T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 3ème chambre 2ème section No RG : 04/02790 No MINUTE : Assignation du : 03 Février 2004 Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 22 Juin 2006
DEMANDERESSE Madame Geneviève X... épouse ROY Le Y... 521 Chemin des Combattants d'AFN 06140 NICE représentée par Me Philippe ESCHASSERIAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire A.67 DÉFENDEUR Monsieur René Z..., dit TCHEKOF, exerçant sous l'enseigne "SCORPIO FILMS PRODUCTIONS" 177, rue d'Alésia 75014 PARIS représenté par Me Pascal KAMINA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C 1214 COMPOSITION DU TRIBUNAL Claude VALLET, Vice-Président, signataire de la décision Véronique RENARD, Vice-Président Michèle PICARD, Vice-Président assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision DEBATS A l'audience du 27 Avril 2006 tenue publiquement JUGEMENT Prononcé publiquement Contradictoirement en premier ressort Faits et procédure Madame X... et Monsieur A..., l'un et l'autre photographe, ont entretenu une relation maritale de 1972 à 1983 au cours de laquelle, en raison de la signature par Monsieur A... de plusieurs contrats avec le Ministère du Commerce du royaume d'Arabie Saoudite aux fins de constitution d'une photothèque nationale, les parties ont longuement séjourné et voyagé dans ce pays. Ces travaux ont abouti à la création d'un fonds de 900 000 diapositives, majoritairement réalisées par Monsieur A... B... la séparation du couple, un désaccord est survenu entre Madame X... et Monsieur A... quant à l'exploitation des photographies dont Madame X... est l'auteur. Un premier protocole d'accord est intervenu le 14 septembre 1983. Estimant que Monsieur A... n'en respectait pas les termes, Madame X... a, par acte en date du 29 octobre 1986 assigné Monsieur A... devant ce tribunal aux fins d'obtenir la nullité de certaines clauses de ce protocole ainsi que
la condamnation de Monsieur A... à procéder sous astreinte à la reddition des comptes d'exploitation. Les parties se sont rapprochées en cours de procédure et un nouveau protocole a été signé le 10 octobre 1989 aux termes duquel Monsieur A... a remis à Madame X... les photographies originales dont elle est l'auteur et lui en a expressément reconnu la pleine et entière propriété, cette dernière se réservant un droit de distribution non exclusif desdites photographies uniquement sur le territoire de l'Arabie Saoudite , moyennant une rémunération de 50% des droits perçus et l'obligation de rendre compte des exploitations ainsi réalisées. Constatant que 57 de ses propres photographies étaient consultables sur le site internet scorpiofilm.com et sur le site pixoclock.com exploités par Monsieur A... de même qu'un cliché la représentant, Madame X... a par acte en date du 3 février 2004 assigné Monsieur A... en contrefaçon et en indemnisation pour atteinte à son image. Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 10 mars 2006, Madame X... demande de: - rejeter des débats les pièces 5, 10 et 11 produites par Monsieur A... faute de communication régulière, - dire et juger qu'en représentant, sans son autorisation à 133 reprises, 57 photographies dont elle est l'auteur sans qu'il soit fait mention de son nom et de sa qualité, ou sous la mention de copyright scorpiofilm .R.T. A... ou encore sous la mention scorpiofilm.Charpy pour les besoin de l'illustration du site internet qu'il exploite à l'adresse www.scorpiofilm.com , et à l'adresse www.pixoclock.com , Monsieur A... a commis des actes de contrefaçon à son préjudice, - dire et juger qu'en représentant une photographie référencée SA 278016 comportant une représentation de son image, Monsieur A... a porté atteinte à son droit sur celle-ci. Elle sollicite l'allocation de la somme de 133 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des atteintes à son droit moral et
l'allocation de la même somme en réparation des atteintes à ses droits patrimoniaux, outre celle de 5 000 euros au titre de l'atteinte à son droit à l'image, lesdites sommes portant intérêt au taux légal à compter du jour de la demande. Elle demande de prononcer les mesures d'interdiction, de confiscation sous astreinte et de publication usuelles en pareille matière et de condamner Monsieur A... à justifier également sous astreinte, des utilisations qu'il a faites de ses photographies à compter du 10 octobre 1989, le tribunal se réservant la liquidation des astreintes ainsi prononcées. Elle sollicite le bénéfice de l'exécution provisoire, l'allocation de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que la condamnation du défendeur aux dépens à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du même code. Dans ses écritures récapitulatives signifiées en dernier lieu le 3 avril 2006, Monsieur A... demande de : - constater que les demandes de Madame X... se heurtent à l'autorité de la chose jugée en dernier ressort d'une précédente transaction par laquelle elle a renoncé à réclamer la paternité d'autres photographies que celles qui lui étaient attribuées, - débouter Madame X... de l'ensemble de ses demandes, - la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, - ordonner à titre de réparation complémentaire la publication intégrale de la décision à intervenir dans trois journaux ou périodiques, - condamner Madame X... aux entiers dépens dont distraction au profit du conseil du défendeur ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 avril 2006. Motifs de la décision Sur la demande de retrait des pièces no 5, 10 et 11: Attendu que la pièce no 5 est un constat d'huissier dressé par Maître
Pecastaing le 10 février 2004; qu'après n'avoir produit que les quatre premières pages de ce constat qui aurait présenté de nombreuses ratures, le défendeur a communiqué cette pièce en intégralité le 10 octobre 2005; Attendu qu'en dernier état, Madame X... n'en conteste plus que la force probante, ce qui est une question de fond insusceptible de justifier que cette pièce soit purement et simplement écartée des débats; Attendu que les pièces numérotées 10 et 11 sont constituées par des interviews et reportages réalisés par Monsieur A... dont la demanderesse soutient qu'ils ne lui ont pas été communiqués dans l'intégralité des 580 pages qui les composent; Attendu que le défendeur ne formule aucune observation sur ce point dans ses dernières écritures; qu'étant surabondamment précisé que ces pièces sont sans incidence sur la solution du litige dès lors qu'elles n'ont pour objet que d'établir la réputation professionnelle de Monsieur A..., elles seront écartées des débats faute d'avoir été régulièrement communiquées à la partie adverse; * sur la titularité des droits de Madame X...: Attendu que le protocole signé le 10 octobre 1989 comporte une annexe énumérant les photographies attribuée à Madame X...; que le défendeur soutient que Madame X... serait irrecevable à agir pour 9 des 57 photographies objet du présent litige qui ne sont pas mentionnées dans l'annexe de ce protocole, lequel avait pour objet de mettre un terme définitif au litige portant sur l'ensemble des droits de la demanderesse sur le fond photographique réalisé au cours de la période considérée ; que celle-ci oppose que les transactions se renfermant sur leur objet selon les dispositions de l'article 2048 du code civil, l'accord considéré ne pouvait porter que sur les photographies détenues par Monsieur A... dont elle avait connaissance à l'époque de la signature; qu'ayant découvert à l'occasion de la consultation des sites internet de Monsieur A...
qu'il détenait d'autres clichés dont elle est l'auteur, elle est parfaitement recevable à en revendiquer la paternité, laquelle résulte pour six d'entre elles du fait que Monsieur A... les exploite lui-même sous la mention scorpiofilm.G.Charpy et pour les autres des pièces et témoignages versés aux débats; Attendu que l'assignation délivrée en 1986 ne comporte, contrairement à ce qu'affirme Monsieur A..., aucune annexe constituée par une liste des photographies revendiquées par Madame X... qui permettrait de définir le périmètre exact du litige réglé par la transaction signée le 10 octobre 1989 qui semble de prime abord porter sur l'ensemble des clichés pris en Arabie Saoudite; qu'il convient toutefois de rappeler que de principe, les transactions s'interprètent restrictivement; Attendu que dans son analyse des procès- verbaux de constat, Madame X... indique, page 4.47 que les photographies référencées, SA 1739/15, SA 1739/26, NA 0110/31 et SA 1912/11 ont été supprimées de la liste qu'elle avait proposée en annexe au protocole; qu'il s'en déduit que connaissant, contrairement à ce qu'elle indique dans ses écritures, le fait que Monsieur A... détenait ces photographies, elle a alors renoncé définitivement à toute revendication les concernant; que sa demande est donc irrecevable en ce qui concerne ces oeuvres;
Attendu qu'il subsiste une incertitude en ce qui concerne les cinq autres photographies revendiquées, référencées, SA 2912/04, SA 3463/10 et SA 2490/35, SA 2914/12 et SA 3122/12 aucune preuve ne vient établir formellement qu'elles auraient été incluses dans la transaction; qu'il y a donc lieu de dire que leur revendication est recevable; Attendu qu'il résulte des mentions du procès-verbal de constat que les trois premières sont créditées G.CHARPY sur le site internet du défendeur, de sorte qu'il est impossible à Monsieur
A... de soutenir que celle-ci n'en serait pas l'auteur; Attendu en revanche qu'aucune preuve de la paternité des deux autres n'est apportée, laquelle ne peut résulter de la seule proximité de lieu ou de sujet avec d'autres clichés, étant précisé qu'il est acquis aux débats que plusieurs opérateurs de l'équipe constituée autour de Monsieur A... oeuvraient lors des prises de vues; Sur la contrefaçon Attendu qu'en considération des développements précédents, ce sont 51 photographies dont l'utilisation illicite sera examinée ci-après;Attendu qu'en considération des développements précédents, ce sont 51 photographies dont l'utilisation illicite sera examinée ci-après; * sur l'atteinte aux droits patrimoniaux: Attendu que Monsieur A... soutient d'une part que Madame X... avait parfaitement connaissance du fait qu'il procédait à la numérisation de l'ensemble du fonds photographique qu'il exploite aux fins de les proposer sur internet en basse définition et d'autre part qu'il n'a cédé aucun droit d'exploitation et n'a donc tiré aucun profit de cette opération; qu'il estime qu'étant titulaire d'un droit de distribution, il lui était loisible de présenter ces clichés, non exploitables directement du fait de la mention qui les barre, sur son site internet lequel constitue une vitrine , à l'instar d'un catalogue; qu'il ajoute n'avoir pas réalisé les 133 représentations qui lui sont imputées mais seulement 48, chaque photographie étant certes accessible par des cheminements différents mais n'étant représentée qu'une seule fois; qu'il précise encore avoir retiré les clichés litigieux de son site dès la délivrance de l'assignation; Attendu qu'il est constant que le protocole d'accord signé entre les parties ne conférait pas à Monsieur A... de droit de reproduction en France mais seulement un droit dit de distribution en Arabie Saoudite; qu'il résulte des dispositions de l'article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle que le défendeur ne peut valablement
prétendre disposer de droits qui ne lui ont pas été expressément cédés; Qu'en conséquence, le délit de contrefaçon est caractérisé à son encontre; Attendu qu'il y a lieu de considérer que les photographies illicitement utilisées sur les sites internet exploités par le défendeur ne constituent pas des utilisations multiples de chacune d'entre elles; qu'en effet, la reproduction, et non la représentation ainsi que soutenu par la demanderesse, est constituée par le fait de mettre lesdites oeuvres en ligne sur un site déterminé, la possibilité de procéder à l'agrandissement des vignettes de présentation ne réalisant qu'une autre manière de voir la même image; que la contrefaçon n'est donc réalisée que pour le nombre de clichés considérés, à savoir 51; * sur l'atteinte au droit moral: Attendu que les demandes portent d'une part sur 8 photographies signées René A... alors que le protocole d'accord des attribue à Madame X... et d'autre part sur une absence totale de crédit sur les vignettes de présentation; Que le défendeur réplique que pour les premières il s'agit d'une malencontreuse erreur qu'il a rectifiée de suite et pour le surplus que ces "vignettes" sont des liens qui permettent l'ouverture des photographies dans leur format normal, lesquelles comportent le nom de leur auteur, ce qui selon lui est conforme aux usages de la profession; Attendu qu'étant rappelé qu'en matière civile, la bonne foi est inopérante, le fait de diffuser sur internet des oeuvres faussement créditées porte incontestablement atteinte au droit à la paternité de la demanderesse; Attendu sur le second point qu'il est constant que les photographies réalisées par Madame X... sont dûment créditées, que cependant, pour accéder au nom du photographe, il faut agrandir l'image présentée en sommaire; Attendu que s'agissant d'une seule et unique reproduction, la présence du crédit sur l'agrandissement suffit à l'identification de son auteur par le public intéressé;
Attendu que le défendeur fait valoir en outre à juste raison que le petit format des vignettes de présentation ne permettrait pas de leur associer un crédit qui serait en tout état de cause illisible; qu'en conséquence, ce chef de demande n'est pas fondé;
Sur l'atteinte à l'image de Madame X...:
Attendu que Madame X... reproche au défendeur d'avoir représenté sur son site internet une photographie portant la référence SA 278016 la représentant entourée de deux bédouins; Attendu qu'il est constant qu'elle n'a conféré aucune autorisation préalable à Monsieur A... de la représenter pour les besoins de l'exploitation de son site; que la circonstance que Madame X... ait su que cette photographie pourrait être exploitée en Arabie Saoudite ne permet pas d'en déduire qu'elle acceptait toute forme d'utilisation de celle-ci en particulier dans la large diffusion que permet le vecteur de communication considéré; Attendu qu'en agissant de la sorte le défendeur a commis une faute dont il doit réparation; Sur les mesures réparatrices: Attendu qu'il sera fait interdiction sous astreinte à Monsieur A... de poursuivre des actes de contrefaçon établis; que la restitution à Madame X... des trois clichés originaux dont elle est reconnue l'auteur sera ordonnée également sous astreinte, le surplus de la demande de confiscation et de remise à Madame X... n'étant pas fondé; Attendu que les vérifications réalisées par l'expert-comptable de Monsieur A... démontrent suffisamment qu'il n'a procédé à aucune commercialisation effective des photographies illicitement représentées; que la mesure de communication sous astreinte des utilisations réalisées ne se justifie donc pas; Attendu que le préjudice patrimonial de la demanderesse sera donc intégralement réparé par l'allocation de la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts; Attendu que les atteintes au droit moral seront indemnisées par l'allocation de la somme de 4000 euros; Attendu que
le préjudice résultant de l'atteinte à l'image de Madame X... sera réparé intégralement par l'allocation de la somme de 1 000 euros; Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner en outre la publication de la présente décision; Sur la demande reconventionnelle: Attendu que la demande principale étant reconnue pour partie fondée, l'abus de droit d'agir en justice dénoncé par Monsieur A... est sans objet. Sur les autres demandes: Attendu que Monsieur A... sera condamné aux dépens de l'instance lesquels seront recouvrés conformément aus disjonction de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile; qu'il sera en outre condamné à payer à Madame X... la somme de 3.000,00 euros au titre de ses frais non taxables qu'il serait inéquitable qu'elle supporte. Par ces motifs Le Tribunal, statuant en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort, Ecarte des débats les pièces no 10 et 11 produites par Monsieur A..., faute de communication régulière, Rejette la demande de retrait de la pièce no 5 produite par Monsieur A..., Déclare Madame X... irrecevable à agir en revendication des photographies référencées SA 1739/15, SA 1739/26, NA 0110/31et SA 1012/11, celles-ci étant comprises dans la transaction signée le 15 décembre 1989, La déboute de sa revendication en ce qui concerne les photographies référencées SA 2914/12 et SA 3122/12, Dit que Madame X... est l'auteur des photographies référencées SA 2912/04, SA 3463/10 et SA 2990/35, Dit qu'en représentant sur son site internet 51 photographies dont Madame X... est l'auteur sans avoir requis son autorisation, Monsieur A... a commis des actes de contrefaçon portant atteinte au droit patrimonial de Madame X..., Dit qu'en représentant sur internet 8 photographies dont Madame X... est l'auteur en les créditant à son propre nom, Monsieur A... a porté atteinte au droit moral de Madame X..., Déboute Madame X... du surplus de sa demande en contrefaçon, Dit qu'en diffusant sur internet une photographie
représentant Madame X... sans son consentement, Monsieur A... a porté atteinte à l'image de celle-ci En conséquence, Fait interdiction à Monsieur A... de poursuivre les actes ci-dessus spécifiés sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision, Ordonne la restitution à Madame X... des clichés originaux des photographies référencées SA 2912/04, SA 3463/10 et SA 2490/35 sous astreinte de 1000 euros par cliché passé le délai de quinze jours suivant la signification de la présente décision, Condamne Monsieur A... à payer à Madame X... la somme de 5000 euros en réparation de son préjudice patrimonial, la somme de 4000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral et la somme de 1000 euros en réparation de l'atteinte portée à son droit à l'image, lesdites sommes portant intérêt au taux légal à compter de ce jour,
Dit n'y avoir lieu à publication du présent jugement, Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision, Déboute Madame X... de ses demandes plus amples et Monsieur A... de sa demande reconventionnelle, Le condamne à payer à Madame X... la somme de 3000 euros au titre de ses frais non taxables, Le condamne aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître ESCHASSERIAUX. Fait et jugé à Paris le 22 Juin 2006 Le Greffier Le Président