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21/03/2018 | CADHP | N°040/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 21 mars 2018, 040/2016


Texte (pseudonymisé)
246 RECUEIL
Ar et

DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
Ap c. Mali (fond) (2018) 2 RICA 246

Requête 040/2016, Ag Ar et Ax Ap c. République
du Mali
Arrêt, 21 mars 2018. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
Les requérants, une mère et son fils, ont été agressés à la machette en
2014 par un homme. Ils ont saisi la Cour, alléguant que les juridictions
nationales n’ont pas pris les mesures néces

saires à l'encontre de leur
agresseur. La Cour a déclaré l'affaire irrecevable au motif que les
requérants...

246 RECUEIL
Ar et

DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
Ap c. Mali (fond) (2018) 2 RICA 246

Requête 040/2016, Ag Ar et Ax Ap c. République
du Mali
Arrêt, 21 mars 2018. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
Les requérants, une mère et son fils, ont été agressés à la machette en
2014 par un homme. Ils ont saisi la Cour, alléguant que les juridictions
nationales n’ont pas pris les mesures nécessaires à l'encontre de leur
agresseur. La Cour a déclaré l'affaire irrecevable au motif que les
requérants ont contribué à la prolongation de la procédure nationale et
n’ont pas démontré que les recours internes étaient insuffisants.
Recevabilité (épuisement des recours internes, prolongement anormal,
37, 47, 48 ; caractère suffisant du recours, 53)
I Les parties
1 Les requérants, Dame Ag Ar et son fils Ax Ap, sont des citoyens maliens.
2 L'État défendeur est la République du Mali qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, (ci- après « la Charte »), le 21 octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « le Protocole ») le 25 janvier 2004. L'État défendeur a, en outre, déposé la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, reconnaissant la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant des individus et des Organisations Non Gouvernementales, le 19 février 2010. Il est également partie au Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes (ci- après «le Protocole de Maputo»), depuis le 25 novembre 2005 et à la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant (ci-après «la Charte sur les droits et le bien-être de l'enfant »), depuis le 29 novembre 1999.
Il. L’objet de la requête
3 La requête a été présentée par l'APDF et l'IHRDA, pour le compte de Ag Ar, commerçante à Bamako et de son fils Ax Ap et évoque la violation des droits des requérants à un procès équitable par l’État défendeur.

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A Les faits
4. En janvier 2014, Ag Ar vend un singe à Ad Ac pour une somme de neuf mille (9000) francs CFA. Le lendemain, Ad revient demander à Ag de reprendre son singe et de lui restituer son argent. || fait valoir que sa maman n’apprécie pas la domestication dudit singe. Devant le refus de Ag de reprendre l’animal, Ad laisse le singe dans la cour de celle-ci et s'en va. Seulement, voulant à tout prix récupérer son argent, il revient presque chaque jour au domicile de sa cocontractante pour réclamer la restitution de la somme payée.
5 La nuit du 13 février 2014, lorsqu'il vient, à nouveau, chez Ag pour la même réclamation, celle-ci lui intime l’ordre de ne plus « mettre les pieds » chez elle. Furieux, Ad se rend précipitamment au domicile de la famille voisine, se saisit d’une machette, rebondit au salon de Ag et lui assène plusieurs coups à la tête et aux pieds jusqu'à ce que cette dernière tombe évanouie.
6 Ax Ap, le fils de Ag, qui venait au secours de sa mère fut également blessé par Ad lors de l’échauffourée. C’est alors que les voisins, alertés par les cris de Ousmane, appréhendèrent Ad pour le mettre à la disposition de la police.
7 Suite à l'enquête ordonnée par le Parquet du Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako, Ad est poursuivi pour coups et blessures volontaires simples. L'affaire fut mise en comparution immédiate devant le Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako.
8 Au cours de l'audience publique du 20 février 2014, le Ministère public a requis la relaxe du prévenu en invoquant la démence de ce dernier.
9 Le 27 février 2014, le Tribunal rejette la réquisition du Parquet et condamne Ad à un (01) an d’emprisonnement ferme pour coups et blessures simples. Le Tribunal réserva, néanmoins, les intérêts de la partie civile au motif que celle-ci n'avait pas encore produit les preuves de l’incapacité de travail alléguée.
10. Le Conseil de Ad interjeta appel du jugement le même jour.
11. Dans son arrêt du 24 mars 2014, la Cour d'appel, considérant que le Juge de première instance n’a pas vidé sa saisine, en ne se prononçant pas sur les intérêts civils, décida de renvoyer l'affaire au Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako. 12. Au moment de la saisine de la Cour de céans par les requérants, le 1 juillet 2016, la procédure était en cours devant le Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako.

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B. Les Violations alléguées
13. Les requérants allèguent que les juridictions nationales maliennes, saisies du différend qui les opposait à Ad l’ont été sur une qualification erronée des faits de la cause. Ils affirment que le fait de qualifier de coups et blessures les actes de leur agresseur alors qu’il s'agissait d’une tentative de meurtre avec préméditation, a eu pour conséquence la violation de leur dignité et de leurs droits garantis par les instruments internationaux des droits de l'homme, en particulier :
«i, Le droit à la dignité et le droit d’être protégés contre toute formes de violences et contre la torture tels que prévus par l’article 3 du Protocole de Maputo, l’article 5 de la Charte, l’article 7 du PIDCP et l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH);
ii. Le droit à l'éducation de Ousmane tel que prévu par l’article 17 de la Charte et l’article 11 de la Charte sur les droits et le bien-être de l’enfant ;
iii. Le droit au travail de Ag tel que prévu par l’article 15 de la Charte ;
iv. Le droit à la santé tel que prévu par l’article 16 de la Charte, 14(1) du Protocole de Maputo et 14 de la Charte sur les droits et le bien-être de l’enfant ;
v. Le droit d’accès à la justice et le droit à la réparation tels que prévus par l’article 7 de la Charte et l’article 6 du Protocole de Maputo ».
14. Ils affirment en définitive que toutes ces violations sont imputables à l’État défendeur qui a manqué à son obligation de mener une enquête approfondie et impartiale devant conduire à une juste qualification de l'infraction commise par leur agresseur. Ce qui constitue une violation de l’article 3(4) du Protocole de Maputo.
Il. Résumé de la procédure devant la Cour
15. La requête, reçue au Greffe de la Cour le 1“ juillet 2016, a été notifiée à l’État défendeur le 26 juillet 2016. Celui-ci a été invité à communiquer sa réponse à la requête dans un délai de 60 jours, en application des articles 35(2) et 37 du Règlement intérieur de la Cour. 16. Le 18 octobre 2016, le Greffe a communiqué la requête aux autres États parties et entités prévues par l’article 35(3) du Règlement. 17. Le 28 novembre 2016, l’État défendeur a déposé son mémoire en défense qui fut communiqué aux requérants le 13 décembre 2016. 18. Le 1er février 2017, les requérants ont déposé leur réplique qui fut transmise à l’État défendeur le 2 février 2017.

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19. Le 21 février 2017, le Greffe informe les Parties que la Cour clôturait la procédure écrite ainsi qu’elle mettait l’affaire en délibéré.
20. Le 28 février 2017, l’État défendeur adresse à la Cour une demande d’autorisation afin de déposer des observations supplémentaires conformément à l’article 50 du Règlement de la Cour. À sa 44ème session ordinaire, tenue du 06 au 24 mars 2017 la Cour fait droit à la demande ; Le 20 mars 2017, le Greffe informe l’État défendeur qu’il dispose d’un délai de 30 jours pour déposer ses observations.
21. Le 05 avril 2017, l’État défendeur dépose sa duplique. Celle-ci fut transmise aux requérants le 10 avril 2017.
22. A sa 47ème session ordinaire, tenue du 13 au 24 novembre 2017, la Cour décide de clôturer la procédure écrite et de mettre l’affaire en délibéré. Notification de ladite décision fut communiquée aux parties le 22 février 2018.
IV. Mesures demandées par les parties
23. Dans la requête, il est demandé à la Cour de :
«i. Condamner l’État défendeur pour manquement à l’obligation de mener une enquête approfondie et impartiale conformément à l’article 3(4) du Protocole de Maputo, l’article 1° de la Charte et l’article 16 de la Charte sur les droits et le bien-être de l'enfant ;
ii. Dire que l’État défendeur a violé leurs droits garantis et protégés par les articles 5, 7, 15, 16, et 17 de la Charte ; 3, 6 et 14 du Protocole de Maputo ; 11 et 14 de la Charte sur les droits et le bien-être de l’enfant ; 7 du PIDCP et 5 de la DUDH ;
iii. Ordonner à l’État défendeur de payer à Ag Ar et à Ax Ap, respectivement 110 628 205 francs et 70 026 000 en réparation des préjudices qu’ils ont subis ».
24. Dans son mémoire en défense, l’État défendeur demande à la Cour :
«i, En la forme, déclarer la requête irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes,
ii. Au fond, dire que la requête est mal fondée ».

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V. Sur la compétence
25. Aux termes de l’article 39(1) du Règlement intérieur « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence… ».
26. La Cour observe que sa compétence matérielle, personnelle, temporelle et territoriale ne fait l’objet d'aucune contestation entre les parties.
27. Elle note également, qu’en l'espèce, il n’y a pas de doute sur sa compétence matérielle, personnelle, temporelle et territoriale étant donné que :
«i, les requérants invoquent la violation des droits garantis par des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l’État défendeur! ;
ii. l’État défendeur est partie au Protocole et qu’il a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) qui permet aux individus et aux ONG d'introduire des requêtes directement devant elle, en vertu de l’article 5(3) du Protocole? ;
iii. les violations alléguées sont postérieures à l’entrée en vigueur, à l’égard de l'État défendeur, des instruments internationaux ; iv. les faits de l'affaire se sont déroulés sur le territoire de l’État défendeur. »
28. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente affaire.
VI. Sur la recevabilité
29. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
30. L'État défendeur invoque une seule exception d’irrecevabilité tirée de l’article 40(5) du Règlement qui dispose que « les requêtes sont recevables si elles sont postérieures à l'épuisement des voies de recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ».
31. Dans son mémoire en défense, l’État défendeur, en se fondant sur l’article 34(4) du Règlement, soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes avant de saisir la Cour de céans et lui demande de déclarer la requête irrecevable.
32. Sur ce point, les requérants, eux-mêmes, reconnaissent qu'ils
1 Voir para. 2 du présent arrêt.
2 Voir para. 2 du présent arrêt.
3 Idem.

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n’ont pas épuisé les voies de recours internes avant de saisir la Cour de céans. Cependant, en se fondant sur l’article 40(5) du Règlement, ils exposent que :
i. le recours pendant devant la Cour d’appel de Bamako a été prolongé de façon anormale ;
ii. le recours en appel n’est pas efficace et
iii. le recours civil est, quant à lui, déjà dépourvu de sa substance par la sous-estimation des faits commis par Ad, leur agresseur.
33. La Cour est donc appelée à examiner les trois arguments ainsi avancés par les requérants pour soutenir l’exception à la règle de l'épuisement préalable des voies de recours internes.
A. Sur l’allégation de prolongement anormal de la procédure interne
34. Les requérants font valoir que l'affaire est pendante devant la Cour d’appel de Bamako depuis deux ans et deux mois ; qu’une affaire qui a été jugée en moins d’une semaine par le Tribunal correctionnel ne peut, raisonnablement, prendre plus de deux ans devant la Cour d'appel. Aussi, demandent-ils à la Cour de considérer que cette procédure se prolonge de façon anormale et d'accepter l'exception à la règle de l'épuisement des voies de recours internes, prévue par l’article 56(5) de la Charte et reprise à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour.
35. L'État défendeur rétorque que si à la date de saisine de la Cour de céans l'affaire, au plan interne, n’est pas définitivement close ce retard est lié aux difficultés procédurales. || soutient d’une part, que si la justice malienne n’a pas encore fini avec cette affaire c'est parce que le juge attend toujours l'avocat des parties civiles qui a demandé que les droits de ses clients soient réservés jusqu’à la production de certificat médical définitif et d'autre part, qu’à trois reprises, soit les 12 et 27 octobre 2016 et le 30 novembre 2016, les requérants n’ont pas comparu aux audiences du tribunal statuant sur la question des réparations. L'État défendeur en déduit qu’il n’est mêlé en rien à ces différentes péripéties procédurales.
36. Dans leur réplique, les requérants précisent que les audiences des 12 et 27 octobre ainsi que celle du 30 novembre 2016 auxquelles ils n’ont pas comparu sont postérieures à la saisine de la Cour de céans. Ils ajoutent que le caractère anormal de la durée de la procédure devrait s’apprécier au moment de la saisine de la Cour de céans.
37. La Cour réaffirme que pour analyser le caractère raisonnable ou non de la durée d’une procédure, elle doittenir compte des circonstances de la cause et de la procédure, et qu’ainsi « l'appréciation du caractère

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normal ou anormal de la durée de la procédure relative aux recours internes doit, en effet, être effectuée au cas par cas, en fonction des circonstances propres à chaque affaire ».“
38. Sur ce point, l'analyse de la Cour tient compte, en particulier, de la complexité de l'affaire ou de la procédure y relative, du comportement des parties elles-mêmes et de celui des autorités judiciaires pour déterminer si ces dernières ont « affiché une passivité ou une négligence certaine ».°
39. En l'espèce, les questions qui se posent sont celles de savoir si la procédure nationale relative à l'affaire des requérants était complexe ou si les parties ont apporté leur concours à la célérité de ladite procédure et si les autorités judiciaires ont fait preuve d’une négligence ou d’une lenteur inadmissible.
40. || ressort des pièces du dossier que lorsque l'infraction a été commise, la police saisie par les voisins a procédé à l'arrestation du Sieur Ad, l’a placé en garde à vue et dressé un procès- verbal d’enquête ; que ce procès-verbal a ensuite été adressé au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune V du District de Bamako qui a saisi le Tribunal correctionnel en comparution immédiate après avoir placé le prévenu sous mandat de dépôt.
41. La Cour constate que les faits ci-dessus décrits ne révèlent aucun élément de fait ou de droit qui rendrait l'affaire et moins encore la procédure complexe de manière à justifier une durée relativement longue.
42. La Cour relève, en outre, que le Tribunal de première instance de la Commune V du District, saisi le 20 février 2014 a rendu son jugement le 27 février 2014 soit dans un délai de huit (08) jours. Quant à la Cour d'appel, saisie de l'affaire le 27 février 2014, elle a rendu son arrêt le 24 mars 2014, soit dans un délai de vingt- cinq (25) jours. La Cour ne considère pas qu’une telle durée soit trop longue et dit que la procédure ne s’est pas prolongée de façon anormale.
43. Le délai de deux ans deux mois dont se plaignent les requérants est celui de l'instance devant le Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako statuant comme juridiction de renvoi et appelée à vider sa saisine en se prononçant sur les intérêts civils des requérants.
44. Sur ce point, il ressort des pièces du dossier, notamment du
4 V. Requête N°013/2011, Arrêt du 2803/ 2014 : Ayants droit de feu Aq Ae et autres c. Aw At, para. 92. http://www.african-court.org
5 V. Affaire Am c. France, arrêt du 25 février 1993, Série A, N°256-D $ 44.

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mémoire en défense, que la procédure s’est prolongée par le fait des requérants eux-mêmes, par le fait qu’à l'audience du 20 février 2014, leur avocat avait demandé que le Tribunal réserve les droits des parties civiles et qu’au surplus, les requérants n’ont pas fourni le certificat médical définitif concernant Ag Ar, ce que les requérants ne contestent pas.
45. La Cour estime que la célérité d’une procédure exige une coopération nécessaire des parties au procès pour éviter des retards indus comme ce fut le cas dans l'affaire opposant les requérants et le Ministère public devant les juridictions nationales, notamment devant le Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako, depuis le renvoi de l'affaire devant celui-ci afin que soit vidé sa saisine sur les intérêts des parties civiles.
46. En l'espèce, la Cour relève que le laps de temps entre le 24 mars 2014° et le 1er juillet 2016, date de sa saisine, correspond à la période au cours de laquelle le Tribunal attendait les pièces médicales des requérants afin d’évaluer les préjudices et quantifier la réparation. 47. Au regard de ce qui précède, la Cour constate que la prolongation de la procédure dont se plaignent les requérants leur est aussi imputable.” || leur revenait d'apporter leur concours à la célérité de la procédure en produisant, à temps, les éléments de preuve en réparation des dommages qu'ils invoquent.
48. La Cour rejette donc l’allégation des requérants selon laquelle la procédure nationale s'est prolongée de façon anormale.
B. Sur l’allégation de l’inefficacité du recours devant la Cour d’appel
49. Les requérants font également valoir que le recours devant la Cour d’appel n’est pas efficace dans la mesure où il n'offre aucune perspective de requalification des faits en tentative de meurtre avec préméditation et non de coups et blessures ; que le Ministère public aurait dû d’abord requérir l'expertise médicale sur l'incapacité de travail subie par les victimes avant de procéder à la qualification des faits.
50. L'État défendeur conteste les prétentions des requérants et soutient que l'affaire devant les juridictions nationales n’a pas été mal gérée. I| soutient que la condamnation de Ad à un an d'emprisonnement ferme, par le Tribunal de première instance de la
6 Date à laquelle la Cour d'Appel a renvoyé l'affaire au Tribunal de première instance de la Commune V du District de Bamako.
7 V. Requête N°001/2012, Arrêt du 28 /03/ 2014 : Ab Ao Ak c et autres. République-Unie de Tanzanie, paras. 133 à 135. http://Wwww.african-court.org

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Commune V du District de Bamako, est la preuve que cette affaire, sur le plan pénal, a été diligentée avec le maximum de rigueur.
51. La Cour relève que les requérants se bornent à dire qu’ils n’ont pas exercé le recours en requalification des faits parce qu’il n'existe aucune perspective d'arriver à une telle requalification.
52. Comme elle l’a déjà affirmé dans des affaires antérieures, « il ne suffit pas que le plaignant mette en doute l'efficacité des recours internes, du fait d’incidences isolées »,* pour se décharger de l’obligation d’'épuiser les voies de recours internes. Au demeurant, « il appartient au plaignant d'entreprendre toutes les démarches nécessaires pour épuiser ou, au moins, essayer d’épuiser les recours internes ».°
53. En l'espèce, la Cour constate que les requérants n’apportent aucune preuve qui démontre que le recours en requalification ne pouvait pas aboutir à une décision différente de celle du juge d'instruction ; qu’ils se contentent de jeter le doute sur l'efficacité d’un recours qui leur est ouvert et qu’ils ont délibérément renoncé à utiliser.
54. En conséquence, faute, pour les requérants, d'apporter la preuve que la saisine de la Chambre d'accusation n’aurait pas produit l'effet escompté, la Cour rejette l'argument des requérants.
C. Sur l’allégation de l’inefficacité du recours civil
55. Les requérants soutiennent que la justice malienne en ne retenant que les coups et blessures volontaires simples sans attendre l’avis du médecin traitant, a « fermé la porte » aux réclamations en indemnisation pour l'incapacité de travail de 60% subie par Ag Ar ainsi que la perte de chance consécutive à cette incapacité ; que Ag a été ainsi mise dans l'impossibilité de réclamer le payement des coûts des opérations, des médicaments et des exercices de kinésithérapie qu’elle a payés pour soigner les blessures à elle infligées par Ad.
56. Les requérants font, en outre, valoir que le fait pour le Ministère public d’avoir évité la procédure criminelle appropriée au profit de celle correctionnelle et d’avoir ignoré la qualité de victime du jeune
8 V. Requête N°003/2012, Arrêt du 28/03/2012 : Al Ai Aa c. République- Unie de Tanzanie, para. 143 ; Requête N°001/2012, Arrêt du 28/03/2014 : Ab Ak c. République-Unie de Tanzanie, para. 127, http:/Wwww.african-court. org ; V. également, CADHP, Communication N°263/02 : Kenyan Section of the International Commission of Jurist, Law Aj X Af and An As Au B Af, in dix-huitième rapport d’activités, juillet à décembre 2004, para. 41 ; CADHP, Communication N°299/05 Anuak Justice Av A Ah, in vingtième rapport d'activités, janvier à juin 2006, para 54.
9 V. Requête N°003/2012, Arrêt du 28/03/2012, Al Ai Aa. c. Tanzanie, para. 144 op.cit.

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Ax Ap prouve que les juridictions nationales ont manqué à leur obligation de mener une enquête approfondie et impartiale.
57. ls concluent que les procédures internes n'offrent aucun intérêt pour les victimes qui veulent une qualification correcte des faits, la punition du délinquant à la hauteur du crime commis et une indemnisation qui tient compte du préjudice subi.
58. L'État défendeur réfute les allégations des requérants et rétorque que c’est en tenant compte des intérêts civils des requérants que la Cour d'appel a renvoyé l'affaire devant le juge de première instance. 59. La Cour relève, en fait, que c’est en tenant compte des intérêts civils des requérants que la Cour d'appel de Bamako, saisie du jugement du 27 février 2014, a considéré que le juge de première instance n’a pas vidé sa saisine en ne se prononçant pas sur les intérêts civils et a, de ce fait, décidé de renvoyer l'affaire à ce dernier.
60. Par ailleurs, la Cour note qu’à l'étape actuelle de la procédure interne, les requérants ne peuvent interjeter appel qu'après la décision du juge d'instance sur leurs intérêts civils. || est donc prématuré de préjuger de l'inefficacité du recours devant la Cour d’appel.
61. En conséquence, la Cour rejette les moyens des requérants tendant à considérer les recours internes comme étant inefficaces, ineffectifs et insatisfaisants.
62. La Cour conclut que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes comme l’exigent les articles 56 de la Charte et 40(5) du Règlement Intérieur de la Cour.
63. La Cour note qu'aux termes des dispositions de l’article 56 de la Charte, les conditions de recevabilité sont cumulatives de sorte que lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, c’est l'entière requête qui ne peut être reçue. C’est le cas en l'espèce et la requête est, par conséquent, irrecevable.
VII. Frais de procédure
64. La Cour relève que dans la présente affaire les parties n’ont formulé aucune demande quant aux frais de procédure.
65. Aux termes de l’article 30 du Règlement, qui dispose que « A moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure », la Cour décide que chaque partie supportera ses propres frais de procédure.

256 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
66. Par ces motifs,
La Cour,
A l’unanimité :
i. Déclare qu’elle est compétente;
ii. Déclare fondée l'exception de non épuisement des voies de recours internes ;
iii. Déclare la requête irrecevable ;
iv. Déclare que chaque partie supportera ses propres frais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 040/2016
Date de la décision : 21/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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