Vu, enregistrée au greffe du tribunal administratif sous le n° 90-4, le 6 mars 1990, à 8 heures 30, la requête présentée par Maître Cacheux, avocat au barreau de Lyon désigné d'office par le Bâtonnier de l'ordre en application de l'article R.241-5 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, pour Y... Erdogan, demeurant chez M. Ulvi Z..., rue du Four Chatelain, 01370 Treffort-Guisiat, tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Ain, en date du 5 mars 1990 ayant décidé la reconduite à la frontière de l'intéressé ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et le décret n° 54-1055 du 14 octobre 1954 ;
Vu la loi n° 52-803 du 25 juillet 1952 portant création d'un office français de protection des réfugiés et apatrides et le décret n° 53-377 du 2 mai 1953 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu l'arrêté interministériel du 10 avril 1984 relatif aux conditions d'entrée des étrangers sur le territoire métropolitain et dans les départements d'outre-mer français ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et notamment ses articles R. 241-1 à 241-20 ; Vu la prestation de serment de M. A..., interprète ;
Après avoir entendu, à l'audience publique du 7 mars 1990, dont avis a été donné régulièrement aux parties, le rapport de M. Chavrier, magistrat délégué par le président ;
Considérant qu'aux termes de l'article 31 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, publiée par le décret du 14 octobre 1954 ;
"1 - Les Etats contractants n'appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l'article 1, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.
2 - Les Etats contractants n'appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d'autres restrictions que celles qui sont nécessaires ; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d'accueil ait été régularisé ou qu'ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les Etats contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires" ;
Considérant qu'en vertu de ces stipulations, les étrangers qui se présentent dans un pays d'accueil pour demander l'asile doivent bénéficier de la protection de ce pays ; que jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur leur demande tendant au bénéfice de la qualité de réfugié, ou éventuellement jusqu'à ce qu'ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays, les autorités compétentes ne peuvent se fonder sur les conditions irrégulières de leur entrée sur le territoire pour prendre à leur encontre des sanctions ou des mesures de police autres que les restrictions strictement nécessaires prévues par les stipulations précitées ; que, pour ce qui concerne la France, le représentant de l'Etat dans le département, compétent en application de l'article 22-1° de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 pour décider la reconduite à la frontière d'un étranger ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, ne peut légalement prendre une telle mesure à l'égard d'un demandeur d'asile avant l'intervention d'une décision définitive de refus du statut de réfugié ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y... Erdogan, ressortissant de nationalité turque, entré en France sans être pourvu du document transfrontière normalement requis, a demandé le 6 juillet 1989 la reconnaissance de la qualité de réfugié ; que, le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ayant rejeté sa demande par décision en date du 28 juillet 1989, l'intéressé n'a pu obtenir le renouvellement des autorisations provisoires de séjour délivrées en attendant la suite réservée à son dossier ; que, cependant, le requérant soutient n'avoir pas reçu notification de ladite décision et qu'en l'absence de la production d'une pièce probante la réalité d'une telle notification n'est pas établie ; que l'administration ne peut utilement invoquer la naissance d'une décision implicite de rejet susceptible de faire courir le délai de recours prévu par l'article 20 du décret susvisé du 2 mai 1953 dès lors qu'elle a elle-même produit copie d'une décision expresse antérieure à l'expiration du délai de quatre mois ; qu'en tout état de cause, elle ne produit pas l'accusé de réception mentionnant les délais et voies de recours contre une éventuelle décision implicite de rejet que prévoit l'article 5 du décret du 28 novembre 1983, applicable aux services administratifs de l'Etat et des établissements publics de l'Etat ; que, dans ces conditions, le délai prévu pour former recours devant la Commission des recours instituée par l'article 5 de la loi du 25 juillet 1952, n'a pu commencer à courir à l'égard de M. X... qu'à la date à laquelle il a eu officiellement connaissance de la décision expresse versée avec la mention des voies et délais de recours au dossier de la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre ; qu'il suit de là que la décision de rejet de sa demande d'asile ne pouvant être considérée comme définitive, l'intéressé est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'arrêté contesté, le préfet de l'Ain a décidé sa reconduite à la frontière ;
Article 1er - L'arrêté du 5 mars 1990, par lequel le préfet de l'Ain a décidé la reconduite à la frontière de M. Y... Erdogan, est annulé.
Article 2 - Le présent jugement sera notifié conformément aux dispositions de l'article R. 241-17 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.