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28/09/2017 | CADHP | N°016/2017

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 septembre 2017, 016/2017


Texte (pseudonymisé)
Ad c. Ghana (mesures provisoires) (2017) 2
Ad c. Ghana (mesures provisoires) (2017)
161

RJCA 161 161

Requête 016/2017, Ai Al Ad c. République du Ghana
Ordonnance, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges : ORÉ, KIOKO, X, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et C
Le requérant avait été reconnu coupable de meurtre et condamné à la
peine de mort en 2008. Dans sa requête, il allègue que la peine de mort
obligatoire est contraire à la Charte africaine. sa demande, la Cour


a rendu une ordonnance de mesures provisoires enjoignant à l’État
défendeur de s'abstenir d'appliq...

Ad c. Ghana (mesures provisoires) (2017) 2
Ad c. Ghana (mesures provisoires) (2017)
161

RJCA 161 161

Requête 016/2017, Ai Al Ad c. République du Ghana
Ordonnance, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges : ORÉ, KIOKO, X, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et C
Le requérant avait été reconnu coupable de meurtre et condamné à la
peine de mort en 2008. Dans sa requête, il allègue que la peine de mort
obligatoire est contraire à la Charte africaine. sa demande, la Cour
a rendu une ordonnance de mesures provisoires enjoignant à l’État
défendeur de s'abstenir d'appliquer la peine de mort jusqu’à ce que
l’affaire soit entendue au fond.
Mesures provisoires (peine de mort, 16, 18)
Opinion individuelle (1) : N'YUNGEKO et BEN ACHOUR
Procédure (délai dans lequel l’Etat doit faire rapport quant à la mise en
œuvre des mesures)
Opinion individuelle (2) : MUKAMULISA et C
Procédure (délai dans lequel l’Etat doit faire rapport quant à la mise en
œuvre des mesures)
| Les parties
1 M. Ai Al Ad Yci-après dénommé « le requérant ») est un citoyen ghanéen et britannique qui a introduit cette requête contre la République du Ghana (ci-après dénommé « le défendeur »). 2 Le défendeur est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « la Charte »), le 1er mars 1989, au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole »), le 16 août 2005. || a également déposé la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les affaires venant des individus et des organisations non gouvernementales. De plus, le défendeur est devenu partie au Pacte international des droits civils et politiques (ci- après dénommé « le Pacte »), le 7 septembre 2000.
Il. Objet de la requête
3 Le requérant dit qu’il a été reconnu coupable de meurtre et

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condamné à la peine capitale. La Cour d’appel et la Cour suprême du Ghana ont confirmé respectivement la déclaration de culpabilité ainsi que la peine le 16 juillet 2009 et le 16 mars 2011. Le requérant, dans le couloir de la mort, est en attente de d'exécution.
4 Le requérant allègue, entre autres, que l'imposition de la peine capitale obligatoire, sans tenir compte des circonstances de l'infraction ou du délinquant, viole:
«a. le droit au respect de sa vie protégé à l’article 4 de la Charte;
b l’article 5 de la Charte qui proscrit les peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants ;
le droit à un procès équitable protégé à l’article 7 de la Charte; l’article 1 de la Charte, pour avoir manqué à l’obligation de faire respecter les droits susmentionnés.
le droit à la vie protégé à l’article 6(1), le droit à la protection contre les peines inhumaines en vertu de l’article 7, le droit à un procès équitable en vertu de l’article 14(1), et le droit à la révision de la peine prononcée conformément à l’article 14(5) du Pacte; et
le droit à la vie protégé par l’article 3 et à la protection contre les peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants prescrit à l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (ci-après dénommée « la Déclaration universelle»).
I. Sur la procédure
5. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 26 mai 2017.
6 Conformément à l’article 36 du Règlement de la Cour, (ci-après dénommé « le Règlement » par notification datée du 22 juin 2017, le Greffe a signifié la requête au défendeur, attirant son attention sur la demande de mesures provisoires faites par le requérant en indiquant qu’il avait la possibilité d’y répondre s'il souhaitait le faire, dans un délai de quinze (15) jours. Il était demandé en outre au défendeur de communiquer les nom et adresse de ses représentants dans les trente (30) jours à compter de la date de réception de la notification et de répondre à la requête dans les soixante (60) jours suivant réception de la notification. Le défendeur ne s’est toujours pas conformé à ces instructions.
IV. Sur la compétence
7 Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour doit procéder à un
1 Par la Haute Cour d’Accra en procédure d'urgence.

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examen préliminaire de sa compétence sur le fond de l'affaire.
8. Toutefois, avant d’ordonner des mesures provisoires, la Cour n’a pas à se convaincre qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais simplement s'assurer qu’elle a compétence prima facie.?
9. L'article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés ».
10. La Cour note que les droits allégués violés sont protégés par les articles 1, 4, 5 et 7 de la Charte, les articles 6(1), 7, 14(1) du Pacte et les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle.
11. — Tel qu’indiqué dans le paragraphe 2 de la présente ordonnance, l'État défendeur est devenu partie à la Charte le 1er mars 1989 et au Protocole le 16 août 2005 ; le 10 mars 2011, il a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus et d’organisations non gouvernementales. En outre, le défendeur est devenu partie au Pacte le 7 septembre 2000. 12. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a prima facie compétence pour examiner la requête.
V. _ Sur les mesures provisoires demandées
13. Le requérant a demandé à la Cour :
«i. d’ordonner au défendeur de surseoir à l'exécution de la sentence de mort tant que sa requête sera pendante devant la Cour; et
ii. d’ordonner au défendeur d'informer la Cour dans les 30 jours de la réception de la présente ordonnance provisoire des mesures prises pour la mettre en œuvre ».
14. En vertu de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51(1) de son Règlement, la Cour peut d'office ordonner des mesures provisoires « dans les cas d’extrême gravité et lorsqu'il s'avère nécessaire d'éviter des dommages irréparables à des personnes » et … « qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ».
15. Il appartient à la Cour de décider d’ordonner des mesures selon les circonstances de chaque affaire.
16. Le requérant est condamné à la peine capitale et la requête semble révéler une situation d’extrême gravité, ainsi qu’un risque de
2 Voir requête 002/2013 - Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) et requête 006/2012 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Af (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) ; requête 004/2011 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 25 mars 2011).

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dommages irréparables pour lui.
17. Compte tenu des circonstances de l'espèce qui révèlent un risque d’application de la peine capitale susceptible de porter atteinte à la jouissance des droits prévus aux articles 4, 5 et 7 de la Charte, 6(1), 7, 14(1) et 14(5) du Pacte et 3 et 5 de la Déclaration universelle, la Cour décide d'exercer ses pouvoirs en vertu de l’article 27(2) du Protocole.
18. La Cour constate en conséquence que la requête en l'espèce révèle une situation d'extrême gravité et présente un risque de violations irréparables et que les circonstances exigent une ordonnance portant mesures provisoires, en application de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51 du Règlement, pour préserver le status quo, en attendant la décision sur la requête principale.
19. La Cour rappelle que la présente ordonnance est de nature provisoire et ne préjuge en rien des conclusions que la Cour formulera sur sa compétence, la recevabilité et le fond de la requête.
20. Par ces motifs,
La Cour,
Ordonne au défendeur de :
À l’unanimité,
i. Surseoir à l’application de la peine capitale à l'encontre du requérant, jusqu'à ce que l'affaire soit entendue et jugée ;
À la majorité de sept (7) pour et quatre (4) contre, les juges Aq X), Aj Ab A, Marie Au B et Av C ont émis des opinions dissidentes.
ii. De faire rapport à la Cour dans les soixante (60) jours à compter de la date de réception de la présente Ordonnance, sur les mesures prises pour la mettre en œuvre.
Opinion (partiellement) dissidente : X et BEN ACHOUR
1. Nous avons voté pour la mesure provisoire de « [s]urseoir à l'application de la peine capitale à l'encontre du requérant, jusqu’à ce que l'affaire soit entendue et jugée »' parce que nous sommes
1 Para (a) du dispositif.

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convaincus, qu’en l'espèce, il y a à la fois une nécessité absolue et urgence d’'ordonner ainsi. La Cour fait bien, et là-dessus nous sommes en parfait accord, de constater que le cas d'espèce révèle une « [s]ituation d’extrême gravité et présente un risque de violations irréparables »? si aucune mesure n’est prise pour maintenir le statu quo.
2. Cela dit, nous ne partageons pas la décision d’accorder à l'Etat défendeur un délai de soixante (60) jours pour en rapporter à la Cour quant aux mesures prises à l'effet de mettre en œuvre sa décision.® A notre entendement, ce délai trop long n’est pas raisonnablement défendable que son inconstance n’est justifiée.
3. Notons d'emblée que la requête a été reçue au Greffe de la Cour le 26 mai 2017, et, que contrairement à d’autres requêtes introduites par des condamnés à mort, c'est le requérant lui-même qui a demandé une ordonnance de mesures provisoires. En effet, contrairement à d’autres espèces, la Cour n’a pas pris l'initiative de prononcer d'office les mesures provisoires, comme l’y autorise l’article 27(2) du Protocole et l’article 51(1) de son règlement. A la réception de la requête, la Cour a accordé à l’Etat défendeur un délai de soixante (60) jours pour répliquer à la requête. Ce dernier n’a pas réagi.
4. Notre opinion est présentée sous deux aspects : d’abord, nous expliquons pourquoi le délai de soixante (60) jours manque de logique et n’est pas raisonnable (I) ; ensuite nous relevons l’inconstance injustifiée qu’adopte la Cour en ce qui concerne les délais lorsqu'il s’agit pour elle de mettre en application l’alinéa 5 de l’article 51 de notre Règlement (II).
1. Un délai qui n’est pas raisonnable
5. Pour commencer, il convient de préciser qu’un tel délai, quel qu’il soit, est toujours compté à partir de la date de réception de l'ordonnance de la Cour par l’Etat défendeur, et non pas à partir du jour du prononcé de l'ordonnance, ce qui met celui-ci à l’abri de toute surprise.
6. Il convient en outre de souligner que, par définition, les mesures provisoires concernées sont des mesures d’urgence qui doivent être prises très rapidement. Ceci place l'Etat défendeur dans une situation où il doit accorder la priorité à la mise en œuvre de telles mesures, qui doivent être prises aussi vite que possible.
7. Cela dit, le point de savoir quel délai accorder à l'Etat défendeur
2 Para 18.
3 Para (b) du dispositif.

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pour faire rapport sur les mesures prises en vue de se conformer à une ordonnance de la Cour est toujours question d'espèce.
8. Lorsqu'elle décide d’ordonner des mesures provisoires, soit dans l'intérêt des parties, soit dans celui de la justice, la Cour doit le faire avec fermeté pour ne pas obvier à la critique quant à l’applicabilité immédiate et urgente de telles mesures. Cette fermeté est d'autant plus recherchée lorsqu'il s'agit de mesures tendant à la protection du droit fondamental à la vie,® comme en l’espèce, à empêcher que le requérant, condamné à la peine capitale, soit exécuté alors même que la procédure est pendante devant la Cour.
9. Mais de façon générale, on peut dire qu’en accordant un tel délai a l'Etat défendeur, la Cour poursuit principalement l'objectif suivant : donner du temps à l’État défendeur pour lui permettre de mettre en pratique les mesures appropriées.
10. Par rapport à cet objectif, l'étendue du délai dépendra certainement de la nature des mesures escomptées. S'il s'agit par exemple pour l'Etat défendeur d'engager un processus législatif ou un autre processus similaire, il est évident que ce dernier aura besoin d’un temps relativement long pour faire aboutir un tel processus. Si par contre, il s'agit simplement de s'abstenir de faire quelque chose, ou de faire quelque chose de facile, tel que permettre au requérant d’accéder aux soins médicaux, a un avocat, ou de recevoir des visites des membres de sa famille, alors l'Etat défendeur n’a pas besoin de beaucoup de temps pour se conformer à l'ordonnance de la Cour.
11. Dans la présente affaire, la Cour n’a pas ordonné à l'Etat défendeur de prendre d'urgence une loi d’abolition rétroactive de la peine de mort, ou de rejuger le requérant, ce qui aurait nécessité beaucoup de temps. Tout ce qu’elle ordonne à l'Etat défendeur est de suspendre provisoirement l’exécution de la peine capitale prononcée à l'encontre du requérant par la justice nationale, en attendant la décision de la Cour sur sa compétence, sur l’admissibilité de la requête et sur le fond de l'affaire.
12. Pour s'assurer que le délai de soixante (60) jours accordé répond à la logique inhérente à l’urgence des mesures provisoires, il eut fallu s’interroger quant aux moyens que devra déployer l’Etat défendeur pour surseoir à l’exécution d’un condamné à la peine capitale qui, de surcroit, est « [dJ]ans le couloir de la mort, en attente d’exécution ».
13. A cet égard, il paraît judicieux de rappeler qu’en la matière,
4 Droit protégé par l'article 4 de la Charte : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne: Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit » et par l’article du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : «1. Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».

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le principe est le sursis immédiat, à la minute près et qu'aucune dérogation n’est opérante. A titre d’illustration, la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt portant mesures provisoires, réaffirmait, avec force, que lorsque la vie et la santé sont en jeu, même les « assurances diplomatiques » sont inopérantes et que l'application de la mesure provisoire est immédiate, urgente et à la minute près.°
14. Certes, dans le cadre de la procédure devant la Cour de céans, et en application de l’article 37 du Règlement intérieur, l'Etat défendeur dispose d’un délai de soixante (60) jours pour produire son mémoire en réponse à la Requête ; mais, accorder le même quantum lorsqu'il s’agit d’informer la Cour de l'exécution de mesures tendant à éviter la survenance des violations imprévisibles, extrêmement graves et aux conséquences irréparables ne nous semble pas logique.
15. Si dans le premier cas (production de mémoire en défense) l'Etat défendeur doit disposer de soixante (60) jours pour instruire l'affaire, rechercher, rassembler et établir les éléments de preuve de ses prétentions, il n’en n’est pas de même en ce qui concerne la présente ordonnance.
16. Pour ces raisons, nous sommes d’avis que la décision d'accorder au débiteur de la mesure provisoire un délai de soixante (60) jours n’est ni logique ni raisonnable.
Il. Des délais d’une inconstance injustifiée
17. Un aperçu général des mesures provisoires jusque-là adoptées par la Cour révèle que si la légitimité desdites mesures n’appelle aucune observation de notre part, le bien-fondé du quantum du délai accordé à l'Etat pour déposer son rapport souffre d’une variation injustifiée.
18. Lesdits délais, l’on relèvera, vacillent entre quinze (15),° trente (30) et soixante (60) jours, comme dans le cas de l'espèce. Certes, le juge en ce domaine dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la mesure où l’article 51 du Règlement en ses paragraphes 1 et 5 ne détermine pas les cas de nécessité, pas plus qu’il ne prévoit un
5 Arrêt Ao c. Royaume Uni CEDH, Quatrième Section, 17 janvier 2012, No n°8139/09 paragraphes 148, 151, 170 et 180). Voir aussi As Aa Ap, Petitioner c. Ae Ak, Warden Cour suprême des Etats-Unis, décision portant sursis à exécution de la peine de mort a été suivie d'effet immédiat alors même que l'exécution du condamné était déjà programmée le soir même du jour du prononcé de la décision de sursis à exécution et compte rendu s’en est suivi.
6 Voir ordonnance du 25 mars 2011, Commission africaine des droits de l'homme c. Grande An arabe libyenne ; Ordonnance du 15 mars 2013, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Af.
7 Voir ordonnance du 18mars 2016, Am Ah c. République-Unie de Tanzanie.

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délai fixe. Ledit article se borne à énoncer que : «[Ja Cour indique aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice » et qu’elle peut, en outre, « [inviter les parties à lui fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre des mesures provisoires adoptées par elle ».
19. Alalumière de ces dispositions, nous estimons qu’en déterminant le délai prévu au paragraphe 5 de l’article 51, la Cour devrait tenir compte de certains paramètres, dont, entre autres, la nature même de la mesure, le degré de réalisation ou l’imminence de la violation irréparable, l’attitude de la partie débitrice de la mesure provisoire et le degré de sa collaboration pour l'avancement de la procédure.
20. L'on n’oubliera pas non plus d'apprécier si la mise en œuvre de la mesure provisoire appelle ou non l'implication d’autres acteurs tiers ou encore si cette mise en œuvre implique des éléments d’extranéité, etc.
21. Somme toute, les fluctuations des délais tiennent-elles vraiment compte de tous les éléments endogènes et exogènes qui entourent la mise en œuvre de la mesure dictée par la Cour ? Sinon, comment comprendre le délai de soixante (60) jours décidé dans la présente ordonnance ?
22. En l'espèce, il faut ajouter que l’ordonnance ne prend pas en considération l'intérêt de la justice et la nécessité de voir le débiteur maintenir le statu quo jusqu’à l'issue de la procédure en cours devant la Cour. || en est ainsi parce que, justement, elle vide de toute sa substance l’intérêt pour la Cour de surveiller l'exécution de sa décision. Ce délai manque de proportionnalité parce qu’il est de nature à mettre en berne l'obligation de l'Etat de rendre compte à la Cour. Bien plus, elle prive la Cour de la possibilité de maintenir l’état de veille quant aux droits qu’elle a reçu mandat pour protéger.
23. — Telles sont les raisons qui nous ont amené à voter contre le paragraphe (b) du dispositif de l'Ordonnance. Nous formulons l’espoir de voir la Cour adopter une ligne de conduite constante en la matière et de faire preuve d’une extrême exigence dès que le droit à la vie se trouve menacé.
8 Lorsqu'il est établi que la partie débitrice n’est pas encline à une bonne collaboration, la Cour devrait donner des délais extrêmement courts et qui seront suivis de rappels répétés au besoin.

Ad c. Ghana (mesures provisoires) (2017) 2 RJCA 161 169
Opinion individuelle : C et MUKAMULISA
Nous souscrivons de manière générale à l'ordonnance rendue par la majorité mais nous voudrions cependant marquer notre désaccord sur le point (B). du dispositif.
Au paragraphe (b) du dispositif de la présente ordonnance portant mesures provisoires, la cour ordonne au défendeur de « faire rapport à la cour dans les soixante (60) jours à compter de la date de réception de la présente ordonnance, sur les mesures prises pour la mettre en œuvre ».
1. Au vu des articles 27(2) du protocole et 51 du règlement de la Cour, celle-ci peut, en cas d'extrême urgence ou gravité … ordonner les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes.
La cour a estimé dans les paragraphes 14 et suivants de l'ordonnance que « la requête en l'espèce révèle une situation d'extrême gravité et présente un risque de violations irréparables et que les circonstances exigent une ordonnance portant mesures provisoires »
S'agissant d’une sentence de peine de mort, le sursis à exécution de cette sentence découlait de soi.
Cependant en octroyant au défendeur un délai de deux mois pour faire « rapport sur les mesures prises », la cour a été à l'encontre de la nature même de l’ordonnance qui est exécutable sans délai et de sa qualification des faits qu’elle considère comme étant d’une extrême gravite.
En outre, il ressort de la jurisprudence de la cour que des délais beaucoup plus courts avaient été octroyés et dans des circonstances beaucoup moins graves.
La peine de mort étant la sanction la plus grave à l'égard de tout condamné ; ceci devrait expliquer le fait que les délais accordés au défendeur pour rendre rapport devraient être raccourcis.
2. Dans sa requête le requérant sollicitait la prise des mesures provisoires et l’octroi d’un délai d’un mois au défendeur pour faire son rapport. Ce délai étant lié à l'exécution des mesures provisoires demandées. La Cour, en octroyant un délai plus long sans que le défendeur ne l’ait demandé en réplique à la requête du requérant sur ce point, a jugé ultra petita car même si la mesure provisoire reste du pouvoir discrétionnaire de la cour, le délai reste quand même un droit des parties surtout quand l’une d'elle le discute dans sa requête ou réplique.
3. Bien que la cour n’ait pas octroyé le délai demandé par le requérant au bénéfice du défendeur, elle n’a pas pour autant motivé le délai octroyé dans son dispositif, ce qui va à l'encontre des termes de l’article 61 du règlement de la cour.
4. Il ressort en outre de la jurisprudence de la cour que pour des

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cas similaires (peine de mort),' le délai octroyé au défendeur était inférieur à deux mois (60 jours) : en effet, dans ses ordonnances antérieures, la cour a accordé un délai de 30 jours. Cette instabilité dans la jurisprudence n’est pas pour renforcer la fiabilité des sentences de la cour.
1 Voir ordonnances dans les affaires Ar At c. République unie de Tanzanie (requête 004/2016), Ac Ag et autres c. République unie de Tanzanie (requête 007/2017), Am Ah c. République unie de Tanzanie (requête 001/2017).


Synthèse
Numéro d'arrêt : 016/2017
Date de la décision : 28/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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