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07/12/2018 | CADHP | N°024/2015

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 07 décembre 2018, 024/2015


Texte (pseudonymisé)
Bb c.
Bb Y Ba (2018) 2 RICA

Tanzanie (2018) 2 RJCA 539 539
539

Requête 024/2015 Bb Bn Bb et Aj Bn
Bb c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi
Juges ORÉ, X, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, ANUKAM et TCHIKAYA
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant avait été reconnu coupable et condamné pour vol à main
armée. Il a introduit cette requête, alléguant une violation de ses droits
par suite de sa détent

ion et de son jugement. La Cour conclut qu’il n’y a
pas eu d'erreur manifeste dans la manière dont les juridictio...

Bb c.
Bb Y Ba (2018) 2 RICA

Tanzanie (2018) 2 RJCA 539 539
539

Requête 024/2015 Bb Bn Bb et Aj Bn
Bb c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi
Juges ORÉ, X, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, ANUKAM et TCHIKAYA
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant avait été reconnu coupable et condamné pour vol à main
armée. Il a introduit cette requête, alléguant une violation de ses droits
par suite de sa détention et de son jugement. La Cour conclut qu’il n’y a
pas eu d'erreur manifeste dans la manière dont les juridictions nationales
ont évalué les éléments de preuve à charge produit par le requérant et
que celui-ci n’a démontré aucune autre violation de son droit au procès
équitable.
Compétence (examen des preuves devant les juridictions nationales,
30, 31)
Recevabilité (introduction dans un délai raisonnable, 49)
Procès équitable (preuves, 59-64 ; le droit de voir sa cause être
entendue, 68, 69)
Opinion dissidente : TCHIKAYA
Recevabilité (introduction dans un délai raisonnable, 14, 18)
Opinion individuelle conjointe : X et CHIZUMILA
Procès équitable (preuves, 6, 8, 12)
| Les parties
1 Les requérants, Bb Bn Bb et Aj Bn Bb, sont des ressortissants de la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l’État défendeur »). Ils ont été condamnés à trente (30) ans de réclusion chacun, pour vol à main armée.
2 L'État défendeur est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée la « Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Il a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus et d'organisations non gouvernementales.

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Il. Objet de la requête
A Faits de la cause
3 La requête porte sur des violations alléguées des droits de l'homme résultant de la déclaration de culpabilité et de la peine de trente (30) ans de réclusion et douze (12) coups de fouet prononcées à l’encontre des requérants, pour l'infraction de vol à main armée. Les requérants purgent actuellement leur peine dans la prison centrale de Butimba à Mwanza (Tanzanie).
4 Il ressort du dossier que le 25 février 2001 à minuit, un groupe de cambrioleurs est entré par effraction au domicile de M. Bd Bd Cb ; ils ont fait irruption dans sa chambre où il dormait avec son épouse, Mme Ax Bd et leurs enfants. Il est allégué que les cambrioleurs étaient armés de « pangas » (machettes) et d’un fusil. Lorsque M. Bd les a affrontés en se servant d’une lampe torche, ils lui ont infligé onze blessures à coup de pangas, occasionnant ainsi de graves lésions corporelles. Les cambrioleurs ont également emporté deux (2) valises contenant des vêtements et 75 000 (soixante-quinze mille) Shillings tanzaniens.
5. Sur la base des dépositions de six (6) témoins à charge (PW), dont M. Bd (PW1) et son épouse (PWS5), le 30 novembre 2001, les requérants ont été reconnus coupables, dans l'affaire pénale N°169/2001, de vol à main armée par le Tribunal de district de Tarime, crime réprimé par les articles 285 et 286 du Code pénal de Tanzanie, et condamnés à une peine de trente (30) ans de réclusion et douze (12) coups de fouet.
6 Par la suite, la Haute Cour, dans l'affaire pénale N°02/2002, et la Cour d’appel, dans l’appel pénal N° 67/2003, ont confirmé le jugement, le 9 octobre 2002 et le 1er mars 2006, respectivement.
7 S'estimant lésés par ce verdict, les requérants ont déposé une requête en révision de l'arrêt de la Cour d'appel, au motif qu’il était entaché d’« erreurs manifestes », ce qui, à leur avis, a occasionné un déni de justice. Le 19 mars 2015, la Cour d'appel a déclaré leur requête en révision irrecevable, au motif qu’elle n'avait pas été déposée dans les délais prescrits par la loi.
B Violations alléguées
8 Les requérants font valoir que la déclaration de culpabilité et le refus de la Cour d’appel de la réviser, au motif que le recours a été déposé hors délai, sont contraires aux dispositions de la Charte et de la Constitution tanzanienne de 1977. À cet égard, ils affirment qu’ils

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ont été reconnus coupables sur la base d’une erreur d’identité et d’un seul élément de preuve à charge « faux, fabriqué et tenu secret », à savoir l'identification visuelle. Ils soutiennent en outre ce qui suit :
«i, Le témoin à charge (PW1), principale victime du crime allégué, s’est contredit lors de son témoignage ; il a dit avoir vu d’autres cambrioleurs, et non pas les requérants. Il ne les a cités nommément que le 4 mars 2001, alors qu’il avait affirmé les avoir identifiés le jour de l'incident, à savoir le 25 février 2001. En outre, l’un des témoins, (PWS3), bien qu’il ait nié avoir fait sa première déclaration le 26 février 2001, déclaration produite devant le Tribunal de première instance, a confirmé que le plaignant (PW1) avait fait deux déclarations, la première, le jour de l'incident, sans mentionner le nom des suspects et la seconde, à une date ultérieure, mentionnant le nom des suspects.
ii. En ce qui concerne le deuxième témoin à charge (PW2), il avait prétendu qu’il était présent sur les lieux du crime, mais il mentait. En effet, « le Tribunal de première instance avait enregistré son comportement lors de sa déposition, indiquant qu’il témoignait, riait et plaisantait en même temps, [comme s'il] ne prenait pas au sérieux ce qu’il [disait] », ce qui prouve qu’il mentait.
iii. Le troisième témoin à charge (PW3), enquêteur de la police judiciaire, « a confirmé que PW1 avait fait deux déclarations dont la première, le jour de l’incident, sans mentionner le nom d’aucun des suspects [et la seconde, un autre jour, en mentionnant le nom des requérants] ». Pourtant, PW1 a nié qu’il avait fait deux déclarations à des dates différentes.
iv. Le quatrième témoin à charge (PW4) n’était pas présent sur le lieu de l'incident, mais a donné leurs noms à la police, tels que la victime (PW1) les lui avait communiqués, et ce, un mois après l'incident.
v. Les déclarations du cinquième témoin à charge (PWS5), épouse de PW1, étaient contradictoires. Certes elle a affirmé avoir identifié les auteurs de l'infraction lors de l'incident, mais elle n’a certainement pas été en mesure de le faire, puisque, comme elle l’a confirmé, elle s'était cachée loin, hors de la maison. Elle a également oublié la date à laquelle elle s'était présentée à la police ; et dans sa déclaration, elle a indiqué que le jour de l'incident, son mari ne s'était pas présenté à la police, contredisant ainsi

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le témoignage de PW3.
vi. Le sixième témoin à charge (PW6), chef de cellule travaillant sous PW1, a affirmé avoir vu les requérants sur le lieu du crime, mais n’a pas expliqué pourquoi il n'avait ni donné l’alerte pendant l'incident, ni fait quoique ce soit d'autre pour que ceux-ci soient arrêtés.
vi. Compte tenu des liens étroits qui existaient entre les témoins à charge PW1, PW2, PW4 et PW6, et de leurs déclarations contradictoires, l’accusation portée contre les requérants ne pouvait être qu’une fabrication de PW1.
9. Les requérants affirment en outre que le fait qu’ils ont été déclarés coupables sur la base d’une erreur d’identification a été corroboré par la vérité qui a « progressivement émergée » pendant l'enquête menée par la Commission tanzanienne des droits de l'homme et de la bonne gouvernance (CHRGG). Ils font valoir qu’il ressort des observations de la Commission à l’issue de l'enquête que la victime avait ultérieurement reçu une indemnisation de la part de ses véritables cambrioleurs, sur instructions des autorités locales. Selon les requérants, cette révélation n’a pas été consignée dans les comptes rendus d'audience, l'enquête ayant été menée après la clôture des procédures devant toutes les juridictions nationales. Les requérants soutiennent également que les témoins avaient reconnu devant des parents des requérants à qui ils avaient d’ailleurs présenté des excuses, qu’ils s'étaient trompés sur l'identité des vrais auteurs du crime.
10. Les requérants font valoir par conséquent que compte tenu des circonstances de l'affaire, la Cour d'appel aurait dû accueillir leur requête en révision en vertu de l’article 107(A)(2)(c) et (e) de la Constitution de l’État défendeur. Ils affiment que le refus de la Cour d'appel d'accueillir leur requête en révision était contraire à la Constitution et que leur condamnation fondée sur une erreur d'identité, alors que le Ministère public n'avait pas prouvé les charges retenues contre eux au-delà de tout doute raisonnable, constituait une violation des articles 3(1) et (2) et 2 de la Charte.
11. Les requérants allèguent en outre qu’ils « ont été tenus à l’écart de la procédure et de la décision des juridictions [nationales], ce qui constitue une violation de leurs droits fondamentaux qui doivent être pris en compte en vertu de l’article 27(1) du Protocole et de l’article 34(5) du Règlement en vue de remédier à la violation ».
Il. Résumé de la procédure devant la Cour
12. La requête a été déposée le 2 octobre 2015 et notifiée à l’État défendeur le 4 décembre 2015, conformément aux articles 35 et 37 du

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Règlement.
13. Le Greffe, à la même date et en application des articles 35 et 53 du Règlement, a transmis la requête à tous les États parties au Protocole, à la Commission de l'Union africaine et au Conseil exécutif de l’Union africaine, par le biais de la Présidente de la Commission de l’Union africaine.
14. Le 11 février 2016, l’État défendeur a demandé à la Cour une prorogation de délai pour déposer sa réponse, en faisant valoir qu’il était encore en train de recueillir des informations auprès des parties prenantes impliquées dans cette affaire.
15. À sa quarantième session ordinaire tenue du 29 février au 18 mars 2016, la Cour a accordé un délai supplémentaire de trente (30) jours à l’État défendeur, à compter de la date de réception de la notification datée du 21 mars 2018, pour déposer sa réponse. Elle a également instruit le Greffe de demander à la CHRGG de lui soumettre, le cas échéant, ses observations sur les allégations des requérants.
16. Le 10 mai 2016, dans sa réponse, la CHRGG a fait savoir qu’elle n’avait pas d’observations à faire sur l’affaire. Elle a indiqué qu’elle ne pouvait pas, selon la loi, procéder à une enquête sur la question qui a déjà été jugée ou qui est pendante devant une juridiction. Elle a également indiqué qu’elle n'avait mené qu’une enquête préliminaire sur l’affaire et non une enquête complète.
17. Le 7 juin 2016, le Greffe a informé l’État défendeur que la Cour lui avait accordé, de sa propre initiative, un délai supplémentaire de soixante (60) jours pour déposer sa Réponse.
18. Le 28 novembre 2016, se fondant sur le fait que l’État défendeur n’avait pas fait valoir ses moyens, les requérants ont demandé à la Cour de rendre un arrêt par défaut en leur faveur.
19. Le 20 mars 2017, la Cour, de sa propre initiative, a accordé un délai supplémentaire de quarante-cinq (45) jours à l’État défendeur pour déposer sa Réponse, indiquant que, passé ce délai, elle rendra un arrêt par défaut.
20. Le 25 mai 2017, l’État défendeur a déposé sa Réponse qui a été signifiée aux requérants le 29 mai 2017. Ceux-ci ont été invités à déposer leur Réplique dans les trente (30) jours à compter de la date de réception de la notification.
21. Le 21 juin 2017, les requérants ont déposé leur Réplique à la Réponse de l’État défendeur, et le même jour, celle-ci a été transmise à l’État défendeur pour information.
22. Le 6 octobre 2017, le Greffe a notifié aux Parties la clôture de la procédure écrite.

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IV. Mesures demandées
23. Les requérants demandent à la Cour :
«i, d'annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à leur encontre et d’ordonner leur remise en liberté ;
ii. d’ordonner des mesures de réparation pour la violation de leurs droits fondamentaux garantis par les articles 27(1) du Protocole et 34(1) du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. de rétablir la justice là où elle a été bafouée et d’ordonner toute autre mesure qu’elle estime appropriée eu égard aux circonstances de l'espèce ».
24. Dans son mémoire en Réponse, l’État défendeur demande à la Cour de :
«i, Dire que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la présente requête ;
ii. Dire que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité prévues à l’article 50(5) du Règlementintérieur de la Cour ; qu’elle est par conséquent irrecevable et doit être rejetée purement et simplement ;
iii. Dire que la requête est rejetée avec dépens ».
V. Sur la compétence
25. Conformément à l’article 39(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence… ».
26. En l'espèce, la Cour relève qu’il ressort des observations de l’État défendeur que celui-ci ne conteste que la compétence matérielle de la Cour. Toutefois, il appartient à la Cour de s'assurer qu’elle a la compétence personnelle, temporelle et territoriale.
A. Exception d’incompétence matérielle
27. L'État défendeur conteste la compétence de la Cour en faisant valoir que la présente requête contient des questions de droit et de fait qui ont été tranchées de manière définitive par ses juridictions internes. L'État défendeur soutient que le Protocole ne confère pas à la Cour la compétence pour statuer sur des questions de droit et de preuve, en se substituant à une Cour d'appel ; pourtant, en l'espèce, il est demandé à la Cour de se prononcer sur des questions qui l’obligeraient à siéger en tant que telle. À cet égard, l’État défendeur relève trois allégations dont l’appréciation nécessiterait que la Cour siège en tant qu’une Cour

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«i, la preuve de l'identification visuelle utilisée pour condamner les requérants a été fabriquée ;
ii. les témoins à charge se sont contredits ;
iii. les requérants ont été tenus à l’écart des procédures et des décisions des juridictions nationales ».
28. Les requérants ne contestent pas l’affimation de l’État défendeur selon laquelle la Cour n’est pas investie de la compétence d’une juridiction d’appel. Néanmoins, ils font valoir que leur requête porte sur la violation de droits de l'homme protégés par la Charte et sur lesquels la Cour a une compétence illimitée. Citant la jurisprudence de la Cour de céans*, ils affirment que celle-ci a le pouvoir de recevoir et d'examiner des affaires, y compris celles relatives aux décisions des juridictions nationales ainsi que de déterminer si les procédures et jugements des juridictions internes sont conformes aux normes internationales en matière de droits de l'homme.
29. Les articles 3(1) du Protocole et 26(1) du Règlement précisent que la Cour est compétente « pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés ». À cet égard, la Cour fait observer qu’elle est compétente pour examiner une requête dès lors que l’objet porte sur des allégations de violation des droits de l'homme protégés par la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par un État défendeur. La Cour a en outre souligné qu’elle n’a pas la compétence d’une juridiction d’appel pour confirmer ou infirmer les jugements des juridictions nationales, mais est uniquement compétente en ce qui concerne la manière dont les questions de preuve ont été examinées lors de la procédure devant les juridictions nationales.*
30. En l'espèce, la Cour relève que les requérants ont soulevé des questions portant sur des violations alléguées des droits de l'homme protégés par la Charte. Elle note en outre que dans leurs allégations, les requérants contestent essentiellement la manière dont les juridictions internes ont apprécié les éléments de preuve qui les ont fondées à les déclarer coupables.
31. Toutefois, le fait que les requérants contestent la manière dont
1 Requête 005/2013. Arrêt du 20/11/2015, Bl Bq c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Arrêt Bl Bq c. Tanzanie »).
2 Requête 001/2014. Arrêt sur la recevabilité, 28/3/2014, Bh Bf Aa c. République-Unie de Tanzanie, para 114.
3 Requête 005/2013. Arrêt du 15/03/2015, Ernest Am Bc c. République du Malawi, para 14.

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les juridictions nationales ont apprécié les preuves n'empêche pas la Cour de se prononcer sur les allégations formulées en l'espèce. Il est de jurisprudence constante que, lorsque les allégations de violations des droits de l'homme se rapportent à la manière dont les juridictions nationales apprécient les preuves, la Cour conserve le pouvoir de dire si cette appréciation est compatible avec les normes internationales relatives aux droits de l'homme.“ Ce pouvoir relève de sa compétence et n’exige pas qu’elle siège en tant qu’instance d'appel. L'exception de l’État défendeur à cet égard est donc rejetée.
32. En conséquence, la Cour conclut qu’elle a la compétence matérielle pour examiner la présente requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
33. La Cour fait observer que les autres aspects de sa compétence ne sont pas contestés par l’État défendeur et rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente à cet égard. Elle en conclut qu’en l’espèce, elle a :
«i, la compétence personnelle, étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et qu’il a déposé la déclaration requise à l’article 34(6) dudit Protocole, qui permet aux requérants de saisir la Cour en vertu de l’article 5(3) du même instrument ;
ii. la compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées présentent un caractère continu, les requérants sont toujours condamnés et purgent une peine de trente (30) ans de réclusion pour des motifs qu’ils considèrent injustes et
iii. la compétence territoriale, dans la mesure où les faits de l'affaire se sont produits sur le territoire d’un État partie au Protocole, en l’occurrence, l’État défendeur.
34. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour examiner la présente requête.
VI. Sur la recevabilité de la requête
35. Conformément à l’article 39(1) de son Règlement, « la Cour procède à l'examen préliminaire ...des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et
4 Arrêt Bl Bq c. Tanzanie, para 130 ; requête 007/2013. Arrêt du 20/05/2016, Be Bk c. République-Unie de Tanzanie (ci-après « Arrêt Be Bk c. Tanzanie »), para 26.
5 Voir Requête 013/2011. Arrêt sur les exceptions préliminaires du 21/06/2013, As Bp et autres c. Ca By (ci-après désigné « Arrêt Bp et autres c. Ca By »), paras 71 à 77.

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l’article 40 du Règlement ».
36. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, prévoit que :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6.2 du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
2. être compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
3. ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément, aux principes soit de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique ».
A. Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
37. L'État défendeur a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité de la requête, la première relative à l'épuisement des voies de recours internes et la seconde, au dépôt de la requête dans un délai raisonnable après l'épuisement des voies de recours internes.
i. Exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes
38. L'État défendeur soutient que les requérants ont fait appel devant la Haute Cour et la Cour d'appel et que les deux juridictions ont confirmé leur culpabilité. || déclare en outre que la Cour d’appel a rejeté leur recours en révision de leur condamnation au motif qu’il avait été introduit hors délai. L'État défendeur affirme en outre que le délai de recours devant la Cour d'appel relève d’une procédure ordinaire et qu’il peut donc être prorogé dès l'existence d’une raison valable. Au lieu de saisir la Cour de céans de la présente requête, les Requérants

548 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
auraient pu demander et peuvent encore demander une prorogation de délai pour déposer leur recours en révision. En conséquence, l’État défendeur soutient que la requête ne remplit pas la condition de recevabilité énoncée à l’article 40(5) du Règlement concernant l'épuisement des voies de recours internes.
39. Les requérants quant à eux font valoir que les violations de leurs droits ont été commises par la plus haute juridiction de l’État défendeur, par le biais des arrêts qu’elle a rendus, et que de ce fait, les procédures internes relatives à leur requête sont épuisées. Ils ajoutent que les dossiers de la Cour d’appel sur les recours en révision montrent que celle-ci n’accorde pas souvent l'autorisation de déposer un recours en révision. Les requérants soutiennent en dernier ressort qu’ils ne disposent d’aucune autre possibilité d’obtenir réparation du préjudice causé par l’État défendeur et qu’ils ont en conséquence épuisé tous les recours internes.
40. La Cour fait observer que toute requête déposée devant elle doit remplir la condition d’épuisement des voies de recours internes et que cette condition ne peut être levée que si ces recours ne sont pas disponibles, efficaces et suffisants ou si les procédures internes pour les exercer se prolongent de façon anormale.“ Dans sa jurisprudence constante, la Cour a toujours souligné que pour que cette condition de recevabilité soit remplie, les recours qui devaient être épuisés doivent être des recours judiciaires ordinaires”. À cet égard, dans l'affaire Bl Bq c. République-Unie de Tanzanie et dans d’autres affaires similaires introduites contre l’État défendeur, la Cour a également constaté que dans le système judiciaire tanzanien, la procédure permettant de former un recours en révision devant la Cour d'appel est un recours extraordinaire que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser préalablement à sa saisine.®
41. En l'espèce, la Cour note qu’il ressort du dossier que, avant de la saisir, les requérants, avaient suivi les procédures requises en première instance et en appel jusqu’à la Cour d’appel qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur. Ils ont en outre tenté d’exercer un recours en révision devant la Cour d'appel, mais leur requête a été déclarée irrecevable au motif qu’elle avait été déposée hors délai.
6 Voir requête n°004/2013. Arrêt du 5/12/2014, Ao Ai Br c. Ca By, (ci-après désigné « Arrêt Ao Ai Br c. Ca By ») $ 77 ; voir aussi l’Arrêt Bh Aa c. Tanzanie, para 40.
7 Arrêt Bl Bq, para 64. Voir aussi requête n°006/2013. Arrêt du 18/03/2016, An Bv Bm et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie, para 95.
8 Ibid. Voir aussi l’Arrêt Be Bk c. Tanzanie, paras 66 à 68 ; requête
(ci-après désigné « Arrêt At Bw c. Tanzanie »), para 46 et 47.

Bb Y Ba (2018) 2 RICA 539 549
La procédure de révision devant la Cour d'appel étant un recours extraordinaire, les requérants n'étaient pas tenus de l'exercer ni de demander une prorogation de délai pour l’introduire. La Cour en conclut que les requérants ont épuisé les voies recours internes disponibles dans l’État défendeur.
42. En conséquence, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur, tirée du non-épuisement des voies de recours internes par les requérants.
ii. Exception tirée du dépôt de la requête dans un délai raisonnable
43. L'État défendeur soutient que si la Cour venait à constater que les requérants avaient épuisé les voies de recours internes, elle devrait tout de même rejeter la requête, au motif qu’elle n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après l'épuisement des voies de recours internes. À cet égard, l’État défendeur affirme que même si l’article 40(6) du Règlement ne précise pas ce que l’on entend par délai raisonnable, la jurisprudence internationale en matière des droits de l’homme a établi qu’un délai de six mois était considéré raisonnable ; mais les requérants en l'espèce ont saisi la Cour cinq ans après le dépôt par l’État défendeur de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole prévoyant le mécanisme de requête individuelle.
44. Dans leur réplique, les requérants contestent les affirmations de l'État défendeur et font valoir que conformément à la jurisprudence de la Cour, la détermination d’un délai raisonnable dépend des circonstances de chaque affaire. Compte tenu des circonstances particulières de leur affaire, les requérants soutiennent que leur requête devrait être considérée déposée dans un délai raisonnable.
45. La Cour fait observer que l’article 40(6) du Règlement fait état d’« un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des voies de recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ».
46. Dans l'affaire As Bp et autres c. Ca By, la Cour a estimé que « le caractère raisonnable d’un délai de saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et doit être déterminé au cas par cas ».°
47. En l'espèce, la Cour relève que la Cour d'appel a rendu son arrêt dans l'appel pénal N°182 de 2010, le 1er mars 2006. Toutefois, les requérants n’ont été en mesure de déposer leur requête qu'après
9 Arrêt Affaire Bp et autres c. Ca By, para 92 ; voir aussi Arrêt Affaire At Bw c. Tanzanie, para 56.

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le 29 mars 2010, date à laquelle l’État défendeur, conformément à l’article 36(4) du Protocole, a déposé la déclaration autorisant les individus à saisir la Cour.
48. La Cour relève en outre que la requête a été déposée devant elle le 2 octobre 2015, soit cinq (5) ans et cinq (5) mois après que cette déclaration a été déposée. Entre ces deux dates, les requérants avaient toutefois tenté d'exercer devant la Cour d’appel un recours en révision, rejeté le 19 mars 2015, pour cause de dépôt tardif. Compte tenu de cette situation, la question à trancher est de savoir si une période de cinq ans et cinq mois au cours de laquelle les requérants auraient pu déposer leur requête devant la Cour est raisonnable.
49. La Cour relève que les requérants n’invoquent aucune raison particulière pour expliquer pourquoi il leur a fallu cinq ans et cinq mois pour la saisir, puisqu'’ils en avaient la possibilité, l'État défendeur ayant déposé la déclaration prévue par le Protocole, qui les autorise à introduire directement des requêtes devant la Cour. Toutefois, même s’ils n'étaient pas tenus de le faire, les requérants avaient choisi d'exercer le recours en révision susmentionné devant la Cour d'appel. Il ressort clairement du dossier que le retard de cinq ans et cinq mois était dû au fait que les requérants attendaient l'issue de la procédure de révision et qu’au moment où ils ont saisi la Cour de céans, il ne s’était écoulé que six mois après la déclaration d’irrecevabilité de leur recours en révision pour dépôt tardif.
50. Compte tenu de ces circonstances, la Cour rejette l'exception soulevée par l’État défendeur à cet égard.
B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
51. Les conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les Parties concernent l'identité du requérant, la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine, les termes utilisés dans la requête, la nature des preuves et le principe selon lequel la requête ne doit pas concerner des cas qui ont été déjà réglés conformément, soit aux principes de la Charte des Nations Unies ou de l’Acte constitutif de l'Union africaine, soit aux dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine. Ces conditions sont prévues aux alinéas 1, 2, 3, 4 et 7 de l’article 40 du Règlement.
52. La Cour note également que rien dans le dossier n'indique que l’une quelconque de ces conditions n’a pas été remplie en l'espèce. En conséquence, la Cour estime que les conditions énoncées ci-dessus ont été intégralement remplies.
53. Compte tenu de ce qui précède, la Cour déclare la présente

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requête recevable.
VII. Sur le fond
A. _ Allégations de violations du droit à un procès équitable
54. Les requérants allèguent des violations qui relèvent du champ d'application de l’article 7 de la Charte. La Cour les examinera l’une après l’autre, comme suit :
i. Allégation selon laquelle la condamnation des requérants était basée sur des témoignages contradictoires
55. Les requérants font valoir que leur condamnation devant les juridictions nationales reposait exclusivement sur des témoignages à charge mettant en relief une identification visuelle « fausse, fabriquée et tenue secrète ». Ils invoquent, comme indiqué au paragraphe 8 supra, ce qu’ils considèrent comme des déclarations contradictoires de témoins à charge et d’autres déclarations non suffisamment crédibles pour justifier leur condamnation. Les requérants soulignent que quatre (4) des témoins à charge entretiennent des relations privilégiées qui, au regard de leurs témoignages contradictoires, prouvent que leur version des faits, dans laquelle les requérants sont les auteurs de ces crimes, n’est que montage.
56. Pour sa part, l’État défendeur conteste l’allégation des requérants et affirme que la question de l'identification visuelle avait été examinée et tranchée par la Cour d'appel. Selon l’État défendeur, la Cour d'appel a examiné la question de manière approfondie et conclu que les éléments de preuve produites par des témoins étaient suffisamment crédibles pour fonder la condamnation des requérants. L'État défendeur souligne que les témoins avaient dit la vérité, qu’il n’y avait eu ni faux témoignage ni fabrication, et que l’allégation infondée des requérants doit être rejetée.
57. Dans leur Réplique, les requérants ont fait valoir que l'argument de l’État défendeur selon lequel la question de l'identification a été examinée et tranchée par la Cour d'appel ne fait référence qu’à une seule procédure. || reste maintenant à déterminer si l'identification était crédible ou fausse, fabriquée et contradictoire.
58. L'article 7(1) de la Charte dispose que :
«1. Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et

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garantis par les conventions, les lois règlements et coutumes en vigueur ;
b. le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
d. le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale. »
59. La Cour fait observer qu’un « procès équitable exige que l'imposition d’une sentence pour une infraction en matière criminelle, et en particulier, une lourde peine de prison doit reposer sur des éléments de preuve solides et crédibles ».‘°
60. La Cour relève également que lorsque l'identification visuelle est utilisée comme élément de preuve pour condamner un individu, tout risque éventuel d'erreur doit être exclu et l'identité du suspect doit être établie avec certitude. Ce principe est aussi consacré dans la jurisprudence tanzanienne.” En outre, l’identification visuelle utilisée comme preuve doit aussi décrire le lieu du crime de manière cohérente et logique. La Cour a précédemment rappelé qu’elle n’est pas une juridiction d'appel et, qu’en principe, il est du ressort des juridictions nationales de décider de la valeur probante d’un élément de preuve donné‘. La Cour ne peut pas s’arroger ce rôle, dévolu aux juridictions nationales, d'examiner les détails et les caractéristiques des preuves utilisées au cours de la procédure interne afin d'établir la responsabilité pénale des individus.‘*
61. En l'espèce, il ressort du dossier devant la Cour que les juridictions nationales ont condamné les requérants en se fondant sur des preuves produites par six(6) témoins à charge, dont trois (3) étaient présents sur le lieu du crime. Les dépositions de ces témoins étaient, dans l’ensemble, similaires et présentaient une description cohérente de la scène du crime.
62. S'agissant de l’allégation des requérants selon laquelle les dépositions des témoins à charge présentaient des incohérences, la Cour fait observer qu'il ressort du dossier de la procédure en première instance qu’en effet le témoin à charge N°2 (PW2) riait pendant sa
11 En l'affaire Aj Bo c. République-Unie de Tanzanie, la Cour d’Appel a déclaré : « Aucun juge ne doit se fonder sur une identification visuelle à moins que tout risque d'erreur sur la personne n’ait été écarté et que le juge soit convaincu de l'irréfutabilité absolue de ce témoignage » Ibid. $ 175.
12 Arrêt At Bw c. Tanzanie, $ 65.

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déposition devant le tribunal, « [comme] s’il ne prenait pas au sérieux ce qu'il [disait] ». I est aussi vrai que les quatre témoins à charge (PW1, PW2, PW4 et PW6) entretenaient des relations étroites qui auraient pu être à l’origine d’une collusion. De plus, le quatrième témoin à charge (PW4), un enquêteur, « avait confirmé que PW1 (la principale victime) a fait deux déclarations, la première le jour de l'incident, sans nommer les suspects » et la seconde, en désignant les requérants comme auteurs du crime. Tout cela en dépit du fait que ce témoin, (PW1), a nié avoir fait une déclaration le jour de l'incident ; voilà qui met en évidence des incohérences et en cause la véracité des dires du témoin PW4.
63. Néanmoins, la Haute Cour et la Cour d’appel ont examiné ces questions ainsi que les autres questions connexes soulevées par les requérants et ont conclu que les preuves disponibles étaient suffisantes pour justifier la condamnation des requérants. Le Cour de céans estime que l'appréciation des éléments de preuve par les juridictions nationales ne révèle en soi aucune erreur manifeste ou n’a occasionné aucun déni de justice à l'égard des requérants, qui nécessiterait son intervention“. En outre, les autres allégations des requérants qui remettent en cause la crédibilité de la déposition du témoin PWS se rapportent à des détails précis des éléments de preuve que la Cour n’est pas en mesure d'évaluer. Elle doit donc laisser ce rôle aux juridictions nationales qui ont déjà tiré leurs propres conclusions en tenant compte des circonstances particulières de l'affaire.
64. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’allégation des requérants relative à la condamnation sur la base des témoignages contradictoires n’est pas fondée et que par conséquent l’État défendeur n’a pas violé l’article 7 de la Charte.
ii. Allégation relative à l’erreur d’identification
65. Les requérants font valoir que leur condamnation est fondée sur une erreur de fait concernant l'identité des auteurs véritables des crimes en examen. Ils allèguent que cette constatation a été étayée par « l'émergence progressive de la vérité », révélée par l'enquête de la CHRGG de l’État défendeur, qui a dévoilé que la victime (PW1) avait plus tard reçu, sur instructions des autorités locales, une indemnisation de la part des véritables cambrioleurs. Selon les requérants, si ces faits ne sont pas mentionnés dans les comptes rendus d'audience, c'est parce que l'enquête avait été menée après la clôture de toutes les procédures en première instance et en appel.
66. Les requérants précisent également que les témoins avaient
14 Ibid. 8 73.

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avoué à des parents, à qui ils avaient même présenté des excuses, qu’ils avaient commis une erreur lors de l'identification des vrais coupables du crime. Les requérants allèguent en outre que le refus de la Cour d’appel d'examiner leur requête en révision déposée sur la base de nouveaux éléments de preuve constitue une violation des dispositions de la Charte.
67. L'État défendeur n’a pas directement répondu à cette allégation, mais dans ses observations au paragraphe 38 ci-dessus sur la recevabilité, il a maintenu que les requérants peuvent toujours poursuivre l'affaire devant les juridictions nationales en sollicitant une prorogation de délai pour déposer leur requête en révision.
68. La Cour fait observer que le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue, prévu à l’article 7(1) de la Charte, est un droit fondamental de l'homme qui confère à l’individu un éventail de droits relatifs à la régularité de la procédure judiciaire, notamment le droit de bénéficier de la possibilité d’exprimer son point de vue sur les affaires et les procédures ayant une incidence sur ses droits, le droit de saisir les autorités judiciaires et quasi-judiciaires compétentes de requêtes en cas de violation de ces droits et le droit de faire appel devant des instances supérieures lorsque les griefs exprimés n’ont pas été examinés de manière appropriée par les juridictions inférieures.
69. La Cour relève en outre que le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue ne cesse pas d’exister à l'issue de la procédure d'appel. Lorsqu'il existe des raisons convaincantes de croire que les conclusions tirées à l'issue du procès en première instance ou en appel ne sont plus valables, le droit d’être entendu requiert la mise en place d’un mécanisme de réexamen de ces conclusions. Il en est ainsi en cas de nouvelles preuves susceptibles d’amener la juridiction de première instance ou la Cour d’appel à annuler sa propre décision ou à adopter des conclusions substantiellement différentes.
70. En l'espèce, la Cour fait observer qu’il ressort du dossier que les requérants affirment qu’ils ne seraient pas les véritables auteurs du crime dont ils sont accusés et qu’ils auraient été condamnés en raison d’une erreur sur leur identité. À cet égard, les requérants déclarent que les témoins ont avoué avoir commis une erreur dans l'identification des vrais coupables et ont présenté des excuses à leurs parents à ce sujet. Les requérants étayent leur allégation par une lettre qu’ils ont reçue de la CHRGG, organe du Gouvernement de l’État défendeur créé conformément à la Constitution pour promouvoir et protéger les droits de l'homme.
71. La Cour constate que dans cette lettre qui porte le sceau officiel de la Commission, celle-ci informe les requérants que suite à l'enquête qu’elle a menée sur cette affaire, elle était parvenue à la conclusion que le crime avait été commis par d’autres personnes qui avaient

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remis à la victime six vaches et cent-vingt mille shillings (120 000 TZS) à titre de compensation.
72. La principale question qui doit être tranchée est celle de savoir si la lettre de la Commission pouvait être une preuve valable devant la Cour de céans, si elle peut fonder sa décision sur la présente requête et si cette lettre pouvait être considérée comme importante du point où elle aurait eu une incidence considérable sur l’issue des décisions des juridictions nationales de l’État défendeur lors de la procédure en première et en deuxième instance.
73. La Cour relève qu’il ressort clairement de la lettre de la Commission que les requérants ont été condamnés pour des crimes commis par d’autres personnes, ce qui remet en cause la déclaration de culpabilité et la peine prononcées contre eux. Cependant, comme indiqué au paragraphe 16 ci-dessus, les conclusions de la Commission résultent d’une enquête préliminaire et non d’une enquête au sens plénier du terme. Dans ces circonstances, la Cour n’est donc pas en mesure de conclure que les juridictions nationales seraient parvenues à une conclusion fondamentalement différente si cette lettre avait été produite au cours des procédures en première instance et en appel.
74. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’allégation des requérants selon laquelle la déclaration de leur culpabilité était basée sur une erreur d'identification n’est pas fondée et qu’en conséquence, l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de la Charte à cet égard.
iii. — Allégation relative à la mise à l’écart des requérants lors des procédures devant les juridictions internes
75. Les requérants soutiennent qu'ils ont été tenus à l’écart des procédures lorsque les juridictions internes ont rendu leurs décisions, ce qui constitue une violation de leurs droits fondamentaux.
76. L'État défendeur réfute cette allégation et soutient que les requérants étaient présents au cours de leur procès, depuis le jour où l'acte d'accusation pour vol à main armé leur a été lu soit le 7 mai 2001 ; ils ont plaidé non coupables jusqu’à la conclusion du procès, le 16 novembre 2001. L'État défendeur affirme également que les requérants étaient aussi présents quand leur appel a été entendu devant la Haute Cour, le 12 août 2002. Il affirme en outre que ce n’est qu’au niveau de la Cour d'appel que les requérants n'avaient pas été représentés par un avocat et que si un conseil ne leur avait pas été commis, c'est parce qu’ils n’en avaient pas fait la demande, comme l’exige l’article 31 du Règlement de la Cour d’appel de Tanzanie de 2009.
77. La Cour relève que le droit à un procès équitable, plus particulièrement le droit à la défense visé à l’article 7(1), requiert qu’il

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soit permis à une personne accusée de prendre part aux audiences tenues dans le cadre de son procès et de présenter ses moyens de preuve à décharge en vertu du principe contradictoire*®. Il s’agit d’une composante inhérente du principe de l'égalité des armes qui exige que la personne accusée et le ministère public doivent avoir l’une et l’autre la possibilité de présenter de manière équitable leurs moyens et de procéder à l’interrogatoire ou au contre-interrogatoire relativement aux moyens de preuve présentés par l’autre partie.
78. En l’espèce, les requérants allèguent, de manière générale, sans indiquer la violation d’un droit précis, qu’ils avaient été tenus à l'écart des procédures et du prononcé des décisions des juridictions internes. Cependant, dans leurs observations, ils n’ont pas clairement expliqué en quoi ni pourquoi ils avaient été tenus à l’écart lors des procédures devant les juridictions nationales. Selon l’État défendeur, les requérants ont effectivement participé à toutes les procédures aussi bien en première instance qu’en appel et ont aussi été représentés par un avocat devant le Tribunal de district et la Haute Cour. À cet, égard, la Cour fait observer qu'aucun élément du dossier ne permet de dire que les requérants ont, de quelque manière que ce soit, été tenus à l'écart durant leur procès en première instance et en appel.
79. La Cour estime que l’allégation selon laquelle les requérants ont été tenus à l’écart lors des procédures devant les juridictions internes n’est pas fondée et qu’en conséquence l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de la Charte.
B. … Allégation de violation du droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
80. Les requérants allèguent que leur condamnation sur la base d’une erreur d'identification et le refus de la Cour d’appel de réviser leur condamnation pour réparer l'erreur, au motif que leur requête en révision, avait été déposée hors délai, sont contraires à l'article 3(1) et (2) de la Charte. Ils soutiennent que la Cour d'appel aurait dû appliquer, non seulement la Charte, mais également l’article 107A(2)(c) et (e) de la Constitution de l’État défendeur (1977) pour accueillir leur requête en révision, étant donné que la victime avait, sur instructions des autorités locales, reçu une compensation de la part des vrais auteurs du crime. 81. Pour sa part, l’État défendeur rejette cette allégation et affirme que les requérants devraient en apporter la preuve irréfutable. Il indique également que sa Constitution contient des dispositions similaires à
15 Requête n°020/2016, Arrêt du 21/09/2018, Aw Av c. République-Unie de Tanzanie para 81.

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celles de l’article 3(1) et (2) de la Charte et que, par conséquent, les droits garantis par cet article sont dûment protégés. || affirme en outre que les requérants n’ont pas démontré en quoi leurs droits garantis par ces dispositions ont été violés, au point de leur causer un préjudice tel qu’ils ont dû saisir la Cour de céans de la présente requête pour demander réparation.
82. L'État défendeur fait aussi valoir que pendant leur procès en première instance et en appel, les requérants étaient assistés par un avocat de leur choix et n'avaient jamais soulevé de question de discrimination, et qu’en réalité, c'est devant la Cour de céans qu’ils ont soulevé pour la toute première fois la question de l'inégalité de traitement. L'État défendeur soutient donc que les requérants avaient exercé leur droit de se défendre et d’interjeter un premier, puis un second appel et qu’ils n'avaient pas été victimes d’une procédure viciée. Il réaffirme sa position selon laquelle ils auraient pu introduire une requête en révision de leur condamnation, si seulement ils avaient sollicité une prorogation de délai pour déposer ce recours.
83. L'État défendeur soutient en outre que l’article 107A(2)(c) et (e) de sa Constitution exige des juridictions nationales de rendre la justice dans les affaires civiles et pénales conformément aux dispositions légales, ce que les juridictions en question ont fait. || ajoute que les requérants n’ont pas, à cet égard, démontré en quoi il a violé ces dispositions de la Constitution.
84. La Cour tient à souligner d'emblée qu’elle n’est pas compétente pour interpréter ou pour appliquer les lois de l’État défendeur, qu’elle n’est compétente que pour interpréter et appliquer la Charte et les autres instruments relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l’État défendeur. En conséquence, elle limite son appréciation aux dispositions pertinentes de la Charte et ne fera référence à la législation nationale, notamment à la Constitution de l’État défendeur, que dans le cadre de l'interprétation et de l'application de ces dispositions.
85. L'article 3 de la Charte dispose que :
« Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
86. La Cour relève que l’article 3 est étroitement lié à l’article 2 de la Charte, qui interdit la discrimination.'° Pour que la Cour conclue à la violation de l’article 3, il faut prouver soit qu’un requérant a été victime d’une discrimination de la part des autorités judiciaires ou
16 Requêtes n°009 et 011/2011, Arrêt du 14/05/2015, Bu Ap Ab et Ae Bi Aq c. République-Unie de Tanzanie, para 105.1 et 1015.2, requête n°006/2012. Arrêt du 26/05/2017. Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya, para 138.

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quasi-judiciaires, soit que la législation interne autorise un traitement discriminatoire contre le requérant, par rapport au traitement réservé à d'autres individus dans une situation similaire.
87. En l'espèce, la Cour relève que les articles 12 et 13 de la Constitution de 1977 de l’État défendeur consacrent et garantissent, tout comme la Charte, le droit à l’égalité devant la loi et le droit à une égale protection de la loi, notamment en interdisant la discrimination entre les individus sur des bases injustifiées. En ce sens, les requérants ont le droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, au même titre que tout autre individu sous l’égide de l’État défendeur et rien n'indique dans le dossier que tel n’est pas le cas.
88. La question qui doit être tranchée à ce stade est celle de savoir si la condamnation des requérants et le refus allégué de la Cour d'appel de réviser son arrêt les condamnant constituent une violation de leur droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, c’est-à-dire si les juridictions internes ont traité les Requérants de manière discriminatoire lors de l'examen de leur cause. Dans l'affaire Bk c. Tanzanie, la Cour de céans avait estimé qu’il « appartient à la Partie qui allègue avoir été victime d’un traitement discriminatoire d’en apporter la preuve ».‘7
89. En l'espèce, les requérants se bornent à alléguer que leur condamnation et le rejet par la Cour d'appel de leur requête en révision de leur condamnation sont révélateurs d’un traitement discriminatoire. Les requérants ne précisent pas les circonstances dans lesquelles ils ont été soumis à un traitement différencié injustifié par rapport à d’autres personnes dans une situation similaire.'® Comme l’a affirmé la Cour de céans dans l’affaire Bl Bq c. Tanzanie, « des affirmations d'ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves concrètes sont requises ».‘°
90. En conséquence, la Cour rejette l’allégation des requérants selon laquelle leurs droits consacrés à l’article 3(1) et (2) de la Charte ont été violés.
VIII. Sur les réparations
91. Dans leurs observations, les requérants demandent à la Cour d'annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à leur encontre, d’ordonner leur remise en liberté, de remédier à la violation de leurs droits fondamentaux conformément à l’article 27(1) du
17 Arrêt Bk c. Tanzanie, para 153.
18 lbid, para 154.
19 Arrêt Bl Bq c. Tanzanie, para 140.

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Protocole et à l’article 34(1) du Règlement, de rétablir la justice là où elle a été bafouée et de leur accorder toutes autres mesures qu’elle estime appropriées compte tenu des circonstances de l'affaire.
92. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de ne pas faire droit à la demande de réparation ainsi que toutes les autres mesures demandées par les requérants et de rejeter la requête avec dépens.
93. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme et des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
94. Àcet égard, l’article 63 du Règlement prévoit que « la Cour statue sur la demande de réparation dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l’homme et des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
95. La Cour relève qu’étant donné qu’en l’espèce aucune violation n’a été établie, la question de réparation ne saurait se poser et elle rejette par conséquent la demande de réparation des requérants.
IX. Sur les frais de procédure
96. Dans son mémoire, l’État défendeur « demande à la Cour de rejeter la requête avec dépens. »
97. Les requérants n’ont fait aucune observation relativement aux frais de procédure.
98. La Cour fait observer que l’article 30 du Règlement dispose : « À moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
99. La Cour estime que dans le cadre de la requête en l'espèce, il n’y a pas de raison qu’elle s’écarte des dispositions de l’article 30 du Règlement et en conséquence décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
100. Par ces motifs :
La Cour, à l’unanimité :
Sur la compétence
ii. Déclare qu’elle est compétente.
Par la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix contre, le Juge Blaise Tchikaya ayant exprimé une opinion dissidente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la requête ;

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iv. Déclare la requête recevable.
À l’unanimité
Sur le fond
V. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants à un procès équitable consacré à l’article 7 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants à l'égalité devant la loi et le droit à une égale protection de la loi prévus à l’article 3 de la Charte.
Sur les réparations
vil. Ne fait droit à aucune des demandes de réparation sollicitées par les requérants.
Sur les frais de procédure
vi. Décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.
Opinion dissidente TCHIKAYA
1. N’ayant pu être du même avis que mes collègues dans la décision Bb Bn Bb et Aj Bn Bb c. République-Unie de Tanzanie, j'exprime ici ce qui m’en détache. Mon idée est que cette affaire aurait dû être rejetée pour irrecevabilité par la Cour, siégeant à Tunis. L'affaire arrive trop tardivement devant le prétoire de la Cour.
2. En l’espèce, les requérants sont des détenus incarcérés pour une peine de trente ans de réclusion à la prison centrale de Butimba à Mwanza (Tanzanie). Ils ont été reconnus coupables de vol à main armée. Ils formulèrent devant la Cour africaine une requête le 2 octobre 2015. Cette requête intervenait après que les juridictions tanzaniennes (la Haute Cour et la Cour d'appel), aient confirmé leur condamnation par des jugements en dates du 9 octobre 2002 et du 1er mars 2006.‘ La requête présentée devant la Cour africaine en 2015 intervenait donc neuf ans après les dernières décisions nationales. Cette requête aurait dû être rejetée par la Cour de Céans du fait du temps - trop long
- écoulé entre 2006 et 2015.
1 CADHP, Affaire Bb Bn Bb et Aj Bn Bb. Tanzanie, 7 décembre 2018, p. 3, para 6.

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3. Des incidents de procédures semblent faire débat dans le dossier, sans toutefois parvenir à convaincre. || résulte en effet de l’historique du dossier qu'aucun élément juridiquement valable n’a pu interrompre les décomptes des neuf années qui précèdent le recours à la Cour africaine. La Cour aurait dû, pour motiver son rejet, opposer au requérants le principe général du délai raisonnable.’
4. Aussi sera-t-il montré que ce recours est manifestement hors- délai (l.), d’une part et, d'autre part, sera soulevé le caractère impératif du délai raisonnable rend juridiquement incompréhensible la décision rendue par la Cour dans cette affaire. Le recours des Sieurs Bb contre la Tanzanie devrait être considéré irrecevable (Il).
1 Le caractère hors-délai du recours est manifestement établi
5. Le seul fait qu’un recours soit hors délai oblige le juge à le rejeter, quelle qu’en fut la cause. C’est la contrepartie en quelque sorte de l’obligation faite aux États d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations dans un délai raisonnable. 6. Comme indiqué, les dates, non contestées par les requérants, établissent bien neuf ans entre les juges nationaux tanzaniens et la date à laquelle la Cour de céans est saisi (2006-2015). Deux éléments, dont l'appréciation est pourtant assez large, dans la jurisprudence de la Cour auraient pu interrompre et relancer ces délais. Le recours en révision présent en l'espèce (A) et l'incident résultant d’une lettre de la Commission tanzanienne des droits de l'homme (B). L'irrecevabilité du recours en révision présenté, ne donne aucun droit nouveau du fait que ce recours fut présenté hors délai. La question n’est donc plus celle de l'épuisement des recours internes, car ils le furent en l'espèce. Il peut donc être considéré sans effet juridique, comme l’est aussi la question de la lettre de la Commission des droits de l'homme tanzanienne évoquée dans le dossier.
Il. Le recours en révision présentée par les requérants était hors délai, donc infructueux
7. Le recours en révision fut l’un des arguments afin de relancer l'affaire. Il ressort du dossier que le recours en révision de leur condamnation devant la Cour d’appel a été rejeté au motif qu’il avait
2 Fauveau (I. N.), La durée des procès internationaux et le droit au procès équitable. Revue québécoise de droit international, Hors-série, octobre 2010, p. 243

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été introduit hors délai. Un recours ne vient à être considérer que s'il est positif, peu importe son fond. Il faut, de bon droit, qu’il ne corresponde pas à une manœuvre ou une diversion. || doit remplir les conditions de recevabilité. Le recours en révision d’une décision doit en lui-même être valable et doit être formulé dans les délais, pour pouvoir relancer des délais.
8. Ces requérants auraient pu demander et pouvaient encore demander une prorogation de délai. Les Sieurs Bb ne remettent pas en cause ce constat, mais ils tentent de le contourner par des éléments extra-judiciaires. Des éléments que la justice tanzanienne se refuse d’intégrer. Même si l’on considère que le juge national ne doit pas avoir une interprétation rigide du droit interne,* il garde un pouvoir de contrôle du délai dans lequel il rend la justice dans l'intérêt de tous. On peut considérer que le juge tanzanien avait pu apprécier le bien- fondé du recours qui lui était présenté.
9. Comme le dépassement de délai étant constitué, les requérants aurait en effet pu demander une prorogation de délai. Ils donnent simplement à penser qu’ils n’ont que peu collaboré à une bonne administration de la justice. C’est dans ces conditions que l’État défendeur, préoccupé par l’idée de rendre justice aux victimes, a pu soutenir que la requête ne pouvait prospérer. On retrouve l'hypothèse dans laquelle s’est forgée l’idée que le droit d’accès aux tribunaux dont bénéficient les justiciables n’est pas absolu. Qu'il comporte des limitations évidentes et admises. C’est le cas notamment pour les conditions de recevabilité d’un recours. Ces conditions appellent par leur nature une réglementation par l’État. Ce dernier dispose d’une marge d'appréciation.“ La jurisprudence et la doctrine l’on en effet admis. Ces pouvoirs de l'Etat sont toujours dans une tension entre l'infraction commise et l'administration d’une répression juste et proportionnée.
B. …L’incident introduit par la Commission de droits de l’homme de Tanzanie ne prospère pas
10. Une enquête de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance (CHRGG) aurait révélé que la victime avait
3 v. CEDH, Arrêt Af et Af Y Al, 26 avril 2017.
4 CEDH, Affaire Bj c. Italie, 17 juillet 2003 : « La Cour rappelle aussi que le « droit à un tribunal n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, notamment pour les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, qui jouit à cet égard d’une certaine marge d'appréciation (Ag c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série À no 93, pp. 24-25, para 57) », para 85.

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reçu, à la demande des autorités locales, une réparation de la part des véritables agresseurs. Cet incident de procédure semblait montrer que la condamnation des Sieurs Bb était erronée ou abusif. Elle serait fondée sur une erreur de fait concernant l’identité des auteurs véritables des crimes. Les requérants allèguent que cette constatation été confirmée par « la révélation progressive de la vérité ». Ces faits n’auraient pas été mentionnés dans les comptes rendus de toutes les procédures menées par les juridictions au niveau national.
11. Cesallégations sont contenues dans une lettre de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance, un organe du gouvernement de l’État défendeur créé pour la promotion des droits de l’homme. Les éléments du dossier montrent que l’État défendeur avait connaissance des conclusions de la Commission. En tout état de cause, seul le juge national, sous réserve de déni de justice, peut réexaminer et conclure valablement sur des faits initialement versés
au dossier d’une affaire.
Il. Le recours des Sieurs Bb Y Ba devrait être irrecevable comme introduit dans un délai déraisonnable
12. On ne peut présenter une action que dans un délai acceptable, soucieux de la procédure et garantissant les droits des autres. Le « délai raisonnable »° suppose trois aspects : le délai raisonnable à respecter dans ses procédures internes, le délai raisonnable dans lequel la juridiction internationale doit rendre sa décision et enfin, le délai raisonnable que doit observer le requérant dans la soumission de sa requête au juge international.° C’est en effet cette dernière dimension qui est en cause dans l'affaire Bb devant la Cour. Dans le même sens, la Cour internationale de justice, a reconnu un corpus des règles dans son Avis consultatif sur la réformation du jugement n°158 du tribunal administratif des Nations-Unies rendu en 1973," que font partie des droits procéduraux « le droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, le droit d’obtenir une décision de justice dans un délai raisonnable. ». C’est la ligne que
5 L'article 8.1 de la Convention interaméricaine des droits de l'homme dispose que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement’.
6 Article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples souligne exactement : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :...le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
7 C.l.J., Demande de réformation du jugement n°158 du tribunal administratif des Nations Unies, Avis consultatif, 12 juillet 1973, Rec. 1973, p. 209, para 92.

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suit la Cour et elle l’a exprimé dans l'affaire As Bp c. Burkina- Faso,® dont le fameux paragraphe 121 indique que la Cour « apprécie le caractère raisonnable du délai raisonnable au cas par cas » (A). Cette analyse conduit en effet à considérer que les Sieurs Bb arrivent tardivement devant la Cour africaine et leur recours ne respecte pas le principe fondamental du délai raisonnable (B).
A. Une atteinte au principe fondamental du délai raisonnable
13. Désespérés, les requérants semblent, au mépris du temps et du rôle de chaque juridiction, simplement en quête de nouveaux jugements. Dans l'affaire Ernest Am Bc c. Tanzanie, la Cour avait pourtant rappelé qu'elle n’est pas une instance d’appel des décisions rendues par les juridictions nationales. Cette position a également été soulignée dans son arrêt du 20 novembre 2015 en l’affaire A, Bl Bq c. Tanzanie. || revient à chaque juridiction de contrôler si les actions présentées devant elle l'ont été dans des délais raisonnables. La Cour a eu à indiquer qu’elle n'écartait pas sa compétence pour apprécier si les procédures devant les juridictions nationales avaient répondu aux normes internationales établies par la Charte ou par les autres instruments applicables des droits de l'homme.
14. 1| se trouve qu’en l'espèce, la Cour devrait rejeter cette requête comme présentée dans un délai déraisonnable. Les requérants ont en effet déposé une requête en révision contre l'arrêt de la Cour d'appel, au motif qu’il comporterait des « erreurs manifestes ». Le 19 mars 2015, la Cour d'appel a rejeté la requête au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans les délais prescrits par la loi. Les requérants ne contestent pas le caractère tardif de leur recours en révision, en vertu de l’article 107(A) (2) (c) et (e) de la Constitution tanzanienne. Le délai de recours devant la Cour d’appel dans ce cas est celui applicable à une procédure ordinaire et que ce délai peut être prorogé pour un motif valable. La requête ne remplissait pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement concernant l'épuisement des recours internes.
15. | apparait clairement que la requête en révision n'a pas été
8 CADHP, Affaire As Bp, Exception préliminaire et fond, 29 juin 2013 et 28 mars 2014.
9 CADHP, Affaire kennedy Bs Au et Az Ay Ar c. Tanzanie, 28 septembre 2017. V. aussi les commentaires : Delais (O.) et Bz (E.), La création de la cour africaine des droits de l'Homme et des peuples : mécanisme efficace de protection des droits de l'Homme, Revue québécoise de droit international, 12.2, 1999, p.109.

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présentée dans des conditions acceptables devant le juge interne qui avait compétence à la connaître. Comme telle, elle ne peut justifier que la Cour la considère comme un élément pouvant relancer l’évaluation du délai raisonnable. Présenté en 2015, la Cour africaine accepte, dans l'intérêt d’une préservation efficace des droits de l'homme que les recours extraordinaires relancent les délais, mais il est de bon droit qu’ils soient conformes au droit et qu’ils remplissent les conditions requises. Le recours en révision Bb et autres est présenté hors délai et, eux-mêmes, ne le contestent pas.
16. C’est à l’occasion de l'affaire Bx Bt objet de la décision du 29 janvier 1997 que la Cour interaméricaine a pu se prononcer pour la première fois sur l’application de l’article 8(1) de la Convention interaméricaine sur les droits de l'homme. La Cour y avait définit le principe du délai raisonnable. Sur les critères définis par le juge interaméricain dans l’importante jurisprudence ci-dessus, l’un d’entre eux est notable en l'affaire Bb : le caractère non-diligent des
B. Une position de rejet du recours en l’espèce n’aurait pas contredit la jurisprudence de la Cour
17. La Cour avait deux possibilités : 1) rejeter, par voie d’ordonnance après avoir constaté le rejet de la décision en révision du 19 mars 2015 pour tardiveté ; ou, 2) Ayant associé le fond à la procédure, prendre un arrêt, relativement simple de rejet.
18. Notre jurisprudence est précise. Les requérants ne sont pas tenus d’épuiser les recours extraordinaires. La Cour avait noté dans le système judiciaire tanzanien, la procédure permettant de former un recours en révision devant la Cour d'appel est un recours extraordinaire que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir." Lorsqu'ils accomplissent ce recours pour relancer un délai, on doit à l’équilibre des droits et à la sécurité juridique de reconnaitre des conditions de procédure et de fond doivent être respectées. Le recours en révision Warema ne remplissait pas ces conditions.
19. Le devoir de célérité qui s'attache au contentieux des droits de l'homme a été observé par les autorités judicaires tanzaniennes. N’a pas été retenu contre elles des manquements jusqu’à la requêtes tardives présentée en révision. Dans une affaire Ac C Ac c.
10 Parmi les trois critères dégagés permettant d'évaluer le délai raisonnable, on trouve reconnu la complexité de l'affaire, le comportement des parties et l'attitude des juridictions.
11 CADHP, Affaire Be Bk, 3 juin 2016, para 66 à 68,

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Pérou,” la Cour interaméricaine a analysé le respect du droit à la protection judiciaire et aux garanties procédurales. Elle rappelle dans cette affaire quatre éléments à prendre en compte afin de déterminer si une procédure dépasse le délai raisonnable : la complexité de l'affaire, l’activité procédurale de l'intéressé, la conduite des autorités judiciaires et la souffrance de l'intéressé générée par sa situation juridique. Ces conditions sont suivies dans l'espèce Bb jusqu’au rejet de la demande de révision.
20. Pour tenir compte de la spécificité de l'affaire, On peut relever qu’elle comporte une période de stagnation trop longue. La Cour a relevé que la Cour d'appel a rendu son arrêt en appel pénal, le 1er mars 2006. La Cour a constaté en outre que la requête a été déposée devant elle que le 2 octobre 2015. Une période de stagnation trop longue s'était écoulée. Cet état de fait a déjà été dénoncé en droit international des droits de l'homme. Les requérants doivent être diligents et non susciter des inactions dans le traitement judicaire. Dans leur intérêt et pour l’équilibre du droit, les requérants y sont tenus.‘*
En vertu des éléments ci-dessus, je formule cette opinion dissidente n’ayant pu me convaincre de l'issue de cette affaire.
Opinion individuelle conjointe : X et CHIZUMILA
1. Nous souscrivons pleinement aux conclusions de la majorité de la Cour quant au fond de la présente requête. Cependant, sur un point précis de l'arrêt, nous estimons que la majorité aurait pu tenir un raisonnement plus ferme et ordonner, même à titre d’obiter dictum, à l'État défendeur de prendre les mesures nécessaires pour lever le doute créé par les nouveaux éléments de preuve émanant de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance (CHRGG) qui est la principale institution nationale de défense des droits de l'homme.
2. Dans sa lettre, la CHRGG informait les requérants qu’elle avait établi, comme indiqué au paragraphe 70 de l'arrêt, que les véritables
12 CIADH, Affaire Ac C Ac c. Pérou, Exception Préliminaire, Fond, Réparations et Dépens, 30 juin 2015.
13 Sur les délais applicables en matière de recours conduisant à l’irrecevabilité (Bg c. Ukraine, para 26, Ah Ak et autres c. Espagne, $ 38). Il appartient toutefois au justiciable d'agir avec la diligence requise (Ad c. Bulgarie*, paras 52-55).

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auteurs du crime étaient d’autres personnes et que celles-ci avaient en fait remis à la victime six (6) vaches et cent vingt mille shillings tanzaniens (120 000 TZS) à titre de compensation.
3. La Cour a relevé au paragraphe 73 de son arrêt que la lettre de la Commission (CHRGG) ne constituait pas une preuve suffisante lui permettant de conclure qu’elle pouvait conduire à l’annulation de la condamnation des requérants ou qu’elle serait parvenue à une conclusion fondamentalement différente de celles des juridictions nationales. Ce d'autant plus que, comme l’a souligné la majorité, cette lettre qui indique que les véritables auteurs du crime en question étaient d’autres personnes et non pas les requérants, a été publiée à l'issue d’une enquête préliminaire menée par la Commission dans le cadre de l'affaire. | convient cependant de noter que cet aspect ne figurait pas dans la lettre adressée aux requérants et ne l'était que dans la lettre adressée à la Cour, peut-être dans le souci de justifier le fait que la Commission ne pouvait comparaître devant la Cour sur cette question.
4. Dans leurs observations, les requérants n’ont pas indiqué que l'attention des instances ou des autorités judiciaires de l’État défendeur avait été attirée sur la lettre ni que l’État défendeur avait eu la possibilité de mener une nouvelle enquête sur les points soulevés dans la lettre. Cet état des choses s'explique en partie par le fait que les requérants n’ont reçu la lettre qu’en 2011, longtemps après la clôture de la procédure d'appel devant les juridictions nationales en 2006, et qu’il leur était pratiquement impossible de la produire comme preuve pour contester leur condamnation au cours de ladite procédure. || n’est non plus certain que la CHRGG a communiqué la teneur de la lettre aux instances et aux autorités judiciaires ou que celles-ci l’avaient jointe à la requête en révision introduite par les Requérants devant la Cour d'appel, qui n’a été déclarée irrecevable qu’en 2015 au motif qu’elle a été introduite hors délai.
5. En effet, à notre avis, si les requérants avaient allégué devant la Cour de céans que cette lettre avait été jointe à leur requête en révision devant la Cour d'appel, la Cour aurait dû examiner si les juridictions nationales avaient violé les droits des Requérants pour ne leur avoir pas véritablement rendu justice parce qu’elles n’ont pas prêté attention aux détails techniques. Dans ces circonstances, nous souscrivons à la conclusion de la majorité selon laquelle il n’y a pas de raisons suffisantes pour conclure à des violations des droits des Requérants engageant la responsabilité de l’État défendeur.
6. Bien qu’il ressort des conclusions de la CHRGG que les Requérants ont passé plus de 17 années en prison pour un crime qu’ils n’auraient pas commis, nous avons la ferme conviction qu’une cour des droits de l'homme aurait dû explorer toutes les voies permettant

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de garantir que l’État défendeur mène des enquêtes approfondies sur cette affaire afin d’établir la culpabilité ou l'innocence des Requérants. Cela aurait pu se faire sous la forme d’une demande de comparution des parties devant la Cour de céans pour présenter leurs observations sur la question. En outre, la lettre déposée par les Requérants, comme la majorité l’a fait observer, provient d’une institution gouvernementale, à savoir la CHRGG, dotée d’un mandat constitutionnel de protection des droits de l’homme dans l’État défendeur. Bien qu’il ne soit pas certain que la CHRGG a mené une enquête complète, nous estimons que le fait qu’il s'agisse d’un organe établi par la constitution donne un certain poids à la valeur probante de la lettre.
7. En outre, il serait étonnant que le constat sans équivoque de la CHRGG puisse changer, même après une enquête plus approfondie. La remise de vaches et de l’argent à titre de compensation dans le cadre traditionnel d’un village africain ne peut être un acte confidentiel. En tout état de cause, les informations fournies par la CHRGG ont été corroborées par les affirmations des Requérants selon lesquelles les témoins à charge avaient avoué à leurs témoins avoir commis une erreur d'identification des véritables coupables et s'en sont excusés auprès de leurs proches.
8. Même si la responsabilité de l’État défendeur n’est pas engagée, nous sommes d'avis que la Cour aurait dû accorder une certaine importance à cette lettre et faire le constat judiciaire de son contenu afin d’exhorter, ou tout au moins encourager l’État défendeur à prendre les mesures nécessaires pour dissiper le doute qui planait sur la condamnation des Requérants. Nous comprenons que l’hésitation de la majorité à le faire résulte de l'absence d’un texte normatif explicite qui permette à la Cour de rendre une telle ordonnance dans des circonstances où elle n’a pas conclu à la violation par l’État défendeur des obligations internationales qui sont les siennes, énoncées dans la Charte ou dans d’autres traités des droits de l'homme auxquels il est partie.
9. Il n’est cependant pas non plus inhabituel que les juridictions internationales fassent des observations, notamment sous forme d'obiter dictum, en cas de nécessité. C’est, à notre avis, ce que la majorité aurait pu faire en l'espèce.
10. Au vu de ce qui précède, nous regrettons que la Cour n’ait pas exhorté l’État défendeur à prendre des mesures judiciaires ou administratives pour établir de manière non équivoque la véracité des conclusions préliminaires de la CHRGG et dissiper tout doute quant à la culpabilité des Requérants.
11. Selon un vieil adage juridique, « // vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ». Même après la déclaration de culpabilité, le droit d’être entendu exige que cette

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déclaration puisse être révisée, si, par exemple, de nouveaux éléments de preuve viennent jeter un doute sur la déclaration de culpabilité, comme c'est le cas en l'espèce. Chaque gouvernement a une obligation de diligence envers ses citoyens et la CHRGG étant un organisme gouvernemental, les autorités n'auraient aucune difficulté à mettre en œuvre ses conclusions relatives à la condamnation des Requérants, quelles qu’elles soient.



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 07/12/2018
Date de l'import : 13/04/2022

Numérotation
Numéro d'arrêt : 024/2015
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