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24/05/2006 | FRANCE | N°JURITEXT000006951228

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0038, 24 mai 2006, JURITEXT000006951228


1ère chambre 1ère section No RG : 06 / 04466
no MINUTE : Assignation du 14 janvier 2005 RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE M.- D. T Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 24 mai 2006
DEMANDERESSE Madame X...... 75006 PARIS représentée par Maître Charles MOREL, avocat au barreau de PARIS- vestiaire A279 DÉFENDEURS Monsieur Raymond Y...... 75006 PARIS représenté par Maître Jean- Michel BRAUNSCHWEIG, avocat au barreau de PARIS- vestiaire R 142 SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS (SPP), association reconnue d' utilité publique, représentée par son Président en

exercice, Monsieur Gérard Z... ... 75005 PARIS représentée par Maître Jea...

1ère chambre 1ère section No RG : 06 / 04466
no MINUTE : Assignation du 14 janvier 2005 RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE M.- D. T Expéditions exécutoires délivrées le : JUGEMENT rendu le 24 mai 2006
DEMANDERESSE Madame X...... 75006 PARIS représentée par Maître Charles MOREL, avocat au barreau de PARIS- vestiaire A279 DÉFENDEURS Monsieur Raymond Y...... 75006 PARIS représenté par Maître Jean- Michel BRAUNSCHWEIG, avocat au barreau de PARIS- vestiaire R 142 SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS (SPP), association reconnue d' utilité publique, représentée par son Président en exercice, Monsieur Gérard Z... ... 75005 PARIS représentée par Maître Jean CASTELAIN membre de la SCP du GRANRUT- VATIER- CASTELAIN avocat au barreau de PARIS- vestiaire P14 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean- Claude MAGENDIE, Président du Tribunal Président de la formation Marie- Dominique TRAPET, Vice- Président Florence LAGEMI, Vice- Président Assesseurs assistés de Caroline GAUTIER, Greffier DÉBATS À l' audience du 3 mai 2006, tenue en chambre du conseil JUGEMENT Prononcé en audience publique Contradictoire
En premier ressort prétentions et moyens des parties
Ancien professeur de philosophie, directeur d' une société de conseil en stratégie d' entreprise dénommée Elzévir, Madame X... expose qu' elle a suivi, de juin 1997 à juillet 2001, une psychanalyse classique avec le Docteur Raymond Y..., psychiatre et psychanalyste réputé, ancien président de la Société Psychanalytique de Paris.
La demanderesse indique qu' en septembre 2002, soit un an après sa dernière séance d' analyse sur le divan du Docteur Y..., celui- ci publiait, aux éditions Odile Jacob, un ouvrage intitulé La fin du divan , dont le propos essentiel consistait à envisager les possibilités d' une adaptation aux réalités actuelles du cadre des séances tel qu' envisagé par Freud et par ses successeurs.
La Société Psychanalytique de Paris estime, pour sa part, n' avoir commis aucune faute, sinon formelle, dans le traitement de l' examen de ce dossier. Elle demande au tribunal de donner acte à Madame X... de ce qu' elle a renoncé à demander au tribunal de lui enjoindre de prononcer la radiation du Docteur Y... et, à titre principal, de la débouter de toutes ses prétentions. À titre l' analyse de Madame X... auprès du Docteur Y... que Madame Laurence A..., ainsi qu' elle l' expose dans une attestation circonstanciée, a facilement reconnu Madame X... sous les traits de B..., à partir de l' indication concernant le port permanent par cette dernière d' un couteau, et par une allusion aux " angoisses submergeantes de viol ou d' assassinat qui l' ont saisie " lors d' un voyage à l' étranger où il se trouve qu' elle l' avait accompagnée ;
Attendu que, pour repousser le reproche qui lui est fait d' avoir révélé l' inceste paternel dont sa patiente avait été victime, et qu' elle avait toujours tu à ses proches, et notamment à Madame A..., le Docteur Y...- soutenu par quatre membres influents de la Société Psychanalytique de Paris qui ont établi des attestations en sa faveur- explique que la révélation de l' inceste de son ancienne patiente serait à comprendre en référence au complexe d' Oedipe où l' inceste occupe une place centrale ;
Mais attendu que, s' il n' est pas contestable que la psychanalyse ne s' intéresse qu' à la réalité psychique du patient, autrement dit à la façon dont il vit les événements le concernant dans son monde intérieur, il n' en demeure pas moins que lorsque le lecteur lit, en page 79 de l' ouvrage litigieux, " Après une première phase d' analyse essentiellement consacrée à une relation de type incestuel sic avec son père et aux conséquences particulièrement néfastes qui s' en seraient suivies pour elle ", il peut considérer, au vu des termes employés, que B... a été effectivement abusée par son père ;
Que, de la part d' un psychanalyste, faire état, sans précaution suffisante, dans une publication non spécialisée, de l' inceste subi par un patient susceptible de se reconnaître et surtout d' être reconnu par autrui, mérite sanction ;
Qu' en effet, le respect de la vie privée est un droit fondamental protégé par la loi comme par les grands textes internationaux Madame X... précise qu' elle a, tout naturellement, dès sa parution largement médiatisée en septembre 2002, fait l' acquisition de l' ouvrage de celui qui avait été son analyste pendant quatre ans. Elle ajoute avoir eu alors la très désagréable surprise de découvrir que son cas était étudié et exposé sous le prénom de " B... " aux pages 79 à 81 dudit ouvrage.
Madame X... soutient que le choc procuré par cette lecture s' est avéré d' autant plus douloureux pour elle qu' elle avait ainsi découvert que son thérapeute la considérait comme appartenant à la catégorie peu enviable des patients de type borderline.
Une présentation aussi négative lui était apparue d' autant plus injurieuse et incongrue qu' elle avait compris, à la lecture de cet ouvrage comme d' une autre publication du Docteur Y... sur le site web de la SPP, que la psychanalyse traditionnelle aurait été inadaptée à son cas puisqu' elle était considérée comme un sujet se situant à la limite de l' analysabilité. Elle aurait ainsi réalisé avoir dépensé en pure perte près de cinquante mille euros ainsi que des énergies inutiles dans un travail analytique de quatre ans dont seul son analyste aurait finalement profité. Elle dénonce une " maltraitance analytique " et une " tromperie sur la marchandise ".
Madame X... reproche en outre au Docteur Y... d' avoir fait état d' événements précis de sa vie qui avaient été évoqués en séance et dont la narration, sans maquillage suffisant de la part du Docteur Y... dans une publication destinée au grand public, avait permis à l' une de ses amies de la reconnaître aisément à la lecture de cet ouvrage, et d' apprendre l' existence, également dévoilée par le praticien, de la relation incestueuse dont elle avait été victime de la part de son père.
Madame X... considère que la contrepartie de l' engagement du subsidiaire, la SPP lui demande de constater que la demanderesse ne justifie d' aucun préjudice. Elle réclame une somme de 9 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés et la condamnation de Madame X... aux dépens.
À l' audience du 3 mai 2006, le conseil de Madame X... a invoqué les dispositions dérogatoires de l' article 435 du nouveau code de procédure civile pour demander au tribunal d' examiner l' affaire en chambre du conseil, invoquant des éléments du débat susceptibles de porter atteinte à l' intimité de sa vie privée. Les défendeurs ne s' y étant pas opposés, et l' objet de la demande concernant précisément, pour l' essentiel, une atteinte au secret dans la relation analytique, l' affaire a été évoquée en audience non publique et mise en délibéré au 24 mai 2006.
SUR QUOI, LE TRIBUNAL, sur le fondement juridique de l' action engagée par madame X...
Attendu qu' aux termes de son acte introductif d' instance, Madame X... a fondé l' action qu' elle a engagée, tant contre le Docteur Raymond Y... qu' à l' encontre de la Société Psychanalytique de Paris, sur les dispositions de l' article 1382 du code civil, recherchant ainsi la responsabilité délictuelle des défendeurs ;
Attendu que, bien que le fondement juridique de ses demandes n' ait plus été précisé dans ses dernières conclusions qui, seules, peuvent être prises en considération par le tribunal, il doit cependant être déterminé le fondement juridique applicable à l' espèce, le Docteur Raymond Y... ayant lui- même soutenu que l' action en responsabilité exercée à son encontre ne pouvait être que de nature contractuelle, la Société Psychanalytique de Paris estimant quant à elle n' avoir aucune relation contractuelle à l' égard de la demanderesse qui n' appartient pas à cette association ;
Attendu qu' en publiant des informations concernant tant l' intimité que l' organisation psychique supposée de cette ancienne patiente, Raymond Y... a violé la règle du secret professionnel et de la confidentialité ;
Attendu que l' imprudence du Docteur Y... apparaît d' autant plus critiquable, en considération du fait que la relation thérapeutique est fondée sur la confiance, que la " vignette " clinique de Madame X... a été publiée, à grand renfort de publicité, dans un ouvrage tiré à 3 000 exemplaires et librement accessible à un large public, et notamment à ceux de ses proches qu' elle avait informés de ce qu' elle avait été en analyse avec lui ;
- Sur la prétendue divulgation du diagnostic émis par le Docteur Y...
Attendu que Madame X... reproche encore au Docteur Y... d' avoir divulgué le diagnostic stigmatisant porté sur elle dans son ouvrage, et considère que le fait que son analyste l' ait laissée poursuivre une analyse traditionnelle, sur le divan, alors que cette thérapie aurait été inappropriée à ses yeux, relevait de l' escroquerie du fait de la contradiction entre le diagnostic formulé et le suivi d' une cure psychanalytique traditionnelle ;
Attendu qu' il importe de rappeler ici que dans son ouvrage intitulé " La fin du divan ä ", Raymond Y... s' interroge longuement sur les avantages et les inconvénients de la cure en face- à- face comme alternative à la cure classique, en particulier dans les cas- qu' il estime de plus en plus fréquents- dans lesquels la position allongée du patient sur le divan ne permet pas, en raison de la particularité de sa propre organisation psychique, de révéler aussi facilement que patient de " vraiment communiquer tout ce que sa perception intérieure lui livre ", selon les termes mêmes de Freud, se trouve dans l' obligation de confidentialité du psychanalyste qui doit assurer un secret absolu à son patient.
S' estimant trahie par son ancien thérapeute, la demanderesse indique avoir, dans un premier temps, en décembre 2003, entrepris des démarches amiables auprès de la Société Psychanalytique de Paris dont le Docteur Y... était encore membre, aux fins d' obtenir la consécration de sa faute par ses pairs.
La Société Psychanalytique de Paris précise à cet égard que sa sous- commission d' examen aurait alors envisagé, aux fins d' apaisement et sans pour autant reconnaître la moindre faute, d' effectuer des démarches auprès de l' éditeur en vue de la suppression, lors des rééditions à venir de l' ouvrage, des trois pages consacrées à l' étude du cas de " B... ", et d' inciter son ancien président à former une demande d' honorariat, impliquant son retrait de toute participation active de la SPP et notamment des activités d' enseignement.
Ayant estimé ces propositions non satisfactoires, Madame X... a sollicité supplémentairement l' exclusion du Docteur Y... de la Société Psychanalytique de Paris et l' obtention d' un droit de réponse dans la Revue Française de Psychanalyse. À défaut d' accord de la SPP sur ces bases, la procédure de conciliation n' a pu aller à son terme et les tentatives de rapprochement sont ainsi demeurées vaines.
C' est dans ces conditions que Madame X... a saisi le tribunal de la présente demande tendant, dans le dernier état de ses écritures, à obtenir :
- qu' il soit fait injonction au Docteur Raymond Y... de supprimer, lors de toute nouvelle réédition de l' ouvrage litigieux, le passage consacré à l' étude du cas de B..., et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement ;
- la condamnation, sous astreinte, du Docteur Y... à lui Docteur Raymond Y..., reproche à ce dernier " un manquement à son obligation de confidentialité commis tant envers elle- même qu' à l' égard des tiers " à l' occasion de la publication d' un ouvrage intitulé La fin du divan ä, ainsi qu' une faute réalisée, selon elle, lors du choix de la thérapie dont elle a bénéficié et qui aurait été, de l' avis même de ce médecin exprimé dans son livre, inadapté à son cas ;
Attendu que les fautes ainsi alléguées ont pour origine le contrat analytique conclu entre la patiente et son thérapeute, et ce, même si la relation contractuelle avait cessé au moment de la parution de l' ouvrage ;
Que l' action engagée par Mme X... contre le Docteur Y... ne peut dès lors être que de nature contractuelle ;
Attendu qu' il appartient au juge de requalifier, le cas échéant, l' objet des prétentions des parties non sans en avoir alors débattu auparavant avec elles ; qu' en l' espèce, cette question s' est effectivement trouvée soumise à la discussion des parties, dès lors que le Docteur Y... avait lui- même évoqué dans ses conclusions la difficulté inhérente au choix erroné par la demanderesse du fondement juridique proposé à la demande formée contre lui ;
Qu' il sera dès lors statué sur l' action intentée par Mme X... à l' encontre de son psychanalyste au regard des dispositions de l' article 1147 du code civil ;
Attendu qu' en revanche, dès lors qu' il n' a existé aucune relation contractuelle entre Madame X... et la Société Psychanalytique de Paris, c' est avec raison que la demanderesse a invoqué la responsabilité délictuelle de cette partie ;
Sur la faute commise par le docteur Raymond Y... dans sa relation contractuelle avec madame X...
Que, selon cet auteur, la cure en face- à- face serait particulièrement indiquée chez les sujets qui se situent " à la limite de l' analysabilité " ;
Que, pour ce qui concerne ce type de patients, il propose, de la part de l' analyste, un mode d' écoute " identique ou similaire à celui de la cure classique et une sensibilité accrue au contre- transfert venant corriger les lacunes du cadre " traditionnel (Cf. La fin du divan ä, p. 122) ;
Attendu que les passages litigieux de l' ouvrage visent manifestement, en dépit des dénégations du Docteur Y... à cet égard, à illustrer le caractère inadapté de l' analyse aux sujets à la limite de l' analysabilité, catégorie dans laquelle " B... " a indubitablement été rangée ;
Attendu, pour autant, qu' il n' est pas question, dans l' ouvrage du Docteur Y..., de diagnostic au sens médical du terme, cette notion n' étant pas adaptée à la cure psychanalytique, où, même s' il existe, pour l' appareil psychique, une échelle des normes et des pathologies, c' est moins de guérison qu' il est question que de perception par le sujet lui- même de sa souffrance psychique, de sorte que la notion de diagnostic apparaît inopérante ;
Que c' est en sa qualité de psychanalyste et non de psychiatre que le Docteur Y... a accompagné la thérapie de Madame X... ;
Qu' il n' appartient dès lors pas au tribunal de se faire juge d' une erreur de diagnostic en cette matière, en reprochant au Docteur Y... d' avoir gardé Madame X... en analyse en considération de l' intérêt financier qu' il pouvait en tirer, alors surtout que l' analysante avait, à plusieurs reprises, sollicité une plus grande fréquence des séances, passant de deux à trois puis à quatre séances par les choix procéduraux de la demanderesse, ne revêt aucun caractère pénal, ni davantage disciplinaire, et que les seules règles applicables à la présente espèce, au regard des relations ayant existé entre Madame X... et le Docteur Y..., sont celles de la responsabilité civile contractuelle, à l' exclusion des dispositions de l' article 226- 13 du code pénal sanctionnant " la révélation d' une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d' une mission temporaire ", comme des textes relatifs au droit de la presse ;
Attendu que la demanderesse reproche essentiellement au Docteur Raymond Y... un manquement à l' obligation de confidentialité et la divulgation d' un diagnostic dont il n' a pas tiré les conséquences en orientant sa patiente vers une autre thérapie plus rapide et moins onéreuse que la psychanalyse traditionnelle ; que ces deux points seront successivement examinés ;
- Le manquement à l' obligation de confidentialité
Attendu que la psychanalyse est à la fois, selon la définition donnée par son inventeur, une méthode d' investigation, un mode de traitement et un corpus de savoir ;
Attendu que les comptes rendus d' analyse s' inscrivent dans la grande tradition de la psychanalyse ; que cette pratique a été initiée par Freud lui- même ; que, pour les nécessités de cette discipline naissante, il publiait très rapidement ses études de cas, en liaison avec un propos théorique précis, estimant que les écrits cliniques permettaient de faire avancer la théorie ;
Qu' ainsi que le rappelle la Société Psychanalytique de Paris, plusieurs centaines de " vignettes " cliniques sont publiées chaque année dans les revues et essais scientifiques relatifs à la psychanalyse ;
Qu' au demeurant, le Docteur Y... explique aux pages 129 et 130 de son ouvrage que le divan " permet une régression, une continuité dans le processus que n' autorise pas le face- à- face, lequel, en revanche, offre un espace concret, une liberté dans les contre- attitudes infiniment plus larges " ; et d' ajouter : " Les critères d' un choix pertinent entre les deux demeurent encore particulièrement incertains " ;
Que c' est parfois après coup- et singulièrement dans les cas limites - que l' on s' aperçoit que la cure analytique ne correspondait pas au bon choix thérapeutique ;
Attendu qu' enfin, Madame X... peut difficilement reprocher au Docteur Y... d' avoir cru en ses facultés de verbalisation et d' élaboration pour accepter de vivre avec elle l' aventure analytique ;
Que pour toutes ces raisons, le grief de divulgation de diagnostic ne sera pas retenu à faute contre le Docteur Y... ;
La réparation du préjudice subi par Madame Rosine X...
- Le préjudice matériel
Attendu que la somme de 44 133, 99 euros réclamée par Madame X... correspond au coût total de ses séances d' analyse auprès du Docteur Raymond Y... ;
Attendu qu' il n' est pas établi que la faute commise par le Docteur Raymond Y... un an après l' interruption par Madame X... de l' analyse qu' elle avait entreprise auprès de ce thérapeute aurait anéanti, comme elle le prétend, tous les bénéfices psychiques qu' elle avait pu en tirer ou en tout cas en espérer ;
Attendu que, moins encore que le médecin, le psychanalyste n' est astreint à une obligation de résultat ;
Que la publication par les praticiens de cas cliniques, reposant parfois sur des détails signifiants très précis, est incontestablement utile à l' évolution de la discipline comme à la formation pratique et universitaire des psychanalystes, l' évolution de cette discipline exigeant la confrontation de différentes théorisations, réalisées à partir de la clinique ; qu' en effet, ainsi que le rappelle le Professeur Jacques H... dans son attestation en faveur du Docteur Y..., " une formulation psychanalytique qui ne serait pas étayée par un matériel clinique ne serait que spéculation philosophique " ;
Que le risque de voir l' analysant se reconnaître à la lecture de leurs écrits a toujours été présent à la pensée des analystes, Freud lui- même ayant observé que les patients se garderaient de parler s' ils pensaient à l' exploitation scientifique qui pourrait être faite de leurs dires ;
Attendu, dans ces conditions, que le fait, de la part de Monsieur Raymond Y..., d' avoir évoqué le cas de Madame X... dans l' un de ses ouvrages ne saurait, en soi, être considéré comme fautif ;
Attendu, cependant, que les recommandations et prescriptions d' ordre déontologique concernant l' exercice de la psychanalyse peuvent se trouver en conflit avec le fait de rendre public le contenu d' une cure, étant ici souligné que, dans la cure analytique, il ne s' agit pas, pour le patient, de révéler de simples informations relatives à son état de santé, comme il le ferait avec un médecin, mais bien de puiser au plus profond de son intimité et de sa vie psychique pour en découvrir les ressorts ;
Attendu que la demande de remboursement de sa cure par Madame X... ne peut, en conséquence, prospérer ; qu' elle en sera déboutée ;
- Le préjudice moral
Attendu que Madame X..., qui reproche au Docteur Y... d' avoir utilisé dans son ouvrage et à son sujet des expressions péjoratives et stigmatisantes, invalidantes pour agir, ne justifie pas avoir eu à entreprendre une nouvelle thérapie, de quelque nature qu' elle fût, à la suite de ces révélations pourtant fautives ;
Que la seule attestation produite aux débats par la demanderesse n' établit pas qu' elle aurait perdu des clients ou des amis à la suite des révélations du Docteur Y..., lesquelles ne pouvaient être comprises que par ceux de ses proches qui avaient eu connaissance de son analyse avec ce praticien ;
Attendu qu' il ne peut cependant être déduit du caractère unique du témoignage de Madame Laurence A... que d' autres proches de la demanderesse aient pu, eux aussi, la reconnaître ; qu' en effet, ceux- ci ont pu ne pas faire état de cette lecture voyeuriste auprès de l' intéressée ;
Mais attendu qu' en tout état de cause, Madame X... ne justifie pas d' un préjudice particulier, autre que celui constitué par la blessure consécutive à la faute d' imprudence commise par son analyste ;
Attendu qu' en s' adressant, pour entreprendre une analyse, à un membre éminent de la très orthodoxe Société Psychanalytique de Paris, ancien président de cette vénérable institution, Madame X... ne pouvait imaginer qu' elle courait le moindre risque au regard du respect par son analyste du principe de confidentialité ;
Que le préjudice moral qui est résulté de cette trahison sera réparé secret par rapport à l' intérêt scientifique de la communication ;
Attendu, en effet, que la plaquette de présentation éditée par la Société Psychanalytique de Paris relative à " la pratique psychanalytique ", produite aux débats par le Docteur Y... lui- même (pièce no 11 au timbre de Maître Braunschweig), rappelle dans un chapitre consacré à l' éthique que " la première contrepartie de la règle fondamentale est, de la part de l' analyste, le respect absolu du secret et de la personne du patient. L' exigence technique se confond ici avec l' impératif éthique. Les membres de la Société Psychanalytique de Paris s' engagent à respecter le code éthique élaboré par la commission de déontologie de la société " ;
Attendu que le code d' éthique de la SPP, figurant à l' annexe 1 de son règlement intérieur, dispose justement, en son article II, A, 3, que " le psychanalyste doit assurer le secret absolu à son patient " ; que l' article II, B, 6, du même code d' éthique précise que " le psychanalyste doit respecter en toute occasion le secret professionnel " ; que " dans leurs communications scientifiques, les analystes doivent s' exprimer avec une extrême prudence et éviter tout risque de reconnaissance par autrui malgré l' anonymat. Ils doivent mesurer les répercussions, en toute occurrence, sur le patient lui- même, de la lecture de son cas. En aucun cas, l' intérêt scientifique ne doit prévaloir sur les intérêts de la cure " ;
Que la violation par un analyste, a fortiori lorsqu' il est membre de la très sérieuse Société Psychanalytique de Paris, de l' impérieux devoir de secret que l' association dont il est membre a elle- même inscrite dans ses statuts, engage sa responsabilité ;
Attendu que le Docteur Y... ne pouvait pas ignorer que Madame X..., philosophe de formation, ayant donné des conférences sur la psychanalyse, ne manquerait pas de lire son ouvrage et de s' y reconnaître sous les traits de B..., .
Attendu que cette demande est devenue sans objet, le Docteur Raymond Y... justifiant avoir obtenu de son éditeur l' engagement de supprimer, dans les prochaines éditions de son ouvrage, les pages concernant Madame X..., alias " B... " ;
Sur la demande reconventionnelle en dommages- intérêts formée par le docteur Raymond Y...
Attendu que, sa responsabilité étant consacrée, le Docteur Y... ne saurait valablement réclamer à son ancienne patiente la réparation d' un quelconque préjudice ;
Qu' il sera purement et simplement débouté des fins de cette demande ;
Sur la faute prétendue de la société psychanalytique de Paris
Attendu que la Société Psychanalytique de Paris reconnaît elle- même que le Docteur Alain C..., son président en 2003, a commis une erreur matérielle en décrivant, dans une lettre à Madame X... en date du 20 novembre 2003, la procédure devant le comité d' audition du conseil d' administration telle que prévue aux articles 4 de ses statuts et XI et XII de son règlement intérieur, alors qu' en réalité, c' est la procédure prévue à l' article XII du règlement intérieur relative à la commission de déontologie qui avait été mise en oeuvre ;
Attendu toutefois que cette erreur de dénomination, qui n' a entraîné aucune conséquence sur la procédure disciplinaire engagée, ne saurait caractériser une faute délictuelle, alors surtout qu' à travers l' action conjuguée des présidents successifs de la SPP, les Docteurs Alain C... et Gérard Z..., assistés des six membres de la sous- commission de déontologie et d' examen des litiges, n' ont ménagé ni leur temps ni leurs efforts pour tenter de parvenir à un règlement amiable, également souhaité à l' époque par Madame X..., du litige qu' il n' avait pas hésité à citer des paroles- provocantes dans le contexte analytique- qu' il avait prononcées en séance avec cette patiente ;
Attendu que le Docteur Y... a pourtant fait état, dans La fin du divan ä, d' événements très intimes vécus dans son enfance par son ancienne patiente ;
Attendu que la règle fondamentale de la psychanalyse étant, du côté du patient, de dire tout ce qui lui vient à l' esprit, la contrepartie nécessaire de cette exigence de sincérité qui pèse sur le patient se trouve dans la discrétion absolue du psychanalyste sur le contenu des séances en ce qu' il est susceptible de révéler à autrui des éléments concernant la vie privée du patient ; que cette exigence de discrétion, voire de secret, est elle- même inscrite dans les règles éthiques de la Société Psychanalytique de Paris ;
Attendu que c' est en vain que le Docteur Y..., comme la Société Psychanalytique de Paris, soutiennent qu' en substituant, dans son ouvrage, le prénom de B... à l' identité de sa patiente pour le récit du déroulement de l' analyse de celle- ci aux pages 79 à 81, le praticien a respecté l' exigence de secret professionnel ;
Qu' en effet, eu égard à la vulnérabilité de l' analysant qui s' expose en livrant en séance ce qu' il a de plus intime, le Docteur Y... aurait dû prendre davantage de précautions pour travestir, de manière plus conforme aux exigences de rédaction d' une étude de cas, la narration de la cure de sa patiente, sans se contenter de changer son prénom ;
Attendu que l' ouvrage du Docteur Raymond Y... sur la posture analytique ne s' apparente pas véritablement à une communication scientifique telle que l' on peut en lire dans les publications spécialisées comme la très réputée Revue française de psychanalyse, organe de la SPP, ou dans les ouvrages publiés par les éditeurs opposant cette dernière à son ancien analyste ;
Attendu que la Société Psychanalytique de Paris rapporte la preuve de ce qu' à la suite d' un examen approfondi des récriminations de Madame X..., une proposition de transaction lui a été présentée le 9 mai 2004, soit six mois après la réclamation de la plaignante à l' encontre de l' ancien président de l' association ;
Attendu qu' en matière disciplinaire, un tel délai apparaît particulièrement raisonnable, Madame X... ayant en outre été très régulièrement informée du suivi attentif de sa réclamation ;
Qu' il importe peu à cet égard que le Docteur Gérard Z... ait exprimé, à l' époque, sa conviction que l' on aurait pu tenter une ultime tentative de rapprochement, la procédure disciplinaire diligentée à la demande de Madame X... ayant été respectueuse des intérêts respectifs des parties comme de l' exigence absolue de confidentialité ;
Attendu que Madame X... ne démontre pas qu' en ne sanctionnant pas le Docteur Y..., la Société Psychanalytique de Paris l' aurait privée de la " réparation morale qu' elle pouvait espérer ", aggravant ainsi " le traumatisme initial " ;
Attendu qu' en choisissant de saisir la Société Psychanalytique de Paris en tant qu' instance disciplinaire, plutôt que de déposer une plainte devant les juridictions répressives, Madame X... s' est privée de la possibilité d' agir dans les délais légaux sur le fondement de textes pénaux ou de la loi sur la presse de 1881 ; qu' elle ne saurait pourtant faire porter la responsabilité de ses choix procéduraux à la Société Psychanalytique de Paris qui a fait preuve d' indépendance à l' égard de son ancien président, allant jusqu' à proposer un arrangement qui amènerait ce dernier à prendre sa retraite et à renoncer aux fonctions d'enseignement ;
Attendu que les éléments de personnalité concernant Madame X... et donnés par le Docteur Y... en pâture à ses lecteurs n' auraient probablement pas suffi à permettre à Madame A... de la reconnaître si elle- même ne lui avait pas confié être en analyse avec celui- ci ; Qu' en effet, le fait de décrire " B... " comme une femme " qui ne se déplace jamais qu' avec un couteau dans son sac " (p. 79) et d' évoquer le récit angoissé fait par l' analysante d' un voyage traumatisant au Maroc ne suffirait pas à la rendre identifiable par des personnes qui ignoreraient qu' elle a été suivie en analyse par le Docteur Y... ;
Mais attendu qu' un analyste ne peut, sans risquer d' engager sa responsabilité professionnelle, se dispenser, dans une étude de cas, de modifier substantiellement certains éléments du récit, dès lors qu' ils ne nuisent pas à la démonstration qu' il veut faire, de manière à éviter la violation de son devoir de confidentialité ;
Qu' en effet, alors que certains patients ne cachent pas systématiquement à leurs proches qu' ils sont en analyse, voire précisent le nom de leur thérapeute, ce qui n' est aucunement constitutif d' une faute de leur part, l' identification de ce patient par ceux qui le connaissent s' en trouve facilitée, de sorte que toute mention relative à l' intimité de la vie privée de cette personne apparaît fautive ;
Sur la demande de publication du présent jugement
Attendu que la demande de Madame X... tendant à la publication, aux frais du Docteur Raymond Y..., du jugement anonymisé à son égard mais avec mention du nom du psychanalyste fautif, sur le site Internet de la Société Psychanalytique de Paris ainsi que dans diverses publications dont la Revue Française de Psychanalyse, ne peut être satisfaite ;
Attendu que l' obligation faite au juge de motiver sa décision conduit à évoquer les éléments mêmes dont la demanderesse soutient qu' ils sont de nature à permettre à des tiers de l' identifier ;
Que la publication du jugement constituerait une sorte de réminiscence de l' ouvrage et ne ferait qu' aggraver le préjudice qu' elle estime avoir subi et dont elle demande réparation ;
Attendu, en tout état de cause, que la cure analytique s' analyse en un colloque singulier entre l' analysant et l' analyste ; qu' il en résulte que c' est dans le cadre de cette relation duelle que la réparation du préjudice subi par Madame X... doit être envisagée ;
Attendu que cette demande, comme toutes celles qui lui sont subséquentes, sera en conséquence rejetée ;
Sur l' exécution provisoire du jugement
Attendu que l' exécution provisoire du jugement n' est pas incompatible avec la nature du litige ; qu' elle est nécessaire et doit être ordonnée ;
Sur l' application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile
Attendu que l' équité commande de ne pas laisser à la charge de Madame X... la totalité des frais irrépétibles qu' elle a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts devant ce tribunal ; que sa demande à ce titre mérite d' être satisfaite à hauteur de 3 000 euros ;
Attendu, en revanche, que le Docteur Raymond Y..., qui succombe dans ses prétentions, ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu' il sera débouté de sa demande sur ce fondement ;
Attendu qu' il n' apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la Société Psychanalytique de Paris, qui n' en sollicite la condamnation que de la part de Madame X... et non du Docteur Y..., les frais irrépétibles qu' elle a exposés dans le cadre de la présente procédure ;
Attendu que le Société Psychanalytique de Paris ne pourra, dans ces conditions, qu' être déboutée de sa demande d' indemnité fondée sur l' article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, STATUANT EN AUDIENCE PUBLIQUE, PAR JUGEMENT CONTRADICTOIRE ET EN PREMIER RESSORT,
Déclare engagée la responsabilité du Docteur Raymond Y... ;
Le condamne à verser à Madame X... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ; la déboute de sa demande de réparation du préjudice matériel allégué ;
Déboute le Docteur Raymond Y... de sa demande reconventionnelle en dommages- intérêts à l' encontre de Madame X... ;
Déboute Madame D... de toutes ses demandes dirigées à l' encontre de la Société Psychanalytique de Paris ;
Rejette toutes autres demandes ;
Ordonne l' exécution provisoire de la présente décision ;
Condamne le Docteur Raymond Y... aux dépens et autorise les avocats de la cause à les recouvrer par application des dispositions de l' article 699 du nouveau code de procédure civile ;
Le condamne à régler, par application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile, à Madame X... la somme de 3 000 (trois mille) euros ; le déboute de sa demande présentée sur le même fondement ;
Fait et jugé à Paris, le 24 mai 2006.


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0038
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006951228
Date de la décision : 24/05/2006

Analyses

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES

La règle fondamentale de la psychanalyse étant, du côté du patient, de dire tout ce qui lui vient à l'esprit , la contrepartie nécessaire de cette exigence de sincérité qui pèse sur le patient se trouve dans la discrétion absolue du psychanalyste sur le contenu des séances en ce qu'il est susceptible de révéler à autrui des éléments concernant la vie privée du patient . Manque à son obligation de confidentialité et engage sa responsabilité professionnelle le psychanalyste qui se dispense, dans une étude de cas, de modifier substantiellement certains éléments du récit, dès lors qu'ils ne nuisent pas à la démonstration qu'il veut faire, et qui livre ainsi des éléments concernant tant l'intimité que l'organisation psychique supposée de son ancienne patiente en les publiant, à grand renfort de publicité, dans un ouvrage librement accessible à un large public, et notamment à ceux de ses proches qu'elle avait informés de ce qu'elle avait été en analyse avec lui.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2006-05-24;juritext000006951228 ?
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