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28/09/2017 | CADHP | N°002/2017

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 septembre 2017, 002/2017


Texte (pseudonymisé)
140 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE
Ab c. Tanzanie (arrêt
140

LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
interprétatif) (2017) 2 RICA

Requête 002/2017, Aa Ab c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi
Juges : ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MAÂTUSSÉ, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
Application de l’article 66(4) concernant les juges THOMPSON,
OUGUERGOUZ et TAMBALA
Interprétation du jugement rendu par la Cour en 2015 à la demande de la
Tanzani

e sur la signification des termes « toutes les mesures appropriées
» et « réparation de toutes les violati...

140 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE
Ab c. Tanzanie (arrêt
140

LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
interprétatif) (2017) 2 RICA

Requête 002/2017, Aa Ab c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi
Juges : ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MAÂTUSSÉ, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
Application de l’article 66(4) concernant les juges THOMPSON,
OUGUERGOUZ et TAMBALA
Interprétation du jugement rendu par la Cour en 2015 à la demande de la
Tanzanie sur la signification des termes « toutes les mesures appropriées
» et « réparation de toutes les violations constatées » relativement à
la réparation de la violation du droit à un procès équitable. La Cour a
décidé que la Tanzanie devrait prendre des mesures pour éliminer les
effets de la violation, y compris la remise en liberté du requérant, mais
excluant un nouveau procès.
Réparation (procès équitable, réexamen de l'affaire ne constituant pas
une juste mesure lorsque le condamné a purgé une longue période de
détention, 34 ; éliminer les effets de la violation, 35, 38)
1 La République-Unie de Tanzanie a introduit devant la Cour, en vertu de l’article 28(4) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « le Protocole ») et de l’article 66(1) du Règlement, une demande aux fins d’interprétation de l'arrêt du 3 juin 2016 dans l'affaire susmentionnée.
2 Datée du 24 janvier 2017, la demande a été reçue au Greffe de la Cour le 30 janvier 2017.
3 Le 02 Février 2017, le Greffe a transmis copie de cette demande au sieur Aa Ab et l’a invité à déposer ses observations écrites éventuelles dans un délai de 30 jours conformément aux dispositions de l’article 66(3) du Règlement.
4 Le 28 mars 2017, Aa Ab a déposé ses observations, après expiration du délai de 30 jours et a prié la Cour de les accepter.
5. Le 02 avril 2017, la Cour a examiné sa demande et a décidé d’y accéder dans l'intérêt de la justice.
6 Par lettre en date du 11 avril 2017, les parties ont été informées de la décision de la Cour de clôturer la procédure écrite. La Cour n’a pas jugé nécessaire de tenir une audience publique.

Ab c. Tanzanie (arrêt interprétatif) (2017) 2 RJCA 140 141
Il. La demande en interprétation
7 Comme indiqué plus haut, la présente demande en interprétation concerne l'arrêt rendu parla Courle 03 juin 2016 dans l'affaire Aa Ab c. République-Unie de Tanzanie (requête 007/2013) et dont les paragraphes concernés du dispositif sont ainsi libellés :
« Par ces motifs, la Cour,
À l’unanimité,
( )
IX. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7 de la Charte et l’article 14 du Pacte en ce qui concerne les droits allégués du requérant de se défendre lui-même et d'accéder à un avocat au moment de son arrestation; de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite au cours de la procédure judiciaire ; de se voir communiquer promptement les pièces du dossier afin de pouvoir se défendre ; de voir son moyen de défense basé sur le fait que le Procureur devant le tribunal de district aurait été dans une situation de conflit d'intérêts par rapport à la victime du vol à main armée, considéré par le juge ; de ne pas être condamné uniquement sur la base des déclarations inconsistantes d’un seul témoin, en l'absence de toute séance d'identification ; et de voir sa défense d’alibi sérieusement considérée par les autorités policières et judiciaires de l’État défendeur.
( )
xii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures requises, dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées, à l'exclusion de la ré- ouverture du procès, et d'informer la Cour, dans un délai de six mois à partir de la date du présent arrêt, des mesures ainsi prises ;
8 Se référant à l’article 66(1) du Règlement, la République-Unie de Tanzanie, indique qu’elle éprouve des difficultés dans l'exécution de cet arrêt du fait des interprétations divergentes de ce dernier par les différents intervenants de l'administration de la justice pénale qui doivent exécuter les mesures ordonnées par la Cour, au niveau national.
9 Elle demande, par conséquent, à la Cour de lui fournir des clarifications sur la signification de l'expression « toutes les mesures

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requises » employée au point xii du dispositif de l'arrêt et dit que l'interprétation de ces termes lui permettra de prendre des mesures concrètes et définitives.
10. La République-Unie de Tanzanie veut également savoir ce que la Cour entend par l'expression « remédier aux violations constatées » étant donné que, souligne-t-il, ces actes ont déjà été posés.
IN. Observations du Sieur Aa Ab
11. Aa Ab relève, de prime abord, que la demande en interprétation semble avoir été introduite dans les délais prescrits à l’article 66 du Règlement ; que toutefois, le délai prescrit par ledit article 66 ne peut être interprété isolément et que les autres mesures du dispositif de l'arrêt de la Cour du 3 juin 2016 doivent être prises en tenant compte de la clause qui ordonne à la République-Unie de Tanzanie de rendre compte à la Cour des mesures prises pour remédier aux violations constatées dans les six mois à compter de la date du jugement.
12. II relève que cet État a déposé le rapport sur les mesures qu’il a prises en dehors du délai de 6 mois fixé par la Cour et que ledit rapport ne fait état que d’une mise en œuvre partielle des mesures ordonnées par cette dernière.
13. Ab soutient, en outre, que si la République-Unie de Tanzanie souhaitait une interprétation de l’ensemble ou d’une partie de l'arrêt de la Cour, elle aurait dû demander cette interprétation dès que possible et, dans tous les cas, avant l'expiration du délai fixé par la Cour pour recevoir son rapport et que la requête aux fins d'interprétation aurait donc dû précéder le rapport de mise en œuvre.
14. | souligne, en outre, qu’il existe plusieurs mesures dont une seule ou une combinaison de plusieurs d’entre elles auraient pu être activées par la République-Unie de Tanzanie pour se conformer à la prescription de la Cour de « prendre toutes les mesures requises, dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées » ; que la législation de cet État prévoit plusieurs compensations possibles pour les personnes condamnées, comme lui, à tort; que ces compensations incluent, mais sans s’y limiter, les mesures suivantes :
“a. La remise de peine, prévue par le Code Pénal tanzanien, chap. 16, article 27(2) qui prévoit la réduction d’une peine d'emprisonnement ; que le défendeur aurait pu saisir la Cour d'appel et déposer une requête en vue d’une réduction de la peine de 30 ans à lui infligée.
b. La mise en liberté définitive ou conditionnelle, prévue par l’article 38 du Code Pénal tanzanien qui confère le pouvoir à l'instance judiciaire qui a condamné une personne

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pour infraction, d’ordonner sa libération définitive ou conditionnelle, à condition que cette personne ne commette pas de nouvelles infractions durant la période conditionnelle, qui ne doit pas excéder 12 mois ; que sachant qu’il a déjà purgé 20 ans de sa peine de 30 ans et compte tenu du jugement favorable de la Cour de céans et de son comportement pendant sa période de réclusion, le défendeur aurait pu appliquer cette mesure.
c. La grâce présidentielle, prévue par l’article 45 de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie qui prévoit la prérogative de grâce en vertu de laquelle le Président de la République-Unie de Tanzanie peut accorder à toute personne condamnée pour toute infraction par une instance judiciaire nationale la grâce présidentielle sous ou sans condition
15. Ab soutient, enfin, que le retard dans la mise en œuvre des mesures ordonnées par la Cour et dans la soumission du rapport y relatif a contribué à aggraver et à prolonger inutilement la violation de ses droits ; que pour ces raisons, il prie la Cour de :
“i. Constater que la République-Unie de Tanzanie ne s’est pas conformée à l'ordonnance de la Cour de céans lui enjoignant de faire rapport sur la mise en œuvre de ses prescriptions dans un délai de six mois à compter de la date de l'arrêt ;
ii. Déclarer la requête fantaisiste, vexatoire et contraire à la procédure de la Cour de céans ;
iii. Ordonner sa libération en attendant la décision sur les réparations ».
IV. Sur la compétence de la Cour
16. Comme indiqué plus haut, la présente requête en interprétation concerne l'arrêt rendu par la Cour le 3 juin 2016.
17. Aux termes de l’article 28(4) du Protocole relatif à la Charte africaine portant sur la Création d’une Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (ci-après « le Protocole »): « … la Cour peut interpréter son arrêt ».
18. La Cour conclut en conséquence qu’elle est compétente pour interpréter cet arrêt.

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V. Sur la recevabilité de la requête
19. L'article 66 (1) et (2) du Règlement dispose comme suit :
“a. En application de l’article 28(4) du Protocole, toute partie peut, aux fins de l'exécution de l’arrêt, demander à la Cour d'interpréter celui-ci dans un délai de douze mois à compter de la date du prononcé de l'arrêt, sauf si, dans l'intérêt de la justice, la Cour en décide autrement.
2. La demande…indique avec précision le ou les points du
dispositif de l’arrêt dont l’interprétation est demandée »
20. || ressort de ces dispositions qu’une demande en interprétation d'arrêt n’est déclarée recevable que si elle remplit les trois conditions suivantes :
“a. avoir pour objectif de faciliter l'exécution de l'arrêt ;
b. être déposée dans un délai de douze (12) mois, compté à partir de la date du prononcé de l'arrêt, et
c. indiquer avec précision le ou les point(s) du dispositif de l’arrêt dont l'interprétation est demandé
21. En ce qui concerne la finalité de la présente demande, la République-Unie de Tanzanie demande l'interprétation de l'expression « toutes les mesures requises » employée dans le dispositif de l'arrêt.
22. La Cour observe que cette demande vise effectivement à clarifier un point du dispositif de l’arrêt rendu le 3 juin 2016 et ainsi faciliter son exécution.
23. La Cour conclut, en conséquence, que la demande remplit la première condition prévue par l’article 66(1) du Règlement
24. S'agissant du délai de saisine de la Cour, celle-ci observe que le délai applicable est celui prévu par l’article 66(1) du Règlement et non le délai de 6 mois donné par la Cour à l’État défendeur pour l’informer des mesures prises.
25. La République-Unie de Tanzanie ayant déposé sa demande en interprétation le 30 janvier 2017, soit dans un délai de 8 mois et 27 jours, la Cour conclut que cet État a saisi la Cour de sa demande en interprétation dans le délai de douze mois prévu par l’article 66(1) du Règlement.
26. La Cour observe, enfin, que la République-Unie de Tanzanie a indiqué avec précision les points du dispositif de l'arrêt dont l'interprétation est demandée, en l'occurrence les termes et expressions employés au point xii du dispositif de l'arrêt.
27. De ce qui précède, la Cour conclut que la présente demande en interprétation remplit toutes les conditions de recevabilité.

Ab c. Tanzanie (arrêt interprétatif) (2017) 2 RJCA 140 145
VI. Sur l’interprétation de l’arrêt
28. Dans son arrêt du 3 juin 2016, la Cour a ordonné à la République- Unie de Tanzanie de prendre toutes les mesures requises pour remédier aux violations constatées.
29. La première question posée par la République-Unie de Tanzanie est de savoir ce que la Cour entend par l’expression « toutes les mesures requises » employée au point xii du dispositif de l’arrêt.
30. La Cour relève qu’en examinant une demande en interprétation, elle est amenée, non pas à compléter ou à modifier la décision qu’elle a rendue, décision définitive ayant force de chose jugée, mais à en clarifier le sens et la portée.
31. Dans le contexte de la présente demande en interprétation, la Cour tient à rappeler le principe généralement appliqué par les juridictions internationales selon lequel la réparation doit, autant que possible, effacer les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis.
estime qu’il y a violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation »
33. Comme cela vient d’être indiqué, la forme la plus appropriée de redressement pour une violation du droit à un procès équitable consiste à faire en sorte que la victime se retrouve dans la situation qui aurait été la sienne si les violations constatées n'avaient pas été commises. Pour y parvenir, l’État défendeur a deux possibilités : soit réexaminer l'affaire dans le respect des règles du procès équitable, soit prendre toutes les mesures requises pour s'assurer que le requérant se retrouve dans la situation qui a précédé lesdites violations.
34. En ce qui concerne la première option, la Cour a estimé que le réexamen de l'affaire ne serait pas une mesure juste étant donné que le requérant a déjà passé 19 ans en détention, soit plus de la moitié de la peine à laquelle il a été condamné, et dans la mesure aussi où la nouvelle procédure judiciaire interne pourrait être longue.‘ Elle a, en conséquence, exclu cette mesure.
35. En ce qui concerne la deuxième option, la Cour a souhaité donner une marge d'appréciation à l’État défendeur afin qu’il puisse identifier et activer toutes les mesures qui permettraient d’éliminer les effets des violations constatées par la Cour.
1 Requête 007/2013 : Aa Ab c. République-Unie de Tanzanie, arrêt du 3 juin 2016, paragraphe 235.

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36. À cet égard, la Cour précise que dans son arrêt du 3 juin 2016, elle n’a pas dit que la demande du requérant d’être remis en liberté n’était pas fondée. Elle a simplement indiqué qu’elle ne peut, elle- même, ordonner directement cette mesure que dans des circonstances spéciales et contraignantes qui n’étaient pas établies en l'espèce.
37. La seconde question posée se lit ainsi : « étant donné que ces actes ont déjà été posés, le défendeur aimerait obtenir des précisions sur la manière de remédier à ces actes et l'interprétation du terme « remédier ».
38. La Cour précise d'abord que l'expression « toutes les mesures requises » inclut la libération du requérant et toute autre mesure qui permettrait d'effacer les conséquences des violations constatées, le retour à la situation antérieure et le rétablissement du requérant dans ses droits.
39. La Cour précise ensuite que par l'expression « remédier aux violations constatées », il faut-comprendre « effacer les effets des violations constatées » par l'adoption des mesures indiquées au paragraphe précédent
VII. Frais de procédure
40. Aux termes de l’article 30 du Règlement « [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
41. Après avoir considéré les circonstances de la présente demande, la Cour décide que chaque partie supportera ses propres frais.
42. Par ces motifs,
La Cour,
À l’unanimité,
i. Se déclare compétente pour connaître de la présente demande. ii. Déclare la demande recevable.
iii. Dit que par l'expression « toutes les mesures requises », la Cour visait la libération du requérant et toute autre mesure qui permettrait d'effacer les conséquences des violations constatées, le retour à la situation antérieure et le rétablissement du requérant dans ses droits. iv. Dit que l'expression « remédier aux violations constatées » signifie « effacer les effets des violations constatées par l'adoption des mesures indiquées au point iii ci-dessus.
V. Dit que chaque partie supportera ses frais de procédure.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 002/2017
Date de la décision : 28/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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