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07/12/2018 | CADHP | N°001/2015

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 07 décembre 2018, 001/2015


Texte (pseudonymisé)
Bi
Bi c. Ct

c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 493
(fond et réparations) (2018) 2 RICA 493

Requête 001/2015 Ap Bi c. République-Unie de Ct
(République de Côte d'Ivoire intervenant)
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges A, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, MATUSSE,
MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
S’est récusé en application de l’article 22 : ORÉ
Le requérant, citoyen ivoirien, a été reconnu coupable et condamné à
mort pour le meurtre de son épouse. || a int

roduit cette requête, alléguant
la violation de ses droits par suite de sa détention et de son jugement.
La Cour...

Bi
Bi c. Ct

c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 493
(fond et réparations) (2018) 2 RICA 493

Requête 001/2015 Ap Bi c. République-Unie de Ct
(République de Côte d'Ivoire intervenant)
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges A, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, MATUSSE,
MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
S’est récusé en application de l’article 22 : ORÉ
Le requérant, citoyen ivoirien, a été reconnu coupable et condamné à
mort pour le meurtre de son épouse. || a introduit cette requête, alléguant
la violation de ses droits par suite de sa détention et de son jugement.
La Cour a estimé que certaines garanties d’un procès équitable avaient
été violées, mais que certaines des réparations demandées par le
requérant, telle que la remise en liberté, n'étaient justifiées. Selon la
Cour, par les violations constatées n'avaient pas entaché la décision
des juridictions internes relatives à la culpabilité du requérant. La Cour
a rejeté la demande de remise en liberté mais accordé une indemnité
pécuniaire pour les violations constatées.
Compétence (conformité des procédures nationales avec la Charte, 33
; assistance consulaire, 37, 38)
Recevabilité (épuisement des recours internes, garanties d’un procès
équitable, 50 ; recours extraordinaires, 51 ; introduction dans un délai
raisonnable, 56)
Procès équitable (défense, interprétation, 73, 75-78 ; assistance
consulaire, 95, 96 ; preuves, 105-111 ; procès dans un délai raisonnable,
124)
Traitements cruels, inhumains ou dégradants (charge de la preuve,
132-136)
Réparations (annulation de la condamnation, 163 ; remise en liberté,
164, 165 ; réparations, 178-183, 186, 189 ; garanties de non-répétition ;
publication de l'arrêt, 195)
Dépens (conseil pro bono, 200 ; pièces justificatives, 203)
Opinion individuelle : BENSAOULA
| Les parties
1 Le requérant, Ap Bi, est ressortissant de la République de Côte d'Ivoire. Il est condamné à la peine capitale pour le meurtre de son épouse et est actuellement détenu à la Prison centrale d’Bo, en République-Unie de Ct.
2 La requête est dirigée contre la République-Unie de Ct (ci-après dénommée « l'État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée la

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« Charte ») le 21 octobre 1986, et au Protocole le 10 février 2006. L’État défendeur a également déposé, le 29 mars 2010, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
3 Conformément à l’article 5(2) du Protocole et aux articles 33(2) et 53 du Règlement, la République de Côte d'Ivoire (ci-après dénommée « l’État intervenant ») a été autorisée à intervenir.
Il. Objet de la requête
A Faits de la cause
4 Le requérant s’est installé en Ct le 1er mai 2004 à titre de personne à charge de son épouse, citoyenne de Côte d’Ivoire, qui travaillait au Tribunal pénal international pour le Rwanda (ci-après dénommé « TPIR »). Le requérant était également stagiaire au TPIR. 5. Le 6 octobre 2005, les agents de sécurité du TPIR l'ont interpellé, en rapport avec la disparition de son épouse et l'ont remis à la police locale qui l’a placé en garde à vue. Le 18 octobre 2005, il a été mis en accusation devant la Haute Cour de Ct siégeant à Moshi, pour le meurtre de son épouse.
6 Le 30 mars 2010, il a été déclaré coupable et condamné à la peine capitale. Il a interjeté appel devant la Cour d'appel de Ct qui a rejeté son recours le 28 février 2014.
7 Le 15 avril 2014, il a déposé un avis de requête aux fins de révision de l’arrêt de la Cour d'appel.
8 Le 6 janvier 2015, avant l’audience de la Cour d’appel, le requérant a introduit la requête N°001 de 2015 devant la Cour de céans, alléguant la violation de plusieurs de ses droits au cours des procédures devant les juridictions internes.
B Violations alléguées
9 Le requérant allègue ce qui suit :
«i. Sauf pendant le procès tenu en 2010, l’État défendeur ne lui a fourni aucune assistance linguistique au cours de toutes les autres étapes cruciales de l'affaire, notamment lorsqu'il a été interrogé et sa déclaration a été consignée au poste de police, alors qu’au moment de son arrestation, il ne comprenait et ne s'exprimait correctement qu’en français.
Il L’État défendeur n’a ni garanti ni mené une enquête

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appropriée, impartiale, professionnelle et diligente dans le cadre de l'affaire. Pour cette raison, plusieurs éléments de preuve qui auraient pu conduire à d’autres suspects, n’ont pas été exploités ou ont été tout simplement détruits, avec la complicité des enquêteurs chargés du dossier. Si ces éléments de preuve avaient été exploités ou présentés devant la Haute Cour, ils auraient permis d'établir qu’il n’était pas l’auteur du crime.
iii. Son droit à la présomption d’innocence a été « sauvagement violé » en l'espèce. Une forte présomption de culpabilité pesait contre lui, ce qui a constitué une violation de son droit à un procès équitable.
iv. L’État défendeur ne lui a pas commis un conseil lors de sa déclaration consignée par la police, alors qu’il en avait fait la demande. Pour cette raison, sa déclaration a été dénaturée et utilisée à charge contre lui lors du procès.
v. L’État défendeur n’a jamais pris de disposition pour lui fournir une quelconque assistance consulaire.
vi. Après son arrestation, l’État défendeur n’a pas assuré la sécurité de ses biens dans sa maison à Bo, et en conséquence, il en a été arbitrairement dépossédé.
vii. || a été arrêté en octobre 2005 et n'a été condamné qu’en 2010, soit près de cinq ans plus tard. La procédure dans son ensemble s’est prolongée de façon anormale, ce qui constitue une atteinte à son droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
viii. Il a subi de grandes souffrances morales, en raison de sa première arrestation ainsi que du fait que les charges ont été abandonnées et des poursuites ont de nouveau été engagées contre lui.
ix. Au cours de sa détention, il a été soumis à des traitements inhumains et dégradants ».
Il. Résumé de la procédure devant la Cour
10. Larequête a été reçue au Greffe le 6 janvier 2015. Par notifications datées du 8 janvier et du 20 janvier 2015 respectivement, le Greffier a accusé réception de la requête et en a notifié l'enregistrement au requérant conformément à l'article 36 du Règlement.
11. Le 20 janvier 2015, le Greffe a transmis la requête à l’État défendeur, à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples ainsi qu’à la Présidente de la Commission de l’Union africaine,

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en application de l’article 35(2) et (3) du Règlement.
12. Le2!1 janvier 2015, et conformément aux articles 5(1)(d) et (2) du Protocole et 33(1)(d), et 53 du Règlement, le Greffe a signifié la requête à la République de Côte d'Ivoire en tant qu’État dont le requérant est originaire, aux fins d’une intervention éventuelle. La République de Côte d'Ivoire qui avait sollicité d’intervenir le 1” avril 2015, s’est vue accorder cette autorisation et a déposé ses observations ainsi que ses réponses aux mémoires des Parties le 16 mai 2016 et le 4 mai 2017 respectivement.
13. Sur instructions de la Cour, en application de l’article 31 du Règlement par notification datée du 17 mars 2015, le Greffe a demandé à l'Union panafricaine des avocats (UPA) d'assurer la défense du requérant qui avait indiqué qu’il n’était pas représenté par un conseil. Le 16 juin 2015, l'UPA a accepté de fournir l'assistance demandée.
14. Suite à leur demande, le Professeur Bk By (Université de Pretoria) et le Professeur Cc Xe XCq BbAG ont, le 29 novembre 2017, été autorisés à intervenir en qualité d’amici curiae, conformément à l’article 26(2) du Protocole et aux articles 45 et 46 du Règlement ainsi qu'aux instructions 42 à 47 des Instructions de procédure de la Cour.
15. Conformément à l’article 36(1) du Règlement, la requête ainsi que toutes les observations du requérant, de l’État intervenant et des amici curiae ont dûment été signifiées à l’État défendeur à qui le délai règlementaire et des prorogations ultérieures appropriées ont été accordés pour déposer ses réponses. De même, toutes les écritures et leurs annexes respectives ont été signifiées aux Parties qui ont été dûment autorisées à déposer leurs observations.
16. Le 18mars 2016, conformément à l’article 51(1) du Règlement, la Cour a rendu une ordonnance portant mesures provisoires, enjoignant à l’État défendeur de surseoir à l’application de la peine capitale prononcée contre le requérant en attendant l'examen de la requête au fond. Le 29 mars 2016, le Greffe a transmis l’ordonnance aux Parties et aux autres entités concernées, en application de l’article 51(3) du Règlement. Le 23 janvier 2017, l’État défendeur a déposé sa réponse à l’ordonnance dans le cadre de ses observations sur les conclusions de l’État intervenant. Le 15 février 2017, le Greffe a accusé réception de la réponse et en a communiqué copie aux Parties.
17. Le 22 juillet 2016, conformément à l’article 45(2) du Règlement, la Cour a sollicité un avis juridique sur la question de la peine capitale en Afrique auprès de Penal Cy Bl, de Legal and Ay Ca Centre - Tanzania, de Cz Xm Xa et de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Seul Legal and Ay Ca Centre a déposé son avis.
18. Le 16 avril 2018, le Greffe a informé les Parties que la Cour avait

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décidé de tenir une audience publique relative à la requête le 10 mai 2018. Le requérant et l’État défendeur ont été représentés à l’audience publique et y ont présenté leurs moyens et leurs observations orales, et ont aussi répondu aux questions que les Juges de la Cour leur ont posées.
19. Le 22 mai 2018, conformément à l’article 48(2) du Règlement, le Greffe a communiqué aux Parties les comptes rendus in extenso de l'audience. À la même date, le Greffe a en outre demandé aux Parties de soumettre par écrit les observations qu’elles avaient faites oralement ainsi que leurs observations sur les réparations. Le 18 juin 2018, le requérant a déposé ses observations sur les réparations. Celles-ci ont été transmises le 21 juin 2018 à l’État défendeur qui a été informé qu’il disposait d’un délai de 30 (trente) jours pour déposer sa réponse. À l'expiration de ce délai conformément à l’article 37 du Règlement, la Cour a accordé, de sa propre initiative, à l’État défendeur un délai supplémentaire de quinze (15) jours pour déposer ses observations sur les réparations, faute de quoi l'affaire sera examinée sur la base des pièces versées au dossier.
20. Le 16 août 2018, le Greffe a reçu les observations de l’État défendeur sur les réparations en même temps que la demande d'autorisation de les soumettre. Le 29 août 2018, le Greffe a informé l'État défendeur que la Cour avait décidé, dans l'intérêt de la justice, de faire droit à l’autorisation demandée. Le requérant et l’État intervenant ont reçu copie de cette notification ainsi que les observations de l’État défendeur, à titre d’information.
IV. Mesures demandées par les parties
21. Dans sa requête, sa réplique et ses observations orales, le requérant demande à la Cour de :
i. Dire que l’État défendeur a violé ses droits garantis par la Charte, notamment en ses articles 1, 5, 7 et 14 ;
ii. Ordonner l’annulation de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à son encontre ainsi que sa remise en liberté;
iii. Ordonner à l’État défendeur de prendre des dispositions immédiates en vue de réparer les violations constatées ;
iv. Ordonner les réparations appropriées ;
v. Rendre toutes autres ordonnances ou accorder toutes autres réparations que la Cour estime appropriées.
22. Dans ses Réponses à la requête, à la demande d'intervention et aux conclusions sur le fond ainsi qu’aux observations orales de l’État intervenant, l’État défendeur demande à la Cour de conclure que :

498 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
i. La Cour africaine n’a pas compétence pour connaître de la présente affaire et la requête doit être rejetée purement et simplement ;
ii. La requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement et doit donc être déclarée irrecevable ;
iii. La requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à l'article 40(6) du Règlement, et doit donc être déclarée irrecevable ;
iv. L’État défendeur n’a pas violé l’article 5 de la Charte ;
v. L’État défendeur n’a pas violé l’article 7 de la Charte ;
vi. L’État défendeur n’a pas violé l’article 14 de la Charte ;
vil. La déclaration de la culpabilité du requérant a été prononcée conformément à la loi ;
vili. Le requérant doit continuer de purger sa peine ;
ix. La requête est rejetée parce que dénuée de tout fondement ;
x. La demande de réparations formulée par le requérant est rejetée ;
xi. Le requérant doit supporter les frais de procédure ;
xii. L'État défendeur a droit à toute autre mesure de réparation que la Cour estime appropriée.
23. Dans sa demande d'intervention et les conclusions sur le fond qu’il a déposées ultérieurement, l’État intervenant demande à Cour de
i. dire que la requête remplit les conditions de recevabilité et doit être déclarée recevable en conséquence ;
ii. dire que la demande d'intervention remplit les conditions relatives à la compétence et à la recevabilité énoncées aux articles 35(3)(b) et 53 du Règlement ;
iii. dire que les droits du requérant à un procès équitable ont été violés ;
iv. surseoir à l'exécution de la peine capitale, à titre de mesure provisoire.
V. Sur la compétence
24. Conformément à l’article 39(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. »
A. Exception d’incompétence matérielle
25. L'État défendeur affiime que dans la requête, il est demandé à la Cour de siéger en tant que tribunal de première instance, étant

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donné que c'est la première fois que sont soulevées les allégations selon lesquelles la déclaration du requérant a été recueillie dans une langue qui lui était inconnue et sans la présence d’un avocat. Selon l'État défendeur, le requérant aurait dû soulever ces allégations au cours de son procès en première instance ou devant la Cour d’appel. 26. Au cours de l’audience publique, l’État défendeur a réitéré cet argument et l’a fait valoir pour réfuter les allégations selon lesquelles il a arbitrairement disposé des biens du requérant ; il n’a pris aucune mesure pour lui faciliter l’accès à une assistance consulaire et n’a pas enquêté sur plusieurs éléments de preuve qui auraient pu conduire à
27. L'État défendeur affirme en outre que lorsque le requérant demande à la Cour de céans d’annuler la déclaration de culpabilité ainsi que la peine prononcées contre lui et d’ordonner sa remise en liberté, il demande en fait à la Cour d’annuler une décision rendue par la Cour d’appel de Ct. L'État défendeur estime que si la Cour de céans venait à examiner les allégations portées par le requérant, elle usurperait les prérogatives de la Cour d'appel qui a dûment apprécié et tranché définitivement les questions relatives aux éléments de preuve. 28. Dans sa réplique, le requérant affirme que la Cour de céans a la compétence requise pour connaître de l'espèce, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte, du Protocole et à sa propre jurisprudence.
29. Pendantl’audience publique, le requérant a réitéré les arguments avancés dans ses conclusions écrites sur tous les aspects relatifs à la compétence de la Cour. En réponse aux observations orales de l’État défendeur, le requérant fait valoir qu’il n’est pas demandé à la Cour d'agir en tant que juridiction d’appel, mais de se prononcer sur l'équité de la procédure judiciaire, à la lumière des droits garantis par la Charte. Pour étayer cet argument, le requérant cite les arrêts antérieurs de la Cour, notamment dans les affaires Br Bw, Bs Xx” et
30. Pour sa part, l’État intervenant fait valoir que « la Cour est compétente prima facie pour connaître de la requête », étant donné que l’État défendeur a ratifié la Charte et le Protocole, qu’il a déposé la déclaration requise et que le requérant allègue la violation de droits garantis par divers instruments auxquels l’État défendeur est partie.
1 Requête n°005/2013. Arrêt du 20/11/15, Br Bw c. République-Unie de Ct (ci-après dénommé « Br Bw c. Ct »).
2 Requête n°001/2012. Arrêt du 03/06/16, Bs Bq Cv et autres c. République-Unie de Ct.
Ct.

500 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
i. Exception tirée du fait que la Cour est appelée à agir en tant que juridiction de première instance
31. Sur l'exception qu’elle est appelée à agir en tant que juridiction de première instance, la Cour estime que, conformément à l’article 3 du Protocole, elle a la compétence matérielle dès lors que la requête allègue une violation des dispositions des instruments internationaux auxquels l’État défendeur est partie.‘ En l’espèce, le requérant allègue la violation des droits garantis par la Charte.
32. La Cour rejette donc l’exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
ii. Exception tirée du fait que la Cour est appelée à agir en tant que juridiction d’appel
33. Ence qui concerne la question de savoir si elle agirait en tant que juridiction d'appel si elle examinait certaines allégations sur lesquelles la Cour d’appel de Ct s'était déjà prononcée, la Cour de céans réitère sa position, à savoir qu’elle n’est pas une juridiction d'appel au regard des décisions rendues par les juridictions nationales.® Cependant, elle estime comme elle l’a précédemment affirmé dans l'affaire Xj Bu c. République-Unie de Ct que le fait qu’elle ne soit pas une instance d’appel des juridictions internes ne l'empêche pas d'apprécier si les procédures devant ces juridictions internes ont respecté les normes internationales énoncées dans la Charte et dans les autres instruments relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l’État défendeur concerné. En l’espèce, le requérant allègue la violation de ses droits énoncés dans la Charte qui est un instrument relatif aux droits de l’homme dûment ratifié par l’État défendeur, comme indiqué plus haut.
34. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
4 Voir Requête n°006/2015. Arrêt du 23/3/2018, Xi Ba XAd BxAG et Xq Xi XXd XzAG c. République-Unie de Ct, (ci-après dénommé « Arrêt Xi Ba et Xq Xi C Ct ») para 36.
5 Voir Requête n°001/2013. Décision du 13/03/2013, Ernest Av Xf c. République du Malawi, para 14 ; Requête n°005/2013. Arrêt Br Bw c. Ct, paras 60 à 65 ; et Arrêt Xi Ba c. République-Unie de Ct, op. cit., para 35.
6 Voir par exemple requête n°007/2013. Arrêt du 03/06/2013, Xj Bu c. République-Unie de Ct (ci-après désigné « Arrêt Xj Bu c. Ct ») »1., para 29 et requête n°003/2012. Arrêt du 28/03/2014, Af Xk Aa c. République-Unie de Ct, para 114 ;

Bi c. Ct (fond et réparations) …; (2018) 2 RICA 493 501 B. Compétence matérielle en ce qui concerne l’allégation de violation du doit à l’assistance consulaire
35. Le requérant allègue également qu’il n’a pas bénéficié d’une assistance consulaire comme le prévoit l’article 36(1)(b) et (c) de la Convention de Vienne sur les relations consulaires (ci-après désignée «la CVRC ») adoptée le 22 avril 1963. Le requérant affirme précisément qu’en conséquence, l’État défendeur a violé son droit à un procès équitable et, en particulier, le droit d’être assisté par un interprète et d'être représenté par un avocat.
36. L'État défendeur n’a certes pas soulevé d'exception sur ce point, mais la Cour doit établir si elle est compétente pour examiner cette allégation.
37. La Cour relève que l’article 36(1) de la CVRC à laquelle l’État défendeur est devenu partie le 18 avril 1977 prévoit une assistance consulaire.” Comme indiqué dans cette disposition, l'assistance consulaire touche à certains privilèges dont l’objet est de permettre aux personnes de jouir de leur droit à un procès équitable, notamment le droit d’être assisté par un interprète et un avocat, dont le requérant allègue la violation en l'espèce.
38. Étant donné que ce droit est également garanti par l’article 7(1) (c) de la Charte lu à la lumière de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé « le PIDCP ») auquel l’État défendeur est devenu partie le 11 juin 1976, la Cour est compétente pour examiner l’allégation du requérant fondée sur la disposition susmentionnée de la Charte.
7 L'article 36(1) est libellé comme suit :
« 1. En vue de faciliter l'exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de l’État d'envoi:
a) les fonctionnaires consulaires sont libres de communiquer avec les ressortissants de l'État d'envoi et d'y avoir accès. Les ressortissants de l’État d'envoi ont la même liberté en ce qui concerne la communication avec les fonctionnaires consulaires de l’État d'envoi et l’accès à ceux-ci.
b) s’il en fait la demande, les autorités compétentes de l’État de résidence informent sans délai le poste consulaire de l'État d'envoi si, dans sa circonscription consulaire, l’un de ses ressortissants est arrêté, incarcéré ou placé en détention provisoire procès ou est détenu de toute autre manière.
c) les fonctionnaires consulaires ont le droit de visiter un ressortissant de
l'État d’envoi qui est en prison, sous garde ou en détention, de converser avec lui et de correspondre avec lui et de prendre des dispositions pour qu'il soit représenté par un
8 Voir Arrêt Xj Bu c. Ct, paras 137 et 138. Voir également la requête n° 012/2015. Arrêt du 22/03/18 (fond), Ai Cj Ai c. République-Unie de Ct, paras 110 et111.

502 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
C. Sur les autres aspects de la compétence
39. Étant donné que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente au regard des autres aspects de la compétence, la Cour constate qu’en l’espèce, elle a :
i. la compétence personnelle, dans la mesure où, comme indiqué plus haut, l’État défendeur est devenu partie au Protocole et a déposé la déclaration requise ;
ii. la compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées ont eu lieu en 2010 et se poursuivaient au moment où la requête avait été introduite en 2015, soit après la ratification par l’État défendeur du Protocole et le dépôt de la déclaration.
iii. la compétence territoriale, les violations alléguées étant survenues sur le territoire de l’État défendeur.
40. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente requête.
VI. Sur la recevabilité de la requête
41. Conformément à l’article 39(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire … des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article 40 du Règlement ».
42. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit l’Acte

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 503
constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine. »
43. Alors que les Parties ne contestent pas le fait que certaines des conditions ci-dessus ont été remplies, l’État défendeur a soulevé trois exceptions portant respectivement sur l'épuisement des voies de recours internes, le dépôt de la requête dans un délai raisonnable et la présentation tardive de l’allégation selon laquelle la détention se prolongeait de façon anormale sans inculpation.
A. Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
i. Exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes
44. L'État défendeur affiime que le requérant n’a pas épuisé les voies recours internes en ce qui concerne l’allégation selon laquelle il n’a pas bénéficié de l'assistance d’un interprète lors de son interrogatoire par la police. Selon l’État défendeur, le requérant aurait pu soulever cette question, soit par une requête incidente, soit comme motif d'appel ou soit par une requête aux fins de la mise en œuvre des droits fondamentaux, conformément à la Loi relative à la mise en œuvre des droits fondamentaux et des obligations. L'État défendeur soutient que le recours relatif à la mise en œuvre des droits fondamentaux s'applique également à l’allégation du requérant selon laquelle son droit à la propriété a été violé.
45. Dans ses observations orales, l’État défendeur réitère ses observations écrites sur les questions mentionnées plus haut et soutient en outre que le requérant aurait pu soulever devant les juridictions nationales les allégations relatives à l’altération de sa déposition à la police, au défaut d'exploitation des éléments de preuve essentiels et à
46. L'État défendeur soutient par ailleurs que la procédure de révision engagée par le requérant est la preuve que celui-ci avait compris la procédure comme étant un recours disponible, mais qu’il n’a pas exercé et qui n’a donc pas été épuisé. Au cours de l'audience publique, l’État défendeur a souligné que le requérant avait compris que la procédure de révision s'appliquait à l'espèce et a informé la Cour de céans que l'audience de la requête en révision du requérant était prévue pour le 18 juillet 2018.
47. Dans sa réplique, le requérant allègue que « le fait de ne pas contester la légalité de l’une quelconque des procédures judiciaires qui ont eu lieu en première instance ne peut pas être interprété comme

504 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
étant une extinction du droit du requérant de contester ladite légalité ». Il soutient, en outre, que la disposition relative à l'introduction d’un recours en matière de mise en œuvre des droits fondamentaux concernant les biens ne signifie pas en soi que les lois ont été respectées. À l’appui de cet argument, il soutient que son arrestation, suivie d’un très long procès et l’absence de mesures de la part de l’État défenseur pour préserver ses biens ont occasionné la perte de ceux-ci.
48. En réponse à l'argument de l’État défendeur selon lequel la procédure de révision est toujours pendante, le requérant soutient qu’il s'agit d’un recours extraordinaire qui, même s'il était exercé, ne changerait rien au fait que la Cour d'appel demeure la plus haute juridiction du pays. Le requérant réitère ces arguments dans ses observations orales.
49. L'État intervenant fait valoir que la requête remplit les conditions énoncées à l’article 56(5) de la Charte, dans la mesure où selon la jurisprudence constante de la Cour, la procédure de révision est un recours extraordinaire que le requérant n’est pas tenu d’épuiser.
50. Sur la question de savoir s’il lui est demandé d’agir en tant que juridiction de première instance, la Cour considère, comme elle l’a affirmé dans l'affaire Br Bw c. République-Unie de Ct, que les droits dont la violation est alléguée font partie d’un « faisceau de droits et garanties ». Ainsi, les autorités nationales avaient-elles amplement la possibilité d'examiner les allégations y relatives même si ce n’est pas le requérant lui-même qui les avait soulevées au cours des procédures qui ont abouti à sa condamnation. Dans ces circonstances, les voies de recours internes doivent être considérées épuisées.®
51. Pour ce qui est de la question de savoir si le requérant aurait dû épuiser la procédure de révision avant de déposer la présente requête, la Cour de céans a toujours considéré que cette procédure telle qu’elle s'applique dans l’État défendeur est un recours extraordinaire. Il ne s’agit donc pas d’un recours que le requérant est tenu d’épuiser, au sens de l’article 56(5) de la Charte.‘°
52. En conséquence, la Cour rejette l'exception soulevée par l’État défendeur selon laquelle le Requérant n’a pas épuisé les recours internes en soulevant certaines questions pour la première fois devant la Cour de céans sans attendre la fin de la procédure de révision avant de déposer la présente requête. La Cour conclut donc que les voies de
9 Voir Arrêt Br Bw c. Ct, paras 60 à 65 ; et requête n°003/2015. Arrêt du 28/09/2017, Ch Xr Bd et Bc Cn Bz Aj c. République-Unie de Ct (ci-après désigné « Arrêt Ch Xr et Bc Cn Bz Aj c. Ct), para 54.
10 Voir Arrêt Br Bw c. Ct, ibid; et Arrêt Ch Xr Bd et Bc Cn Bz Aj c. Ct, op. cit, para 56.

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RJCA 493 505
recours internes ont été épuisées.
ii. — Exception tirée du non-dépôt de la requête dans un délai raisonnable
53. L'État défendeur affirme que la présente requête a été déposée onze (11) mois après l’épuisement des recours internes, ce qui n’est pas un délai raisonnable selon la décision rendue dans l'affaire Ci c. Zimbabwe,” dans laquelle la Commission africaine a appliqué la norme des Conventions européenne et interaméricaine des droits de l’homme qui fixent à six mois ce qui est considéré comme délai raisonnable. L'État défendeur a réitéré cet argument pendant l’audience publique.
54. Lerequérant n’a pas abordé cette question de manière spécifique dans ses dernières observations écrites. Dans ses observations orales, il soutient que la période de onze (11) mois devrait être considérée raisonnable selon l'approche de la Cour qui recommande que la question soit examinée au cas par cas. Il estime en outre que même s’il s’agit d’un recours extraordinaire, la Cour de céans devrait tenir compte du fait qu’il a tenté d'obtenir la révision de l’arrêt rendu par la Cour d’appel. Il soutient enfin que l’État défendeur a attendu un an pour répondre à la requête et que de ce fait, il n’est pas équitable de considérer comme non raisonnable le délai de onze (11) mois dans laquelle la requête en l'espèce a été introduite.
55. Selon sa jurisprudence constante, la Cour de céans a adopté une approche au cas par cas pour apprécier le caractère raisonnable du délai dans lequel une requête doit être déposée.'” La Cour relève que le requérant a déposé la présente requête le 6 janvier 2015, après que la Cour d’appel a rendu son arrêt le 28 janvier 2014. La question qui se pose maintenant est de savoir si le délai de onze (11) mois et neuf (9) jours qui s’est écoulé entre les deux événements est raisonnable. 56. La Cour relève que, suite à l'arrêt prononcé par la Cour d’appel, le requérant a tenté d’en obtenir la révision. I| avait donc, de l'avis de la Cour, la latitude d'attendre un certain temps avant d’introduire la présente requête. Comme elle l’a indiqué dans l'affaire Xi Ba et Xq Xi C Ct, même si la procédure de révision constitue un recours extraordinaire, le temps mis par le requérant pour tenter de l’épuiser devrait être pris en considération pour déterminer le
11 Affaire Ak Ci c. Zimbabwe (2008) AHRLR 146 (CADHP 2008).
12 Voir requête n° 013/2011. Arrêt du 28/06/2013 sur les exceptions préliminaires, Xo Bv et autres c. Bg Cd, para 121 ; et Arrêt Br Bw c. Ct, op. cit, paras 73 à 74.

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caractère raisonnable du délai au sens de l’article 56(6) de la Charte.** Pour cette raison, la période pendant laquelle le requérant a tenté d'obtenir la révision de l'arrêt de la Cour d’appel avant de déposer la présente requête ne saurait être qualifié de non raisonnable.
57. La Cour conclut par conséquent que la requête a été déposée dans un délai raisonnable. L’exception soulevée par l’État défendeur est donc rejetée.
Exception tirée du dépôt tardif de la plainte liée à la détention prolongée de façon injuste et sans inculpation
58. Dans ses observations sur les réparations, l’État défendeur conteste l’allégation du requérant selon laquelle il aurait été longtemps maintenu en détention sans inculpation et injustement pendant deux ans sans que les procédures ne soient engagées. Selon l’État défendeur, la Cour ne devrait pas tenir compte de cette allégation lors de l'examen des demandes de réparations, car elle n'avait pas été soulevée dans les observations écrites ni plaidée lors de l'audience publique.
59. La Cour renvoie à la Réplique du requérant datée du 16 mai 2016, dans laquelle l’allégation de détention prolongée sans inculpation est formulée à titre de grief additionnel sur le fond.“ Cette réplique a été signifiée aux représentants de l’État défendeur le 10 juin 2016 par Xl Be Services Courrier, bordereau n°2422. La Cour renvoie en outre au compte rendu in extenso de l'audience publique tenue le 10 mai 2018, au cours de laquelle le requérant a longuement exposé cette prétention.'° L'État défendeur n’a ni répondu aux observations susmentionnées et ne les a contestées, alors qu’il avait la possibilité de le faire avant l'audience et lorsqu'il s’était adressé à la Cour pendant
60. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur sur ce point.
13 Voir Arrêt Xi Ba et Xq Xi C Ct, $ 61.
14 Voir Réplique du Requérant, page 10, para 32.
15 Voir compte rendu in extenso de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, requête N°001/2015. Ap Bi c. République-Unie de Ct (10 mai 2018), pages 1640 à 1638. Le compte rendu a été signifié à l'État défendeur par notification en date du 22 Mai 2018.
16 Voir compte rendu in extensor, pages 1632 et 1630, où l’État défendeur a énuméré les questions à traiter, ainsi que celles soulevées pour la première fois.

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B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas discussion entre les parties
61. La Cour fait observer que les Parties ne contestent pas le fait que la requête remplit les conditions énoncées aux alinéas (1), (2), (3), (4) et (7) de l’article 56 de la Charte relatifs à l'identité du requérant, à la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine, aux termes utilisés dans la requête, à la nature des preuves produites et au règlement antérieur de l'affaire.
62. La Cour relève en outre que les pièces versées au dossier n’indiquent pas non plus que ces conditions n’ont pas été remplies et conclut par conséquent que la requête remplit les conditions énoncées dans les dispositions ci-dessus.
63. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la requête remplit toutes les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte et la déclare recevable en conséquence.
VII. Sur le fond
64. Le requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit à un procès équitable, à l'assistance consulaire, à la propriété ainsi que son droit à ne pas être pas soumis à un traitement inhumain et dégradant et allègue par ailleurs qu’il a subi des souffrances morales.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
i. Droit à la défense
65. La Cour relève que certaines des violations alléguées du droit au procès équitable soulevées dans la présente requête portent sur le droit à la défense. Il s’agit des violations alléguées du droit d’être assisté d’un interprète, du droit de se faire assister par un avocat et du droit à l’assistance consulaire. Elle rappelle à cet égard que la disposition pertinente de la Charte relative à ces questions est l’article 7(1)(c) qui dispose que toute personne « a droit à la défense, y compris celui de se faire représenter par un défenseur de son choix ».
a. Droit de se faire assister par un interprète
66. Le requérant allègue que l’État défendeur ne lui a pas fourni les services d’un interprète lors de son interrogatoire par la police, au cours duquel il a fait une déclaration qui a été utilisée plus tard contre lui pendant le procès. || affirme que le manque d’assistance linguistique

508 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
à un moment où il ne pouvait parler et comprendre correctement que le français a porté atteinte à son droit à un procès équitable.
67. Le requérant affirme encore qu’il avait fait part de ses lacunes linguistiques devant le Tribunal et qu’il avait demandé qu’un interprète lui soit commis pendant la procédure de mise en accusation menée dans une langue qu’il ne comprenait pas. Il soutient en outre que le fait de n'avoir pas chaque fois signalé ce point ne signifie pas que cette violation doit être ignorée, étant donné que l’État défendeur avait l'obligation de lui fournir une assistance linguistique à toutes les étapes du procès, compte tenu de la gravité de l'infraction et de la sévérité de la peine qu’il encourait.
68. Au cours de l'audience publique, le conseil du requérant a réitéré ces arguments et ajouté que le fait qu’il ait pu suivre une partie de la procédure et plaidé non coupable ne signifie pas qu’il comprenait la langue anglaise au point d’exonérer l’État défendeur de l’obligation qui était la sienne de mettre un interprète à sa disposition. Le conseil a affirmé que si le requérant avait eu droit à l'assistance d’un interprète dans les quatre heures avaient suivi son arrestation, « il ne serait pas dans la situation où il se trouve aujourd’hui », car il aurait compris la raison de sa détention, le poids des accusations qui pesaient sur lui, notamment leur gravité, l'existence de son droit de se faire assister par un défenseur de son choix pour l’aider à préparer sa défense ainsi que les conséquences d’une déclaration faite devant les autorités, qui pouvait être utilisée contre lui plus tard.
69. Le requérant affirme également avoir soulevé la question de l’altération de sa déclaration, ayant remarqué que le document produit au tribunal comportait moins de pages que celui dans lequel sa déclaration avait été consignée.
70. L'État défendeur soutient que le requérant « comprenait suffisamment » l'anglais et qu’il n’a jamais fait part de ses lacunes linguistiques. Selon l’État défendeur, le requérant n’a été confronté à un problème linguistique que pendant le procès lorsque les témoins ont fait leurs dépositions en Kiswahili et qu’il avait bénéficié de l'assistance d’un interprète.
71. Selon l’État défendeur, le requérant était représenté à l’audience préliminaire et son avocat aurait dû informer le tribunal s’il n’était pas en mesure de suivre la procédure.
72. L'État défendeur soutient qu’un interprète n’était pas requis pendant la procédure de mise en état ni lors de l'audience préliminaire, puisqu'elles s'étaient tenues en anglais, langue que le requérant n’avait jamais indiqué ne pas comprendre. L'État défendeur fait valoir en outre que lors de la procédure de mise en accusation en l’espèce, l'accusé n’était pas tenu de dire s’il plaidait coupable ou non, puisqu'il ne devait que suivre la lecture et l’explication des charges portées contre lui.

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L'État défendeur insiste sur le fait que le plaidoyer proprement dit a lieu lors de l'audience préliminaire et qu’en l'espèce, il ressort des pages 1 et 2 du dossier que l'avocat du requérant était bien présent, que lecture avait été de nouveau donnée de l'acte d'accusation pour meurtre et que le requérant avait plaidé coupable, sans soulever la moindre question devant le tribunal. L'État défendeur ajoute que les documents établis à l'audience ont été signifiés au requérant et à son avocat qui ont accepté certains et rejeté d’autres, que ceux-ci n’ont soulevé aucune objection concernant les conditions dans lesquelles la déclaration avait été recueillie et ont même signé la déclaration des faits non contestés. Dans ses observations orales, l’État défendeur a réitéré et expliqué les mêmes arguments déjà avancés dans ses observations écrites.
73. La Cour fait observer que même si l’article 7(1)(c) de la Charte mentionnée plus haut ne prévoit pas expressément le droit de se faire assister par un interprète, il peut être compris à la lumière de l’article 14(3)(a) du PIDCP, qui prescrit que « toute personne accusée d’une infraction pénale a droit … (a) à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle … et (f) à se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ». Il ressort d’une lecture parallèle des deux dispositions que chaque personne accusée a le droit de se faire assister par un interprète.
74. L'État défendeur ne conteste pas le fait que le requérant n’a pas bénéficié de l'assistance d’un interprète pendant l’interrogatoire par la police, ni lors de la procédure de mise en accusation, tous deux menés en anglais. La question qui doit être tranchée est donc celle de savoir si le requérant comprenait l'anglais au moment de ces procédures ou si le fait qu’il n’a pas été assisté par un interprète a compromis son droit à un procès équitable aux différentes étapes susmentionnées de la procédure.
75. La Cour considère que la capacité du requérant à communiquer en anglais devrait être évaluée en fonction de son comportement et de l’objet de chacune des procédures visées. Le requérant ne conteste pas le fait que l'objectif de l'assistance d’un interprète pendant l’interrogatoire de la police et lors de la procédure de mise en accusation et de l'audience préliminaire était de lui permettre de comprendre les accusations portées contre lui, de pouvoir plaider coupable ou non coupable et de participer en conséquence à la procédure. La Cour estime qu’à ces étapes de la procédure, l'objectif visé n’exigeait pas une maîtrise exceptionnelle de la langue anglaise.
76. À cet égard, la Cour fait observer tout d’abord que le requérant indique lui-même, dans sa déclaration à la police faite en anglais,

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qu’au moment de son arrestation, il était stagiaire au TPIR depuis plus d’un an. Ensuite, il ressort de la déclaration du requérant qu’il lui a été signifié expressément qu'il était interrogé au sujet du meurtre de son épouse. C’est ainsi qu’il a fait une déclaration de plus de quinze (15) pages en anglais, dans laquelle il a clairement répondu qu’il comprenait le but de l’interrogatoire et qu’il n’avait besoin de l’aide de personne pour faire ladite déclaration. || a également lu la déclaration, en a confirmé la teneur et l’a signée. Enfin, à plusieurs reprises, lors de la procédure de mise en accusation et de l'audience préliminaire, alors qu’il était assisté par un avocat, les mêmes chefs d'accusation ont été lus au requérant, qui a plaidé coupable, n’a soulevé aucune objection concernant sa déclaration, et a, ainsi que son avocat, signé le procès- verbal établi après que les documents leur ont été signifiés.
77. À la lumière de ces faits non contestés, la conclusion que l’on peut raisonnablement tirer est que le requérant avait la compréhension minimale requise pour décider de l'opportunité et de la manière de participer à la procédure, et éventuellement contester une partie quelconque de celle-ci. La Cour considère qu’en n’ayant pas soulevé d'objection, le requérant avait compris les procédures et accepté la manière dont elles se déroulaient. Le requérant n'a jamais signalé une partie quelconque de la procédure qu’il souhaiterait clairement réfuter et au cours de laquelle il avait besoin d’un interprète. Pendant le procès, il a seulement souligné que sa déclaration comptait onze (11) pages et non pas cinq (5). Toutefois, dans le même paragraphe, le requérant a déclaré qu’il reconnaissait la déclaration comme étant la sienne et l’a signée.”
78. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le fait de n’avoir pas bénéficié de l'assistance d’un interprète lors des procédures visées n’avait pas compromis la capacité du requérant à assurer sa défense.
79. La Cour rejette en conséquence l’allégation de violation de l’article 7(1)(c) de la Charte en ce qui concerne le droit de se faire assister par un interprète.
b. Droit de se faire assister par un avocat
80. Le requérant affirme qu’il n'a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lorsque sa déclaration a été recueillie par la police, bien qu'il en ait fait la demande. Cette position a été réaffirmée au cours de l'audience publique, le requérant ajoutant qu’il a été détenu pendant
17 Voir dossier de la procédure, Haute Cour de Ct siégeant à Moshi, affaire pénale n°40 de 2007, page 129, lignes 20 à 24.

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neuf jours avant d’être informé de son droit de se faire assister par un défenseur de son choix, ce qui constitue une violation de l’article 7(1) (c) de la Charte.
81. Sans contester l’allégation du requérant selon laquelle il n'avait pas été autorisé à communiquer avec un avocat au cours de son interrogatoire par la police, l’État défendeur affirme qu’aux termes de l’article 54(1) et (2) de son Code de procédure pénale, « sur demande d’une personne détenue », la police doit faciliter « la communication avec un avocat, un parent ou un ami de son choix ». Cependant, une telle demande peut être refusée pour un parent ou un ami lorsque la police « a des motifs raisonnables de croire qu’il est nécessaire d'empêcher la personne détenue de communiquer … afin de prévenir l'évasion d’un complice … ou la perte, la destruction ou la fabrication de preuves relatives à l’infraction ».°
82. Dans ses observations orales, l’État défendeur soutient que le requérant a eu l’occasion de se faire représenter par un avocat.
83. L'État intervenant fait valoir que les personnes faisant l’objet de poursuites pénales doivent bénéficier d’une assistance judiciaire à tout moment de la procédure, y compris lors du premier interrogatoire, et tout manquement à cet égard est constitutif d’une violation du droit à un procès équitable. L'État intervenant cite à l’appui de son affirmation l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Xy Xv c. Turquie.‘
84. La Cour de céans rappelle que, sur la question de savoir si le requérant avait été autorisé à communiquer avec un avocat, la règle générale est que l'accès à un avocat est un droit fondamental, en particulier, lorsqu'une personne est accusée de meurtre, passible de la peine capitale.
85. La Cour renvoie aux faits précédemment établis concernant l’allégation selon laquelle une assistance linguistique n’avait pas été fournie au requérant lors de l’interrogatoire par la police. Il ressort des faits ainsi établis que le requérant n'avait pas sollicité l'assistance d’un avocat avant ou pendant sa déclaration, alors que la police lui avait demandé s’il souhaitait la faire en présence d’une personne de son choix. En outre, il ressort du dossier devant la Haute Cour que le requérant a reconnu avoir rencontré un avocat le 6 octobre 2005, c’est- à-dire, le jour de son arrestation et avant qu’il ne fasse sa déclaration. De plus, le requérant avait demandé et reçu un téléphone et avait pu
18 Code de procédure pénale [Titre 20, éd. révisée 2002], article 54(1) et (2).
19 Affaire Xy Xv c. Turquie, Requête N°44023/09 Arrêt (fond et satisfaction équitable) CEDH (24 mai 2016).
20 Arrêt Xj Bu c. Ct, para 121.

512 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
parler à un avocat.”
86. La Cour rejette en conséquence l’allégation de violation de l’article 7(1)(c) de la Charte en ce qui concerne le droit de se faire assister par un avocat.
c. Droit à l’assistance consulaire
87. Le requérant allègue que l’État défendeur n’a pas pris de dispositions pour lui fournir une assistance consulaire qui, de son point de vue, ne doit pas être confondu avec l'assistance judiciaire.
88. Enréponse à la question de la Cour sur le type d'assistance qu'il attendait, le requérant a invoqué l’article 36(1)(b) et (c) de la CVRC cités plus haut et a affirmé qu’une fois qu’il avait sollicité l'assistance consulaire, il incombait à l’État défendeur de veiller à ce qu’il l’obtienne effectivement et à temps. Selon le requérant, pour n'avoir pas assuré cette assistance consulaire, l’Etat défendeur a violé son droit à un procès équitable. Il fait en outre valoir que si l’État défendeur lui avait fourni l’assistance consulaire, cela lui aurait permis d’insister pour se faire assister par un interprète et un avocat.
89. Le requérant a réitéré ces arguments dans ses observations orales et a déclaré en outre que la CVRC relève du droit international coutumier et que de ce fait, il importe peu que l’État intervenant, à savoir la Côte d’Ivoire, ne soit pas partie à cette Convention. Selon le requérant, l’accès à l'assistance consulaire était crucial, compte tenu des charges dont il devait répondre et du fait qu’il ignorait le fonctionnement du système judiciaire de l’État défendeur.
90. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur affirme que le requérant a eu accès à un conseil au cours de l'audience préliminaire et lors du procès en première instance et en appel.
91. Au cours de l’audience publique, l’État défendeur a affirmé qu’il n’était nullement tenu de fournir une assistance consulaire, étant donné qu’il n’a conclu aucun accord à cet effet avec le pays d’origine du requérant, à savoir la Côte d'Ivoire. || fait valoir en outre qu’en l'espèce il ne s’agit pas d’un État d’envoi au sens de l’article 36 de la CVRC, étant donné que le requérant résidait en Ct sous la protection consulaire accordée par le TPIR à son épouse. Dans ces circonstances, l’État défendeur estime qu’il n’était pas tenu d’informer la Côte d'Ivoire de l’arrestation du requérant, une telle démarche relevant de la responsabilité du TPIR.
92. L'État intervenant affirme que compte tenu de ses relations avec
21 Voir dossier de la procédure, Haute Cour de Ct siégeant à Moshi, affaire pénale n° 40 de 2007, page 134.

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le requérant qui est un de ses ressortissants, il est en droit de veiller à ce que son droit à un procès équitable soit respecté. Il affirme également que l’État défendeur avait le devoir de lui garantir les conditions d’un procès équitable et de prendre les mesures nécessaires pour qu’il bénéficie de l'assistance consulaire.
93. Les amici curiae font valoir que, conformément à la CVRC et à divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, le droit à la notification des autorités consulaires est de la plus haute importance lorsque des étrangers risquent la peine de mort, ce qui justifie la garantie du droit à un procès équitable sans délai. Les amici renvoient la Cour de céans à l’opinion concordante du Juge Sergio Ramirez, dans l'arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui interprète la portée de l’article 36 de la CVRC et à la décision de la Cour suprême du Mexique dans l'affaire Cp Al,? pour souligner les difficultés auxquelles sont confrontés les étrangers sur les plans linguistique et culturel. Ils rappellent également les décisions de la Cour d'appel des États-Unis d'Amérique pour le septième circuit, de la Haute Cour du Malawi” et de la Cour suprême fédérale du Brésil? qui ont toutes insisté sur le caractère fondamental de la notification des autorités consulaires et de la jouissance des droits relatifs à un procès équitable.
94. Les amici curiae soutiennent en outre que le non-respect des droits consulaires d’un condamné à la peine capitale fait de toute exécution ultérieure du condamné une privation arbitraire de la vie qui est contraire à l’article 4 de la Charte. À cet égard, ils citent l’Observation générale de la Commission africaine sur le droit à la vie. 7 Les amici curiae affirment également qu’une telle violation requiert des réparations substantielles, même si cette question n’a pas été soulevée au cours du procès.”
22 Avis consultatif CC-16/99 CIDH (1er octobre 1999) «Le droit à l'information sur l'assistance consulaire dans le cadre des garanties de la régularité de la procédure».
23 Cl Xc en Révision 517/ 2011 Florence Marie Al An, Pleno de la Suprema Corte de Justicia pages 20 à 22.
24 Affaire Osagiede c. États-Unis.
25 Haute Cour du Malawi, Réexamen de la sentence, affaire n° 25 de 2017 (23 juin 2017) : The Ab AH Ac Xg Bt.
26 S.T.F., Ext. No. 954, Relator: Cf Cs, 17.05.2005; 98 DIARIO DA JUSTICIA 24.05.2005, $ 75.
27 Autres affaires citées à cet effet : Mansaraj et autres c. Cu Bn, International Pen et autres (au nom de ZAG c. Ce, Au B Bw c. Guyane. 28 Affaire Bm et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États- Unis d'Amérique), arrêt, C.l.J. Recueil 2004, pages 12, 121.

514 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
95. La Cour relève que, comme en témoignent les propres observations du requérant et celles de l’État intervenant, le fait de n’avoir pas bénéficié de l'assistance consulaire prévue à l’article 36(1) de la CVRC a privé le requérant de la possibilité de bénéficier de l'assistance de son pays en ce qui concerne la protection de ses droits relatifs à un procès équitable. La Cour fait en outre observer que le requérant a spécifiquement évoqué le droit de se faire assister par un interprète et un avocat.
96. Comme la Cour l’a constaté plus haut, ces droits garantis à l’article 36(1) de la CVRC sont aussi protégés par l’article 7(1)(c) de la Charte. La Cour ayant conclu que les allégations soulevées relativement à l’article 7(1)(c) de la Charte n’étaient pas fondées, elle n’estime pas nécessaire de les examiner de nouveau au regard de la CVRC.
iii — Allégation selon laquelle l’enquête était inappropriée et insuffisante
97. Le requérant affirme que l’État défendeur n’a pas assuré « une enquête appropriée, juste, professionnelle et diligente en l'espèce », étant donné, en particulier, que des « éléments de preuve essentiels » qui auraient pu mener à d’autres suspects n'avaient pas été exploités ou avaient été détruits. I| allègue également que si ces éléments avaient été produits à l'audience, il aurait été établi qu’il n'avait pas commis le crime.
98. Le requérant fait aussi valoir que deux autres corps avaient été découverts précédemment au même endroit-même où le corps de sa femme avait été trouvé, mais qu’aucune enquête n'avait été ouverte pour déterminer s’il existait un lien entre les trois victimes, ce qui aurait pu susciter un doute raisonnable sur son implication dans ce meurtre. 99. Le requérant soutient en outre que le tribunal s'est appuyé sur des preuves sans rapport avec les faits pour le déclarer coupable, notamment la preuve qu’il avait battu sa femme dans le passé et qu’il aurait entretenu une relation extraconjugale. || affirme aussi que des courriels qu’il aurait échangés avec son amante ont été admis en preuve, bien qu'aucune enquête n'avait été menée pour vérifier leur origine et qu’il ait nié en être l’auteur.
100. Dans sa réplique, le requérant allègue que l’État défendeur a omis de vérifier plusieurs éléments contradictoires. Premièrement, il affirme avoir été reconnu coupable uniquement sur la base de preuves par indices, l’État défendeur n’ayant pas réussi à produire des éléments de preuve l’associant directement au crime. Deuxièmement, aucune enquête n’a été effectuée au sujet de la voiture de la défunte, sur laquelle la police n’a procédé à aucun prélèvement d’empreintes

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digitales, étant convaincue de sa culpabilité, du fait qu’il avait été vu au volant de ladite voiture et avait été la dernière personne à la conduire. 101. Enfin, le requérant allègue que, en raison du fait qu’il n’était pas représenté par un avocat lors de sa déclaration à la police, ladite déclaration a été manipulée et utilisée contre lui au cours du procès. En outre, il allègue que le fait que le jugement de la Haute Cour ne mentionne pas expressément la déclaration ne signifie pas que celle-ci n’a pas été utilisée contre lui.
102. L'État défendeur conteste ces allégations et affiime que le meurtre avait fait l’objet d’une enquête appropriée, en conformité avec les dispositions du Code de procédure pénale. || soutient également que les allégations sont vagues et ne précisent nullement les « preuves essentielles » qui auraient dû être examinées dans le cadre de
103. Au cours de l'audience publique, l’État défendeur, bien qu'ayant admis que le requérant avait été reconnu coupable sur la base de preuves par indices, a cependant ajouté que cette pratique était courante dans plusieurs juridictions et étaient jugées aussi fiables que d’autres types d'éléments de preuve.
104. En ce qui concerne la déclaration, l’État défendeur affirme que le requérant l’a acceptée et l’a signée, ce qu’il n’a jamais contesté ni pendant le procès en première instance ni devant la Cour d’appel où il était représenté par un avocat. L'État défendeur affirme en outre que cette allégation est sans importance, dans la mesure où le juge des faits ne s'y est jamais fondé.
105. Sur la question de savoir si l'enquête a été menée de façon appropriée au regard des éléments de preuve exploités, la Cour estime, comme elle l’a affirmé dans l'affaire Bu c. Ct, que la Charte requiert que « … la condamnation d’une personne à une sanction pénale et particulièrement à une lourde peine de prison soit fondée sur des preuves solides et crédibles ».”°
106. La Cour considère que dès lors que la preuve a été recueillie et examinée dans le strict respect des règles en la matière, l’on ne saurait dire que la procédure et les décisions des juridictions internes ont violé le droit à un procès équitable. En l'espèce, les allégations relatives aux « éléments de preuve essentiels » et aux « éléments sans rapport avec l'affaire » invoqués par le requérant ont été dûment examinés et rejetées par la Cour d'appel. Dans ces conditions, on ne peut pas considérer que la déclaration de culpabilité et la peine prononcées étaient fondées sur des enquêtes insuffisantes, d’autant plus que le ministère public a prouvé la culpabilité du requérant au-delà de tout
29 — Arrêt du 03/06/2016, Xj Bu c. Ct, paras 174, 193 et 194.

516 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
doute raisonnable.
107. S'agissant de la question de savoir si la déclaration de culpabilité telle que retenue était valablement fondée sur des preuves par indices uniquement, la Cour fait d’abord observer, tel qu’il ressort du dossier de l'affaire devant les juridictions internes, que la Haute Cour et la Cour d'appel ont examiné un large éventail de preuves par indices auxquelles elles ont appliqué aussi bien la loi qu’une jurisprudence abondante sur son utilisation. En outre, les deux juridictions ont examiné l’alibi et les moyens à décharge invoqués par le requérant et ont conclu que le ministère public avait établi la culpabilité du requérant au-delà de tout doute raisonnable”. Plus particulièrement, il ressort de l'arrêt de la Cour d’appel que celle-ci a procédé à une analyse approfondie, basée sur la jurisprudence, des conditions dans lesquelles l’utilisation des preuves par indices doit être appliquée de manière générale‘ et dans des affaires similaires à celle du requérant en l'espèce.‘
108. Sur la question de savoir si les juridictions internes ont correctement examiné les faits pour conclure à la culpabilité du requérant tout en méconnaissant les contradictions ainsi que d'autres éléments de preuve, la Cour de céans fait observer que la Cour d’appel a examiné toutes les contradictions soulevées par le requérant, notamment, celles alléguées devant la Cour de céans, et conclut qu’elles n'avaient pas remis en cause la crédibilité des moyens présentés par le ministère public. II est important de souligner que, lorsqu'elle a décidé de ne pas procéder à un examen approfondi des questions soulevées par le conseil du requérant du fait qu’elles étaient réputées sans importance ou avaient déjà été examinées, la Cour d'appel a motivé sa décision en citant entre autres la jurisprudence applicable.“ C’est sur la base de ces constatations que la Cour d’appel a conclu que la Haute Cour avait tiré les conclusions appropriées.‘
109. S'agissant de l’allégation du requérant selon laquelle sa déclaration aurait été falsifiée et utilisée contre lui pendant le procès, la Cour fait observer que le requérant avait soulevé la question de pages ajoutées à la déclaration. || s'était également fondé sur celle-ci comme un motif d’appel. Toutefois, de l’avis de la Cour de céans, le facteur décisif dans l’évaluation du non-respect de la procédure régulière
30 Affaire pénale n°40 de 2007. Arrêt de la Haute Cour, 30 mars 2010, pages 14 à 26 et Arrêt de la Cour d'appel, 28 janvier 2014, pages 16 à 33.
31 Cf. Arrêt de la Cour d'appel, pages 16 à 19.
32 Cf. Arrêt de la Cour d'appel, pages 19 à 29.
33 Voir Arrêt de la Cour d’appel, pages 29 à 31
34 Voir Arrêt de la Cour d'appel, pages 30 et 31.
35 — Voir Arrêt de la Cour d'appel, page 33.

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consiste à déterminer si l’utilisation de la déclaration du requérant l’a emporté sur les autres éléments de preuve et autres considérations. 110. Comme précédemment établi, la Haute Cour a fondé sa décision sur un large éventail d'éléments de preuve. De plus, le requérant a plaidé coupable du chef d'accusation pour lequel il était jugé. En tout état de cause, le requérant ne présente aucune preuve indiquant que la Haute Cour s’est fondée sur sa déclaration pour conclure à sa culpabilité. Cette allégation est par conséquent rejetée.
111. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette comme infondée l’allégation de violation de l’article 7(1) de la Charte en ce qui concerne la manière dont l'enquête a été menée.
iii. Droit à la présomption d’innocence
112. Le requérant soutient que son droit à la présomption d’innocence a été « sauvagement violé », en raison de la présomption de culpabilité qui pesait sur lui. || affirme, à cet égard, qu’il a été traité avec suspicion et arrêté avant même qu'il n’ait été prouvé qu’un crime avait été commis et qu’il avait été remis à la police avant la fin de l'enquête.
113. Le requérant affirme également que sa condamnation fondée, exclusivement sur des preuves par indices, certains éléments de preuve étant ignorés, d’autres pris en considération, constitue une violation de son droit à la présomption d’innocence.
114. Selon l’État défendeur, le requérant n’a ni précisé ni étayé la manière dont son droit à la présomption d’innocence a été « sauvagement violé ».
115. L'article 7(1)(b) de la Charte dispose que toute personne a « le droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».
116. La Cour fait observer qu’en l'espèce le requérant a déduit « la présomption de culpabilité » de l’allégation selon laquelle son procès n’avait pas été mené de manière appropriée et professionnelle. La Cour rappelle que cette allégation a précédemment été examinée dans le cadre de l’allégation du requérant selon laquelle l'enquête était inappropriée et insuffisante. La constatation faite précédemment s'applique à l’allégation relative à la « présomption de culpabilité ».
117. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le requérant a été traité avec suspicion, la Cour relève que le requérant ne présente aucun élément de preuve à l'appui. S'agissant de l’allégation selon laquelle il avait été remis à la police avant la fin des enquêtes, la Cour estime que dans certaines circonstances, en particulier lorsqu’une personne est accusée d’avoir commis un meurtre, ses mouvements peuvent être restreints dès l'ouverture des enquêtes. Il s'agit de mesures préventives visant à protéger l'accusé, à l'empêcher soit de falsifier

518 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
des éléments de preuve essentiels, soit de s'échapper. Toutefois, la Cour tient à rappeler que dans de tels cas, la restriction imposée doit toujours être conforme à la loi, ce que le requérant ne conteste pas en
118. Sur la base de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation relative à la violation du droit à la présomption d’innocence prévu à l’article 7(1) (b) de la Charte.
iv. Droit d’être jugé dans un délai raisonnable
119. Le requérant allègue qu'il a été déclaré coupable en 2010, alors qu’il a été arrêté en octobre 2005, ce qui constitue un retard excessif qui viole son droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Dans ses observations orales, il affirme que le Bf Bh avait plaidé pour un non-lieu en raison de vices de procédure, presque deux (2) ans après avoir été pour la première fois inculpé, ce qui violait son droit d'être jugé dans un délai raisonnable.
120. L'État défendeur n’a pas abordé cette allégation dans ses observations écrites et n’a pas non plus répondu aux observations orales du requérant à ce sujet pendant l'audience publique.
121. La Cour fait observer que l’article 7(1)(d) de la Charte reconnaît à toute personne « le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
122. Dans sa jurisprudence relative au droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, la Cour de céans a pris en considération la durée de la procédure interne et soumis l’État défendeur à l’obligation d’une diligence raisonnable.® La Cour a également estimé que la complexité de l'affaire et la situation du requérant doivent être prises en considération pour apprécier si le délai considéré est raisonnable.‘”
123. En l'espèce, la Cour relève que le requérant a été mis en accusation pour la première fois le 18 octobre 2005. Il a été de nouveau mis en accusation le 24 août 2007, après l'abandon des poursuites par le ministère public, pour vice de procédure.‘® Le requérant était ainsi resté en détention pendant un (1) an, dix (10) mois et six (6) jours.
124. La Cour fait observer qu’il est incontestable que l’État défendeur est responsable de ce retard. Elle estime que dans les circonstances
36 Voir Arrêt Xo Bv c. Bg Cd, para 152 ; Arrêt Cw Cb c. Ct, para 155.
37 Voir Xo Bv c. Bg Cd, paras 92 à 97 ; Arrêt Br Bw c. Ct, op. cit, para 104 ; et Arrêt Cb c. Ct, ibid.
38 Voir réplique du requérant, para 3 compte rendu in extenso, pages 1649 et 1639

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où le requérant était en détention et qu’il n’avait pas entravé la procédure, l’État défendeur avait l'obligation de s'assurer que l'affaire est jugée avec la diligence et la célérité voulues. En outre, le retard n’a pas été causé par la complexité de l'affaire. Enfin, même après la nouvelle accusation portée contre le requérant, les juridictions de l’État défendeur ont maintes fois ajourné l'affaire et il a fallu encore attendre du 24 août 2007 au 1er mars 2010, soit près de deux (2) ans et six (6) mois, avant que ne commence effectivement le procès. Le requérant a été finalement déclaré coupable le 30 mars 2010. Compte tenu de ces considérations, la durée de la procédure ne peut être considérée comme raisonnable.
125. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable tel que garanti par l’article 7(1)(d) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la dignité
126. Le requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit de ne pas être soumis à des traitements innumains et dégradants, pour l'avoir détenu pendant dix (10) jours dans de très mauvaises conditions, notamment sans lui fournir de nourriture, ou très peu de nourriture, obligé à dormir à même le sol sans couverture, à porter les mêmes vêtements et d’être privé du soutien de ses amis et de ses parents.
127. Le requérant affirme en outre qu’il avait été interrogé sans relâche pendant de longues périodes sans qu’on lui apporte de la nourriture ou de l’eau et que pendant ces dix (10) jours il n'avait reçu de la nourriture qu’à deux (2) occasions, une fois d’un agent de police et une autre fois quand il avait été autorisé à contacter sa femme de ménage.
128. L'État défendeur rejette les allégations du requérant en les qualifiant de vagues et de générales, mais fait valoir qu’elles se rapportent à la manière dont le requérant a été traité pendant la période où il était placé sous la garde du TPIR. L'État défendeur affirme que pendant sa garde à vue à la police, il lui avait été proposé de se faire livrer de la nourriture par sa femme de ménage. Au cours de l’audience publique, l’État défendeur a indiqué que les faits qui, de son point de vue, peuvent être qualifiés de mauvais traitements infligés à une personne placée en garde à vue sont, par exemple, l’interdiction d'accès à sa famille ou à un avocat et non « le fait de partager une cellule avec cinq autres personnes, de dormir sur un matelas d’une épaisseur de 13 cm environ et d'utiliser des latrines communes ».
129. L'article 5 de la Charte dispose que « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes

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traite des esclaves, la torture physique ou morale et les peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants sont interdites ».
130. La Cour relève que les allégations qu’elle est appelée à examiner portent sur la privation de nourriture, les conditions de détention et la restriction de l’accès aux amis et aux parents.
131. La Cour note en outre que l’interdiction des traitements cruels, innhumains et dégradants énoncée à l’article 5 de la Charte est absolue. De plus, ces traitements peuvent prendre différentes formes et la constatation de la violation de ce droit dépend des circonstances de chaque cause.‘
132. À lalumière des observations du requérant et de l’État défendeur, la Cour estime que la décision relative à l’allégation du requérant doit être fondée sur des éléments de preuve. À cet égard, la Cour estime que la règle de la preuve, selon laquelle la charge de la preuve incombe à celui qui allègue ne peut pas s'appliquer de manière rigide dans le cadre d’une décision en matière de droits de l'homme. La Cour rappelle sa position dans l'affaire, Ch Xr Bd et Bc Cn Bz Aj c. Ct, citée plus haut, dans laquelle elle déclare que, dans des circonstances où les requérants sont en détention et incapables de prouver leurs allégations, les moyens de les vérifier étant susceptibles de se trouver sous le contrôle de l'État, la charge de la preuve incombera à l’État défendeur aussi longtemps que les requérants invoqueront l’existence prima facie d’une violation.‘
133. La Cour relève qu’en l'espèce, le requérant a présenté une preuve prima facie qu’il a reçu de la nourriture deux (2) fois seulement pendant une période de dix (10) jours, dont une fois de sa femme de ménage. Sans remettre en cause cette allégation, l’État défendeur affirme que la déclaration du requérant montre qu’il n'avait nullement été empêché de recevoir de la nourriture.
134. De l'avis de la Cour, l’État défendeur était tenu de fournir de la nourriture au requérant aussi longtemps qu'il était sous sa garde. Dès lors que le requérant a apporté la preuve prima facie qu’il ne recevait pas de nourriture régulièrement, la charge incombe désormais à l’État défendeur de démontrer le contraire. Étant donné qu’au vu des circonstances il n'avait pas fourni régulièrement de la nourriture au requérant, la Cour de céans conclut que l’État défendeur a violé le
39 Voir Affaire Y C Ce, Communication n°225/98 (2000) AHRLR 273 (CADHP 2000), $ 41
40 Voir Affaire Cn Aq c. Communication n°97/93 (2000) AHRLR 30 (CADHP 2000), $ 91. En ce qui concerne la privation de nourriture en particulier, voir Affaire Cg c. Lettonie, n°64846/01, $80, 15 juin 2006.
41 Voir Arrêt Ch Xr Bd c. Ct, $$ 142 à 145.

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droit du requérant de ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant.
135. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le requérant était obligé de dormir à même le sol sans couverture et qu’il n'avait pas eu accès à ses amis et à ses proches, la Cour estime que les conditions de détention comportent nécessairement certaines restrictions en matière de mouvement, de communication et de confort. De plus, le requérant ne présente aucune preuve prima facie à l’appui de cette allégation. L'allégation est donc rejetée.
136. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur a violé le droit du requérant de ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant protégé par l’article 5 de la Charte en ce qui concerne la privation de nourriture.
C. Violation alléguée du droit de propriété
137. Le requérant allègue qu'après son arrestation, l’État défendeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour sécuriser ses biens demeurés à son domicile à Bo et que de ce fait, les agents de l'État défendeur les avaient cédés arbitrairement. À la demande de la Cour de céans, le requérant a fourni une liste détaillée de tous les biens en question avec leur prix. Pour établir la responsabilité de l’État défendeur dans la sécurisation de ses biens, le requérant allègue qu'après son arrestation, son fils lui a été retiré et la femme de ménage a été priée de quitter la maison. La maison a été ensuite placée sous la garde d’agents de police et des agents du service de sécurité du TPIR. 138. Le requérant soutient également que des fonctionnaires du TPIR étaient venus à la prison de Karanga à Moshi avec des documents, dont deux décisions de justice de Côte d'Ivoire, qu’ils lui ont demandé de signer en vue de se départir de ses biens. || a demandé la présence d’un avocat avant de signer et a demandé une copie desdits documents, que les agents du TPIR ne lui ont jamais remise.
139. Dans sa Réponse, l’État défendeur soutient que le requérant n’a pas précisé le genre de biens dont il s'agissait ni étayé l’allégation. Il fait valoir que lors du procès, le requérant avait indiqué qu’il ne savait pas où se trouvaient ses biens, mais n'avait pas précisé de quels biens il s'agissait.
140. 140. Dans ses observations orales, l'État défendeur a affirmé que conformément à l’article 4 de l'Accord de siège conclu entre le gouvernement de la République-Unie de Ct et le TPIR et en application de l’article 37(1) de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, l'épouse du requérant jouissait de l’inviolabilité de sa résidence privée. L'État défendeur soutient qu’en tant que tel, il s'est acquitté de ses obligations en protégeant les biens de la défunte

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et a permis à son employeur, le TPIR, de les enlever. L'État défendeur affirme en outre que, les effets trouvés dans la maison au moment de l'arrestation du requérant avaient été remis au TPIR, conformément au protocole applicable relatif aux règles régissant l'immunité des Nations Unies.
141. La Cour rappelle que l’article 14 de la Charte prévoit que « le droit de propriété est garanti ». La question à trancher en l'espèce est celle de la responsabilité de l’État défendeur quant à la cession des biens du requérant.
142. La Cour note que le fait que des policiers de l’État défendeur ont été chargés de garder le domicile du requérant après son arrestation n’est pas contesté. Toutefois, le requérant n’a pas contesté l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle il avait transféré au TPIR tous les effets trouvés dans la maison, conformément à un accord en vigueur et en vertu de ses obligations internationales rappelées précédemment. 143. La Cour est d'avis que dans de telles circonstances, la responsabilité de l’État défendeur n’est pas établie en ce qui concerne lesdits biens.
144. En conséquence, la Cour rejette l'allégation de violation du droit de propriété énoncé à l’article 14 de la Charte.
D. Allégation selon laquelle le requérant a subi des souffrances morales
145. Le requérant affirme qu’il a subi d'énormes souffrances morales du fait d’avoir été arrêté une première fois, de voir les charges retenues contre lui être abandonnées et de voir par la suite des poursuites de nouveau engagées contre lui.
146. Dans ses observations orales, l’État défendeur a affirmé que l’inculpation et la condamnation du requérant étant légales, son angoisse émotionnelle n'avait pour cause que sa culpabilité et par conséquent l’on ne peut conclure à une quelconque violation.
147. La Cour fait observer que cette allégation se fonde sur le retard constaté dans la procédure devant les juridictions nationales, comme précédemment établi. Ayant conclu que ce retard avait constitué une violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, la Cour considère que la présente allégation est une demande de réparation qui sera examinée ultérieurement.
E. Violation alléguée de l’article 1°" de la Charte
148. Le requérant n’a apporté aucune preuve pour étayer l’allégation selon laquelle l’État défendeur a violé l’article 1 de la Charte. L'État défendeur réfute l’allégation, sans toutefois étayer ses arguments.

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149. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour déterminer si l’article 1 de la Charte a été violé, il convient d’examiner, non seulement si les mesures législatives internes que doit prendre l’État défendeur sont disponibles, mais également si ces mesures sont appliquées, c'est-à-dire si les buts et les objectifs pertinents énoncés dans la Charte ont été atteints.” De même, la Cour a déclaré que dès lors qu’elle constate que l’un quelconque des droits énoncés dans la Charte est l’objet de restriction, de violation ou de non-respect, elle en déduit que l'article 1" a été violé.‘
150. La Cour, ayant conclu que l’État défendeur a violé les articles 5 et 7(1)(d) de la Charte, elle conclut également qu’il y a eu violation de l’article 1 de cet instrument.
VIII. Sur les réparations
151. Le requérant demande à la Cour d’ordonner sa remise en liberté. Il demande également à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui payer des dommages-intérêts pour le préjudice moral et matériel subi par lui-même, ses amis et ses parents. || demande en outre à la Cour d’ordonner des mesures de satisfaction et de non-répétition avec dépens.
152. Pour sa part, l'État défendeur demande à la Cour de rejeter toutes les mesures de réparation et ordonnances demandées parce qu’elles sont dénuées de tout fondement ou ne sont étayées par aucune preuve.
153. La Cour relève que l’article 27(1) du Protocole dispose que « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme et des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
154. À cet égard, l’article 63 du Règlement prévoit que : « La Cour statue sur la demande de réparation …, dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
155. Dans sa jurisprudence relative aux réparations, la Cour a statué sur les « autres formes de réparations » dans un arrêt séparé lorsque les parties n'avaient pas produit de preuves suffisantes ou n’en avaient pas produit du tout, pour qu’elle se prononce à ce sujet dans l'arrêt
42 Voir Arrêt Br Bw c. Ct, op. cit., para 135 ; Arrêt Ch Xr c. Ct, op. cit, para 158 et 159.

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principal,** ou lorsqu'il était nécessaire d’entendre amplement les
156. La Cour relève que les observations écrites et orales présentées par les Parties offrent des éléments de preuve suffisants pour lui permettre d'examiner de façon appropriée les demandes de réparation soumises en l'espèce. En conséquence, la Cour estime qu’elle est en mesure de se prononcer sur les violations alléguées ainsi que sur toutes les mesures et réparations demandées dans un seul arrêt.
157. La Cour, conformément à ses précédents arrêts sur les réparations, estime que, pour que les demandes de réparations soient accordées, il faut que la responsabilité internationale de l’État défendeur soit établie, que la réparation couvre l'intégralité du préjudice subi, qu’il y ait un lien de causalité. Par ailleurs, la charge incombe au requérant de justifier les réclamations faites.‘
158. La Cour a déjà conclu que l’État défendeur a violé le droit du requérant de ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant protégé par l’article 5 de la Charte et son droit d’être jugé dans un délai raisonnable garanti par l’article 7(1)(d) de la Charte.
159. C’est à la lumière de ces constatations que la Cour examinera les demandes de réparation formulées par le requérant.
A. Sur la demande du requérant aux fins d’annulation de la déclaration de culpabilité de la peine prononcée en son encontre
160. Le requérant demande à la Cour d’annuler la déclaration de culpabilité ainsi que la peine prononcées à son encontre et d’ordonner sa mise en liberté. || affirme qu’il existe des circonstances particulières et impérieuses qui justifient une telle mesure. Il ajoute que l'ordonnance de sa remise en liberté est la seule manière de réparer le préjudice subi étant donné qu’un nouveau procès après 13 ans serait impossible, les éléments de preuve ayant été détruits.
161. Le requérant demande instamment à la Cour de prendre en considération le fait qu’il est en prison depuis de nombreuses années
44 Voir Requête n°011/2011. Arrêt sur les réparations du 13/06/2014, Ae Aw Ah Az c. République-Unie de Ct, $ 124 et Requête n°011/2015. Arrêt du 28/09/17, Aw Ar c. République-Unie de Ct, para 97.
45 — Voir Arrêt Xj Bu c. Ct, para 237.
46 Voir Requête n°013/2011. Arrêt sur les réparations du 05/062015, Xo Bv et autres c. Bg Cd, paras 20 à 31; Requête n°004/2013. Arrêt sur les réparations du 03/062016, Ax Ck Xp c. Bg Cd, paras 52 à 59; et Requête n°011/2011. Arrêt sur les réparations du 13/06/2014, Ae Aw Ah Az c. République-Unie de Ct, paras 27 à 29.

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sans le soutien de ses amis et de sa famille, qui est essentiel pour la vie en prison. Il allègue également que son incarcération loin de ses amis et de sa famille a aggravé le préjudice qu’il a subi et continuera de subir aussi longtemps qu’il sera en prison. Il affirme encore que son maintien en prison ne pourra que perpétuer les violations et le refus de le remettre en liberté aurait des conséquences dévastatrices qu'aucune compensation pécuniaire ne saurait réparer.
162. L'État défendeur soutient que le requérant devrait purger sa peine pour le crime commis, étant donné qu’il a été condamné en bonne et due forme par les juridictions internes. Il affirme en outre que le requérant n’a présenté aucune circonstance particulière ou impérieuse pour étayer sa demande de remise en liberté et que pour cette raison, il n’a pas droit à la mesure demandée, parce qu’il a bien commis le crime qui lui est reproché.
163. En ce qui concerne la demande d’annulation de la déclaration de culpabilité et de la peine, la Cour réaffirme sa position selon laquelle elle n’est pas une cour d'appel, puisqu'elle ne relève pas du même système judiciaire que les juridictions nationales et n’applique pas la même loi.‘” Elle ne peut donc pas faire droit à la demande du requérant.
164. Quant à la demande de remise en liberté, la Cour renvoie à sa jurisprudence établie suivant laquelle une mesure comme la remise en liberté du requérant ne peut être ordonnée que dans des circonstances particulières et impérieuses“. Elle rappelle que l’existence de telles circonstances doit être déterminée au cas par cas, en tenant compte principalement de la proportionnalité entre la mesure de réparation demandée et l'ampleur de la violation établie. La décision doit être prise dans le but ultime de préserver l'équité et de prévenir la double incrimination.‘° Dès lors, le vice de procédure qui fonde la demande d’une mesure particulière doit avoir fondamentalement affecté les procédures devant les juridictions internes pour justifier une telle demande.
165. En l'espèce, les violations constatées par la Cour n’ont pas
47 Voir Requête n°027/2015. Arrêt du 21/09/18, Ao Cx c. République-Unie de Ct, para 81; Arrêt Xj Bu c. Ct, op. cit, para. 28
48 _ Voir, par exemple, Arrêt Br Bw c. Ct, para 157.
49 Voir Requête 016/2016. Arrêt du 21/09/18, As Xt c. République-Unie de Ct, para 101; Arrêt Ao Cx c. Ct, para 82 ; et Affaire Loaysa- Xn c. Pérou (fond), |ACHR Series c n°33[1997], paras 83 et 84; Affaire Ag Xh Cr c. Espagne n° 42750/09 ; Arrêt de la Grande Chambre [2013] CEDH 1004, para 83; Affaire Annette Pagnoulle (au nom d’At XsAG c. Cameroun, Communication n°39/90 (2000) AHRLR 57 (CADHP 1997) dispositif ; et Communication n°796/1998, LIoyd Reece c. Jamaïque, Views under Article 5(4) of the Xw Am, 21 juillet 2003, ONU Doc. CCPR/C/78/D/796/1998, para 9.

526 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
affecté les procédures qui ont abouti à la déclaration de culpabilité et à la peine prononcées contre le requérant, au point où il se serait trouvé dans une situation différente si ces violations n'avaient pas eu lieu. En outre, le requérant n’a pas suffisamment démontré, tout comme la Cour n’a pas établi, que la déclaration de culpabilité et la peine prononcées étaient fondées sur des considérations arbitraires et que son maintien en prison était illégal.
166. Compte tenu des faits et des circonstances de l'espèce, la demande est rejetée.
B. Demandes de réparations pécuniaires
i. Préjudice moral
167. Le requérant demande à la Cour de lui accorder des dommages- intérêts pour le préjudice moral qu’il a subi et pour celui que ses amis et sa famille ont subi. Il allègue qu’il a enduré des souffrances morales pour avoir été mis en accusation deux fois. || a déterminé les montants de la réparation du préjudice comme suit :
i. Vingt mille dollars des États-Unis (20 000$) pour le préjudice moral subi par le requérant lui-même (causé par la longue période de détention à l'issue d’un procès inéquitable, ses souffrances morales au cours du procès et de sa détention, la perturbation de son projet de vie, la perte de son statut social, l’absence de contact avec sa famille basée en Côte d'Ivoire, des maladies chroniques et le mauvais état de sa santé en raison du manque ou de l’inefficacité des traitements et enfin, par les violences physiques et psychologiques) ;
ii. Cinq mille dollars des États-Unis (5 000$) pour le préjudice moral subi, en tant que victimes indirectes, par chacun des membres de sa famille et de ses amis, à savoir M. Xb Bi Xpère), Mme Bp Xu (sœur) et Mme Co Bj Cm (amie) ;
168. Le requérant demande également à la Cour de lui accorder une indemnité en lieu et place de restitution, dans la mesure où il ne peut pas être rétabli dans sa situation d’avant son incarcération.
169. En ce qui concerne le principe de la réparation, l’État défendeur fait valoir qu’une demande de réparation doit remplir trois conditions essentielles, à savoir la constatation d’un manquement intentionnel ou par négligence de l’État à se conformer à ses obligations internationales en matière des droits de l'homme, l’existence d’un préjudice reconnu,
50 Voir Arrêt Ao Cx c. Ct, op. cit, para 82.

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subi en raison de ce manquement et, enfin, un dommage direct causé au requérant. Si l’on compare la présente espèce à l'affaire Xo Bv,°' l’État défendeur affirme qu’aucune réparation ne doit être ordonnée en l'espèce, parce qu’il n'existe pas de lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice allégué, les représentants de l'État défendeur n'étant nullement impliqués.
170. Parailleurs, l’État défendeur soutient qu’aucune preuve de statut de victime n’a été produite en la présente affaire, étant donné que le requérant n’est pas victime d'actions délibérées ou d’une négligence de la part de l’État défendeur. Il relève que les juridictions nationales disposaient d'éléments de preuve suffisants pour établir l'implication du requérant dans le crime et que la déclaration de sa culpabilité et son incarcération sont la conséquence de ses actions et de la mise en œuvre de la législation nationale. Selon l’État défendeur, ces faits ne peuvent être considérés comme étant à la base du préjudice moral, des souffrances morales et des pertes de revenus allégués par le requérant.
171. En ce qui concerne la qualité de victimes des parents, l’État défendeur souscrit à la conclusion tirée par la Cour de céans dans l'affaire Bv, mais fait valoir que cette conclusion ne saurait s'appliquer en l'espèce, le requérant étant l’auteur du meurtre de la victime, comme l’ont établi les juridictions nationales ; il purge une peine pour un crime qu’il a commis et ses actes en tant que personne à charge de la victime, comme plusieurs autres personnes, ont causé aux héritiers directs de la défunte, notamment un fils, des souffrances sur les plans affectif, psychologique et financier.
172. En ce qui concerne les allégations relatives à une longue période d'emprisonnement à l'issue d’un procès inéquitable et aux souffrances morales subies pendant le procès et l’emprisonnement, l'État défendeur soutient qu’elles doivent être rejetées, étant entendu que les procédures internes ont respecté les critères d’un procès équitable et que les souffrances que le requérant allègue avoir subies étaient le résultat de sa culpabilité.
173. S'agissant de la perte de son projet de vie, la perturbation de ses sources de revenus et la perte de son statut social, l’État défendeur fait observer que le requérant a décidé de quitter son emploi en Côte d'Ivoire pour vivre en Ct en tant que personne à charge de son épouse. De l’avis de l’État défendeur, la modique prime que percevait le requérant en tant que stagiaire au TPIR ne pouvait pas lui permettre de subvenir à ses besoins ni lui garantir le maintien de son statut social ; c'est dire qu’il n'avait donc pas de source de revenus significatifs.
51 Arrêt Xo Bv et autres c. Bg Cd (Réparations), op. cit.

528 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
L'État défendeur affirme que c'est plutôt le requérant qui a lui-même compromis son projet de vie, sa source de revenus ainsi que son statut social.
174. Pour ce qui est de l'absence de communication avec sa famille depuis son incarcération, l’État défendeur soutient qu’il n’avait interdit aucune visite et qu’il ne pouvait pas forcer les parents du requérant à lui rendre visite. Il soutient en outre qu’il n’a pas privé le requérant de quelque accès au traitement médical et qu’il continuera de lui en fournir chaque fois que c’est nécessaire.
175. Pour ce qui est de l’allégation de violences physiques et psychologiques, l’État défendeur fait valoir que le requérant n'avait pas été arrêté par ses agents, mais plutôt par le TPIR qui l’a ensuite remis à la police de l’État défendeur. Selon l’État défendeur, le requérant n’a pas rapporté la preuve des violences alléguées.
176. Enfin, en ce qui concerne les demandes du requérant d’être indemnisé parce qu’il ne pourra pas être rétabli dans sa situation d’avant son incarcération, l'État défendeur demande à la Cour de les rejeter, l’incarcération étant conforme à la loi.
177. Selon la jurisprudence constante de la Cour en matière de réparation, le lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral « peut résulter de la violation d’un droit de l'homme, comme conséquence automatique, sans qu’il soit besoin de l’établir autrement ».5? La Cour a également déclaré que s'agissant particulièrement de la détermination des montants de la réparation pécuniaire d’un préjudice moral, il est admis qu’elle devrait se faire en toute équité, en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce. La Cour a adopté la pratique qui consiste à accorder des montants forfaitaires dans de telles circonstances.“
178. En ce qui concerne la demande de paiement de vingt mille dollars des États-Unis (20 000$) au titre du préjudice moral subi par le requérant, la Cour relève que les demandes portant sur la longue période d'emprisonnement, la souffrance morale subie au cours du procès et de la détention, la perturbation de son projet de vie, la perte de son statut social et l'absence de contact avec sa famille en Côte d’Ivoire se fondent sur l’allégation de procès inéquitable et de condamnation injuste. La Cour a conclu plus haut que le seul droit du requérant qui a été violé en matière de procès équitable est celui d'être jugé dans un délai raisonnable. Elle a toutefois estimé que
52 Voir Arrêt Xo Bv c. Bg Cd (Réparations), op. cit, para 55; et Arrêt Ax Ck Xp c. Bg Cd (Réparations), para 58.
53 Voir Arrêt Xo Bv et autres c. Bg Cd (Réparations), op. cit, para 61. 54 Voir Arrêt Xo Bv c. Bg Cd (Réparations), op. cit, para 62

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 529
cette violation n’a pas affecté la déclaration de culpabilité et la peine prononcées contre le requérant ainsi que l’'emprisonnement de celui- ci. Quant aux autres allégations, elles sont la conséquence légitime de la reconnaissance de culpabilité et de la condamnation du requérant. Les réparations demandées ne peuvent être accordées puisqu'elles ne sont justifiées par aucune violation.
179. La Cour relève que la même demande de dédommagement s'appuie sur les maladies chroniques et le mauvais état de santé en raison de l'absence de soins ou de traitements inefficaces, des sévices physiques et psychologiques et du retard accusé avant la tenue du procès. La Cour fait observer que le requérant n’a pas rapporté la preuve établissant que l’État défendeur l’a privé de soins médicaux ou que ses agents l’ont soumis à des sévices. Comme l’a déjà constaté la Cour, les actions dénoncées se rapportent à des restrictions inhérentes à la vie en détention et en prison. Les demandes y relatives sont par conséquent rejetées.
180. En ce qui concerne la même demande de dédommagement pour les traitements inhumains et dégradants allégués, la Cour a précédemment conclu que l’État défendeur avait violé le droit du requérant pour l'avoir privé de nourriture. Se fondant sur le fait que cette violation s'était étendue sur dix jours et sur la base de l’équité, la Cour accorde au requérant un montant de cinq cent dollars américains (500$) pour le préjudice moral subi.
181. En ce qui concerne l'indemnisation pour le retard dans la procédure, la Cour a conclu que l’État défendeur a violé le droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. L'État défendeur n’a pas justifié le retard d’au moins d’un (1) an et dix (10) mois. La Cour considère que, dans les circonstances de l'espèce, où le requérant était accusé de meurtre et risquait la peine capitale, ce retard pouvait lui causer des souffrances morales. Le préjudice qui en a résulté justifie l’octroi d’indemnisation dont l’évaluation sur la base de l'équité relève de la discrétion de la Cour. Compte tenu de ces circonstances, la Cour accorde au requérant un montant de deux mille dollars des États-Unis (2 000$) à titre d’indemnisation.
182. S'agissant de la demande de réparation pour le préjudice moral subi par les amis et les membres de la famille du requérant, en tant que victimes indirectes, la Cour rappelle que le statut de victime doit être établie pour justifier l'octroi d’une telle réparation.°° Compte tenu du fait que les demandes y relatives sont fondées sur la reconnaissance de la culpabilité, la peine prononcée et l’incarcération du requérant, elles ne sauraient justifier une indemnisation, comme conclu plus haut en ce
55 — Voir Arrêt Xo Bv et Autres c. Bg Cd, op. cit, paras 45-54.

530 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
qui concerne les demandes similaires formulées par le requérant pour lui-même. En conséquence, ces demandes sont rejetées.
183. Enfin, le requérant demande le paiement de dommages-intérêts en lieu et place de la restitution, dans la mesure où il ne peut pas être rétabli dans sa situation d'avant les violations. À la lumière de ses précédentes conclusions sur la reconnaissance de culpabilité, la peine prononcée et l'incarcération du requérant, et étant donné que la demande d'ordonnance de remise en liberté a été rejetée et que des réparations ont été accordées, en particulier en ce qui concerne le retard dans la procédure, la Cour estime que l'indemnisation demandée n’est pas justifiée. La demande est donc rejetée.
ii. Préjudice matériel
184. Le requérant demande à la Cour de lui accorder un montant de 15 000 dollars des États-Unis (15000$) au titre des pertes pécuniaires subies par ses amis et sa famille du fait de sa détention prolongée (les pertes résultant notamment de la vente par sa famille de leur cacaoyère pour payer un avocat ; la souffrance endurée par Mme Bj en tant que témoin oculaire des blessures et de la douleur du requérant et les frais qu’elle a dû encourir pour se rendre par avion en Côte d’Ivoire pour informer la famille du requérant de sa situation).
185. L'État défendeur affirme qu'il n'existe aucune preuve concernant les allégations de pertes causées par la vente d’une cacaoyère et du voyage de Mme Bj en Côte d'Ivoire, qui sont des éléments de preuve nouveaux et fabriqués.
186. La Cour relève que la demande d’une indemnisation d’un montant de quinze mille dollars des États-Unis (15 000$) pour compenser les « pertes monétaires subies par les amis et les membres de la famille du requérant du fait d’une détention prolongée » n'est pas étayée par des preuves ou des justifications. La Cour observe en outre qu’en tout état de cause, la demande se rapporte à la reconnaissance de culpabilité, à la condamnation et à l'incarcération du requérant et que, par conséquent, elle ne justifie pas, comme conclu plus haut une telle indemnisation. En conséquence, la Cour rejette la demande.
iii. Frais relatifs aux procédures internes
187. Le requérant réclame le paiement de deux mille dollars des États-Unis (2 000$) au titre des frais de justice engagés au cours des procédures devant les juridictions nationales où il était représenté par Me Maro devant la Cour d'appel. L'État défendeur prie la Cour de rejeter la demande, le requérant étant représenté par un conseil pro bono, à la fois devant la Haute Cour et devant la Cour d’appel.

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 531
188. La Cour rappelle que conformément à sa jurisprudence, la réparation peut inclure le paiement des honoraires d'avocat et autres frais encourus au cours d’une procédure interne. Il revient au requérant de fournir la justification des sommes réclamées.‘”:
189. En l'espèce, la Cour a conclu précédemment que les violations constatées n'’affectaient pas fondamentalement la déclaration de culpabilité et la condamnation du requérant. La perte alléguée n’est donc pas justifiée. De plus, le requérant ne conteste pas l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle il avait bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite au cours des procédures internes. En tout état de cause, en l'absence d’éléments de preuve à l'appui de la demande, celle-ci est rejetée.
C. Autres formes de réparation
i. Non-répétition
190. Le requérant demande à la Cour de rendre une ordonnance afin de garantir la non-répétition des violations. L'État défendeur prie la Cour de rejeter cette demande, étant donné qu’il n’y a pas eu de violation qui justifierait une ordonnance de non-répétition.
191. La Cour relève que, si l'objectif visé est de prévenir des violations futures“ les garanties de non-répétition sont généralement ordonnées afin d’éradiquer les violations structurelles et systémiques des droits de l'homme.“ Par conséquent, ces mesures ne visent généralement pas à réparer un préjudice individuel, mais plutôt à remédier aux causes sous-jacentes de la violation. Cela dit, la Cour estime que des garanties de non-répétition peuvent également être pertinentes, en particulier dans des cas individuels, lorsqu’il est établi que la violation ne cessera pas ou est susceptible de se reproduire. || s'agit des cas où l'État défendeur a contesté ou ne s’est pas conformé aux conclusions
56 Voir Arrêt Xo Bv et autres c. Bg Cd (Réparations), op. cit, paras 79 à 93; et Arrêt Ae Az c. Ct (Réparations), op. cit, para 39
57 Arrêt Xo Bv et autres c. Bg Cd (Réparations), S. 81; et Arrêt Ae Az c. Ct (Réparations), op. cit, para 40
58 Voir Arrêt Xo Bv et Autres c. Bg Cd (Reparations), op.cit., paras 103-106.
59 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Observation générale N° 4 sur la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples: Le droit à réparation des victimes de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Article 5), $ 10 (2017). Voir également l'affaire des «enfants des rues» (Villagran-Morales et autres) c. Guatemala, Cour interaméricaine des droits de l’homme, arrêt sur les réparations et les dépens (26 mai 2001).

532 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
et ordonnances antérieures de la Cour.
192. Enl’espèce, la Cour a constaté que les droits du requérant n’ont été violés qu’en ce qui concerne la durée de son procès et la privation de nourriture, pour lesquelles une réparation lui a été octroyée. Ces violations ne sont pas de nature systémique ou structurelle au vu des circonstances de l'espèce. Par ailleurs, il n'existe aucune preuve que les violations se sont reproduites ou sont susceptibles de se répéter. La Cour relève également qu’en application de son ordonnance relative aux mesures provisoires, l’État défendeur n’a pas exécuté la peine de mort prononcée contre le requérant, jusqu’à ce qu’elle ait procédé à l'examen au fond de la présente requête. La Cour est d’avis que dans ces circonstances, l'ordonnance demandée n’est pas justifiée. La demande est par conséquent rejetée.
ii — Sur la demande de publication de l’arrêt
193. Le requérant demande à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à l’État défendeur de publier l’arrêt dans le Journal officiel dans un délai d’un mois suivant son prononcé, comme mesure de satisfaction. L'État défendeur n’a déposé aucune observation particulière à cet égard.
194. La Cour réitère sa position selon laquelle « l'arrêt peut constituer en lui-même une forme suffisante de réparation pour le préjudice moral ».8" Dans ses arrêts antérieurs, la Cour s'était toutefois écartée de ce principe pour ordonner proprio motu la publication de ses arrêts ou lorsque les circonstances l’exigeaient.*?
195. La Cour réitère sa conclusion antérieure selon laquelle les violations constatées en l'espèce n’ont pas fondamentalement affecté l'issue de la procédure devant les juridictions nationales. Par conséquent, ses conclusions relatives à la demande d'ordonnance de non-répétition s'appliquent également à la demande de publication. En outre, les décisions déclaratoires et compensatoires ordonnées par la Cour représentent une réparation suffisante pour les violations constatées. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la publication de l'arrêt n’est pas justifiée. En conséquence, elle rejette la demande.
60 Voir Arrêt Ae Aw Az c. Ct (Réparations), op. cit, para
61 Voir Arrêt Ae Aw Az c. Ct (Réparations), para 45
62 Voir Arrêt Ae Aw Az c. Ct (Réparations), $S. 45, 46 (5); et Arrêt Xo Bv et autres c. Bg Cd (Réparations), op.cit., para 98.

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 533
IX. Sur les frais de procédure
196. Aux termes de l’article 30 du Règlement, « à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses propres frais de procédure ».
197. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence, la réparation peut inclure le paiement des frais de justice et autres frais encourus au cours d’une procédure internationale.® || revient au requérant de fournir la justification des sommes réclamées.“*
A. Frais de procédure encourus dans le cadre de la procédure devant la Cour de céans
198. Le requérant réclame le paiement de dix mille dollars des États- Unis (10 000$) pour le conseil principal et dix mille dollars des États- Unis (10 000$) pour les deux assistants, au titre des frais d'assistance judiciaire ventilés comme suit : trois cent (300) heures de travail effectué dans le cadre de la requête déposée devant la Cour de céans, (soit deux cent (200) heures pour les deux assistants et cent (100) heures pour le conseil principal, à raison de cent dollars des États-Unis (100) l'heure pour le conseil principal et cinquante dollars des États- Unis (50 $) l'heure pour les assistants).
199. L'État défendeur conteste la demande de paiement des honoraires d'avocats, étant entendu que le conseil du requérant avait exercé ses fonctions à titre gracieux dans le cadre du programme de l'assistance judiciaire de la Cour africaine. I| demande à la Cour de rejeter la demande qui n’est appuyée d’aucun reçu.
200. La Cour fait observer que le requérant a été dûment représenté par l’UPA tout au long de la procédure, dans le cadre du programme d'assistance judiciaire de la Cour. Par ailleurs, étant entendu que le programme d'assistance judiciaire tel qu’il existe actuellement est à titre gracieux, la demande est rejetée.
B. Autres dépenses relatives à la procédure devant la Cour de céans
201. Le requérant demande le paiement des montants suivants au titre d’autres dépenses :
63 Voir Xo Bv et autres c. Bg Cd, paras 79-93; et Arrêt Ae Az c. Ct (Réparations), para 39
64 Arrêt Xo Bv et autres c. Bg Cd, para 81; et Arrêt Ae Az c. Ct (Réparations), op. cit, para 40.

534 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
i. Deux cents dollars des États-Unis (200$) pour les affranchissements ;
ii. Deux cents dollars des États-Unis (200$) pour les frais d'impression et de photocopie;
iii. Quatre cents dollars (400$) pour le transport aller-retour du siège de la Cour africaine au Secrétariat de l’UPA et du Secrétariat de l’UPA à la prison de Kisongo;
iv. Cent dollars (100$) pour les frais de communication.
202. En ce qui concerne les frais encourus par le requérant, l’État défendeur affirme que les demandes d'indemnisation doivent être rejetées car les dépenses concernent l’affranchissement, l'impression et la photocopie, le transport et la communication qui sont toutes prises en charge par les autorités pénitentiaires.
203. La Cour fait observer que les demandes de paiement de deux cents dollars des États-Unis (200$) pour les affranchissements ; deux cents dollars des États-Unis (200$) pour les frais d'impression; quatre cent dollars des États-Unis (400$) pour les frais de transport et cent dollars des États-Unis (100$) pour les frais de communication ne sont pas accompagnées de pièces justificatives. Elles sont donc rejetées. 204. Compte tenu de ce qui précède, la Cour décide que chaque partie supporte ses frais de procédures.
205. Par ces motifs :
La Cour,
À l’unanimité
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence matérielle de la Cour ;
ii. Dit qu’elle est compétente ;
Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête
iv. Déclare la requête recevable
Sur le fond
V. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les articles 7, 7(1)(b) et (c) de la Charte relativement à l’allégation de violation du droit du requérant de se faire assister par un interprète, de se faire assister par un avocat, de bénéficier de l'assistance consulaire, ainsi qu’à l’allégation selon laquelle l'enquête était inappropriée et insuffisante et le droit à la présomption d’'innocence a été violé ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 14 de la Charte relativement à l’allégation selon laquelle le requérant a été dépossédé

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493 535
de ses biens par les agents de l’État défendeur ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 5 de la Charte pour n’avoir pas fourni de la nourriture au requérant ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(d) de la Charte relativement à l’allégation de la prolongation de façon anormale du procès du requérant ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé l’article 1°" de la Charte.
Sur les réparations
x. Rejette la demande du requérant d’ordonner l’annulation par la Cour de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcées contre le requérant ainsi que sa remise en liberté ;
xi. Rejette la demande du requérant relative à la réparation du préjudice moral;
xii. Rejette la demande du requérant relative à une indemnisation pour perte pécuniaire ;
xiii. Rejette la demande du requérant relative au remboursement des frais de justice encourus dans le cadre des procédures internes ; xiv. Rejette la demande du requérant relative à la garantie de non- répétition et à la publication du présent arrêt ;
XV. Accorde au requérant la somme de cinq cents dollars des États-Unis (500$) pour avoir été soumis à un traitement inhumain et dégradant ;
xvi. Accorde au requérant la somme de deux mille dollars des États- Unis (2 000$) pour n'avoir pas été jugé dans un délai raisonnable et pour les souffrances qui en ont résulté ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de payer les montants indiqués aux points (xv) et (xvi) du présent paragraphe dans un délai de six (6) mois, à compter de ce jour, faute de quoi il sera également tenu de payer des intérêts de retard calculés sur la base du taux applicable de la Banque de Ct pendant toute la période de retard de paiement jusqu’au paiement intégral du montant.
xviii. Ordonne à l’État défendeur de soumettre, dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur l’état de la mise en œuvre des ordonnances qui y sont contenues.
Sur les frais de procédure
xix. Rejette la demande du requérant relative au paiement des frais de procédure et autres frais encourus dans le cadre de la procédure devant la Cour de céans ;
xx. Décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.

536 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
Opinion individuelle : BENSAOULA
1. Je partage l'opinion de la majorité des juges quant à la recevabilité de la requête, la compétence de la Cour et le dispositif.
2. En revanche je pense qu’en ce qui concerne l'intervention faite par la république de Côte d'Ivoire, la Cour aurait dû examiner plus la question de la recevabilité de la requête en la forme et son fondement quant au fond.
3. En effet, si l’article 5.2 du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples stipule que « lorsqu’un État partie estime avoir un intérêt dans une affaire il peut adresser à la Cour une requête aux fins d’intervention », à la lecture de l’article 53 du règlement intérieur de la Cour il ressort que :
1. « La requête aux fins d'intervention visée à l’article 5.2 du Protocole est déposée le plus tôt possible, en tout cas avant la clôture de la procédure écrite.
2. La requête indique le nom des représentants du requérant, elle précise l'affaire qu’elle concerne et spécifie :
- L'intérêt d’ordre juridique qui selon l’État intervenant est pour lui en cause.
- L'objet précis de’ intervention.
- Toute base de compétence qui selon l'État intervenant existerait entre lui et les parties.
3. La requête contient un bordereau des documents à l’appui qui sont annexés, elle doit être dûment motivée.
4. Une Copie certifiée conforme de la requête est immédiatement transmise aux parties, qui ont le droit de présenter des observations écrites dans un délai fixé par la Cour ou si elle ne siège pas par le président. Le greffier transmet également copie de la requête à toute autre entité concernée visée à l’article 35 du présent règlement.
5. Si elle déclare la requête recevable la Cour fixe un délai dans lequel l’État intervenant devra présenter ses observations écrites, celles-ci sont transmises par le greffier aux parties à l'instance qui sont autorisées à y répondre par écrit dans un délai fixé par la Cour.
6. L'État intervenant a le droit de présenter des observations sur l’objet de l'intervention au cours de la procédure orale si la Cour décide d’en tenir une.»
4. Au vu de ces deux articles joints, il est clair que des conditions sont exigées pour la recevabilité de la requête portant demande d'intervention :
- L'intérêt dans l'affaire objet d'intervention ;
- Le délai du dépôt de cette requête « le plus tôt possible en tout

Bi c. Ct (fond et réparations) (2018) 2 RJCA 493 537
cas avant la clôture de la procédure écrite » ;
- Le contenu de la requête ;
- La motivation de la requête ;
- Les documents à l’appui.
5. La procédure dont dépend la requête en intervention répond aux même conditions de procédure qu’une requête d'action principale, notification aux parties pour observations écrites par la Cour si elle siège…Ôsinon par le président, la partie intervenante ayant droit à la parole en cas d'audience orale.
6. Cette requête fait aussi l’objet de transmission aux entités concernées énoncées au paragraphe 3 de l’article 35 du règlement
7. Il ressort de la lecture de l’arrêt rendu par la Cour le 7/12/2018 objet de l’opinion individuelle, que dans son chapitre ’les parties’ la Cour a considéré l’état intervenant partie au procès car « autorisé à intervenir ».
8. Et il ne ressort à aucun moment de la lecture du dit arrêt que la recevabilité de cette requête a été tranchée ou abordée, ce qui est contraire à l’alinéa 5 de l’article 53 du règlement.
9. Plus encore, le paragraphe 12 du chapitre Ill, « résumé de la procédure devant la Cour », a mal interprété la genèse de la procédure en certifiant que le 21/01/2015... et conformément aux articles 5.1(d) et 5.2 du Protocole et 33 1 d et 53 du règlement, le greffe a notifié la requête à la république de Côte d'Ivoire en tant qu’État dont le requérant est originaire.
10. Alors qu’il ressort du dossier que l’État intervenant--la République de Côte d'Ivoire a sollicité son intervention le 1 avril 2015 donc que l'intervention de l’État ivoirien est volontaire puisqu'il est stipulé à ce même paragraphe que la Cour l’y a autorisée et qu’il a déposé ses observations et ses réponses aux mémoires des parties.
11. | ressort tant du paragraphe 15 que 16 de l’arrêt que le principe du contradictoire a été observé puisque les observations de l'État intervenant ont été notifiées au défendeur, comme il ressort de la lecture de l’arrêt que l’État défendeur a répondu aux demandes et arguments de l’État intervenant et ce dernier a aussi répondu à ses répliques en y opposant des demandes.
12. Il ressort des demandes et répliques de l’État intervenant qu’en plus de sa demande concernant la recevabilité de sa requête et la compétence de la Cour le concernant, il soutient les demandes et allégations du requérant (paragraphes 23, 30 ,49 83 et 92 de l'arrêt). 13. Mais à aucun moment de l'arrêt il ne ressort que la Cour a répondu à ces demandes, ce qui constitue à mon humble avis une irrégularité de procédure tant en ce qui concerne la demande de l’État intervenant de déclarer sa demande d'intervention recevable, que sur

538 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
ses demandes au fond approuvant les allégations du requérant ne serait-ce qu’en les considérant prises en charge par la Cour dans sa décision portant sur les demandes du requérant car similaires à ceux de l’État intervenant.
14. De mon point de vue, si la Cour a considéré qu’en répondant au requérant elle répondait aussi à l’État intervenant elle aurait dû le dire expressément tout le long de l'arrêt jusqu’à son dispositif
En conclusion
15. Étant une sorte de « voie de recours reconnue aux tiers » ayant un intérêt dans une affaire pendante devant la Cour, prévue par des dispositions de forme et de fond tant par le règlement que par la charte, la Cour se devait de traiter la demande d’intervention de la même manière qu’il a été procédé pour la requête et demandes du requérant tant dans le corps de l'arrêt que dans son dispositif, sur la compétence, la recevabilité et le fond.
16. Même si sur le fond l’État de Côte d’Ivoire intervenait aux côtés du requérant et donc soutenait ce dernier dans ses allégations et demandes.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 001/2015
Date de la décision : 07/12/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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