Le destinataire des marchandises qui en prend livraison sans émettre de réserves ne peut fonder une action en responsabilité contre le transporteur sur les conclusions d’une expertise unilatérale qu’il a réalisée unilatéralement et en dehors des installations portuaires après la prise de livraison. A défaut de produire des éléments probatoires du retard et des pertes par lui allégués, son action en responsabilité contre le transporteur doit être déclarée non fondée par la juridiction compétente.
Le destinataire des marchandises ne peut valablement agir en responsabilité civile contractuelle contre le mandataire du transporteur pour mauvaise exécution des obligations contractuelles. Faute pour le destinataire d’apporter la preuve du contrat de commission le liant au mandataire, celui-ci est un tiers au contrat de transport liant les parties et doit être déclaré hors de cause par la juridiction compétente.
- ARTICLES 4, 6, 8 ET 10 DE LA CONVENTION DE HAMBOURG DE 1978 SUR LE TRANSPORT DES MARCHANDISES PAR MER - ARTICLES 408 ET 453 DU CODE DE LA MARINE MARCHANDE DE LA CEMAC
(COUR D’APPEL DU LITTORAL, ARRET N°032/C DU 18 FEVRIER 2011, GETMA SA C/ MONSIEUR A Ab)
LA COUR
- Vu la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire ; - Vu le jugement n°433 du 28 mai 2008, rendu par le Tribunal de Grande Instance du
Wouri, statuant en matière civile et commerciale ; - Vu les appels interjetés contre ledit jugement par le Transporteur Maritime M/S Grand
Aa et GETMA SA ; - Oui les parties en leurs prétentions respectives ; - Après en avoir délibéré conformément à la loi ; - Considérant que par requêtes des 28 février et 14 mai 2009 respectivement
enregistrées au Greffe de la Cour de céans sous les numéros 300 et 844, le
Transporteur Maritime M/S Grand Aa et GETMA SA, ont relevé appel contre le jugement civil susmentionné dans la cause les opposant au sieur A Ab et dont le dispositif est repris dans les qualités du présent arrêt ;
- Considérant que les litigants ont été représentés par leurs conseils respectifs, notamment Maître MOUAFO Apollinaire pour sieur A Ab (l’intimé) et Maîtres NJIANGA MBIAMI et Joël PRISO pour les appelants lesquels ont du reste conclu ;
- Qu’il y a lieu de rendre un arrêt contradictoire en l’espèce ; - Considérant que par arrêt n°167/C/ADD du 18 février 2009, la cour a ordonné la
jonction de ces procédures pour cause de connexité ; - Considérant qu’il est de bon ton d’examiner séparément chacun de ces recours ;
I- DE L’APPEL DE M/S Aa
A- EN LA FORME - Considérant que cet appel a été fait dans les forme et délai légaux ; - Qu’il échet de le recevoir et de statuer sur son mérite ;
B- AU FOND - Considérant que ce recourant fait grief au jugement entrepris de l’avoir, à l’instar des
autres défendeurs dans la cause, déclaré responsable des pertes et retards dans la livraison des marchandises à eux confiées et de n’avoir pas respecté la limitation de responsabilité que le loi reconnaît au transporteur maritime en cas de réparation de dommage ;
- Considérant qu’il fait valoir à cet effet qu’en statuant comme sus indiqué, le premier juge a, à la fois violé les articles 395 et 413 du Code communautaire de la marine marchande CEMAC et l’article 10 de la Convention de Hambourg de 1978 sur le transport de marchandises par mer d’une part et invoque d’autre part l’absence de réserve à la fois de la part du transitaire de l’intimé (sté GOTRANS) et de la société GETMA SA ( acconier manutentionnaire) au moment de la livraison des marchandises litigieuses, toutes choses qui, selon lui, attestent que celles-ci ont été livrées conformes c’est-à-dire en bon état et dans les délais ;
- Qu’il ajoute que l’expertise invoquée par son adversaire et sur laquelle le premier juge s’est fondé pour retenir sa responsabilité n’a été faite ni de manière contradictoire, ni au moment de la livraison des dites marchandises mais plutôt au magasin du sieur A Ab c’est-à-dire en dehors des installations portuaires ;
- Qu’ainsi les conclusions de cette expertise sont fortement sujettes à caution et ne sauraient lui être opposées ;
- Que par ailleurs, le premier juge, en procédant à la réparation du préjudice n’a pas respecté les modalités fixées à la fois par les règles de Hambourg et la Convention susmentionnée, lesquelles prévoient des dispositions spéciales en cas de retard et de pertes ou dommage ;
- Qu’il conclut à titre principal à sa mise hors de cause et subsidiairement à la révision à la baisse de la réparation du préjudice en application des articles 6 (1) de la Convention de Hambourg et 414 (1) du Code communautaire de la marine marchande CEMAC ;
- Considérant que l’intimé par le biais de son conseil maître MOUAFO oppose à cet appelant les dispositions de l’article 10 (2 et 4) de la Convention de Hambourg, qui posent le principe de l’admission de la responsabilité du transporteur substitué pour le transport par lui effectué ;
- Que s’agissant du défaut de prise de réserves allégué, il prétend qu’il ressort des documents établis par GETMA SA au moment de la réception desdites marchandises que le conteneur portait un plomb n°14663 différend de celui du connaissement (n°032976) ;
- Qu’il s’ensuit que la responsabilité de ce transporteur substitué est dès lors engagée à l’égard de l’intimé quant aux pertes et autres préjudices subis par ce dernier dans cette opération de transport maritime ;
- Qu’en ce qui concerne le non respect de la limitation de responsabilité encourue par le transporteur maritime, le même conseil excipe les dispositions de l’article 8 (2) des règles de Hambourg aux termes desquelles, cette limitation est exclue lorsque « la perte, le dommage, le retard à la livraison, résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur , commis soit avec l’intention de provoquer cette perte, ce dommage ou le retard, soit témérairement et en sachant que cette perte, ce dommage ou ce retard en résultant probablement » ;
- Que c’est en toute connaissance de cause et avec l’intention de créer un dommage que l’appelant a entrepris de manipuler les marchandises et de changer les plombs du conteneur avec la complicité de l’acconier GETMA SA qui le lui a caché ;
- Mais considérant que si le principe de l’admission de la responsabilité du transporteur substitué est effectivement affirmé par les dispositions de l’article 10 (2 et 4) (ainsi que l’a rappelé à bon droit Maître MOUAFO), il reste toutefois que, pour être engagée, cette responsabilité suppose une faute commise par le transporteur substitué et un préjudice subi ;
- Considérant qu’aux termes des dispositions combinées des articles 408 du Code de la marine marchande et 4 de la Convention de Hambourg, « la responsabilité du transporteur couvre la période pendant laquelle les marchandises sont sous sa garde, au port de chargement, durant le transport maritime et au port de déchargement » ;
- Qu’en l’espèce, il est constant que les marchandises concernées ont été réceptionnées à la fois par l’acconier GETMA SA et par le mandataire GOTRANS de l’intimé sans aucune réserve émise par ceux-ci ;
- Qu’il est tout aussi acquis que l’expertise invoquée a été faite de manière unilatérale à l’initiative de l’intimé et en dehors des installations portuaires ; donc après livraison des marchandises querellées ;
- Qu’au surplus, il appert du rapport de cette expertise que les références du plomb relevées au moment de la réception du conteneur par GETMA SA (n°14663) sont différentes de celles constatées au moment de l’expertise dans le magasin de l’intimé avant le dépotage du conteneur (X 370094), en d’autres termes il y a une fois de plus substitution du plomb après livraison ;
- Qu’en définitive, à la lumière de tout ce qui précède, il ne résulte du dossier aucun élément objectif permettant d’attester de manière irréfutable non seulement la perte des marchandises alléguées, mais également d’en imputer quand bien même la preuve de cette perte sera rapportée la responsabilité de ce transporteur substitué ; aucune réserve n’ayant été émise au moment de la livraison ;
- Considérant par ailleurs que sur le retard allégué, l’intimé n’en a non plus rapporté la preuve encore moins son imputabilité au transporteur substitué, étant entendu qu’aucun délai de livraison n’a été convenu par les parties litigantes en l’espèce ;
- Qu’il convient de mettre hors de cause le transporteur M/S Grand Aa ;
II- SUR L’APPEL DE GETMA SA
A. EN LA FORME
- Considérant que cet appelant prétend que le jugement querellé lui a été signifié le 05 mai 2009 et que pour avoir exercé son recours le 14 mai de la même année, il doit être déclaré recevable ;
- Considérant que cela n’est pas contesté par son adversaire ; - Qu’il y a lieu de recevoir cet appel et de l’examiner au fond ;
B. AU FOND
- Considérant que GETMA SA reproche également au jugement critiqué d’avoir retenu sa responsabilité en l’espèce et partant de l’avoir condamné comme tous les autres défendeurs alors qu’il n’était que mandataire de la société CMACGM (le transporteur) ; laquelle dispose exclusivement d’un recours contre lui, aux termes de l’article 448 du Code communautaire de la marine marchande ;
- Qu’il précise que pour y parvenir, le premier juge a affirmé dans sa décision querellée qu’il avait agi ès-qualité de commissionnaire de transport et a fondé sa décision que les dispositions de l’article 453 du Code communautaire de la marine marchande CEMAC (CCMM CEMAC) ;
- Que pour justifier cette qualité de commissionnaire à lui attribué, le premier juge (suivant ainsi le conseil de l’intimé), a indiqué que sieur A Ab s’est régulièrement acquitté des frais exigés par le commissaire, n’a pas reçu ses marchandises dans les délais et a même subi la diminution de ses biens et que l’exécution perturbée de ce contrat emporte sa responsabilité ; tenue qu’elle est par une obligation du résultat ;
- Qu’en le retenant dans les liens de la responsabilité sur le fondement de l’article 453 du CCMM, le premier juge a fait une inexacte appréciation des faits de la cause et une mauvaise application de la loi, alors que son adversaire n’a point rapporté la preuve de l’existence d’un contrat de commission les liant ;
- Que les frais dont fait état le premier juge dans la décision querellée sont loin d’être une rémunération ou encore toute autre somme versée à la société GETMA comme commissaire puisqu’il s’agit des frais d’acconage, de manutention, de gardiennage et autres frais exigés comme acconier manutentionnaire ;
- Qu’il est de notoriété publique que la société GETMA SA, a toujours agi dans les opérations de transport maritime comme mandataire et n’a jamais eu à faire exécuter sous sa responsabilité en son nom propre, un transport de marchandises pour le compte d’un commettant ;
- Considérant pour sa part que l’intimé a soutenu que c’est un contrat de commission de transport maritime qui le liait à GETMA SA ;
- Que le fret et les commissions relatifs à cette opération de transport maritime ont été versés à la société GETMA SA, tel qu’il ressort des différentes quittances de paiement versées aux débats et que c’est pour cette raison que celle-ci lui a adressé deux factures dont l’une relative au fret (prix du transport des marchandises) et l’autre concernant l’acconage, la manipulation, la livraison des marchandises querellées ;
- Qu’il conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de l’appelant aux dépens ;
- Considérant qu’aux termes de l’article 453 du code susvisé « le commissionnaire de transport est investi d’une mission relative à l’organisation du transport dans son
ensemble. Il s’engage à faire exécuter le transport d’une marchandise d’un lieu à l’autre. Il a une obligation de résultat » ;
- Mais considérant qu’en l’espèce, la preuve de l’existence d’un contrat de commission entre les litigants n’a point été rapportée par l’intimé qui s’en prévaut ; qu’en effet les documents afférents au paiement du fret et de la manutention ne sauraient établir en soi, la preuve du contrat de commission allégué ;
- Qu’il appert en revanche de l’examen du connaissement versé aux débats que la société GETMA SA n’a jamais été partie au contrat de transport dont s’agit et qu’il est bel et bien mentionné un chargeur, un transporteur et le destinataire qui est sieur A Ab, conformément au caractère tripartite de ce contrat ;
- Que par ailleurs, s’agissant du fret, il est également précisé dans le même document que le paiement devrait être effectué à destination, donc auprès du représentant du transporteur qui est GETMA SA ;
- Qu’il échet par suite de dire les moyens invoqués par GETMA SA pertinents et de la mettre hors de cause ;
- Considérant que la partie qui succombe doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en matière civile et commerciale, en appel et en deuxième ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME - Reçoit les appels de M/S Grand Aa et GETMA SA ;
AU FOND - Infirme le jugement querellé ;
STATUANT A NOUVEAU - Met M/S Grand Aa hors de cause ; - Condamne sieur A Ab aux dépens distraits au profit de Maîtres MBIAMI
Bruno et Joël PRISO, Avocats aux offres de droit ; - (…)