être invoqué et si le champ du brevet couvre des formulations administrées autrement que par voie orale, alors l'invention est insuffisamment décrite.

2o-la reproduction des revendications no 1, 8, 9, 10, 11, 13 et 14 du brevet européen no 2 164 496 n'est pas vraisemblable dès lors que l'ensemble de la description du brevet tend à démontrer que la formulation recherchée est une formulation par voie orale, à laquelle se rapportent tous les exemples de réalisation, et qui a été constamment mentionnée par le breveté pour justifier l'apport de l'invention dans le cadre de la procédure de délivrance non seulement devant l'OEB mais aussi devant les offices canadien et indien, alors que le FORCERIS ® est destiné à une administration parentérale dont le brevet invoqué met en évidence les nombreux inconvénients. La société CEVA ajoute que le monopole attaché à un brevet ne peut que refléter la contribution technique qu'il prétend apporter.

Enfin et subsidiairement, la société CEVA conteste le mode de calcul fondant les demandes indemnitaires formées à titre provisionnel.

Sur ce,

L'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. La juridiction civile compétente peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.
La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. Si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages et intérêts, la juridiction peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu contrefacteur, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun. Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes.
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable.

Saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées.
Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l'engagement d'une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. A défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés.
Le juge des référés saisi de telles demandes doit dans ce cadre apprécier le caractère sérieux des arguments présentés en défense, susceptibles de porter sur la matérialité de la contrefaçon et sur la validité du brevet, et évaluer la proportion qui existe entre la contestation de l'atteinte alléguée et les mesures provisoires sollicitées au regard des risques encourus par chacune des parties.

La contestation relative au titre lui-même n'a lieu d'être examinée que si il existe d'une part, une atteinte imminente établie et d'autre part, une contrefaçon vraisemblable.

1o- Sur l'atteinte imminente ou l'existence des actes argués de contrefaçon :

Par un communiqué daté du 25 avril 2019 (pièce BAYER 22), la société CEVA a annoncé le lancement du produit FORCERIS « la première combinaison injectable autorisée de gleptoferron et de toltrazuril en Europe».

Les sociétés BAYER versent par ailleurs aux débats un extrait de la base de données de l'association interprofessionnelle d'étude du médicament vétérinaire, montrant que 520 unités (flacons) du produit FORCERIS suspension injectable 100 ml et 810 unités de 250 ml ont été vendues en mai 2019 (pièce BAYER 60).

Ce début de commercialisation sur le territoire français n'est du reste pas contesté par la société CEVA.

La première condition requise par les dispositions de l'article L.615-3 précité du code de la propriété intellectuelle - soit l'imminence ou la mise en ?uvre avérée des actes argués de contrefaçon sur le territoire protégé par le brevet - est donc remplie.

2o- Sur la vraisemblance de la contrefaçon alléguée :

Il est exposé dans la description du brevet que l'invention concerne des formulations contenant des triazinones et des composés de fer (sels et composés complexes de fer), selon la revendication 1, qui sont appropriées pour lutter simultanément contre les coccidioses et les états de carence en fer chez les animaux ([0001]), ce dans le contexte de l'élevage intensif.

Dans ce cadre, les jeunes porcelets sont en effet notamment sujets d'une part, aux infections à protozoaires de type coccidioses et d'autre part, à des états de carence en fer - tenant à leurs conditions d'élevage ainsi qu'à leur croissance rapide - qui doivent respectivement être combattus par des traitements prophylactiques et rééquilibrés par des apports externes, étant précisé toujours selon la description que la valeur minimale d'hémoglobine dans le sang recommandée est de 90 g/l ([0005], ligne 16).
Il est ensuite indiqué que les effets du toltrazuril contre les coccidies sont connus et rapportés par de nombreuses publications. Différents modes d'administration orale de cette substance sont également décrits. Il est précisé ([0012]) que les inconvénients de ces traitements sont la charge de travail importante requise par leur administration par voie orale, et le stress subi par les animaux lors de leur manipulation.

S'agissant du traitement de l'anémie, il existe des préparations de fer qui diffèrent par le type de composé utilisé, son mode d'administration et sa biodisponibilité ([0013]). Les préparations orales de sels de fer de type (I) sont usuelles et connues. Les composés issus du deuxième groupe (II) sont également utilisés. Le troisième groupe de composés administrés principalement par voie parentérale et dans une moindre mesure par voie orale, concerne principalement le fer (III) -dextrane, le fer (III)-hydroxyde-polymaltose, le fer (III)-saccharose et le complexe de gluconate de fer (III) sodique dans une solution de saccharose ([0016]). Il est mentionné que « ces composés de fer trouvent une utilisation presque exclusivement lors de la production des préparations à injecter pour la médecine humaine ou vétérinaire » et qu' « en médecine vétérinaire, on utilise cependant aussi quelques rares préparations destinées à une administration orale » ([0018], lignes 11 à 13). Il est encore indiqué que « l'étendue de la formation de précipités et 1' hydrolyse du noyau de fer sous l'influence de 1' acide gastrique, d'une part, et la stabilité des complexes en milieux réducteurs acides, d'autre part, sont des points décisifs pour la biodisponibilité dans le cas de l'administration orale » (ligne 19 à 24). Il est conclu de ces réflexions « la doctrine selon laquelle les composés Fe(3+) ne sont pas appropriés en général à l'administration par voie orale, et notamment les composés polynucléaires tels que le fer (III) -dextrane » ([0019]). Il est ajouté qu' « un autre motif pour les doutes émis vis-a-vis de l'utilisation par voie orale de complexes polynucléaires de Fe ( 3+) , en particulier le fer (III) -dextrane , est la voie d'absorption spéciale des complexes de ß -FeO (OH) dans le tractus intestinal » ce mécanisme de transfert ne s'opérant efficacement que dans les premières heures de la naissance - selon la littérature disponible, jusqu'à 24 heures après celle-ci pour une efficacité optimale et éventuellement le 2ème jour de vie - [0020] ligne 5 à 17 page 13 de la traduction), l'efficacité étant fortement réduite après 72 heures.

Pour les préparations orales de fer, il est recommandé un dosage de 100 à 200 mg de fer actif par porcelet et unité de dose pour une efficacité suffisante, seule la dose supérieure permettant une prise unique ([0021]).
Pour éviter les complications décrites plus haut lors d'une application par voie orale, il est usuel dans l'élevage des porcs d'administrer les complexes polynucléaires de fer (III) par injection intramusculaire en principe, le 3ème jour suivant la naissance, ce qui présente cependant également une série d'inconvénients tels que des lésions locales, des troubles du muscle cardiaque et une baisse du système immunitaire ([0022], [0023]).

Il est conclu de ce qui précède ([0024]) qu'à la date de dépôt du brevet, les méthodes disponibles pour le traitement de l'anémie chez les porcelets présentent chacune des inconvénients, à savoir :
-dans le cas de l'administration orale, une biodisponibilité moindre et si de meilleurs résultats sont observés avec le fer (III), elle requiert cependant qu'il soit administré idéalement dans les 10 premières heures de la vie ;
-pour les administrations intramusculaires, un traitement 1 à 3 jours après la naissance donne identiquement de bons résultats, mais génère les effets indésirables et lésions précités.

Dans le cadre d'un traitement parallèle de la coccidiose avec du toltrazuril, les options sont donc :
-l'administration orale de fer (III)- dextrane le jour 1, puis l'administration orale de toltrazuril le jour 3 ;
-l'administration orale le jour 3 de la suspension de toltrazuril, et l'administration d'une formulation à injecter du fer (III)-dextrane, ce avec les inconvénients décrits.

La partie descriptive du brevet poursuit en exposant ([0025]) qu'il serait donc avantageux de disposer de préparations « qui permettraient de réunir les deux options sans les inconvénients décrits, à savoir sans les effets secondaires nocifs tout en ayant une efficacité élevée et fiable. Une préparation appropriée pourrait par exemple être une formulation de la substance active toltrazuril et de fer(III)- dextrane pour l'administration orale à des porcelets dans le délai du 1er au 3ème jour après la naissance.

Les préparations qui devraient réunir les deux options doivent cependant remplir une série de conditions :
- quantité de substance active suffisante : dans une unité dose, il doit y avoir une quantité d'un anticoccidium suffisante pour une efficacité pharmacologique, usuellement de 20 a 70 mg , par exemple 30 mg, 44 mg ou 50 mg de toltrazuril, et au moins 100 mg, mieux cependant au moins 150 mg, de préférence 200 a 250 mg de fer actif (ce qui correspond par exemple a 400 a 600 mg d'un complexe polynucleaire de fer (III)) pour la prophylaxie de l'anémie - ce qui correspond aux dosages recommandes de 20 mg de toltrazuril/kg de poids corporel et 200 mg de fer actif par porcelet. Cela correspond à une concentration de 2 à 7 % m/V de 1' anticoccidium et 10 a 25 % m/V de fer actif dans la formulation (étant entendu que % m/V représente la masse du composant concerné en g pour 100 ml de volume).

- volume de dosage faible pour une administration orale : par exemple, pour les cochons de lait, un volume de dosage d'environ 1 ml est optimal, puisque, en cas de volumes nettement plus élevés, une absorption complète par les porcelets n'est souvent pas garantie. Des quantités de liquide plus importantes sortent souvent de la gueule ou sont vomies.
- consistance appropriée » en ce que la viscosité doit être adaptée à des seringues ou pistolets drogueurs de façon à pouvoir être avalée, mais ne pas sortir de la gueule de l'animal après administration.
- qualité de la formulation et son efficacité lors de l'administration dans un temps plus long après la naissance ;
- une prophylaxie de l'anémie suffisante en cas d'administration unique, la quantité de fer à administrer dans le volume de dose faible mentionné de la préparation combinée devant être suffisante pour pouvoir couvrir le besoin en fer des porcelets après une administration unique dans des conditions d'élevage normales.

Ainsi selon le brevet, « la combinaison des triazinones et des préparations de fer dans une formulation appropriée n'a jusqu'à présent pas encore été décrite » ([ 0026]).

Elle consiste dans l'objet de la revendication 1, libellée comme suit :

1. Formulation contenant des triazinones des formules (I) ou (II)

Les revendications 2 à 12 - de produit - et 13 à 17 - d'utilisation - étant les suivantes :

2. Formulation selon la revendication 1, contenant 1 à 30% (M/V), de préférence 3-7% (M/V), de triazinone.

3. Formulation selon l'une quelconque des revendications précédentes, la triazinone dispersée présentant une grosseur de particule d(v,90) inférieure ou égale à 30 µm, de préférence d(v,90) inférieure ou égale à 20 µm et de manière particulièrement préférée d(v,90) inférieure ou égale à 10 µm.

4. Formulation selon l'une quelconque des revendications précédentes, présentant une concentration en composé du fer de 10% (M/V) à 30% (M/V) de fer actif, de préférence de 11,4% (M/V) à 25% (M/V), de manière particulièrement préférée cependant de 20% (M/V) à 25% (M/V).

5. Formulation selon l'une quelconque des revendications précédentes, présentant une viscosité-mesurée par la formation d'une valeur moyenne à partir des valeurs mesurées à des vitesses de cisaillement de 128 s-1 et de 256 s-1 avec une disposition de cône/plaque d'un rhéomètre - dans une plage de 10 à 2500 mPa.s, de préférence dans 45 une plage de 20 à 1500 mPa.s.

6. Formulation selon la revendication 1 à base d'eau.

7. Formulation selon la revendication 1, contenant au moins un alcool aliphatique polyvalent.

8. Formulation selon l'une quelconque des revendications précédentes, contenant un composé complexe polynucléaire de fer (III)-polysaccharide, dont le noyau de fer polynucléaire est constitué par des unités de ß-FeO(OH) et qui contient des molécules de polysaccharide dans le reste de la sphère de coordination.

9. Formulation selon la revendication 8, contenant un composé complexe polynucléaire de fer (III)-polysaccharide choisi parmi : fer (III)-dextrane, fer (III)-hydroxy-polymaltose/fer (III)-dextrine et un composé non stoechiométrique de ß-FeO(OH) polynucléaire et de saccharose et d'oligosaccharides.

10. Formulation selon l'une quelconque des revendications précédentes, contenant, comme triazinone, une triazinetrione.

11. Formulation selon l'une quelconque des revendications précédentes, la triazinone étant le toltrazuril et le composé complexe polynucléaire de fer (III)-polysaccharide étant le fer (III)-dextrane.

12. Formulations selon l'une quelconque des revendications 1 à 11, contenant une ou plusieurs substances constitutives.
13. Utilisation des formulations selon l'une quelconque des revendications précédentes pour la préparation de médicaments.

14. Utilisation selon la revendication 13 pour la préparation de médicaments pour le traitement simultané d'infections par des coccidies et d'états de carence en fer.

15. Utilisation selon la revendication 13 ou 14 pour la préparation de médicaments pour un traitement par voie orale.

16. Utilisation selon la revendication 15 pour la préparation de médicaments pour le traitement par voie orale de cochons de lait.

17. Utilisation selon la revendication 15 pour la préparation de médicaments pour le traitement par voie orale de porcelets pendant la période de la naissance jusqu'à 10 jours après la naissance, de préférence pendant une période de la naissance jusqu'à 3 jours après la naissance.

Selon la société CEVA, la portée du brevet s'analyse nécessairement comme ne couvrant pas un produit administré autrement que par voie orale. Elle appuie notamment son argumentation sur les passages précités de la description, étant en outre observé que :

-le paragraphe [0035] expose des exemples de dosages de toltrazuril « pour l'administration par voie orale » selon les animaux traités ;
-les exemples de préparations citées au paragraphe [0040] - solutions, suspensions, pâtes ou gels - sont destinés à la voie orale ;
-les composés de fer et concentrations mentionnés au [0047] sont « utilisés usuellement dans les formulations orales ».
-le paragraphe [0050] précise que la quantité de formulation à utiliser par administration dépend de la quantité respective de triazinone et de fer à administrer et qu'il est souhaitable que les volumes « soient relativement petits, facilement administrables per os » autrement dit par voie orale ;
-le paragraphe [0051] préconise une viscosité adaptée à la voie orale ;
-le paragraphe 67 souligne que « les formulations selon l'invention particulièrement préférées permettent un traitement oral des porcelets de telle sorte qu'un approvisionnement suffisant des porcelets en fer dans les quatre premières semaines de vie peut être obtenu avec une unique administration orale ».

Suivent enfin des exemples de préparation ([0073] à [0092]) au nombre de 7, qui sont tous décrits comme destinés à une administration orale.

Les résultats rapportés dans la partie descriptive du brevet sont des essais cliniques réalisés avec les formulations des exemples 2 et 3, sur 270 porcelets divisé en 4 groupes traités 3 jours après la naissance. Les deux formulations administrées oralement d'après l'exemple 2 - l'une préparée à partir de la poudre de fer (III) dextrane - et l'exemple 3 - l'autre préparée à partir d'une solution de fer (III) dextrane - ont permis d'obtenir une valeur d'hémoglobine supérieure à 9g/ml les jours 7, 14 et 21.

Il en est conclu ([0097]) qu' « on peut donc démontrer que l'administration orale unique de 200 mg de fer actif de fer(III)-dextrane en combinaison avec le toltrazuril dans les formulations selon l'invention permet étonnamment - à l'encontre de la doctrine générale et de l'état actuel de la technique - une bonne prévention des symptômes de carence anémique chez les cochons de lait, même en cas d'administration le 3eme jour après la naissance », les formulations s'avérant selon les recherches effectuées tout aussi efficaces contre la coccidiose.

La première question posée préalablement à celle de l'apparente validité du titre invoqué est la portée du brevet EP 496, dont la société BAYER soutient qu'il protège un produit indépendamment de son mode d'administration.

L'article 69 de la CBE prévoit que « l'étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet européen est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications ».

Selon l'article 1 de son protocole interprétatif, ce texte « ne doit pas être interprété comme signifiant que l'étendue de la protection conférée par le brevet européen est déterminée au sens étroit et littéral du texte des revendications et que la description et les dessins servent uniquement à dissiper les ambiguïtés que pourraient receler les revendications. Il ne doit pas davantage être interprété comme signifiant que les revendications servent uniquement de ligne directrice et que la protection s'étend également à ce que, de l'avis d'un homme du métier ayant examiné la description et les dessins, le titulaire du brevet a entendu protéger. L'article 69 doit, par contre, être interprété comme définissant entre ces extrêmes une position qui assure à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de sécurité juridique aux tiers ». L'article 2 prévoit en outre que « pour la détermination de l'étendue de la protection, il est dûment tenu compte de tout élément équivalent à un élément indiqué dans les revendications ».

Selon la société BAYER, ces dispositions ne permettent pas de voir dans la revendication 1 une limitation implicite que son libellé ne suggère pas.
Elle fait valoir que si une caractéristique particulière est essentielle pour définir l'objet de la revendication et qu'elle doit dès lors être incluse dans son libellé, cela implique de démontrer que la protection conférée est trop large et qu'il en résulte une cause de nullité qui précisément, n'a pas été retenue par la division d'opposition dans sa décision du 16 mai 2019 de sorte que le brevet EP 496 ne saurait être limité à un mode de réalisation particulier de l'invention qui serait divulgué uniquement dans la description.

Elle fait enfin observer que seule la revendication 15 porte sur l'utilisation de formulations pour la préparation de médicaments destinés à un traitement par voie orale.

Dans l'avis préliminaire du 4 octobre 2018 (pièce BAYER 13) la division d'opposition expose que :
- il n'existe pas d'élargissement irrecevable de la première revendication par la suppression de la référence à des composés à base de Fe (II) ou de Fe (III) des classes a), b) ou c), pour ne viser désormais que « des composés complexes polynucléaires de fer (III) -polysaccharide » ;
- le brevet est suffisamment divulgué en ce qui concerne les formulations revendiquées selon la revendication 1 ou en ce qui concerne l'utilisation pour la préparation de médicaments (revendication 13), ce au regard des 7 formulations selon l'invention qui permettent à l'homme du métier de la reproduire ;
- quel que soit le document choisi comme état de la technique le plus proche, la différence entre la revendication 1 et la divulgation de ces documents reste toujours que la formulation revendiquée contient deux composants soit le toltrazuril et une préparation à base de fer ; or il est provisoirement crédible qu'il existe au moins les effets techniques suivants pour cette différence : une efficacité améliorée de l'apport complémentaire de fer et de l'augmentation pondérale des porcelets (sur base du brevet litigieux, [95] et tableau 5 à la page 31 de ce document ; D29, en particulier tableaux 8/page 8 et 4/page 6) ; une pharmacocinétique améliorée (sur base du document A33, page 9, tableau 5 ainsi que du document A34) et une simplification du traitement par réduction du nombre d'étapes de travail ;
- le problème à résoudre par le brevet se définit comme la mise à disposition de formulations améliorées pour l'élevage de porcs, et il est provisoirement crédible que le brevet résolve ce problème au regard des données qu'il contient ;
- la solution du problème au sens du brevet comporte une activité inventive, en ce qu'aucun des documents examinés comme état de la technique le plus proche ne contient de motif permettant d'espérer une amélioration du profil pharmacologique de la combinaison toltrazuril-Fe (III)- polysaccharides polynucléaires, que la divulgation spatialement proche du toltrazuril et du Fe-dextran dans A1 ou du toltrazuril et des préparations à base de fer dans A3 est « fortuite » dans le sens ou ces traitements ne se rapportent pas l'un à l'autre ni n'invitent à être considérés en relation l'un avec l'autre et enfin, que le schéma d'administration séquentielle pratiqué depuis des années est un indicateur de la non-évidence de la formulation, de sorte que cette formulation commune montre un effet technique au-delà du simple allègement du travail par deux étapes en une.

La décision motivée du 16 juillet 2019 écarte l'objection d'insuffisance de description en ce qui concerne les formulations parentérales que l'homme du métier peut selon elle aisément réaliser à partir des solutions aqueuses destinées aux utilisations orales divulguées, et qu'en outre « le brevet n'est pas limité conceptuellement aux formulations orales » ce que reflète la structure des revendications présentant l'administration orale comme un mode de réalisation particulièrement préféré.

L'activité inventive est appréciée indépendamment du mode d'administration des formulations décrites et résulte, selon la division d'opposition, d'une part de la simplification du schéma de traitement et d'autre part, de la mise en évidence d'un effet technique de la combinaison revendiquée - l'amélioration de la supplémentation en fer chez les porcelets - « lorsque les deux principes actifs sont administrés en une seule fois à un moment ultérieur dans une seule formulation ». La validité de la revendication 1 n'est donc pas examinée dans la perspective d'une protection qui serait limitée à des formulations administrées par voie orale.

Ainsi que le souligne à juste titre la société CEVA et comme il est illustré plus haut, l'ensemble de la description ainsi que les exemples de formulations exposés font référence à une administration par voie orale du traitement combiné.

L'art antérieur décrit par le brevet fait état de ce qu'à la date de priorité, il était tenu pour acquis que les composés de fer (III) n'étaient généralement pas appropriés à une administration par voie orale en raison de leurs mécanismes d'absorption susceptibles de limiter leur biodisponibilité - ou du moins rendant celle-ci aléatoire car dépendant de multiples facteurs - et que pour être suffisamment efficace, le traitement devait être donné dans les deux jours suivant la naissance correspondant au délai observé entre celle-ci et le phénomène dit d' « intestinal closure » qui désigne un blocage de la muqueuse après la phase d'absorption des immunoglobulines et anticorps procurés par le colostrum de la truie.
Pour éviter ces inconvénients de biodisponibilité réduite et de délai imposé, il était connu de recourir à un traitement au 3ème jour de la naissance par voie injectable.

Après avoir énuméré les inconvénients importants de ce mode d'administration, et rappelé que les porcelets doivent également être traités contre la coccidiose - généralement par voie orale - entre le 3ème et le 5ème jour de leur naissance, la partie descriptive du brevet conclut qu'il serait avantageux de disposer de préparations « susceptibles de réunir les deux options sans les inconvénients décrits » ces deux options étant comme il est mentionné plus haut :

1o-l'administration successive du composé de fer (III) le 1er jour puis du toltrazuril le 3ème jour, dans les deux cas par voie orale ;

2o-l'administration concomitante - mais séparée - des deux traitements le 3ème jour, le composé de fer par injection et le toltrazuril par voie orale.

Le problème technique décrit par le brevet est donc l'absence de formulations disponibles dans l'art antérieur permettant de traiter les porcelets contre la coccidiose et l'anémie simultanément, ce que l'homme du métier était dissuadé de faire parce-que le moment adapté d'administration de chaque traitement pour assurer son efficacité n'était pas le même. Or si l'on envisage l'administration par voie injectable, ce problème ne se pose pas dans les mêmes termes puisque comme il est relevé dans la description, le composé de fer est en ce cas absorbé efficacement et peut être administré le jour 3 en même temps que le toltrazuril.
Par ailleurs, le brevet souligne également que les substances actives du groupe des triazinones sont administrées généralement par voie orale.

Ainsi, l'objectif poursuivi par les formulations selon le brevet est de traiter les porcelets de façon efficace contre la coccidiose et les carences en fer au cours d'une opération unique et au moyen d'une administration orale.

C'est en effet soit l'absence de fenêtre de traitement commune, soit la différence de mode d'administration, qui n'incitait pas à réunir les deux substances actives concernées dans une formulation unique.
En recherchant des formulations assurant une efficacité du traitement contre l'anémie le troisième jour par voie orale, dans le but d'éviter la voie parentérale et ses conséquences négatives connues, la société BAYER a procédé à des tests faisant ressortir l'effet inattendu relevé par la division d'opposition pour conclure à l'existence d'une activité inventive, et selon lequel dans le cadre d'une telle combinaison même administré oralement, le fer (III) demeure suffisamment efficace à partir du 3ème jour. Au-delà de ce contexte précis du mode d'administration par voie orale, elle ne démontre pas - et ne prétend pas le faire d'ailleurs - que sa formule de combinaison serait plus efficace que la prise séparée des deux produits.
Au regard de ce qui était déjà connu, à savoir que même le 3ème jour l'administration parentérale du fer (III) conservait cette efficacité suffisante et pouvait nonobstant ses inconvénients importants être utilisée, la solution apportée par le brevet réside dans l'effet d'une formule de combinaison qui, bien qu'administrée le 3ème jour et par voie orale, permet de façon surprenante de traiter utilement l'anémie.

Les données mentionnées dans le cadre d'une administration par injection intra-musculaire figurent dans le tableau de résultats des essais cliniques présentés par le brevet, à finalité comparative. Ils montrent ainsi que le jour 7, les 67 porcelets traités avec la formule 2 orale atteignent un taux d'hémoglobine de 10, 05 g/100ml alors que ceux ayant subi une injection présentent un taux de 9,75 g/100ml. Ces taux sont respectivement de 11,37 et 12,84 le 14ème jour et de 10,78 et 12,61 le 21ème jour, ce qui est satisfaisant compte-tenu du seuil recommandé de 9g/100 ml par référence auquel se définit l'état d'anémie indépendamment de ses symptômes visibles.

C'est cet effet surprenant obtenu dans le cadre d'une administration orale, et non par une voie injectable dont l'utilisation alternative le 3ème jour est connue et n'est clairement pas préconisée, qui est seul mis en évidence et que le brevet a entendu protéger.

Il est d'ailleurs permis de relever que ce périmètre de protection a été revendiqué par la société BAYER dans le cadre de la procédure de délivrance du même titre devant l'office canadien des brevets, indiquant le 9 juin 2015 en réponse au rapport de l'examinateur dont l'attention est appelée sur le fait que « the present formulation is related to addressing two problems simultaneously. One of which is to arrive at an orally administrable formulation, the other being that this formulation thereby allows for the treatment of anemia in animals that are affected by coccidiosis even via the oral route (being biased in the prior art per seto be the less reliable route even in otherwise healthy animals ? see D5 above) ».

Il est de même souligné que « the presently claimed invention does provide a non-obvious formulation over the art cited. Moreover, as it clears from pages 10 and 11 of the application, providing an oral formulation that can be used to adress both anemia and coccidiosis is clearly advantageous over problems associated with the monotherapy, such as the use of non-oral formulations and divided administration times » (pièce CEVA 17.3).

La version canadienne délivrée du brevet porte sur « an oral formulation » (pièce CEVA 17-4).

Devant l'office indien, il a également été soutenu que l'invention avait vocation à fournir « des moyens de traiter simultanément la carence en fer et la coccidiose par une voie d'administration (orale) » (pièce CEVA 18).

Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les arguments développés par la société CEVA au soutien de sa position suivant laquelle le champ de la protection conférée par le brevet EP 496 ne s'étend pas à une combinaison administrée par voie injectable, apparaissent suffisamment sérieux pour qu'au regard des risques respectivement encourus par chacune des parties, les mesures provisoires d'interdiction ne soient pas prononcées nonobstant l'absence de précision sur le mode d'administration du produit revendiqué aux termes de la revendication 1, telle que lue à la lumière de la description et notamment de la définition du problème technique posé et de la solution que propose l'invention.

L'ordonnance de référé rendue le 5 avril 2018 n'a en conséquence pas lieu d'être rapportée ni modifiée.

Les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY et BAYER ANIMAL HEALTH, parties perdantes, supporteront la charge des dépens et doivent être condamnées à verser à la société CEVA, qui a dû exposer des frais irrépétibles, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile que le contexte du litige justifie de fixer à la somme de 100.000 euros.

Il est rappelé que la présente ordonnance est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL

Statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

ADMET aux débats les éléments communiqués par les parties en cours de délibéré, à savoir :
-courrier électronique de la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY du 24 juillet 2019 et 4 pièces jointes (décision de la division d'opposition du 16 juillet 2019 en langue allemande et traduction, décision du tribunal de commerce de Barcelone en langue espagnole et traduction) ;
- courrier électronique de la société CEVA SANTE ANIMALE du 25 juillet 2019 ;

REJETTE l'exception d'incompétence soulevée par la société CEVA au profit du juge de la mise en état de la 3ème chambre, 3ème section saisie de l'affaire noRG 18/1633 (action en déclaration de non-contrefaçon initiée par la société CEVA) ;

DIT que les demandes fondées sur la contrefaçon vraisemblable du brevet EP 496 et tendant à voir rapporter ou réformer l'ordonnance du 5 avril 2018 au regard de circonstances nouvelles exposées par la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY, sont recevables ;

DECLARE l'action de la société BAYER ANIMAL HEALTH irrecevable ;

DIT n'y avoir lieu de modifier ou rapporter l'ordonnance de référé rendue le 5 avril 2018 ;

DEBOUTE la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE in solidum les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH et BAYER ANIMAL HEALTH GmbH à verser à la société CEVA SANTE ANIMALE SA la somme de 100.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum les sociétés BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH et BAYER ANIMAL HEALTH GmbH aux dépens ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Fait à Paris le 11 septembre 2019

Le Greffier, Le Président,

Fabienne FELIX Florence BUTIN


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/56082
Date de la décision : 11/09/2019

Analyses

Action en contrefaçon de brevet


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2019-09-11;19.56082 ?
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