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28/09/2017 | CADHP | N°021/2017

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 septembre 2017, 021/2017


Texte (pseudonymisé)
Ac c.
Ac c. Rwanda
155

Rwanda (mesures provisoires) (2017) 2 RJCA 155 155
(mesures provisoires) (2017) 2 RICA

Requête 021/2017, Léon Ac c. République du Rwanda
Ordonnance, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges : ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE, CHIZUMILA et BENSAOULA
S’est récusée en application de l’article 22 : MUKAMULISA
Demande de mesures provisoires accordées par la Cour à un détenu
pour lui permettre de consulter ses avocats, de recevoir des visi

tes, de
communiquer avec les membres de sa famille et d’avoir accès à des
soins médicaux.
Mesures proviso...

Ac c.
Ac c. Rwanda
155

Rwanda (mesures provisoires) (2017) 2 RJCA 155 155
(mesures provisoires) (2017) 2 RICA

Requête 021/2017, Léon Ac c. République du Rwanda
Ordonnance, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges : ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE, CHIZUMILA et BENSAOULA
S’est récusée en application de l’article 22 : MUKAMULISA
Demande de mesures provisoires accordées par la Cour à un détenu
pour lui permettre de consulter ses avocats, de recevoir des visites, de
communiquer avec les membres de sa famille et d’avoir accès à des
soins médicaux.
Mesures provisoires (compétence prima facie, 17-20 ; urgence
extrême, dommage irréparable, 28)
| Objet de la requête
1 Le 28 février 2017, la Cour a été saisie d’une requête par Léon Ac (ci-après dénommé le « requérant »), engageant une procédure à l’encontre de la République du Rwanda (ci-après « le défendeur ») portant sur des allégations de violation de droits de l'homme.
2 Le requérant est un ressortissant rwandais actuellement incarcéré à la prison de Aa AAdB, en République du Rwanda. 3. Le défendeur est la République du Rwanda, qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci- après dénommée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 25 janvier 2004. Le 6 février 2013, le Rwanda a également déposé la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.‘
4 La requête porte sur les injustices dont le requérant aurait été victime pendant toute la durée du procès devant la Chambre de la Haute Cour spécialisée pour les crimes internationaux et devant la
Il convient de noter que le défendeur a retiré sa déclaration le 29 février 2016. Pour la décision de la Cour à cet égard, voir le paragraphe 20 de la présente Ordonnance.
Chambre au sein de la Haute Cour de la République rwandaise, spécialisée dans les « crimes internationaux », et qui juger notamment les suspects de génocide extradés de pays tiers ou par le Tribunal pénal international pour le Rwanda

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Cour suprême du Rwanda entre 2012 et 2016. Il allègue avoir été détenu dans des conditions déplorables, soumis à toutes sortes de tortures, n'ayant qu’un accès limité à sa famille, sans soins médicaux ni traitements appropriés et sans accès à un avocat.
5. 5. Le requérant affirme encore que son droit à un procès équitable consacré à l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'homme et des Peuples (ci-après « la Charte ») et dans les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique a été violé, notamment par :
a le refus par la Chambre de la Haute Cour chargée des crimes internationaux d'accorder des réparations pour les violations survenues durant le procès, contrairement à l’article 7(1)(a) de la Charte ;
l'impossibilité de répondre aux réquisitoires et allégations du Ministère public pendant la procédure devant la Chambre de la Haute Cour chargée des Crimes internationaux et devant la Cour suprême du Rwanda, en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte ;
le refus d’une assistance judiciaire au motif qu’il n’était pas considéré indigent, malgré sa situation sociale et personnelle, la complexité de l'affaire, la gravité des accusations et la peine encourue s’il était déclaré coupable, ainsi que la condamnation injustifiée de son avocat rwandais à verser une amende de 400 000 FCFA (610 €), en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte ;
le refus d'autoriser le requérant à citer ses témoins et autres experts à la barre et à faire valoir ses moyens de défense, en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte ;
le refus de fournir une traduction en français, l’une des langues officielles du pays, alors que le procès ne se déroulait qu’en Kinyarwanda, langue que ses avocats ne comprennent pas, en violation de l’article 7(1)(c) de la Cha te ;
le manque d'accès au dossier de la procédure ; qui a été remis plus tard sur clé USB au Conseil du requérant et qui était censée contenir ledit dossier, s'est révélée inexploitable, en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte ;
le manque d’impartialité et d'indépendance de la Cour, du fait du remplacement du juge qui avait présidé au procès pendant plus de deux ans et entendu un certain nombre de témoins, en violation des articles 7(1)(d) et 26 de la Charte.

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6. Le requérant soutient avoir été victime de traitements cruels, inhumains et dégradants, en violation de l’article 5 de la Charte, en raison notamment :
a. de «… l'atmosphère de peur et d’intimidation… » créée par la diffusion systématique dans les médias de son discours de 1992 ;
b. de l'inclusion de son nom sur la liste des personnes devant être exécutées ;
c. des menaces de mort constantes de la part des agents de sécurité, des policiers et des gardiens de prison, en violation de l’article 5(2) de la Charte ;
d. du refus de lui fournir une alimentation adéquate.
7. Le requérant allègue une atteinte à son intégrité physique et mentale, en violation de l’article 4 de la Charte, notamment par :
a. son isolement de sa famille et de sa défense ;
b. l’annulation de ses visites médicales, parfois devant être traité par un surveillant reconverti en infirmier, et sans diplôme ;
c. le refus de lui accorder un éclairage suffisant dans sa cellule et de lui fournir un oreiller orthopédique ;
d. le non-respect des prescriptions ophtalmologiques, concernant l'éclairage dans sa cellule, ce qui l’a exposé à un risque accru de cécité, en raison de la cataracte des deux yeux dont il souffrait déjà ;
e. lenon-accèsauxconsultationspsychiatriquespourévaluerleseffets, sur son état mental, des troubles du sommeil et des autres traumatismes résultant de la perte progressive de sa vision ;
f. la disparition de ses ordonnances dans son dossier médical ou des traitements médicaux inappropriés ;
9. le non-respect de son régime alimentaire, à base de fruits, et du refus de lui fournir des aliments anti-cholestérol comme le pain complet, alors que d’autres détenus de la même prison recevaient du pain particulier répondant à leur régime alimentaire ;
h. des conditions de détention difficiles qui ont provoqué une hausse de sa tension artérielle à 10/5, niveau dangereux pour la santé ;
i. le non-respect des assurances diplomatiques données au Canada, selon lesquelles le requérant devait bénéficier d’un régime alimentaire et des soins médicaux conformes aux normes internationales.
8. Le requérant allègue encore que son droit de communiquer avec sa famille a été violé, tout comme son droit à l'information, inscrits respectivement aux articles 18(1) et 9(1) de la Charte, alors qu’il avait obtenu les autorisations nécessaires ; que des obstacles lui étaient

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imposés sur le plan pratique comme le refus d’utiliser un téléphone ou la fourniture tardive d’un téléphone et, dans les cas où il avait pu communiquer, il s'est rendu compte que la ligne téléphonique était sur écoute.
9. Toujours selon le requérant, lorsqu'il a été transféré dans une autre prison, sa famille était sans nouvelles de lui pendant plusieurs jours et le silence sur son sort ainsi que les multiples obstacles qu’il a rencontrés constituent une violation des articles 6 et 7 de la Charte.
I. Procédure devant la Cour
10. La requête a été reçue au Greffe le 28 février 2017.
11. Par lettre du 3 avril 2017, le Greffe a transmis la requête à l’État défendeur l’invitant à déposer les noms et adresse de ses représentants dans un délai de 30 jours, ses observations sur la demande de mesures provisoires dans un délai de 21 jours et son mémoire en réponse dans un délai de 60 jours.
12. Le délai fixé au défendeur pour déposer ses observations sur la demande de mesures provisoires a expiré le 27 avril 2017.
13. Le 12 mai 2017, le Greffe a reçu de l’Etat défendeur une lettre rappelant à la Cour le retrait de sa déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, lui indiquant qu’il ne prendrait part à aucune procédure devant elle et lui demandant en conséquence de cesser tout examen des affaires concernant le Rwanda, jusqu'à la révision de sa position et que la Cour en ait reçu notification.
14. La Cour relève que dans cette lettre, l'État défendeur n’a fait aucune observation sur la demande des mesures provisoires.
15. Par lettre datée du 22 juin 2017, la Cour a répondu à la lettre de l’État défendeur mentionnée ci-dessus en lui précisant que « en tant qu’institution judiciaire et conformément aux dispositions du Protocole et de son Règlement intérieur, la Cour est tenue de communiquer toutes les pièces de procédure aux parties concernées. En conséquence, toutes les pièces de procédure concernant les affaires devant la Cour dans lesquelles le Rwanda est partie vous seront communiquées, jusqu’à la clôture officielle desdites affaires ».
IN. Sur la compétence de la Cour
16. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour doit s'assurer qu’elle a compétence pour examiner le fond de la requête.
17. Toutefois, pour ordonner des mesures provisoires, la Cour n’a pas à se convaincre qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais

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simplement s'assurer qu’elle a compétence prima facie.®
18. L'article 3(1) du Protocole est libellé comme suit : « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés ».
19. Tel qu’indiqué dans le paragraphe 3 de la présente ordonnance, l'Etat défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a également déposé la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
20. La Cour tient à rappeler que conformément à sa décision dans l'affaire Af Ab Ag c. Rwanda, l'acte de retrait de la déclaration faite par le défendeur en vertu de l’article 34(6) ne prendra effet qu’à partir du 1% mars 2017 Étant donné que la présente requête a été déposée le 28 février 2017, l’État défendeur est toujours lié par sa déclaration.
21. La Cour note que les violations alléguées qui font l’objet de la requête portent sur les droits protégés par les articles 4, 5, 6, 7, 9 et 18 de la Charte.
22. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence prima facie pour examiner la requête.
IV. Sur les mesures provisoires demandées
23. Le requérant, compte tenu de la situation d’extrême urgence dans laquelle il se trouve et qui pourrait lui causer un dommage irréparable,
« considère que la Cour doit ordonner au défendeur de prendre des mesures provisoires dans le but de prévenir et faire cesser la perpétration de dommages graves et irréparables qu’il subit. Ces dommages graves et irréparables sont causés par les nombreuses violations des droits garantis par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples par le défendeur. Ces violations sont décrites dans la présente procédure. Quatre d’entre elles provoquent une situation urgente qui doit être modifiée le plus rapidement possible. Premièrement, la violation au droit à l’accès à son avocat. Deuxièmement les traitements inhumains et dégradants
3 Voir requête 002/2013, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye, Ordonnance portant mesures provisoires, 15 mars 2013 ; requêtes 006/2012, Commission africaine des droits de l'homme c. Ae, Ordonnance portant mesures provisoires, 15 mars 2013 ; requête 004/2011, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye, ordonnance portant mesures provisoires, 25 mars 2011.
4 Arrêt du 3 juin 2016 (requête 003/2014), paragraphe 69, iii).

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commis contre le requérant. Troisièmement, la violation de l'accès à un traitement médical adéquat. Quatrièmement, la violation du droit d’accès à ses proches ».
24. En application de l’article 27(2) du Protocole, la Cour peut ordonner des mesures provisoires « dans des cas d'extrême gravité ou d'urgence et lorsqu’il s'avère nécessaire d'éviter des dommages irréparables à des personnes ». Cette disposition est reprise à l’article 51, alinéa 1 du Règlement intérieur, qui dispose que « Conformément au paragraphe 2 de l’article 27 du Protocole, la Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d'office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice».
25. La Cour relève, qu’il ressort des lettres de l'avocat du requérant du 4 mai 2016 adressées au procureur général du Rwanda et du 28 décembre 2016 au Président du Conseil national des infirmiers et sages-femmes du Rwanda, que le requérant a été confronté à de sérieuses difficultés à accéder aux soins médicaux.
26. La Cour relève encore que la mesure provisoire demandée en relation avec l'allégation de traitements inhumains et dégradants subis par le requérant est principalement liée au non-accès allégué aux soins médicaux.
27. La Cour note également que dans sa lettre du 21 février 2017 adressée au Directeur de la prison de Nyanza, le requérant demande l'autorisation de communiquer avec les avocats qui le représentent devant la Cour de céans.
28. La Cour conclut que la situation décrite ci-dessus est d'extrême urgence et nécessite des mesures urgentes pour éviter un préjudice irréparable au requérant.
29. Pour lever toute ambigüité, la présente Ordonnance ne préjuge en rien des conclusions que la Cour pourrait tirer sur sa compétence, la recevabilité de la requête et le fond de l'affaire.
30. Pour ces motifs,
La Cour,
À l’unanimité,
Ordonne à l’État défendeur de:
i. Permettre au requérant d’avoir accès à ses avocats;
ii. Permettre au requérant de recevoir les visites des membres de sa famille et de communiquer avec eux sans entrave ;
iii. Permettre au requérant d’avoir accès à tous les soins médicaux requis et s'abstenir de toute action susceptible de porter atteinte à son intégrité physique et mentale ainsi qu’à sa santé ;
iv. Faire rapport à la Cour dans les quinze (15) jours à compter de la date de réception de la présente ordonnance, des mesures prises pour la mettre en œuvre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 021/2017
Date de la décision : 28/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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