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03/03/2016 | CEMAC | N°26

CEMAC | CEMAC, Cour de justice, 03 mars 2016, 26


Texte (pseudonymisé)
COUR DE JUSTICE
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRÊT N°26/2015 - 16
Du 03/03/2016
Affaire : SCI KENT devenue EKITA GROUP
(Me TCHONANG YAKAM Albertine)
Liquidation BMBC
(Mes Aurore NKOM, Sandrine SOPPO, KOSSI EBELLE et
Solange NJEL)
(Requête aux fins

COMMUNAUTE ECONOMIQUE ET
MONETAIRE DE L’AFRIQUE CENTRALE
“ AU NOM DE LA COMMUNAUTE "
La Cour (Chambre Judiciaire) de Justice de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), siégeant en audience publique à Ac (République du Tchad) le trois mars deux mille seize et compos

ée de :
M. DADJO GONI, Président ;
M. Georges TATY, Juge Rapporteur ;
= M. JUSTO ASUMU MOKUY, Ju...

COUR DE JUSTICE
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRÊT N°26/2015 - 16
Du 03/03/2016
Affaire : SCI KENT devenue EKITA GROUP
(Me TCHONANG YAKAM Albertine)
Liquidation BMBC
(Mes Aurore NKOM, Sandrine SOPPO, KOSSI EBELLE et
Solange NJEL)
(Requête aux fins

COMMUNAUTE ECONOMIQUE ET
MONETAIRE DE L’AFRIQUE CENTRALE
“ AU NOM DE LA COMMUNAUTE "
La Cour (Chambre Judiciaire) de Justice de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), siégeant en audience publique à Ac (République du Tchad) le trois mars deux mille seize et composée de :
M. DADJO GONI, Président ;
M. Georges TATY, Juge Rapporteur ;
= M. JUSTO ASUMU MOKUY, Juge ;
Assistée de Maître RAMADANE GOUNOUTCH, Greffier ;
A RENDU L'ARRET SUIVANT
ENTRE
La Société Civile Immobilière KENT (ci — après désignée SCI KENT) devenue EKITA GROUP, domiciliée à Ae, prise en la personne de son représentant légal, assistée de Me TCHONANG YAKAM Albertine, Avocate au Barreau du Cameroun, ayant élu domicile à N’Ac auprès de Me William ADOUM KIMTO, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 4020 N'Djaméra ;
partie requérante, d’une part ;
Et
La Liquidation Banque Aa Y Ad ( ci — après désignée Liquidation BMBC) prise en la personne de son liquidateur, Mr. Z Ai Ah, assisté de Maîtres Aurore NKOM, Sandrine SOPPO, KOSSI EBELLE et Solange NJEL, Avocats au Barreau du Cameroun, ayant élu domicile à Ac auprès de me NDAKOM RADIMADJI, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 963 —
partie défenderesse, d’autre part ;

LA COUR
Vu la requête du 10 juillet 2015 déposée au au greffe de la Cour le 15 juillet
2015 par Me TCHONANG YAKAM Albertine, Avocate au Barreau du Cameroun,
agissant au nom et pour le compte de la Société Civile Immobilière KENT, devenue
EKITA GROUP, ayant pour objet un recours basé sur les articles 17 et 19 de la
Convention régissant la Cour de Justice et visant :
om d’une part, à faire constater que la Cour d’Appel du Littoral — Ae aurait
manqué à l’obligation de procéder à la saisie préalable de la Chambre
Judiciaire d’une question préjudicielle en interprétation de l’article 17
de l’Annexe de la Convention du 17 janvier 1992 portant Harmonisation de
la Réglementation Bancaire dans les Etats de l'Afrique Centrale ;
d’autre part, à obtenir de la Cour l'interprétation de l’article 17 de l'Annexe
de la Convention ;
Vu le mémoire ampliatif du 13 juillet 2015 enregistré au greffe le 15 juillet 2015
sous le n°036 ;
Vu le mémoire en défense de la liquidation Banque Méridien BIAO Cameroun
du 30 octobre 2015 enregistré au greffe le 27 novembre 2015 sous le n°021 ;
Vu le mémoire en réplique de la Société Civile Immobilière KENT devenue
EKITA GROUP du 26 janvier 2016 ;
Vu les autres pièces produites au dossier ;
Vu le Traité instituant la CEMAC ;
Vu l’Acte Additionnel n°006/CEMAC/041 — CCE — CJ — 02 du 14 décembre
2000 portant statuts de la Chambre Judiciaire ;
Vu l’Acte Additionnel n°004/CEMAC/041 — CCE — CJ — 02 du 14 décembre
2000 portant règlement de procédure de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice
de la CEMAC ;
Vu l’Acte additionnel n°01 du 11 mai 2012 autorisant les membres de la Cour
en fin de mandat à rester en fonction jusqu’à l'installation de leurs remplaçants ;
Vu l’ordonnance n°085/CJ/CEMAC/PCJ du 24/12/2015 portant composition de
la formation ordinaire devant connaître de ladite affaire ;
Oui les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire ;
Selon la requérante, la Banque Méridien BIAO Cameroun qui a été l’une des
banques de première catégorie dans l'économie camerounaise dans les années
1990 a connu des difficultés qui ont conduit la Commission Bancaire de l’Af
Ag AX en abrégé) à la placer sous administration provisoire.
Par arrêté n°0491/96/MINEF/I/CAB, le Ministre des Finances en sa qualité
d’Autorité Monétaire lui retirait son agrément.
Un liquidateur était désigné en la personne de Me Emmanuel ETOUNDI
OYONO, es qualité de Directeur Général de la Société de Recouvrement des
Créances du Cameroun.
Par la suite, à la demande de l’Autorité Monétaire du Cameroun, le Tribunal
de Grande Instance du Wouri à Ae, statuant sur le fondement des dispositions
de l’article 17 de l'Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 portant Harmonisation
de la Règlementation Bancaire dans les Etats de l'Afrique Centrale, prononçait la
mise en liquidation la Banque Méridien BIAO Cameroun, et désignait Mr. C
B Ab, en qualité de liquidateur judiciaire.
Dans le cadre de ses missions, le liquidateur procéda le 10 mars 1998 à la
vente au profit de la SCI Kennedy devenue SCI KENT puis EKITA GROUP d’un
immeuble appartenant à la liquidation pour un montant de 4.300.000.000 F CFA.
Plusieurs années après, le Tribunal de Grande Instance du Wourri — Ae,
rendait un premier jugement le 1°" décembre désignant M. Z Ai Ah en
qualité de co — syndic de la liquidation Banque Méridien BIAO Cameroun.
Un deuxième jugement intervenait le 3 avril 2006 désignant un juge
commissaire qui autorisait Mr. Z à percevoir des mains de la SCI KENT une
somme de 730.872.254 F CFA au titre du reliquat dû à la liquidation ; paiement
effectué par chèque CBC n°1826906 du 15 décembre 2005.
Estimant que la vente avait été conclue sans autorisation préalable du juge
commissaire, Mr. Z assignait la SCI KENT en nullité devant le Tribunal de

grande instance du Wouri à Ae qui accédait à sa demande par jugement du 6
mai 2010.
La requérante relevait appel de cette décision devant la Cour d’Appel du
littoral en invoquant à l’appui de son argumentation l’article 17 de l'Annexe à la
Convention du 17 janvier 1992 portant Harmonisation de la Règlementation Bancaire
dans les Etats de l'Afrique Centrale.
Cette juridiction rejetait ce moyen, annulait la vente, et subordonnait son
expulsion au remboursement par la liquidation du prix de l'acquisition de l'immeuble
et au paiement d’une indemnité d’évicton compensatrice du coût des
investissements réalisés sur l'immeuble.
La SCI KENT formait un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême contre
cet arrêt.
Parallèlement, elle saisissait la Cour de céans d’un recours ayant pour objet
de sanctionner le refus de la Cour d’Appel du littoral — Ae de lui adresser une
question préjudicielle en interprétation de l’article 17 de l’Annexe à la Convention
précitée.
A l'audience, la requérante reprend devant la Cour de céans son
argumentation selon laquelle seules les dispositions de l’article 17 de l'Annexe à la
Convention précitée sont applicables et que la liquidation n'avait pas à requérir
l'autorisation du juge commissaire au moment de la vente.
Selon elle, les juges auraient dû appliquer le principe ’specialia generalibus
derogant” en refusant l’application de l’article 572 du Code de commerce.
Dans le doute, elle estime que la Cour d'Appel du littoral — Ae aurait dû
préalablement saisir la Chambre Judiciaire de la Cour de céans pour interpréter
l’article 17 de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 portant Harmonisation de
la Règlementation Bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale.
En réplique, la liquidation Méridien Banque BIAO fait observer que la Cour
d'Appel a fait une bonne application de la disposition litigieuse.
Elle soutient que l’autorisation du juge commissaire est nécessaire pour la
vente des immeubles appartenant à ceux contre qui a été prononcé un jugement de
liquidation.
Selon elle, l’article 17 susvisé combine deux régimes juridiques : un régime
spécial qui attribue au liquidateur bancaire les opérations de liquidation du fonds de

commerce (clientèle, enseigne, nom commercial) et le régime de droit commun qui
autorise le liquidateur judiciaire la vente des autres actifs.
Pour la défenderesse, ce sont les dispositions du Code de commerce qui
étaient applicables à la liquidation judiciaire BMBC.
Toujours selon elle, la Cour a statué uniquement sur le volet judiciaire de la
liquidation BMBC.
S’agissant du moyen tiré de l’inexistence d’un juge commissaire, elle soutient
que l’article 17 querellé institue deux régimes de liquidation :
— une liquidation bancaire dont le liquidateur est désigné par la COBAC et
soumis à ce titre au contrôle et à la législation de cette dernière dans les
opérations qui concernent la liquidation du fonds de commerce de la
défunte banque et dont le contentieux relève de la juridiction de céans,
— une liquidation judiciaire dont le liquidateur appelé encore syndic est
nommé par les autorités judiciaires nationales et soumis à ce titre à la
législation de droit commun des liquidations des entreprises.
Partant de cette distinction, elle estime que c'est à bon droit, la BMBC ayant
été admise au bénéfice de la liquidation en 1996 et avant l'entrée en vigueur de
l’'Acte Uniforme sur les procédures collectives, que le Tribunal de Grande Instance du
Wouri a désigné un juge commissaire qui devait autoriser à peine de nullité la vente
de tout immeuble appartenant à la liquidation.
Selon elle, les opérations de liquidation combinent l’application conjointe de
deux régimes juridiques, et il n’y a donc pas lieu de dire comme le prétend la
requérante que l’article 17 susvisé prime sur l’article 572 du Code de commerce.
Il. Motifs de l’arrêt
a) Sur l’obligation de saisine préjudicielle fondée sur l’article 17 de la
Convention régissant la Cour de Justice
Dans sa requête, la SCI KENT a introduit un recours en vertu de l’article 17 de
la Convention précitée visant à faire constater que la Cour d’Appel du littoral —
Ae aurait manqué l’obligation de soumettre à la Chambre Judiciaire une question

préjudicielle en interprétation de l’article 17 de l'Annexe de la Convention du 17
janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire.
L'article 17 de la Convention régissant la Cour de Justice prévoit que
« chaque fois qu’une juridiction nationale doit statuer en dernier ressort, elle est
tenue de saisir préalablement la Chambre Judiciaire. »
Selon cet article ° chaque fois qu’une juridiction nationale doit statuer en
dernier ressort, elle est tenue de saisir préalablement la Chambre Judiciaire.”
Il résulte de l’économie de ce texte que l’obligation de saisine à titre préjudiciel
des juridictions statuant en dernier ressort est la règle.
Néanmoins, la Cour s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Justice de
l'Union européenne qui lui sert de référence, estime qu’il ne suffit pas qu’une partie
soutienne que le litige dont est saisie une juridiction de dernier ressort, pose une
question de droit communautaire pour que celle-ci procède automatiquement à un
renvoi préjudiciel.
En effet un certain nombre d’exceptions ont été dégagées par la jurisprudence
en ce qui concerne l'interprétation du droit communautaire.
Premièrement, les juridictions de dernier ressort peuvent se dispenser de
procéder à un renvoi en interprétation si la question n’est pas pertinente, c'est-à-dire
si la réponse que la Cour pourrait y apporter est sans incidence sur la solution du
litige (CILFT, CJCE, 6 octobre 1982, 283/81).
Cette exception laisse aux juges nationaux qui sont seuls à avoir une
connaissance directe des faits de l’affaire comme aussi des arguments mis en avant
par les parties, le soin d’apprécier la pertinence des questions de droit soulevées,
ainsi que la nécessité d’une question préjudicielle (CJCE, 29 novembre 1978, PIGS
MARKETING BOARD, aff. 83/78, R 2347).
Deuxièmement, la saisine de la Cour n’est pas non plus obligatoire toutes les
fois que la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà
l’objet d’une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue (CJCE, 27 mars
1963, DA COSTA, aff. jointes 28 à 30/62, p. 75).
Troisièmement, l'obligation de saisine à titre préjudiciel qui pèse sur les
juridictions de dernier ressort, peut également être levée toutes les fois que
l’application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence
qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la
question posée (CILFIT, 6 octobre 1982, 283/81, Rec. p. 3415, point 16).

Cela étant, le recours intenté par la requérante visant à faire constater que la
Cour d'Appel aurait violé son obligation de saisine préjudicielle n’entre pas dans le
champ d'application de l’article 17 de la Convention précitée.
Cependant, la Cour indique que cette présumée violation du droit
communautaire ne peut être sanctionnée que sur le fondement de l'article 4 du traité
révisé qui institue une procédure autonome, appelée recours en manquement qui
peut être engagé par tout Etat membre ou par la Commission, à l’exclusion des
particuliers.
Eu égard à ce qui précède, le recours visant en l'espèce à la constatation d’une
violation des règles du recours préjudiciel, sur le fondement de l’article 17 précité, est
manifestement irrecevable.
b) Sur la recevabilité de la requête en interprétation
La requérante fait valoir que le litige présente à juger des questions de droit
soulevant une difficulté sérieuse d'interprétation, de nature à justifier sa demande en
interprétation de l’article 17 de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 précitée.
Elle invoque à l'appui de sa demande l’article 19 de la Convention régissant la
Cour de Justice qui énonce :
° Si à la requête du Secrétaire Exécutif de la CEMAC (...) ou toute personne
physique ou morale, la Chambre Judiciaire constate que, dans un Etat membre,
l'inobservation des règles de procédure du recours préjudiciel donne lieu à des
interprétations erronées des traités (…), elle rend un arrêt donnant les interprétations
exactes (…) ;
Il résulte de l’économie de ce texte que le Secrétaire Exécutif (désormais
Président de la Commission) et les particuliers le cas échéant, peuvent engager une
procédure au titre de cette disposition, lorsqu'ils constatent l'existence d’une
jurisprudence nationale non-conforme au droit communautaire tel qu’interprété par la
Cour, ou des divergences d’interprétation dans les Etats membres, susceptibles de
menacer l'unité d'interprétation et l’application du traité, la Cour procède alors au
réexamen de la décision qui s’écarte de la jurisprudence établie, et rend dans ce cas
un arrêt donnant l’interprétation exacte, lequel devra être appliqué par toutes les
juridictions des Etats membres ainsi que par les autorités administratives.

Par conséquent, les conclusions de la requérante visant à interpréter l’article
17 de l'Annexe à la Convention portant Harmonisation de la réglementation bancaire
dans les Etats de l'Afrique Centrale, sont manifestement irrecevables.
La Cour rappelle que dans le cadre de cette procédure de réexamen qui vise
à contrôler le bon fonctionnement de la procédure préjudicielle dans les Etats
membres, elle n’a pas à interpréter à la demande des particuliers des dispositions
d’une réglementation communautaire invoquée devant le juge national, sauf
lorsqu'elle est saisie dans le cadre d’un renvoi préjudiciel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de droit
communautaire ;
Déclare irrecevable le recours de la requérante ;
Condamne la requérante aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique à N’Ac, les jour, mois
et an que dessus.
Ont signé le Président, les Juges et le Greffier.
M. Georges TATY
JUGE RAPPORTEUR


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26
Date de la décision : 03/03/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cemac;cour.justice;arret;2016-03-03;26 ?
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