Le défaut d’harmonisation des statuts d’une société à responsabilité limitée avec l’AUSCGIE est sans incidence sur la forme de la société. L’associé unique ne peut, pour faire bénéficier de l’application des règles de la SNC à la SARL ainsi créée, prétendre que ces irrégularités confèrent à la société le statut de société de fait. La personnalité juridique de la SARL étant différente de celle de l’associé unique, la société est dotée d’un patrimoine propre distinct de celui de la personne physique qui l’a constituée et qui la dirige. C’est pourquoi, dans le cadre d’une procédure judiciaire, la société demanderesse à l’action doit payer la consignation au risque pour elle de voir son action déclarée irrecevable par la juridiction saisie.
ARTICLES 270 ; 864 ET 915 AUSCGIE
(COUR D’APPEL DU LITTORAL, ARRET N°088/C DU 17 JUIN 2011, LA STE AXA ASSURANCE CAMEROUN SA C/ MONSIEUR KOUEKAM DIEUDONNE)
LA COUR
- Vu le jugement n°438 rendu le 17 mars 2006 par le Tribunal de Grande Instance du Wouri à Douala, statuant en matière civile et commerciale ;
- Vu les appels principal et incident interjetés contre ce jugement par la Société AXA Assurances Cameroun et le sieur KOUEKAM Dieudonné ;
- Oui les parties en leurs prétentions présentées par leurs conseils respectifs, à savoir, Maître Emmanuel EKOBO (pour l’appelant principal) et Maître FUKEU TCHOUA (pour l’appelant incident) tous Avocats à Douala ;
- Vu les pièces du dossier de la procédure ;
- Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
- Considérant que par requête enregistrée à la Cour de céans le 4 septembre 2005, la Société AXA Assurances Cameroun (venant aux droits de l’ancienne Société CCAR), a relevé appel du jugement susvisé, rendu le 17 mars 2006, dans la cause l’opposant au sieur KOUEKAM Dieudonné, qui a relevé appel incident à l’encontre du même jugement dans ses conclusions du 15 avril 2007 ;
EN LA FORME
- considérant qu’en cours d’instance, KOUEKAM Dieudonné a invoqué l’irrecevabilité de l’appel de la Société AXA Assurances Cameroun, pour défaut de paiement de la consignation, faisant valoir à ce sujet qu’en sa qualité d’appelant, la société susnommée doit consigner au Greffe de la Cour de céans la somme de 17.847.273 francs, en application de l’article 191 al. 3 du Code de Procédure Civile et Commerciale ; que ne l’ayant pas fait, son appel ne peut qu’être déclaré irrecevable, conformément aux dispositions de l’article 24 du même code ;
- mais considérant, comme l’a relevé à bon droit la société AXA assurances Cameroun, que KOUEKAM est sans qualité pour fixer le montant de la consignation, cette prérogative appartenant au Greffier en chef de la juridiction saisie ;
- Qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que la société AXA Assurances Cameroun a payé la consignation due le décembre 2006, au montant fixé par le Greffier en chef de la Cour de céans ;
- Qu’aussi échet-il de rejeter l’exception soulevée par KOUEKAM Dieudonné, tirée du défaut de paiement de la consignation par l’appelant, et par suite, de recevoir l’appel de cette dernière, au demeurant interjeté dans les forme et délai légaux ;
- Considérant que toutes les parties ont conclu, par le soin de leurs conseils susnommés ; qu’il échet de statuer contradictoirement à leur égard ;
AU FOND
- Considérant que le jugement entrepris est ainsi conçu dans son dispositif : « Recevoir CCAR devenue AXA Assurances en ses exceptions et fins de non-recevoir ;
- Constate que sieur KOUEKAM Dieudonné, directeur de la société SOKO Voyages n’a pas accompli les formalités légales constitutives d’une société reconnue par l’Acte uniforme OHADA sur le droit des sociétés ;
- Constate que la société SOKO Voyages est par conséquent assimilable à une société en nom collectif des articles 270 et suivants de l’Acte uniforme susvisé ;
- Que sieur KOUEKAM Dieudonné est bénéficiaire de l’assistance judiciaire qui l’exonère du paiement de la provision ;
- Dit CCAR devenue AXA, non fondée en ses exceptions ; - Les rejette ;
- Reçoit sieur KOUEKAM Dieudonné, directeur de la société et gérant de la société SOKO Voyages en sa demande ;
- Constate que CCAR devenue AXA a été admise en jugement commun ; - Constate que CCAR devenue AXA a observé un retard de 10 ans pour indemniser la
victime d’un accident causé par son client SOKO Voyages ; - Que CCAR est responsable des préjudices subis par KOUEKAM Dieudonné, par
application de l’article 1147 du Code civil et suite à la déclaration du jugement commun ;
- Constate que Maître Guy EFON, Huissier de justice instrumentaire a agi dans le cadre strict de sa mission d’huissier ;
- Dit sieur KOUEKAM Dieudonné, gérant de la société SOKO Voyages, partiellement fondé ;
- Condamne la société CCAR devenue AXA Assurances, à payer à sieur KOUEKAM Dieudonné, gérant de la société SOKO Voyages, les sommes suivantes :
Réparation du bus………………..3.814.550 F Valeur du bus au Moment de le saisie…………….27.000.000 F Préjudice économique…………...90.000.000 F Soit au total 120.814.550 francs ;
- Le déboute du surplus de sa demande comme non justifiée ; - Ordonnons l’exécution provisoire de la présente décision pour la somme de
30.814.550 francs »;
- Considérant que la société AXA Assurances Cameroun conteste cette décision dont elle sollicite la réformation totale, pour mal jugé ;
- Qu’au soutien de son recours, elle expose que le 03 décembre 1987 à Edéa, est survenu un accident de circulation occasionné par le bus immatriculé sous le numéro CE 8116 C, conduit par le nommé ABDOULAYE YAKOUBOU, appartenant à la société SOKO Voyages, et assuré par la société CCAR devenue AXA Assurances Cameroun, lequel accident a causé des blessures graves à la nommée NGO MAKON Nathalie ;
- Que cités à comparaître devant le Tribunal correctionnel d’Edéa en qualité de prévenu et civilement responsable, ABDOULAYE YAKOUBOU et la société SOKO Voyages furent condamnés à indemniser la victime à hauteur de 7.977.000 francs, par jugement confirmé par arrêt n°637/P du 16 mars 1993 de la cour de céans ;
- Qu’elle a été tenue à l’écart du procès pénal par son assuré, la société SOKO Voyages, qui a assuré seule la direction dudit procès finalement perdu ;
- Qu’elle n’a été mise au courant de cette affaire que le 25 août 1994, en recevant l’assignation que lui a servie la société SOKO Voyages, l’invitant à comparaître devant le Tribunal de Première Instance de Douala, en déclaration de jugement commun ;
- Que par jugement n°83 rendu le 22 novembre 1995 par le tribunal susmentionné, confirmé par arrêt n°134/CC du 1er septembre 1996 de la cour de céans, l’arrêt n°637/P du 16 mars 1993 ayant condamné la société SOKO Voyages à indemniser la victime à hauteur de 7.977.000 francs, lui fut déclaré commun, décision à laquelle elle s’est inclinée en payant la somme sus indiquée le 29 décembre 1997 ;
- Qu’elle a été surprise de recevoir en date du 04 février 2005, de la part de KOUEKAM Dieudonné, disant agir en qualité de gérant de la société SOKO voyages, une assignation en paiement de la somme de 297.454 550 francs en réparation d’un soi- disant préjudice résultant du retard de dix ans qu’elle aurait mis pour couvrir le sinistre, retard qui, à ses dires, aurait coûté à la société SOKO Voyages, la perte de son principal bus de transport, abusivement saisi par l’Huissier de justice Guy EFON ;
- Que contre toute attente, le Tribunal de Grande Instance du Wouri a accédé à l’essentiel de cette demande (par jugement dont appel) en allouant à KOUEKAM Dieudonné la somme de 120.844.550 francs, balayant du coup, ses arguments pourtant décisifs ;
- Qu’elle fait grief à ce jugement, au principal, d’avoir reçu KOUEKAM en son action, et subsidiairement, d’avoir fait droit à sa demande ; que sur le premier grief, elle fait valoir que pour recevoir KOUEKAM Dieudonné en son action malicieusement
intentée au nom et pour le compte de la société SOKO Voyages, le premier juge a, d’une part, dénaturé les faits et documents de la cause et excédé son pouvoir, en modifiant ex-officio, la forme juridique de la société SOKO Voyages, en l’assimilant à une société à responsabilité limitée qui l’a saisi sous cette forme, et d’autre part, affirmé que le patrimoine de ladite société se confond avec celui du sieur KOUEKAM, au terme d’une mauvaise appréciation des articles 270, 864 et suivants de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales, dans le but à peine voilé de faire bénéficier à cette société, de l’assistance judiciaire accordée au sieur KOUEKAM Dieudonné ;
- Que sur le second grief, elle estime que les dispositions des articles 1147 et 1165 du Code civil ont été violées par le premier juge qui, pour la condamner à payer au sieur KOUEKAM Dieudonné, la somme de 120.814.550 francs, l’a tenue pour responsable des dommages qu’aurait subis ce dernier, alors que le seul rapport contractuel qu’il connaît, est celui qui la liait à la société SOKO Voyages, et alors que c’est cette dernière elle-même qui a été la cause du retard déploré, pour lui avoir dissimulé la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation, toute chose constituant, autant la violation d’une clause de leur contrat d’assurance, qu’une cause étrangère ne pouvant être imputée à l’assureur ;
- Qu’aussi, demande t-elle à la cour de céans, d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de déclarer l’action de KOUEKAM Dieudonné irrecevable, et, à défaut, de le débouter de ses demandes ;
- Considérant que KOUEKAM Dieudonné quant à lui, après avoir expliqué que l’accident de circulation du 03 décembre 1987 a connu son épilogue le 29 décembre 1997, lorsque la CCAR (devenue AXA Assurances) a été contrainte, après dix ans de bataille judiciaire, d’indemniser la victime, a précisé que la présente procédure tend à la condamnation de la même société AXA Assurances, à réparer les conséquences préjudiciables de la perte par la société SOKO Voyages, de son principal bus immatriculé sous le n° CE 47896-E, perte consécutive au mauvais gardiennage dudit bus, suite à la saisie dont il a fait l’objet, par l’Huissier de justice Guy EFON ;
- Que d’après lui, ceci n’est arrivé qu’à cause de l’incurie de la société CCAR (devenue AXA Assurances) qui a attendu dix ans pour assurer la couverture de l’accident survenu ;
- Que s’il dit approuver le jugement entrepris en ce qu’il a retenu le principe de la responsabilité de la société AXA Assurances, il ajoute qu’il le conteste (d’où son appel incident) sur la mise hors de cause de l’Huissier de justice Guy EFON, et sur la réparation du préjudice subi dont il demande réévaluation à la hausse ;
- Considérant que pour assimiler la société SOKO Voyages à une société en nom collectif, et lui faire bénéficier de l’assistance judiciaire accordée à son gérant et associé KOUEKAM Dieudonné, le premier juge énonce :
- « attendu qu’aux termes de l’article 270 de l’Acte uniforme OHADA portant sur les sociétés commerciales, la société en nom collectif est celle dans laquelle tous les associés sont commerçants et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ;
- Que du même Acte uniforme en ses articles 865 et suivants, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ont constitué une société reconnue par l’Acte uniforme, mais n’ont pas accompli les formalités légales constitutives, ou ont constitué une société non reconnue, il y a société de fait dont la reconnaissance peut être faite par la juridiction compétente en son lieu principal d’activité, à la demande de quiconque y
ayant intérêt et à charge pour ce dernier d’en apporter l’identité et la dénomination sociale et la preuve de l’existence, par tout moyen ;
- Attendu que pour justifier l’existence de la société de fait SOKO Voyages, sieur KOUEKAM Dieudonné, associé et gérant de ladite société, a versé au dossier, une déclaration aux fins d’immatriculation de ladite société ;
- Qu’en l’absence de statut harmonisé de ladite société, il est à déduire que les formalités d’harmonisation d’icelle n’ont jamais été accomplies, toute chose qui lui affecte légalement le statut de la société de fait ;
- Que le tribunal de céans, dont la compétence territoriale couvre le lieu principal de l’action de SOKO Voyages, est compétent et reconnaît en cette personne morale le statut de société de fait ;
- Qu’en conséquence, comme prescrit à l’article 869 du susdit acte, lorsque l’existence d’une société de fait est reconnue par le juge, les règles de la société en nom collectif sont applicables aux associés ;
- Qu’en conséquence, en tant qu’associé et gérant de la société en nom collectif SOKO voyages, sieur KOUEKAM Dieudonné est commerçant et répond indéfiniment et solidairement des dettes sociales de SOKO Voyages ;
- Que son patrimoine étant confondu à celui de SOKO Voyages pour répondre des dettes sociales à l’instar des commerçants personnes physiques, l’assistance judiciaire à lui accordée dans le cadre d’une assignation contre son assureur, est valable ;
- D’où il suit que l’exception tirée du défaut de communication de pièces, de la consignation et de la qualité du défendeur, sont non fondées et méritent le rejet » ;
- Mais considérant que la société AXA Assurances a produit en cause d’appel, les statuts de la société SOKO Voyages, indiquant que celle-ci est une société à responsabilité limitée ;
- Qu’il ressort en outre des énonciations de l’assignation du 4 février 2005 introductive de la présente instance, que c’est la société SOKO voyages qui, estimant avoir subi des préjudices du fait de l’inaction de son assureur la société CCAR (devenue AXA Assurances) a, par l’intermédiaire de son gérant KOUEKAM Dieudonné, assigné celle-ci en dommages-intérêts ;
- Que de l’ensemble de ces productions et de la déclaration d’immatriculation de la société SOKO Voyages, également produite aux débats - le fait qu’elle ne soit pas timbrée est sans influence sur la valeur probante, contrairement à l’opinion de KOUEKAM Dieudonné – il résulte que :
1) La personnalité juridique de la société SOKO Voyages est distincte de celle de ses associés ;
2) Cette personnalité juridique demeure, nonobstant le défaut d’harmonisation de ses statuts avec l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales, cette inobservation étant sanctionnée par l’inefficacité des clauses statutaires contraires - réputée non écrites (art.915) - et non par l’assimilation de la société non à jour à une société de fait comme l’a soutenu à tort KOUEKAM Dieudonné, suivi en cela par le premier juge ;
3) La société SOKO Voyages SARL, demanderesse à la présente instance, est assujettie au paiement de la consignation prévue par l’article 24 du code de procédure civile et commerciale, sans qu’elle puisse se prévaloir de l’assistance judiciaire accordée au sieur KOUEKAM Dieudonné, les deux personnes étant distinctes, et celui-ci ne répondant du passif de celle-là, qu’à concurrence de son apport ;
4) L’exception soulevée par la société AXA Assurances, tirée du défaut de paiement de la consignation par la société SOKO Voyages, demanderesse en la cause, est donc fondée, contrairement à l’opinion du premier juge, mal avisé sur la question ;
- Considérant qu’au total, il échet d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de faire droit à l’exception soulevée par la société AXA Assurances, tirée du défaut de paiement de la consignation par la société demanderesse, de laquelle découle l’irrecevabilité de son action ;
- Qu’il n’est besoin dès lors, de s’attarder sur les autres moyens soulevés par les parties ;
PAR CES MOTIFS
- Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de KOUEKAM Dieudonné, de la société SOKO Voyages et de la société AXA Assurances Cameroun, en matière civile et commerciale, en appel, et à l’unanimité des membres du collège et en dernier ressort ;
- Infirme le jugement entrepris ; - Statuant à nouveau - Reçoit l’exception soulevée par la société AXA Assurances Cameroun, tirée du défaut
de paiement de la consignation par la société SOKO Voyages SARL ; - Déclare en conséquence son action irrecevable ; - Condamne solidairement KOUEKAM Dieudonné et la société SOKO Voyages SARL
aux dépens dont distraction au profit de Maître Emmanuel EKOBO, Avocat aux offres de droit.
- (…)