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07/12/2018 | CADHP | N°003/2014

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 07 décembre 2018, 003/2014


Texte (pseudonymisé)
Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209 209
Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209
Requête 003/2014, Ak As Ad c. République du Rwanda
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et ABOUD
S’est récusée en application de l’article 22 : MUKAMULISA
La Cour a ordonné la réparation, ayant constaté que l’emprisonnement
de la requérante, une dirigeante de l’opposition, avait violé son droit à la
Réparations

(réparation du préjudice matériel, 39, 40 ; monnaie, 45 ;
honoraires d'avocat, 46 ; preuve, 48, 49, 51,...

Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209 209
Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209
Requête 003/2014, Ak As Ad c. République du Rwanda
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et ABOUD
S’est récusée en application de l’article 22 : MUKAMULISA
La Cour a ordonné la réparation, ayant constaté que l’emprisonnement
de la requérante, une dirigeante de l’opposition, avait violé son droit à la
Réparations (réparation du préjudice matériel, 39, 40 ; monnaie, 45 ;
honoraires d'avocat, 46 ; preuve, 48, 49, 51, 52 ; préjudice moral,
59-62 ; effets sur les membres de la famille, 68, 69 ; la libération n'exclut
pas la réparation, 71)
| Bref historique de l’affaire
1 Par requête introduite devant la Cour de céans le 03 octobre 2014, la requérante a indiqué que, depuis le 10 février 2010, elle a été l’objet d’accusations et de poursuites judiciaires pour propagation de l’idiologie du génocide, de complicité dans le terrorisme, de sectarisme, de divisionnisme, d'atteinte à la sécurité intérieure de l'État, de création d’une branche armée d’un mouvement rebelle, de recours au terrorisme, à la force armée et à la violence aux fins de déstabilisation du pouvoir constitutionnellement établi. Après un procès devant la Haute Cour de Kigali le 30 octobre 2012, la requérante a été condamnée à huit ans de prison. Le 13 décembre 2013, la requérante s’est pourvue en cassation devant la Cour Suprême, qui l’a condamnée à 15 ans de servitude pénale.
2 Estimant que son arrestation, le procès ainsi que son incarcération ont violé ses droits, la requérante a, le 03 octobre 2014, saisi la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après, «la Cour »).
3 Dans l'arrêt sur l'affaire qu’elle a rendu le 24 novembre 2017, la Cour a décidé ce qui suit :
« vil. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(C) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, en ce qui concerne les irrégularités de procédure qui ont affecté le droit de la défense ;
IX. dit que l’État défendeur a violé les articles 9(2) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qui

210 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
concerne le droit à la liberté d’opinion et d’expression ;
Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la requérante dans ses droits et faire rapport à la Cour dans un délai de six (6) mois sur les mesures prises ;
xii. Sursoit sa décision sur les autres formes de réparation ;
xiii. Accorde à la requérante, en application de l’article 63 du Règlement intérieur de la Cour, un délai de 30 jours pour déposer sa requête aux fins de réparation à compter de la date du présent arrêt... »
4 La présente requête porte sur la demande de réparation introduite par la requérante.
Il. Objet de la demande
5. La requérante demande à la Cour d'annuler sa condamnation à la peine d'emprisonnement et ses conséquences et de lui accorder l'entière réparation des préjudices subis par elle-même, son époux et ses trois enfants du fait des violations de ses droits constatées dans l'arrêt du 24 novembre 2017.
6 Elle précise que la Cour devrait ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures afin de :
«- annuler sa condamnation à 15 ans de servitude pénale,
- procéder à sa libération immédiate,
- annuler le casier judiciaire relativement à sa condamnation,
- lui rembourser la somme de 200.000 dollars US du fait du préjudice matériel qu’elle a subi,
lui payer la somme de 100.000 de dollars US pour préjudice moral ».
7 L'État défendeur n’a fait aucune observation sur le mémoire en
réparation.
I. Résumé de la procédure devant la Cour
8 Dans son arrêt du 24 novembre 2017, la Cour a accordé à la requérante un délai de 30 jours pour soumettre sa requête aux fins de réparation.
9 Le 21 décembre 2017, le conseil de la requérante a sollicité une prorogation de délai jusqu’au 4 janvier 2018 pour soumettre sa demande de réparation. Il justifie cette demande par le fait que la requérante n’a personnellement pris connaissance de l'arrêt de la Cour que le 4 décembre 2017. La demande de prorogation de délai fut notifiée à l’État défendeur le 22 décembre 2017.

Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209 211
10. Le 03 janvier 2018, la requérante a déposé son mémoire en réparation ainsi que les éléments de preuve à l’appui de sa demande. 11. Le 4 janvier 2018, la requérante a transmis à la Cour une note explicative des documents de preuves et a réitéré sa demande pour la tenue d’une audience qui lui permettrait de mieux expliquer les réparations demandées. Le 15 mai 2018, le Greffe a informé la requérante que la Cour n’'estime pas nécessaire la tenue d’une audience publique sur les réparations.
12. Le 15 janvier 2018, la requérante a déposé un document rectificatif de sa demande en réparation. Dans ce document, la requérante rectifie le montant des honoraires d’avocat qu’elle estime à 68 376 euros au lieu de 65 460 euros comme indiqué dans la requête. Le « corrigendum » indique également que pour la réparation du préjudice moral, la requérante demande pour elle, son époux et ses trois enfants la somme de cent mille (100.000) dollars US au lieu d’un million (1.000.000) de dollars US.
13. Conformément à l’article 36(1) du Règlement, la requête aux fins de réparation fut communiquée à l’État défendeur le 19 mars 2018. 14. Le 03 octobre 2018, le Greffe a porté à l’attention de l’État défendeur qu’au cours de sa 50*"° session ordinaire, la Cour a décidé de lui accorder un dernier délai supplémentaire de 30 jours et qu’au- delà de ce délai, elle statuerait sur la requête par défaut conformément à l’article 55 du Règlement et ce, dans l'intérêt de la justice.
15. Bien qu’ayant reçu toutes ces notifications; l’État défendeur n’a répondu à aucune d'elles.
16. Le 23 novembre 2018, la requérante a informé la Cour qu’elle a
17. Par conséquent, dans l'intérêt de la justice, la Cour examine la présente demande en réparation en l’absence de la réponse de l’État défendeur.
IV. Sur les réparations
18. Aux termes de l’article 63 du Règlement, « la Cour statue sur la demande de réparation introduite en vertu de l’article 34.5 du présent Règlement, dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».

212 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
19. La Cour rappelle ses arrêts antérieurs et réaffirme que pour examiner les demandes en réparation des préjudices résultants des violations des droits de l'homme, elle tient compte du principe selon lequel l’État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a l'obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime.
20. Ainsi, la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis. Celle-ci doit, notamment, inclure la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime et les mesures propres à garantir la non répétition des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.
21. La Cour retient également comme principe l’existence d’un lien de causalité entre la violation et le préjudice allégué et fait reposer la charge de la preuve sur le requérant qui doit fournir les éléments devant justifier sa demande.*
22. La Cour relève, en outre, que lorsqu‘elle est appelée à statuer sur les demandes de réparations des préjudices résultant des violations qu’elle a constatées, elle tient compte, non seulement de la juste adéquation entre la forme de réparation et la nature de la violation, mais aussi des désirs exprimés par la victime.
23. En l'espèce, la violation des droits de la requérante génératrice de la responsabilité de l’État défendeur est basée sur les articles 7(1) (c) et 9(2) de la Charte et de l’article 19 du Pacte en ce qui concerne les irrégularités de procédure qui ont affecté le droit de la défense et le droit à la liberté d'opinion et d'expression de la requérante.
A. Demande d’annulation de la condamnation et ses
conséquences
24. La requérante demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur d'annuler les condamnations pénales prononcées contre elle et plus particulièrement la condamnation à quinze ans de servitude pénale prononcée par la Cour suprême de Kigali.
1 Requête 013/2011, Arrêt du O5 juin 2015 sur les réparations, Ayants droit de feu Aj Ac et autres c. Ar Ap, (ci-après dénommé « Arrêt Ayants droit de feu Aj Ac et autres c. Ar Ap ») para 20 ; Requête 004/2013, Arrêt du 03 juin 2016, Ao Ae Am c. Ar Ap, (ci-après dénommé « Arrêt Ao Ae Am c. Ar Ap »), para 15.
2 CPJI, Usine de Chorzow, Allemagne c.Pologne, compétence, fixation d'indemnités et fond, 26 juillet 1927, 16 décembre 1927 et 13 septembre 1928, Rec. 1927, p. 47.
3 Requête 011/2011, Arrêt du 03 juin 2014 sur les réparations, Ab Al Aq c. République-Unie de Tanzanie, (ci-après dénommé « Arrêt Ab Al Aq c. République-Unie de Tanzanie »), para 40.

Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209 213
25. Elle soutient également que la forme la plus appropriée de réparation des violations du droit au procès équitable est sa libération. 26. La requérante demande, en outre, à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de procéder à l’effacement des condamnations prononcées contre elle de son casier judiciaire. Elle précise que les mesures à prendre à cet effet seraient celles qui la rétablissent dans la situation où elle se serait retrouvée si l’État défendeur n’avait pas violé ses droits tels que constatés par la Cour de céans.
27. La Cour relève que la requérante lui demande d’ordonner à l’État défendeur d’annuler la peine de quinze (15) ans d’emprisonnement prononcée contre elle et de la mettre en liberté sans en venir à la réouverture de son procès.
28. La Cour rappelle que s'agissant de la demande d'annulation de la peine d'emprisonnement, elle l’a déjà examinée dans sa décision au fond du 24 novembre 2017 aux paragraphes 48, 168, 169 et 173(xi) et par conséquent, elle ne la réexamine pas.
29. La Cour rappelle également qu’elle s’est déjà exprimée sur la question de la libération de la requérante dans l’arrêt du 24 novembre 2017 sus visé.
30. La Cour relève, par ailleurs, que le 23 novembre 2018, elle a été informée par la requérante qu’elle a été mise en liberté et qu’elle est sortie de prison.
31. S'agissant de la demande tendant à ordonner à l’État défendeur d’apurer le casier judiciaire de la requérante des condamnations qui sont inscrites, la Cour fait observer que l’apurement du casier judiciaire suppose que la condamnation a été annulée.
32. Par conséquent, la Cour rejette la demande d’apurement du casier judiciaire de la requérante.
B. Demande de réparation du préjudice matériel
33. La requérante soutient que depuis son retour au Rwanda elle a souffert des multiples interpellations dont elle a été l’objet et qu’elle n’a pas cessé de subir les agissements des services de sécurité et des « autres institutions publiques ».
34. Elle affirme également qu’elle a dû supporter plusieurs dépenses pour d’une part, assurer sa défense devant les juridictions rwandaises et internationales et d’autre part, pour assurer sa survie dans le milieu carcéral.
35. Pour toutes ces dépenses, la requérante réclame qu’une somme de 200.000 dollars US lui soit accordée au titre de la réparation de l’ensemble de tous les préjudices matériels. Elle énumère les dépenses suivantes :
i. Les frais payés pour obtenir la levée des copies de certaines

214 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
pièces du dossier judiciaire qui s'élèvent à 230000 Fr rwandais, soit l'équivalent de 269,10 dollars US au taux de 2010 ;
ii. Les frais de représentation devant la Haute Cour à Kigali, la Cour Suprême au Rwanda et la Cour africaine, en termes d'honoraires versés aux avocats, qui s'élèvent 68376 euros soit 83364 dollars US.
iii. Les dépenses effectuées, depuis la prison qui s'élèvent à 1000 euros par mois soit un total de 109728 dollars US pour les 7 ans qu’elle passe déjà en prison.
iv. La requérante ajoute que les montants ainsi exposés ne couvrent pas le manque à gagner que lui cause sa détention. Aussi, demande-t-elle à la Cour de porter la réparation de l’ensemble de tous les préjudices matériels subis à un total de 200 000 dollars US.
36. La Cour fait observer que la demande de réparation du préjudice matériel lié à la violation d’un droit de l'homme doit être étayée par des éléments de preuve et lorsqu'il y a plusieurs demandes, chacune d'elle doit être accompagnée de pièces justificatives probantes et soutenue par des explications qui établissent le lien entre la dépense ou la perte matérielle et la violation.“
37. Enl'espèce, la requérante réclame le remboursement de quatre (4) dépenses dont trois (3) se rapportent aux frais de procédure. Ceux- ci, comme la Cour l’a déjà énoncé font partie du concept de réparation de sorte que lorsqu'ils sont établis, elle peut ordonner à l’État défendeur d’octroyer une compensation à la victime.
i. Frais du traitement administratif du dossier judiciaire
38. Sur les frais de la levée des copies de certaines pièces du dossier judiciaire, la Cour note que la requérante a joint à sa requête des copies de deux reçus de paiement ; le premier d’un montant de cent cinquante mille (150000) Fr rwandais et le deuxième de quatre et vingt mille (80000) Fr rwandais, délivrés respectivement le 22 mars et le 18 mai 2011 par l'Office Rwandais de Recettes et portant frais de chancellerie.
39. La procédure judiciaire engagée contre la requérante ayant commencé en 2010 et s'étant poursuivie jusqu'au 13 décembre 2013, date de sa dernière condamnation, la Cour conclut que lesdits reçus de paiement, datés de mars et mai 2011, l’ont été pour la cause de la procédure judiciaire engagée contre la requérante.
40. Par conséquent, la Cour accorde à la requérante le
4 Arrêt Al Aq c. République-Unie de Tanzanie $ 40.

Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RJCA 209 215
remboursement des frais du traitement administratif de son dossier judiciaire qui s'élèvent à deux cent trente mille (230 000) Fr rwandais.
ii. Honoraires versés aux avocats
41. La requérante réclame le remboursement des dépenses qu'elle a engagées pour couvrir les honoraires et les frais de voyage de cinq (05) avocats ayant assuré sa défense devant les tribunaux rwandais et devant la Cour de céans. Elle joint au dossier une liste récapitulative des honoraires d’un montant total de cinquante et cinq mille trois cents (55.300) euros, des reçus de virements bancaires au bénéfice desdits avocats ainsi que des reçus de titres de voyage de deux avocats dont l’un de cinq mille six cent vingt et neuf euros quatre et vingt et seize centimes (5629,96) euros et l’autre de cinq mille soixante-douze euros et six centimes (5072,6) euros.
42. S'agissant des honoraires versés aux avocats, la Cour note qu’il ressort des pièces du dossier qu’entre 2011 et mai 2017, quatre (4) avocats à savoir : lain Edwards, van J. Hofdijk, Gatera Gashabana et van Caroline Buisman ont respectivement reçu des virements du compte de la requérante à leur compte bancaire, les sommes de neuf mille (9000 euros), trois mille sept cent quarante et cinq euros et soixante centimes (3745,60 euros), vingt et quatre mille sept cent cinquante et neuf (24759 euros) et quatorze mille cent vingt et neuf (14129 euros). Le total des sommes ainsi justifiées comme étant les frais d'avocats s'élève à cinquante et un mille six cent trente - trois euros et soixante centime (51 633,60 euros) soit la somme de soixante mille cent quarante — deux dollars soixante et dix - neuf centimes (60142,79 dollars US). La convention d’honoraire signée entre l’avocate Caroline Buisman, les motifs des transferts ainsi que des accusés d’encaissement signés des avocats attestent le lien entre lesdites dépenses et la cause de la requérante devant les juridictions relativement à la présente affaire.
43. La Cour note également que les frais de voyage des avocats de la requérante sont justifiés par deux reçus d'achat de titres de voyage par maître Caroline Buisman et maître Gatera Gashabana, respectivement de cinq mille six cent vingt et neuf euros quatre-vingt et seize centimes (5629,96 euros) et de cinq mille soixante-douze euro six centimes (5072,6 euros), soit un total de dix mille sept cent deux euros cinquante et six centimes (10.702,56 euros). Toutefois, la Cour constate que les frais d’achat des titres de voyage sont déjà comptabilisés dans les différents virements bancaires opérés par la requérante au profit des deux avocats.
44. La Cour observe, en outre, que les honoraires versés aux avocats lain Edwards, van J. Hofdijk et Gatera Gashabana ne sont

216 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
pas étayés par une convention d’honoraire. Cependant, la Cour estime que pour assurer sa défense la requérante a dû consentir de telles dépenses.
45. La Cour considère que dès lors que la requérante se trouve sur le territoire de l'État défendeur, les montants des réparations seront calculés dans la monnaie en cours dans ledit État.
46. La requérante ayant eu gain de cause en partie, la Cour estime plus approprié de statuer en équité et d’accorder à la requérante la somme forfaitaire de dix millions (10.000.000) Fr rwandais en remboursement des honoraires versés aux avocats.
ii. Dépenses effectuées en prison
47. La requérante fait également valoir que depuis son incarcération jusqu’au jour de sa requête, ses dépenses mensuelles à la prison s’élèvent à mille (1000) euros par mois et pour les sept (7) années passées en prison, elle réclame le remboursement de cent neuf mille sept cent vingt et huit (109.728) dollars US. Elle justifie cette demande en fournissant à l'appui une copie de deux (2) reçus de transfert d’une somme de mille (1000) euros chacun et datés respectivement du 09 et 13 octobre 2017.
48. La Cour note que la requérante n’a pas étayé sa demande par des pièces justificatives.
49. En conséquence, la Cour rejette la demande de remboursement des dépenses effectuées en prison.
iv. Remboursement des coûts des équipements saisis
50. La requérante fait valoir que depuis le début de l'affaire elle a fait l’objet de la part des services de sécurité et de « diverses autres institutions publiques » de « visites domiciliaires tant au Rwanda qu’aux Pays-Bas suivies des perquisitions illégales qu’il s’en est suivi une saisie illégale de ses équipements (ordinateurs, téléphones et autres). Elle demande à la Cour de porter le total de l'indemnité de réparation à 200.000 dollars US.
51. Comme la Cour l’a déjà souligné dans son arrêt rendu dans l'affaire Ao Ae Am c. Ar Ap, il ne suffit pas de relever que l’État défendeur a commis des faits illicites pour réclamer une indemnisation, il faut également fournir la preuve des dommages allégués et du préjudice subi.
5 Arrêt Ao Ae Am c. Ar Ap, $ 46 ; Arrêt Al Aq c. République —Unie de Tanzanie $ 31.

Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RJCA 209 217
52. Larequérante n’ayant pas rempli cette exigence, la Cour conclut
que ses prétentions relatives à la saisie de ses équipements ne sont
pas fondées et l'en déboute.

218 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
C. Demande de réparation du préjudice moral
53. La requérante allègue que depuis son incarcération, ses rêves, ses ambitions ainsi que sa vie politique et familiale ont été totalement brisés. Qu'elle a été l’objet de plusieurs exactions, de railleries et de campagne de dénigrement qui ont jeté en pâture son honneur, sa réputation et sapé fortement son moral ainsi que celui des membres de sa famille, en l'occurrence son époux et ses trois enfants.
54. Selon elle, toutes ces souffrances physiques et psychologiques sont liées à son arrestation, à son incarcération et à son procès intervenu en violation des garanties d’un procès équitable.
55. La requérante demande, en outre, à la Cour de statuer « ex aequo et bono » et d'ordonner à l’État défendeur de prendre des mesures nécessaires pour lui verser la somme de cent mille (100.000) de dollars US à titre de dommages et intérêts ou sa contrevaleur en franc rwandais.
56. | ressort des demandes en réparation du préjudice moral, que celles-ci concernent d’une part, la requérante elle-même et d'autre part, son conjoint et ses trois enfants.
i. Préjudice moral subi par la requérante
57. La requérante soutient que dès le prononcé de son discours au Mémorial, une campagne de dénigrement a été orchestrée contre elle par les médias et la classe politique qui la présentaient comme une adepte de l'idéologie du génocide, de sectarisme, de négationnisme et d’être ainsi épiée et suivie dans tous ses déplacements jusqu’à son arrestation.
58. Elle affirme aussi que les conditions de sa détention avant et après sa condamnation sont des plus restrictives, marquées parfois par l'isolement, la privation de nourriture et l'interdiction de visites y compris les visites de ses avocats dont deux ont été placés en garde - à - vue pendant plus d’une journée avant d’être expulsés du Rwanda. 59. La Cour rappelle qu’en règle générale, lorsqu'il s’agit de personnes détenues dans les conditions telles que décrites par la requérante, le préjudice moral qu’elles évoquent se présume de sorte qu'il n’est plus nécessaire de les établir autrement.‘
1 Arrêt Ayants droit de feus Aj Ac et autres c. Ar Ap, $ 61 ; voir aussi Cour interaméricaine des droits de l'homme ; Aa Ai A Af, Séri c, N°119/ 2004, $ 237 ; Cour européenne des droits de l'homme, An Ah c. Turquie, Requête 9540/07, (2014) $ 86.

Ad c. Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209 219
60. La Cour note aussi que la campagne de dénigrement contre la requérante et les interviews accordés aux personnalités politiques et administratives sur les accusations portées contre la requérante ont jeté l’opprobre sur sa personnalité et ses ambitions politiques.
61. Ainsi que la Cour internationale de justice l’a souligné dans son Avis consultatif, Demande de réformation du jugement n°158 du Tribunal administratif des Nations unies, Affaire Ag du 12 juillet 1973 : Le « tort causé à la réputation et à l'avenir professionnel du requérant » doit être réparé.”
62. La Cour conclut que la requérante a subi un préjudice moral lié à sa réputation et à son avenir politique et fait droit à sa demande de réparation.
ii. Préjudice moral subi par l’époux et les enfants de la requérante
63. S'agissant des membres de sa famille, la requérante évoque le stress, l’angoisse et le traumatisme que son époux et ses trois enfants ont subi depuis son arrestation et son incarcération.
64. La requérante soutient que son époux a été profondément affecté et traumatisé par son arrestation, la médiatisation de son procès suivi de son emprisonnement au point qu’il souffre aujourd’hui de la paralysie de ses membres et se déplace en fauteuil roulant.
65. Elle soutient, en outre, que son fils cadet a été victime de harcèlements et de bourrasques graves de la part de ses camarades d'école qui le traitent de fils de criminelle.
66. La Cour rappelle qu’elle a déjà interprété que les membres de la famille directe ou proche qui ont souffert physiquement ou psychologiquement de la situation de la victime entrent eux aussi dans la définition de « victime » et peuvent se prévaloir d’un droit à la réparation du préjudice moral que leur cause ladite souffrance.*
67. En l'espèce, les accusations portées contre la requérante, son emprisonnement et les restrictions portées à ses communications avec son époux et ses enfants sont autant d’actes de nature à entamer fortement le moral de ceux-ci.
68. La Cour note aussi que les conséquences liées au stress et à l'angoisse généralisée des membres de la famille de la requérante sont corroborées par les rapports médicaux établis par le médecin de la polyclinique neurologique de Gouda au Pays — Bas, respectivement le
2 Tribunal administratif des Nations unies, Affaire Ag, avis du 12 juillet 1973 Rec., 1973, $ 46, p. 25.
3 Arrêt Ayants droit de feus Aj Ac et autres c. Ar Ap, op.cit., $ 49.

220 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
27 septembre 2016 et le 25 juillet 2017. Lesdits rapports mentionnent notamment que l'époux de la requérante est non-fumeur, non alcoolique mais qu’il est anxieux et très stressé par les déboires qui touchent sa situation familiale.
69. Dans ces conditions, la Cour considère que les violations des droits de la requérante par l’État défendeur ont eu aussi un impact sur les membres de sa famille.
70. La requérante demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui payer la somme de cent mille (100000) dollars US en guise de réparation du préjudice moral.
71. La Cour relève que la grâce présidentielle, ayant abouti à la libération de la requérante le 15 septembre 2018, constitue une forme de réparation du préjudice moral. Cependant, elle estime que la réparation voulue par la requérante n'exclut pas le paiement d’une indemnité compensatrice pour violation du droit de la requérante à la
72. À cet égard, la Cour statuant en équité, accorde à la requérante la somme de cinquante et cinq millions (55.000.000) Fr rwandais en réparation du préjudice moral subi par elle-même, son époux et ses enfants.
73. Sur les frais de procédure, la Cour considère que ceux-ci sont déjà pris en compte dans le remboursement des honoraires.
74. Par ces motifs :
La Cour,
À l’unanimité,
i. Rejette la demande d'apurement du casier judiciaire de la requérante ;
ii. Ordonne à l’État défendeur de rembourser à la requérante la somme de dix millions deux cent trente mille (10.230.000) Fr rwandais pour tout préjudice matériel subi ;
iii. Ordonne à l’État défendeur de payer à la requérante la somme de cinquante et cinq millions (55.000.000) Fr rwandais à titre d'indemnisation du préjudice moral qu’elle, son conjoint et ses trois enfants ont subi ;
iv. Ordonne à l’État défendeur de payer tous les montants indiqués aux points (ii) et (iii) du présent dispositif dans un délai de six mois à partir de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il aura à payer également un intérêt moratoire calculé sur la base du taux applicable fixé par la Banque Centrale rwandaise, durant toute la période de retard et jusqu'au paiement intégral des sommes dues.
v. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de


Synthèse
Numéro d'arrêt : 003/2014
Date de la décision : 07/12/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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