1. Lorsqu’un bail d’immeuble a un caractère commercial, la résiliation du bail et l’expulsion du preneur qui ne respecte pas les clauses du bail (non paiement des loyers) ne peut intervenir qu’après une mise en demeure adressée au preneur d’avoir à respecter les clauses et conditions du bail. En l’absence d’accomplissement de cette formalité qui est d’ordre public, le jugement d’expulsion intervenu est nul.
2. Une demande d’expulsion du preneur dans un bail commercial ne peut être admise que si celui qui engage l’action rapporte la preuve de sa qualité de bailleur. Cette preuve n’est pas rapportée lorsque l’immeuble donné à bail n’existe plus et que l’espace sur lequel il était construit n’appartient pas au prétendu bailleur mais à un tiers. C’est donc à bon droit que la demande d’expulsion doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité.
Article 101 AUDCG Article 102 AUDCG
(COUR D’APPEL DU LITTORAL, Arrêt n°132/CC du 03 novembre 2008, affaire AG Aa Ae contre Dame X née Y Elise)
La Cour, Vu la loi n°2006/15 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire de l’Etat ; Vu le jugement n°269/Civ rendu le 13 Septembre 2006 par le Tribunal de Première Instance de Ad Ai ; Vu la requête d’appel en date du 19 février 2007 ; Vu les pièces du dossier de la procédure ; Ouï les parties en leurs conclusions respectives ; Ouï Monsieur le Président du siège en son rapport ; Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME Considérant que par requête en date du 19 février 2007 reçue au Greffe le même jour et enregistrée sous le n°682 sieur AG Aa Ae, commerçant domicilié à Ad ayant élu domicile au Cabinet de son conseil Maître DJEPANG Joseph, Avocat au barreau du Cameroun, 503 Avenue du 27 Août, Immeuble grand palace B.P 2252 Ad, Tél : 33 43 16 39, a interjeté appel du jugement n°269/Civ rendu le 13 Septembre 2006 par le Tribunal de Première Instance de Ad Ai statuant en matière civile et commerciale dans l’affaire l’opposant à Dame X née Y
Marie ; Considérant qu’aux termes de l’article 193 du Code de Procédure Civile et Commerciale, le « délai d’Appel … courra, pour les jugements contradictoire, du jour de la signification à personne ou à domicile réel ou d’élection… » ; Considérant qu’il ne ressort nulle part des pièces versées au dossier que cette décision a été signifiée à l’appelant ; Qu’il convient de le recevoir ;
AU FOND Considérant que l’appelant fait grief au premier juge d’avoir fait une mauvaise appréciation des faits de la cause et une inexacte application de la loi en ce que d’une part, ce jugement a été rendu sans qu’il lui ait été donné la possibilité de présenter ses moyens de défense dès lors que ni l’assignation, ni la réassignation ne lui ont été servies et que d’autre part, l’expulsion porte sur les boutiques N°100 et 101 alors qu’il est propriétaire de la boutique n°103 pour laquelle il paie régulièrement les taxes à la Communauté Urbaine de Ad ; Qu’il n’est pas débiteur de Dame X et que c’est à tort qu’un commandement de libérer ces boutiques lui a été servi le 07 février 2007 ; Qu’il sollicite donc que ce jugement soit infirmé et que la cour, statuant à nouveau elle déboute Dame X de son action comme étant non fondée ; Considérant qu’il développe en substance qu’il ressort des qualités du jugement querellé que « 1) Monsieur AG Aa Ae, commerçant demeurant à Ad comparant ; « 2) Monsieur C Af Ag, commerçant demeurant à Ad, comparant ; » « Que le 4e rôle quant à lui mentionne que « Attendu que bien que régulièrement assignés et réassignés, les défendeurs n’ont pas cru devoir comparaître » ; Que ce défaut traduit à n’en point douter une carence d’argument à opposer à la demande ; Qu’une telle contradiction entre les qualités et les motifs est sanctionnée par la nullité du jugement selon une jurisprudence de la Cour Suprême ; Qu’il est constant qu’ils n’ont pas comparu à l’audience pour n’avoir pas reçu ni l’assignation, ni la réassignation ; Considérant que venant aux débats l’intimé, agissant par l’entremise de son conseil Maître UM Patrice, Avocat au Barreau du Cameroun conclut à la confirmation de la décision entreprise ; Qu’elle expose en substance que suivant contrat en date du 19 janvier 1988, elle a obtenu de la défunte Régifercam un espace destiné l’activité commerciale au lieu dit New- Bell Gare de Ad, contrat résilié le 10 Mars 1989, date à laquelle la Régifercam a rétrocédé les emprises allant des Brasseries du Cameroun jusqu’à la Gare de New- Bell à la Communauté Urbaine de Ad ; Que cette dernière lui a délivré deux attestations d’attribution sur l’espace qu’elle occupait précédemment et divisé en boutiques portant les n°100 et 101, échoppes qu’elle a données par la suite les 15 février et 31 Mai 1997 aux nommés AG et C Af Ag, Que c’est en raison de leur refus de payer les loyers qu’elle a sollicité et obtenu leur expulsion suivant jugement querellé ; Que sur la dissimulation de la procédure et les contradictions évoquées dans le jugement, elle rétorque que c’est parce que le gérant de sieur AG ne voulait pas recevoir l’exploit d’assignation qu’elle est passée par le régisseur du marché pour
lui faire parvenir ces exploits et qu’il ne peut prétendre qu’il ne les a pas reçus et surgir pour interjeter appel ; Que les mentions de leur comparution contenues dans les qualités du jugement ne constituent qu’une erreur matérielle sans réelle influence ; Que la Cour Suprême ne sanctionne que les contradictions entre les motifs et le dispositif et non les qualités ; Qu’elle poursuit que la qualité de locataire de l’appelant apparaît tant dans le contrat que dans plusieurs correspondances dans lesquelles il sollicitait la révision du montant du loyer ; Qu’il ne pouvait donc pas être propriétaire d’une boutique et lui demander de baisser les loyers ; Que c’est profitant de son absence pour cause de maladie que AG a subrepticement acheté un engagement à la Communauté Urbaine de Ad pour être occupant provisoire de l’espace dont il est locataire de telle sorte que sur le même lot il existe aujourd’hui deux attestations d’attribution et dont la sienne, plus ancienne est valable ; Que par ailleurs, les boutiques n°100 et 103 sont toutes construites sur son lot et AG ne peut donc pas tirer avantage de ce que l’expulsion querellée ne porte que sur les deux premiers, la dernière étant née des cendres des deux premières construites par elle en matériaux provisoires ; Que s’il n’était pas concerné par la mesure d’expulsion, il n’aurait pas fait appel ; Considérant que revenant à la charge, outre les contradictions relevées dans le jugement querellé, l’appelant fait observer que l’intimé lui avait donné à bail la boutique n°1704 le 31 Mai 1997, et que ce bail d’une durée de quatre ans a expiré le 1er juin 2001 ; Que courant 2000, la Communauté Urbaine a détruit toutes ces boutiques considérées comme des taudis et tous les baux antérieurs sont devenus caducs et l’intimé n’a plus reconstruit les boutiques N°100, 101 et 103 dont elle revendique à tort la propriété ; Qu’elle reconnaît tant dans son assignation que dans la réassignation qu’il a profité de son absence pour cause de maladie pour acheter auprès de la Communauté Urbaine de Ad l’espace jadis occupé par la boutique 1704 qu’il louait ; Qu’il a été plutôt attributaire d’un espace au lieu dit marché des chèvres et des femmes par la communauté urbaine de Ad sur lequel il a construit une boutique n°103 qui n’est nullement concernée par l’expulsion sus- visée, avec interdiction formelle de sous- louer ; Qu’il n’est donc pas sous locataire de Dame X dont l’action aurait due plutôt été dirigée contre la Communauté Urbaine de Ad pour revendiquer l’espace jadis occupé par les boutiques 100 et 101 comme elle l’a d’ailleurs fait dans sa correspondance du 03 mars 2003 ; Que n’ayant pas construit de boutique sur les lieux ; Dame X a trompé la religion du premier juge pour obtenir son expulsion alors que sa revendication ne portait que sur les espaces qui sont du reste la propriété de la Communauté Urbaine de Ad ; Qu’il maintient que les boutiques N°100 et 101 appartiennent aux sieurs A Z Ac et B Ab et que le jugement querellé qui ordonne son expulsion des boutiques 1704 et 1706 ne peut être exécuté sur la boutique 103 ; Qu’il maintient donc sa demande de reformation de cette décision ; Considérant que toutes les parties ont été régulièrement représentées par leurs conseils qui ont conclu ;
Qu’il y a lieu de statuer contradictoirement à leur égard ; Considérant que pour ordonner l’expulsion de l’appelante, le premier juge énonce : « attendu qu’en matière de bail le preneur a deux obligations principales posées par l’article 1928 du code civil parmi lesquelles celle de payer le prix du bail aux termes convenus ; Que cette défaillance du preneur entraîne résiliation du bail et l’expulsion de celui- ci ; Que les nommés AG Aa et C ayant accumulé des impayés de loyers violent ainsi les dispositions contractuelles et deviennent ipso facto occupants sans droit ni titre » ; Mais Considérant qu’il est constant qu’il s’agit d’un bail commercial ; Qu’aux termes de l’article 101 de l’Acte Uniforme OHADA portant droit commercial général « … à défaut de paiement de loyer ou en cas d’inexécution d’une clause du bail, le bailleur pourra demander à la juridiction compétente la résiliation du bail et l’expulsion du preneur, et de tous occupants de son chef, après avoir fait délivrer, par acte extra judiciaire, une mise en demeure d’avoir à respecter les clauses et conditions du bail… » ; Que dans le cas d’espèce il ne ressort nulle part du jugement entrepris qu’une pareille mise en demeure a été adressée au preneur ; Qu’eu égard au caractère d’ordre public de cette prescription légale tel que rapporté par l’article 102 du même acte, l’absence de cette mise en demeure rend nul le jugement d’expulsion prononcé contre le preneur ; Considérant que cette affaire est en état de recevoir jugement ; Qu’il convient donc d’évoquer et de statuer à nouveau ; Considérant que pour solliciter l’expulsion du locataire d’un local il faut justifier de la qualité soit de propriétaire du local loué, soit de mandataire ; Que dans le cas d’espèce, Dame X se prévaut de la qualité de bailleresse de l’appelant en se fondant sur le contrat d’occupation provisoire d’une parcelle de terrain signé avec la Régifercam en date du 19 janvier 1988, les contrats de bail des 15 février et 31 mai 1997 et l’attestation d’attribution d’un espace au marché des chèvres et des femmes à elle délivrée le 17 avril 2000 par le Délégué du Gouvernement près la Communauté Urbaine de Ad ; Mais Considérant qu’il ressort des débats qu’à la suite d’une opération d’assainissement menée par la communauté urbaine de Ad, les boutiques construites sur les espaces libérés par la défunte Régifercam , dont celles de Dame X Ah, ont été détruites ; Qu’elle reconnaît elle-même que l’appelant, profitant de son absence pour cause de maladie, a sollicité et obtenu de la Communauté Urbaine de Ad ; l’autorisation d’occuper provisoirement l’espace qu’il occupait déjà à titre de locataire ; Qu’il y a construit d’autres boutiques au même endroit où était implantée la sienne ; Que non seulement la boutique donnée en location n’existe plus pour avoir été détruite, mais aussi l’espace sur lequel celle- ci était construite appartient plutôt à la Communauté Urbaine de Ad ; Que Dame X Ah ne justifie donc d’aucune qualité pour solliciter l’expulsion de sieur AG de la boutique qu’il occupe à titre de propriétaire ; Qu’il y a donc lieu de déclarer son action irrecevable pour défaut de qualité et de condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement; contradictoirement à l'égard de toutes les parties en matière
civile et commerciale, en appel et en dernier ressort et en formation collégiale ;
EN LA FORME Reçoit l’appel ;
AU FOND Annule le jugement entrepris ; Evoquant et statuant à nouveau ; Déclare l’action de Dame Y épouse X irrecevable pour défaut de qualité (…).