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23/05/2019 | FRANCE | N°19/01744

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 23 mai 2019, 19/01744


T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG 19/01744 -
No Portalis 352J-W-B7D-CO7PT

No MINUTE :

Assignation du :
19 décembre 2018JUGEMENT
rendu le 23 mai 2019
DEMANDERESSES

La FEDERATION NATIONALE DES DISTRIBUTEURS DE FILMS (syndicat) représentée par son président Monsieur [E] [O]
[Adresse 1]
[Localité 1]

Le SYNDICAT DE L'EDITION VIDEO NUMERIQUE représenté par son président Monsieur [G] [H]
[Adresse 1]
[Localité 1]

L' ASSOCIATION DES PRODUCTEURS INDEPEN

DANTS représentée par sa présidente Madame [T] [D]
[Adresse 2]
[Localité 2]

L' UNION DES PRODUCTEURS DE CINEMA (syndicat) représenté...

T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG 19/01744 -
No Portalis 352J-W-B7D-CO7PT

No MINUTE :

Assignation du :
19 décembre 2018JUGEMENT
rendu le 23 mai 2019
DEMANDERESSES

La FEDERATION NATIONALE DES DISTRIBUTEURS DE FILMS (syndicat) représentée par son président Monsieur [E] [O]
[Adresse 1]
[Localité 1]

Le SYNDICAT DE L'EDITION VIDEO NUMERIQUE représenté par son président Monsieur [G] [H]
[Adresse 1]
[Localité 1]

L' ASSOCIATION DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS représentée par sa présidente Madame [T] [D]
[Adresse 2]
[Localité 2]

L' UNION DES PRODUCTEURS DE CINEMA (syndicat) représenté par son président Monsieur [D] [T]
[Adresse 3]
[Localité 3]

LE SYNDICAT DES PRODUCTEURS INDEPENDANTS (SPI), représenté par son Président, Monsieur [K] [P] (intervenant volontaire)
[Adresse 4]
[Localité 4]

LE CENTRE NATIONAL DU CINEMA ET DE L'IMAGE ANIMEE (CNC), représenté par sa Présidente Mme [A] [Q] (intervenant volontaire)
[Adresse 5]
[Localité 5]

représentés par Maître Christian SOULIE de la SCP SOULIE COSTE-FLORET et AUTRES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0267

DÉFENDERESSE

Société GOOGLE LLC (anciennement GOOGLE INC)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 6] (ETATS-UNIS D'AMERIQUE)

représentée par Maître Alexandra NERI du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0025

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Karine THOUATI, Juge

assisté de Maud JEGOU, Greffier

DEBATS

A l'audience du 19 mars 2019 tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mai 2019 prorogé au 23 mai 2019
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par un jugement en la forme des référés du 21 mars 2019, et après disjonction des demandes dirigées contre la société GOOGLE LLC prononcée à l'audience du 12 février 2019, ce tribunal a :
-DIT la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), le Syndicat de l'édition vidéo numérique (SEVN), l'Union des producteurs de cinéma (UPC) et l'Association des producteurs indépendants (API) recevables en leur action,
- DONNÉ ACTE au Syndicat des producteurs indépendants (SPI) et au Centre national de cinématographie et de l'image animée (CNC) de leur intervention volontaire accessoire,
- DIT que les sites web « FULL-STREAM », « STREAMINGDIVX », « ZONE-STREAM » et « ZONE-TELECHARGEMENT2 » accessibles par les chemins d'accès :
« full-stream.co », « full-stream.io » et « full-stream.nu »,
« streamingdivx.co »,
« zone-stream.net » et « zone-stream.tv »,
« zone-telechargement2.org »,
sont majoritairement dédiés à la représentation de films et/ou de séries télévisées sans le consentement des auteurs et des producteurs, ce qui constitue l'atteinte aux droits d'auteur et aux droits voisins prévue par l'article L336-2 du code de la propriété intellectuelle,
- ORDONNÉ à la société ORANGE, à la société BOUYGUES TELECOM, à la société FREE, à la société SFR et à la société SFR FIBRE de mettre en ?uvre et/ou faire mettre en ?uvre, dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision et pendant une durée de 18 mois à compter de la présente décision, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français, y compris des collectivités d'outre-mer, de la Nouvelle Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises, par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace, aux sites web « FULL-STREAM », « STREAMINGDIVX », « ZONE-STREAM » et « ZONE-TELECHARGEMENT2 », accessibles via les noms de domaine ci-après visés :
« full-stream.co », « full-stream.io » et « full-stream.nu »,
« streamingdivx.co »,
« zone-stream.net » et « zone-stream.tv »,
« zone-telechargement2.org » ;
- DIT qu'il appartiendra aux demandeurs d'informer le cas échéant la société ORANGE, la société BOUYGUES TELECOM, la société FREE, la société SFR, la société SFR FIBRE durant le temps des mesures de blocage et déréférencement ordonnées, si certains des chemins d'accès précités venaient à ne plus être actifs ou à ce que l'ensemble des contenus contrefaisants y donnant accès aient manifestement été supprimés.

Les demandes exclusivement dirigées contre la société GOOGLE LLC (enrôlées sous le noRG 19/1744) ont été examinées à l'audience du 19 mars 20019.

*

Dans leurs dernières conclusions du 19 mars 2019, développées oralement à l'audience, la FNDF, le SEVN, l'UPC, l'API, en présence du SPI et du CNC, demandent au tribunal d'ordonner sans délai et au plus tard dans les quinze jours à compter de la signification de la présente décision et pendant une durée de vingt-quatre mois à compter de la mise en place des mesures à la société GOOGLE LLC de prendre ou de faire prendre toute mesure utile en vue d?empêcher sur les services du moteur de recherche Google l'apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l'une des pages respectivement des sites web « FULL-STREAM », « STREAMINGDIVX », « ZONE-STREAM » et « ZONE-TELECHARGEMENT2 » en réponse à toute requête émanant d'internautes, dans les départements français et collectivités uniques ainsi que, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Les demandeurs sollicitent en substance du tribunal qu'il enjoigne à la société GOOGLE LLC, pendant une durée étendue à 24 mois, de cesser de communiquer aux internautes, en réponse à leurs requêtes adressées à son moteur de recherches, les résultats permettant d'accéder aux sites ci-dessus visés, selon les chemins d'accès d'ores-et-déjà identifiés, mais également de l'ensemble des chemins d'accès dont elle aurait connaissance, ce qu'ils qualifient d'"injonction dynamique".

Les demandeurs soutiennent d'abord que le cumul des mesures de blocage d'une part et de déréférencement d'autre part est pertinent en raison de l'efficacité limitée des seules mesures de blocage ordonnées aux fournisseurs d'accès. En effet, outre que les syndicats professionnels indiquent ne pas être en capacité de solliciter du tribunal des mesures à l'encontre de l'ensemble des fournisseurs d'accès inscrits auprès de l'ARCEP, compte-tenu de leur nombre important, ils considèrent qu'il existe, sur le plan technique, des mesures de contournement qu'utilisent certains internautes afin de passer outre les mesures de blocage (VPN, proxy). Les agents de l'ALPA auraient ainsi pu constater que les mesures de blocage ont une efficacité sensiblement accentuée lorsque le déréférencement des résultats de la recherche algorithmique est mis en place concomitamment.

Les syndicats professionnels considèrent ensuite que la société GOOGLE dispose d'une connaissance et d'une maîtrise totale des données qu'elle traite aux fins d'exécution de son service de référencement, lui permettant de connaître précisément, sur le plan technique, l'ensemble des chemins d'accès à un site internet. En effet, l'outil de référencement de la société GOOGLE a, selon les demandeurs, pour objet le recensement exhaustif, selon des critères et algorithmes complexes, qu'elle choisit, des contenus des pages (les mots et contenus, leur nombre, leur emplacement), ainsi que le suivi permanent de l'évolution des sites afin de mettre à jour son index, et elle dispose à cette fin d'une capacité de calcul considérable dédiée à l'exploration du web.

Les demandeurs ajoutent que les mesures de blocage sollicitées du tribunal ne sauraient constituer une mesure générale de surveillance dès lors que ces mesures sont ordonnées par un juge, limitées dans le temps, et en lien avec un objet déterminé, à savoir un site web précisément identifié par son nom, son arborescence, voire par ses identifiants uniques accordés par le service Google Analytics, lequel analyse l'audience des sites, ou le programme Google Adsense, qui permet aux administrateurs des sites de vendre à des annonceurs l'audience mesurée, étant au surplus observé que parmi les sites contrefaisants, certains adhérent à ces service et programme proposés par la défenderesse.

Les demandeurs précisent encore que la société GOOGLE dispose d'un certain nombre de solutions techniques (identification des "redirections 301", "GOOGLE SEARCH CONSOLE", technologie "CONTENT ID sur le service YOUTUBE") qui lui permettent d'identifier les nouveaux chemins d'accès susceptibles d'être crées par les administrateurs des sites litigieux.

Les syndicats professionnels font également valoir que les sites en cause, dont l'activité et l'objet structurellement contrefaisants ont été constatés par de nombreux procès-verbaux d'agents assermentés de l'ALPA, ne bénéficient pas d'un degré de protection au titre du principe de la liberté d'expression tel, qu'il ferait obstacle au prononcé des mesures sollicitées.

Ils considèrent également que la société GOOGLE, pour affirmer que les mesures sollicitées porteraient atteinte à son modèle économique au point de lui faire supporter des « sacrifices insupportables », se décrit comme une simple utilisatrice de son moteur de recherche. Or, les immenses moyens techniques, financiers et humains dont dispose cette société, comparés au faible nombre de sites visés par les mesures de
blocage "dynamique" sollicitées, outre la liberté de choix laissée à GOOGLE dans la mise en ?uvre des mesures, garantissent, selon les représentants des titulaires de droits, que les mesures sollicitées n'ont aucun risque de porter atteinte à sa liberté d'entreprendre.

En réponse, dans ses dernières conclusions du 19 mars 2019, dont elle a repris les termes à l'audience, la société GOOGLE LLC demande quant à elle au tribunal de :
- La DIRE recevable à demander que toute extension des mesures de blocage à l'encontre de noms de domaine non visés dans le dispositif des écritures des Syndicats doit faire l'objet d'une notification préalable à GOOGLE LLC par les Syndicats ;
- DIRE que le tribunal ne peut prononcer une mesure sans s'assurer au préalable qu'elle est compatible avec le principe de proportionnalité et qu'elle affecte exclusivement des noms de domaine dont le contenu est, dans son ensemble, illicite ;
- CONSTATER que, sous réserve que la condition précitée soit remplie, GOOGLE LLC se déclare prête à mettre en place des mesures permettant d'empêcher pendant vingt-quatre mois l'apparition sur son service de moteur de recherche français, de toutes réponses à toutes requêtes émanant du territoire de France métropolitaine et ultramarine renvoyant vers l'une des pages:
* des noms de domaine donnant toujours accès aux quatre sites incriminés "FULL-STREAM", "STREAMINGDIVX, "ZONE-STREAM" et "ZONE-TELECHARGEMENT2"spécifiquement invoqués à l'encontre de GOOGLE LLC, à savoir :
- "full-stream.co", "full-stream.io" et "full-stream.nu",
- "streamingdivx.co",
- "zone-stream.net" et "zone-stream.tv",
- "zone-telechargement2.org",
* de tout autre nom de domaine abritant un contenu manifestement identique à celui des sites "FULL-STREAM", "STREAMINGDIVX", "ZONE-STREAM" et " ZONE-TELECHARGEMENT2" qui lui sera expressément signalé par les Syndicats dans les vingt-quatre mois suivant la signification du jugement (sans que les Syndicats aient à lui signaler individuellement les adresses URL de tout ou partie des pages web accessibles via ces nouveaux noms de domaine, ni même les sous-domaines),
- DEBOUTER les syndicats de toute demande tendant à enjoindre à la société GOOGLE LLC la mise en place d'une mesure plus étendue.

La société GOOGLE indique qu'elle n'est pas opposée au déréférencement des sites litigieux, dans la limite des chemins d'accès précisément identifiés dans la décision à intervenir, ainsi que les chemins d'accès qui seraient communiqués postérieurement à l'instance par les syndicats professionnels, sous réserve pour ces derniers de démontrer au cas par cas en quoi chaque nouveau chemin d'accès serait relatif aux mêmes contenus que ceux ayant fait l'objet de mesures de blocage et de déréférencement par la décision à intervenir.

Elle considère en revanche que la mission d'identification et de localisation de nouveaux chemins d'accès aux sites litigieux incombe exclusivement aux titulaires de droits.

Elle observe que le référencement opéré par les moteurs de recherche constitue un rôle central pour l'exercice de la liberté d'expression et que les mesures visant à écarter certains résultats de recherche devraient ainsi être limitées au strict nécessaire, dans le respect du principe de proportionnalité, et afin de tenir compte du risque de "surfiltrage" de contenus licites.

Elle indique que l'obligation d'identifier de nouveaux chemins d'accès permettant d'accéder aux contenus litigieux ferait peser sur elle une obligation de surveillance et de contrôle général, interdite par la directive 2000/31/CE. A cet égard, elle souligne qu'il importe peu que le contrôle requis de la société GOOGLE soit restreint à un nombre limité de sites internet, dès lors qu'un site internet ne saurait être considéré comme un ensemble de contenus homogènes et fixes. A cet égard, elle souligne qu'elle ne dispose d'aucune technologie lui permettant d'identifier automatiquement, sans risque d'erreur, les actuels ou futurs noms de domaine renvoyant vers un même site, c'est à dire une multitude de pages. En effet, son activité de moteur de recherche se limite à l'identification de mots-clés présents sur une page web, associée à un site, afin de présenter aux internautes une liste de résultats pertinents pour une requête formulée à partir de termes précis. Afin d'identifier un site, elle soutient qu'elle serait tenue de procéder à une analyse manuelle, page par page, afin de vérifier si chaque nouveau chemin d'accès renvoie bien au contenu contrefaisant visé dans la décision.

Aussi, la société GOOGLE en déduit qu'une mesure de déréférencement "dynamique" mettrait à sa charge des contraintes insupportables de nature à mettre en péril la viabilité de son modèle économique, en considération de la multiplication à venir des contentieux en la matière.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, "En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les ?uvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l'image animée."

En ce qu'elle exploite un moteur de recherche qui permet à l'internaute, ignorant l'adresse URL d'un site, d'y accéder directement grâce à l'affichage dans les résultats de cette recherche des liens hypertextes le permettant, la société GOOGLE LLC est bien "une personne susceptible de contribuer à remédier" aux atteintes, ou encore, un intermédiaire au sens de l'article 8§3 de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, dont l'article L.336-2 précité, réalise la transposition.

Il convient à cet égard de relever qu'il résulte des constats établis par les agents de l'Association de lutte contre le piratage audiovisuel (ALPA) concernant les sites litigieux, et relatifs à la provenance des internautes français sur ces sites, que la majorité d'entre eux, ou en tout cas un nombre significatif d'entre eux, avaient accédé aux sites en question après une requête adressée au moteur de recherche « Google » :
- « FULLSTREAM » 63,3 % (Septembre 2018 - source Médiamétrie),
- «STREAMINGDIVX » 46 %,
- « ZONE-STREAM » 53 %,
- « ZONE-TELECHARGEMENT2 » 55 %.

Les demandeurs sont donc légitimes à solliciter la mise en oeuvre de mesures par la société GOOGLE dès lors, d'une part, que la liste des fournisseurs d'accès à internet en métropole et outre-mer ne se limite pas à ceux visés par le jugement du 21 mars 2019 et, d'autre part, que certains internautes passent outre les mesures de blocage des FAI, par exemple au moyen de logiciels de réseau privé virtuel (virtual private network - VPN) leur permettant de crypter leur trafic sur le web, rendant ainsi inefficaces certaines mesures de blocage mises en oeuvre.

En outre, par l'arrêt UPC Telekabel Wien GmbH (27 mars 2014, C-314/12), la Cour de Justice de l'Union européenne a dit pour droit que les juridictions nationales doivent "veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de celle-ci (la Directive 2001/29) qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit de l'Union, tels que le principe de proportionnalité", ce dont la Cour déduit que les juges nationaux doivent vérifier:
- que les injonctions qu'elles adressent "ne privent pas inutilement les utilisateurs d'Internet de la possibilité d'accéder de façon licite aux informations disponibles"
- et qu'elles ne portent pas "atteinte à la substance même du droit à la liberté d'entreprise" de l'intermédiaire concerné.

S'agissant du risque d'atteinte aux libertés, le tribunal observe en premier lieu que l'illicéité des sites est assumée par leurs concepteurs ainsi que le démontre l'absence d'indication des mentions exigées par les articles 6.III.1 et 6.III.2 de la loi no2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dite "LCEN", pour les quatre sites objets du litige, et l'anonymisation intégrale de ces sites par le biais de différents prestataires (en particulier les prestataires d'hébergement américain Cloudflare ou russe DDOS Protect), tous éléments tendant à démontrer la connaissance du caractère entièrement ou quasi entièrement illicite des liens postés sur les sites litigieux par les personnes qui contribuent à cette diffusion.

Cette illicéité est également appréhendée par les utilisateurs auxquels certains de ces sites délivrent des conseils et des incitations à contourner la loi dite HADOPI (cf. feuillet no5/31 du constat no25090/2018/1concernant le site ZONE-TELECHARGEMENT2).

En outre, la recherche manuelle effectuée par les agents de l'ALPA pour chacun des sites, démontre que 100 % des liens figurant sur les sites litigieux renvoient, soit vers une oeuvre (film ou série) figurant dans la base de référencement des oeuvres "iMDB" et donc contrefaite, soit vers un lien inactif.

Dès lors, la privation des utilisateurs d'internet de l'accès aux informations figurant sur ces sites n'est pas disproportionnée eu égard à l'importance et à la gravité des atteintes aux droits d'auteur et aux droits voisins commises, étant au surplus observé que les ?uvres licitement partagées sont aussi facilement accessibles pour l'internaute par d'autres moyens.

S'agissant du grief d'atteinte à la substance même du droit à la liberté d'entreprise de la société GOOGLE, dans l'hypothèse où serait mise en oeuvre une "injonction dynamique", il convient de relever, ainsi que les demandeurs le démontrent, que le moteur de recherche GOOGLE est en mesure d'identifier les nouveaux chemins d'accès susceptibles de donner accès aux sites litigieux.

Ainsi en est-il de l'utilisation du dispositif technique à sa disposition de détection d'un code "301" de redirection mis en oeuvre par le responsable du nom de domaine, de l'utilisation par ce dernier de l'outil "GOOGLE SEARCH CONSOLE", ou encore du service GOOGLE ANALYTICS.

Le tribunal observe à cet égard que le site FULL-STREAM dispose d'un numéro d'identifiant unique "GOOGLE ANALYTICS" (UA-123407924-1) donnant à l'administrateur de FULL-STREAM une analyse détaillée de l'audience de son site, quel qu'en soit le chemin d'accès (cf. feuillet no3/10 du constat no25078/2018 concernant FULL-STREAM).

Aussi, les mesures requises par les demandeurs tendant à ordonner à la société GOOGLE d'empêcher l'apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l'une des pages des sites litigieux en réponse à toute requête émanant d'internautes, ne peuvent être assimilées à la mise en ?uvre d'une mesure générale de filtrage et de surveillance. Elles n'ont pour objet que de lui imposer de rechercher les sites sur lesquels des atteintes aux droits des demandeurs sont perpétrées, au moyen des informations dont elle dispose, et en conservant la liberté du choix des mesures à prendre, aux fins de contribuer à remédier à l'indexation et au référencement par son moteur de recherche des liens illicites amenant vers les sites contrefaisants.

C'est pourquoi, et contrairement à ce que soutient la société GOOGLE LLC, il n'y a pas lieu de cantonner les mesures de déréférencement sollicitées aux seuls noms de domaine identifiés.

En définitive, les mesures sollicitées par les syndicats professionnels permettent d'assurer un juste équilibre entre les différents droits et intérêts évoqués ci-dessus de telle sorte qu'il sera fait droit aux demandes dans les conditions précisées au dispositif de la présente décision. Compte tenu du nombre de demandes consécutives de mesures de blocage, concernant un même nom de domaine, les mesures de blocage seront ordonnées pour une durée de 18 mois.

Eu égard aux circonstances de la présente affaire, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et de ses frais irrépétibles.

Conformément à l'article 492-1 du code de procédure civile, l'exécution provisoire est attachée à la présente décision, à moins qu'il n'en soit décidé autrement. En l'espèce, aucun motif ne justifie que l'exécution provisoire soit écartée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par jugement en la forme des référés, mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

LE TRIBUNAL,

ORDONNE à la société GOOGLE LLC de prendre ou de faire prendre, dans le délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision et pendant une durée de 18 mois, toutes mesures utiles en vue d'empêcher l'apparition sur les services du moteur de recherche GOOGLE de tout résultat en réponse à une requête émanant d'internautes à partir du territoire français, y compris des collectivités d'outre-mer, de la Nouvelle Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises, renvoyant manifestement vers l'une des pages des sites « FULLSTREAM », «STREAMINGDIVX », « ZONE-STREAM », « ZONE-TELECHARGEMENT2 », notamment accessibles via les chemins d'accès :
« full-stream.co », « full-stream.io » et « full-stream.nu »,
« streamingdivx.co »,
« zone-stream.net » et « zone-stream.tv »,
« zone-telechargement2.org »,

DIT qu'il appartiendra aux demandeurs d'informer le cas échéant la société GOOGLE LLC, durant le temps des mesures de blocage et de déréférencement ordonnées, si certains des chemins d'accès précités venaient à ne plus être actifs ou si l'ensemble des contenus contrefaisants y donnant accès avaient manifestement été supprimés,

RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire par provision,

DIT que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

Fait et jugé à Paris le 23 mai 2019

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/01744
Date de la décision : 23/05/2019

Analyses

Action relative au blocage de sites de streaming


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2019-05-23;19.01744 ?
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