AFRICAN UNION
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UNION AFRICAINE
UNIAO AFRICANA AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES AFFAIRE Be Bq
REPUBLIQUE-UNIE DE AK
REQUÊTE N° 048/2016 ARRET
4 JUIN 2024 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ 10
A. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
11
B. Sur les autres conditions de recevabilité 13
VII SUR LE FOND 14
A Violation alléguée du droit à un procès équitable 15
! Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. 15
Il Violation alléguée du droit à la défense 20
a) Sur le défaut d'assistance judiciaire effective 21
b) Sur le défaut de citation d’autres témoins 23
iii. Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence 26
iv. Violation alléguée du droit d’être jugé par un tribunal impartial 31
B Violation alléguée du droit à la vie 33
C Violation alléguée du droit à la dignité 39
VIII. SUR LES RÉPARATIONS 40
A. Réparations pécuniaires 42
! Préjudice matériel 42
ii. Préjudice moral 43
Sur les réparations non-pécuniaires 44
! Sur la modification de la loi pour garantir les droits à la vie et à la dignité
44
ii. Sur la réouverture du procès 45 iii. Sur la restitution et la remise en liberté
iv. Sur la publication de l’Arrêt…
v. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l'affaire :
Be Bq
représenté par :
Maître Jebra KAMBOLE
Law Bb Yd
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AK
représentée par :
ii Dr Yl Yi AN, Br Xd, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bx Ca A, Br Xd adjointe, Bureau du
Solicitor General ;
iii. Mme Cm Bg AM, Directrice de l'Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
iv. Mme At AI, Directrice adjointe, Droits de l'homme, Principal
State Xu, Cabinet de l’Xu Xd ;
v. M. Cz AL, Ya State Xu, Cabinet de l’Xu Xd ;
vi. M. Yk Ah, Ambassadeur, Chef de l’Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération internationale ;
vii. Mme Yh Y, Ya State Xu, Cabinet de l’Xu Xd ;
viii. Mme Xq AJ, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine ;
ix. M. Af AG, Fonctionnaire chargé des services extérieurs, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
1. Le sieur Be Bq Xci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien, qui au moment de l'introduction de la présente
Requête, était incarcéré à la prison centrale de Butimba, en attente de
l’exécution de la peine de mort prononcée à son encontre pour meurtre. Le
Requérant allègue la violation de ses droits dans le cadre des procédures
devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de AK (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour
recevoir des requêtes émanant d'individus et d'organisations non
gouvernementales (ci-après désignée « la Déclaration »). Le 21 novembre
2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a
décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant
sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le
22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que, le 27 août 2007, le Requérant et son frère Aw
qui n’est pas partie à la procédure devant la Cour de céans, ont agressé
leur mère, dame Cj Bq, à coups de bâtons dans le village de
Kitwechenkula, district de Karagwe, région de Kagera, en AK. À
l’arrivée de son époux sur les lieux, dame Cj Bq lui a fait part de
ce que ses enfants Be et Aw l’avaient agressée et avaient
également tenté de lui donner la mort par brûlures. La victime est ensuite
décédée des suites de l’agression.
4. Le Requérant a été arrêté le même jour à son domicile après que le chef de
village a signalé l'incident à la police. Le 14 décembre 2012, il a été reconnu
coupable du meurtre de dame Cj Bq et condamné à mort par
pendaison par la Haute Cour siégeant à Bo dans l’affaire pénale n° 61
de 2008.
5. Se sentant lésé par ladite décision, le Requérant a interjeté appel devant la
Cour d’appel siégeant à Bo dans l'affaire pénale n°154 de 2013. Son
recours a été rejeté pour défaut de fondement. Le 2 avril 2014, il a introduit
un recours en révision de l'arrêt de la Cour d’appel, recours qui, selon lui,
était pendant au moment de l'introduction de sa Requête devant la Cour de
céans.
2 Cy Ac Co c. République-Unie de AK (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, $ 38.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant allègue ce qui suit :
i. L'État défendeur a violé son droit à un procès équitable, protégé
par l’article 7 de la Charte, en ce qu'il a violé son droit à la défense,
son droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente et son droit
à être jugé dans un délai raisonnable ;
ii. L'État défendeur a violé son droit à la vie, protégé par l’article 4 de
la Charte en prononçant à son encontre la peine de mort
obligatoire, après l’avoir reconnu coupable ;
ii. L'État défendeur a violé son droit à la dignité, protégé par l’article
5 de la Charte, en le condamnant à la mort par pendaison.
II. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête a été introduite le 1°" septembre 2016 et communiquée à l’État
défendeur le 15 novembre 2016.
8. Le 23 avril 2018, l’État défendeur a déposé son mémoire en réponse.
9. Les Parties ont déposé leurs autres écritures dans les délais prescrits par
la Cour.
10. Le 9 février 2022, les débats ont été clôturés et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé ses droits protégés par les
articles 4, 5 et 7 de la Charte ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures appropriées pour
remédier aux violations de ses droits protégés par la Charte ;
ii. Ordonner à l’État défendeur d’annuler la peine de mort prononcée à son
encontre et de le retirer du couloir de la mort ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de modifier son Code pénal et la législation
connexe concernant la peine de mort pour les rendre conformes à
l’article 4 de la Charte ;
v. Ordonner à l’État défendeur de le remettre en liberté ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de lui verser un montant que la Cour jugera
approprié, à titre de réparation.
12. L’État défendeur demande à la Cour de :
ii Dire et juger qu’elle n’est pas compétente, en l’espèce ;
ii. Dire et juger que le Requérant n’a pas qualité pour saisir la Cour d’une
requête et, en conséquence, rejeter son action devant la Cour de céans
conformément aux articles 5(3) et 34(6) du Protocole ;
iii. Rejeter la Requête au motif qu’elle ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l'article 40(5) du Règlement ;*
iv. Rejeter la Requête au motif qu’elle ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 40(6) du Règlement ;*
v. Déclarer la Requête irrecevable.
13. L'État défendeur demande, en outre, à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé l’article 3(1) et (2) de la
Charte ;
iii. Rejeter la demande du Requérant tendant au réexamen des moyens de
preuve, au motif que la Cour n’a pas compétence pour faire droit à une
telle demande ;
iv. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les principes des droits
3 Règle 50(2)(e) du Règlement intérieur du 25 septembre 2020.
4 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur du 25 septembre 2020.
de l’homme et du droit international auxquels il a adhéré ;
v. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 13(1)(2), (3),
(4), (5), (6)(a) et 107A et 107B de la Constitution de la République-Unie
de AK (la Constitution) ;
vi. Dire et juger que le Requérant continue de purger sa peine ;
vii. Rejeter la Requête dans son intégralité ;
viii. Rejeter toutes les demandes de réparations formulées par le Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
15. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, la Cour « procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [.…] Règlement ».°
16. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer,
le cas échéant, sur les exceptions qui s’y rapportent.
17. En l’espèce, la Cour note que dans la présente Requête, l’État défendeur
soulève une exception d'incompétence matérielle. La Cour statuera sur
ladite exception avant de se prononcer, si nécessaire, sur les autres
aspects de sa compétence.
5 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
18. L’État défendeur fait valoir qu’en soulevant des questions de preuve déjà
tranchées par les juridictions nationales, le Requérant sollicite de la Cour
qu’elle exerce une compétence d'appel à l’égard d’affaires déjà vidées par
sa Cour d'appel qui est la plus haute juridiction. L’État défendeur soutient
que, conformément à l’article 3(1) du Protocole et à l’article 26 du
Règlement,S la Cour n’est pas compétente pour examiner une question que
la Cour d’appel a préalablement tranchée en dernier ressort.
19. L'État défendeur fait valoir, en outre, que la Cour de céans n’est pas
compétente pour accéder aux demandes formulées par le Requérant, à
savoir annuler la peine prononcée à son encontre, le retirer du couloir de la
mort et ordonner sa remise en liberté.
20. Le Requérant réfute les observations de l’État défendeur et soutient que la
Cour est compétente en vertu de l’article 3(1) du Protocole et de l’article
26(1)(a) du Règlement” puisque sa Requête porte sur des violations
alléguées des droits de l'homme protégés par la Charte.
21. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur.
8 Règle 29 du Règlement du 25 septembre 2020.
7 Règle 29(1)(a) du Règlement du 25 septembre 2020.
8 Cw Cx et Xh Ye Z C de AK, CAfDHP, requête n° 007/2016, arrêt du 13 juin 2023 (arrêt), $ 24 ; Ck Aa Ba c. République-Unie de AK, CAfDHP, requête n° 052/2016, arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), $S 23 à 27 ; et Xy Ag c. AK (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, $ 18.
22. Concernant l'affirmation selon laquelle la Cour exercerait une compétence
d’appel si elle venait à statuer sur certains griefs déjà examinés par les
juridictions nationales de l’État défendeur, la Cour de céans réitère sa
jurisprudence selon laquelle elle n’exerce pas une compétence d’appel à
l'égard des juridictions nationales.’ La Cour a le pouvoir d’apprécier la
pertinence des procédures des juridictions nationales par rapport aux
normes énoncées dans la Charte ou dans tout autre instrument des droits
de l’homme ratifié par l’État concerné, ce qui n’en fait pas une juridiction
23. En l’espèce, la Cour note que le Requérant allègue la violation des droits
protégés par les articles 4, 5 et 7 de la Charte, instrument qu’elle est
habilitée à interpréter et à appliquer en vertu de l’article 3(1) du Protocole.
La Cour estime qu’elle est compétente pour examiner la Requête et rejette,
en conséquence, l’exception soulevée par l’État défendeur à cet égard.
24. S'agissant de l’argument relatif à l’incompétence de la Cour pour annuler la
condamnation du Requérant, ordonner son retrait du couloir de la mort ainsi
que sa remise en liberté, la Cour rappelle qu'aux termes de l’article 27(1)
du Protocole, « [IJorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de
l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées
afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l'octroi d’une réparation ». Il s’en infère que la Cour est
compétente pour accorder différents types de réparations, y compris les
mesures sollicitées par le Requérant, si les circonstances de l’affaire le
requièrent. La Cour rejette donc le moyen tiré de ce que la Cour ne peut
annuler une condamnation prononcée par une juridiction nationale.
9 Ernest Bs Cd c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, $ 14 et 26 ; et Cs Bf Cs et Bv Bf Cs c. République-Unie de AK (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, $ 29.
10 Co c. AK (arrêt), supra, $ 32 ; Xc Bz c. République-Unie de AK (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, $ 33 ; et Ar Yg c. République-Unie de AK (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, $ 130.
25. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’incompétence
matérielle soulevée par l’État défendeur et considère qu’elle a la
compétence matérielle en l’espèce.
B. Sur les autres aspects de la compétence
26. La Cour note qu'aucune exception n’a été soulevée par l’État défendeur
quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à la règle 49(1) du Règlement,!* elle doit s'assurer que les
conditions relatives à tous les aspects de sa compétence sont remplies
avant de poursuivre l’examen de la présente Requête.
27. Ayant constaté qu’aucun élément dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
i. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur a
déposé la Déclaration. À cet égard, la Cour réitère sa position
énoncée au paragraphe 2 du présent Arrêt, selon laquelle le retrait
de la Déclaration n’a pas d'effet rétroactif et n’a aucune incidence, ni
sur les affaires pendantes dont elle a été saisie avant le dépôt de
l'instrument y relatif, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie
avant qu’il ne prenne effet. Par ailleurs, la présente Requête étant
déjà pendante devant la Cour de céans avant ledit retrait, n’en est
donc pas affectée.!?
i. La compétence temporelle dans la mesure où les violations
alléguées en l’espèce se sont produites après que l’État défendeur
est devenu partie au Protocole.
ii. La compétence territoriale, dans la mesure où les violations
alléguées en l’espèce se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
11 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
12 Co c. AK (arrêt) supra, S 38. Voir également Xv Cf Xz c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 575, $ 67.
28. Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
29. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
30. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au [.…] Règlement ».
31. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
32. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité
tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable. La Cour va
statuer sur ladite exception avant de se prononcer, le cas échéant, sur les
autres conditions de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
33. L'État défendeur soutient que le Requérant a introduit sa Requête près de
deux (2) ans et six (6) mois après que la Cour d’appel a rejeté son recours.
Il fait valoir que ce délai n’est pas raisonnable et que la Requête devrait être
déclarée irrecevable. À l’appui de son exception, il cite la décision de la
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après
désignée « la Commission ») dans l’affaire Yb Cb c. Zimbabwe et
estime qu’un délai de plus de six (6) mois devrait être considéré comme non
raisonnable pour déposer une requête devant la Cour de céans.
34. Le Requérant n’a pas conclu sur l’exception soulevée par l’État défendeur.
35. La Cour rappelle que ni la Charte, ni le Règlement ne définissent le délai
dans lequel les requêtes doivent être introduites devant elle après
épuisement des recours internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle
50(2)(f) du Règlement indiquent simplement que les requêtes doivent être
introduites « … dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des
recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ». Par conséquent, la référence
par l’État défendeur à la période de six (6) mois comme étant le délai
raisonnable n’est pas fondée sur la Charte et ne peut donc être justifiée.
36. Dans sa jurisprudence constante, la Cour a considéré que « [I]e caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».!3 À cet
égard, la Cour a conclu, entre autres, que les facteurs suivants étaient
pertinents : le fait qu’un requérant soit incarcéré,!* qu’il soit profane en
droit,!5 qu’il soit indigent,"® et le temps qui lui était nécessaire pour réfléchir
à l’opportunité de saisir la Cour.!” La Cour a également considéré l'exercice,
par le Requérant, d’une procédure de révision et la durée nécessaire pour
qu'elle soit menée à terme.!ê
37. Comme il ressort du dossier, le Requérant a épuisé les recours internes le
17 mars 2014, date de l'arrêt de la Cour d'appel consécutif à son recours.
Il a, ensuite, saisi la Cour le 1° septembre 2016. La Cour doit donc
déterminer si la période de deux (2) ans, cinq (5) mois et quinze (15) jours
qui s’est écoulée entre ces deux événements constitue un délai raisonnable
au sens de l’article 56(6) de la Charte.
38. En l’espèce, la Cour note qu’au moment de l’introduction de la présente
Requête, le Requérant était incarcéré et se trouvait dans le couloir de la
mort. Il ressort également du dossier qu’il est profane en droit et assurait
lui-même sa défense au moment de l'introduction de la Requête. En outre,
il est évident que le Requérant, du fait de sa situation, devait disposer d’un
minimum de temps pour décider de l’opportunité d'introduire la présente
Requête et de la préparer. Enfin, le Requérant avait déposé, le 2 avril 2014,
13 Xr et autres c. Yf Az (fond), supra, $ 92. Voir également Yg c. AK (fond), supra, $ 73.
14 Ay Xn c. République-Unie de AK (fond) (21 septembre 2018) 2 RJCA 439, $ 52 et Ar Yg c. AK (fond), ibid., $ 74.
15 Xa Bd c. République-Unie de AK (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, $ 54 ; Xl Al c. République-Unie de AK (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, $ 83.
16 Xk Cg XBm BpB et Xi Xk XXw CcB c. République-Unie de AK (fond) (23 mars 2018) 2 RJCA 297, $ 61 et Xl Al c. République-Unie de AK (fond), ibid., $ 83.
17 Ci Xe c. République-Unie de AK, CATDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1° décembre 2022 (fond et réparations), $ 35 et Xr et autres c. Yf Az (exceptions préliminaires), supra, $ 122.
18 John Ct c. République-Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 003/2016, Arrêt du 7 novembre 2023, $ 49 ; Cs Bf c. AK (fond), $ 49 ; Ai Bk Aq c. République du Ghana, CAfDHP, Requête n° 001/2017, Arrêt du 28 juin 2019 (fond), $S 83 à 86.
un recours en révision de l’arrêt de la Cour d'appel, qui était pendant au
moment du dépôt de la présente Requête. Il a donc dû attendre l’issue dudit
recours et décider de l’opportunité et de l'introduction de la présente
Requête.
39. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que le délai de deux (2)
ans, cinq (5) mois et quinze (15) jours dans lequel le Requérant a introduit
sa Requête est raisonnable.
40. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le Requérant a introduit
la présente Requête dans un délai raisonnable au sens de l’article 56(6) de
la Charte et rejette donc l’exception de l’État défendeur.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
41. La Cour relève qu’aucune exception n’a été soulevée concernant le respect
des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (e) et (g) du
Règlement. Toutefois, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont
remplies.
42. || ressort du dossier que le Requérant a clairement indiqué son identité,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
43. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte, ce qui est compatible
avec l’un des objectifs de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de
son Acte constitutif, à savoir promouvoir et protéger les droits de l'homme
et des peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou aucune
demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte. En
conséquence, la Cour considère que la Requête est compatible avec l’Acte
constitutif de l’Union africaine et la Charte et conclut qu’elle satisfait aux
exigences de la règle 50(2)(b) du Règlement.
44. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient pas de termes
outrageants ou insultants à l’égard de l’État défendeur ou de ses
institutions. Elle satisfait donc à l’exigence de la règle 50(2)(c) du
Règlement.
45. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des décisions judiciaires
émanant des juridictions nationales de l’État défendeur, conformément à la
règle 50(2)(d) du Règlement.
46. La condition de l'épuisement des recours internes prévue à la règle 50(2)(e)
du Règlement est également remplie puisque, avant l’introduction de la
présente Requête, la Cour d’appel qui est la plus haute juridiction de l’État
défendeur s’est prononcée, par arrêt du 17 mars 2014, sur les questions
soulevées par le Requérant.
47. En outre, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de
tout instrument juridique de l’Union africaine, conformément à la règle
50(2)(g) du Règlement.
48. La Cour estime que la Requête remplit dès lors toutes les conditions de
recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte, lu conjointement avec la
règle 50(2) du Règlement et la déclare, en conséquence, recevable.
49. Le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable, du droit à
la vie et du droit à la dignité protégés par les articles 7, 4 et 5 de la Charte,
respectivement. La Cour examinera successivement ces allégations.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
50. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable,
consacré à l’article 7 de la Charte, en ce qu’il n’a pas été jugé dans un délai
raisonnable ; son droit à la défense et son droit à la présomption
d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction
compétente et son droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale.
i. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
51. Le Requérant allègue que sa détention provisoire pendant cinq (5) ans est
anormalement longue et constitue, de ce fait, une violation de son droit
d’être jugé dans un délai raisonnable, puisqu'il a été arrêté le 27 août 2007
et que son procès ne s'est ouvert que le 30 novembre 2012. Le Requérant
estime que ce délai n’était pas raisonnable vu que son affaire n’était pas
complexe et que le délai était imputable à l’État défendeur. Pour étayer ses
allégations, le Requérant affirme que le retard excessif accusé par l’État
défendeur pour le traduire devant les tribunaux nationaux lui a porté
préjudice en l’empêchant de faire valoir ses moyens de défense contre des
témoignages anachroniques et contradictoires et les charges retenues
contre lui.
52. En outre, le Requérant soutient que ce retard indu lui a également été
préjudiciable dans la mesure où les preuves du ministère public reposaient
presque exclusivement sur les dépositions de trois (3) témoins à qui il a été
demandé de faire appel à leurs souvenirs et de témoigner sur des faits
survenus cinq (5) ans auparavant, ce qui met en doute leur plausibilité.
53. L'État défendeur n’a pas conclu sur ces allégations.
54. L'article 7(1)(d) de la Charte dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend le droit d’être jugé dans un délai raisonnable … »
55. Dans l’affaire Ai Au Ak et autres c. République-Unie de
AK, la Cour a considéré que le droit d’être jugé dans un délai
raisonnable constitue un aspect important du droit à un procès équitable.!°
Elle a, en outre, considéré que le droit à un procès équitable suppose
également que les procédures judiciaires doivent être menées à terme dans
un délai raisonnable.?°
56. La Cour note que la question qui se pose en l'espèce est de savoir si la
période de cinq (5) ans et trois (3) mois qui s’est écoulée entre l’arrestation
du Requérant, le 27 août 2007, et le début de son procès, le 30 novembre
2012, constitue un délai raisonnable.
57. Pour statuer sur des allégations relatives au droit d’être jugé dans un délai
raisonnable, la Cour adopte une approche au cas par cas. À cet égard, elle
a pris en considération, entre autres, les facteurs tels que la complexité de
l’affaire, le comportement des Parties et celui des autorités judiciaires qui
ont un devoir de diligence lorsque le requérant encourt des sanctions
58. Premièrement, s'agissant de la nature et de la complexité de l'affaire, la
Cour a pris en compte des facteurs tels que le nombre de témoins qui ont
déposé, la disponibilité des preuves, le niveau de complexité des enquêtes
et l’existence de preuves scientifiques, telles que des échantillons d’ADN.?
19 Ak et autres c. AK (fond), supra, S$ 127 et Bn Aw Bt c. République-Unie de AK (fond et réparations) (26 septembre 2019) 3 RICA 504, $ 48.
20 Co c. AK (arrêt), supra, $ 117.
2! Ba c. AK (fond et réparations), supra, $ 83 ; Co c. AK (arrêt), supra, $ 83 ; Co c. AK (arrêt), supra, $ 117 ; Xt By c. République-Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 024/2016, arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), $ 104 et Bz c. AK (fond et réparations), supra, S$ 122 à 124.
22 Co c. AK, ibid., $ 117 ; Bz, ibid., $ 112 et Ak et autres c. AK (fond), $ 115.
59. En l'espèce, la Cour note que la procédure engagée à l’encontre du
Requérant devant les juridictions nationales n’a pas nécessité d’enquêtes
approfondies, puisqu’il s'agissait d’une allégation de meurtre fondée sur les
déclarations d’un mourant, et que le ministère public n’a cité que trois (3)
témoins. De plus, les éléments de preuve et les témoins étaient déjà connus
avant la procédure d’inculpation. En outre, aucun élément de preuve
scientifique, tel que des échantillons d’ADN, n’a été produit et les arguments
avancés lors du procès ont porté principalement sur la crédibilité des
témoins. En pareille occurrence, la Cour estime que l'affaire n’était pas
complexe et le retard dont le Requérant fait grief ne peut donc être imputé
à la nature et à la complexité de l'affaire.
60. Deuxièmement, en ce qui concerne le comportement des Parties, la Cour
observe qu’au cours des procédures devant les juridictions internes, le
Requérant a pleinement collaboré avec les autorités et rien ne laisse penser
qu’il a retardé la procédure. Il ne résulte du dossier aucun élément indiquant
que le Requérant a agi d’une quelconque manière ou introduit une
quelconque demande qui ait contribué à ce retard.
61. Troisièmement, en ce qui concerne l’exercice de la diligence raisonnable
par les autorités de l’État défendeur, la Cour note que conformément à
l’article 32(2) du Code de procédure pénal (ci-après désigné « CPP »), un
accusé doit être traduit devant un tribunal dès que possible lorsque le délit
est passible de la peine de mort.” De plus, en son article 244, lu
conjointement avec l’article 245, le CPP prévoit que la procédure
d’inculpation doit avoir lieu dès que possible.?* Enfin, l’article 248(1) du CPP
23 Article 32(2) — Lorsqu’en l’absence de mandat, une personne a été placée en garde à vue pour une infraction passible de la peine de mort, elle doit être traduite devant un tribunal dès que possible.
Article 32(3) — Lorsqu'une personne est placée en garde à vue en vertu d’un mandat d’arrêt, elle doit être traduite devant un tribunal dès que possible.
24 Article 244 — Lorsqu'une personne est accusée d’une infraction qui ne peut pas être jugée par un tribunal inférieur ou pour laquelle le Director of Public Prosecutions indique au tribunal par écrit ou de toute autre manière qu’il n’est pas approprié de statuer sur cette infraction par un procès sommaire, la procédure d'inculpation sera engagée, conformément aux dispositions ci-après, par un tribunal inférieur de juridiction compétente.
Article 245(1) — Après l'arrestation d’une personne ou après l’achèvement des enquêtes et l’arrestation de toute personne pour la commission d’une infraction passible de jugement devant la Haute Cour, la personne arrêtée doit être traduite, dans le délai prescrit à l’article 32 de la présente loi, devant un prévoit que la procédure peut être reportée, de temps à autre, sur mandat,
et que l'accusé peut être détenu pendant une durée raisonnable, n’excédant
pas quinze (15) jours, quel que soit le moment.
62. La Cour note également que la Haute Cour de l’État défendeur est habilitée,
en vertu des articles 260(1)?° et 284(1)?7 du CPP, à renvoyer le procès d’un
accusé à une prochaine audience s’il existe des raisons suffisantes, telles
que la non-comparution de témoins, pour justifier le retard qui en
découlerait. Toutefois, lesdites dispositions prévoient que la durée du retard
doit être « raisonnable ».
63. Pour déterminer si la période de cinq (5) ans et trois (3) mois qui s’est
écoulée entre l’arrestation et le procès du Requérant est raisonnable, la
Cour estime qu’il est approprié d'évaluer le comportement des autorités
judiciaires de l’État défendeur au cours de la période concernée. À cet
égard, la Cour examinera les mesures prises tant au cours de la procédure
d’inculpation que celles entreprises en vue de l’ouverture du procès.
64. En ce qui concerne la procédure d’inculpation, la Cour observe que le
Requérant a été arrêté le 27 août 2007 et a fait sa déclaration à la police le
12 septembre 2007. La Cour note qu’en l'espèce, la copie de l'acte
d'accusation montre que, le 7 août 2008, le Procureur a transmis au greffier
tribunal inférieur de juridiction compétente sous la juridiction duquel l'arrestation a été effectuée, tout en indiquant les charges que l’on attend faire peser sur lui, afin qu’elle soit traitée conformément à la loi, sous réserve de dispositions de la présente loi.
25 Article 248(1) — Lorsque, pour un motif raisonnable à consigner dans les actes de procédure, le tribunal estime nécessaire ou souhaitable de reporter l'audience, il peut, de temps à autre, au moyen d’un mandat, détenir l'accusé pendant une durée raisonnable n’excédant pas quinze jours consécutifs, dans un établissement pénitentiaire ou tout autre lieu de sûreté.
Article 248(2) — Lorsque la durée de la détention provisoire n'excède pas trois jours, le tribunal peut, de vive voix, ordonner au fonctionnaire de police ou à la personne qui a l’accusé sous sa garde, ou à toute autre autorité ou personne pertinente, de maintenir l'accusé en détention et de l’amener à l'heure fixée pour l’ouverture ou la suite de l'enquête.
26 Article 260(1) — La Haute Cour peut, à la demande du ministère public ou de l'accusé, si elle estime que le retard est justifié, reporter le procès de tout accusé à sa prochaine session tenue dans le district ou en tout autre lieu approprié, ou à une session ultérieure.
27 Article 284(1) — Lorsque, en raison de la non-comparution de témoins ou de tout autre motif raisonnable à consigner dans les actes de procédure, le tribunal estime nécessaire ou souhaitable de différer l'ouverture d’un procès ou de le reporter, il peut, de temps à autre, différer ou reporter le procès aux conditions qu’il estime appropriées pour la durée qu’il juge raisonnable et peut, au moyen d’un mandat, placer l'accusé en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire ou dans un autre lieu de sûreté.
de la Haute Cour de Bo l’acte d'accusation du Requérant. L'information
a été enregistrée le 2 septembre 2008. Le Requérant a ensuite été renvoyé
devant la Haute Cour le 3 juin 2009 pour jugement.
65. La Cour observe que le droit applicable de l’État défendeur ne fixe pas de
délai spécifique pour la procédure d’inculpation qui, comme indiqué plus
haut, doit être conduite dès que possible. Comme il est de pratique générale
dans les systèmes nationaux, et conformément à l’article 245(4), (6) et (7)
du CPP de l’État défendeur cité plus haut, les autorités judiciaires doivent
accomplir un certain nombre d'actes préparatoires à la procédure
d’inculpation, à savoir la conduite d’enquêtes approfondies, notamment en
obtenant les déclarations de témoins et en les soumettant au ministère
public. Celui-ci évalue à son tour si l’affaire mérite d’être poursuivie et rédige
un rapport qu’il soumet ensuite à la Haute Cour. Toutes ces actions
nécessitent évidemment un certain temps dont la durée dépend du
calendrier d'activités des autorités judiciaires concernées.
66. Pour ce qui est de l’ouverture du procès, la Cour observe qu’après avoir été
renvoyé devant la Haute Cour pour y être jugé le 3 juin 2009, le procès du
Requérant ne s’est effectivement ouvert que le 30 novembre 2012. La Cour
rappelle que conformément aux dispositions pertinentes de la loi de l’État
défendeur citées plus haut, dans de tels cas, le procès doit commencer dès
que possible.
67. En l’espèce, la Cour observe qu'après la comparution du Requérant devant
la Haute Cour le 3 juin 2009, l’affaire a été reportée à une date qui devait
être fixée et notifiée par le greffier de district. Entre-temps, le Requérant a
donc été placé en détention provisoire. Lorsque l'affaire a été ensuite
inscrite au rôle pour être jugée le 31 mai 2012, l’audience a été à nouveau
renvoyée, la session d’assise étant arrivée à son terme. À deux autres
occasions, à savoir les 27 et 29 novembre 2012, le ministère public a de
nouveau demandé le renvoi de l'affaire au motif que des audiences en cours
dans d’autres affaires n'avaient pas encore été menées à terme. Le procès
du Requérant s’est finalement ouvert le 30 novembre 2012.
68. La Cour observe que la question principale qui se pose en l'espèce est de
savoir si les renvois successifs du procès du Requérant constituaient une
justification suffisante de la durée dont il se plaint. Tel que précédemment
indiqué, les procès pénaux dans le système judiciaire de l’État défendeur
se déroulent par sessions et la rapidité des procès dépend non seulement
du calendrier des sessions, mais aussi de l’enrôlement des affaires
pendantes. Comme il ressort du dossier de la présente Requête, le procès
du Requérant a été reporté à plusieurs reprises suite à des contraintes de
temps parce que les sessions s'étaient achevées avant que l'affaire ne
puisse être examinée. || est également établi que les affaires qui étaient en
attente de jugement avant l’incarcération du Requérant étaient toujours en
cours et que les sessions successives devaient suivre leur cours normal.
En l’espèce, la Cour prend également en compte le fait qu’ayant
éventuellement commencé le 31 mai 2012, le procès du Requérant s’est
achevé dans un délai de six (6) mois.
69. À la lumière de ce qui précède et compte tenu des circonstances de l'affaire,
la Cour estime que le délai de cinq (5) ans et trois (3) mois qui s’est écoulé
entre l’arrestation du Requérant et l’ouverture de son procès ne peut être
considéré comme non raisonnable au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte.
70. En conséquence, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé le droit
du Requérant d’être jugé dans un délai raisonnable, protégé par l’article
7(1)(d) de la Charte.
ii. Violation alléguée du droit à la défense
71. Le Requérant soutient que son droit à la défense a été violé du fait que l’État
défendeur ne lui a pas garanti le bénéfice d’une assistance judiciaire
effective et n’a pas cité de témoins supplémentaires.
72. La Cour va examiner chacune de ces allégations.
73. La Cour relève que l’article 7(1)(c) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend [.…] le droit à la défense, y compris celui de se faire assister
par un défenseur de son choix.
a) Sur le défaut d’assistance judiciaire effective
74. Le Requérant allègue que sa défense a été essentiellement compromise
par le fait que son propre avocat n’a pas demandé ou mené une enquête
raisonnable pour retrouver des témoins dont les dépositions auraient pu
corroborer son témoignage ou contredire les déclarations des témoins à
charge. Il soutient que son avocat a également manqué d’interroger des
témoins connus afin de vérifier s’ils avaient des informations susceptibles
de contribuer à sa défense. Le Requérant soutient en outre que le
manquement de son avocat à citer des témoins a conduit les assesseurs à
tirer des conclusions défavorables à son encontre, ce qui a remis en cause
son alibi et entaché sa crédibilité de façon générale. Il soutient aussi que
l’avocat aurait dû prévoir que des conclusions négatives seraient tirées à
l’encontre de son client et pris des mesures préventives. Il conclut que
l’assistance judiciaire fournie était, au regard de ses défaillances, loin de
répondre aux normes d'efficacité requises par la loi et qu’elle a porté atteinte
à son droit à la défense.
75. L'État défendeur n’a pas directement conclu sur les allégations du
Requérant et s’est contenté d'affirmer que celui-ci était représenté par un
avocat et que ses droits n’ont pas été restreints.
76. La Cour rappelle, comme elle l’a souligné dans l'affaire Ck Aa
Ba c. République-Unie de AK, que le droit à la défense protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte devrait être compris comme signifiant que
l’assistance d’un avocat devrait être effective même si elle est fournie par
l’État. La Cour a également considéré qu’une représentation n’est
qualifiée d’efficace que si les personnes qui fournissent une assistance
judiciaire disposent de suffisamment de temps et de moyens pour préparer
une défense adéquate et assurer une représentation efficiente à tous les
stades de la procédure judiciaire, à partir de l’arrestation de la personne
poursuivie, sans aucune interférence.?° La Cour a estimé qu'il est du devoir
de l’État défendeur de fournir une représentation adéquate à une personne
accusée et d’intervenir uniquement lorsque cette représentation ne l’est
pas.® La question à trancher est de savoir si l'avocat désigné par l’État
défendeur a représenté efficacement le Requérant.
77. La Cour précise, du reste, que le Requérant allègue que son conseil n’a cité
aucun témoin à décharge alors qu’il existait des témoins susceptibles de
contribuer à sa défense. La Cour observe toutefois qu’il ne résulte du
dossier aucun élément démontrant que l’État défendeur a empêché le
conseil qu’il a commis à la défense du Requérant d’avoir accès à celui-ci en
vue de l’assister dans la préparation de sa défense. La Cour constate
également que le Requérant n’affirme pas avoir soulevé devant les
juridictions internes d’éventuelles lacunes dans sa défense. Dans ces
circonstances, la Cour constate que celui-ci pouvait invoquer devant la
Haute Cour et la Cour d’appel son insatisfaction concernant la manière dont
sa défense a été assurée. Ces allégations ne sont donc pas suffisamment
étayées et sont, par conséquent, rejetées.
78. La Cour estime donc que l’État défendeur s’est acquitté de son obligation
de fournir au Requérant une assistance judiciaire gratuite effective. La Cour
2 Ba c. AK (fond et réparations), supra, $ 91 et By c. AK (arrêt), supra, $ 84. supra, 29 An Cx c. République-Unie de AK, CATDHP, Requête n° 012/2019, arrêt du 1°" décembre 2022 (arrêt), S$ 122 et 123 ; Bn c. AK (fond et réparations), supra, $ 109 et Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République libyenne (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 158,
30 Bn c. AK (fond et réparations), ibid, $ 106.
considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé l’article
7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne le respect du droit à la défense.
b) Sur le défaut de citation d’autres témoins
79. Le Requérant allègue que les assesseurs ont déduit à tort que le fait que
son conseil n’ait pas cité de témoins, signifiait qu’il ne disposait d’aucun
élément pour corroborer son alibi ou, plus généralement, sa version des
faits. Le Requérant affirme que, lorsque les assesseurs ont clairement
indiqué que l’absence de témoins supplémentaires portait préjudice à sa
défense, le tribunal de l’État défendeur a été obligé de faire recours à
80. À l’appui de son affirmation, le Requérant cite la décision de la Cour dans
l’affaire Ay Xn c. AK, dans laquelle il a été jugé que même
si un requérant, par l’intermédiaire de son avocat, avait renoncé à citer des
témoins, la comparution desdits témoins ne cessait pas pour autant d’être
nécessaire au cours du procès. Le Requérant soutient que, dans ce cas,
les autorités judiciaires de l’État défendeur sont tenues de faire preuve
d'initiative en vérifiant si le Requérant n’a plus l'intention de faire
comparaître ses témoins et que le fait de ne l’avoir pas fait en l'espèce
équivaut à une violation du droit à la défense.
81. L'État défendeur n’a pas conclu directement sur cette allégation, mais dans
sa Réponse, il a soutenu que le Requérant avait bénéficié d’un procès
équitable et que la Requête devait être rejetée pour défaut de fondement.
31 En vertu de l’article 231(4) de la loi de l’État défendeur portant Code de procédure pénale (Cap 20 RE 2002), dans les cas où l’accusé déclare qu’il a des témoins à citer, mais que ceux-ci ne comparaissent pas devant la Cour et si la Cour est convaincue que l'absence des témoins n’est pas imputable à une faute ou une négligence de l'accusé, la cour peut prendre des mesures pour obliger ces témoins à comparaître.
82. Dans sa jurisprudence, la Cour a estimé que le droit de citer des témoins*?
est un élément essentiel du droit à la défense, protégé par l’article 7(1)(c)
de la Charte, ce droit étant une composante essentielle du droit au procès
équitable et traduisant les possibilités qu’une procédure judiciaire doit offrir
aux parties pour exposer leurs prétentions et soumettre leurs moyens de
83. La question à trancher est celle de savoir si la présence des témoins au
cours de la procédure devant les juridictions internes relève de la seule
responsabilité de l’accusé ou si les autorités judiciaires de l’État défendeur
ont aussi le devoir d'assurer la présence des témoins de la défense.
84. À cet égard, la Cour rappelle que le droit à la défense est respecté lorsque
le Requérant est informé de ce droit et que l’État défendeur ne lui interdit
pas d'appeler des témoins, comme c'est le cas en l'espèce.*
85. La Cour note qu’en vertu de l’article 231(4) de la loi de l’État défendeur
portant Code de procédure pénale :
Lorsque l’accusé déclare qu’il a des témoins à citer mais qu’ils ne sont pas
présents au tribunal, et que le tribunal est convaincu que l’absence de ces
témoins n’est pas due à une quelconque faute ou négligence de l’accusé et
qu’il est probable qu’ils pourraient, s’ils étaient présents, fournir des preuves
matérielles en faveur de l’accusé, le tribunal peut ajourner le procès et
délivrer un acte de procédure ou prendre d’autres mesures pour contraindre
ces témoins à comparaître .
86. La Cour note qu'il ressort du dossier qu’à l’entame du procès, l’avocat du
Requérant a déclaré que la défense ne citerait pas de témoins, à l’exception
de l’accusé lui-même.® La Cour de céans précise qu'après le réquisitoire
3 Xz c. Rwanda (fond), supra, $ 93 ; Ym c. AK (fond et réparations), supra, $ 73 ; et Xn c. AK (fond), supra, $ 62.
33 Ce Aj Cp c. République de Bénin (arrêt) (4 décembre 2020) 4 RICA 134, 8 141.
34 Av Xp c. République-Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 054/2016, arrêt du 26 février 2021 (arrêt), S$ 73 à 74 et Ym c. AK (fond et réparations), supra, $S 75 à 76.
35 L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n° 61 de 2008, supra, page 4.
du ministère public, le juge d'instance a informé le Requérant de son droit
de présenter des éléments de preuve en son nom et de citer des témoins à
décharge, conformément aux dispositions de l’article 293(2)(a) et (b) du
CPP. En réponse, l’avocat a déclaré que l'accusé se défendrait sous
serment et serait le seul témoin à décharge.°° Comme le prévoit l’article
231(3) du CPP, après notification du droit de citer des témoins, si l'accusé
choisit de ne pas le faire, le tribunal est en droit de tirer des conclusions
défavorables à son encontre.
87. S'agissant de l’invocation, par le Requérant, de l'affaire Ay Xn, la
Cour rappelle qu’elle a considéré que :*”
[..] il était nécessaire que les autorités judiciaires de l’État défendeur
fassent davantage preuve d'initiative, notamment en vérifiant si le
Requérant n’avait plus l’intention d’appeler ses témoins à la barre c’est
parce qu'il ne souhaitait en réalité pas les faire comparaître comme
témoins à décharge, ou qu’il n’avait pas les moyens d’obtenir leur
88. || convient de relever que dans l'affaire Ay Xn, le Requérant a cité
des témoins à trois reprises, sans succès, et qu’il a finalement renoncé à
les faire comparaître® alors qu’en l’espèce, l’avocat du Requérant a informé
la juridiction d’instance, à deux reprises, qu’il ne citerait pas de témoins. En
outre, dans l’affaire Ay Xn, la Cour de céans a considéré que les
autorités judiciaires de l’État défendeur devraient prendre l'initiative de
rechercher des témoins lorsque le Requérant ne bénéficie pas d’une
assistance judiciaire, ce qui n’est pas le cas en l'espèce puisque le
Requérant bénéficiait d’une assistance judiciaire. Ainsi, les faits dans
l’affaire Ay Xn ne sont en rien similaires à ceux de la présente
affaire dans la mesure où le Requérant a été suffisamment informé de ce
droit et a choisi de ne pas citer de témoins.
36 Ibid, pages 25 et 26.
37 Xn c. AK (réparations), supra, $$ 64 à 66.
38 Ibid.
89. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation du Requérant et
considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la
défense protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne la
recherche des témoins à décharge supplémentaires.
iii. Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence
90. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé le droit à la présomption
d’innocence en s'appuyant sur des éléments de preuve à peine solides ou
crédibles. Il affirme que sa condamnation est fondée sur des preuves qui
ne sont ni solides ni crédibles et ne présentaient donc pas le degré de
certitude requis. Il affirme que le ministère public n’a ni évalué, ni corroboré
les dépositions contradictoires et peu solides des témoins oculaires pour
l'identifier comme l’agresseur. || soutient que les seuls éléments de preuve
à son encontre résultent des propos d’un témoin oculaire non corroborés et
de deux (2) témoignages relatifs à la déclaration d’une mourante.
91. Le Requérant affirme, en outre, que les juridictions internes n’ont pas tiré
de conclusion logique de l’omission par le ministère public de preuves
pertinentes et ont manqué de compléter le dossier par des éléments de
preuve tangibles attestant de l’existence d’une arme du crime ou des
éléments de preuve fondés sur l’ADN. Il fait enfin valoir que les éléments
de preuve sur lesquelles le ministère public s’est fondé pour requérir sa
culpabilité sont manifestement en deçà du niveau du doute raisonnable
exigé par le droit pénal de l’État défendeur.
92. Pour sa part, l’État défendeur réfute les allégations du Requérant. I! fait
valoir que le témoin PW1 se trouvait sur le lieu du crime et a déclaré avoir
crié à l’aide lorsqu'elle a trouvé le Requérant et son frère en train de battre
leur mère, puis d'essayer de la brûler vive avec des feuilles de bananier
pour dissimuler les preuves.
93. L'État défendeur affirme que la juridiction d’instance s’est gardée de
déclarer le Requérant coupable sur la foi des propos d’un seul témoin et
s’est assurée que le témoin disait la vérité. L’État défendeur soutient que,
malgré la règle selon laquelle la corroboration devrait toujours être exigée
dans tous les cas impliquant des déclarations de mourant, une déclaration
de culpabilité sur la base du témoignage d’un seul témoin ne peut être
exclue si le tribunal est convaincu que le témoin dit la vérité. L'État
défendeur affirme qu’avec un tel témoignage, la juridiction d’instance
disposait largement d'éléments de preuve à prendre en compte pour se
prononcer sur la question de l'identification visuelle.
94. Ence qui concerne la déclaration de la mourante, l’État défendeur fait valoir
que la victime avait également dit à son époux que le Requérant l’avait
agressée et que la juridiction d'instance a jugé que la victime avait identifié
le Requérant et son frère comme étant ses agresseurs. L'État défendeur
fait valoir que les preuves étaient irréfutables et qu’après un examen
approfondi, la Haute Cour les a jugées suffisantes pour fonder une
déclaration de culpabilité. L’État défendeur fait valoir que la Cour d’appel a
également examiné les éléments de preuve versés au dossier et a estimé
qu’ils étaient suffisants pour confirmer la décision de la Haute Cour. Sur la
base des éléments de preuve produits à l'audience et des moyens de
défense, la Cour a estimé que le ministère public avait prouvé leur bien-
fondé au-delà de tout doute raisonnable et a déclaré le Requérant coupable.
L’État défendeur soutient que les allégations du Requérant sont sans
fondement et demande leur rejet parce qu’étant dénuées de tout
fondement.
95. Aux termes de l’article 7(1)(b) de la Charte, « [t]oute personne a droit à ce
que sa cause soit entendue… et le droit à la présomption d’innocence
jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».
96. La Cour rappelle qu’un procès équitable « requiert que la condamnation
d’une personne à une sanction pénale, et particulièrement, à une lourde peine d’emprisonnement, soit fondée sur des preuves solides ».° Comme
la Cour l’a également affirmé dans l’affaire Ay Xn c. République-
Unie de AK, le principe selon lequel la condamnation pénale doit être
« établie avec certitude » est un élément important dans les procédures où
la peine de mort est encourue.“°
97. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l'affaire Cr /Cq c. République-
Unie de AK selon laquelle les juridictions nationales jouissent d’une
large marge d'appréciation dans l’évaluation de la valeur probante des
éléments produits devant elles. Étant une juridiction internationale des
droits de l'homme, la Cour ne peut pas se substituer aux juridictions
nationales pour examiner les détails et les particularités des preuves
présentées dans les procédures internes.*!
98. La Cour souligne également qu’elle n’a, certes, pas le pouvoir d’évaluer les
questions de preuve qui ont été réglées par les juridictions nationales, mais
qu’elle a le pouvoir de déterminer si l’appréciation des preuves par ces
juridictions est conforme aux dispositions pertinentes des instruments
internationaux en matière de droits de l’homme.“
99. En ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle il a été déclaré
coupable sur la base de preuves qui ne sont ni solides ni crédibles, il ressort
du dossier que la Haute Cour et la Cour d’appel se sont toutes deux fondées
sur la déclaration de la victime, qui était mourante, faite à certaines
personnes, dont trois (3) témoins à charge, ainsi que sur l’identification
39 Xs Z AK, Arrêt, (fond), supra, S 174 ; By c. AK (Arrêt), supra, $ 70 ; et Cq Z AK, Arrêt (fond), supra, $ 67.
#0 Xn c. AK, Arrêt (fond) supra, $ 72.
autres Bu Xo & 4 autres c. République-Unie de AK (arrêt) (25 septembre 2020) 4 RJCA 680, $ 78.
# Bw Ym c. République-Unie de AK, Arrêt (fond) (28 mars 2019) 3 RJCA 51, $ 61; Ag c AK (arrêt), supra, S 66 et Bd Z AK, Arrêt (fond), supra, $ 69.
3 L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n° 61 de 2008, Arrêt de la Haute Cour de AK siégeant à Bo, 14 décembre 2012, page 12 ; et Be Bq c. l’État, Appel en matière pénale n° 154 de 2013, Arrêt de la Cour d'appel de AK siégeant à Bo, 14 mars 2014, page 1.
100. S'agissant de l’identification visuelle, la Cour note qu’après avoir pris
connaissance des risques liés à la preuve par identification visuelle, la
Haute Cour et la Cour d’appel étaient convaincues que PW1 avait identifié
le Requérant, car les conditions étaient favorables. Les juridictions
nationales ont tenu compte du fait que PW1 connaissait l'accusé depuis
longtemps et que son visage lui était familier, qu’il avait parlé à l’accusé et
à son frère à distance rapprochée et que l’incident s'était produit en plein
jour.** Elles se sont également assurées que toutes les circonstances
ouvrant la voie à de possibles erreurs soient écartées et que l'identité du
suspect a été établie avec certitude.
101. En ce qui concerne la déclaration de mourant faite par la victime, les
juridictions nationales ont évalué les dépositions de deux (2) témoins, à
savoir PW2 et PWS3, et ont été convaincues que la victime avait mentionné
le Requérant et son frère comme étant ses agresseurs.*° Il ressort du
dossier que les témoins PW2 et PW3 ont demandé à la victime qui étaient
ses agresseurs et qu’elle a mentionné le Requérant et son frère. De plus,
le témoin PW1 a déclaré avoir entendu la question ainsi que la réponse de
la victime. En outre, la Haute Cour et la Cour d’appel ont toutes deux estimé
que la conduite du Requérant, qui s’est échappé du village, comme l’a
déclaré son propre père, PW3, est un élément suffisant pour corroborer la
déclaration de la mourante.“ Il ressort, en conséquence, du dossier que les
preuves ont été évaluées de manière équitable et qu’elles étaient solides et
crédibles pour justifier une déclaration de culpabilité.
102. En outre, s'agissant de l’allégation du Requérant selon laquelle les autorités
de poursuite de l’État défendeur n’ont pas corroboré ou évalué
correctement les témoignages oculaires contradictoires ayant permis de
l'identifier comme étant l’agresseur, la Cour ne relève aucune erreur
44 L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n° 61 de 2008, ibid, pages 12 à 16 et Be Bq c. l’État, Appel en matière pénale n° 154 de 2013, ibid, pages 4 et 5.
45 L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n° 61 de 2008, ibid, pages 17 à 19 et Be Bq c. l’État, Appel en matière pénale n° 154 de 2013, ibid., pages 5 et 6.
46 L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n° 61 de 2008, ibid., page 19 et Be Bq c. l’État, Appel en matière pénale n° 154 de 2013, ibid, pages 5 et 6.
manifeste d'appréciation, par les juridictions internes, des preuves relatives
à l'identification du Requérant et à la déclaration faite par la victime alors
qu’elle se mourait. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon
laquelle lorsque l’identification visuelle ou vocale est utilisée comme moyen
de preuve pour condamner une personne, toutes les circonstances ouvrant
la voie à de possibles erreurs doivent être écartées et l'identité du suspect
établie avec certitude.*’ En l’espèce, la Haute Cour et la Cour d’appel, ayant
pris connaissance des aléas de l’identification visuelle, se sont assurées
que le Requérant avait été bien identifié comme indiqué ci-dessus. Les
juridictions nationales ont également estimé qu’au vu des preuves solides
figurant dans le dossier, la corroboration n’était pas nécessaire.
103. La Cour note l'argument du Requérant selon lequel PW1 et PW2 ont
présenté des preuves contradictoires concernant l’endroit où il se trouvait
après l’incident. À cet égard, la Cour relève que la Haute Cour et la Cour
d’appel ont examiné les arguments et les éléments de preuve qui leur ont
été présentés et ont estimé que les preuves à charge ne présentaient pas
de contradiction substantielle.
104. Quant à l’allégation du Requérant selon laquelle l'accusation n’a pas
présenté de preuves médico-légales, il ressort du dossier soumis à la Cour
que la Haute Cour et la Cour d'appel se sont toutes deux fondées sur les
dépositions de trois (3) témoins et sur les ultimes déclarations faites par la
victime. Les juridictions nationales ont apprécié les faits et les preuves et
ont estimé que le dossier contenait des preuves justifiant une déclaration
de culpabilité.* Il ressort des décisions des juridictions nationales que PW1
a donné un compte rendu clair de l'incident et a déclaré avoir vu le
Requérant et son frère agresser la victime à coups de bâtons.‘° Au vu de
ce qui précède, la Cour estime que la manière dont les juridictions internes
#7 Ym c. République-Unie de AK, arrêt (fond et réparations), supra, S$ 64 ; Cl Xf c. République-Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 058/2016, arrêt du 13 juin 2023, $ 96.
% L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n°61 de 2008, ibid., pages 15 et 16 et Be Bq c. l’État, Appel en matière pénale n°154 de 2013, ibid, page 7.
49 L'État c. Be fils de Damian, Affaire en matière pénale n°61 de 2008, ibid., pages 2 et 3 et Be Bq c. l’État, Appel en matière pénale n°154 de 2013, ibid, page 4.
ont apprécié les éléments de preuve et leur poids n’a entraîné aucune
erreur manifeste et aucun déni de justice à l’égard du Requérant.
105. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la manière dont les
juridictions internes ont apprécié les éléments de preuve ne révèle aucune
erreur manifeste ou déni de justice à l’égard du Requérant.
106. La Cour rejette donc les allégations du Requérant concernant la violation
de son droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit
établie par une juridiction compétente. Elle considère, en conséquence, que
l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(b) de la Charte.
iv. Violation alléguée du droit d’être jugé par un tribunal impartial
107. Le Requérant allègue que le tribunal d'instance a pris part au contre-
interrogatoire des témoins. Cet exercice, tel qu’il est défini dans la
législation de l’État défendeur, vise à permettre à la partie adverse
d’ébranler la crédibilité du témoin en entamant sa réputation et d’obtenir des
réponses susceptibles de l’incriminer ou de l’exposer directement ou
indirectement à une peine ou à une sanction. Le Requérant affirme qu’à
travers le contre-interrogatoire des témoins, la juridiction d’instance a
adopté une position hostile à son égard et s’est transformée en second
procureur, violant ainsi son droit à un procès équitable.
108. L’État défendeur n’a pas formulé d'observation spécifique au sujet de cette
allégation, mais a affirmé, de manière générale, que les droits du Requérant
inscrits dans la Charte et dans la Constitution ont été pleinement respectés
et protégés.
109. La Cour note que l’article 7(1)(d) de la Charte est ainsi libellé :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale.
110. La Cour de céans a jugé que « l’impartialité au sens de l’article 7(1)(d) de
la Charte doit s'entendre d’une absence de parti pris ou de préjugé dans
l'examen d’une cause en justice. En tant que telle, la partialité ne saurait
être présumée et doit être prouvée de manière irréfutable par la partie qui
111. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire As Ch c.
République-Unie de AK, selon laquelle l’obligation d’impartialité des
juges s'étend à la partialité, ou l'apparence de partialité, des assesseurs qui
est susceptible de jeter le doute sur l’exactitude des conclusions factuelles
des juges et sur la crédibilité générale des tribunaux.®* Par ailleurs, la Cour
note que, sur la question du devoir des assesseurs en matière pénale, la
Cour d’appel de la AK, dans l’affaire Ap Ax c. la
République, a considéré que le devoir des assesseurs est de poser des
questions aux témoins à des fins de clarification plutôt que de les contre-
interroger. Le contre-interrogatoire a pour but de « contredire, affaiblir et
jeter le doute sur la véracité des preuves produites par le témoin durant
112. La Cour note qu’il résulte du dossier dont la Haute Cour a été saisie que les
questions posées par les assesseurs n’ont pas été enregistrées, seules les
réponses des témoins l’ont été. Comme souligné dans l'affaire Ap
Ax c. la République, il n’est pas interdit aux assesseurs de
poser des questions aux témoins pour plus de clarté. La Cour note, en outre,
5° Ae Bc c. République du Rwanda (arrêt), supra, $ 70 ; Xz c. Rwanda (fond), supra, S$S 103 et 104 ; et Yg c. AK (fond), supra, $ 124.
5! As Ch c. République-Unie de AK, CAÏDHP, Requête n° 033/2016, Arrêt du 7 novembre 2023 (fond et réparations), $S 93 à 99
52 Ap Ax c. La République (Affaire pénale n° 97 de 2015 [inédit].
que rien n’indique que les questions posées par les assesseurs aient
contredit ou affaibli les dépositions des témoins. De plus, les réponses des
témoins enregistrées ont confirmé les déclarations que les trois (3) témoins
avaient déjà faites dans leurs dépositions.°° Le Requérant est donc mal
fondé à conclure que la juridiction de jugement a violé ses droits en raison
de l’interrogatoire des témoins par les assesseurs. Comme la Cour a conclu
en l’espèce, la manière dont les juridictions nationales ont apprécié les
preuves ne révèle aucune erreur manifeste et n’est pas constitutive d’un
déni de justice à l’égard du Requérant.
113. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette les allégations du Requérant
selon lesquelles l’État défendeur a failli à son obligation de lui assurer un
procès qui ne soit pas entaché de parti pris réel ou perçu. La Cour
considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé le droit du
Requérant d’être jugé par un tribunal impartial, protégé par l’article 7(1)(d)
de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la vie
114. Le Requérant allègue que les diverses violations de son droit à un procès
équitable, commises au cours de la procédure qui a abouti à sa
condamnation, ont rendu la peine de mort obligatoire attentatoire au droit à
la vie.
115. Le Requérant affirme qu’à travers la peine de mort obligatoire, l’État
défendeur a violé son droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte
puisqu’il ne tient pas compte de sa situation personnelle et du caractère
particulier de l’infraction, notamment des circonstances aggravantes ou
atténuantes spécifiques. Il soutient que l’État défendeur lui a appliqué la
peine de mort sur la seule base de son caractère obligatoire en droit interne,
alors que cette peine n’était pas justifiée ou compatible avec son droit à la
vie en raison de sa bonne moralité et de l’absence de tout antécédent
53 L'État c. Be fils de Damian, Affaire pénale n° 61 de 2008, supra, pages 10 à 13 ; 15 à 17 et 19 à 21.
criminel. Il fait également valoir que l’État défendeur n’a pas, non plus,
prouvé qu'il avait prononcé la peine de mort parce que les infractions étaient
les plus graves par nature et que leur cas relevait des cas les plus rares.
116. L’État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
117. L’article 4 de la Charte dispose :
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au
respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne :
Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.
118. La Cour note que le Requérant a soulevé trois (3) moyens relatifs à la
violation alléguée du droit à la vie du fait de la peine de mort obligatoire. Il
s’agit de la nature de l'infraction et de la situation du contrevenant, de la
légalité de la peine et du respect des procédures régulières au cours du
procès. La Cour estime que ces moyens sont relatifs, d’une manière ou
d’une autre, à la question de savoir si la peine de mort obligatoire constitue
une privation arbitraire du droit à la vie protégé par l’article 4 de la Charte.
119. En ce qui concerne la privation arbitraire du droit à la vie protégé par l’article
4 de la Charte, la Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Bt Xg
et autres c. République-Unie de AK dans laquelle elle a estimé que
le caractère obligatoire de la peine de mort était arbitraire et, par
conséquent, attentatoire au droit à la vie dès lors que i) elle n’était pas
prévue par la loi ; ii) elle n’était pas prononcée par un tribunal compétent ;
et iii) elle ne résultait pas d’une procédure conforme au principe du procès
équitable notamment en ce qu’elle prive le juge du pouvoir d’apprécier les
circonstances propres à l’infraction et à son auteur.°*
54 Bt Xg et autres c. République-Unie de AK (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 539, $$ 99 et 100.
120. La Cour note qu’en l’espèce, le Requérant ne conteste pas le pouvoir des
juridictions nationales de prononcer la peine de mort. Ses griefs portent sur
la légalité de la peine de mort obligatoire et sur la question de savoir si elle
est conforme au droit à un procès équitable en ce que le juge a la latitude
de prendre en compte les circonstances propres à l'affaire. La Cour
examinera successivement ces deux questions.
121. S'agissant du premier critère relatif à la légalité, la Cour note que la peine
de mort est prévue par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur.
L’exigence de légalité de la peine est donc remplie. En l'espèce si le
Requérant semble également contester la conformité de la peine de mort
obligatoire au droit international, ses arguments à cet égard portent plutôt
sur la gravité de l'infraction et sur sa situation personnelle. La contestation
ne porte donc pas sur la légalité de la peine de mort obligatoire, mais plutôt
sur l’exigence d’équité quant à ladite peine, ce qui sera examiné
ultérieurement.
122. En ce qui concerne le respect du droit à un procès équitable, l’allégation du
Requérant porte sur deux aspects à savoir : si le juge a pris en compte,
premièrement, la nature de l'infraction et, deuxièmement, la situation
personnelle des contrevenants avant d’appliquer la peine de mort
obligatoire.
123. S'agissant de la nature de l’infraction, la Cour note l’affirmation du
Requérant selon laquelle l’État défendeur n’a pas prouvé que la gravité de
l'infraction pour laquelle il a été condamné justifiait l'imposition obligatoire
de la peine de mort.
124. La Cour souligne que l’article 6(2) du PIDCP dispose « [dJans les pays où
la peine de mort n'a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être
prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la
législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit
pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte, ni avec la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [.…] ».
125. Dans l’affaire An Cx c. République-Unie de AK, la Cour a
considéré que la peine de mort ne devrait « être réservée, à titre
exceptionnel, qu’aux infractions les plus odieuses commises dans des
circonstances particulièrement aggravantes ».°°
126. La Cour relève également que la jurisprudence internationale en matière de
droits de l'homme prend en compte la gravité d’une infraction justifiant la
peine de mort obligatoire. À titre d’exemple, la Cour interaméricaine des
droits de l'homme a estimé que la privation intentionnelle et illicite de la vie
d’autrui peut et doit être reconnue et traitée en fonction de divers facteurs
qui correspondent à la gravité des faits entourant l’affaire, en tenant compte
des différentes facettes qui peuvent entrer en jeu, telles qu’une relation
spéciale entre le contrevenant et la victime, les raisons du comportement,
les circonstances et les moyens de commission du crime. La Cour
interaméricaine des droits de l'homme a estimé que cette approche
permettait d'évaluer progressivement la gravité de l’infraction, pour qu’elle
soit en rapport avec les différents niveaux de lourdeur de la peine
127. Dans l’affaire S c. Makwanyane, la Cour constitutionnelle de l’Afrique du
Sud a indiqué ce qui suit : « [L] a peine de mort ne devrait être prononcée
que dans les cas exceptionnels où il n’existe aucune perspective
raisonnable de réforme et lorsqu’aucune autre peine ne permet d’atteindre
pleinement l’objectif de la punition ».°” En outre, dans l’affaire Mitcham et
autres c. Director of Public Prosecution, la Cour d’appel des Caraïbes
orientales a déclaré que «la charge de la preuve lors de l’audience de
fixation de la peine incombe au ministère public et que la norme reste la
preuve au-delà de tout doute raisonnable ».58
55 Cx c. AK (arrêt), supra, $ 66.
56 Boyce et al. c. Barbade, exception préliminaire, fond, réparations et dépens, arrêt du 20 novembre 2007. Série C n° 169, $$ 46 à 63 et Hilaire, Constantine, et Benjamin et al. c. Trinité-et-Tobago, fond, réparations et dépens, arrêt du 21 juin 2002. Série C n° 94, $ 106.
57 S c. Makwanyane, Affaire n° CCT/3/94, arrêt du 6 juin 1995, $ 46.
58 Mitcham & autres c. DPP, Affaire pénale Appel n° 10-12 de 2002 Cour d’appel des Caraïbes orientales, $2.
128. La Cour observe que, comme elle le souligne dans sa jurisprudence
précédemment citée, la peine de mort obligatoire tel qu’appliqué en vertu
du droit de l’État défendeur, est arbitraire au sens de l’article 4 de la Charte
dans la mesure où elle prive le juge du pouvoir discrétionnaire d’examiner
les circonstances spécifiques de cas particuliers, notamment si ces cas
entrent dans la catégorie des cas les plus rares pour lesquels une peine de
mort peut légalement être prononcée. Or, et ainsi qu’il ressort des
arguments des Parties dans la présente Requête, les tribunaux d’instance
n’avaient pas la latitude nécessaire pour examiner si l’infraction justifiait la
peine qui avait été infligée. Au regard de ce qui précède, la Cour considère
que l’État défendeur a violé le droit à la vie du Requérant protégé par l’article
4 de la Charte, pour n’avoir pas pris en compte la nature de l'infraction.
129. En ce qui concerne la situation des contrevenants, la Cour rappelle, comme
elle l’a jugé dans l’arrêt Xg susmentionné, que le caractère obligatoire
de la peine de mort, tel que prévu par l’article 197 du Code pénal de l’État
défendeur, ne répond pas aux exigences d’une procédure régulière, car elle
prive le juge de son pouvoir d’appréciation en fonction de la situation
individuelle de la personne déclarée coupable.°° Dans l'affaire Ck
Aa Ba c. République-Unie de AK, la Cour a vérifié si le
requérant avait souffert de troubles post-traumatiques avant la commission
de l'infraction et s’il souffrait d’aliénation mentale au moment de la
commission de l'infraction. La Cour rappelle sa jurisprudence constante
selon laquelle le caractère obligatoire de la peine de mort prive l’individu de
son droit le plus fondamental, le droit à la vie, sans considérer si cette forme
exceptionnelle de châtiment est appropriée dans les circonstances
particulières de son affaire.8!
130. La Cour note, par ailleurs, que la jurisprudence internationale prend en
compte la situation de l’auteur de l’infraction lors du prononcé de la peine
59 Xg et autres c AK, Arrêt (fond et réparations), supra, $ 110.
60 Ba c. AK (Arrêt), supra, $$ 66 à 72.
81 Xg et autres c. AK, Arrêt (fond et réparations), ibid., $ 109 et By c. République-Unie de AK (Arrêt), supra, SS 124 et 125.
de mort obligatoire. Dans l’affaire Dial et autres c. Trinidad-et-Tobago, la
Cour interaméricaine des droits de l'homme a estimé que le fait que
certaines lois rendent obligatoire la peine de mort ne permet pas aux
juridictions d’instance de prendre en considération les circonstances
particulières de l’accusé, y compris son casier judiciaire.°? Dans l'affaire
Cv et autres c. Xu Xd, la Haute Cour du Malawi a
déclaré que, dans une affaire où la peine capitale est encourue, le droit à
un procès équitable exige que les contrevenants soient autorisés à
présenter des preuves de circonstances atténuantes en rapport avec
l'infraction en question ou de la situation particulière du contrevenant.S*
131. En l’espèce, la Cour note que le Requérant soutient que la peine de mort
obligatoire a été prononcée à son encontre, sans prise en compte de sa
bonne moralité et de son casier judiciaire vierge. La Cour estime qu’en tant
que principe général, et par souci de justice naturelle et d'équité, l'imposition
d’une peine, et a fortiori d’une peine aussi grave que la peine de mort,
devrait toujours prévoir la possibilité d’une atténuation. La Cour considère
que la bonne moralité et l'absence d’antécédent pénal invoqués par le
Requérant sont des éléments pouvant être pris en compte pour atténuer
une peine. Par conséquent, du fait de ne les avoir pas pris en considération,
la procédure ayant conduit à l'imposition obligatoire de la peine de mort n’a
pas, en l'espèce, respecté l'exigence d'équité. I| en est ainsi parce que la
loi prive la juridiction de jugement du pouvoir discrétionnaire d’examiner les
circonstances particulières de la cause, y compris celles liées à l'infraction
et à son auteur.
132. En l’espèce, la Cour estime que la peine de mort obligatoire, telle que
prévue à l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur et appliquée
automatiquement par la Haute Cour dans le cas du Requérant est arbitraire
82 Dial et al. c. Trinidad et Tobago, Arrêt du 21 novembre 2022 (fond et réparations), 848.
8 Cv et autres c. Xu Xd, Recours en inconstitutionnalité n° 12 de 2005 (inédit). Voir également, Procureur général c. Bj Cu et 417 autres, Recours en inconstitutionnalité n° 03 de 2006 (Cour suprême de l’AhB, S$ 63 et 64 ; Ad c. République, Requête pénale N° 17 de 2008, p. 8, 24, 35 (30 juillet 2010) (Cour d’appel du Kenya).
en ce qu’elle ne respecte pas l’exigence d'équité prescrite à l’article 4 de la
Charte, constituant ainsi une violation du droit à la vie.
133. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur a violé le droit à
la vie du Requérant, protégé par l’article 4 de la Charte, du fait de
l'imposition arbitraire de la peine de mort, le juge ne jouissant pas de la
discrétion de tenir compte de la nature de l'infraction et des circonstances
personnelles de son auteur au moment du prononcé de la peine de mort
obligatoire.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
134. Le Requérant allègue la violation de son droit à la dignité, protégé par
l’article 5 de la Charte, du fait du caractère obligatoire de la peine de mort
qui équivaut à un traitement cruel et inhumain.
135. L’État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
136. La Cour relève que l’article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d’avilssement de l'homme, notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont
interdits.
137. Dans l'affaire Bt Xg et autres c. République-Unie de AK, la Cour
a souligné que de nombreuses méthodes d’exécution de la peine de mort
sont susceptibles d’être assimilées à la torture, ainsi qu’aux traitements
cruels, innumains et dégradants, compte tenu des souffrances qui y sont
associées. La Cour a estimé que l’exécution par pendaison d’une personne est l’une des méthodes susvisées et qu’elle est donc dégradante par
nature.6* La Cour rappelle également sa jurisprudence dans l’affaire Xt
By c. République-Unie de AK, selon laquelle l'exécution de la
peine de mort par pendaison porte atteinte à la dignité de la personne au
regard de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, innumains et
138. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle, conformément à la logique
même de l'interdiction des méthodes d'exécution qui s’apparentent à la
torture ou à des traitements cruels, inhumains et dégradants, il faudrait
exiger que les méthodes d'exécution excluent toute souffrance ou causent
le moins de souffrance possible dans les cas où la peine de mort est
autorisée.°° Ayant jugé que la peine capitale obligatoire constitue une
violation du droit à la vie du fait de son caractère arbitraire, la Cour
considère que le mode d'exécution de cette peine, à savoir la pendaison,
porte inévitablement atteinte à la dignité, eu égard à l’interdiction de la
torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants.#” La Cour estime
que cette jurisprudence vaut également pour le cas d'espèce.
139. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur a violé le droit
du Requérant à la dignité et à ne pas être soumis à des peines ou
traitements cruels, innumains ou dégradants, protégé par l’article 5 de la
Charte en ce qui concerne l’exécution de la peine de mort par pendaison.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
140. Dans ses observations sur les réparations, le Requérant sollicite de la Cour
qu’elle ordonne à l’État défendeur ce qui suit :
84 Xg et autres c. AK, Arrêt (fond et réparations), supra, $$ 118 et 119.
65 By c. AK (Arrêt), supra, $ 136.
86 Xg et autres c. AK, Arrêt (fond et réparations), supra, $ 118.
67 Ibid, $$ 119 et 120.
ii Annuler la peine de mort prononcée à son encontre et de le retirer du
couloir de la mort ;
ii. Modifier sa législation afin de garantir le respect du droit à la vie ;
iii. Le remettre en liberté, car un nouveau procès serait entaché de
difficultés pratiques compte tenu du temps écoulé depuis l'infraction
présumée et il serait manifestement injuste pour lui de rester en
détention dans l’attente d’un nouveau procès compte tenu de la longue
période pendant laquelle il a déjà été incarcéré ;
iv. Lui verser un montant que la Cour jugera approprié, à titre de réparation.
Il fait valoir qu’il a subi de graves préjudices en raison de la violation de
ses droits protégés par la Charte et des douze (12) années
d'emprisonnement qui ont suivi, dont sept (7) dans le couloir de la mort,
ce qui a également eu de graves répercussions sur sa vie de famille.
141. Dans sa réponse aux observations du Requérant sur les réparations, l’État
défendeur demande à la Cour d’ordonner les mesures suivantes :
ii Dire et juger que le Requérant continue de purger sa peine ;
ii. Rejeter toutes les demandes de réparations formulées par le Requérant.
142. La Cour rappelle que l’article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
143. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence constante, que les
réparations ne sont accordées que si, premièrement, l’État défendeur est
responsable du fait internationalement illicite et si, deuxièmement, un lien
de causalité est établi entre l’acte répréhensible et le préjudice allégué.®°
68 AH c. République du Bénin (arrêt) (27 novembre 2020) 4 RICA 51, $ 158 et Ce Aj Cp c. République du Bénin (réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 205, $ 17.
Par ailleurs, lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité
du préjudice subi. Enfin, il incombe au requérant de justifier les demandes
de réparation formulées.®°
144. En l’espèce, la Cour a constaté que l’État défendeur a violé les droits du
Requérant à la vie et à la dignité, tels que garantis respectivement par les
articles 4 et 5 de la Charte. La Cour estime donc que la responsabilité de
l’État défendeur a été établie. Le Requérant a par conséquent droit à une
réparation proportionnelle à l’ampleur des violations établies.
A. Réparations pécuniaires
145. La Cour rappelle que lorsqu’un requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, il doit apporter la preuve du lien de causalité entre la
violation constatée et le préjudice subi. Le requérant doit également
préciser la nature du préjudice et en apporter la preuve.” Comme indiqué
précédemment, il incombe à tout requérant d'apporter la preuve de ses
allégations relativement au préjudice matériel.”!
146. En l’espèce, le Requérant demande à la Cour de lui octroyer des
réparations à concurrence d’un montant qu’elle jugera approprié. Il n’a pas
indiqué la nature ni apporté la preuve du préjudice matériel subi. Il n’a pas
non plus prouvé la réalité du lien de causalité avec la violation de ses droits
protégés par les articles 4 et 5 de la Charte.
89 By c. AK (fond et réparations), supra, $ 141 ; Bi Xr et autres c. Yf Az (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, S$$ 20 à 31 ; et Xx Xa Xm Yc c. République- Unie de AK (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, $$ 27 à 29.
70 Xk Cg XBm BpB et un autre c. République-Unie de AK (réparations) (8 mai 2020) 4
25 juin 2021 (réparations), $ 20.
74 Ba c. Rwanda (fond), supra, $ 122 ; Ag c. AK (fond et réparations), supra, $ 97 et Bz c. AK (fond et réparations), supra, $ 15.
147. En pareille occurrence, la Cour ne saurait accorder de réparation du
préjudice matériel au Requérant.
148. La Cour souligne que bien qu’il n'ait pas spécifiquement fait référence au
préjudice moral, le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de lui accorder, à titre de réparations, un montant que la Cour
jugera approprié pour les graves préjudices subis du fait de la violation de
ses droits protégés par la Charte. Le Requérant soutient également qu’il a
subi de graves préjudices en raison des douze (12) années
d’emprisonnement, dont sept (7) ans dans le couloir de la mort, ce qui a eu
de graves répercussions sur sa vie familiale.
149. La Cour observe que le préjudice moral s'entend du préjudice consécutif à
la souffrance, à l'angoisse et aux changements de conditions de vie de la
victime et de sa famille.” Comme déjà établi dans le présent Arrêt, le
Requérant a subi plusieurs violations qui supposent intrinsèquement un
préjudice moral. Il s’agit, notamment du prononcé de la peine de mort
obligatoire, de la détention dans le couloir de la mort et de divers éléments
venant s’ajouter à une situation globale inhumaine et dégradante. La Cour
observe, en outre, que s’il est vrai que la peine de mort n’a pas encore été
exécutée dans le cas du Requérant, il n’en demeure pas moins que celui-ci
a incontestablement subi un préjudice du fait des violations consécutives
au prononcé de la peine de mort obligatoire.
150. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le Requérant a droit à
une réparation du préjudice moral présumé. La Cour a estimé que
l’évaluation du quantum en cas de préjudice moral doit être faite en toute
équité et en tenant compte des circonstances de l'affaire.” Dans de tels
7? Mtikila c. AK (réparations), supra, $ 34 ; Co c. AK (arrêt), supra, $ 150 et Viking et un autre c. AK (réparations), supra, $ 38.
73 By c. AK (arrêt), supra, S 144 ; Viking et un autre c. AK (réparations), supra, $ 41 et Xz c. Rwanda (réparations), supra, $ 59.
cas, la Cour a adopté la pratique consistant à octroyer un montant forfaitaire
au titre du préjudice moral.”“
151. En conséquence et eu égard à ses décisions dans des affaires similaires
impliquant l’État défendeur,75 la Cour accorde au Requérant la somme de
trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens à titre de réparation pour
préjudice moral.
B. Sur les réparations non-pécuniaires
152. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur d’annuler
la peine de mort prononcée à son encontre et d’ordonner sa remise en
liberté. Il demande également à la Cour d’ordonner à l’État défendeur
d’amender la disposition de son droit interne relative à la peine de mort
obligatoire en vue de garantir le respect de la vie.
153. L’État défendeur, pour sa part, conclut au rejet de toutes les demandes de
réparation formulées par le Requérant.
i. Sur la modification de la loi pour garantir les droits à la vie et à la dignité
154. Le Requérant prie la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier ses lois
de manière à garantir le respect du droit à la vie.
155. La Cour rappelle sa position dans des arrêts antérieurs traitant de la peine
de mort obligatoire, dans lesquels elle a ordonné à l’État défendeur de
prendre toutes les mesures nécessaires pour supprimer de son Code pénal
la disposition prévoyant l'application obligatoire de la peine de mort.”6 La
Cour note qu’à ce jour, elle a ordonné plusieurs mesures identiques visant
74 Xr et autres c. Yf Az (réparations), supra, SS 61 et 62 et Bz c. AK (fond et réparations), supra, S 177.
75 Bh Yj et autres c. République-Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 050/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), $ 153 ; Cn Xn c. République-Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 030/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), $ 86.
76 Cx c. AK (arrêt), supra, S$ 166 ; Ba c. AK (fond et réparations), ibid, S 128 ; Bn c. AK (fond et réparations), supra, $ 207 ; et By c. AK (arrêt), supra, $ 170.
à supprimer la peine de mort obligatoire, en 2019, 2021, 2022 et 2023 ; or,
à la date du présent jugement, la Cour n’a reçu aucune information
confirmant que l’État défendeur a exécuté lesdites mesures.
156. La Cour note que dans le présent Arrêt, elle a conclu que la peine de mort
obligatoire viole le droit à la vie garanti par l’article 4 de la Charte et estime,
par conséquent, que ladite peine devrait être retirée de l’ordonnancement
juridique l’État défendeur dans un délai de six (6) mois à compter de la date
de signification du présent Arrêt.
157. Dans ses arrêts précédents, 7 la Cour a, par ailleurs, estimé qu’une violation
du droit à la dignité du fait du recours à la pendaison comme mode
d’exécution de la peine de mort justifiait d’ordonner que celle-ci soit retirée
du dispositif juridique de l’État défendeur. Eu égard à ses conclusions dans
le présent Arrêt, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires afin de supprimer de sa législation la pendaison
comme mode d’exécution de la peine de mort, dans un délai de six (6) mois
à compter de la signification du présent Arrêt.
ii. Sur la réouverture du procès
158. Le Requérant soutient que même si le recours normal en cas de violation
du droit d’un requérant à un procès équitable était de rouvrir la présentation
des moyens à décharge ou de tenir une nouvelle audience, dans son cas,
un nouveau procès se heurterait à des difficultés pratiques compte tenu du
temps écoulé depuis l’infraction alléguée et il serait extrêmement injuste
pour lui de demeurer en détention jusqu’à la nouvelle audience compte tenu
de la longue incarcération qu’il a déjà subie.
77 Ab Bl Ao c. République Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 017/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), S$ 111, 112 et 118 ; Cn Xn c. République Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 030/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), $ 94.
159. La Cour considère que, même si le Requérant déclare ne pas souhaiter la
réouverture de la défense ou un nouveau procès, une mesure connexe est
dans l’intérêt de la justice, pour donner effet à la mesure corrélative visant
à abroger la disposition interne sur la peine de mort obligatoire. La Cour
réitère sa position antérieure selon laquelle les violations dans le cas du
Requérant n’ont eu aucune incidence ni sur sa culpabilité ni sur sa
condamnation, et que la détermination de la peine n’est affectée que dans
la mesure du caractère obligatoire de la peine. La Cour estime qu’une
réparation est justifiée à cet égard.
160. La Cour ordonne donc à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires pour que l'affaire relative à la condamnation du Requérant soit
réexaminée selon une procédure qui ne permet pas l'imposition obligatoire
de la peine de mort, tout en préservant l’entière discrétion du juge.
iii. Sur la restitution et la remise en liberté
161. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur d’annuler
la peine de mort prononcée à son encontre et de le retirer du couloir de la
mort.
162. Le Requérant demande également à la Cour d’ordonner à l’État défendeur
de le remettre en liberté. || fait valoir qu’un nouveau procès se heurterait à
des difficultés pratiques compte tenu du temps écoulé depuis l'infraction
alléguée et que, par conséquent, la réparation appropriée serait sa remise
en liberté.
163. En ce qui concerne la demande de révocation de la peine, la Cour a estimé
que des mesures telles que l’annulation de la condamnation à mort doivent
être appréciées au cas par cas, en tenant dûment compte principalement
de la proportionnalité entre la mesure demandée et l’étendue de la violation
78 Xg et autres c. AK (fond et réparations), supra, $ 156.
164. En l’espèce, la Cour a estimé que la disposition prévoyant la peine de mort
obligatoire dans le cadre législatif de l’État défendeur viole le droit à la vie
protégé par l’article 4 de la Charte. La Cour ordonne donc à l’État défendeur
d’annuler la peine de mort prononcée à l’encontre du Requérant et de le
retirer du couloir de la mort en attendant la réouverture du procès ci-dessus
ordonnée.
165. S'agissant de la demande de remise en liberté, la Cour rappelle sa
jurisprudence dans l’affaire Bi Bn c. République-Unie de
AK selon laquelle :
La Cour ne peut ordonner une telle mesure que si un requérant
démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses
constatations, que l'arrestation ou la condamnation du requérant
repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son
maintien en détention serait constitutif d’un déni de justice ».”°
166. La Cour note que les violations constatées dans le présent Arrêt n’ont
aucune incidence sur la culpabilité et la condamnation du Requérant, et que
la détermination de la peine n’est affectée que dans la mesure du caractère
obligatoire de la peine. La commission de l’infraction tel que jugé par les
tribunaux internes n’a donc pas été affectée dans la procédure devant la
Cour de céans. En outre, la décision rendue ci-dessus en faveur d’un nouvel
examen de l'affaire du Requérant sur la détermination de la peine exige que
celui-ci soit maintenu en détention dans l'attente de ladite procédure. La
demande de remise en liberté est par conséquent rejetée.
iv. Sur la publication de l’Arrêt
167. Bien que le Requérant n’ait pas sollicité la publication du présent Arrêt, sur
le fondement de l’article 27 du Protocole et de son pouvoir discrétionnaire,
79 Bn c. AK (fond et réparations), supra, $ 202 ; Xj Cx As c. République-Unie de AK (fond) (7 décembre 2018) 2 RJCA 570, $ 84 ; Am Xb c. République-Unie de AK (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, $ 82 et By c. AK (arrêt), supra, $ 165.
la Cour examinera l’opportunité d’ordonner une telle mesure. Dans ses
arrêts précédents, la Cour a ordonné suo motu la publication de ses arrêts
compte tenu des circonstances de l'affaire.
168. La Cour observe qu’en l'espèce, la violation du droit à la vie par la
disposition relative à la peine de mort obligatoire va au-delà de la situation
du Requérant. La Cour relève que les menaces à la vie liées à la peine de
mort obligatoire demeurent prégnantes dans l’État défendeur, et que,
comme indiqué plus haut, la Cour ne dispose d'aucune information selon
laquelle les mesures précédemment ordonnées ont été mises en œuvre.
En outre, la garantie du droit à la vie est un droit suprême inscrit dans la
Charte. Au regard de ce qui précède, la Cour ordonne à l’État défendeur de
publier le présent Arrêt.
v. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
169. Les Parties n’ont pas formulé de demandes spécifiques en ce qui concerne
la mise en œuvre de l’arrêt et la soumission d’un rapport d’exécution.
170. Les conclusions précédentes de la Cour relativement à la publication de
l’arrêt, en dépit de l'absence de demandes expresses des Parties, sont
également applicables à la mise en œuvre et à la soumission de rapports.
En ce qui concerne plus particulièrement la mise en œuvre, la Cour note
que, dans ses arrêts précédents ordonnant l’abrogation de la disposition
relative à la peine de mort obligatoire, elle avait ordonné à l’État défendeur
de mettre en œuvre les mesures qu’elle a ordonnées dans un délai d’un (1)
an à compter de leur prononcé.#!
8 Cx c. AK (arrêt), ibid., $$ 175 et 176 ; Xg et autres c. AK (fond et réparations), supra, S$ 165 et Bn c. AK (fond et réparations), supra, SS 208 à 210.
81 Bh Yj et un autre c. République Unie de AK, CAfDHP, Requête n° 050/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), S$ 142 à 146 ; Xg c. AK (fond et réparations), supra, $ 171 et Bn c. AK (fond et réparations), supra, $ 203.
171. La Cour observe qu’en l’espèce, la violation du droit à la vie à travers
l’application de la disposition relative à l’application obligatoire de la peine
de mort va au-delà du cas individuel des Requérants et revêt un caractère
systémique. Il en est de même pour la violation relative à l’exécution par
pendaison. La Cour note, en outre, que sa décision dans le présent Arrêt
porte sur un droit suprême de la Charte, à savoir le droit à la vie.
172. En conséquence, la Cour juge nécessaire d’ordonner à l’État défendeur de
lui soumettre périodiquement un rapport sur la mise en œuvre du présent
Arrêt, conformément à l’article 30 du Protocole. Ce rapport devra détailler
les mesures prises par l’État défendeur afin de retirer de son code pénal, la
disposition déclarée contraire à ses obligations internationales.
173. La Cour note que l’État défendeur n’a fourni aucune information sur la mise
en œuvre de ses arrêts dans les affaires antérieures où il lui a été ordonné
d’abroger la peine de mort obligatoire, et que les délais fixés par la Cour ont
expiré depuis lors. La Cour considère dès lors qu'il est justifié d’ordonner
les mêmes mesures à la fois en tant que mesure conservatoire individuelle
et à titre de rappel général de l’obligation et de l’urgence qui incombent à
l’État défendeur d’abolir la peine de mort obligatoire et de prévoir des
alternatives à cette peine. En conséquence, l’État défendeur est tenu de
soumettre un rapport sur les mesures prises pour exécuter le présent Arrêt
dans un délai de six (6) mois à compter de la date de sa signification.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
174. Les Parties n’ont formulé aucune observation sur les frais de procédure.
175. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n'en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
176. Notant que rien ne justifie qu’elle s’écarte de la disposition susvisée en
l'espèce, la Cour décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
177. Par ces motifs,
LA COUR,
À l'unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence matérielle ;
i. — Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
iii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable protégé par l’article 7(1)(b) de la Charte en ce qui
concerne la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense du
Requérant protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte en ce qui
concerne la fourniture d’une représentation juridique effective et la
citation de témoins supplémentaires ;
vil. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte en ce qui
concerne le droit d’être jugé par une juridiction impartiale ;
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre, les Juges Rafaë
Ben ACHOUR et Blaise TCHIKAYA ayant émis chacun une opinion
dissidente,
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à un procès
équitable protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte en ce qui
concerne le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ;
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre, les Juges Blaise
TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA ayant émis respectivement une
opinion dissidente et une déclaration,
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie du Requérant,
protégé par l’article 4 de la Charte, en ce qui concerne l’application
obligatoire de la peine de mort, en ne permettant pas au juge de
prendre en compte la nature de l’infraction et la situation de
l’auteur de l'infraction ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la dignité
et à ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte, en
raison de l’imposition de la peine de mort par pendaison.
À l'unanimité,
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
xi. Rejette les demandes de réparation du préjudice matériel ;
xii. Fait droit à la demande de réparation du préjudice moral formulée
par le Requérant et lui alloue la somme de trois cent mille (300
000) shillings tanzaniens ;
xiii. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(xii) ci-dessus, en franchise d'impôt, dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, faute de quoi
il sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base
du taux en vigueur de la Banque de AK pendant toute la
période de retard jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Sur les réparations non-pécuniaires
xiv. Rejette la demande de remise en liberté du Requérant ;
xv. Ordonne à l’État défendeur d’annuler la décision prononçant la
peine de mort à l’encontre du Requérant et de le retirer du couloir
de la mort ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent Arrêt, afin de retirer de son dispositif
juridique l'application obligatoire de la peine de mort ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent Arrêt, afin de retirer de son dispositif
juridique la pendaison comme mode d'exécution de la peine de
mort ;
xviii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires dans un délai d’un (1) an à compter de la signification
du présent Arrêt, pour juger à nouveau l'affaire en ce qui concerne
la condamnation du Requérant par le biais d’une procédure qui ne
prévoit pas l'application obligatoire de la peine de mort et
maintienne le pouvoir d'appréciation du juge ;
xix. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un
délai de trois (3) mois à compter de la date de sa signification, sur
le site Internet du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques ; et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
xx. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre des mesures qui y sont énoncées et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour estime
qu’elles ont été intégralement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xxi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Ben KIOKO, Juge ; MES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; HG leo),
Suzanne MENGUE, Juge ; has 0° 21
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; 2 : Gnirrouat la,
Chafika BENSAOULA, Juge ; Æ Æ 7
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am.
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Jap ( À Z@ a.
Dennis D. ADJEI, Juge ; N et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(2) du Règlement, les
opinions dissidentes des Juges Rafaâ BEN ACHOUR et Blaise TCHIKAYA sont jointes
au présent Arrêt.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(3) du Règlement, la
déclaration du Juge Dumisa B. NTSEBEZA est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce quatrième jour du mois de juin de l’année deux mille vingt-quatre,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.