LA COUR
Vu la requête, enregistrée le 21 octobre 2014 au Secrétariat Général de la Cour Suprême sous le numéro 2014-192 REP, par laquelle la Société JAN DE NUL SA, société anonyme de droit belge, représentée par monsieur Xy Z…, Directeur Régional, ayant pour Conseil Maître MOHAMED Lamine FAYE, avocat à la Cour d'Appel d'Abidjan, sollicite de la Chambre Administrative, l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision n°025/14/ANRMP/crs du 02 septembre 2014 de la Cellule Recours et Sanction de l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP) prononçant l'annulation des résultats de l'appel d'offres n°(…) et la reprise de la procédure de passation du marché ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces fournies au dossier ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête, le 30 octobre 2014, et le rapport, le 02 décembre 2014, ont été communiqués au Ministère Public qui n'a pas produit d'écritures;
Vu les observations de la société DREDGING INTERNATIONAL enregistrées le 12 novembre 2014 ; Vu le mémoire en défense de l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP), parvenu le 18 novembre 2014 au Secrétariat de la Chambre Administrative et tendant au rejet de la requête ;
Vu les observations du Port Autonome d'Abidjan, par le canal de son conseil Maître FOFANA Na Mariam, parvenues le 21 novembre 2014 au Secrétariat de la Chambre Administrative, sollicitant une solution rapide du litige ;
Vu les observations après rapport de la Société JAN DE NUL SA, parvenues au Secrétariat de la Chambre Administrative le 16 décembre 2014 •
Vu le décret 11 0 2009-259 du 06 août 2009 portant code des marchés publics modifié par le décret n o 2014-306 du 27 mai 2014 ;
Vu le décret n0 2009-260 portant organisation et fonctionnement de I'ANRMP tel que modifié par le décret n0 2013-308 du 08 mai 2013
Vu l'arrêté n0 661 du 14 septembre 2010 fixant les modalités de saisine, les procédures d'instruction et de décision de la Cellule Recours et Sanctions de I'A.N.R.M.P •
Vu la loi no 94-440 du 16 Août 1994 déterminant la composition, l'organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour Suprême, modifiée et complétée par la loi no 97243 du 25 avril 1997 ;
Ouï le Rapporteur ;
Considérant que le Port Autonome d'Abidjan (PAA) a procédé à un appel d'offres international no (…) constitué d'un lot unique pour l'attribution du projet de remblaiement de la baie lagunaire de Bietry, financé par la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) • que parmi les neuf (9) entreprises soumissionnaires, la Commission d'Ouverture des Plis et de Jugement des Offres (COJO) a, par jugement en date du 04 mars 2014, attribué, provisoirement, le marché à la société JAN DE NUL SA ; qu'après les avis de non objection donnés par la Direction des Marchés Publics (DMP) et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), le Port Autonome d'Abidjan (PAA), en sa qualité d'autorité contractante, a, par lettre du 14 juillet 2014, notifié l'attribution définitive du marché à la société JAN DE NUL SA ; que par suite de sa saisine, le 31 juillet 2014, par la Société DREDGING INTERNATIONAL, un des soumissionnaires évincé qui estimait que les résultats de l'appel d'offres étaient entachés d'irrégularités, l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (A.N.R.M.P) a, par décision n0 025/14/ANRMP/CRS du 02 septembre 2014, notifiée le 05 septembre 2014 à la société JAN DE NUL SA, prononcé l'annulation des résultats de l'appel d'offres et la reprise de la procédure de passation du marché en cause ; Qu'estimant cette décision non fondée, la société JAN DE NUL SA a saisi le 21 octobre 2014 la Chambre Administrative pour en solliciter l'annulation, après le rejet, le 14 octobre 2014, par l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (A.N.R.M.P) de son recours gracieux exercé le 30 septembre 2014 ;
EN LA FORME
Considérant que la requête de la société JAN DE NUL SA est intervenue dans les forme et délais légaux ; qu'elle est recevable ;
AU_FOND
Du respect du principe du contradictoire et de la garantie d'un traitement équitable ;
Considérant qu'il est de principe que toute décision administrative prononçant une sanction doit être prise à la suite d'une procédure contradictoire garantissant les droits de la défense ; que ceux-ci imposent à l'autorité administrative d'aviser la personne concernée de la mesure qu'elle envisage de prendre ; que l'autorité administrative ne peut prendre la mesure envisagée qu'après avoir pris connaissance des observations de la personne concernée;
Considérant qu'aux termes de l'article 18, alinéa 3, du décret If 2009-260 portant organisation et fonctionnement de l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (A.N.R.M.P) tel que modifié par le décret n0 2013308 du 08 mai 2013, « toutes les procédures de règlement des litiges ou de prononcé de sanctions portées devant la Cellule Recours et Sanctions doivent respecter le principe du contradictoire et garantir aux parties un traitement équitable » • Considérant que pour l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (A.N.R.M.P), comme elle le rappelle dans son mémoire en défense du 18 novembre 2014, la décision attaquée a été prise dans le cadre d'un recours en dénonciation d'irrégularités, lequel est régi par les articles 185 et suivants du code des marchés publics et le Chapitre III de l'arrêté n0 661 du 14 septembre 2010 ; Considérant cependant que, même à analyser ainsi la requête de la société DREDGING INTERNATIONAL adressée le 31 juillet 2014 à l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP), le prononcé de l'annulation, comme sanction, dans le cadre de cette procédure de dénonciation, doit intervenir dans le respect des droits de la défense ;
Considérant qu'en l'espèce, la sanction consistant en une annulation a été prononcée sans que la société JAN DE NUL SA, attributaire de l'appel d'offres, ait été mise en mesure de répondre aux griefs de la société demanderesse et à la sanction envisagée à son encontre par l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (AN.R.M.P) ; qu'il est constant que la sanction a été prononcée au regard des irrégularités et insuffisances de l'offre de la société JAN DE NUL SA ; que cette sanction préjudicie principalement à cette société qui, en la circonstance, n'a pu bénéficier du droit de se défendre avant le prononcé de l'annulation à titre de sanction ;
De la nature de la requête de la société DREDGING INTERNATIONAL
Considérant qu'aux termes du code des marchés publics et de l'arrêté n0 661 du 14 septembre 2010, la Cellule Recours et Sanctions de I'ANRMP peut être saisie pour connaitre des « litiges » ou « différends » d'une part, et en cas « d'irrégularités, d'actes de corruption et de pratiques frauduleuses » d'autre part ;
Considérant que ces deux modes de saisine se distinguent au regard de leur portée, leurs modalités et leur instruction ;
Considérant que par requête adressée à I'ANRMP le 31 juillet 2014, ayant pour objet indiqué, « Recours pour la contestation des résultats de l'analyse de l'Appel d'Offre International no (…) relatif au PROJET DE REMBLAIEMENT DE LA BAIE LAGUNAIRE DE BIETRY la société DREDGING INTERNATIONAL, qui est un soumissionnaire évincé, conteste l'attribution du marché à la société JAN DE NUL SA au motif que, d'une part, seule « son offre a été jugée conforme administrativement, techniquement, et financièrement » au dossier d'appel d'offres (DAO) et, d'autre part, « qu'une entreprise ayant plusieurs insuffisances au plan technique, soit attributaire du marché ».
Considérant que cette requête doit être regardée dans son entièreté comme un recours en litige relevant des articles 167 et 168 du code des marchés publics et du chapitre II de l'arrêté n0 661 du 14 septembre 2010 fixant les modalités de saisine, les procédures d'instruction et de décision de la Cellule Recours et Sanctions de I'ANRMP ; qu'il n' y avait pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de voir dans cette requête unique deux recours de nature différente, à savoir un recours en litige et un recours en dénonciation, comme l'a fait I'A.N.R.M.P ; qu'il en est d'autant plus ainsi que la société DREDGING INTERNATIONAL a, avant la saisine de l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (A.N.R.M.P), satisfait à l'obligation du recours administratif préalable qui est une exigence propre au recours en litige, en adressant un courrier au Directeur Général du Port Autonome d'Abidjan le 21 juillet 2014 que par ailleurs, la société DREDGING INTERNATIONAL, dans son mémoire en défense du 12 novembre 2014, s'est défendue d'avoir exercé un recours en « dénonciation d'actes de corruption ou de pratiques frauduleuses, aucun de ces termes n'étant exprimés dans ledit recours » ; qu'elle soutient qu'elle « s'est au contraire bornée à exercer, comme elle y est autorisée par l'article 168 du Code des Marchés Publics, un recours auprès de I'ANRMP tendant à la contestation des résultats de l'Appel d'Offres, après avoir relevé, dans le Rapport de la COJO, que les offres formulées par les autres candidats présentent des insuffisances substantielles et/ou des irrégularités ».
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société JAN DE NUL SA est fondée à soutenir que l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP) a commis un excès de pouvoir ; que dès lors, sa décision encourt annulation ;
DÉCIDÉ
Article l er: La requête n°2014-192 REP du 21 octobre 2014 de la société JAN DE NUL SA est recevable et fondée ;
Article 2 : La décision n°025/14/ANRMP/crs du 02 septembre 2014 de la Cellule Recours et Sanction de l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP) prononçant l'annulation des résultats de l'appel d'offres no (…) et la reprise de la procédure de passation du marché est annulée ;
Article 3 : Les dépens sont laissés à la charge du Trésor ;
Article 4 : Une expédition du présent arrêt sera transmis au Président de l'Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics, au Directeur Général du Port Autonome d'Abidjan, au Ministre de l'Economie et des Finances, au Directeur des Marchés Publics et aux Secrétaires Généraux de la Présidence de la République et du Gouvernement ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême, Chambre Administrative, en son audience publique ordinaire du TRENTE DECEMBRE DEUX MIL QUATORZE ;
Où étaient présents MM. KOBO Pierre Claver, Président de la Chambre Administrative, Rapporteur ; N'GNAORE Kouadio, BOBY Gbaza, TOBA Akayé Edouard, N'GORAN Theckly Yves, Mme ZAKPA Cécile, Mme YAO-KOUAME Félicité, ZALO Léon Désiré, Conseillers ; en présence de M. ZAMBLE Bi Tah Germain, Avocat Général ; avec l'assistance de Maître N'GUESSAN Nicolas, Greffier ;