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08/11/2018 | FRANCE | N°15/02536

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 08 novembre 2018, 15/02536


T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG 15/02536 -
No Portalis 352J-W-B67-CET7C

No MINUTE :

Assignation du :
09 janvier 2015

JUGEMENT
rendu le 08 novembre 2018
DEMANDEUR

Monsieur [Z] [G]
[Adresse 1]
[Localité 1]

représenté par Maître Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #A0966

DÉFENDEURS

Madame [Q] [B]
[Adresse 2]
[Localité 1]

non comparante

Monsieur [M] [E]
[Adresse 3]
[Localité 2]<

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non comparant

Société [Établissement 1]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Me Agnès TRICOIRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1207

S.A. FLAMMAR...

T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG 15/02536 -
No Portalis 352J-W-B67-CET7C

No MINUTE :

Assignation du :
09 janvier 2015

JUGEMENT
rendu le 08 novembre 2018
DEMANDEUR

Monsieur [Z] [G]
[Adresse 1]
[Localité 1]

représenté par Maître Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #A0966

DÉFENDEURS

Madame [Q] [B]
[Adresse 2]
[Localité 1]

non comparante

Monsieur [M] [E]
[Adresse 3]
[Localité 2]

non comparant

Société [Établissement 1]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Me Agnès TRICOIRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1207

S.A. FLAMMARION
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Jean-frédéric GAULTIER de la SELARL TALIENS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D0320

Monsieur [W] [Y]
[Adresse 6]
[Localité 5] (ETATS UNIS)

Société [W] [Y] LLC
[Adresse 6]
[Localité 5] (ETATS UNIS)

représentées par Maître Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J001

Société FONDAZIONE PRADA
[Adresse 7]
[Localité 6] (ITALIE)

représentée par Maître Grégoire TRIET de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #T03

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, Première Vice Présidente Adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Karine THOUATI, Juge

assisté de Maud JEGOU, Greffier

DEBATS

A l'audience du 24 septembre 2018 tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Monsieur [Z] [G] se présente comme un directeur artistique dans le domaine des médias et de la publicité et indique qu'il a, en 1984, commencé à travailler pour la marque NAF-NAF en "free lance".

Il expose avoir eu l'idée d'introduire dès cette époque dans la publicité de la marque NAF-NAF, l'image d'un petit cochon, la dénomination de la marque évoquant le conte pour enfants mettant en scène trois célèbres petits cochons.

Il indique être l'auteur d'un visuel pour une publicité imaginée pour la société NAF-NAF au titre de l'année 1985 et publiée dans différents magazines de presse féminine tels que "Elle" et "Marie-Claire", et mettant en scène une jeune femme brune aux cheveux courts, allongée dans la neige, un petit cochon penché au-dessus d'elle avec un tonneau de chien Saint-Bernard autour du cou, ce visuel étant intitulé « Fait d'hiver », titre qu'il indique avoir également créé.

Sur la photographie de la publicité, figurent, outre le titre en haut à gauche "FAIT D'HIVER", en bas à droite, le logo de la marque et le slogan « NAF-NAF. Le grand méchant look », tous les deux déposés à titre de marque et propriétés de la société NAF-NAF.

*

Le 26 novembre 2014, le [Établissement 1] a inauguré, à Paris, une exposition rétrospective de l'oeuvre de [W] [Y]. Parmi les oeuvres exposées figurait une sculpture intitulée "Fait d'hiver" présentée comme ayant été créée par ce dernier en 1988 et faisant partie de la série "Banality" :

Estimant que cette sculpture contrefaisait le visuel dont il était l'auteur, M. [G] a, par requête du 27 novembre 2014, sollicité du président du tribunal de grande instance de Paris l'autorisation de faire procéder par huissier, notamment, à la remise de la sculpture de [W] [Y] intitulée Fait d'hiver entre les mains du [Établissement 1] afin qu'il la conserve en qualité de séquestre.

Par ordonnance du même jour, le président du tribunal a rejeté cette requête.

M. [G] a interjeté appel de cette décision.

Par requête du 9 décembre 2014, M. [G] a de nouveau saisi le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'être autorisé à faire procéder à la « saisie descriptive » de la sculpture par un huissier et y a été autorisé par une ordonnance du même jour.

Cette saisie descriptive a été réalisée le 11 décembre 2014.

C'est en cet état que par acte du 9 janvier 2015, M. [G] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de ses droits d'auteur, M. [W] [Y], la société [W] [Y] LLC, le [Établissement 1], la STICHTING FONDAZIONE PRADA, propriétaire de la sculpture litigieuse (épreuve d'artiste), et la société FLAMMARION, qui a édité un ouvrage reproduisant cette sculpture.

Par un arrêt du 23 juin 2015, la Cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance du président du tribunal de grande instance du 27 novembre 2014 et a finalement autorisé M. [G] « à faire procéder, par tout huissier (...), dans les locaux du [Établissement 1] (...) à la remise de la sculpture de M. [W] [Y] intitulée "Fait d'Hiver" entre les mains du [Établissement 1] afin qu'il la conserve après la rétrospective en qualité de séquestre ».

Cette saisie s'est toutefois avérée impossible à mettre en ?uvre, la sculpture ayant été retirée du [Établissement 1].

*

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 septembre 2018 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M [G] demande au tribunal, en présence de Mme [B] et de M. [E], coauteurs du visuel, de :

- Juger que la sculpture Fait d'hiver de [W] [Y] contrefait ses droits d'auteur sur la photographie Fait d'hiver ;
- Juger que la sculpture Fait d'hiver de [W] [Y] viole le droit au nom et le droit à la paternité de M. [G] ; - Condamner en conséquence le [Établissement 1], la société [W] [Y] LLC et M. [Y] in solidum à payer à M. [G] :
·une somme de 150 000 euros en réparation de l'atteinte portée au droit de représentation;
·une somme de 30 000 euros en réparation de l'atteinte portée au droit au respect de l'?uvre du fait de la représentation d'une ?uvre contrefaisante portant atteinte à l'intégrité de l'?uvre première ;
·une somme de 30 000 euros en réparation de la représentation d'une ?uvre contrefaisante en violation du droit à la paternité de l'auteur de l'?uvre première ;
- condamner le [Établissement 1], la société [W] [Y] LLC et M. [Y] in solidum à payer à M. [G] :
·une somme de 37 000 euros en réparation de l'atteinte portée au droit de reproduction du fait de l'édition du catalogue, de l'album et du portfolio de l'exposition rétrospective de l'?uvre de [W] [Y] ;
·une somme de 12 000 euros en réparation de l'atteinte résultant de la reproduction, dans le catalogue, l'album et le portfolio de l'exposition rétrospective de l'?uvre de [W] [Y], d'une ?uvre contrefaisante portant atteinte à l'intégrité de l'?uvre première ;
·une somme de 12 000 euros résultant de la reproduction, dans le catalogue, l'album et le portfolio de l'exposition rétrospective de l'?uvre de [W] [Y], d'une ?uvre contrefaisante dans des conditions violant le droit à la paternité de l'auteur de l'?uvre première ;
- condamner la société FLAMMARION et M. [Y] in solidum à payer à M. [G]:
·une somme à parfaire de 2 000 euros au titre de l'atteinte portée au droit de reproduction du fait de l'édition de l'ouvrage Entretiens avec [O] [H] ;
·une somme à parfaire de 1 000 euros au titre de l'atteinte résultant de la reproduction dans l'ouvrage Entretiens avec [O] [H], d'une ?uvre contrefaisante au droit à l'intégrité de l'?uvre première ;
·une somme à parfaire de 1 000 euros résultant de la reproduction, dans l'ouvrage Entretiens avec [O] [H], d'une ?uvre contrefaisante dans des conditions violant le droit à la paternité de l'auteur de l'?uvre première ;
- condamner Monsieur [W] [Y] et la société [W] [Y] LLC à payer à Monsieur [Z] [G] :
·une somme de 8 000 euros au titre de l'atteinte portée aux droits de reproduction et de représentation du fait de l'exploitation du site Internet [Courriel 1] ;
·une somme de 3 000 euros au titre de l'atteinte résultant de la reproduction et représentation sur le site Internet [Courriel 1] d'une ?uvre contrefaisante au droit à l'intégrité de l'?uvre première ;
·une somme de 3 000 euros résultant de la reproduction et représentation sur le site Internet [Courriel 1] d'une ?uvre contrefaisante dans des conditions violant le droit à la paternité de l'auteur de l'?uvre première ;
- faire interdiction, à compter de la décision à intervenir :
·au [Établissement 1], à la société [W] [Y] LLC et à Monsieur [W] [Y] de procéder à l'exposition de la sculpture intitulée Fait d'hiver sous astreinte de 10 000 euros par infraction et par jour ;
·-au [Établissement 1], à Monsieur [W] [Y], à la société [W] [Y] LLC et à la société FLAMMARION de procéder à quelque reproduction que ce soit de la sculpture intitulée Fait d'hiver sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée ;
·à Monsieur [W] [Y] de reproduire et représenter la sculpture intitulée Fait d'hiver sur le site Internet [Courriel 1] ou sur tout autre site Internet qu'il éditerait sous astreinte de 10 000 euros par infraction et par jour ;
- ordonner la confiscation, au profit de M. [G], de la sculpture Fait d'hiver, épreuve d'artiste détenue par la STICHTING FONDAZIONE PRADA, étant précisé que celui-ci en fera donation à l'Etat français, si ce dernier l'accepte, et sous réserve que l'?uvre ne puisse être exposée ni exploitée d'une quelconque manière avant l'extinction des droits d'auteur sur l'?uvre première ;
- ordonner la confiscation, au profit de M. [G], de l'intégralité des recettes tirées par M. [Y] du fait de la vente et l'exploitation, sous quelque forme que ce soit, de la sculpture Fait d'hiver ;
- ordonner la publication de la décision à intervenir, par extraits ou en intégralité, dans deux journaux ou magazines d'information générale, deux journaux ou magazines du secteur de l'art et deux services de communication électronique du choix du demandeur, aux frais du [Établissement 1], de la société FLAMMARION, de la société [W] [Y] LLC et de M. [Y] in solidum, dans la limite de 35 000 euros hors taxes au total ;
En tout état de cause :
- Ecarter des débats les pièces no7.1 à 7.11 communiquées par M. [Y] et sa société [W] [Y] LLC ;
- Débouter le [Établissement 1] et M. [Y], la société [W] [Y] LLC, la société FLAMMARION et la STICHTING FONDAZIONE PRADA de l'ensemble de leurs demandes et prétentions;
- Condamner le [Établissement 1], M. [Y], la société [W] [Y] LLC, la société FLAMMARION et la STICHTING FONDAZIONE PRADA, in solidum, à payer à Monsieur [Z] [G] la somme de 154 240 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamner le [Établissement 1], M. [Y], la société [W] [Y] LLC, la société FLAMMARION et la STICHTING FONDAZIONE PRADA, in solidum, aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître AITTOUARES, en application de l'article 699 du code de procédure civile;
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

*

En réplique, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 septembre 2018 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [K] [Y] et la société [W] [Y] LLC demandent au tribunal au visa des articles 122 et suivants du Code de procédure civile, des articles 2224 et suivants du Code civil, de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 et l'article 1 du Protocole no1 ; des articles L. 112-2, 9o, L. 122-5, 4o, L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle, des articles L. 331-1-3 (tel que modifié par la loi du 11 mars 2014) et L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle, de la directive CE no 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, telle que transposée par la loi du 29 octobre 2007, de l'article 1240 du code civil, de :
À titre liminaire :
- Constater que M. [G] ne dispose pas des droits patrimoniaux d'auteur sur la photographie publicitaire « Fait d'hiver » en raison de la cession ou de la dévolution de ses droits intervenue au profit de la société Naf Naf ;
ou à tout le moins,
- Constater que M. [G] ne rapporte pas la preuve de la titularité des droits qu'il invoque et/ou qu'il est le seul titulaire des droits patrimoniaux d'auteur sur ladite photographie;
- Constater que M. [G] n'est pas habilité à agir en contrefaçon des droits d'auteur de Mme [B] pour des faits antérieurs au 14 décembre 2017 ;
- Déclarer en conséquence irrecevable M. [G], en ce compris s'agissant de la prétendue contrefaçon des droits d'auteur de Mme [B] pour des faits antérieurs au 14 décembre 2017, et le débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions;
- Constater que les seuls actes qui pourraient être reprochés à [W] [Y] relatifs à la création de la sculpture « Fait d'hiver » sont prescrits ;
- déclarer en conséquence irrecevable M. [G] dans ses demandes dirigées contre [W] [Y], lequel devra être mis hors de cause ;
En tout état de cause :
- Dire qu'au regard des droits fondamentaux en présence, à savoir le droit de propriété de M. [G] d'une part au titre des droits d'auteur qu'il revendique sur l'affiche publicitaire « Fait d'hiver » et le droit à la liberté d'expression artistique d'autre part de [W] [Y] à travers la sculpture « Fait d'hiver », et après examen de la balance des intérêts en présence, la liberté d'expression de [W] [Y] doit pouvoir s'exprimer, aucune circonstance impérieuse nécessaire à la sauvegarde des valeurs de toute société démocratique ne justifiant, au terme de cette balance des intérêts, qu'il soit porté atteinte à la liberté de création artistique de [W] [Y] et au message qu'il entend délivrer ;
- Débouter en conséquence le demandeur de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions;
- Constater l'absence de tout risque de confusion entre la photographie publicitaire « Fait d'hiver » et la sculpture de [W] [Y] et la différence manifeste de message transmis par [W] [Y] et [Z] [G] ;
- Dire en conséquence que l'?uvre « Fait d'hiver » de [W] [Y] bénéficie de l'exception de parodie et débouter le demandeur de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Constater l'absence de toute opposition par le demandeur à l'exposition/exploitation de l'?uvre « Fait d'hiver » de [W] [Y] durant près de 30 ans écoulés depuis la création de cette ?uvre, ainsi que l'absence totale de dénaturation ou de dévalorisation de la photographie publicitaire « Fait d'hiver » ;
- Dire en conséquence qu'aucune atteinte au droit moral de M. [G] ne peut être caractérisée et débouter le Demandeur de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions;

En cas de succombance, éventuellement partielle :
- Constater que les seuls actes susceptibles d'être pris en considération dans le cadre de la réparation du prétendu préjudice se limitent à (i) la représentation de la sculpture « Fait d'hiver » au [Établissement 1] dans le cadre de l'exposition « [W] [Y]. La Rétrospective », entre le 26 novembre et le 23 décembre 2014 ; (ii) la reproduction de la sculpture « Fait d'hiver » dans les ouvrages édités par le [Établissement 1] et par FLAMMARION, ainsi que la commercialisation, par ces mêmes sociétés, desdits ouvrages ;
- Constater l'absence totale de conséquences économiques négatives et de préjudice moral que le demandeur aurait pu subir résultant de la prétendue atteinte à ses droits et constater l'absence de bénéfice résultant de l'exploitation de la sculpture de [W] [Y] ;
- Constater le caractère manifestement disproportionné et injustifié des demandes formulées par le Demandeur, en ce compris les demandes de confiscation de la sculpture « Fait d'hiver » (épreuve d'artiste), de confiscation des recettes tirées par [W] [Y] de l'exploitation de cette sculpture et de publication ;
- En conséquence, de limiter les mesures réparatrices à ce qui est strictement nécessaire et approprié, à savoir :
- 288 euros maximum au titre de la prétendue atteinte aux droits patrimoniaux ;
- 1 euro maximum au titre de la prétendue atteinte aux droits moraux ;
- Débouter le demandeur de sa demande de confiscation de l'?uvre et de remise à l'Etat français, étant précisé, sur son principe même qu'une telle demande ne pourrait s'étendre au-delà du territoire français ;
- Débouter le demandeur de sa demande de confiscation des recettes ;
- Débouter le demandeur de sa demande de mesures de publication ;
- Débouter le demandeur de toutes autres fins et prétentions ;
- Constater que la société [W] [Y] LLC et [W] [Y] ne peuvent être tenus responsables des actes reprochés par le demandeur au regard des accords intervenus entre (i) le [Établissement 1] et la société [W] [Y] LLC d'une part, et (ii) le [Établissement 1] et le [Établissement 2] d'autre part ;
- En conséquence, mettre hors de cause [W] [Y] ;
- Condamner le demandeur à payer à [W] [Y] et à la société [W] [Y] LLC la somme de 150.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Emmanuel Baud.

*

En réplique, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 septembre 2018 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, le [Établissement 1] demande au tribunal au visa des articles 4, 6, 9, 32, 56 2oet 122 et 700 du Code de procédure civile, des articles L.111-1, L.121-1, L.122-5 4o et L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, de la Loi no 75-1 du 3 janvier 1975, de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950, de l'article 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, de :

- Dire recevable le [Établissement 1] en ses demandes et écritures,
- Dire que l'ordonnance de saisie contrefaçon en date du 9 décembre 2014 a été rendue dans l'ignorance du refus par le Président du tribunal de grande instance de céans d'opérations de saisie identiques sollicitées le 27 novembre 2014,
- Prononcer la nullité du PV de saisie du 11 décembre 2014 et ordonner son retrait des débats ainsi de l'intégralité des pièces saisies,
- Prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance à l'égard du [Établissement 1] pour défaut d'indication de l'objet de la demande, défaut faisant grief au [Établissement 1], en vertu des dispositions des articles 4 et 56 2o du code de procédure civile,
- Dire que M. [G] ne démontre ni son intérêt à agir ni sa qualité d'auteur;
- Subsidiairement, dire que M. [G] n'est pas seul auteur et titulaire des droits patrimoniaux sur la photographie et qu'il n'a pas attrait dans la cause ses co-auteurs, en violation des dispositions de l'article L 113-3 du CPI ;
En conséquence,
- Dire irrecevable l'action de M. [G], en vertu des dispositions des articles 6, 9, 32 et 122 du Code de procédure civile, et le débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire,
- Dire que le [Établissement 1], en organisant une rétrospective des ?uvres de l'artiste [W] [Y], en exposant l'?uvre litigieuse et en la reproduisant dans le catalogue, le portfolio et l'album de l'exposition, a rempli sa mission légale de service public, et accompli une mission d'intérêt général, celle d'informer le public sur l'art de son temps, cette mission relevant de la liberté d'informer protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales,
- Dire que le [Établissement 1] était contraint contractuellement d'exposer et de reproduire l'?uvre litigieuse, et ne saurait donc être tenu de l'éventuelle faute de l'un de ses co-contractants,
- Dire et juger que le [Établissement 1] était de bonne foi, et a été délibérément tenu dans l'ignorance de l'existence d'un litige concernant l'?uvre litigieuse tant par [Z] [G] que par [W] [Y] et son studio qui doivent seuls supporter toutes les conséquences de la présente procédure.
A titre infiniment subsidiaire,
- Dire que l'originalité de la photographie publicitaire « Fait d'hiver » n'est pas démontrée, et que la sculpture de [W] [Y] n'en est pas la contrefaçon,
- Dire que M. [G], qui n'est pas titulaire du droit moral, n'a subi aucun préjudice du fait de l'exposition et de la reproduction de l'?uvre « Fait d'hiver » dans le catalogue, le portfolio et l'album de l'exposition coédités par le [Établissement 1], et lui accorder un euro symbolique;
- Dire et juger que le préjudice de M. [G] ne saurait être supérieur à la somme forfaitaire de 3.000 euros, en application de l'article L.331-1-3 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle,
- Dire et juger que [W] [Y] et [W] [Y] LLC devront seuls indemniser le demandeur, à l'exclusion du [Établissement 1],
En tout état de cause,
- Condamner M. [G], au paiement de la somme de 87.344, 80 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [G] au paiement de tous les dépens d'instance, dont ceux dont distraction au profit de Me TRICOIRE en application de l'article 699 du code de procédure civile,
- Prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir en toutes ses dispositions.

*

En réplique, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 septembre 2018 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la STICHTING FONDAZIONE PRADA demande au tribunal au visa des articles 122 et suivants du Code de procédure civile ; de l'article 224 et suivants du Code civil ; de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ; de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 ; des articles L. 112-2, 9o, L. 121-1, L.121-2 et L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ; des articles L. 331-1-3 et L. 331-1-4 du Code de propriété intellectuelle ; de la directive CE no 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, telle que transposée par la loi du 29 octobre 2007 no 2007-1544 de lutte contre la contrefaçon ; de l'article 1382 du code civil ; de :
A titre principal,
Prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 décembre 2014 et ordonner son retrait des débats ainsi que de l'intégralité des pièces saisies ;
Constater que M .[G] n'est pas titulaire des droits d'auteur sur la photographie publicitaire "Fait d'hiver" qui appartiennent à la société NAF-NAF pour le compte de laquelle elle a été créée ;
Ou à tout le moins :
Constater que M. [G] ne rapporte pas la preuve de la titularité des droits d'auteur qu'il invoque sur la photographie publicitaire "Fait d'hiver" et qu'il en serait le seul titulaire ;
En tout état de cause :
Constater que M. [G] ne démontre pas que la photographie publicitaire "Fait d'hiver" est originale ;
En conséquence,
- Déclarer M. [G] irrecevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur ;
- Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire,
Constater que les ressemblances entre la photographie publicitaire "Fait d'hiver" et la sculpture "Fait d'hiver "de [W] [Y] sont insuffisantes ; En conséquence,
- Dire que la sculpture "Faitd'hiver" de [W] [Y] ne constitue pas une contrefaçon de la photographie publicitaire "Fait d'hiver" ;
- Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
Dire qu'au regard du principe de proportionnalité, quand bien même la contrefaçon de droit d'auteur serait matérialisée, le droit à la liberté d'expression artistique de [W] [Y] doit primer sur le droit de propriété d'auteur de M. [G] ;
En conséquence,
- Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
Dire que la sculpture "Fait d'hiver" de [W] [Y] ne crée aucun risque de confusion avec la photographie publicitaire "Fait d'hiver" en transmettant un message substantiellement différent de telle sorte que la sculpture bénéficie de l'exception de parodie;
En conséquence,
- Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
Constater l'absence de toute opposition par M. [G] à l'utilisation de la sculpture "Fait d'hiver" de [W] [Y] durant près de trente ans ainsi que l'absence d'atteinte à l'intégrité de la photographie publicitaire "Fait d'hiver" ;
En conséquence,
- Dire que la prétendue atteinte au droit moral M. [G] n'est pas caractérisée ;
- Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause :
Constater que les seuls actes pouvant être pris en considération au titre de la réparation du prétendu préjudice de M. [G] se limitent à la représentation de la sculpture "Fait d'hiver" au [Établissement 1] dans le cadre de l'exposition "[W] [Y]. La Rétrospective", entre le 26 novembre et le 23 décembre 2014, la reproduction de la sculpture "Fait d'hiver" dans les ouvrages édités par le [Établissement 1] et par FLAMMARION, ainsi que la commercialisation desdits ouvrages ;
Constater l'absence totale de préjudices économique et moral de M. [G] ;
Constater le caractère manifestement disproportionné et injustifié des demandes de confiscation de la sculpture "Fait d'hiver" et des recettes tirées par [W] [Y] de l'exploitation de cette ?uvre ;
Constater le caractère manifestement disproportionné et injustifié des demandes de d'interdiction de représentation et de reproduction de la sculpture "Fait d'hiver" ou à tout le moins la limiter au seul territoire français ;
Constater le caractère non approprié et disproportionné de la mesure de publication;
Dire que la STICHTING FONDAZIONE PRADA ne saurait être solidairement tenu d'indemniser M. [G] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
En conséquence,
- Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner M. [G] à verser à STICHTING FONDAZIONE PRADA la somme 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamner M. [G] à verser à STICHTING FONDAZIONE PRADA aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Triet, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
*

Dans ses dernières conclusions du 21 septembre 2018, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société FLAMMARION demande au tribunal, au visa des articles 122 et suivants du code de procédure civile, 2224 et suivants du code civil, 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 et l'article du Protocole no1, L. 112-2, 9o, L. 122-5, 4o, L.121-1 et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle, L331-1-3 (tel que modifié par la loi du 11 mars 2014) et L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil et de la directive CE no 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, telle que transposée par la loi du 29 octobre 2007, de :
- Dire que les demandes de M. [G] sont irrecevables ;
A titre subsidiaire :
- Dire que l'?uvre « Fait d'Hiver » de [W] [Y] n'est pas la contrefaçon de l'?uvre invoquée par M. [G] ;
- Dire que la liberté d'expression artistique de [W] [Y] doit prévaloir sur les droits d'auteur invoqués ;
- Dire que l'?uvre de [W] [Y] bénéficie de l'exception de parodie ; - Dire qu'aucune atteinte aux droits moraux de M. [G] n'est caractérisée ;
A titre encore plus subsidiaire :
- Dire que M. [G] n'a subi aucun préjudice patrimonial ni aucune atteinte à ses droits moraux imputables à Flammarion ;
En tout état de cause :
- Débouter Monsieur [G] de toutes ses demandes ;
- Le condamner à payer à Flammarion une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Le condamner aux entiers dépens, dont le recouvrement sera assuré par Me Jean-Frédéric Gaultier conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

*

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 septembre 2018.

Mme [B] et M. [E] n'ayant pas constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera réputé contradictoire en application de l'article 473 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la demande tendant à ce que les pièces no7.1 à 7.11 soient écartées des débats

Le demandeur fait valoir que les pièces en cause sont constituées de parties des précédentes écritures des défendeurs, extraites desdites écritures pour en faire des pièces.

Le procédé n'est pas en tant que tel déloyal et il appartiendra au tribunal de se prononcer sur leur caractère probant ou non. Cette demande sera par conséquent rejetée à ce stade.

2o) Sur la nullité du procès-verbal aux fins de "saisie descriptive" du 11 décembre 2014

Le [Établissement 1] et la Stichting Fondazione PRADA demandent au tribunal d'annuler le procès-verbal de "saisie descriptive" en date du 11 décembre 2014 de la sculpture "Fait d'Hiver" de [W] [Y] au visa de l'article 496 du code de procédure civile. Ils soutiennent que M. [G] ne pouvait solliciter du président du tribunal de grande instance une seconde saisie sans l'informer du rejet de sa précédente requête.

Or, force est de constater que les requêtes déposées les 27 novembre et 9 décembre 2014 ne tendaient pas aux mêmes fins. L'ordonnance qui avait rejeté la première requête a en outre été infirmée en appel. La demande apparaît dans ces conditions mal fondée.

La demande aux fins d'annulation du procès-verbal de "saisie descriptive" du 11 décembre 2014 sera par conséquent rejetée.

2o) Sur la nullité de l'assignation

Le [Établissement 1] fait valoir, au visa de l'article 56, 2o) du code de procédure civile, que l'assignation serait nulle faute de permettre l'identification de l'oeuvre sur laquelle des droits sont revendiqués, et partant, de déterminer l'objet de la demande.

Or, outre que l'assignation reproduit en sa page 4 le visuel sur lequel le demandeur revendique des droits d'auteur et que le [Établissement 1] ne justifie ni d'ailleurs n'allègue l'existence d'aucun grief, de sorte que cette demande apparaît mal fondée, il doit être rappelé qu'elle est en tout état de cause irrecevable à ce stade de la procédure, conformément aux dispositions de l'article 771, 1o) du code de procédure civile.

L'assignation délivrée le 9 janvier 2015 sera par conséquent déclarée valable.

3o) Sur la titularité des droits

Les défendeurs font valoir que M. [G] serait dépourvu du droit d'agir, l'oeuvre "Fait d'hiver" de 1984 étant la propriété de la société NAF-NAF, l'oeuvre ayant été divulguée sous le nom de cette dernière, et devant être qualifiée d'oeuvre collective. Les défendeurs soutiennent encore que le demandeur aurait au surplus cédé ses droits, ayant agi en qualité d'agent de publicité et la société NAF-NAF en qualité d'annonceur.

Aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée."
Il est cependant constant que cette présomption ne peut jouer qu'au bénéfice des personnes physiques (Cass. Civ. 1ère, 19 février 1991, pourvoi no89-14.402, Bull. 1991, I, no69), une personne morale ne pouvant être titulaire ab initio des droits d'auteur (Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 2015, pourvoi no13-23.566, Bull 2015, I, no11), à moins que l'oeuvre soit qualifiée d'oeuvre collective (Cass. Civ. 1ère, 22 mars 2012, pourvoi no11-10.132, Bull. 2012, I, no70) ou que la personne morale justifie d'une exploitation paisible et non équivoque de l'oeuvre sous son nom encore qu'elle ne pourrait bénéficier que d'une présomption de titularité des droits patrimoniaux à l'égard des tiers (Civ. 1ère, 10 décembre 2014, pourvoi no13-23.076).

La société NAF NAF ne se trouvant pas dans ce dernier cas, compte tenu précisément des droits revendiqués par le demandeur, il convient de rechercher si la photographie peut être qualifiée d'oeuvre collective.

a - Sur la qualification de l'oeuvre

Selon l'article L.113-2 alinéas 1 et 3 du code de la propriété intellectuelle, "Est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.
Est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé."

Il résulte de ce texte que la qualification d'oeuvre collective suppose la réunion de deux séries de critères tenant d'une part au rôle assumé par la personne à l'initiative de l'oeuvre et, d'autre part, à la nature de la contribution des auteurs :
- l'oeuvre doit ainsi être élaborée à l'initiative d'une personne, le plus souvent morale, qui va en assumer la direction ainsi que l'édition, la publication et la divulgation sous son nom ;
- l'oeuvre est le résultat de la contribution de différents auteurs, chaque contribution devant se fondre dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, de sorte qu'aucune personne physique ne pourrait revendiquer seule la paternité de l'oeuvre, de manière à la distinguer de l'oeuvre de collaboration, voire de l'oeuvre émanant d'un contributeur unique.

En l'occurrence, il est établi par l'attestation de M. [S] [M] en date du 29 novembre 2017 que, si la société NAF-NAF a bien commandé l'oeuvre à M. [G], elle n'a donné aucune directive en vue de sa réalisation. De la même manière, M. [M] [E] atteste (pièce no19 du demandeur) avoir photographié la mise en scène conçue par M. [G] et Mme [Q] [B].

Le visuel en cause ne peut donc recevoir la qualification d'oeuvre collective.

Il s'agit au contraire d'une oeuvre de collaboration, pour laquelle M. [G] est recevable à agir seul dès lors que sa contribution est individualisable et que les autres auteurs ont été mis en cause (Cass. Civ. 1ère, 5 décembre 1995, pourvoi no93-13.559, Bull 1995, I, no450) et lui avaient en tout état de cause cédé leurs droits.

b - Sur la cession de droits au profit de la société NAF-NAF :

Ainsi que le relèvent les défendeurs, il n'existe aucun contrat écrit par lequel M. [G] aurait cédé ses droits d'auteur sur le visuel en cause à la société NAF-NAF. M. [Y] , la société [W] [Y] LLC et le [Établissement 1] soutiennent néanmoins que les relations entre M. [G] et la société NAF-NAF étaient soumises au contrat-type régissant les relations entre annonceurs et agents de publicité, du 19 septembre 1961, élaboré par un comité d'experts sous l'égide du secrétariat d'Etat au commerce. Les défendeurs soutiennent que les clauses de ce contrat-type se seraient appliquées en l'occurrence, à défaut d'autres stipulations.

Il n'est cependant justifié d'aucun élément démontrant que M. [G] a agi, pour l'élaboration de la campagne dans le cadre de laquelle a été créé le visuel en cause, en qualité d'agent. Au contraire, dans son témoignage (pièce du demandeur no36), M. [S] [M] atteste avoir sollicité M. [G] en qualité de "créateur indépendant". D'ailleurs, un autre visuel contemporain de celui en cause, et représentant un mannequin à genou devant un petit cochon, produit aux débats par les défendeurs eux-mêmes (pièce 2.2) mentionne en qualité de "copywriter : [Z] [G], photographer : [M] [E], art director : [Q] [B], client : Naf Naf" et "agency : in- house" (en interne), ce qui corrobore l'affirmation du demandeur selon laquelle la société NAF-NAF n'a, pour les campagnes confiées au demandeur, pas eu recours à une agence. Ces éléments démontrent que la commune intention de la société NAF-NAF d'une part et de M. [G] d'autre part, n'a pas été de se soumettre aux stipulations du contra-type.

Il y a donc lieu de considérer que M. [G] est bien titulaire des droits sur la photographie en cause et à ce titre, recevable à agir.

4o) Sur la prescription

Les défendeurs font valoir que l'oeuvre "Fait d'hiver"de [W] [Y] a fait l'objet d'une diffusion massive dans le monde entier et qu'en particulier elle a été exposée en France en 1995 dans une galerie parisienne particulièrement réputée, ce dont le demandeur, qui exerce la profession de directeur artistique, aurait dû avoir connaissance, de sorte que son droit d'action en contrefaçon serait prescrit depuis le 18 novembre 2000.

Si le droit moral de l'auteur est imprescriptible et son droit patrimonial protégé pendant soixante-dix ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes qui sont portées à l'un ou à l'autre droit sont en principe soumises à la prescription du droit commun (Cass. Civ. 1ère, 3 juillet 2013, pourvoi no10-27.043, Bull. 2013, I, no 147 à propos de droits voisins). Il en résulte que l'auteur qui invoque une violation de son droit moral doit, conformément à l'article 2224 du code civil, agir dans le délai de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action.

Au cas particulier, il n'est pas contesté que la sculpture litigieuse a été exposée du 16 septembre au 18 novembre 1995 au sein de la galerie [Adresse 8] .

Or, ainsi que le relève le demandeur, la galerie en cause est une galerie privée, créée à l'époque depuis environ cinq ans, de sorte que le carton d'invitation produit en défense (pièce no1-9) et le catalogue de cette exposition, qui reproduisent la sculpture litigieuse, ont été adressés aux clients de la galerie soit tout au plus quelques centaines de personnes. Aussi, quoiqu'une information très brève dans le magazine Télérama évoque l'exposition (sans évidemment évoquer la sculpture litigieuse), il n'est pas possible de considérer, au vu des circonstances, que le demandeur, fût-il directeur artistique, aurait dû connaître l'existence de la contrefaçon dès le mois de septembre 1995 de sorte qu'en application des articles 26 II de la loi du 17 juin 2008 et 2270 ancien du code civil, son action serait prescrite.

Il n'apparaît pas davantage réaliste d'exiger du demandeur une veille, notamment sur l'internet, de la diffusion de l'ensemble des oeuvres de [W] [Y].

Il y a donc lieu de considérer que le demandeur reconnaissant avoir eu connaissance de l'existence de la contrefaçon lors de l'exposition de l'oeuvre par son propriétaire, à Venise, en 2011, et en France, par suite de la rétrospective organisée par le [Établissement 1] en 2014, son action n'était pas prescrite à la date de l'assignation le 9 janvier 2015.

Il y a donc lieu de rejeter la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action.

5o) Sur l'originalité de la photographie "Fait d'hiver"

Les défendeurs concluent à l'absence d'originalité de la photographie "Fait d'hiver" dès lors que le demandeur se contenterait de décrire l'oeuvre sans expliciter en quoi ses choix porteraient la marque de sa personnalité.

Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une ?uvre de l'esprit jouit sur cette ?uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

En application de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute ?uvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
La protection d'une ?uvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l'absence d'originalité.

M. [G] explique en l'occurrence avoir réalisé la confrontation totalement inhabituelle d'une jeune femme évanouie ou alanguie dans la neige, dont s'approche un petit cochon réel avec à son cou un tonneau de chien Saint-Bernard. Il ajoute que les cochons ne sont pas connus pour se porter au secours des victimes d'avalanches à la différence des chiens de race Saint-Bernard. Enfin, il indique que le titre "Fait d'hiver" est constitué d'un jeu de mots faisant tout à la fois référence à l'accident dont a apparemment été victime la jeune femme d'une part, et à la collection dont la campagne en cause fait la promotion, d'autre part.

En l'espèce, force est de constater que M. [G] décrit suffisamment les contours de son oeuvre, les choix qu'il a opérés et leur combinaison procèdant de décisions arbitraires qu'aucune circonstance n'imposait spécialement. Si le nom de la marque pouvait faire envisager la représentation d'un petit cochon, il n'imposait nullement la composition revendiquée.

Les défendeurs produisent en outre quelques visuels comportant une femme et un cochon. Le tribunal observe cependant qu'aucun d'eux ne reproduit les caractéristiques de la photographie "Fait d'hiver". Cette photographie ne constitue donc pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.

Au contraire, l'ensemble témoigne d'une certaine créativité de la part de son auteur donnant à la mise en scène l'empreinte de sa personnalité, et confére à la photographie "Fait d'hiver" un caractère original, lui ouvrant droit à la protection au titre du droit d'auteur.

6o) Sur la contrefaçon de la photographie "Fait d'hiver"

Aux termes de l'article L.123-4 du code de la propriété intellectuelle, "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque."
Le juge statue en fonction des ressemblances (Cass. Civ. 1ère, 9 avril 2015, pourvoi no23-28.768) et la bonne foi est indifférente (Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, pourvoi no06-19.021, Bull 2008, I, no258).

Il convient donc de comparer la photographie "Fait d'hiver" avec la sculpture du même nom.

Il n'est en premier lieu pas contestable, ainsi que le font valoir les défendeurs, qu'il existe une différence entre une photographie en noir et blanc et une sculpture polychrome tridimensionnelle, que le spectateur peut voir de différents points de vue. En outre, ni le cadrage, ni l'éclairage, quoiqu'essentiels dans une photographie, ne peuvent être repris dans une sculpture.

D'autres différences peuvent également être relevées. Ainsi, des pingouins sont présents dans la composition de la sculpture de part et d'autre du cochon, lequel est un peu plus gros que sur la photo. Il en va de même des fleurs autour du cou du cochon et sur les lunettes de la jeune femme. Enfin, cette dernière porte une robe en résille laissant voir sa poitrine dans la sculpture, alors qu'elle porte une veste d'hiver matelassée sur la photographie.

Force est toutefois de constater qu'à l'exception de ces différences minimes, la mise en scène très reconnaissable de la photographie est la même. La jeune femme est en effet allongée dans la neige, les bras levés au niveau de sa tête. Elle est brune aux cheveux courts, une mèche de cheveux étant plaquée sur sa joue gauche, et son visage, identique à celui de la photo, reprend la même expression. Le cochon est près d'elle dans la même position et au même endroit que dans la composition de la photo. Ce dernier porte un tonneau de Saint-Bernard autour du cou. Les éléments originaux de la photographie "Fait d'hiver" sont donc reproduits par la sculpture. Il n'est d'ailleurs pas expressément contesté que la photographie a constitué la base du travail du studio de [W] [Y]. Et si la qualification d'oeuvre ne peut être déniée à cette sculpture, en particulier celle d'oeuvre composite, l'adaptation de la photographie ne pouvait se faire qu'avec l'accord de son auteur, conformément aux dispositions de l'article L.113-4 du code de la propriété intellectuelle.

La contrefaçon est donc constituée.

7o) Sur l'exception de parodie et la liberté d'expression artistique de [W] [Y]

Pour s'opposer à la condamnation, les défendeurs font valoir que [W] [Y] a pu reprendre les composantes de la photographie à des fins artistiques pour servir son discours dans la série Banality dans les conditions propres à son travail d'artiste contemporain.

Au visa de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les défendeurs demandent au tribunal de mettre en balance les deux droits fondamentaux que sont la liberté d'expression et le droit de propriété dont découle le droit d'auteur, dans les conditions posées par les décisions tant de la Cour européenne des droits de l'homme que de la Cour de cassation et d'admettre en l'espèce la primauté de la liberté d'expression artistique.

Les défendeurs font également valoir l'exception légale de parodie.

a - Sur l'exception de parodie

Selon l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, " Lorsque l'?uvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : 4o La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre " .

Ce texte est la transposition en droit français de l'article 5 § 3 sous k) de la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

Interprétant ce texte, la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt Deckmyn C. Vandersteen du 3 septembre 2014 (C-201/13), a dit pour droit que :

"1) L'article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, doit être interprété en ce sens que la notion de «parodie» figurant à cette disposition constitue une notion autonome du droit de l'Union.

2) L'article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la parodie a pour caractéristiques essentielles, d'une part, d'évoquer une ?uvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d'autre part, de constituer une manifestation d'humour ou une raillerie. La notion de «parodie», au sens de cette disposition, n'est pas soumise à des conditions selon lesquelles la parodie devrait présenter un caractère original propre, autre que celui de présenter des différences perceptibles par rapport à l'?uvre originale parodiée, devrait pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l'auteur de l'?uvre originale lui-même, devrait porter sur l'?uvre originale elle-même ou devrait mentionner la source de l'?uvre parodiée.
Cela étant, l'application, dans une situation concrète, de l'exception pour parodie, au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29, doit respecter un juste équilibre entre, d'une part, les intérêts et les droits des personnes visées aux articles 2 et 3 de cette directive et, d'autre part, la liberté d'expression de l'utilisateur d'une ?uvre protégée se prévalant de l'exception pour parodie, au sens de cet article 5, paragraphe 3, sous k).

Il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier, en tenant compte de toutes les circonstances de l'affaire au principal, si l'application de l'exception pour parodie, au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29, à supposer que le dessin en cause au principal réponde auxdites caractéristiques essentielles de la parodie, respecte ce juste équilibre."

En l'occurrence, l'intention humoristique résiderait dans le caractère irréel et fantaisiste de la composition constituée d'une jeune femme étendue dans la neige dans une tenue en résille et portant des lunettes à fleurs, sauvée par un cochon, animal de ferme symbole de banalité, lequel aurait vocation à libérer la jeune femme des diktats de la mode en s'acceptant telle qu'elle est et le spectateur des diktats du "bon goût" véhiculés par le "grand art", cette composition fantaisiste étant destinée à amuser le spectateur.

On observera que la Cour de Luxembourg se réserve expressément la définition de la parodie, dont elle fixe les critères aux fins de garantir une interprétation uniforme de l'exception.

Deux conditions sont donc posées : l'oeuvre seconde doit "évoquer une oeuvre existante et constituer une manifestation d'humour ou de raillerie".

La première condition d'évoquer" une oeuvre existante, postule que le public auquel s'adresse la parodie connaît cette oeuvre existante, le mot "évoquer" devant être ici compris au sens de "remémorer". L'oeuvre seconde doit également constituer une manifestation d'humour ou une moquerie.

En l'occurrence, à supposer que l'oeuvre "Fait d'hiver" de [W] [Y] puisse être regardée comme une "manifestation d'humour ou de raillerie", force est de constater que l'absence de notoriété de la photographie prétendument parodiée ne permet pas raisonnablement au public de distinguer l'oeuvre parodiée de la parodie, ce dont il résulte que la condition posée par la décision précitée de la Cour de justice de l'Union européenne d'évoquer une oeuvre existante, n'est pas remplie.

Le moyen de défense tiré de l'exception de parodie doit dès lors être rejeté.

b - Sur la liberté d'expression artistique de [W] [Y]

L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que "Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.( ?)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

Ces dispositions consacrent le droit à l'information du public et la liberté d'expression, notamment artistique, tout en rappelant que ce droit doit s'exercer dans le respect des autres droits fondamentaux tels que le droit de propriété dont découle le droit d'auteur.

La Cour de Strasbourg retient que la liberté d'expression est dotée d'une force plus ou moins grande selon le type de discours en distinguant la situation où est en jeu l'expression strictement commerciale de l'individu, de celle où est en cause sa participation à un débat touchant l'intérêt général : " L'étendue de la marge d'appréciation dont disposent les Etats contractants en la matière varie en fonction de plusieurs éléments, parmi lesquels le type de « discours » ou d'information en cause revêt une importance particulière. Ainsi, si l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression en matière politique par exemple, les Etats contractants disposent d'une large marge d'appréciation lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression dans le domaine commercial (Mouvement raëlien c. Suisse [GC], n o 16354/06, § 61), étant entendu que l'ampleur de celle-ci doit être relativisée lorsqu'est en jeu non l'expression strictement « commerciale » de tel individu mais sa participation à un débat touchant à l'intérêt général (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI)." (affaire Ashby Donald et autres c/ France du 10 janvier 2013, requête no36769/08).

Selon l'article 10 précité, les limitations à la liberté d'expression ne sont admises qu'à la condition qu'elles soient prévues par la loi, justifiées par la poursuite d'un intérêt légitime et proportionnées au but poursuivi c'est à dire rendues nécessaires dans une société démocratique.

La Cour européenne des droits de l'homme a également précisé dans la décision précitée que l'adjectif "nécessaire" au sens de l'article10 § 2 "implique un besoin social impérieux" (point 38, § ii de l'arrêt).

Les défendeurs font à cet égard valoir que les décisions citées par le demandeur procèdent d'une erreur d'analyse de la jurisprudence tant de la Cour de cassation que de celle de la Cour européenne des droits de l'homme et qu'il n'appartient pas à [W] [Y] de démontrer en quoi l'atteinte qu'il aurait porté aux droits d'auteur de M. [G] était nécessaire dans une société démocratique.

En effet, s'il n'est pas contesté que la protection du droit d'auteur est d'origine légale et qu'elle poursuit un but d'intérêt légitime en ce qu'elle permet l'exploitation paisible de leurs créations par les auteurs et encourage cette création, les restrictions qu'elle impose à la liberté d'expression doivent être nécessaires et répondre à un besoin impérieux (et non l'inverse).

Ainsi, au soutien de leur argumentation en faveur de la liberté d'expression , les défendeurs invoquent le renforcement de la liberté d'expression artistique dans le courant législatif et jurisprudentiel européen déjà évoqué, et à travers la doctrine américaine du "fair use" ou "usage loyal", indispensable selon eux au développement de l'art et de la pensée artistique.

Ils versent notamment aux débats la décision Andrea Blanchs v/ [W] [Y] du 26 octobre 2006 (US Court of appeals) qui fait application de cette doctrine au défendeur en tant qu'artiste dit « appropriationniste », reprennant en tant que « matière première » une ?uvre préexistante qu'il transforme de manière licite (la Cour ayant notamment retenu dans cette affaire que la part du travail d'Andrea Blanchs copiée par [W] [Y] n'était pas "substantielle") dans un but et une signification complètement différentes de l'?uvre antérieure.

Les défendeurs en déduisent que dans la ligne de ce mouvement artistique, [W] [Y] a pu de manière tout aussi licite s'approprier à des fins créatives les composantes de la photographie "Fait d'hiver" pour la transformer en une ?uvre nouvelle et indépendante.

Au cas particulier, la sculpture appartient à la série Banality à travers laquelle l'artiste déclare poursuivre le but d'éliminer tout jugement de valeur pour partager avec le public son idée qu'il n'y a pas à avoir honte de nos goûts et de notre histoire.

Il soutient avoir ainsi transformé le visuel intial en y ajoutant des fleurs et deux pingouins, symboles de printemps et de vie, et en changeant la tenue de la jeune femme, laquelle dans la sculpture revêt la robe portée par une célèbre actrice pornographique et femme politique italienne, connue sous le nom de "La Cicciolina". La composition prendrait ainsi un tout autre sens, non plus celui de la peur de ce qui va arriver à la jeune femme, qui serait celui de la photographie, mais celui de la confiance que chacun doit avoir dans ses propres goûts.

Or, en l'espèce, l'artiste a choisi de reprendre intégralement la composition de la photographie "Fait d'hiver", sans faire aucune référence à la photographie originelle, laquelle n'est pas familière du public, et en particulier du public mondial auquel s'adresse [W] [Y].

Il en résulte qu'en reproduisant "substantiellement" ce visuel, par ailleurs inconnu du public, [W] [Y] ne peut prétendre avoir voulu susciter "un débat touchant à l'intérêt général", ou même un débat concernant l'art, qui justifierait l'appropriation qu'il a faite d'une oeuvre protégée.

Au contraire, tout laisse à croire en l'occurrence que la reprise de la photographie repose sur des considérations personnelles et propres à [W] [Y], lui ayant permis de se servir de la composition de la photographie, qui, ainsi que le relève à juste titre le demandeur, comportait déjà un caractère surprenant et fantaisiste, et ce, en faisant l'économie d'un travail créatif, ce qui ne pouvait se faire sans l'autorisation de l'auteur de l'oeuvre "première".

Ainsi, il y a lieu de considérer que la mise en ?uvre de la protection au titre du droit d'auteur du demandeur constitue, eu égard aux circonstances particulière de la présente affaire, une atteinte proportionnée et nécessaire à la liberté d'expression de [W] [Y].

Pour ces raisons, le moyen de défense tiré de la liberté d'expression sera rejeté.

8o) Sur la liberté et le devoir d'information du [Établissement 1]

Le [Établissement 1] invoque, également au visa de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la prédominance de la liberté d'information en faisant observer qu'il est de son devoir de montrer l'art du temps dans sa mission de service public en exécution de la politique culturelle de l'Etat et qu'il ne pouvait savoir que l'?uvre "Fait d'hiver" ferait l'objet d'une revendication.

Cependant, il s'agit de faits de reproduction d'une ?uvre contrefaisante qui, indépendamment de la bonne foi, caractérisent des actes de contrefaçon (Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, pourvoi no06-19.021, Bull. 2008, I, no258).

La contrefaçon est constituée et le moyen soulevé en défense sera en conséquence rejeté.

7o) Sur les mesures de réparation

Selon les deux premiers alinéas de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
Ce droit est attaché à sa personne."

Le demandeur sollicite en l'occurrence la réparation des atteintes à son droit moral et en particulier des atteintes causées à son droit de représentation, à son droit au respect de l'oeuvre et à son droit à la paternité, causées par la rétrospective, et par les ouvrages consacrés à [W] [Y], outre l'exploitation du site internet etlt;[Courriel 1]etgt; , ceux-ci ayant tous reproduit l'oeuvre contrefaisante.

Le tribunal observe que le demandeur ne peut invoquer simultanément le droit au respect de l'oeuvre et le droit à la paternité. Dès lors, seuls seront retenus l'atteinte aux droits de paternité et de représentation (ou de reproduction selon les cas) du demandeur.

Il doit être tenu compte en revanche des multiples modalités de diffusion de l'oeuvre contrefaisante.

En l'occurrence, la sculpture "Fait d'hiver" a été exposée au public du 26 novembre au 23 décembre 2014, date de son retrait de l'exposition rétrospective de l'oeuvre de [W] [Y], soit pendant un peu moins d'un mois. Cette exposition a en outre connu un "record de fréquentation". Le communiqué de presse du [Établissement 1] en date du 17 décembre 2014 (pièce du demandeur no18) annonce en effet 112.844 visiteurs à cette date, ainsi qu'un record du nombre de visiteurs le premier jour d'une exposition. Cette atteinte massive au droit de représentation et au droit de paternité de M. [G] justifie de lui allouer en réparation de l'atteinte ainsi causée une somme de 110.000 euros. [W] [Y], [W] [Y] LLC et le [Établissement 1] ayant tous concouru à la réalisation de ce même dommage seront tenus in solidum au paiement de cette somme, dans la limite de 40% de cette somme en ce qui concerne le [Établissement 1], compte tenu de la participation très active de la société [W] [Y] LLC et de [W] [Y] à titre personnel. Il est en effet établi que la société [W] [Y] LLC a purement et simplement retiré la clause de garantie pour le cas d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle que contenait le projet de contrat qui lui avait été adressé (pièce no34 du [Établissement 1]) et que [W] [Y] a personnellement "travaillé sur chaque détail de l'exposition" tant du [Établissement 2] que du [Établissement 1], contrôlant chaque oeuvre exposée, son emplacement et la scénographie.

A l'occasion de cette rétrospective, trois ouvrages ont été élaborés et édités par le [Établissement 1] sous le contrôle strict de [W] [Y] :
- le catalogue de l'exposition : il reproduit à partir de la page 109 la série "Banality" et en particulier la sculpture "Fait d'hiver"et a été vendu à 7.953 exemplaires ;
- l'album de la rétrospective : il reproduisait en page 22 la sculpture "Fait d'hiver"et a été vendu à 12.624 exemplaires ; la version éditée à partir de janvier 2015 ne reproduit plus la sculpture litigieuse ;
- le portfolio : il reproduisait la sculpture et a été vendu à 5.515 exemplaires, soit 26.000 ouvrages environ.

Il convient par conséquent d'allouer au demandeur en réparation de l'atteinte causée tant à son droit de reproduction qu'à son droit de paternité, au titre des ouvrages en cause, une somme de 25.000 euros. [W] [Y], [W] [Y] LLC et le [Établissement 1] ayant tous concouru à la réalisation de ce même dommage seront tenus in solidum au paiement de cette somme, dans la limite de 40% de cette somme en ce qui concerne le [Établissement 1], pour les mêmes motifs que précédemment.

Il résulte encore des pièces produites aux débats que 1930 exemplaires de l'ouvrage "Entretiens avec [O] [H]" édité par la société FLAMMARION à partir d'octobre 2014, reproduisant sur une pleine page la sculpture contrefaisante, ont été vendus ou donnés à ce jour. Il convient par conséquent d'allouer au demandeur en réparation de l'atteinte causée tant à son droit de reproduction qu'à son droit de paternité, par l'ouvrage en cause, une somme de 2.000 euros, qui sera mise à la charge de la société FLAMMARION.

L'oeuvre contrefaisante a enfin été visible jusqu'en août 2017 sur le site internet etlt;[Courriel 1]etgt; , administré par la société [W] [Y] LLC, soit pendant plus de deux ans après la délivrance de l'assignation. Il convient par conséquent d'allouer au demandeur en réparation de l'atteinte causée tant à son droit de reproduction qu'à son droit de paternité, au titre du site internet, une somme de 11.000 euros.

Il sera en tant que de besoin fait droit aux demandes d'interdiction selon les modalités visées au dispositif, étant observé que l'exposition de l'oeuvre contrefaisante a pris fin, y compris sur le site internet etlt;[Courriel 1]etgt;.

En ce qui concerne le catalogue et l'ouvrage "Entretiens avec [O] [H]", la demande d'interdiction pure et simple apparaît disproportionnée s'agissant dans les deux cas d'ouvrages de l'ordre de 300 pages consacrés à un artiste contemporain dont le succès est sans équivalent.

Il n'y a pas davantage lieu de faire droit à la demande de confiscation, non plus qu'à la demande de publication, ces mesures s'avérant également disproportionnées compte tenu de l'ancienneté des faits et s'agissant de l'oeuvre composite d'un artiste étranger, au surplus propriété d'un organisme étranger, et eu égard à la publicité déjà donnée à cette affaire par M. [G] par l'intermédiaire de son conseil (pièces no47 à 50 du [Établissement 1]).

8o) Sur les mesures accessoires

Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les défenderesses seront tenues solidairement aux dépens, ainsi qu'à payer à M. [G] une somme de 70.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision.

Nécessaire et compatible avec la nature de la présente affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,

LE TRIBUNAL,

Rejette les demandes tendant à ce que soient écartées des débats les pièces no 7.7 à 7.11, et aux fins d'annulation du procès-verbal de saisie-descriptive du 11 décembre 2014 et de l'assignation du 9 janvier 2015 ;

Dit que M. [Z] [G] est titulaire de droits d'auteur sur la photographie "Fait d'hiver" et, à ce titre, recevable à agir en contrefaçon de ses droits d'auteur ;

Rejette la fin de non recevoir fondée sur la prescription de l'action en contrefaçon ;

Rejette l'exception de parodie et le moyen tiré de la liberté d'expression de M. [W] [Y] ;

Dit que M. [W] [Y], la société [W] [Y] LLC, le [Établissement 1] et la société FLAMMARION ont commis des actes de contrefaçon de la photographie "Fait d'hiver" en reproduisant ce visuel dans le cadre de l'exposition rétrospective consacrée à [W] [Y] et en le diffusant dans le catalogue, l'album et le portfolio de l'exposition, ainsi que dans l'ouvrage "Entretiens avec [O] [H]", et sur le site internet [Courriel 1] ;

Interdit en tant que de besoin à M. [W] [Y], à la société [W] [Y] LLC, la poursuite de ces agissements ;

Dit n'y avoir lieu à astreinte ;

Condamne in solidum M. [W] [Y], la société [W] [Y] LLC, le [Établissement 1] dans la limite de 40% de la somme en ce qui concerne le [Établissement 1], à payer à M. [Z] [G] 110.000,00 euros en réparation des atteintes à son droit de représentation ainsi qu'à son droit de paternité sur la photographie "Fait d'hiver", causées par l'exposition rétrospective de l'oeuvre de [W] [Y] ;

Condamne in solidum M. [W] [Y], la société [W] [Y] LLC, le [Établissement 1] dans la limite de 40% de la somme en ce qui concerne le [Établissement 1], à payer à M. [Z] [G] 25.000,00 euros en réparation des atteintes à son droit de reproduction ainsi qu'à son droit de paternité sur la photographie "Fait d'hiver", causées par l'édition du catalogue, de l'album et du portfolio de l'exposition rétrospective ;

Condamne la société FLAMMARION à payer à M. [Z] [G] 2.000,00 euros en réparation des atteintes à son droit de reproduction ainsi qu'à son droit de paternité sur la photographie "Fait d'hiver", causées par l'édition de l'ouvrage "Entretiens avec [O] [H]" ;

Condamne la société [W] [Y] LLC à payer à M. [Z] [G] 11.000,00 euros en réparation des atteintes à son droit de reproduction ainsi qu'à son droit de paternité sur la photographie "Fait d'hiver", causées par la reproduction de la sculpture contrefaisante sur le site internet [Courriel 1] ;

Rejette les demandes de confiscations et de publications ;

Condamne in solidum M. [W] [Y], la société [W] [Y] LLC, la STICHTING FONDAZIONE PRADA, le [Établissement 1] et la société FLAMMARION, à payer à M [Z] [G], 70.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme se répartissant entre les parties perdantes à concurrence d'un cinquième chacune dans leurs rapports entre elles ;

Condamne in solidum M. [W] [Y], la société [W] [Y] LLC, la STICHTING FONDAZIONE PRADA, le [Établissement 1] et la société FLAMMARION aux dépens et autorise Maître AITTOUARES à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

Fait et jugé à Paris le 08 novembre 2018.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 15/02536
Date de la décision : 08/11/2018

Analyses

Action en contrefaçon de droits d'auteur


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2018-11-08;15.02536 ?
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