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28/09/2017 | CADHP | N°002/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 septembre 2017, 002/2016


Texte (pseudonymisé)
660 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA
Demande d’avis consultatif par
Défense des Droits de l'Homme
RJCA 660

COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
l'Association Africaine de
(avis consultatif) (2017) 2

Requête 002/2016 Requête d'avis consultatif par l'Association Africaine
de Défense des Droits de l'Homme
Avis consultatif, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le
texte français faisant foi
Juges: ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
La Cour a estimé qu’elle n’est p

as compétente pour examiner une
demande d'avis consultatif émanant d’une ONG non reconnue par
l’Union afric...

660 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA
Demande d’avis consultatif par
Défense des Droits de l'Homme
RJCA 660

COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
l'Association Africaine de
(avis consultatif) (2017) 2

Requête 002/2016 Requête d'avis consultatif par l'Association Africaine
de Défense des Droits de l'Homme
Avis consultatif, 28 septembre 2017. Fait en anglais et en français, le
texte français faisant foi
Juges: ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, GUISSÉ, BEN ACHOUR, BOSSA,
MATUSSE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA et BENSAOULA
La Cour a estimé qu’elle n’est pas compétente pour examiner une
demande d'avis consultatif émanant d’une ONG non reconnue par
l’Union africaine.
Compétence (demande d’avis consultatif, organisation africaine, 26-9 ;
reconnue par l’Union africaine, 32-34)
Opinion individuelle : BEN ACHOUR
Compétence (demande d'avis consultatif, 8, 9)
Opinion individuelle : MATUSSE
Procédure (décision, 13, 15, 20)
1 La demande d'avis consultatif en date du 10 mai 2016, reçue au Greffe le 8 juillet 2016 a été initiée par l'Association africaine de défense des droits de l'homme (ASADHO), (ci-après dénommée « demandeur ») qui est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) à but non lucratif enregistrée conformément à l’Arrêté Ministériel No 370/CAB/MIN/JDH/2010 du 7 août 2010, et basée en République Démocratique du Congo. L'objectif principal de ASADHO est la défense et la promotion des droits de l'homme.
Il. Circonstances et objet de la demande
2 Le demandeur expose que, dans l’accomplissement de sa mission, elle a participé dans le cadre de la plate-forme des organisations non gouvernementales africaines œuvrant dans le secteur des ressources naturelles, dénommée « Alliance internationale pour les Ressources Naturelles en Afrique “AIRNA” », à des études de cas portant sur les impacts de l’industrie extractive sur les membres des communautés locales d’Afrique du Sud, d’Angola, du Kenya, de la République Démocratique du Congo et du Zimbabwé.

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3 Il ressort de ces études que plusieurs impacts négatifs de l’activité minière sont constitutifs d’atteintes aux droits fondamentaux garantis par la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (ci-après dénommée « la Charte »), des membres des communautés affectées par l’extraction minière.
4. C’est dans ce contexte qu'il a été élaboré un Projet de loi minière type pour l'Afrique intitulé « Model Law on Mining on Community Land in Africa », que les ONG africaines entendent proposer aux Etats membres de l’Union Africaine (UA) aux fins d’une harmonisation de leurs législations minières et d’une protection améliorée des droits fondamentaux des communautés affectées par l’industrie extractive.
5 Il est demandé à la Cour de se prononcer sur la conformité du Projet de loi minière type pour l'Afrique (Model Law on mining on community Land in Africa) aux dispositions de la Charte.
I. Sur la procédure devant la Cour
6 La demande d'avis en date du 10 mai 2016, reçue au Greffe de la Cour le 8 juillet 2016, a été enregistrée sous le no 002/2016._
7 Par lettre datée du 12 août 2016, le Greffier a demandé à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Commission ») si l'ONG ASADHO jouissait du statut d’observateur auprès de la_Commiission et si l’objet de la requête se rapportait à une affaire pendante devant elle.
8 Par courriel daté du 16 septembre 2016, la Secrétaire de la Commission africaine a confirmé que le demandeur n’est pas doté du statut d’observateur devant elle, mais n’a pas répondu à la question relative à l'instance pendante devant elle.
9 Par lettre datée du 8 décembre 2016, sur instructions de la Cour, à la 43ème session ordinaire, tenue du 31 octobre au 18 novembre 2016, le Greffe a demandé au Requérant de produire un certain nombre de documents pour des besoins de clarification de la demande.
10. Par courriel daté du 7 Mars 2017, le demandeur a transmis une série de documents pour attester sa participation au processus des études ayant conduit à l'élaboration du Projet de loi minière type pour
IV. Sur la compétence de la Cour
11. En application de l’article 72 du Règlement, « la Cour applique, mutatis mutandis, les dispositions du Titre IV du Règlement dans la mesure où elle les estime appropriées et acceptables ».
12. Aux termes de l’article 39(1) de son Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. »

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13. | résulte de ces dispositions que la Cour doit déterminer si elle a compétence pour apprécier la demande dont elle est saisie.
14. Pour déterminer sa compétence personnelle en l'espèce, la Cour doit s'assurer que le demandeur fait partie des entités ayant qualité pour introduire une demande d’avis consultatif, conformément à l’article 4(1) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « le Protocole »).
A. Arguments du demandeur
15. Le demandeur fonde sa demande sur la Charte africaine et les dispositions de l’article 4 du Protocole.
16. Le demandeur fait valoir que l’association ASADHO est enregistrée en République démocratique du Congo, jouit d’une personnalité juridique aux termes de l’Arrêté Ministériel No 370/CAB/ MIN/JDH/2010 du 7 août 2010. Basée en République Démocratique du Congo, elle est dotée du statut d’observateur auprès de la Commission, ce qui lui confèrerait la qualité d’organisation africaine.
17. Sur le fond, le demandeur fait référence à un certain nombre d'instruments juridiques internationaux dans son document portant mise en œuvre du Projet de loi type." Il s’agit de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, le Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
18. Le demandeur s'appuie également sur le projet de loi type relatif à l'exploitation minière sur le terrain communautaire en Afrique”, préparé par l'Alliance Internationale des Ressources Naturelles en Afrique (AIRNA). Ce projet de loi communautaire ne concerne pas que la République Démocratique du Congo, mais des communautés africaines d’autres pays tels que l'Afrique du sud, l’Angola, le Kenya et le Zimbabwe, qui ont aussi participé aux études ayant abouti à l'élaboration du projet de loi dont la conformité aux dispositions de la Charte africaine est demandée.
19. Le demandeur dans le document de mise en œuvre du projet de
1 Document réalisé avec le concours financier de l’Union Européenne dont le contenu est la responsabilité exclusive du demandeur d’avis
2 Il s'agit du projet de loi dont la conformité des dispositions à la Charte est soumise à l'appréciation de la Cour pour avis.

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loi, a fait ressortir les impacts liés aux activités de Au Bf* dans la synthèse des informations recueillies lors des descentes effectuées et affirme que : « L'entreprise Au Bf S.A.R.L n’a pas fourni d’ emploi à la population (aux habitants) de la Commune de Ruashi. Ce qui entraine entre autre comme conséquence, le banditisme urbain, l’accroissement de la pauvreté de la population de la commune, l'insécurité, la recrudescence du vol, la prostitution et la déscolarisation des enfants par l'abandon de l’école à la suite du coût très élevé des études pour le grand nombre de la population ».
20. Le demandeur affirme en outre que la délocalisation des populations s’est faite « sans que l’entreprise Au Bf ait consulté les services spécialisés de l'administration communale afin de respecter les procédures requises en la matière ».
21. Le demandeur fait valoir que l'enquête effectuée sur l’entreprise Au Bf révèle l’existence d’impacts négatifs de l’activité minière, constitutifs d’atteintes aux droits fondamentaux garantis par la Charte tels que le droit à la vie, à la santé, à la sécurité, à un environnement sain, à l’intégrité physique, le droit à la justice, le droit au travail et que par conséquent, il existe une relation étroite entre les impacts négatifs de l’activité minière et les droits de l'homme protégés par la Charte.
22. Le demandeur soutient que son statut d’observateur auprès de la Commission lui confère la qualité d’organisation africaine, habilitée à demander un avis sur toute question relevant du champ d’application de la Charte.
ii. Position de la Cour
23. Aux termes de l’article 4(1) du Protocole, « À la demande d’un État membre de l’Union africaine, [de l’UA], de tout organe de l’UA ou d’une organisation africaine reconnue par l’UA, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’'homme… ».
24. Le fait que le demandeur ne relève pas des trois premières catégories au sens de l’article 4(1) du Protocole n’est pas contesté.
25. La première question qui se pose est celle de savoir si le demandeur fait partie de la quatrième catégorie, c’est-à-dire s’il a la qualité d’« organisation africaine » au sens de l’article 4(1) du Protocole. 26. Sur cette question, la Cour, dans son avis sur la demande introduite par Socio-Economic Rights and Cd Cb AGB), a établi que le terme « organisation » utilisé à l'article 4(1) du
3 Au Bf est une entreprise d'exploitation minière basée en RDC, sur laquelle une enquête a été menée. Voir page 18 du document portant mise en œuvre du projet de loi type.

664 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
Protocole couvre aussi bien les organisations non gouvernementales que les organisations intergouvernementales.“
27. Pour ce qui est du terme « africain », la Cour a établi dans le même avis consultatif SERAP qu’une organisation peut être considérée comme étant « africain » si elle est enregistrée dans un Etat africain et est dotée de structures aux niveau sous-regional, regional ou continental et si elle mène des activités au-delà du territoire dans lequel elle est enregistrée.“
28. La Cour observe que le demandeur est enregistré en République Démocratique du Congo où l'Association mène ses activités au niveau sous-régional et continental. Les articles 28, 30, 31, 39 des statuts portant création de ASADHO énoncent que l’organisation a pour objectifs : Article 28 « assister et représenter bénévolement en justice les victimes de violations, les prisonniers d'opinion et les objecteurs de conscience… », article 30 « œuvrer par la voie de presse à la promotion et diffusion des droits de l'homme et à la dénonciation de leur violation » et article 31 « les bureaux de représentation sont des antennes de l’Association basées à l’extérieur du pays…».
29. De ce qui précède il apparait que le demandeur mène ses activités non seulement en République Démocratique du Congo, mais aussi dans la région d'Afrique centrale et sur une bonne partie du continent Africain. À preuve, les études ayant abouti à l’adoption du projet de loi minière sont le résultat de plusieurs Etats africains, qui du reste sont membres de l’UA.
30. La Cour conclut que le demandeur est une organisation africaine au sens de l’article 4 du Protocole.
31. La deuxième question à examiner est celle de savoir si cette organisation est reconnue par l’Union africaine.
32. La Cour observe que le demandeur se base sur son prétendu statut d’observateur auprès de la Commission pour soutenir qu’elle est reconnue par l’Union africaine.
33. A cet égard, la Cour a, dans l'avis consultatif précité, indiqué que le statut d’observateur auprès d’un organe quelconque de l'Union africaine n’équivaut pas à une reconnaissance. Elle a ainsi établi que seules les ONG africaines reconnues par l’Union africaine elle-même, sont visées par l’article 4(1) du Protocole.®
34. La Cour a également établi que la reconnaissance des ONG
4 Avis consultatif, SERAP, Requête 001 / 2013, décision de la Cour du 26 mai 2017 , paragraphe 46.
5 Idem, paragraphe 48.
6 Voir Avis consultatif, Cour africaine, 26 mai 2017, demande d’avis consultatif SERAP no 001/2013, para 53.

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par l’Union africaine se fait par l’octroi du statut d’observateur ou par la signature d’un Mémorandum d’entente entre l’Union africaine et ces ONG.‘
35. En l'espèce, le Demandeur n’a ni réclamé ni fourni la preuve de ce qu'il bénéficie du statut d’observateur auprès de l’Union africaine ou qu’il a signé un Mémorandum d'entente avec cette dernière.
36. De ce qui précède, la Cour conclut que, même si le Demandeur est une organisation africaine au sens de l’article 4(1) du Protocole, il ne remplit pas la deuxième condition essentielle de cette disposition, nécessaire pour déterminer la compétence de la Cour, à savoir « être reconnu par l'Union africaine ».
37. Par ces motifs,
La Cour,
à l’unanimité,
i. Dit qu’elle ne peut donner l’avis consultatif qui lui a été demandé.
Opinion individuelle : BEN ACHOUR
1. Les quatre avis rendus le 28 septembre 2017, reprennent in extenso les motifs de l’avis SRAP du 26 mai 2017. Cette opinion individuelle ne fait que confirmer ce qui a été développe dans notre opinion sous cet avis SERAP
2. Encore une fois, la Cour se trouve dans l'impossibilité de donner suite a quatre demandes d'avis consultatif, et contrainte de ne pas répondre a des questions juridiques de la plus haute importance formulées par des ONG," relativement a Interprétation de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci- après la Charte) et le Protocole a la Charte portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après le Protocole), ou d’autres
1 Voir Avis consultatif, Cour africaine, 26 mai 2017, demande d'avis consultatif SERAP no 001/2013, para 65.
2 Il s'agit des ONG suivantes :
- The Centre for Bv Ah, University of Pretoria (CHR) & the Coalition of Ag Bg ;
- Association Africaine de Défense des Droits de l'Homme (ASADHO) ;
- Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) ;
- The Centre for Bv Ah, University of Pretoria ; Federation of Ce C in Kenya ; Women advocates Research and Documentation Centre et Bz Ce C Association.

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instruments pertinents des droits de l'homme en Afrique comme la Charte africaine de la démocratie, les élections et la AH ou le Protocole a la Charte relatif au droit des femmes (Protocole de Maputo).
3. Je suis dans l'ensemble d'accord avec le raisonnement et les motifs développes par la Cour dans les quatre avis pour considérer que « [Ia reconnaissance des ONG par l’Union africaine passe par l’octroi du statut d’observateur ou par la signature d’un protocole d’accord ou de coopération entre l’Union africaine er ces ONG » ($ 54 Avis Centre et Coalition)
4. La Cour n’avait pas le choix et ne pouvait faire autrement. Elle était ‘ligotée’ par les termes explicites de l’article 4(1) de son Protocole* et par la pratique restrictive de l'Union en matière d'octroi de la qualité d'observateur auprès d'elle aux ONG.
1. Dans les quatre avis rendus le 28 septembre 2017, la Cour, sollicitée par plusieurs ONG, ayant toutes le statut d’observateur auprès de la Commission africaine de droits de l'homme, a bute sur la notion d’ « [o]rganisation africaine reconnue par l'Union africaine », utilisée par l’article 4(1) du Protocole.
2. Il convient de noter que l’article 4(1) du Protocole relatif aux entités habilitées a saisir la Cour de demandes d'avis consultatif est, paradoxalement, plus restrictif que l’article 5(3) du Protocole relatifs aux ONG habilitées a saisir la Cour au contentieux. Alors que l’article 4(1) dispose que « [A] la demande [...] d’une organisation africaine reconnue par l’OUA, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme », l’article 5(3) du Protocole dispose que « [L]a Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des
3. requetés directement devant elle conformément a l’article 34(6) de ce Protocole ».
4. La comparaison de cet article montre que, concernant les ONG, la saisine est plus ouverte en matière contentieuse qu’en matière consultative, puisque pour saisir la Cour au contentieux, l'ONG devra simplement avoir le statut d’observateur auprès de la Commission,* alors qu’en matière consultative elle doit être
3. « À la demande d’un Etat membre de l’OUA, de l'OUA, de tout organe de l'OUA ou d’une organisation africaine reconnue par l'OUA, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme, a condition que l’objet de l'avis consultatif ne se rapporte pas a une requete pendante devant la Commission ».
4. A condition bien evidemment que l’Etat ait souscrit a la clause facultative de juridiction prevue par l’article 34(6).

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reconnue par l’UA.
5. L'innovation des quatre avis rendus le 28 septembre 2017, réside dans la formulation du dispositif. Au lieu de dire, comme elle l’avait fait dans l’avis SERAP, que la Cour « [DJeclare qu’elle n’a pas compétence personnelle pour rendre l'avis sollicite », la Cour, dans les quatre avis du 28 septembre 2017, « [D]/t qu’elle ne peut pas donner l'avis consultatif qui lui a été demande », suivant en cela la Cour internationale de justice dans son avis de 1996 (CIJ, Avis consultatif du 8 juillet 1996, Liceite de la menace ou de ! ‘emploi des armes nucleaires), solution que nous avons préconise dans notre opinion sous l’avis SERAP.
6. En conclusion, nous réitérons notre espoir de voir l’Union africaine procéder a un amendement de l’article 4(1) du Protocole dans le sens de l’ouverture des possibilités de saisine de la CAfDHP et d’assouplissement des conditions requises des ONG pour que leur demande d'avis rentre dans le champ de compétence de la Cour ; ou alors, la voie de l'amendement étant incertaine, d’accorder ses critères d'octroi du statut d’observateur aux ONG avec ceux de la Commission de Banjul.
Opinion individuelle : MATUSSE
1. La Cour a estimé, à l’unanimité, qu’elle n’avait pas la compétence personnelle pour émettre l'avis consultatif demandé par SERAP. Et pourtant, elle qualifie « d'Avis consultatif », la procédure par laquelle elle est arrivée à cette conclusion. Je ne partage pas cette position et j’exprime ici mon opinion individuelle, qui est basée sur les motifs suivants :
I Forme des actes de la Cour
2. Les instruments juridiques qui régissent la Cour, à savoir le Protocole* et le Règlement intérieur ne donnant aucune indication quant à l'appellation de chacune des différentes formes que peuvent prendre ses actes. Néanmoins, la pratique, qui est devenue la norme
5 Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une cour africaine des droits de l'homme et des peuples.

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est l’utilisation des appellations ci-après : « Ordonnance », « Décision » et « Arrêt ».
3. En adoptant les expressions ci-dessus, la Cour n’a pas fait preuve de cohérence dans sa pratique, dans la mesure où elle a utilisé la même expression pour désigner des actes différents, à des moments différents, comme il est démontré ci-après :
ii. Pratique de la Cour
4. Dans les demandes d'avis consultatifs numéros 002/2011,‘ 001/2012° et 001/2014,3 la Cour a utilisé le terme « Ordonnance » pour désigner l’acte par lequel elle a décidé de rejeter les demandes au motif que les requérants les avaient soit abandonnées, soit avaient fait preuve d’un manque d'intérêt pour poursuivre les procédures.
5. Dans la Demande d’avis consultatif n° 002/2012,* la Cour a utilisé le terme « Ordonnance » pour désigner l'acte par lequel elle a décidé de ne pas examiner la demande, au motif que celle-ci se rapportait à une affaire pendante devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission).
6. Dans la Demande d'avis consultatif n 001/2015,5 la Cour a utilisé le terme « Ordonnance » pour désigner l'acte par lequel elle a décidé de rejeter la demande au motif que les auteurs n'avaient pas précisé les dispositions de la Charte ou de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme à propos desquelles l’avis est demandé, conformément à l’article 68(2) du Règlement intérieur de la Cour.
7. Dans la Demande d’avis consultatif numéro 002/2013,5 la Cour s’est prononcée sur le fond de la demande en rendant un « Avis consultatif ».
8. En d’autres termes, dans les cas où la Cour n’est pas arrivée
1 Demande d'avis consultatif de l'avocat Bq Bs au nom de la « Grande Bu arabe libyenne populaire et socialiste », arrêt du 30 mars 2012.
2 Demande d'avis consultatif par Socio-economic Rights & Cd Cb AGB), « Ordonnance » du 15 mars 2013.
3 Demande n° 001/2014 - Coalition on the International Criminal Court Ltd/gte(cicen), Ak Ab X Assistance Project Ltd/gte (LEDAP), Civil Ca Ap X … … ……… … … … … … Ltd/gte (WARDC), « Ordonnance » du 5 juin 2015.
4 Demande n° 002/2012 - Union panafricaine des avocats (PALU) et Al Ag Ar Centre (SALC), « Ordonnance » du 15 mars 2013.
5 Demande n° 001/2015 - Coalition on the International Criminal Court LTD/GTE, « Ordonnance » du 29 novembre 2015.
6 Demande n° 002/2013 - Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l'enfant sur le statut du Comité africain d'experts sur les droits et le bien- être de l'enfant devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, « Ordonnance » du 5 décembre 2014.

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jusqu’à l'étape de l'examen de la demande sur le fond, et a décidé de la radier du rôle en raison d’un manque d'intérêt de la part de son auteur ou du non-respect des exigences prévues à l’article 68, la Cour a décidé de désigner l’acte qu’elle rend par le terme « Ordonnance ». 9. En matière contentieuse, la Cour a rendu sous le terme d’ « Ordonnance » un acte par lequel elle déclarait : n'avoir pas compétence pour connaître d’une affaire,” ou poursuivre l'examen de l’affaire,® ou procéder à une jonction d’instances des requêtes ;° ou encore rejeter la requête en raison du manque d'intérêt de la part du Requérant pour continuer la procédure.‘°
10. Toujours en ce qui concerne les affaires contentieuses, la Cour a rendu sous le nom d’« Arrêt » un acte pour dire que certaines requêtes étaient irrecevables”" ou qu’elle n’avait pas compétence‘. L’appellation « Ordonnance » est également utilisée dans la plupart des ordonnances portant mesures provisoires que la Cour a rendues‘*. 11. La Cour a largement utilisé le terme « Décision » pour dire qu’elle n'avait pas compétence pour examiner des affaires en matière
7 Requête n° 019/2015 - Az Bc c. Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, « Ordonnance » du 20 novembre 2015.
8 Requête n° 016/2015 — Général Y AI et autres c. République du Rwanda, « Ordonnance » du 3 juin 2016.
9 Requête numéros 009 et 011/2011 - By Ba Af et Legal and Bv Ah Centre et Ae Bx Bo Bb c. République-Unie de Tanzanie, « Ordonnance » du 22 septembre 2011.
10 Requête n° 002/2015 - Collectif des Anciens Travailleurs du Laboratoire (ALS) c. République du Mali, « ordonnance » du 5 septembre 2016.
11 Requête n° 003/2012 - Peter Br Aa c. République-Unie de Tanzanie, « décision » du 28 mars 2014 ; Requête n° 003/2011 - Aw Bj c. République du Malawi, « arrêt » du 21 juin 2013.
12 Requête n° 001/2008 : Cc Ai c. République du Sénégal, « arrêt » du 15 décembre 2009 ; Requête n° 001/2011 - Az Bc c. Union africaine, « arrêt » du 26 juin 2012.
13 À savoir : Requête n° 016/2015 - Général Y AI et autres c. République du Rwanda, « Ordonnance » du 24 mars 2017. Requête n° 004/2013 — Ao Aj Bh c. Bt Bm, « Ordonnance » du 4 octobre 2013 ; Requête n° 002/2013 - Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye, « Ordonnance » du 15 mars 2013.

670 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
Analyse
12. Dans la Demande d’avis consultatif objet de la présente Opinion individuelle, la Cour a conclu qu’elle n'avait pas la compétence personnelle et pourtant elle désigne cet acte par « Avis consultatif », ce qui est pour le moins contradictoire.
13. À mon avis, soit la Cour est compétente, auquel cas elle émet
un avis consultatif, soit elle n’a pas compétence en l'espèce et elle n’émet pas d’avis consultatif.
14. Mes éminents collègues Juges ont sans doute été influencés par le fait que dans sa demande, SERAP invitait la Cour à examiner sa qualité pour la saisir, en vertu de l’article 4(1) du Protocole. Et pourtant, cette question aurait été examinée par la Cour, étant donné que conformément à l’article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour en tout état de cause, applicable en vertu de l’article 72 du même Règlement, « [La] Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête. » (C’est moi qui souligne), avant de pouvoir statuer sur toute affaire dont elle est saisie.
15. À mon avis, l’article 39(1) du Règlement oblige la Cour à procéder à un examen préliminaire afin de vérifier sa compétence et la recevabilité de la requête, une procédure qui, en aucune manière, ne saurait être désignée par « Avis » en soi, même si, dans les cas où la Cour a la compétence juridictionnelle, la décision sur la compétence et la recevabilité forment partie intégrante de l’avis consultatif émis, comme ce fut le cas en la Demande d’avis consultatif n° 002/2013.
16. C’est pour cette raison que je pense que l'examen préliminaire, au sens de l’article 39(1) du Règlement, est une procédure qui est
14 Requête n° 002/2011 - At Ax c. République démocratique populaire d'Algérie, « Décision » du 16 juin 2011 ; Requête n° 005/2011 - Bl An et Aq An c. République du Mozambique et Mozambique Airlines, « Décision » du 16 juin 2011 ; Reg. n° 006/2011 - Association des Juristes d'Afrique pour la Bonne AH c. République de Côte d'Ivoire, « Décision » du 16 juin 2011; Requête n° 007/2011 - Cf Ax c. Royaume du Maroc, « Décision » du 2 septembre 2011; Requête n° 008/2011 - Ekollo M. Bk c. République du Cameroun et République fédérale du Nigeria, « Décision » du 23 septembre 2011; Requête n° 010/2011 - As Am'o Ac c. Parlement panafricain, « Décision » du 30 septembre 2011; Reg. N° 012/2011 — Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education (CONASYSED) c. République du Gabon, « Décision » du 15 décembre 2011 ; Requête n° 002/2012 - Ay Bp Av A, M. et Mme Z de Ad c. République d'Afrique du Sud, « décision » du 30 mars 2013 ; Requête n° 004/2012 - Bw Br Be et autres c. République d'Afrique du Sud, « décision » du 30 mars 2012 ; Requête n° 005/2012 - Amir Bd Bn c. République du Soudan, « décision » du 30 mars 2012.

ASADHO (avis consultatif) (2017) 2 RICA 660 671
clairement différente de l'émission d’un avis consultatif, même si quelquefois elle en forme une partie intégrante.
17. En d’autres termes, lorsqu’après examen préliminaire la Cour conclut qu’elle n’est pas compétente, elle ne peut en aucun cas désigner par le terme « Avis consultatif » l’acte par lequel elle est parvenue à cette conclusion.
18. En droit comparé, lorsque la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIADH) décide de ne pas émettre d’avis consultatif, elle adopte une forme de « Résolution »'° et non pas un « Avis consultatif ». Même lorsqu'elle émet un « Avis consultatif », elle établit une distinction claire entre la section consacrée à sa compétence (dans laquelle elle détermine si elle a compétence sur la demande d’avis consultatif) et la section relative à l’avis consultatif lui-même (dans laquelle elle donne son avis sur la question dont elle a été saisie, dans le cas où elle conclut qu’elle est compétente pour émettre un tel avis consultatif). 19. Dans la demande d’avis consultatif introduite par le Conseil de la Société des Nations relative à l'affaire Bi c. Finlande, la Cour permanente de justice internationale (CPJI) a implicitement‘” utilisé l'expression « Avis consultatif »°° lorsqu'elle a constaté qu’elle pouvait émettre l'avis consultatif en raison du refus ad hoc de la Bi de reconnaître sa compétence. Toutefois, il s'agit d’un précédent incongru et isolé qui remonte à un siècle et qui ne peut pas être invoqué en l'espèce. En réalité, ce précédent n’a jamais inspiré une quelconque position de la Cour dans ses décisions antérieures sur les demandes
iv. Mon opinion
20. À mon avis, pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour devrait utiliser le terme « Décision » pour désigner les actes par lesquels elle procède à un examen préliminaire de sa compétence et de la
15 Résolution de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, du 23 juin 2016, Demande d'avis consultatif introduite par le Secrétaire général de l'organisation des Etats américains ; Résolution de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, 27 janvier 2009 ; demande d'avis consultatif introduite par la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
16 Avis consultatif OC-21/14 du 19 août 2014 demandé par la République d'Argentine, la République fédérative du Brésil, la République du Paraguay et la République orientale d’Uruguay ; Avis consultatif OC-20/09 du 29 septembre 2009 demandé par la République d'Argentine.
17 Pourquoi pas formellement désignée comme telle. Ce n’est qu'à la fin de la disposition qu’il est fait mention du « (..) Présent Avis … (...) ».
18 Décision de la troisième session ordinaire du 23 juillet 1923, Dossier F. c. V Rôle
Carelie_orientale_Avis_consultatif.pdf, consultée le 24.05.2017.

672 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
recevabilité des demandes en vertu des dispositions de l’article 39 de son Règlement intérieur. En effet, la pratique récurrente qui consiste à utiliser le terme « Décision » lorsqu'elle se déclare incompétente pour statuer sur les affaires contentieuses, s'applique parfaitement en matière consultative. Cela d'autant plus que l’article 72 du Règlement intérieur exige de la Cour, pour les avis consultatifs, d'appliquer mutatis mutandis les dispositions relatives à la procédure contentieuse.
21. L'appellation « Décision » éviterait de donner l'impression erronée que l’acte est un avis consultatif, que la Cour n’a pas émis en fait. En revanche, la Cour de céans gagnerait à rester plus cohérente en utilisant les appellations appropriées pour désigner ses actes, ce qui l’'amènera à s’aligner sur sa jurisprudence bien établie, dans laquelle elle utilise le terme « Décision » lorsqu'elle détermine sa compétence pour les affaires contentieuses.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 002/2016
Date de la décision : 28/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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