AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AH AG ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DU MALI
REQUÊTE N° 023/2017
ARRÊT
4 JUIN 2024 > MAN AND ro SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
! Sur l’exception tirée de l’utilisation de termes outrageants et
insultants
ii. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 11
B Sur les autres conditions de recevabilité 15
VII SUR LE FOND 17
A Violation alléguée du droit à une totale égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi et du droit à la non-discrimination 17
! Sur la violation alléguée commise par le ministère de la sécurité
intérieure 18
ii. Sur la violation alléguée commise par la Cour suprême 21
B Sur l’allégation de violation du droit d’accéder à la fonction publique 24
C Sur la violation alléguée du droit à la promotion à un grade supérieur 27
D Sur la violation alléguée du droit à l’éducation 30
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 32
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 32
DISPOSITIF 33 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Juge Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dennis D. ADJEI - Juges ; et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »)* le Juge Modibo Sako, Vice-
président de la Cour, de nationalité malienne, s’est récusé.
En l’affaire
AH AG, Z A B, Bs DIT A. AJ ET ABDOUL
Ci C
représentés par :
ii Maître Mariam DIAWARA, Avocat au Barreau du Mali ; et
ii. M. Felipe ZADI, Cabinet Miriam DIAWARA.
contre
REPUBLIQUE DU MALI
représentée par :
ii Maître Ousmane Mama Traoré, avocat au Barreau du Mali ; et
ii. Cabinet de Maître Traoré Hamdalaye,
Représentants légaux de la Direction Générale du Contentieux de l’État.
après en avoir délibéré,
rend le présent arrêt :
1 Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour de 2010.
I. LES PARTIES
1. Les sieurs AH AG, Z A B, Bs dit A. AJ et
Ai Ci C Xci-après dénommés « les Requérants ») sont des
ressortissants maliens, fonctionnaires de police de profession. Ils allèguent
la violation de leurs droits du fait du rejet de leurs candidatures à l’École
nationale de police (ci-après désignée « ENP »).
2. La Requête est dirigée contre la République du Mali (ci-après dénommé
« l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le 21 octobre
1986 et au Protocole le 20 juin 2000. L'État défendeur a également déposé,
le 19 février 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole (ci-
après désignée « la Déclaration »), par laquelle il accepte la compétence
de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des
organisations non gouvernementales dotées du statut d’observateur auprès
de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Les Requérants affirment qu’en application du décret n° 06-53/RM-P du 6
février 2006 fixant les dispositions particulières applicables aux différents
corps du cadre des fonctionnaires de la Police nationale (ci-après désigné
« décret du 6 février 2006 »), le ministre de la Sécurité intérieure et de la
Protection civile de l’État défendeur (ci-après « ministre de la Sécurité
intérieure ») a chargé le directeur général de la Police nationale de procéder
au recensement des fonctionnaires de la police hautement qualifiés à
intégrer dans le corps des inspecteurs et commissaires de police après leur
formation à l'ENP. Les qualifications requises à cet effet sont notamment le
diplôme de maîtrise, la licence, le diplôme universitaire d’études générales
et le diplôme universitaire en technologie.
4. Les Requérants affirment également qu’après avoir mené le processus de
recensement et de vérification, le directeur général de la police a transmis
une liste des fonctionnaires de police les plus qualifiés au ministre de la
Sécurité intérieure,? qui a pris un arrêté les nommant élèves commissaires
et élèves inspecteurs de police.
5. Les Requérants soutiennent, en outre, qu’ils n’ont pas été sélectionnés
alors qu’ils possédaient les qualifications requises. Ils déclarent que
certains de leurs collègues, dont les candidatures ont été rejetées, ont
intenté une action devant la Chambre administrative de la Cour suprême de
l’État défendeur qui, par plusieurs arrêts,* a fait droit aux demandes desdits
collègues, sur la base du principe de l'égalité devant la loi et de la non-
discrimination, ouvrant ainsi la voie à un règlement administratif par l’organe
de tutelle.
6. Le 16 juillet 2013, les Requérants ont saisi la Chambre administrative de la
Cour suprême d’une demande de reclassement à un grade supérieur en
fonction de leurs qualifications et leurs demandes ont été rejetées par l’arrêt
n° 258 du 05 mai 2016, au motif que les Requérants ne remplissaient pas
les conditions spécifiées à l’article 125 de la loi n° 10-034 du 12 juillet 2010,
(ci-après dénommée «la loi du 12 juillet 2010 ») portant statut des
fonctionnaires de la police nationale.
7. Les Requérants affirment que la Chambre administrative de la Cour
suprême s’est écartée de manière injustifiée de la jurisprudence et a été
suivie par l’administration, qui les a traités de manière discriminatoire et en
violation du principe d’égalité devant la loi.
2 Arrêté n° 0732/MSIPC-SG du 02 mai 2007, n° 0121/DGPN-DPFM du 01 mars 2007 et n° 010- 0055/MSIPC-SG du 19 janvier 2010.
3 Arrêt n° 40 du 07 mars 2013 de la chambre administrative de la Cour suprême ; Arrêt n° 55 du 25 mars 2010 de la chambre administrative de la Cour suprême ; Arrêt n° 093 du 17 avril 2014 de la chambre administrative de la Cour suprême et arrêt n° 420 du 04 août 2016 de la chambre administrative de la Cour suprême.
8. En outre, les Requérants soulignent que les articles 125* et 127° de la loi
du 12 juillet 2010, qui exige l’avis favorable du chef hiérarchique pour la
valorisation de leurs diplômes d’enseignement supérieur, sont
incompatibles avec les instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés
par l’État défendeur, en particulier les articles 1 et 2 de la Convention des
Nations Unies contre la discrimination dans le domaine de l’éducation, (ci-
après désignée « la Convention de l'UNESCO contre la discrimination dans
le domaine de l’enseignement »).
B. Violations alléguées
9. Les Requérants allèguent la violation par l’État défendeur des droits ci-
après:
i. Le droit à l’_égalité devant la loi et du droit à une égale protection de la
loi, sans aucune discrimination, protégés par l’article 3 de la Charte et à
l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-
après désigné « le PIDCP ») ;
ii. Le droit d’accéder aux fonctions publiques de leurs pays, protégé par
les articles 13(2) de la Charte et 25(c) du PIDCP ;
iii. Le droit à l’égalité des chances en matière d’avancement au grade
supérieur approprié, sans autre considération que l’ancienneté dans le
grade le plus récent et la compétence, tel que prévu aux articles 15 de
la Charte et 7(c) du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (ci-après désigné « PIDESC ») ; et
4 Article 125 : « Pour être promu dans une catégorie supérieure par la formation, un policier doit avoir terminé avec succès des études à un niveau correspondant à la catégorie à laquelle il est promu. Pour pouvoir suivre la formation visée au paragraphe précédent, l’agent de police doit avoir : servi au moins cinq (5) ans dans son corps ; a reçu une évaluation favorable de l’autorité hiérarchique, sur la base notamment de son évaluation de performance la plus récente et de la spécialité du corps auquel il envisage d’être promu ; être à au moins cinq (5) ans de la retraite à la fin de la formation. »
5 Article 127 : Pour obtenir une promotion, la formation continue doit être une discipline qui correspond à l’une des spécialisations de la Police ; en outre, elle doit être justifiée par les besoins et effectuée par les agents en service ou en détachement. La formation suivie doit permettre à l’officier, selon le diplôme obtenu, d'obtenir une promotion au grade supérieur suivant, ou à une catégorie supérieure qui correspond au diplôme obtenu. La promotion résultant de ladite formation, ne doit, en aucune manière, ouvrir la voie à l’accès à un grade supérieur dans le même corps. Pour bénéficier du droit à l'avancement à un grade supérieur, la durée de la formation ne doit pas être inférieure à deux (2) ans.
iv. Le droit à l’éducation protégé par les articles 17(1) de la Charte, 13(2)
du PIDESC, et 1 et 2 de la Convention de l'UNESCO contre la
discrimination dans le domaine de l’enseignement.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
10. La Requête introductive d'instance a été déposée le O7 août 2017 et
communiquée à l’État défendeur, le 19 décembre 2017.
11. Les Parties ont déposé leurs conclusions sur le fond et sur les réparations
dans les délais prescrits par la Cour.
12. Les débats ont été clôturés le 6 mars 2019 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Les Requérants demandent à la Cour de :
i. Dire et juger qu’elle est compétente pour connaître de la Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête est recevable ;
iii. Dire et juger que la République du Mali a violé le droit des Requérants
à l'égalité devant la loi et le droit à une égale protection de la loi, sans
aucune discrimination, concernant l’accès à la fonction publique,
protégés par les articles 25 et 26 du PIDCP et 3 de la Charte ;
iv. Dire et juger que la République du Mali a violé le droit des Requérants
à la promotion, prévu à l’article 7(c) du PIDESC ;
v. Dire et juger que la République du Mali a violé le droit des Requérants
à l’éducation, protégé par les articles 17(1) de la Charte, 13(2)
du PIDESC, et 1 et 2 de la Convention de l'UNESCO contre la
discrimination dans le domaine de l’enseignement.
vi. Ordonner à l’État du Mali de mettre fin aux violations de leurs droits, de
régulariser leur situation et de les reclasser, en application des dispositions du décret n°06-053/P-RM du 6 février 2006, en particulier
en son article 47 ;
vil. Condamner l’État du Mali au paiement des arriérés de solde depuis la
signature de leur arrêté de nomination en juillet 2008 jusqu’au prononcé
de la décision de la Cour, soit la somme de dix millions huit cent mille
(10.800.000) francs CFA pour chaque Requérant ;
viii. Condamner l’État du Mali à payer à chaque Requérant la somme de
cent millions (100.000.000) de francs CFA pour toutes les causes de
préjudices confondus ; et
ix. Mettre les dépens à la charge de l’État défendeur.
14. Les Requérants sollicitent, en outre, de la Cour qu’elle ordonne à l’État du
Mali de verser un montant de cent douze millions sept cent mille (112 700
000) francs CFA à chaque Requérant à titre de juste compensation des
dommages et les pertes de revenus. Ils demandent que le montant soit
réparti comme suit :
ii Douze millions sept cent mille (12.700.000) francs CFA au titre
des arriérés de salaire de juillet 2008 à décembre 2018, soit cent
vingt-sept (127) mois de salaire pour chaque Requérant, avec
une différence de traitement de cent mille (100.000) francs CFA
entre le salaire de commissaire de police et celui d’Inspecteur de
police ;
ii. Dix millions (10.000.000) de francs CFA au titre de frais de
procédure ;
ii. Cinq millions (5.000.000) de francs CFA au titre de la constitution
des pièces de procédure ;
iv. Trente-cinq millions (35.000.000) de francs CFA pour chaque
Requérant, au titre des préjudices subis ; et
v. Cinquante millions (50.000.000) de francs CFA au titre des
opportunités de carrière et de mission perdues.
15. L'État défendeur demande à la Cour de :
Déclarer la Requête irrecevable pour non-épuisement des recours
internes et du fait qu’elle contient des termes outrageants et insultants ;
i. Rejeter la Requête comme mal fondée ainsi que la demande de
réparation ; et
iii. Mettre les entiers dépens à la charge des Requérants.
V. SUR LA COMPÉTENCE
16. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
17. Aux termes de l’article 49(1) du Règlement ° « la Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence conformément à la Charte, au Protocole et
au [...] Règlement ».
18. Sur la base des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque requête,
à titre préliminaire, procéder à un examen préliminaire de sa compétence
et statuer, le cas échéant, sur les exceptions d’incompétence.
19. La Cour note que l’État défendeur n’a soulevé aucune exception relative à
sa compétence. Toutefois, conformément à l’article 49(1) du Règlement,
elle doit s'assurer que tous les aspects de sa compétence ont été remplis
avant de poursuivre l'examen la Requête.
20. La Cour estime qu’elle a la compétence matérielle, dans la mesure où les
Requérants allèguent la violation de leurs droits garantis par les articles 3(1)
et (2) de la Charte ; 26 du PIDCP et 13(2) du PIDESC, instruments auxquels
8 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour de 2010.
l’État défendeur est partie.”
21. La Cour considère également qu’elle a la compétence personnelle, dans la
mesure où l’État défendeur est partie à la Charte et au Protocole, et a fait
la Déclaration.
22. Sur la compétence temporelle, la Cour estime qu’elle est établie dès lors
que les violations alléguées ont été commises après que l’État défendeur
est devenu partie à la Charte et au Protocole.
23. La Cour considère, enfin, qu’elle a la compétence territoriale étant donné
que les faits et violations allégués se sont produits sur le territoire de l’État
défendeur.
24. Au regard de ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente pour
examiner la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
25. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la
recevabilité des requêtes, en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
26. En vertu de la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6(2), alinéa 2 du Protocole, et au [...]
27. La règle 50(2) du Règlement qui reprend, en substance, les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
7 L’État défendeur est devenu partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels le 16 juillet 1974.
8 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour de 2010.
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à
la Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et
la Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date où la Cour
a été saisie de l'affaire ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
28. En l’espèce, l’État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la
Requête. La Cour va se prononcer sur lesdites exceptions avant
d’examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
29. L'État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête. La
première est relative à l’utilisation de termes outrageants ou insultants et la
seconde est tirée du non-épuisement des recours internes.
i. Sur l’exception tirée de l’utilisation de termes outrageants et insultants
30. L'État défendeur soutient que les Requérants ont utilisé des termes outrageants et insultants dans leur Requête sans en apporter la preuve.
31. Les Requérants n’ont pas conclu sur cette exception.
32. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 56(3) de la Charte dont les
dispositions sont reprises par la règle 50(2) du Règlement, pour être
recevable, une requête ne doit « pas contenir des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État mis en cause, de ses institutions ou de l’Union
africaine ».
33. Pour déterminer si les termes d’une requête sont outrageants ou insultants,
la Cour doit être convaincue qu’ils ont intentionnellement porté atteinte à la
dignité, à la réputation ou à l’intégrité d’un fonctionnaire ou d’un organe
administratif ou judiciaire de l’État défendeur. Les termes utilisés doivent,
notamment viser à saper l'intégrité et le statut de l’institution et à la
34. La Cour observe, en outre, que « les personnalités publiques, notamment
celles qui occupent les plus hautes fonctions au niveau du pouvoir politique,
font légitimement l’objet de critiques ».!® Par conséquent, pour que les
termes utilisés à leur égard soient qualifiés d’outrageants ou d’insultants, ils
doivent porter atteinte à leur intégrité et à leur réputation.
9 Ac Bm Az c. Ax Bw (fond) (5 décembre 2014) 1 RICA 324, 88 69 à 71 ; Au et autres c. République du Rwanda (fond et réparations) (2019) 3 RICA 680, 8 53.
19 Bg Cj et 74 autres c. Mali (fond et réparations) (25 Septembre 2020) 4 RICA 647, 8 29 ; Comité des droits de l'homme des Nations Unies (CDH), Observation générale n° 34, article 19, Libertés d'opinion et d'expression, 12 septembre 2011, CCPR/C/ GC/34 et Aa Ap de Cc c. Angola, Communication n° 1128/2002, U.N. Doc. CCPR/C/83/D/1128/2002 (2005).
35. En l’espèce, l’État défendeur ne précise pas de quelle manière les termes
utilisés par les Requérants sont insultants ou outrageants ou encore, ils ont
offensé le ministre de la Sécurité intérieure. De plus, il ne précise pas les
termes et expressions utilisés par les Requérants dans le but de manipuler
l’opinion publique ou ternir l’image de toute autre personnalité publique et
de porter atteinte à l'intégrité et à la fonction du ministre de la sécurité
intérieure.
36. La Cour note que les termes utilisés par les Requérants exposent les faits
et ne traduisent aucune animosité personnelle, ni à l’égard du ministre de
la sécurité intérieure, ni envers les autorités administratives ou judiciaires
de l’État défendeur.
37. En conséquence, la Cour constate que Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant au sens de l’article 56(3) de la Charte et de la règle
50(2)(c) du Règlement.
38. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité tirée de
l’utilisation de termes outrageants ou insultants et considère que la Requête
satisfait à la condition posée à l’article 56(3) de la Charte.
ii. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
39. L'État défendeur soutient que l’épuisement des recours internes est une
exigence importante prévue par l’article 56 de la Charte et de l’article 50 du
40. Selon l’État défendeur, la règle de l'épuisement des recours internes a pour
objectif de limiter la saisine arbitraire et injustifiée de la Cour de céans et
d’éviter une surcharge de son rôle.
11 Règle 50(2) du Règlement intérieur de la Cour de 2020.
41. L'État défendeur fait valoir que les Requérants n'ont pas épuisé les recours
internes disponibles, étant donné qu’ils n’ont pas interjeté appel de l'arrêt
n° 258 du 5 mai 2016 rendu par la Chambre administrative de la Cour
suprême du Mali.
42. || argue qu’il est donc nécessaire que la Cour déclare la Requête irrecevable
car elle n’est pas compatible avec le Règlement et l’article 56 de la Charte.
43. En réplique, les Requérants font valoir que la Cour ne doit être saisie
qu’après l'épuisement de tous recours internes, ce qui signifie qu’une
requête dirigée contre un État ne peut être déposée devant la Cour que si
les juridictions nationales de cet État ont eu la possibilité d’examiner les
violations alléguées.
44. Les Requérants indiquent également que l’article 256 de la loi organique n°
2016-046 du 23 septembre 2016, qui fixe les règles d’organisation et de
fonctionnement de la Cour suprême du Mali (ci-après désignée « la loi
organique sur la Cour suprême ») prévoit la possibilité d’interjeter appel
dans des cas limités, par exemple, lorsqu'il y a une erreur dans l’application
de la loi ou une interprétation erronée de celle-ci.
45. La Cour note que, selon l’État défendeur, les Requérants n’ont pas épuisé
les recours internes dans la mesure où ils n’ont pas interjeté appel de l'arrêt
n° 258 du 5 mai 2016 rendu par la Chambre administrative de la Cour
suprême.
46. La Cour rappelle que toute requête dont elle est saisie doit, notamment,
satisfaire à l’exigence de l’épuisement préalable des recours internes,!? à
12 Ac Bm Az c. Ax Bw (fond) (5 Décembre 2014) 1 RICA 324, 8 77.
moins que les recours ne soient indisponibles, inefficaces ou insuffisants ou
si la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale. Dans sa
jurisprudence, la Cour a considéré que les recours à épuiser sont des
recours judiciaires ordinaires.!‘“En conséquence, les recours internes sont
épuisés lorsque les Requérants ont saisi la plus haute juridiction
compétente de l’État défendeur!“
47. À cet égard, la Cour relève que dans le système judiciaire de l’État
défendeur, conformément à l’article 256 la loi organique relative à la Cour
suprême ,"® le recours en révision n’est ouvert que dans des cas spécifiques,
à savoir, l'erreur dans application de la loi ou l’interprétation erronée de
celle-ci.
48. La Cour observe que les Requérants affirment qu’il leur était impossible
d’épuiser les recours internes en ce qui concerne les deux griefs soulevés,
à savoir le refus de l’administration de les inscrire dans la liste des élèves
commissaires et l’incompatibilité des articles 125 et 127 de la loi du 12 juillet
2010 avec les obligations internationales de l’État défendeur.
49. La Cour note, en outre, qu’avant de la saisir, les Requérants ont suivi la
procédure devant la Chambre administrative de la Cour suprême qui a
rendu l’arrêt n° 258 du 05 mai 2016 rejetant leur demande de régularisation
en qualité d'élève commissaire de police.
13 Am Bc Aq & 9 autres c. République Unie de Tanzanie (fond) (18 Mars 2016), 1 RICA 526, 8 88.
14 Be As Af c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 029/2016, Arrêt du 4 décembre 2023 (fond et réparations), 88 40-44 ; Bp Ag Aj c. République- Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 014/2016, Arrêt du 2 décembre 2021 (fond et réparations), 8 45 ; Bp Bz c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 8 76.
15 Loi n° 2016-046 du 23 septembre 2016, article 256 : « Lorsqu'un arrêt de la Section administrative est entaché d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, la partie intéressée peut introduire devant la Section, un recours en rectification ».
50. La Cour observe, par ailleurs, que les articles 110!° et 1117 de la loi
organique relative à la Cour suprême prévoient que la Chambre
administrative de la Cour suprême rend une décision finale et sans appel.
Il s’ensuit que les Requérants ont épuisé les recours internes concernant
leur demande relative au refus de l’administration de les inscrire sur la liste
des élèves commissaires de police.
51. Sur l’incompatibilité des articles 125 et 127 de la loi du 12 juillet 2010 avec
les instruments relatifs aux droits de l’homme, la Cour note qu’aux termes
de l’article 858 de la Constitution de l’État défendeur, le seul recours
possible consiste à contester constitutionnalité de la loi, en particulier sa
compatibilité avec les droits fondamentaux de l’homme.
52. La Cour note qu’en vertu de l’article 45 de ladite Loi n°97-010 du 11 février
1997 portant loi organique déterminant les règles d’organisation et de
fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie
devant elle,!° les Requérants n’ont pas la qualité pour intenter une action
devant la Cour constitutionnelle pour contester la conformité des lois
internes avec les obligations internationales. De plus, aucun élément du
dossier n’indique que les Requérants disposaient d’un recours judiciaire
qu’ils pouvaient exercer dans le système juridique de l’État défendeur.
16 Ibid., Article 110 : « La chambre administrative est le juge suprême de toutes les décisions rendues par les juridictions administratives inférieures ainsi que des décisions rendues en dernier ressort par les organismes administratifs à caractère juridictionnel ».
17 Ibid., article 111 : « La chambre administrative est compétente pour connaître, en premier et dernier ressorts des recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décrets, arrêtés ministériels ou interministériels et les actes des autorités administratives nationales ou indépendantes. »
18 L’article 85 de la Constitution de l’État défendeur dispose : « La Cour constitutionnelle est le juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ».
19 Ibid, article 45 : « Les lois organiques adoptées par l’Assemblée nationale doivent être transmises à la Cour constitutionnelle par le Premier ministre avant leur promulgation. La lettre de transmission doit indiquer, le cas échéant, qu’il y a urgence. Les autres catégories de lois, avant leur promulgation, peuvent être transmises à la Cour constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par le Premier Ministre, soit par le Président de l’Assemblée nationale ou un dixième des députés, soit par le Président du Haut Conseil des Collectivités ou un dixième des Conseillers nationaux, soit par le Président de la Cour suprême.
53. Sur la base de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y avait pas de
recours disponibles pour les Requérants en ce qui concerne la compatibilité
des articles 125 et 127 de la loi du 12 juillet 2012 avec les instruments
relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l’État défendeur.
54. En conséquence, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État défendeur
et considère que les Requérants ont épuisé les recours internes.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
55. La Cour note que la conformité de la présente Requête aux conditions
énoncées aux alinéas (a), (b), (d), (f) et (g) de l’article 50(2) du Règlement
ne fait pas l’objet de contestation par les Parties. Toutefois, la Cour se doit
d'examiner si ces conditions sont remplies.
56. À cet égard, la Cour note, conformément à la règle 50(2) (a) du Règlement,
que les Requérants ont clairement indiqué leur identité.
57. La Cour constate, en outre, que les allégations des Requérants visent à
protéger leurs droits garantis par la Charte. L’un des objectifs de l’acte
constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article (3)(h), est la
promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples. En outre,
aucun élément du dossier n’indique que la Requête est incompatible avec
une disposition quelconque de l’Acte constitutif de l’Union africaine. En
conséquence, la Cour estime que la Requête est conforme à l’Acte
constitutif de l’Union africaine et à la Charte et qu’elle satisfait donc aux
exigences de la règle 50(2)(b) du Règlement.
58. La Cour estime en outre que la Requête satisfait aux exigences de l’article
50(2) (d) du Règlement, étant donné qu’elle ne se fonde pas exclusivement
sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse,
mais se rapporte aux dispositions législatives et réglementaires de l’État
défendeur.
59. Sur l’exigence énoncée à la règle 50(2)(f) du Règlement, selon laquelle une
requête doit être déposée dans un délai raisonnable, la Cour note qu’elle a
adopté une approche au cas par cas pour évaluer délai la caractère
raisonnable du délai dans lequel elle est saisie.’ La Cour a jugé, à cet effet,
que le temps nécessaire aux Requérants pour tenter d’épuiser les recours
devant les juridictions nationales devait être pris en compte pour déterminer
le délai raisonnable?!
60. La Cour estime qu’entre le 05 mai 2016, date de l’arrêt n° 258 de la
Chambre administrative de la Cour suprême, et le 7 août 2017, date
d'introduction de la présente Requête, une période d’un (1) an, deux (2)
mois et sept (7) jours s’est écoulée. Conformément à sa jurisprudence, la
Cour”? considère que cette période constitue un délai raisonnable.
61. Par ailleurs, s'agissant de l’allégation relative à l’incompatibilité des articles
125 et 127 de la loi du 12 juillet 2010 avec les instruments des droits de
l’homme invoqués par les Requérants, la Cour a conclu qu’il n’existait pas
de recours à épuiser, de sorte que la question du délai raisonnable ne se
pose pas.?° La Cour a également considéré que les violations alléguées à
cet égard sont des violations de nature continue et qui donc se poursuivent,
étant donné qu’elles sont le résultat d’une loi publiée le 12 juillet 2010 qui
est toujours en vigueur. En conséquence, les Requérants pouvaient saisir
la Cour à tout moment, tant qu’aucune mesure n’a été prise pour remédier
aux violations alléguées.?*
20 Bv Br et autres c. Ax Bw (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 8 121 ; Ad Cf c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 465, 8 73.
21 Aw Bh c. République Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 56 ; Bi Cd et Bf Bi c. République Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 61.
22 Bg Cj et 74 autres c. Mali (fond et réparations) (25 septembre 2020) 4 RICA 647, 8 53, Ar Bj Bo c. Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 56.
23 Ah By c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (15 juillet 2020) 4 RICA 466, 8 50 ; Bt Ak c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 011/2019, Arrêt du 30 septembre 2021 (compétence et recevabilité), 8 42.
24 By c. Tanzanie, ibid, 8 53.
62. Enfin, la Cour note que, conformément à la règle 50(2) (g) du Règlement,
la présente Requête ne porte pas sur une question précédemment réglée
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte
constitutif de l’Union africaine ou les dispositions de la Charte.
63. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la Requête remplit
toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte et
reprises à la règle 50(2) du Règlement. Elle la déclare recevable en
conséquence.
64. Les Requérants allèguent la violation du droit à une totale l’égalité devant
la loi et à l’égale protection devant la loi, et à la non-discrimination par la
Cour suprême et le ministère de la Sécurité intérieure (A) ; la violation du
droit d’accéder à la fonction publique de leur pays (B) ; la violation du droit
d’être promu à un grade supérieur (C) ; et la violation du droit à l'éducation
(D).
A. Violation alléguée du droit à une totale égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi et du droit à la non-discrimination
65. Les Requérants allèguent que l’État défendeur, par l'intermédiaire du
ministère de la Sécurité intérieure et de la Chambre administrative de la
Cour suprême, a violé leurs droits à une totale égalité devant la loi et à une
égale protection de la loi.
66. La Cour note que malgré les allégations de violation de l’article 3 de la
Charte, la Requête fait uniquement référence à la violation du droit des
Requérants à une totale égalité devant la loi, droit que le ministre de la
Sécurité intérieure et la Cour suprême auraient dû garantir, conformément
à l’article 3(1) de la Charte. La Cour va par conséquent examiner l’allégation
à cet égard.
ii Sur la violation alléguée commise par le ministère de la sécurité
intérieure
67. Les Requérants affirment que le ministre de la sécurité intérieure de l’État
défendeur a violé le principe d'égalité, en appliquant de manière
discriminatoire les critères de promotion des fonctionnaires de police,
prévus par le décret n° 06/053 du 6 février 2006 et à l’article 125 de la loi
du 12 juillet 2010.
68. Ils affirment également que les autorités de l’école de police ont promu au
rang d’élèves commissaires : Bk Bu, Ba Ao Al, Pe
Dako, Ce Ae, Ay Ao Bx et Bm Bu, bien qu’ils
aient obtenu leurs diplômes après le décret du 6 février 2006.
69. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur affirme que l'article 47 du
décret du 6 février 2006 stipule:
Les Inspecteurs de police et les sous-officiers de police titulaires de la
maîtrise à la date d’entrée en vigueur du présent décret sont autorisés à
entrer à l’École nationale de police par vagues successives, suivant leur
ancienneté dans le grade et dans le service.
70. L'État défendeur soutient que l’article 47 ne laisse aucune place à
l’ambiguïté. Les inspecteurs de police et sous-officiers concernés sont ceux
qui remplissaient les conditions requises et qui avaient obtenu leur diplôme
avant le 31 juillet 2008 et justifié de quinze (15) années d’expérience au
moment de l’entrée en vigueur du décret susvisé.
71. L'État défendeur soutient qu’aucun des Requérants n'avait les qualifications
requises à la date d’entrée en vigueur du décret susmentionnée pour faire
partie du groupe admis à l’École nationale de police pour y subir la formation
de commissaires de police, puisqu'ils avaient tous obtenu leurs diplômes après la promulgation dudit décret. …
72. La Cour note que l’article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune
73. L'article 3 de la Charte dispose en outre :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
74. L'article 26 du PIDCP dispose :
Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans
discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire
toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale
et efficace contre toute discrimination, notamment de notamment de race,
de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute
autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de
toute autre situation.
75. La Cour note qu’il existe une corrélation entre l’égalité devant la loi et le
droit de jouir des droits consacrés par la Charte sans discrimination,
puisque toute la structure juridique de l’ordre public national et international
repose sur ce principe de corrélation qui transcende toute norme.
25 Voir Ch Bb Justice Ab c. Côte d’Ivoire, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 février 2015, Communication 318/06 ; Avis juridique OC-18 du 17 septembre 2003, Cour interaméricaine des droits de l’homme ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Bq, supra, 8 138 ; An Ca c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 044/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), 8 103.
76. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « la partie qui prétend être
victime d'un traitement discriminatoire doit en apporter la preuve. La Cour
réitère également que les déclarations publiques selon lesquelles le droit a
été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves supplémentaires sont
77. La Cour note, en l’espèce, que les Requérants reprochent à l’État défendeur
de ne les avoir pas inclus dans la liste des élèves commissaires autorisés
à suivre une formation par le décret du 6 février 2006, alors que certains de
leurs collègues, qui étaient dans la même situation qu’eux, ont été inscrits
dans la liste.
78. La Cour observe que l’article 47 du décret du 6 février 2006 fixe les
conditions relatives à la date d’obtention du diplôme et à l’ancienneté, afin
de pouvoir prétendre à une formation de commissaires et d’inspecteurs de
79. La Cour relève, en outre, qu’il ressort des pièces produites par les
Requérants qu’ils ont tous obtenu leurs diplômes après la date du décret
susmentionné, élément qu’ils ne contestent pas.
80. La Cour note que l’État défendeur a appliqué les critères énoncés dans le
décret du 6 février 2006, qui est un acte public et impersonnel, en tenant
compte de la situation des Requérants à la date du décret. Par ailleurs, rien
ne démontre que cette disposition contienne d’une quelconque manière que
ce soit des principes d’inégalité à l’égard des Requérants, qui n’ont fourni
aucune preuve qu’ils ont subi un traitement injustifié et discriminatoire.
81. La Cour observe, en outre, que l’allégation des Requérants selon laquelle
les sieurs Bk Bu, Ba Ao Al, Pe At, Ce
AI Bp Bz c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 8 153.
27 Ad Cf c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 140.
28 Article 47 « Les inspecteurs de police et sous-officiers titulaires de la maîtrise à la date d'entrée du présent décret sont autorisés à entrer à l’Académie nationale de police par lots successifs selon l'ancienneté de grade et l'ancienneté de service afin de suivre une formation de commissaires de police.
Ae, Ay Ao Bx et Bm Bu, bien qu’étant dans la même
situation, ont été admis comme élèves commissaires de police, n’est étayée
par aucun élément de preuve.
82. Le Cour note que les Requérants n’ont produit aucun élément de preuve
établissant qu’ils n’ont pas été autorisés à entrer à l’école nationale de
police pour y suivre une formation de commissaires de police en raison de
leur race, de leur couleur, de leur sexe, de leur langue, de leur religion, de
leurs opinions politiques ou toute autre opinion, de leur origine nationale ou
sociale, de leur fortune ou de leur naissance, ou toute autre situation.
83. En conséquence, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé les droits
des Requérants à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination garantis
aux articles 2 et 3 de la Charte lus conjointement avec l’article 26 du PIDCP
concernant les mesures prises par le ministère de la Sécurité intérieure.
ii. Sur la violation alléguée commise par la Cour suprême
84. Les Requérants allèguent que la Chambre administrative de la Cour
suprême, en s’écartant de la jurisprudence, a violé de manière injustifiée le
principe de l’égalité devant la loi.
85. Ils font valoir que la Cour suprême a rejeté leur recours, tout en faisant droit
à celui de leurs collègues aux fins d’admission à l’école de police, alors
qu’ils se trouvaient dans une situation similaire en ce qui concerne la date
d'obtention du diplôme, l'ancienneté et le grade.”
86. Les Requérants soutiennent, ainsi, que la décision de la Cour suprême
constitue une violation de leur droit à l’égalité avec leurs collègues
fonctionnaires de la police, protégé par l’article 3 de la Charte.
29 Cour suprême du Mali, Arrêt n° 55 du 25 mars 2010 ; Arrêt n° 362 de novembre 2013 Arrêt No. 93 du 17 avril 2014.
87. En réponse, L'État défendeur affirme que le revirement jurisprudentiel de la
Cour suprême est justifié par le fait qu’elle s'était rendu compte qu’elle avait
mal interprété la législation régissant la formation des fonctionnaires de la
police.
88. Il soutient que ce revirement jurisprudentiel s’est produit bien avant que les
Requérants ne fassent appel, en particulier par l'arrêt n° 186 du 7 avril 2016
dans lequel la Cour suprême a rejeté la demande de régularisation des
Requérants, déclarant pour la première fois que« c’est un principe général
de la fonction publique qu’un fonctionnaire ne peut pas bénéficier d’un droit
acquis illégalement par une autre personne et que la personne qui prétend
avoir un droit est tenue de le prouver ».
89. L'État défendeur affirme que les Requérants veulent induire la Cour de
céans en erreur en affirmant que tous les autres fonctionnaires de la police
ont bénéficié des privilèges, comme si l’ilégalité constituait une source de
droits acquis.
90. La Cour rappelle que le droit à l’égalité devant la loi signifie que « toutes les
personnes sont égales devant les cours et tribunaux ».° En d’autres
termes, les autorités responsables de l’application ou de l’exécution de la
loi doivent le faire sans discrimination.
91. La Cour souligne que le principe de l’égalité devant la loi ne signifie pas que
les institutions judiciaires doivent nécessairement traiter tous les cas de la
même manière, puisque le traitement de chaque affaire peut dépendre de
ses circonstances spécifiques.*!
92. La Cour fait sienne la position de la Cour européenne des droits de l’homme
selon laquelle « le développement de la jurisprudence n’est pas, en soi,
incompatible avec la bonne administration de la justice, car affirmer le
31 Bv Br et autres c. Ax Bw (fond) (28 mars 2014) 1 RICA 226, 8 106.
contraire reviendrait à ne pas maintenir une approche dynamique et
évolutive, ce qui entraverait toute réforme ou amélioration ».3?
93. La Cour estime, en général, que le terme « recours en » désigne un
changement d'opinion ou de comportement. Dans un type particulier de fait
ou de relation juridique en litige, cela s'applique à tout changement dans
l'interprétation de la loi par la Cour.
94. La Cour note, en l'espèce, que bien que les arrêts de la Cour suprême cités
par les Requérants aient été en faveur de la régularisation de la situation
de leurs collègues qui, à leur avis, se trouvaient dans la même situation
qu’eux, ils ne contestent pas le fait que, par son arrêt n° 186 du 7 avril 2016,
la Cour suprême a procédé à un revirement jurisprudentiel.
95. La Cour de céans observe que dans son arrêt, la Cour suprême a constaté
que « ces Requérants avaient obtenu leurs diplômes après le 31 juillet
2008, et n’ont produit aucun élément de preuve qu’ils avaient été autorisés
par leurs supérieurs directs à suivre la formation, conformément à l’article
125 de la loi du 12 juillet 2010 sur le statut des fonctionnaires de la police ».
96. Le Cour note, en outre, que les Requérants ne réfutent pas le fait qu’ils ont
obtenu leurs diplômes postérieurement à la date du décret du 06 février
2006, et qu’ils n’ont pas, non plus, obtenu l’autorisation préalable de leurs
supérieurs hiérarchiques. Sur la base de cet argument, la Cour suprême,
dans son arrêt n°186 du 7 avril 2006, a rejeté la demande de régularisation
des Requérants après l’avoir examinée.
97. Au vu de ce qui précède, la Cour de céans estime qu’étant donné que la
Cour suprême a fait une interprétation différente de la loi applicable, sans
autre considération, et qu’elle en a expliqué le bien fondé. Elle a la
prérogative de développer sa jurisprudence. Ainsi, la Cour considère que
32 Cb AK Bd, Requête n° 17056/06, Arrêt du 15 octobre 2009, 8 51. Voir également, Bg Cj et 74 autres c. Mali (fond et réparations) (2020) 4 RICA 647, 8 73 ; Av Cg et autres c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 007/2019, Arrêt du 23 juin 2022 (fond), 8 72.
les Requérants n’ont pas été traités injustement ou ont fait l’objet de
discrimination au cours de la procédure devant la Cour suprême.
98. En conséquence, la Cour rejette l’allégation selon laquelle l’État défendeur,
du fait de la décision de sa Cour suprême, a violé les droits des Requérants
à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination consacrés aux articles 2 et
3 de la Charte lus conjointement avec l’article 26 du PIDCP.
B. Sur l’allégation de violation du droit d’accéder à la fonction publique
99. Les Requérants affirment que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010 restreint
le droit d’exercer des fonctions publiques garanti par l’article 25(c) du
PIDCP quant à l’obligation d’obtenir l’autorisation préalable des supérieurs
hiérarchiques.
100. L'État défendeur rappelle que la loi du 12 juillet 2010 portant statut des
fonctionnaires de la police ne contient aucune disposition contraire aux
normes juridiques nationales ou internationales, mais que ce sont les
Requérants qui souhaitent que l’administration l’applique de manière
inappropriée.
101. L'État défendeur précise également que, parmi les quatre Requérants, le
dénommé AH AG, candidat au concours professionnel, a été
reçu comme élève commissaire de police à l’ENP le 16 janvier 2018, en
application de l’arrêté® 2017-3261/MSPC-SG du 2 octobre 2017, et cela
montre à suffisance que l’État défendeur respecte toujours le principe
d'accorder la possibilité à tous les citoyens qui remplissent les conditions
préalables spécifiées par la loi en vigueur pour accéder à la fonction
publique.
102. La Cour rappelle que l’article 13(2) de la Charte qui stipule : « [tous les
citoyens ont également le droit d'accéder aux fonctions publiques de leurs pays ».
103. La Cour rappelle en outre que l’article 25(c) du PIDCP, qui dispose :
Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations
visées à l’article 2 et sans restriction déraisonnables. c) D’accéder, dans
des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.
104. La Cour rappelle que l’article 2(1) du PIDCP dispose :
Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à
tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur
compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale,
de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
105. La Cour note que pour garantir l’accès à la fonction publique dans des
conditions générales d'égalité, les critères et procédures de nomination, de
promotion, de suspension et de révocation doivent être objectifs et
raisonnables.
106. La Cour considère également qu’il est important de garantir la non-
discrimination à l’encontre de ces personnes dans l’exercice de leurs droits
conformément à l’article 25(c) du PIDCP, pour l’un des motifs visés en son
article 2.
107. La Cour constate également, en l’espèce, que l’article 125 de la loi du 12
juillet 2010 ne contient aucun motif de discrimination au sens de l’article 2
du PIDCP.
108. Il appartient toutefois à la Cour d’apprécier si l’obligation d’obtenir
l’autorisation préalable de ses supérieurs hiérarchiques pour entreprendre
des études en vue d’une promotion constitue une restriction déraisonnable au sens de l’article 25(c) du PIDCP.
109. À cet égard, la Cour note que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010 prévoit
qu’un fonctionnaire de la police qui obtient un diplôme de formation après
l’obtention d’un diplôme d'enseignement supérieur est inscrit dans la
catégorie supérieure après sa formation à l’école de police.
110. La Cour note que le « mécanisme » prévu par l’article 125 de ladite loi
n'empêche pas l’administration de s'assurer que le fonctionnaire de la
police possède les compétences requises pour s'acquitter des tâches qui
lui sont confiées à l’issue de sa formation.
111. La Cour estime que, compte tenu du critère de compétence, qui est une
exigence générale à remplir dans les fonctions publiques et privées, il est
raisonnable que le supérieur hiérarchique donne son avis. De plus, cet avis
n’est pas discrétionnaire car il repose sur une appréciation objective, basée
sur l’évaluation du fonctionnaire et les notes obtenues. Le rapport
d’évaluation des fonctionnaires susvisés est également transmis par leur
supérieur hiérarchique au ministre de la Sécurité intérieure pour vérifier les
dispositions pertinentes.°® De plus, un fonctionnaire qui s’estime lésé par
l'évaluation peut faire appel de celle-ci.*“
112. La Cour note que l’exigence d’une autorisation préalable pour accéder à
l’École nationale de police afin d'obtenir une formation d’élève commissaire
ou d’élève inspecteur, permettant ainsi la promotion à un poste supérieur,
ne constitue pas une restriction déraisonnable.
113. La Cour considère en conséquence que l’État défendeur n’a pas violé le
droit des Requérants à l’égalité d’accès aux fonctions publiques garanti par
l’article 13(2) de la Charte lu conjointement avec l’article 25(c) du PIDCP.
33 La Loi du 12 juillet 2010, article 109 : « Les notations sont, avant notification aux agents de la Police Nationale concernés, soumises à une pondération au Ministre chargé de la Sécurité … la pondération consiste à vérifier le respect des dispositions de l’article 108. »
34 Ibid, article 34 : « Lorsqu'un agent de la Police Nationale estime que ses droits ont été violés, il dispose des voies de recours administratives et judiciaires. » C. Sur la violation alléguée du droit à la promotion à un grade supérieur
114. Les Requérants allèguent qu’il y a eu une inégalité de traitement entre eux
et certains de leurs collègues fonctionnaires de la police qui avaient la
même ancienneté et les mêmes qualifications. Ils soutiennent à cet égard
que la situation desdits collègues a été régularisée par les arrêts de la Cour
suprême annulant la promotion des Requérants à un grade supérieur. En
conséquence, les Requérants soutiennent que l’État défendeur a violé
l’article 15 de la Charte et l’article 7(c) du PIDESC.
115. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur affirme que le décret du 6
février 2006 a défini les dispositions particulières applicables aux différents
cadres des fonctionnaires de la police nationale, notamment les inspecteurs
et les commissaires.
116. L'État défendeur fait valoir, en outre, que les articles 14 et 15 du décret
précité prévoient que le recrutement dans le corps des officiers de police et
des inspecteurs de police peut s'effectuer par la formation des policiers
habilités à suivre une formation leur permettant de changer de catégorie.
Par ailleurs, les fonctionnaires du corps des inspecteurs de police et du
corps des officiers de police ayant terminé avec succès des études d’un
niveau correspondant au diplôme de maîtrise sont intégrés dans le corps
des commissaires de police.
117. Le même texte règlemente également le cadre de formation, en raison de
la spécificité du corps de police.
118. L'État défendeur argue, en outre, que le fonctionnaire de la police doit être
autorisé à entreprendre la formation. Pour obtenir cette autorisation,
l'inspecteur de police ou le sous-officier de police doit compter au moins
cinq ans d'ancienneté dans son grade, dont trois à sa titularisation, obtenir
l’approbation de l’autorité hiérarchique motivée par la dernière notation et par la spécialité à laquelle il envisage d’accéder, et être, au moins, à cinq
ans de la retraite à la fin de la formation.
119. L'État défendeur affirme que contrairement aux allégations des Requérants,
le droit d’être promu à une catégorie supérieure, garanti par le PIDESC,
figure dans la législation interne du Mali.
120. Il fait valoir que la formation et la promotion en cours de carrière sont des
droits prévus par la législation et reconnus à tout fonctionnaire de la police.
Ces droits s'inscrivent dans le cadre des dispositions réglementaires
prévues par la loi n°039 du 12 juillet 2010 portant statut des fonctionnaires
de la police nationale, notamment en son article 125 fixant les conditions
d'avancement en grade et l’article 127 fixant les conditions de valorisation
de la formation en cours de carrière en ce qui concerne, entre autres, les
critères d’ancienneté dans le corps, l’avis favorable de l’autorité
hiérarchique, l’autorisation préalable pour suivre la formation.
121. Il soutient qu’aucun des Requérants ne remplissait les critères requis par
ces dispositions légales.
122. La Cour rappelle que l’article 15 de la Charte dispose « [t]oute personne a
le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de
percevoir un salaire égal pour un travail égal ».
123. La Cour relève que même si l’article 15 de la Charte susmentionné ne
prévoit pas expressément le droit à la promotion à une catégorie supérieure,
il peut néanmoins être interprété à la lumière de l’article 7(c) du PIDESC qui
dispose:
Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’à toute
personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent
notamment : La même possibilité pour tous d’être promus, dans leur travail,
à la catégorie supérieure appropriée, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes.
124. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a également
déclaré que :
Tous les travailleurs ont droit aux mêmes possibilités de promotion par des
procédures équitables, fondées sur le mérite et transparentes, qui
respectent les droits de l’homme. Les critères d'ancienneté et de
compétence devraient comporter une évaluation de la situation personnelle
ainsi que des rôles et des expériences différents des hommes et des
femmes, afin de garantir à tous l’égalité des chances en matière de
125. La Cour observe, en l'espèce, en référence au contenu des articles 125°6
et 127°7 de la loi n°10-034 du 12 juillet 2010 portant statut des fonctionnaires
de la police nationale du Mali, que les critères de promotion du fonctionnaire
de la police de l’État défendeur sont l’ancienneté et la compétence,
conformément à l’article 7 du PIDESC.
126. La Cour constate que les Requérants, à la date du décret du 06 février 2006,
ne satisfaisaient pas à ces critères pour être admis à la formation de
commissaires de police dans la mesure où ils ont obtenu leur maitrise après
la date de prise d'effet de ce décret.
35 Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Bl Bn XY), Observation générale n° 23 (2016) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables (article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), 7 avril 2016, 8 31.
36 Article 125 : L’avancement de catégorie par voie de formation requiert que le fonctionnaire de la Police nationale ait terminé avec succès des études d’un niveau correspondant à la catégorie d’accession. Pour être admis à entreprendre la formation visée à l'alinéa précédent, le fonctionnaire de police doit : Avoir fait l’objet d’un avis favorable de l’autorité hiérarchique, motivé notamment par sa dernière notation et par la spécialité du corps auquel il envisage d'accéder.
37 Article 127 : Pour pouvoir être valorisée, la formation en cours de carrière doit avoir été effectuée dans une discipline correspondant à l’une des spécialités de la Police ; elle doit, en outre, être justifiée par un besoin de service et avoir été effectuée en position d'activité ou de détachement. La formation prise en considération permet à l'agent, selon l’équivalence du diplôme obtenu, soit un avancement d’un (1) échelon, soit une intégration dans la catégorie supérieure correspondant au diplôme obtenu. La valorisation de la formation ne peut en aucun cas donner accès, dans le même corps, à un grade supérieur. Pour donner droit à un avancement d’échelon, la durée de la formation ne peut être inférieure à deux (2) ans.
127. La Cour note également que les Requérants ne remplissaient pas la
condition d’ancienneté énoncée par les articles susvisés.
128. Elle rejette en conséquence les allégations des Requérants et considère
que l’État défendeur n’a pas violé leurs droits garantis aux articles 15 de la
Charte et 7(c) du PIDESC concernant la promotion à une catégorie
supérieure.
D. Sur la violation alléguée du droit à l’éducation
129. Les Requérants soutiennent que le droit à l’éducation consacré aux articles
17(1) de la Charte, 13(2)(c) du PIDESC et 1 et 2 de la Convention de
l'UNESCO contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement est
un droit inconditionnel de toute personne qui aspire à acquérir des
connaissances.
130. Ils soutiennent également que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010 viole
le droit à l’éducation car il exige l’autorisation préalable du supérieur
hiérarchique avant l’admission à l’école nationale de police pour être promu
à une catégorie supérieure dans les corps de la police nationale, faute de
quoi l’administration ne reconnaîtra pas le diplôme obtenu.
131. L’État défendeur indique dans sa réponse que la loi du 12 juillet 2010 ne
précisait les règles applicables aux fonctionnaires de la police en activité
qui souhaitent poursuivre leurs études aux fins de reclassement.
132. Il fait en outre valoir qu’il appartient à l’État défendeur de déterminer
comment la formation sera dispensée en clarifiant les exigences, sans que
cela soit incompatible avec ses obligations internationales. Il soutient, en
conséquence, que la Cour doit rejeter les demandes des Requérants.
133. La Cour fait observer que le droit dont se prévalent les Requérants n’est
pas garanti par l’article 17(1) de la Charte qui dispose : « toute personne a
droit à l'éducation » mais par l’article 13(2) (c) du PIDESC aux termes
duquel « L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous, en
pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens
appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité ».
134. La Cour note que l’accès à l’enseignement supérieur tel que garanti par
l’article 13(2) (c) du PIDESC ne doit pas être non discriminatoire, mais doit
plutôt être fondée sur les capacités individuelles de chaque citoyen.
135. La Cour note en outre que, si les Requérants allèguent la violation des
articles 1 et 2 de la Convention de l'UNESCO contre la discrimination dans
le domaine de l’enseignement, leur grief se rapporte à l’article premier de
ladite convention qui dispose :
Aux fins de la présente Convention, le terme "discrimination" comprend toute
distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre
opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la
naissance, a pour objet de détruire ou d’altérer l’égalité de traitement en
matière d’enseignement et, notamment :
(a) D’écarter une personne ou un groupe de l’accès aux divers types
ou degrés d'enseignement ;
(b) De limiter à un niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un
groupe.
136. À la lumière des dispositions suscitées, la Cour constate que l’exigence
d’une autorisation préalable pour reconnaître le diplôme obtenu ne
constitue pas un critère de discrimination au sens de l’article 1er de la
Convention de l'UNESCO contre la discrimination dans le domaine de
l’enseignement, dans la mesure où il s’agit d’une disposition légale
applicable à tous les fonctionnaires de la police, et rien n'indique que cette
3 Elle a été ratifiée par la République du Mali, le 7 décembre 2007.
disposition porte atteinte au droit à l’éducation.
137. En outre, sur l’exigence des capacités d’un citoyen, la Cour note qu’en ce
qui concerne l’accès à l’enseignement supérieur, l’article 125 de la loi du 12
juillet 2010 prend en compte les années d'expérience, l’ancienneté du
fonctionnaire de la police et son grade, ce qui est pleinement conforme aux
dispositions de l’article 13 (2) (c) du PIDESC.
138. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit des
Requérants à l’enseignement supérieur, protégé par les articles 17(1) de la
Charte ; 13(2)(c) du PIDSEC et premier de la Convention de l'UNESCO
contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, du fait de
l’application de l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
139. L'article 27(1) du Protocole est libellé comme suit :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
140. La Cour relève qu’en l'espèce, aucune violation n’ayant été constatée à
l'encontre de l’État défendeur, il n’y a pas lieu d’examiner les demandes des
Parties à cet égard ni d’ordonner des réparations.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
141. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner que les frais de procédure
soient à la charge de l’État défendeur.
142. L’État défendeur demande à la Cour de condamner les Requérants aux
dépens.
143. La règle 32(2) du Règlement dispose « à moins que la Cour n’en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
144. Compte tenu des dispositions ci-dessus, la Cour décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
145. Par ces motifs,
La Cour,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
i. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
ii. — Déclare la requête Recevable.
Sur le fond
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les droits à une totale égalité
devant la loi, à une égale protection de la loi et à la non- discrimination, protégés par les articles 2 et 3 de la Charte lus
conjointement avec l’article 26 du PIDCP ;
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un égal accès à la
fonction publique, protégé par l’article 13(2) de la Charte lu
conjointement avec l’article 25(c) du PIDCP ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à l’égalité en matière
d'avancement au grade supérieur approprié, sans autre
considération autre que l’ancienneté et la compétence, protégé par
l’article 15 de la Charte et 7(c) du PIDESC ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à l’éducation protégé
par l’article 17(1) de la Charte lu conjointement avec les articles
13(2)(c) du PIDESC et 1 de la Convention de l'UNESCO contre la
discrimination dans le domaine de l’éducation.
Sur les réparations
viii. Rejette les mesures de réparation demandées par les Requérants.
Sur les frais de procédure
ix. Décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Imani D. ABOUD, Présidente ; ——
Ben KIOKO, Juge ; VS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; HG 274» leo) Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am |
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce quatrième jour du mois de juin deux mille vingt-quatre, en langues arabe, française et anglaise, le texte français faisant foi.