Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les sociétés Bouygues bâtiment centre sud-ouest (BBCSO), Bouygues bâtiment outre-mer (BBOM) et Bouygues énergies et services (BYES) ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier de l'ouest guyanais (CHOG), d'une part, à verser aux sociétés BBCSO et BBOM la somme de 274 805,17 euros et à la société BYES la somme de 621 689,48 euros au titre du solde du marché relatif à la construction d'un hôpital pluridisciplinaire à Saint Laurent du Maroni, d'autre part, à verser aux sociétés BBOM et BBCSO la somme de 169 886,51 euros et à la société BYES la somme de 388 752,70 euros au titre des intérêts moratoires dus au titre du même marché.
Par une ordonnance n° 2001181 du 1er août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a condamné le CHOG à verser, d'une part, aux sociétés BBCSO et BBOM une somme de 261 973,96 euros, d'autre part, à la société BYES une somme de 9 607,98 euros au titre du solde du marché, et a rejeté le surplus des conclusions des sociétés.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 août 2022 et le 13 mars 2023, les sociétés BBCSO, BBOM et BYES demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) annuler cette ordonnance du 1er août 2022 ;
2°) de condamner le CHOG à verser aux sociétés BBCSO et BBOM la somme de 308 820,44 euros et à la société BYES la somme de 554 490,05 euros au titre des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge du CHOG une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les intérêts moratoires constituent une créance présentant un caractère non sérieusement contestable dès lors que le paiement du solde et des acomptes était dû à compter du 31 juillet 2019 et qu'il n'a eu lieu que le 20 janvier 2023 ;
- le caractère exigible des intérêts moratoires ne peut être conditionné à la recevabilité des demandes qu'elles ont présentées dans leur mémoire en réclamation puisque ces intérêts moratoires sont liés au retard de paiement du solde du marché et des acomptes.
La requête a été communiqué au CHOG, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme B... A... comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier de l'ouest guyanais (CHOG) a passé un marché de travaux ayant pour objet la construction du nouvel hôpital pluridisciplinaire de Saint Laurent du Maroni. Le lot n° 1 relatif aux prestations de terrassement, gros œuvre et second œuvre a été attribué le 9 septembre 2014 à un groupement d'entreprises solidaires, composé de la société DV Construction et de la société GTC construction, au droit desquelles sont venues les sociétés Bouygues bâtiment centre sud-ouest (BBCSO) et Bouygues bâtiment outre-mer (BBOM), pour un montant initial de 52 288 178 euros, porté par un avenant du 2 février 2015 à 53 820 602 euros. Le lot n° 2 " Corps d'état 2-1 - Courants forts / Corps d'état 2-2 - Courants faibles " a été attribué le 11 décembre 2014 à la société Bouygues bâtiment énergies et services (BYES) pour un montant de 13 900 000 euros. Le lot n° 3 portant " Corps d'état - 1 - Plomberie sanitaire / Corps d'état 3-3 - Fluides médicaux " a été attribué le 11 décembre 2014 à la société Bouygues bâtiment énergies et services (BYES) pour un montant de 21 300 000 euros. Les contrats ont été conclus pour une durée de trente-six mois, dont trois mois de préparation. Par un ordre de service du 1er août 2017, un délai supplémentaire de deux mois et demi a été accordé au groupement attributaire du lot n° 1, fixant la livraison de l'ouvrage au 15 juin 2018.
2. Par des courriers du 6 août 2019, notifiés le 19 août 2019, le CHOG a transmis aux sociétés BBSCO, BBOM et BYES un projet de décompte général pour les n° 1, n° 2 et n° 3. Par des courriers du 30 septembre 2019, ces sociétés ont contesté les montants retenus par le CHOG et ont demandé l'indemnisation des préjudices qu'elles estimaient avoir subis en raison de la crise économique et sociale survenue en Guyane durant les mois de février, mars et avril 2017. Par une ordonnance du 1er août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a condamné le CHOG à verser d'une part, aux sociétés BBCSO et BBOM une somme de 261 973,96 euros, d'autre part, à la société BYES une somme de 9 607,98 euros au titre du solde du marché, et a rejeté le surplus de leurs conclusions. Dans le dernier état de leurs écritures, ces sociétés, qui ont obtenu du CHOG le paiement de l'intégralité des sommes demandées au titre du solde du marché, relèvent appel de cette ordonnance en ce qu'elle a rejeté leurs demandes de paiement d'intérêts moratoires.
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
4. Les sociétés appelantes soutiennent que le CHOG demeure redevable des intérêts moratoires dus à raison, d'une part, des retards dans le paiement des acomptes, d'autre part, du retard dans le paiement du solde du marché.
5. En premier lieu, aux termes de l'article 13.4.1 de l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014, applicable au litige : " Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : / -le décompte final ; / -l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel (...) ; / -la récapitulation des acomptes mensuels et du solde ". Aux termes de l'article 13.4.2 du CCAG Travaux : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général (...) ". Aux termes de l'article 13.4.5 du CCAG Travaux : " Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur dans le délai de trente jours fixé à l'article 13.4.3 (...) le décompte général notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché ". Aux termes de l'article 13.4.3 du CCAG Travaux : " (...) Ce décompte lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde ". Les intérêts moratoires dont ces dispositions permettent la discussion même après l'acceptation tacite du décompte général sont exclusivement ceux qui courent le cas échéant sur le solde résultant de ce décompte. Eu égard au caractère définitif du décompte accepté, ces dispositions ne sauraient, en revanche, concerner les intérêts moratoires afférents à des acomptes inclus dans le décompte général.
6. Il résulte de l'instruction que le décompte général transmis par le CHOG le 19 août 2019 aux sociétés BBCSO, BBOM et BYES est devenu, en l'absence de réclamation dans le délai de trente jours fixé par l'article 50.1.1 du CCAG Travaux, le décompte général et définitif. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la créance due par le CHOG relative aux intérêts moratoires au titre des acomptes versés avec retard est déterminée définitivement par ce décompte général et définitif. Or, ainsi qu'il a été dit, dans le dernier état de leurs écritures, les sociétés appelantes indiquent avoir été payées de l'intégralité du solde du marché et ne sollicitent plus de provision à ce titre. Par suite, la créance invoquée correspondant aux intérêts moratoires dus à raison de retards dans les paiements d'acomptes ne saurait être regardée comme non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
7. En second lieu, les intérêts moratoires dus par le maître d'ouvrage en cas de retard dans le paiement du solde du marché, qui doivent être distingués des précédents, courent dans les conditions prévues par les dispositions du code de la commande publique, applicables aux contrats conclus à compter du 16 mars 2013 pour les créances dont le délai de paiement a commencé à courir à compter de la date d'entrée en vigueur du décret du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique et, le cas échéant, les stipulations contractuelles.
8. Aux termes de l'article L. 2192-12 du code de la commande publique : " Le retard de paiement est constitué lorsque les sommes dues au créancier, qui a rempli ses obligations légales et contractuelles, ne sont pas versées par le pouvoir adjudicateur à l'échéance prévue au marché ou à l'expiration du délai de paiement ". Aux termes de l'article L. 2192-13 du même code : " Dès le lendemain de l'expiration du délai de paiement ou de l'échéance prévue par le marché, le retard de paiement fait courir, de plein droit et sans autre formalité, des intérêts moratoires dont le taux est fixé par voie réglementaire ". Aux termes de l'article L. 2192-10 du même code : " (...) Lorsqu'un délai de paiement est prévu par le marché, celui-ci ne peut excéder le délai prévu par voie réglementaire ". Aux termes de l'article R. 2192-11 du même code : " Par dérogation à l'article R. 2192-10, le délai de paiement est fixé à : / 1° Cinquante jours pour les établissements publics de santé (...) ". Selon les stipulations de l'article 6.1 des actes d'engagement pour les lots n° 1, n° 2, n° 3 : " (...) Le délai maximum de paiement du solde est de 50 jours, à compter de l'acceptation du décompte général ".
9. Ainsi qu'il a été dit aux points 5 et 6, le projet de décompte général notifié par le CHOG le 19 août 2019 a été tacitement accepté par les trois sociétés titulaires des lots n°1, n° 2 et n° 3 et est ainsi devenu le décompte général et définitif le 18 septembre 2019. Le délai de paiement de 50 jours, qui a couru à compter de cette dernière date en application des stipulations des actes d'engagement rappelées au point précédent, a expiré le 7 novembre 2019. Or, il n'est pas contesté que le règlement intégral du solde du marché n'est intervenu que le 20 janvier 2023. Par suite, la créance des sociétés correspondant aux intérêts moratoires dus à raison du retard dans le paiement du solde figurant au décompte général et définitif du marché présente un caractère non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
10. Aux termes de l'article R. 2192-31 du code de la commande publique : " Le taux des intérêts moratoires mentionnés à l'article L. 2192-13 est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage ". Aux termes de l'article L. 2192-14 du même code : " Toute renonciation au paiement des intérêts moratoires est réputée non écrite ". Ces dispositions interdisent de façon absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement.
11. Si l'article 6.3 du cahier des clauses administratives particulières du marché prévoit une majoration du taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne de sept points, cette stipulation, qui déroge aux dispositions de l'article R. 2192-31 du code de la commande publique, qui sont d'ordre public et qui sont applicables au contrat en litige, est réputée non écrite. Il y a ainsi lieu de retenir, pour le calcul des intérêts moratoires dus à raison du retard de paiement du solde du marché figurant au décompte général et définitif, le taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés appelantes sont seulement fondées à demander la condamnation du CHOG à leur verser, à titre de provision, les intérêts moratoires, au taux prévu à l'article R. 2192-31 du code de la commande publique, sur le solde figurant au décompte général et définitif du marché, courant sur la période du 7 novembre 2019 au 20 janvier 2023, date du paiement effectif du solde du marché.
Sur les frais liés au litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHOG une somme de 1 500 euros, à verser aux sociétés BBCSO, BBOM et BYES, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : Le centre hospitalier de l'ouest guyanais est condamné à verser aux sociétés Bouygues bâtiment centre sud-ouest, Bouygues bâtiment outre-mer et Bouygues énergies et services, à titre de provision, la somme correspondant à la créance d'intérêts moratoires afférents au solde figurant au décompte général et définitif du marché, dans les conditions précisées au point 12 de la présente ordonnance.
Article 2 : L'ordonnance n° 2001181 du 1er août 2022 du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 3 : Le centre hospitalier de l'ouest guyanais versera aux sociétés Bouygues bâtiment centre sud-ouest, Bouygues bâtiment outre-mer et Bouygues énergies et services une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des sociétés Bouygues bâtiment centre sud-ouest, Bouygues bâtiment outre-mer et Bouygues énergies et services est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier de l'ouest guyanais et aux sociétés Bouygues bâtiment centre sud-ouest, Bouygues bâtiment outre-mer et Bouygues énergies et services.
Fait à Bordeaux, le 28 juin 2023.
La juge d'appel des référés,
B... A...
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
22BX02150