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03/06/2016 | CADHP | N°RANDOM76499864

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 03 juin 2016, RANDOM76499864


Texte (pseudonymisé)
624 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA
Xi Bk c. Tanzanie

COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
(fond) (2016) 1 RJCA 624

Xi Bk c. République-Unie de Tanzanie
Jugement du 3 juin 2016. Fait en anglais et en français, le texte français faisant foi.
Juges : THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : RAMADHANI
Le requérant avait été condamné à 30 ans de réclusion pour vol à main armée. La Cour a estimé que le fait que les autorités tanzaniennes n'avaient pas enquété sur

l’allégation de partialité du Procureur et sur le défaut d'assistance judiciaire constituait une viol...

624 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA
Xi Bk c. Tanzanie

COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
(fond) (2016) 1 RJCA 624

Xi Bk c. République-Unie de Tanzanie
Jugement du 3 juin 2016. Fait en anglais et en français, le texte français faisant foi.
Juges : THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : RAMADHANI
Le requérant avait été condamné à 30 ans de réclusion pour vol à main armée. La Cour a estimé que le fait que les autorités tanzaniennes n'avaient pas enquété sur l’allégation de partialité du Procureur et sur le défaut d'assistance judiciaire constituait une violation du droit du requérant à un procès équitable. La Cour a rejeté la demande du requérant de voir ordonner sa remise en liberté et conclu qu’une telle mesure ne pourrait être ordonnée que dans des « circonstances exceptionnelles et impérieuses ».
Recevabilité (épuisement des recours internes, droit à un procès équitable, 76, 77 ; introduction dans un délai raisonnable 92-93)
Procès équitable (droit à la défense, 118, 120-122, 160 ; aide juridictionnelle, 138-145 ; preuves de culpabilité pénale, 174, 185, 198 ; examen de la défense d’alibi, 191-194 ; prononcé du jugement en public, 224- 227)
Liberté et sécurité de la personne (droit d’être informé des motifs de son arrestation, 119, 158)
Réparations (remise en liberté, 234 ; reprise du procès, 235 ; autres mesures appropriées, 236)
Opinion individuelle : THOMPSON
Procès équitable (prononcé du jugement en public, 9, 10)
Réparations (version 11-14)
Opinion individuelle : BEN ACHOUR
Réparations (remise en liberté, 7-9)
Procès équitable (prononcé du jugement en audience publique, 17)

Bk c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624 625
I Les parties
1. Le requérant est M. Xi Bk, un ressortissant de la République-Unie de Tanzanie qui purge une peine de trente ans de réclusion à la Prison centrale de Karanga dans la région de Moshi, Xc, pour une infraction de vol à main armée.
2. Le défendeur est la République-Unie de Tanzanie, qui a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après, la « Charte ») le 18 février 1984 et le Protocole le 07 février 2006, et qui a déposé la déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales le 29 mars 2010. La République- Unie de Tanzanie a également adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (ci-après le « Pacte »), en date du 11 juillet 1976.
Il. L’objet de la requête
3. La Cour a été saisie de cette affaire par une requête en date du 8 octobre 2013 à laquelle sont jointes des observations écrites. Elle comporte également en annexe une copie du jugement de la Cour d'appel de Tanzanie en date du 5 octobre 2004, dans le Criminal Appeal No. 48 of 2004, en l'affaire Xi Bk c. la République.‘
A Les faits à l’origine de l’affaire
4. Dans sa requête, le requérant allègue qu’il a été arrêté par la police le 10 avril 1997 alors qu’il se trouvait chez lui à la maison, et qu’il a été placé en garde à vue jusqu’au 14 avril 1997. Il rapporte qu’il a été condamné, pour vol à main armée, par le Tribunal de district de Moshi le 21 juillet 1998 à une peine de trente (30) ans de prison qu'il purge à la prison centrale de Karanga dans la région de Moshi. Il indique qu’il a fait appel de sa condamnation auprès de la Haute Cour à Moshi, mais que son appel a été rejeté le 05 janvier 1999 (sic). Il déclare avoir ensuite fait appel devant la Cour d'appel à Be (Appel no 48 de 2000), mais que son appel a été également rejeté.
B Les violations alléguées
5. Dans ses écritures aussi bien que dans ses plaidoiries orales, le requérant fait état de plusieurs griefs en rapport avec la manière dont il a été détenu, jugé et condamné par les autorités policières et judiciaires tanzaniennes. Il se plaint en particulier :
Est également joint à la requête, un autre jugement de la Haute Cour à Moshi, en date du 27 février 2013, dans une autre affaire (Xh Am Bv and Cj Ag c. République, Criminal Revision No 2 of 2013. Ce jugement porte sur la question de la sentence applicable en cas d'infraction de vol à main armée.

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(1) d’avoir été détenu, après son arrestation, dans un poste de police qui ne disposait pas des facilités de base appropriées pour accueillir des suspects ;
(il) d’avoir été condamné sur la base d’un acte d'accusation entaché
(ii) d’avoir été poursuivi par un Procureur qui se trouvait dans une situation de conflit d'intérêts par rapport à la victime du vol à main armée ;
(iv) de ne pas avoir eu le droit de se défendre lui-même et de bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de son arrestation ;
(v) de ne pas avoir eu droit à l'assistance gratuite d’un avocat au cours de la procédure judiciaire ;
(vi) d’avoir ainsi été discriminé ;
(vil) de ne pas avoir reçu promptement communication de l'acte d'accusation et des déclarations des témoins à charge, pour pouvoir se défendre ;
(viii) d’avoir été condamné sur la base d’un témoignage d’une seule personne, contenant des contradictions, en l’absence de toute parade
(ix) d’avoir été condamné, sans que son moyen de défense basé sur un alibi ne soit sérieusement considéré par le juge ;
(x) d’avoir été condamné alors que les armes du crime et les objets vol[é]s n’ont pas été retrouvés ;
(xi) d’avoir été condamné à une peine de trente ans de prison qui n’était pas applicable au moment des faits ; et
(xii) du fait que le jugement de condamnation n’a pas été prononcé en audience publique.
II. Résumé de la procédure devant la Cour
6. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 8 octobre 2013.
7. Le 5 novembre 2013, le Greffe a, en application de l’article 35, paragraphes 2 et 3 du Règlement de la Cour, communiqué la requête à l’Etat défendeur, à la Présidente de la Commission de l’Union africaine, et par son intermédiaire, au Conseil Exécutif de l’Union, ainsi qu’à tous les autres Etats parties au Protocole.
8. Après avoir demandé et obtenu de la Cour une prorogation de délai, l’Etat défendeur a transmis au Greffe, en date du 6 février 2014, son Mémoire en réponse à la requête. Celui-ci comporte en annexe une série de textes juridiques tanzaniens ainsi que deux décisions de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
9. Le 7 mars 2014, le Greffe a reçu le Mémoire en réplique du requérant.
10. À la même date, le Greffe a reçu une lettre du requérant datée du 5 mars 2014, par laquelle celui-ci demande à la Cour de lui accorder l'assistance d’un avocat, étant donné qu'il est profane en matière juridique. Suite aux instructions de la Cour, le Greffe a, par lettre du 2 juin 2014, demandé à l’Union Panafricaine des Avocats (UPA) si elle était disposée à fournir une assistance juridique au requérant. Par lettre

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datée du 7 août 2014 parvenue au Greffe le 11 Août 2014, UPA a répondu positivement à la demande du Greffe.
11. Au cours de sa 34° session ordinaire tenue à Be, du 8 au 19 septembre 2014, la Cour a décidé de tenir une audience publique de cette affaire en mars 2015. Suite à une demande du requérant en date du 22 janvier 2015 de reporter la tenue de l'audience, et après avoir pris note de la réaction de l’État défendeur à travers sa lettre en date du 4 février 2015, la Cour a décidé, au cours de sa 36° session ordinaire tenue du 9 au 27 mars 2015, d’ajourner l'audience publique au 22 mai 2015.
12. L’audience publique a eu lieu à la date prévue, à Be, et la Cour a entendu les observations orales des Parties :
Pour le requérant :
Maître Donald DEYA, UPA ;
Pour l’État défendeur :
i) Mme Cg Z, Directeur- adjoint du Département des droits de l'homme au Bureau de l’Ba Cf, et
i) M. Az C, Principal Av Ba dans le Bureau de l’Ba General
13. Durant l’audience, les Juges de la Cour ont posé des questions aux Parties et celles-ci y ont répondu.
IV. Les conclusions des parties
14. Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du requérant,
Dans la requête :
« 10....Je demande à la Cour (CADHP) d'intervenir face aux actes anticonstitutionnels perpétrés contre moi par les juridictions inferieures, par la première et par la seconde juridiction d’appel de mon pays et par la Police en général.
11….Je demande humblement que la Cour fasse justice là où celle-ci a été bafouée, annule les deux déclarations de culpabilité ainsi que la sentence et ordonne ma libération.
12....que cette Cour des droits de l'homme et des peuples ordonne toute autre mesure de réparation qu’elle estime appropriée ».
Au cours de l'audience publique :
« … nous voudrions faire des prières au nom du requérant :
Premièrement, déclarer que l’État défendeur a violé les droits du requérant à un procès équitable, et en lui enjoignant une assistance pour sa défense. Deux, déclarer que l’État défendeur a violé les droits du requérant à avoir une assistance juridique et une représentation.
À la lumière des circonstances spécifiques de cette affaire, nous demandons à la Cour d’ordonner aux juridictions de l'État défendeur de réexaminer le procès et la culpabilité du requérant à la lumière des déficiences que nous avons notées, et pour faire cela dans un délai raisonnable qui sera déterminé par cette Honorable Cour.

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Nous demandons également à la Cour, à la lumière de la première déclaration pour demander le réexamen du procès et de la culpabilité du requérant, d’ordonner que les procédures puissent être reprises en mettant en place une représentation.
Et, dernier point, nous demandons également à la Cour d’ordonner que les procédures de réparation puissent suivre les différentes déclarations de violation des droits de l'homme que nous avons notées ici.
Dernier point, que cette Cour puisse faire toute autre déclaration ou prendre toute autre ordonnance qu’elle jugera nécessaire dans les circonstances de cette affaire pour rendre justice au requérant ».
Au nom de l’État défendeur, dans le Mémoire en réponse :
«i) Constater que la requête n’évoque pas la compétence de la Cour africaine ;
il) La requête ne répond pas aux critères de recevabilité prévus à l’article 40, alinéas 1 à 7 du Règlement de la Cour africaine ou aux articles 56 et 6.2 de son Protocole ;
iii) Rejeter la requête en application de l’article 38 du Règlement de la Cour ;
iv) Condamner le requérant aux dépens.
En ce qui concerne le fond de la requête :
i) conclure que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas illégalement arrêté le requérant ;
iii) de la République-Unie de Tanzanie n’a pas illégalement détenu le requérant ;
iv) le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit du requérant à se faire représenter par un avocat ;
v) le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit du requérant de se défendre ;
vi) le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit du requérant à l’égalité devant la loi ;
vil) le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas discriminé contre le requérant ;
viii) le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas enfreint l’article 311 du Code pénal tanzanien ;
ix) la condamnation du requérant sur la foi de la déposition d’un témoin unique est conforme à la loi ;
x) les témoins à charge dans l'affaire pénale initiale n° 397/1997 n’ont pas fait des dépositions contradictoires ;
xi) la condamnation du requérant à une peine d'emprisonnement de trente ans pour vol à main armée est conforme à la loi ;
xii) condamner le requérant aux dépens ».
Au cours de l'audience publique :
« Nous voulons maintenant vous présenter nos demandes s'agissant des objections préliminaires et la compétence de la Cour. Nous disons que la Cour doit tenir compte de nos objections en ce qui concerne la compétence et la recevabilité de cette requête.
Le requérant dans sa requête n’a pas évoqué la compétence de la Cour de céans.

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Deux, la requête ne satisfait pas les critères de recevabilité conformément à l’article 40 du Règlement de la Cour et de l’article 56(5) de la Charte.
Trois, que la requête ne satisfait pas les critères de recevabilité stipulés à l’article 40.6 du Règlement intérieur de la Cour et de l’article 56(6) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
Quatre, que la requête soit rejetée.
Sur le fond, nous demandons à la Cour de décider ce qui suit : que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit du requérant à se faire représenter et à un procès équitable, s'agissant de tous les griefs dont il a saisi la Cour.
Deuxièmement, nous demandons qu'il n’y ait pas de réparation pour le requérant en ce qui concerne cette requête, et, enfin, que cette requête soit rejetée ».
V. Demande de production de nouvelles preuves
15. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur a rappelé sa lettre en date du 13 décembre 2013 indiquant, selon lui, que la collecte des preuves prendra quelque temps, et demandé en conséquence à la Cour d’être indulgente et de l’autoriser à produire de nouvelles preuves lorsqu’elles seront disponibles, sur la base de l’article 50 du Règlement.
16. Par ailleurs, au cours de l’audience publique en date du 22 mai 2015, chacune des Parties, a, sur la base de l’article 50 du Règlement, demandé à la Cour l’autorisation de déposer de nouveaux documents, consistant essentiellement dans les pièces du dossier de procédure de l'affaire devant les juridictions nationales. Pour justifier le retard, les deux Parties invoquent principalement les difficultés rencontrées dans la recherche et l'obtention de ces documents, le greffe du Tribunal de Moshi ayant entre-temps été relogé ailleurs. Chacune des Parties a également indiqué qu’elle n'avait pas d’objection à la demande de l’autre à cet égard.
17. L'article 50 du Règlement intérieur de la Cour dispose comme suit : « Aucune partie ne peut déposer une nouvelle preuve après la clôture des débats, sauf autorisation de la Cour ».
18. Usant du pouvoir discrétionnaire en matière de production tardive des preuves, la Cour a décidé, au cours de l'audience, de faire droit aux demandes respectives des Parties, et d’autoriser la production des documents dont il était question.
19. Les Parties ont en conséquence déposé les documents annoncés, respectivement en date du 5 juin 2015 pour le requérant, et en date du 20 mai 2015 pour l’Etat défendeur.
VI. La compétence de la Cour
20. Aux termes de l’article 39(1) de son Règlement intérieur, la Cour « procède à un examen préliminaire de sa compétence… ».

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A. Exceptions préliminaires en rapport avec la compétence matérielle
21. Au sujet de la compétence matérielle, l'Etat défendeur a soulevé une exception tirée du fait que, selon lui, la Cour ne saurait agir comme une juridiction d’appel, ainsi qu’une exception tirée du fait que le requérant n’aurait pas invoqué les dispositions appropriées du Protocole et du Règlement de la Cour.
i. Exception d’incompétence tirée du fait que la Cour ne saurait examiner les preuves sur lesquelles a été basée la condamnation du requérant sans agir comme une juridiction d’appel
22. Au cours de l'audience publique, l'Etat défendeur a plaidé, spécialement en rapport avec la question des preuves sur la base desquelles le requérant a été jugé par les juridictions nationales, que celui-ci demande en réalité à la Cour d'agir comme une juridiction d'appel, alors qu’elle n’en a pas la compétence. Il a affiimé en particulier que « [IJ'article 3(1) du Protocole ne donne pas à la Cour la compétence [de] se prononcer sur des questions de preuve et de siéger comme Cour d'appel ». Invoquant la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Ai Ao Cr c. République du Malawi, il a soutenu que le requérant demande à cette Cour « de rejeter la décision de la Cour d’appel de Tanzanie » alors que « l’article 3(1) du Protocole ne donne pas compétence à la Cour d’agir comme une Cour d'appel ». Il a ajouté que l'analyse des preuves devrait être laissée au soin des seules juridictions nationales de l'Etat défendeur.
23. Au cours de cette même audience publique, le Conseil du requérant a répondu que dans l'affaire Ai Ao Cr c. République du Malawi, le requérant lui-même avait déclaré interjeter appel de la décision de la Cour suprême du Malawi, alors qu'ici le requérant allègue des violations des droits de l'homme par l'Etat défendeur à travers notamment les actes de son système judiciaire. || souligne en particulier que le requérant ne voulait pas interjeter appel contre les décisions des juridictions nationales, qu’il « allègue des violations de ses droits, notamment par les organes et les institutions de l’État défendeur notamment et non limité au judiciaire », et que c'est pour cela qu’il a saisi la présente Cour.
24. Sur la question de savoir si la Cour a compétence pour réexaminer les preuves sur la base desquelles le requérant a été condamné par les juridictions nationales, son Conseil soutient, en se fondant notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, que même si la question de la recevabilité des preuves relève de la compétence des juridictions nationales, la présente Cour demeure compétente pour voir si, dans l’ensemble la procédure suivie devant ces juridictions est équitable au sens notamment de l’article 7 de la Charte.

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25. La Cour réitère sa position de principe selon laquelle elle ne constitue pas une instance d’appel des décisions judiciaires rendues par les juridictions nationales.’ Mais comme elle l’a souligné dans son arrêt du 20 novembre 2015 en l’affaire Bh Bl c. République- Unie de Tanzanie, cette circonstance n’affecte pas sa compétence à examiner si les procédures devant les juridictions nationales répondent aux standards internationaux établis par la Charte ou les autres instruments des droits de l'homme applicables.*
26. S'agissant en particulier des preuves qui ont servi de base à la condamnation du requérant, la Cour estime qu'il ne lui revient pas en effet de se prononcer sur leur valeur aux fins de revoir cette condamnation. Toutefois, elle considère que rien ne lui interdit d'examiner ces preuves, comme éléments du dossier qui lui est soumis, afin de voir si de façon générale, la manière dont le juge national les a appréciées a été conforme aux exigences d’un procès équitable au sens notamment de l’article 7 de la Charte.
27. Comme la Cour européenne des droits de l'homme l’a relevé notamment dans l'affaire Ct Cm c. Turquie :
« la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de droit interne et (.…) en principe il revient aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour par la Convention ne consiste pas à se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable ».4
28. De façon plus générale, la Cour de céans n’agirait comme juridiction d'appel que si, entre autres, elle appliquait à l’affaire le même
2 Voir Ai Ao Cr c. République du Malawi, arrêt du 15 mars 2013, para
3 Bh Bl c. République Unie de Tanzanie, arrêt du 20 novembre 2015, para 130 : « Certes, la Cour africaine n’est pas une instance d’appel des décisions rendues par les juridictions nationales (…), mais cela ne l'empêche pas d'examiner les procédures pertinentes devant les instances nationales pour déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre instrument ratifié par l’État concerné. (..). Cette approche a été adoptée par les instances internationales similaires. »
4 Arrêt du 24 juillet 2012, para 69. Voir aussi : CEDH : Bz Br B c. Pays- Bas, arrêt du 27 Octobre 1993, paras 31 : « La Cour ne saurait substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales. Sa tâche consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris la façon dont les témoignages furent admis, a revêtu un caractère "équitable" au sens de l’article 6 par. 1 » ; Gäfgen c. Allemagne, arrêt du 1er juin 2010, para 164 : “Pour déterminer si la procédure a été équitable dans son ensemble, il faut aussi rechercher si les droits de la défense ont été respectés. II y a lieu de se demander en particulier si le requérant a eu la possibilité de contester l’authenticité des preuves et de s'opposer à leur utilisation. | faut également prendre en compte la qualité des preuves et notamment vérifier si les circonstances dans lesquelles elles ont été obtenues jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude”; Ab et Bx AI Cn, arrêt du 23 juin 2015, para 36 : « La Cour rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable » ; Ct Cm c. Turquie, arrêt du 24 juillet 2012, para 69 ; Affaire Ad c. Ukraine, arrêt du 11 mars 2015, paras 61 et 62.

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droit que les juridictions nationales tanzaniennes, c’est-à-dire le droit tanzanien. Or, tel n’est certainement pas le cas dans les affaires dont elle est saisie, puisque par définition, elle applique exclusivement, selon les termes de l’article 7 du Protocole « les dispositions de la Charte ainsi que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par l'Etat concerné ».
29. Sur la base des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’elle a compétence pour examiner si le traitement de l'affaire par les juridictions nationales tanzaniennes a été conforme aux exigences portées en particulier par la Charte et tout autre instrument international des droits de l'homme applicable. En conséquence, la Cour rejette l'exception soulevée à cet égard par l'Etat défendeur.
ii. Exception d’incompétence tirée du fait que le requérant n’aurait pas invoqué les dispositions appropriées du Protocole et du Règlement de la Cour
30. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur soulève une exception à la compétence de la Cour, au motif que le requérant, au lieu d’invoquer les articles 3.1 du Protocole et 26 du Règlement intérieur, invoque, pour fonder la compétence de la Cour, les articles 5 et 34.6 du Protocole et 33 du Règlement intérieur, qui règlent plutôt la question non contestée de l'accès à la Cour. Il considère que le requérant n'ayant pas invoqué la compétence de la Cour de manière appropriée en citant les dispositions applicables, sa requête devrait être rejetée à ses dépens. Il en conclut que le requérant ne s’est pas conformé à l’article 3.1 du Protocole et l’article 26 du Règlement.
31. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Peter Cu Aa c. République Unie de Tanzanie, répond que la Cour a compétence aussi longtemps que « les droits qui sont allégués violés sont protégés par la Charte ou tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État défendeur ».
32. La Cour considère que la compétence est une question de droit qu’elle doit déterminer elle-même, que cette question ait été ou non soulevée par les parties à l’instance. Il en résulte que le fait qu’une partie ait invoqué des dispositions qui ne seraient pas applicables ne porte pas à conséquence, puisque dans tous les cas, la Cour connaît le droit, et est en mesure de fonder sa compétence sur les dispositions appropriées.
33. De plus, dans la présente affaire, l’invocation des articles 5(3) et 34.6 du Protocole pour fonder la compétence de la Cour n’est même pas incorrecte. L'article 5(3) du Protocole dispose que : « [Ja Cour peut permettre aux individus ainsi qu'aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ». Quant à l'article 34(6) du Protocole, il porte qu’ « [à] tout moment, à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole » et que « [Ja Cour ne reçoit aucune requête

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en application de l’article 5(3) intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration ». Si la lecture combinée de ces deux articles montre qu’ils ont effectivement trait à la saisine de la Cour par les individus et les ONG, et donc à une question d’accès à la Cour, il n’en est pas moins vrai qu'ils traitent en même temps de la question de la
compétence requérant personnelle de l'État défendeur. de la Cour, En effet, dans ils déterminent le chef aussi aussi bien en du fin de compte que si oui ou non la Cour est compétente à l’égard des individus ou des ONG qui la saisissent, et si oui ou non dans un tel cas de figure, l’État défendeur a accepté la compétence de la Cour. Le libellé de l’article 34(6) du Protocole est significatif à cet égard, puisque cet article parle d’une « déclaration acceptant la compétence de la Cour ».
34. Il importe de préciser que l’article 3.1 du Protocole® auquel l’État défendeur fait référence traite essentiellement de la compétence matérielle de la Cour, qui n’est jamais qu’un seul aspect de la compétence, laquelle recouvre également le volet personnel, temporel et territorial.
35. Sur la base des considérations qui précèdent, la Cour rejette l’exception ici soulevée par l’État défendeur à sa compétence. La Cour considère qu'elle est compétente ratione materiae pour examiner la présente affaire, dans la mesure où les violations alléguées (supra, para 5) concernent toutes prima facie le droit à un procès équitable,® tel que garanti notamment par l’article 7 de la Charte.
B. Les autres aspects de la compétence
36. En ce qui concerne les autres aspects de sa compétence, la Cour observe :
(1) qu’elle est compétente ratione personae dans le chef des deux parties, étant donné que la République-Unie de Tanzanie a déposé la déclaration prévue à l’article 34(6) précité, le 29 mars 2010 ;
(ii) qu’elle est compétente ratione temporis dans la mesure où les violations alléguées présentent un caractère continu, le requérant étant toujours condamné sur la base de ce qu’il considère comme étant des irrégularités (voir la jurisprudence de la Cour notamment dans l'affaire Ax) :7
(iii) qu’elle est compétente rationae loci dans la mesure où les faits de l’affaire se sont déroulés sur le territoire d’un État partie au Protocole, en l’occurrence l’État défendeur.
5 Cet article dispose comme suit : « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
6 Voir dans ce sens les arrêts de la présente Cour dans les affaires Ao Aq Ci et autres c. République- Unie de Tanzanie, arrêt du 28 mars 2014, paras 74 et 75 et Cu Af Aa c. République- Unie de Tanzanie, 28 mars 2014, par 115 : « Les droits dont la violation est alléguée sont consacrés par la Charte. En conséquence, la Cour conclut qu’elle a compétence ratione materiae pour connaître de la requête ».
7 Voir la Cour de céans, notamment dans l’Affaire Ax et al. c. Bd Bt, exceptions préliminaires, arrêt du 21 juin 2013, paras 71 à 77.

634 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
37. || résulte ainsi de l'ensemble des considérations qui précèdent que la Cour est pleinement compétente pour connaître de la présente affaire.
VII. La recevabilité de la requête
38. Selon l’article 39 précité de son Règlement intérieur, « [Ia Cour procède à un examen préliminaire (.…) des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et de l’article 40 du présent Règlement ».
39. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [IJa Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
40. L'article 40 du Règlement intérieur qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6.2 du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ; 3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine ».
41. Alors que certaines de ces conditions ne sont pas en discussion entre les Parties, l'Etat défendeur a soulevé des exceptions en rapport avec la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ; l'épuisement des voies de recours internes et le délai de saisine de la Cour.
A. Les conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les Parties
42. Les conditions relatives à l'identité des requérants, au langage utilisé dans la requête, à la nature des preuves, et au principe non bis in idem, (points 1, 3, 4 et 7 de l’article 40 du Règlement) ne sont pas en discussion entre les Parties.
43. Pour sa part, la Cour observe également que rien dans le dossier qui lui a été soumis par les Parties ne suggère que l’une ou l’autre de ces conditions ne serait pas remplie en l’espèce.

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44. Par voie de conséquence, la Cour considère que les conditions sous examen ici sont pleinement remplies dans la présente affaire.
B. Exception tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine ou la Charte.
45. Dans son Mémoire en réponse, l'Etat défendeur estime que pour remplir la condition de la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte prévue par les articles 56(2) de la Charte et 40(2) du Règlement intérieur, la requête doit invoquer les dispositions de la Charte qui auraient été violées, ainsi que les principes incorporés dans la Charte de l'OUA [aujourd’hui Union africaine]. L'État défendeur répète qu’au lieu d’invoquer les articles du Protocole qui fondent la compétence de la Cour, le requérant n’a fait qu’invoquer les dispositions du Protocole qui traitent de l'accès à la Cour des individus et des ONG. Par ailleurs, d’après l’État défendeur, la requête ne cite aucune disposition de la Charte ou de l’Acte constitutif de l’Union africaine et se contente d’invoquer le Code de procédure pénale tanzanien en se concentrant sur les détails techniques de l'affaire pénale qui le concerne. L'État défendeur conclut que la condition de compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte n’est pas remplie et que la requête devrait être rejetée dans sa totalité.
46. Dans son Mémoire en réplique, le requérant soutient que dans sa requête, il a invoqué les dispositions de la Charte violées ainsi que les principes incorporés dans la Charte de l’OUA [l’actuel Acte constitutif de l’Union africaine], comme le prévoient les articles 5 et 34(6) du Protocole et 33 du Règlement intérieur de la Cour.
47. Au cours de l'audience publique, et comme cela a été relevé plus haut (supra, para 31), le Conseil du requérant a plaidé que la Cour est compétente tant que les droits dont la violation est alléguée sont garantis par la Charte ou tout autre instrument des droits de l'homme applicable.
48. En ce qui concerne ce que l’État défendeur considère comme étant une invocation erronée des articles du Protocole fondant la compétence de la Cour, celle-ci rappelle qu’elle a déjà disposé de cette question (supra, para 33) et qu’elle n’a donc plus à y revenir.
49. S'agissant de l'argument selon lequel le requérant n'aurait pas cité les articles pertinents de l’Acte constitutif de l’Union africaine et de la Charte, la Cour réaffirme que cette circonstance ne la rend pas incompétente pour examiner une requête,8 pas plus qu’elle ne rend la requête irrecevable.
50. La Cour considère que ce qui est important pour qu’une requête soit compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte est que dans leur substance, les violations alléguées dans la requête soient susceptibles d’être examinées par référence à des dispositions
8 Voir supra, note 6.

636 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
de l’Acte constitutif et/ou de la Charte, et ne soient pas manifestement en dehors du champ d'application de ces deux instruments.
51. Or, il apparaît clairement en l'espèce que les violations ici alléguées, qui comme on l’a déjà souligné, sont toutes en rapport avec le droit à un procès équitable, rentrent dans le champ d’application de la Charte qui garantit ce droit dans son article 7, et de l’Acte constitutif qui, en ses articles 3(h) et 4(m), pose la promotion et la protection des droits de l'homme et le respect de ceux-ci comme objectif et principe fondamental de l'Organisation continentale.
52. Pour toutes ces raisons, la Cour rejette l'exception tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte.
C. Exception tirée du non- épuisement des voies de recours internes
53. Tout d’abord, dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur, après avoir réaffirmé le principe de l'épuisement des voies de recours internes en droit international, soutient qu’il était prématuré pour le requérant de soumettre la présente affaire à la présente Cour, vu qu'il y avait encore des voies de recours internes à sa disposition. Selon lui, après la décision de la Haute Cour de 1999, le requérant avait d’abord la possibilité d’instituer une plainte au sujet des violations alléguées de ses droits constitutionnels en se fondant sur la Loi n°9, chapitre 3, édition révisée de 2002, relative à la mise en œuvre des droits fondamentaux et des devoirs.
54. Au cours de l'audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a répété en substance, qu'alors que le requérant avait la possibilité de saisir la Haute Cour au sujet de la violation alléguée de ses droits fondamentaux tels que garantis par la Constitution, comme le lui permettent la Constitution et la loi, il a choisi de ne pas le faire, et n’a donc pas épuisé ce recours que lui offre le système juridique tanzanien. 55. Ensuite, dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur soutient qu’après la décision de la Cour d’appel de 2000 (sic) le requérant avait aussi la possibilité d'introduire une demande en révision de l’arrêt de cette Cour en vertu des dispositions du Règlement intérieur de ladite Cour. L'État défendeur conclut que le requérant n'ayant pas exercé ce la requête ne remplit les exigences de l’article 40(5) du recours, Règlement intérieur de la présente pas Cour et devrait donc être rejetée, les frais de procédure étant mis à la charge du requérant.
56. Au cours de l'audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a néanmoins reconnu que le requérant avait finalement introduit une requête en révision en 2013, qui soulevait des questions d'identification, et de crédibilité du témoin qui l’a identifié, questions qui, selon lui, n’ont jamais été examinées par les Cours inférieures puisqu'il a saisi à la fois la Cour d’appel et la présente Cour. Le représentant de l'Etat défendeur a en outre précisé que le recours en révision était à son avis un recours ordinaire, et que la Cour d’appel devrait pouvoir y faire suite dans un délai de vingt- quatre mois.

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57. Enfin, au cours de la même audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a répété que le requérant n’a pas exercé le recours devant la Haute Cour en matière constitutionnelle ; et que le recours en révision est toujours pendant devant la Cour d’appel. Il a ajouté que de tous les neuf griefs avancés par le requérant devant la présente Cour, seul le grief en rapport avec les questions d’identification avait été soulevé à l'échelle nationale. Il en conclut que l'Etat défendeur n’ayant jamais eu l’opportunité d'examiner les autres griefs, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, et sa requête doit être déclarée irrecevable.
58. Dans son Mémoire en réplique, le requérant répond que sa requête a été introduite après épuisement des voies de recours internes autant que faire se peut, étant donné que le seul recours qui lui restait se prolongeait de façon anormale en raison du fait que la Cour d’appel de Tanzanie a mis trop de temps à accepter sa requête en révision n° 11 de 2013.
59. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant a, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Commission, plaidé que les recours dont l'épuisement est exigée sont uniquement les recours judiciaires ordinaires, et pas les recours extraordinaires disponibles dans l’Etat défendeur.
60. Au cours de la même audience publique, le Conseil du requérant a indiqué à nouveau que ce dernier avait été condamné trois fois à tous les échelons de la hiérarchie judiciaire tanzanienne; qu'à sa connaissance il n’ y avait eu aucune requête en révision devant la Cour d'appel ; que quand bien même il y aurait une requête en révision ce serait toujours un recours extra- ordinaire et pas ordinaire ; que dans l’affaire 333 de 2006, Ak Cq Bf Bo A Xb et autres c. Tanzanie, l’Etat défendeur a reconnu que la Cour d'appel est la plus haute juridicton du pays; que s'agissant du recours constitutionnel, les articles pertinents de la Constitution [art. 30(3) et (5) ; art.12] montrent qu’il est laissé à la discrétion du juge ; que selon la jurisprudence internationale y compris celle du Comité des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes, les victimes ne doivent pas épuiser les voies de recours spéciales ou extraordinaires .
61. Au sujet de l’allégation de l'Etat défendeur selon laquelle la quasi- totalité des griefs aujourd’hui soumis à la Cour n’ont jamais été soumis aux juridictions nationales, le Conseil du requérant a répondu que tous les griefs ont été présentés devant les tribunaux nationaux, et s'appuyant sur les dossiers judiciaires et les jugements déposés par les Parties auprès de la Cour de céans, mentionne à titre d'exemples, les questions d'identification, des erreurs commises dans le cadre de l'invocation d’un alibi par le requérant, de l'absence de contre- interrogatoire du témoin, ou de conflit d'intérêts en ce qui concerne le Procureur.
62. En ce qui concerne les recours internes, la Cour note qu’il est constant que le requérant a fait appel de sa condamnation auprès de la Cour d’appel de Tanzanie qui est la plus haute instance judiciaire du

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pays, et que celle-ci a confirmé les jugements rendus par la Haute Cour et par le Tribunal de district en la présente affaire.
63. La principale question qui se pose ici est celle de savoir si les deux autres recours dont parle l’État défendeur, à savoir le recours constitutionnel devant la Haute Cour, et le recours en révision devant la Cour d'appel, sont des recours que le requérant devait épuiser, au sens de l’article 56(5) de la Charte que reprend en substance l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour.
64. Il est admis en droit international que les recours qui doivent être épuisés par les requérants sont des recours judiciaires ordinaires. C’est ce que la Cour a également rappelé notamment dans l'affaire Bh Bl c. République Unie de Tanzanie.
65. Dans la présente affaire, il importe donc de savoir si le recours en inconstitutionnalité et le recours en révision, tels qu’ils sont conçus dans le système juridique de l'Etat défendeur, sont des recours ordinaires ou des recours extraordinaires.
66. Dans le système juridique de l’État défendeur, il est généralement admis que les recours habituels sont, dans une affaire comme la présente espèce, l’appel devant la Haute Cour et l'appel devant la Cour d'appel, qui est l'instance judiciaire suprême du pays.
67. Les autres recours, comme le recours en inconstitutionnalité ou le recours en révision apparaissent comme des recours judiciaires exceptionnels, auxquels on ne songe pas normalement, et donc des recours extraordinaires.
68. S'agissant en particulier du recours en inconstitutionnalité, comme la Cour l’a observé dans l'affaire Bh Bl c. La République Unie de Tanzanie, après avoir examiné la nature de ce recours, il s'agissait là d’une mesure extraordinaire à laquelle le requérant n’était pas tenu
69. À cet égard, l’article 8(2) de la Loi tanzanienne sur la mise en œuvre des droits fondamentaux et des devoirs prévoit ce qui suit :
« La Haute Cour n’exerce pas sa compétence en vertu de cet article dès lors qu’elle est convaincue que les moyens de recours adéquats pour redresser la violation alléguée sont ou étaient disponibles dans le cadre de toute autre loi ou que la requête est simplement fantaisiste ou vexatoire ». 70. Ces dispositions démontrent que les recours en inconstitutionnalité pour faire reconnaître des violations des droits de l'homme ne sont examinés que lorsque d’autres voies de recours ne sont pas disponibles, et qu’il s'agit de recours extraordinaires.
71. En ce qui concerne la révision, l’article 66 du Règlement intérieur de la Cour d’appel de Tanzanie prévoit que c’est un recours qui est soumis à la Cour d'appel contre une décision qu’elle a elle- même rendue ; que le recours doit être examiné autant que possible par les mêmes Juges que ceux qui ont rendu le jugement faisant l’objet du
9 Arrêt du 20 novembre 2015, para 64. Voir aussi : Affaire Ck Bq Au et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie, arrêt du 18 mars 2016, para 95.
10 Arrêt du 20 novembre 2015, para 65. Voir aussi paras 60- 64.

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recours ; et que ce recours ne peut être exercé que dans des circonstances exceptionnelles. À cet égard, le paragraphe 1 de cet article dispose comme suit :
« La Cour peut réviser son propre arrêt ou sa décision, mais aucune demande de révision ne peut être reçue, sauf si :
a) La décision était fondée sur une erreur manifeste dans le dossier, qui a conduit à un déni de justice ; ou
b) L'une des parties a été privée par erreur de la possibilité d’être entendue ;
c) La décision de la Cour était frappée de nullité ; ou
d) La Cour n’était pas compétente pour connaître de l'affaire ; ou
e) Le jugement a été obtenu de manière illégale, par fraude ou parjure ». 72. |! ressort clairement de cette disposition que la révision est un recours qui n’est pas commun, qui n’est pas de droit, et qui ne peut être exercé qu’à titre exceptionnel et dans de conditions restrictives prévues par la même loi. On peut donc conclure avec certitude que le recours en révision est dans le système juridique tanzanien est un recours extraordinaire que les requérants ne sont pas obligés d’épuiser, avant de saisir la présente Cour. Comme la Cour l’a relevé dans l'affaire Bh Bl c. République-Unie de Tanzanie, « …une demande en révision est un recours extraordinaire étant donné que l’autorisation donnée par la Cour d’appel pour une révision de sa décision se fonde sur des moyens spécifiques et (..) elle n'est accordée qu’à la discrétion de la
73. || faut ajouter pour le surplus que dans la présente affaire, le requérant a tenté d'exercer ce recours, mais qu'aucune suite n’y a encore été donnée par la Cour d’appel.
74. En ce qui concerne l'argument de l'Etat défendeur, que le requérant conteste, selon lequel ce dernier n'aurait invoqué devant les juridictions nationales qu’un seul grief sur les neuf qu’il a soumis à la Cour de céans, il ressort des dossiers judiciaires déposés auprès de la Cour par les Parties que :
i) sur les neuf points relevés par le défendeur en réponse aux arguments avancés par le requérant, une question particulière, celle relative au fait que l’acte d'accusation serait défectueux, a été constamment soulevée en tant que point de droit et de moyen substantiel d’appel ; il) cinq autres questions ont été soulevées au passage et elles pourraient être déduites ou constituer la base des faits allégués par le requérant : il s’agit notamment de l’allégation selon laquelle il avait été détenu dans un poste de police sans aucun aménagement élémentaire ; que les articles 32(1), (2) et 33 de la loi portant Code de procédure pénale n'avaient pas été respectés ; que durant son séjour au poste de police, le requérant n’ était pas représenté par un conseil et qu’il n'a pas bénéficié du droit d'entrer en contact avec un avocat ou de faire enregistrer une déclaration ; qu’il n’a pas bénéficié du droit d’être représenté et défendu ; et qu’il a été victime de discrimination.
iil) trois questions n’avaient pas été examinées par les juridictions internes, à savoir que le jugement en première instance a été rendu en

640 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
violation de l’article 311 de la loi portant Code de procédure pénale ; que la sentence n’était pas appropriée ; et que la peine de 30 ans de réclusion qui lui a été infligée était excessive.
75. |! apparaît donc clairement que la plupart des griefs soumis à la présente Cour ont été soulevés devant les juridictions nationales tanzaniennes, d’une manière ou d’une autre.
76. Dans tous les cas, la Cour note que pour l'essentiel, tous ces griefs se rapportent en substance à un seul et même droit, à savoir le droit à un procès équitable, que le requérant n’a cessé de réclamer devant les juridictions nationales. Il en résulte que même si ces griefs n'avaient pas été soumis dans les détails aux juridictions nationales, l'Etat défendeur ne serait pas fondé à faire valoir que les voies de recours n’ont pas été épuisées à leur égard, ou à l'égard de certains d’entre eux, alors que le requérant a soumis la question de son droit à un procès équitable à ces juridictions nationales, droit qu’elles sont censées garantir proprio motu dans tous ses aspects, sans que le requérant ait à en spécifier les aspects concernés
77. || apparaît donc clairement que le requérant a épuisé toutes les voies de recours ordinaires qu’il devait épuiser. Pour cette raison, la Cour rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non- épuisement des voies de recours internes.
D. Exception tirée du non-respect d’un délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour
78. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur soutient que, dans le cas où la Cour estimerait que le requérant a épuisé les voies de recours internes, il n’a en revanche pas soumis sa requête à la présente Cour, dans un délai raisonnable depuis l'épuisement des voies de recours internes.
79. || ajoute que même si l’article 40(6) du Règlement de la Cour ne précise pas le délai raisonnable dont il s’agit, la jurisprudence internationale en matière de droits de l'homme a établi qu’une période de six mois est considérée comme un délai raisonnable.
80. L'État défendeur rappelle que la décision de la Cour d’appel de Tanzanie remonte au 5 octobre 2004, mais concède que la Tanzanie n’a déposé son instrument de ratification que le 10 février 2006 ; il estime donc que le délai qui s'est écoulé depuis cette date jusqu’à la saisine de la Cour le 08 octobre 2013 est de sept (7) ans et neuf (9) mois, et que c’est un délai de loin supérieur au délai de six mois considéré comme un délai raisonnable.
81. L’État défendeur ajoute que le fait que le requérant soit en prison ne l’'empêchait pas et ne l'empêche toujours pas d'accéder à la Cour africaine, comme il l’a d’ailleurs fait dans la présente procédure.
82. Au cours de l’audience publique, l’Etat défendeur réitère que la requête n’a pas été soumise à la Cour de céans dans un délai raisonnable, et précise que même si ce délai était calculé à partir de 2010 (année durant laquelle il a déposé la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant des individus et des organisations non- gouvernementales), il serait

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toujours de l’ordre de trois ans, bien loin du délai de référence de six mois.
83. Dans son Mémoire en réplique, le requérant répond qu'il a pris du temps avant de saisir la Cour parce qu’il était en prison depuis seize ans, et qu’il ignorait encore la procédure à suivre devant la Cour.
84. Au cours de l’audience publique, le Conseil du requérant a argué que le délai dans lequel celui-ci a saisi la Cour est de trois ans, étant donné que l’Etat défendeur n'a fait la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour que le 9 mars 2010. Il a plaidé que ce délai était raisonnable, compte tenu des circonstances particulières tenant à la situation du requérant, personne détenue, non instruite, indigente, profane, et qui ne bénéficiait pas de l'assistance d’un avocat.
85. Se référant notamment à la jurisprudence de la Cour dans les affaires Xd Cl Ae et Bf Bo Centre & Rev. Christopher As c. République- Unie de Tanzanie et Af Aa c. République- Unie de Tanzanie, le Conseil du requérant a expliqué qu’il n’y avait pas de délai fixe pour saisir la Cour, et que cette question devait être tranchée au cas par cas.
86. La Cour tient à préciser d'emblée qu’en effet, l’article 56.6 de la Charte ne fixe pas un délai quelconque endéans lequel la saisine de la Cour doit intervenir. L'article 40(6) du Règlement intérieur, qui en reprend la substance, parle juste d’un « délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ».
87. La question qui se pose ici est celle de savoir si le délai dans lequel le requérant a saisi la Cour est un délai raisonnable au sens de l’article 56.6 de la Charte. Pour traiter adéquatement cette question, il est nécessaire de déterminer au préalable la date à partir de laquelle ce délai doit être calculé et apprécié.
88. Alors que l’État défendeur soutient que ce délai devrait commencer à courir à partir de la date de dépôt de l’instrument de ratification du Protocole portant création de la présente Cour, à savoir le 10 février 2006 [supra, para 80], le requérant considère que ce délai ne commence à courir qu’à partir du 9 mars 2010, date à laquelle l'Etat défendeur a signé la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant de particuliers.
89. De l’avis de la Cour, il convient de prendre en compte non seulement la date à laquelle l'Etat défendeur est devenu partie au Protocole, mais également et surtout, s'agissant d’une requête émanant d’un individu, de la date à laquelle cet Etat a déposé la déclaration d'acceptation de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant de particuliers, au sens de l’article 34(6) dudit Protocole. Or, il ressort du dossier que la République Unie de Tanzanie a déposé cette déclaration en date du 29 mars 2010. Aux yeux de la Cour, c’est à partir de cette date qu’il faut compter le délai de saisine. ‘2
12 Voir la Cour de céans : Cy Ax et al c. Bd Bt, exceptions préliminaires, arrêt du 21 juin 2013, para 120 ; Bh Bl c. République-Unie de

642 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
90. Le requérant ayant déposé sa requête au Greffe de la Cour en date du 8 octobre 2013, le délai de saisine court du 29 mars 2010 à cette dernière date, soit 3 ans, 6 mois et 10 jours. La question qui se pose maintenant est celle de savoir si un tel délai est raisonnable.
91. Comme la Cour l'a indiqué dans une précédente affaire, « … le caractère raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire, et doit être apprécié au cas par cas ».'*
92. Dans la présente affaire, le fait que le requérant soit incarcéré ; le fait qu’il soit un indigent qui n’est pas été capable de se payer un avocat ; le fait qu’il n’ait pas eu l’assistance gratuite d’un avocat depuis juillet 1997 ; le fait qu’il soit illettré ; le fait qu’il a pu ignorer jusqu’à l'existence de la présente Cour en raison de sa mise en place relativement récente ; toutes ces circonstances justifient une certaine souplesse dans l'évaluation du caractère raisonnable du délai de saisine. 1
93. La Cour conclut en conséquence que le délai entre la date de sa saisine en la présente affaire, le 8 octobre 2013, et la date du dépôt par l’Etat défendeur de la déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes individuelles, le 29 mars 2010, est un délai raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte. Par conséquent, elle rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non-respect d’un délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour.
94. La Cour ayant ainsi examiné ci-dessus toutes les conditions de recevabilité de la requête selon les termes de l’article 56 de la Charte, conclut que la requête est recevable.
VIII. Le fond de l’affaire
A. L'’allégation selon laquelle, depuis son arrestation, le requérant était détenu à un poste de police, qui n’avait pas les facilités de base.
95. Dans sa requête, le requérant se plaint d’abord que depuis son arrestation le 10 avril 1997, il a été détenu jusqu'au 14 avril 1997 dans un poste de police qui n’avait pas de facilités de base pour accueillir les détenus.
96. Dans son Mémoire en réplique, il répète que les lieux de détention à la police n'étaient pas conformes aux normes, et que même
Tanzanie, arrêt du 20 novembre 2015, para 73.
13 Affaire Ax et al. c. Bd Bt, exceptions préliminaires, arrêt du 21 juin 2013, para. 121. Voir aussi, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la « Commission »: Bw Ah and Documentation Centre X Bg, Communication 310/05, para 75 : « La Commission africaine note que la Charte ne prévoit pas ce qui constitue « une période raisonnable de temps », ni ne définit un temps raisonnable. Pour ce motif, la Commission africaine devrait examiner chaque cas selon son fond ».
14 Dans ce sens : Affaire Ax et al. c. Bd Bt, exceptions préliminaires, arrêt du 21 juin 2013, para. 122.

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aujourd’hui, les conditions dans les postes de police ne sont pas propices pour les êtres humains.
97. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur répond que cette allégation n’est pas fondée ; que les facilités en matière de détention aux postes de police sont conformes aux standards réglementaires requis ; que le requérant doit apporter la preuve rigoureuse de son allégation ; et qu’en outre l'arrestation et la détention du requérant ont été faits conformément à la loi.
98. Au cours de l'audience publique, l'Etat défendeur a réitéré cette position, en expliquant en particulier que tous les commissariats de police ont les infrastructures nécessaires qui respectent les dispositions réglementaires notamment en qui concerne le nombre de prisonniers dans une cellule, les latrines, les toilettes, la propreté, et l'alimentation des prisonniers ; que les règlements interdisent le mauvais traitement des prisonniers, et autorisent ces derniers à se plaindre auprès de la personne qui s’occupe du commissariat de police, qui fera alors des enquêtes et prendra les mesures nécessaires ; et que c'est d’ailleurs la première fois que le requérant fait état de ce grief qu’il n’a jamais soulevé ni devant le commandant du Commissariat, ni devant les Tribunaux nationaux.
99. La Cour note que face à la contestation de l’allégation sous examen parl’ État défendeur, le requérant, à qui incombe la charge de la preuve, n’en a pas apporté la preuve. En conséquence, la Cour rejette cette allégation.
B. …L’allégation selon laquelle l’acte d’accusation contre le requérant était entaché d’irrégularités.
100. Dans sa requête, le requérant allègue que l'acte d’accusation était
101. Dans ses Observations écrites jointes à la requête, le requérant précise que sur l’acte d'accusation qui l’a mis en cause avant le procès, il est dit qu’il était le seul à avoir commis les vols à main armée, alors que les preuves indiquent qu’ils étaient plusieurs. Il soutient que conformément à la loi, l’acte d’accusation aurait dû être modifié en conséquence, ce qui n’a pas été fait.
102. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur conteste cette allégation et demande que le requérant en apporte la preuve rigoureuse. En ce qui concerne la différence entre le contenu de l’acte d'accusation, qui mentionne un seul inculpé, et la preuve devant le juge, qui indique qu’il y avait plusieurs voleurs, l’État défendeur répond que la loi prévoit la possibilité de modifier l’acte d’accusation seulement s’il y a eu déformation sur le fond ou sur la forme ; qu’en l'espèce le fait que les autres voleurs n’aient pas été mentionnés dans l'acte d'accusation n’a pas déformé la substance ou la forme de l'accusation ; et que si les autres voleurs avaient été arrêtés, l'accusation aurait été modifiée pour les inclure. L'État défendeur ajoute que si les autres personnes impliquées dans le vol à mains armées étaient arrêtées même aujourd’hui, elles pourraient encore être inculpées du crime étant donné qu’il n’y a pas de délai de prescription en matière

644 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
criminelle ; et qu’en réalité leur inclusion dans l’acte d'accusation aurait constitué une grande irrégularité, et aurait plutôt vicié l’acte d'accusation.
103. L'État défendeur conclut que cette allégation est fantaisiste et peu judicieuse et qu’elle devrait être rejetée.
104. Au cours de l'audience publique du 22 mai 2015, l'Etat défendeur a plaidé que le requérant n'a jamais fait état de ce grief devant les juridictions nationales ; et que dans tous les cas, une personne accusée peut être jugée seule, et ne doit pas être jugée nécessairement avec les co-accusés. Il a en outre expliqué qu'une seule personne a été jugée alors qu’il y avait d’autres personnes impliquées parce que le procès ne peut avoir lleu que lorsque quelqu'un a été arrêté et présenté devant le juge, et que lorsque la procédure concernant cette personne est avancée, les autres doivent éventuellement être jugées séparément.
105. La Cour considère que le simple fait que le requérant ait été inculpé seul, alors que les témoignages recueillis faisaient état de plusieurs voleurs, n’a pas nécessairement porté atteinte à son droit à un procès équitable au sens de l’article 7 de la Charte. En effet, en matière pénale, la responsabilité est personnelle, et le fait que les autres personnes éventuellement impliquées dans le vol n'aient pas été retrouvées et inculpées n’a rien changé sur sa propre responsabilité éventuelle. Comme le précise l’article 7(2) de la Charte, « … [Ja peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ». En réalité, le fait qu’il n’ait pas été fait mention de l'implication de ces autres personnes, même non identifiées, est un point qui n'aurait pas eu d’incidence sur la question centrale de la responsabilité éventuelle du requérant et de la peine encourue.
106. Pour ces raisons, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas eu, à cet égard, violation du droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 7 de la Charte.
C. … L'’allégation selon laquelle le Procureur était dans une situation de conflit d’intérêts
107. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant a plaidé que ce dernier avait été reconnu coupable « dans le cadre d’une poursuite et d’un procureur qui avait des problèmes de conflits d'intérêt »; que le requérant a constamment déclaré aux juridictions nationales qu’il avait été porté à sa connaissance que le Procureur devant le juge de première instance était lié à la plaignante, mais que cette allégation de conflit d'intérêts n'a jamais fait l'objet d'investigations, alors que cela aurait pu conduire à la désignation d’un autre procureur ; et que le requérant a soulevé la question des relations entre le Procureur et la plaignante, dès le 12 août 1997.
108. Au cours de cette même audience, le représentant de l'Etat défendeur a expliqué, en se référant au dossier des procédures devant les juridictions nationales, que le requérant s’est plaint à cet égard sur la base d’ouï-dire en rapportant qu’on lui a dit que le Procureur avait des relations avec la plaignante ; que le tribunal a cherché à en savoir

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plus ; que le Procureur a déclaré que ces allégations n’étaient pas vraies et n’avaient aucun fondement ; que sur la base de cette réfutation, le tribunal était satisfait et estima approprié de poursuivre l'examen de l'affaire ; et que de toute façon le requérant avait la possibilité de porter plainte devant le Directeur des poursuites publiques qui aurait pu changer de Procureur dans l'intérêt de la justice, ce que le requérant n’a pas fait en l'espèce.
109. La Cour note qu’il ressort du dossier des procédures judiciaires internes qu’en effet le requérant avait demandé que l’on change de procureur pour des raisons de conflit d'intérêts allégué ; que le Procureur a contesté cette allégation ; mais que le tribunal n’a finalement pas pris de décision explicite sur ce point, et a simplement
110. La Cour note qu’un possible conflit d’intérêts dans le chef du Procureur en raison de ses relations présumées avec la plaignante est une question importante dans tout procès, et spécialement dans un procès pénal, dans la mesure où elle touche au principe même de l'impartialité des institutions judiciaires, y compris les institutions chargées des poursuites, impartialité qui constitue un des piliers d’un procès équitable.
111. Par voie de conséquence, la Cour estime que dans la présente espèce, le juge national aurait dû, avant de poursuivre l'examen de l'affaire, pousser plus avant les investigations sur la question du conflit d'intérêts, en demandant au requérant d’étayer ses allégations et d’en apporter la preuve ; et prendre une décision formelle sur cette question. Le juge n’ayant fait ni l’un ni l’autre, et ayant choisi de poursuivre simplement l'examen de l'affaire, la Cour en conclut que l'Etat défendeur a violé le droit du requérant à un procès équitable au sens de l’article 7 de la Charte. Comme le dit la maxime, « non seulement la justice doit être faite, mais elle doit être également perçue comme ayant été faite ».!°
D. L’allégation selon laquelle, au moment de son arrestation et de sa détention au commissariat de police, le requérant n’avait pas eu le droit de se défendre lui-même et d’accéder à un avocat
112. Dans sa requête, le requérant se plaint de ce que, à son arrestation, il n’a pas eu le droit de s'exprimer lui-même ; de faire une déclaration écrite à la police ; d'appeler un avocat et d’être assisté par lui ; et que l'absence d’un avocat a conduit à une injustice, et qu'ainsi ses droits constitutionnels lui ont été déniés.
113. Dans son Mémoire en réplique, le requérant précise à cet égard que durant sa détention au poste de police, ses droits fondamentaux
15 Rc. Sussex Justices, Ex parte McCarthy [1924] 1 KB 256, [1923] AIl ER Rep ; The Cp Ay Y Xe Bc 2002, Value 3.2 ; Cw Xl Office of the High Commissioner on Bf Bo An on the Role of Prosecutors 1990 Guideline 12 ; International Association of Prosecutors Bs Y Cd Aj and Statement of the Ca Bj and Rights of Prosecutors, Standards 1999 1 and 4(3).

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ne lui ont pas été lus et n’ont pas été portés à sa connaissance, ceci en violation de la loi.
114. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur conteste l’allégation selon laquelle le requérant n'aurait pas été informé de ses droits. || affirme qu’en particulier il a été informé de son droit de garder le silence et de son droit de communiquer avec un avocat, un parent ou un ami, en conformité avec l’article 53 du Code de procédure pénale. L'Etat défendeur ajoute que le requérant doit apporter la preuve rigoureuse de ses allégations.
115. Au cours de l'audience publique, l'Etat défendeur a expliqué en outre que le requérant n'avait pas été condamné sur la base d’une quelconque déclaration qu’il a faite au niveau du commissariat de police, mais sur la déposition d’un témoin, et qu’il faudrait donc que sa requête soit rejetée car non justifiée.
116. La Cour rappelle que selon l’article 7 de la Charte : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : (.….) c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».
117. La Cour observe en l'occurrence que l’État défendeur rejette l’allégation selon laquelle le requérant n’aurait pas été informé de ses droits constitutionnels, mais pas clairement celle selon laquelle il n’aurait pas eu le droit de s'expliquer et de faire une déclaration écrite à la police.
118. En ce qui concerne la question d’une possible déposition du requérant devant la police au moment de son arrestation, le dossier de l’affaire devant les juridictions nationales, tel que soumis à la Cour par les Parties, révèle qu’au cours de sa plaidoirie en défense devant le juge de première instance, le requérant s'est plaint, entre autres, de ce que la police ne l’a pas informée des raisons de sa détention, de l'infraction qui lui était reprochée, et de ce qu’elle n’a pas enregistré sa déclaration. De fait, le dossier ne contient aucune trace d’une telle déposition. Dans ces conditions, la Cour ne peut que présumer que le droit du requérant à se défendre lui-même en soumettant une déclaration écrite à la police n’a pas été respecté par l'Etat défendeur. 119. S'agissant de l’allégation selon laquelle le requérant n’aurait pas été informé de ses droits constitutionnels au moment de son arrestation, le dossier de l'affaire devant les juridictions nationales ne montre aucune trace d’un rapport de la police faisant état d’une telle information. Par voie de conséquence, la Cour estime que le droit du requérant à être informé de ses droits constitutionnels n’a pas été respecté par l’État défendeur.
120. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le requérant n'aurait pas eu la possibilité d’accéder à un avocat dès son arrestation, le dossier révèle que le requérant s’est représenté lui-même devant le juge le 14 avril, le 24 avril, le 13 mai, et le 26 mai 1997, et que l'avocat Njau est intervenu pour la première fois le 9 juin 1997, soit environ deux mois après l'arrestation.
121. En principe, comme la Commission l’a relevé dans l'affaire Abde/ Hadi, Ali Radi et alt. c. République du Soudan, le fait de ne pas avoir

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accès à un avocat pendant une longue période depuis l’arrestation, affecte la capacité des victimes de se défendre de façon appropriée, et constitue une violation de l’article 7(1)(c) de la Charte. ‘°
122. Dans les circonstances de la présente affaire où le dossier judiciaire au niveau national ne contient aucune mention que le requérant a été informé de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès son arrestation, la Cour considère que le droit du requérant d'accéder aux services d’un avocat dès ce moment a été violé par l'Etat défendeur.
E. … Allégation selon laquelle, au cours de la procédure, le requérant n’a pas eu droit à l’assistance judiciaire gratuite
123. Dans sa requête, le requérant allègue en outre que durant les procès en première instance et en appel, il n’était pas assisté par un conseil ; qu’il a essayé de prouver lui-même son innocence sans succès ; et que tout ceci lui a causé un dommage, en violation notamment de l’article 13 de la Constitution tanzanienne pour ce qui est du droit à un traitement égal pour tous.
124. Dans ses Observations écrites jointes à la requête, le requérant invoque la loi portant Code de procédure pénale tanzanien en ce qui concerne le droit d’être défendu par un avocat en matière criminelle et le droit à une assistance judiciaire, et soutient que s’il avait pu être dûment représenté, le sort qui est aujourd’hui le sien ne devrait pas être en train de hanter sa vie.
125. || réitère que le droit d’être représenté et défendu tel que prévu par l’article 310 de la Loi portant Code de procédure pénale ne lui a pas été accordé. Il précise que le fait qu’il ait été initialement défendu par l'avocat Njau ne signifie pas qu’il n’a pas été désavantagé : celui-ci l’a représenté comme parent, mais quand il a eu davantage de clients, il a décidé de l’abandonner étant donné qu'il le représentait gratuitement. 126. Au cours de l’audience publique, le Conseil du requérant a plaidé qu’à partir du 12 octobre 1997, celui-ci n’avait plus d'avocat pour le défendre, et que malgré l’existence d’une loi sur l’aide juridictionnelle, il a dû se défendre tout seul aussi bien au niveau des juridictions inférieures qu’au niveau de la Cour d’appel. Il a ajouté qu'aucune tentative n’a été faite par les autorités judiciaires pour lui octroyer une assistance ou une représentation judiciaires alors qu’elles en ont le pouvoir, alors que selon les Principes et les Directives de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur le droit à un procès équitable et l'assistance judiciaire en Afrique, ‘7 l'État a l’obligation d’accorder une aide juridictionnelle à l’accusé, s’il n’a pas les moyens de se payer un avocat, ou lorsque les intérêts ‘de la justice l’exigent, circonstance qui doit être appréciée en fonction de la gravité de l'infraction et de la sévérité de la peine encourue. Il a en outre invoqué la Déclaration de Lilongwe sur l’accès à l'assistance juridique
16 Communication 368/09, décision de novembre 2013, para 90. Voir dans ce sens : CEDH : Affaire A.T c. Luxembourg, arrêt du 9 avril 2015, paras 63- 65.
17 Voir infra, note 17.

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dans le système pénal africain, et plaidé que pour prendre les mesures nécessaires au respect du droit à un procès équitable conformément à l’article 1° de la Charte, l'Etat doit s'inspirer des principes portés par cette Déclaration.
127. Au cours de la même audience, le Conseil du requérant a indiqué que celui-c avait demandé à bénéficier d’une assistance judiciaire, mais qu'il lui avait été répondu que cette aide n’était octroyée qu’en cas d'homicide ; que dans ces conditions, l'Etat défendeur a violé notamment l’article 7 de la Charte et l’article 14 du Pacte qui portent sur le droit à un procès équitable, incluant le droit à l’assistance judiciaire. 128. Dans son Mémoire en réponse, l'Etat défendeur rétorque qu’il accorde une représentation légale gratuite pour tous les accusés susceptibles d’être condamnés à la peine capitale ; qu’en dehors de cette hypothèse, l’octroi d’une assistance judiciaire n’est pas obligatoire, mais qu’il est soumis à la condition de l’indigence de l’accusé, ou de l'intérêt de la justice.
129. Revenant aux circonstances particulières de l'affaire, l’État défendeur indique que d’après le dossier judiciaire devant le Tribunal de district de Moshi, le requérant était représenté par un avocat nommé Mr Njau, et que si par la suite cet avocat ne s’est plus occupé de l'affaire, ce n’était pas pour des raisons financières, mais parce que le requérant croyait que son avocat voulait « régler (sic) l'affaire ».
130. L'État défendeur ajoute que le fait que le requérant n’était pas représenté par un avocat ne signifie nullement qu’il était en position défavorable, puisque le Code de procédure pénale lui permet de comparaître en personne lors de l'administration des preuves, et lui reconnaît le droit d’être informé des droits qui sont les siens en tant qu’accusé, afin qu’il puisse se défendre. À cet égard, l'Etat défendeur conclut que ce sont là des mesures procédurales accordées à la personne accusée pour lui permettre de se défendre lui- même, et qu’elles ont toutes été appliquées au cas du requérant, sans exception. 131. L'État défendeur fait remarquer en outre que le droit de se défendre n’est pas restreint lorsque, comme c'était le cas en l'espèce, l’accusé doit rester en détention au cours de son procès parce qu’en raison de la nature du crime concerné, sa mise en liberté n’est pas autorisée par la loi. I! conclut en demandant à la Cour de ne pas tenir compte de cette allégation qui est totalement sans base et sans aucun fondement.
132. Au cours de l'audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a expliqué par ailleurs que le requérant n’a jamais demandé l'assistance d’un Conseil et n’a jamais soulevé cette question devant les juridictions nationales.
133. Au cours de cette même audience, il a précisé que l'assistance judicaire était liée à la disponibilité des ressources financières et à la capacité de l’État défendeur de la fournir; et que « l'assistance judiciaire n'étant fournie que dans les cas d’homicide, l'Etat défendeur ne peut donc pas fournir l'assistance juridique à tous ceux qui le demandent car tout ceci dépend de ces capacités financières à le faire ».

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134. || a, à plusieurs reprises répété que le requérant n’a jamais attiré l'attention du juge sur son besoin d’aide judiciaire ; qu’au début de la procédure, le requérant a dit qu’il avait les moyens de se payer un avocat, et que par la suite il n’a jamais indiqué au juge les raisons pour lesquelles il s'était séparé de son avocat ; et que même lorsque la peine encourue est l’emprisonnement à perpétuité, l'assistance judiciaire n’est pas automatique et doit être demandée.
135. La question qui se pose ici est celle de savoir si après le départ de l'avocat Njau, l’État avait ou non l'obligation de fournir au requérant au titre de l'assistance légale gratuite, les services d’un avocat.
136. La Cour observe qu’aux termes des articles 3 et 7 du Protocole, elle applique la Charte et les autres instruments des droits de l'homme pertinents ratifiés par l’État défendeur, et pas les lois nationales de l'État défendeur. Il en résulte que la Cour n’est pas liée par les lois nationales des États, puisque aussi bien celles-ci elles-mêmes constituer des violations de la Charte ou de ces peuvent autres instruments, lorsqu’elles ne sont pas compatibles avec eux, ou ne répondent pas aux standards qui résultent de leur interprétation.
137. La Cour observe à cet égard que l’article 7 de la Charte ne traite pas spécifiquement de la question de l'octroi d’une assistance légale gratuite. Par contre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit explicitement à son article l’article 14(3)(d) que « [toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : (.…) d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer » (italique ajouté).
138. La Cour estime que l’article 7 de la Charte lu conjointement avec l’article 14 du Pacte, garantit le droit de toute personne accusée d’une infraction pénale, chaque fois que l’intérêt de la justice l'exige, de se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer.
139. Par ailleurs, la Cour est d'avis qu’une personne indigente poursuivie en matière pénale a spécialement droit à l'assistance judiciaire gratuite lorsque l'infraction concernée est grave, et que la peine prévue par la loi est sévère. Comme la Cour l’a observé dans l'affaire Bh Bl c. République-Unie de Tanzanie, l’Etat défendeur « avait l’obligation de fournir une assistance judiciaire au requérant, compte tenu de la gravité des charges retenues contre celui-ci et de la peine potentielle qu’il encourait s’il était déclaré coupable ». ‘8
140. Dans la présente affaire, il est question de savoir si le fait pour l’État défendeur, à travers ses lois et les décisions judiciaires applicables, de ne pas avoir octroyé d’office et obligatoirement une assistance légale à une personne passible d’une peine de prison de
18 Affaire Bh Bl c. République-Unie de Tanzanie, arrêt du 20 novembre 2015, paras 115, 123 et 124.

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trente ans est conforme à l’article 7 de la Charte et à l’article 14 du Pacte, ainsi qu'aux autres standards internationaux pertinents.
141. La Cour observe à cet égard que les articles 7 de la Charte et 14(3)(d) du Pacte n’établissent pas de distinction entre les différentes catégories d’infractions pénales en fonction de la peine applicable, ou suivant qu’il s’agit de la peine capitale ou de la peine
142. La Cour constate qu’une peine de trente ans de prison est en elle- même sévère, même si elle est moins lourde que la peine de mort ou une peine d’emprisonnement à vie.
143. La Cour note également que rien dans le dossier n'indique que le requérant avait des sources de revenus réguliers, et qu’étant incarcéré, il ne pouvait plus en avoir, toutes raisons pour lesquelles la Cour lui a assigné, à sa demande, un avocat dans la présente affaire.
144. La Cour note enfin que l'Etat défendeur n'a pas démontré à suffisance de droit qu’il n'avait absolument pas la capacité financière d'octroyer l'assistance gratuite d’un avocat aux personnes indigentes, auteurs de crimes graves, et passibles de peines sévères, comme une peine de trente ans de prison.
145. Pour ces raisons, la Cour estime, dans la présente affaire, que l’État défendeur se devait d'offrir au requérant, d'office et gratuitement, les services d’un avocat tout au long de la procédure judiciaire interne. Ne l’ayant pas fait, l’État défendeur a violé l’article 7 de la Charte et l’article 14 du Pacte.
F. Allégation selon laquelle le requérant aurait été traité de manière discriminatoire en matière d’assistance judiciaire
146. Dans ses Observations écrites jointes à la requête, le requérant allègue que du fait qu’il n’a pas bénéficié d'assistance judiciaire gratuite, il a été discriminé, spécialement en raison de son état de pauvreté, en violation de l’article 13 de la Constitution tanzanienne.
147. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant a invoqué les Directives et Principes de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur le droit à un procès équitable et l'assistance judiciaire en Afrique, en particulier le principe (f) sur le rôle des Procureurs qui devraient travailler en toute impartialité et éviter toute discrimination fondée sur des critères d’ordre politique, social, racial, ethnique, religieux, culturel, sexuel, du genre ou de toute sorte, et qui devraient protéger l'intérêt public et agir en toute objectivité en tenant dûment compte aussi bien de la position du suspect que de la victime.
148. Au cours de cette même audience publique, le Conseil du requérant a également invoqué l’article 3 de la Charte qui garantit le droit à l’égalité de tous devant la loi.
149. Dans son Mémoire en réponse, l’Etat défendeur réfute cette allégation de discrimination et demande que le requérant apporte la

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preuve rigoureuse de cette allégation ; il affirme que le requérant n’a jamais été discriminé.
150. L'État défendeur répète en outre que le requérant n’a pas été discriminé en raison du fait qu’il ne disposait pas de moyens de payer un avocat, car le fait de ne pas avoir un avocat ne le désavantageait pas, étant donné que le Code de procédure pénale lui permettait de comprendre les charges portées contre lui et de se défendre lui-même. L'État défendeur conclut que cette allégation est sans fondement, et devrait être rejetée.
151. Au cours de l’audience publique, l'Etat défendeur a réitéré sa position et fait valoir que « le requérant n’a pas démontré en quoi il y a eu discrimination et ne dit pas ce qu’il appelle traitement préférentiel des autres accusés qui étaient dans la même situation que lui ».
152. La Cour rappelle que droit à l'égalité et à la non-discrimination est garanti par l’article 3 de la Charte qui dispose : « 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi ; 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
153. La Cour considère qu’il appartient à la partie qui allègue avoir été victime d’un traitement discriminatoire d’en apporter la preuve. 12
154. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant n’a pas montré en quoi il aurait été discriminé dans la manière dont la loi tanzanienne sur l'assistance légale lui a été appliquée. En particulier, il n’a pas montré que la loi ait été appliquée différemment à d’autres personnes se trouvant dans la même situation que lui. Par conséquent, la Cour rejette cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 3 précité de la Charte.
G. Allégation selon laquelle le requérant n’a pas reçu promptement communication de l’acte d’accusation et des déclarations des témoins pour pouvoir se défendre
155. Au cours de l'audience publique le Conseil du requérant a allégué que celui-ci a demandé à plusieurs reprises, copies des actes d'accusation et des déclarations de témoins, pour être en mesure de se défendre, mais sans succès ; que sa première demande a été faite le 26 mai 1997, mais qu’il a fallu attendre cinquante jours pour qu’il reçoive uniquement la déclaration d’un seul témoin ; que cinq mois plus tard, le Procureur a admis ne pas avoir pu apporter les déclarations d’autres témoins à cause d’une rupture de stock de matériel de bureau ; que le 17 octobre 1997, le requérant a rappelé au tribunal qu’il n’avait reçu qu’une seule déclaration de témoin, mais que là, le procureur a nié et déclaré qu'il avait fourni tous les documents ; et que malgré cette situation, le tribunal a décidé de poursuivre l'examen de l'affaire sans aucune investigation sur ces défaillances.
156. Au cours de la même audience publique, l'Etat défendeur a expliqué, en se basant sur le dossier des procédures judiciaires
19 Voir dans ce sens : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie : Affaire Celebici, arrêt en appel du 20 février 2001, para 607.

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internes, que le jour de l'audience, le Procureur avait deux témoins qui étaient prêts à témoigner ; que le requérant a dit qu’il avait l’acte d’accusation et les déclarations des témoins, mais a demandé une suspension d'audience parce qu’il souffrait d’hypertension et de maux de tête ; mais qu’en réalité, le requérant était en train de retarder le traitement de l'affaire parce qu’il avait peur de l'issue du procès.
157. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 7(1)(c) toute personne a droit de se défendre, et que selon l’article 14. 3 du Pacte, toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, notamment « a) [à] être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle ; [et] b) [à] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense… ».
158. La Cour considère que le droit pour l’accusé d’être complètement informé des charges portées à son encontre est un corollaire de son droit à la défense, et au-delà, un élément essentiel de son droit à un
159. La Cour relève que dans la présente affaire, l'examen du dossier des procédures judiciaires internes révèle qu’en date du 26 mai 1997, l'accusé a demandé au tribunal de lui communiquer les déclarations des témoins et l'acte d'accusation, et que le 4 juillet 1997, le Procureur a informé le tribunal que les déclarations des témoins n’étaient pas disponibles en raison du manque de papier. Le dossier montre encore qu’en date du 14 juillet 1997, le Procureur a remis à l'accusé une déclaration d’un témoin et que le 9 septembre 1997, le Procureur a de nouveau informé le tribunal qu’il n'avait pas été en mesure d'apporter à l’accusé les déclarations des témoins en raison du manque de matériel de bureau. Le dossier révèle en outre qu’en date du 17 octobre 1997, l'accusé a demandé à nouveau au tribunal que l’acte d'accusation et les déclarations restantes de témoins lui soient communiqués, mais que le Procureur s'opposa à cette requête en arguant qu’il avait déjà remis les déclarations des témoins à l'avocat de l'accusé, et que le tribunal ordonna alors que comme l'accusé avait reçu deux déclarations de témoins, l'affaire pouvait se poursuivre sans délai.
160. |! ressort ainsi du dossier que l’acte d’accusation et les déclarations des témoins n’ont pas été communiqués promptement par le procureur ; que certaines pièces de l'accusation n’ont pas été communiquées au requérant pour des motifs aussi légers que le manque de papier ; que celles qui lui ont été communiquées l’ont été avec un retard notable ; que le tribunal a décidé de poursuivre la procédure alors que le requérant n’était pas personnellement en possession de toutes les pièces supportant l'accusation portée contre lui ; que dans toutes ces circonstances, il est clair que le requérant n’a pas été placé dans des conditions favorables pour procéder lui-même à sa propre défense.
20 Voir dans ce sens : CEDH : Affaire Pélissier et Xj c. France, arrêt du 25 mars 1999, paras 52 ; Ab et Bx AI Cn, arrêt du 23 juin 2015, para 37 ; Cour interaméricaine des droits de l'homme : Affaire Cx Bp c. Haiti (fond, réparations et frais), arrêt du 6 mai 2008, paras 102-109.

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161. La Cour en conclut que les autorités judiciaires n'ayant pas agi avec la diligence due pour communiquer en temps voulu au requérant toutes les pièces de l'accusation, l'Etat défendeur a violé son droit à la défense, tel que garanti par les articles 7(1)(c) de la Charte et 14(3)(a) et (b) du Pacte.
H. _ L’allégation selon laquelle l’accusation était basée sur le témoignage d’un seul témoin qui en outre aurait fait des déclarations contradictoires
162. Dans sa requête, le requérant allègue que son identification a été basée sur le témoignage d’une seule personne, et que la condamnation et la peine ont été basées sur un élément de preuve unique qui était faible, ténu, non crédible, et non corroboré.
163. Dans ses Observations écrites jointes à la requête, le requérant explique en détail en quoi le témoin Bg Ar Bi n’est pas crédible. || donne des extraits de témoignages de cette personne dont il trouve qu’ils sont contradictoires, et considère qu’elle a menti dans la mesure où elle n’a jamais connu l'endroit où se trouvait la résidence du requérant avant qu’un visiteur qui est allé lui exprimer sa sympathie ne le lui dise. I! rappelle que selon la jurisprudence tanzanienne, un seul témoignage au cours de l'identification d’un suspect est valable seulement si la Cour est pleinement convaincue que le témoin dit la vérité ; mais qu’en l'espèce cette pré condition n’était pas remplie. Il demande à la présente Cour de revisiter les témoignages utilises comme preuves par les juridictions tanzaniennes.
164. Dans son Mémoire en réplique, et concernant toujours le fait que la condamnation a été basée sur le témoignage contradictoire d’une seule personne, le requérant répète que cela constitue une irrégularité ; et qu’il aurait fallu, en conformité avec la jurisprudence tanzanienne, vérifier scrupuleusement si le témoin unique disait la vérité.
165. Au cours de l’audience publique, le Conseil du requérant a expliqué, en se basant sur la teneur des jugements rendus par les juridictions nationales, que le jour du vol, le 5 avril 1997, toutes les personnes qui se sont rendues au commissariat de police, y compris la plaignante qui était le témoin no 1 de l'accusation, ont dit qu’elles ne pouvaient pas identifier les voleurs dans la mesure où les faits se sont déroulés le soir, les conditions n'étant pas favorables ; mais que plusieurs jours après et à l'audience, la même plaignante a dit qu’elle seule avait pu identifier le requérant et que les autres témoins ne pouvaient pas identifier les voleurs. Il a ajouté qu’ il y avait un certain nombre d’autres incohérences dans ses déclarations écrites et dans sa déposition devant le tribunal, et qu’en particulier elle a dit lors de l’interrogatoire devant les juridictions inferieures qu’elle s'était rendue le jour même du vol (5 avril 1997) au domicile du requérant, prétextant aller acheter du lait, pour pouvoir l'identifier, et que c'est après l'avoir identifié qu’elle s'était rendue au commissariat de police, alors qu’au cours du contre-interrogatoire elle a modifié sa déclaration en disant qu’elle s'était rendue en fait au domicile du requérant le 9 avril 1997, ce qui a conduit à son arrestation le 10 avril 1997. Le Conseil du requérant

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a encore précisé que lors de sa déposition, le même témoin a dit également qu’après le jour du vol, elle s’est absentée pendant cinq jours, sans expliquer comment, si elle s'est déplacée, elle pouvait être là le 5 ou le 9 avril 1997, et qu’elle se contredit encore dans sa première déclaration en swahili en disant d’une part, que le requérant était parmi les voleurs au moment même du vol, et d’autre part que non, il a plutôt été récupéré en cours de route au moment où le véhicule dans lequel elle se trouvait avec certains voleurs se rendait d’un point À à un point B.
166. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour d'appel de Tanzanie selon laquelle en cas de témoignage unique sur l'identification d’un accusé faite dans des conditions défavorables, une corroboration est requise, sauf si le juge est pleinement convaincu que le témoin dit la vérité, le Conseil du requérant conclut qu’ « à la lumière des différentes incohérences matérielles, la Cour ne pouvait pas être convaincue que le témoin pouvait identifier la personne accusée avec ces personnes qui ont fait le vol dans ces conditions défavorables ».
167. Au cours de la même audience et concernant l'identification du requérant, son Conseil a souligné qu’il n’y avait même pas eu de
168. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur réfute l’allégation selon laquelle le témoin unique ne disait pas la vérité, et demande que le requérant en apporte une preuve rigoureuse ; il précise que la Loi sur le droit de la preuve n’exige pas un nombre déterminé de témoins pour prouver un fait quelconque.
169. Il demande en outre à la Cour de céans d'appliquer la doctrine de la marge d'appréciation, étant donné que la jurisprudence de l’État défendeur est qu’une condamnation peut être basée sur le témoignage d'une seule personne, pourvu que le juge du fond estime qu'il est convaincu que le témoin dit la vérité.?
170. L'Etat défendeur conclut en affirmant que l’argument du requérant selon lequel sa condamnation basée sur une identification par un seul témoin est irrégulière n’est pas fondé, puisque la plus haute Cour du pays a estimé qu’une condamnation basée sur un seul témoin est autorisée aussi longtemps que le juge du fond est convaincu de la crédibilité du témoin et des circonstances de l'identification de la personne accusée ; et que par voie de conséquence, les allégations du requérant ne sont pas fondées et devraient être rejetées à ses dépens. 171. Au cours de l'audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a réitéré cette position.
172. Enfin, en ce qui concerne l’identification du requérant, le représentant de l'Etat défendeur a expliqué que selon le droit tanzanien, « lorsqu'une personne connaît l’auteur des faits, il n’est pas nécessaire d’avoir une séance d'identification, et c’est ce qui s'est passé dans cette affaire bien spécifique ».
21 L'État défendeur cite l'affaire At Xa Bm et alt c. République (1992) TLR, 100, et l'affaire Cb Cz c. République (1980) TLR, 250.

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173. La Cour rappelle que même si elle n’a pas le pouvoir de réévaluer les preuves sur lesquelles la condamnation par le juge national a été basée, elle garde le pouvoir d’apprécier si de manière générale, la façon dont le juge national les a évaluées demeure en conformité avec les dispositions pertinentes des instruments internationaux des droits de l’homme applicables (supra, para 26).
174. Dans cette perspective, la Cour observe d’abord qu’un procès équitable requiert que la condamnation d’une personne à une sanction pénale et particulièrement à une lourde peine de prison, soit fondée sur des preuves solides. C’est tout le sens du droit à la présomption d’innocence consacré également par l’article 7 de la Charte.
175. La Cour constate que même dans la jurisprudence tanzanienne, la condamnation pénale sur la base d’un seul témoignage est soumise à des conditions strictes, et apparaît comme une situation qui ne
se présenter qu’à titre exceptionnel. Comme cela a été relevé par devrait l’État défendeur lui-même, dans l'affaire Cb Cz c. République Unie de Tanzanie, la Cour d'appel a déclaré qu’ « aucun juge ne doit se fonder sur une identification visuelle à moins que tout risque d'erreur sur la personne n'ait été écarté et que le juge soit convaincu de l’irréfutabilité absolue de ce témoignage. ».”? Le libellé de ce dictum montre clairement que le juge ne devrait en principe pas condamner sur la base d’un seul témoignage, et qu’il ne peut exceptionnellement le faire que si toutes les possibilités d’une erreur sur l’identité sont éliminées et que si ce témoignage est absolument inattaquable.
176. Dans la présente affaire, la Cour observe que le dossier des procédures judiciaires internes montre que la plaignante, témoin no 1 de l'accusation et seul témoin qui déclare avoir reconnu le requérant, dit successivement qu’elle a identifié le requérant parce qu'il était assis à côté d’elle sur le siège arrière de la voiture ; qu’elle connaissait le domicile du requérant avant les faits, mais que certaines personnes l’avaient orientée vers ce domicile ; qu’elle avait identifié le visage et la voix du requérant et qu’elle s'était rendue à son domicile le 5 avril 1997, jour même des faits en prétendant aller acheter du lait, et que la police l’a arrêté le jour suivant ; qu’après l'incident, elle avait voyagé pour cinq jours et est revenue le 9 avril 1997, et qu’elle n’était pas pressée de faire arrêter le requérant.
177. Le dossier montre par ailleurs que la date figurant à la dernière page de la déclaration écrite de la plaignante est le 11 avril 1997, alors que la première page indique d’autres dates qui ne sont pas claires.
178. || ressort en outre du même dossier que le mari de la plaignante, témoin n°2 de l'accusation, déclare que l'incident a été rapporté à la police le soir même du crime ; que la plaignante ne savait pas où le requérant habitait avant l'incident ; qu’elle lui a dit que le requérant était entré dans la voiture plus tard avec une arme à feu et une lance, et pas dès le début de l'incident.
179. Le dossier montre enfin que trois témoins de l'accusation, dont le mari de la plaignante, déclarent n’avoir pas été en mesure de
22 Voir supra, note 21 [20].

656 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
reconnaître les auteurs du vol parce qu'il faisait nuit ; et que le vol est intervenu le 5 avril 1997 à 21h45.
180. La lecture de l’ensemble du dossier et spécialement des déclarations de la plaignante, du témoin n°1 de l'accusation révèle qu’il subsiste des incertitudes au moins sur les points suivants : le moment auquel le requérant serait intervenu au cours de l'incident ; le fait que la plaignante connaissait le domicile du requérant avant l'incident ; le jour auquel la plaignante s’est rendue au domicile de l'incident ; la date à laquelle l'incident a été rapporté à la police ; le jour auquel le requérant a été arrêté.
181. Dans ces conditions, il est difficile de dire que toutes les possibilités d'erreur notamment sur l’identité de l’auteur de l'infraction ont été éliminées, puisque les déclarations du témoin sont soit, contradictoires soit, à tout le moins émaillées d’inconsistances, et sont loin de constituer un témoignage irréfutable.
182. La Cour observe ensuite que, même si en fin de compte il a plaidé pour la condamnation du requérant, le Bu Av Ba a reconnu devant la Cour d’appel la possibilité d’erreur, comme le rapporte l’arrêt de cette Cour en date du 5 octobre 2004, dans cette même affaire :
« || [’Avocat général principal] n’avait pas soutenu la déclaration de culpabilité sur la base du fait que l'identification de l'appelant était fondée sur la déposition d’un témoin unique PW1, dans des conditions insatisfaisantes. Les circonstances étaient telles qu'à son avis, la possibilité d’une erreur sur la personne ne pouvait pas être exclue » [cinquième feuillet].
183. Il en résulte que l’on ne peut pas dire que le témoignage en question était une preuve inattaquable.
184. En ce qui concerne spécialement l'identification du requérant, la Cour observe que dans les circonstances particulières du vol intervenu dans cette affaire, il aurait été plus sûr de la part des autorités compétentes de procéder également à une séance d'identification.
185. Pour toutes ces raisons, la Cour conclut que la condamnation du requérant sur la base du témoignage d’une seule personne émaillé d’'incohérences, n’a pas été conforme aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 7 de la Charte.
[. L’allégation selon laquelle la question de l’alibi du requérant n’a pas été traitée adéquatement par les juridictions nationales
186. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant a plaidé que la question de l’alibi invoquée par le requérant devant les juridictions nationales n’a pas été adéquatement traitée par celles-ci. Il a précisé qu’en effet le requérant avait fait valoir qu’entre le 20 mars et le 7 avril 1997, il était hospitalisé à l'hôpital de Muhimbili à Dar es Salaam, à des centaines de kilomètres du lieu du crime, et qu’il ne pouvait donc pas se trouver à Moshi le 5 avril 1997, et qu’à cet égard, il a avancé deux éléments de preuve, à savoir un ticket de bus montrant le transport vers Dar es Salaam, et un billet de sortie de l’hôpital qu’il a ensuite remis à l'agent chargé de l’enquête. Le Conseil du requérant a

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ajouté que tout en admettant le ticket de bus comme élément de preuve, le juge de première instance a en même temps prétendu que la question de l’alibi n'avait pas été soumise au tribunal conformément à la loi, et qu’il s'agissait là d’un argument imaginé après- coup. Il a souligné qu’en ce concerne le billet de sortie de l'hôpital, alors que le juge de première instance l'avait accepté comme élément de preuve, le juge d’appel a considéré qu’il n’existait pas ; que malgré que le requérant ait indiqué qu’il avait remis cette attestation à l'agent enquêteur, celui-ci n’a jamais été appelé à témoigner, en dépit de la demande du requérant à cet effet. II a conclu que dans ces circonstances, la question de la preuve par alibi n’avait pas été traitée de façon appropriée par les juridictions nationales, qui ne pouvaient donc pas se persuader d'avoir condamné avec raison le requérant pour le crime très grave de vol à main armée.
187. Au cours de la même audience publique, le Conseil du requérant a souligné que, dans tous les cas, celui-ci avait soulevé la question de son alibi dès le début de la procédure d'enquête, en remettant son ticket de bus et son billet de sortie de l'hôpital à l'agent chargé de
188. Au cours de cette même audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a plaidé qu’en ce qui concerne le billet de sortie de l'hôpital, le requérant se contredit en disant d’une part que ce sont ses parentés qui allaient le produire devant le juge, et d’autre part qu’il l’a remis à l'agent de police chargé de l'enquête ; et que le dossier judiciaire montre plutôt que c'était son avocat qui était en possession de l'attestation de décharge [p.18]. En ce qui concerne la question d’'alibi en général, le représentant de l’Etat défendeur a souligné que la loi exige que l’alibi soit soulevé par une notification préalable, et que dans tous les cas, le juge de première instance a examiné l’argument fondé sur l’alibi et l’a rejeté.
189. Au cours de cette même audience, le représentant de l'Etat défendeur a expliqué que selon la loi tanzanienne, l'accusé doit d’abord faire connaître à la Cour et à l'accusation son intention d’invoquer l’alibi, de façon à permettre à l'accusation d’avoir assez de temps pour mener des investigations sur les allégations d’alibi avancées par l’accusé. Il a précisé que si l'argument d'’alibi est soulevé après que l'accusation ait clôturé ses plaidoiries, il appartent au juge, agissant discrétionnairement, d'admettre cette preuve, mais sans lui accorder un poids quelconque, ceci pour garantir que justice soit faite ; et que soulever l'argument d'alibi après que l'accusation ait clôturé ses plaidoiries est préjudiciable et n’est pas conforme à la justice. I! a ajouté que s'agissant du billet de sortie de l'hôpital, des enquêtes n’ont pas été menées à cet égard, dans la mesure où cette question a été posée après la présentation des plaidoiries de l'accusation, et que lorsqu’il a été contre- interrogé, le requérant a dit qu’il avait envoyé ses parents ramener son billet de sortie, continuant ainsi à se contredire.
190. La Cour observe qu’il ressort du dossier des procédures judiciaires internes que le requérant avait en effet invoqué un alibi, mais que le juge de première instance avait estimé que ce moyen de défense n'avait pas été soumis au tribunal conformément à la loi, et que c'était juste un moyen imaginé après-coup.

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191. La Cour estime qu’à partir du moment où au cours des enquêtes policières et du procès le requérant a clairement soulevé la question de son alibi, celle-ci devait être examinée sérieusement par les autorités policières et judiciaires de l'Etat défendeur. Lorsqu'un alibi est établi avec certitude, il peut être décisif sur la question de la culpabilité de la personne poursuivie. Cette question était d'autant plus importante que, dans la présente affaire, l’inculpation du requérant reposait sur les déclarations d’un témoin unique, et qu'aucune séance d'identification n’avait été faite (supra 186 et s.).
192. La Cour est d'avis que dans la présente affaire, les autorités policières et judiciaires de l’Etat défendeur n’ont pas pris au sérieux l'argument d’alibi invoqué par le requérant, quelles que fussent par ailleurs les incertitudes ou les contradictions possibles contenues dans ses allégations. Le droit à un procès équitable implique certainement qu’un moyen de défense fondé sur un possible alibi soit minutieusement examiné et éventuellement écarté, avant de conclure à une décision de culpabilité. À cet égard, l'Etat défendeur n’est pas fondé à invoquer l’état de son système juridique interne et les exigences techniques qu'il peut comporter pour faire échec au respect de ses engagements internationaux en matière de droits de l'homme.” 193. La Cour estime par ailleurs qu’en ne poussant pas plus avant ses investigations sur l’alibi invoqué par le requérant, et en considérant uniquement les preuves présentées par l'accusation, le juge national a violé le principe de l'égalité des armes entre les parties en ce qui concerne les preuves, si essentiel en matière de justice.2*
194. Pour toutes ces raisons, la Cour conclut que l'absence d'investigations plus poussées sur l’allégation d’alibi avancée par le requérant, et la non- considération de ce moyen de défense par les juridictions nationales constituent une violation de son droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 7 de la Charte.
J. L’allégation selon laquelle le requérant a été condamné alors que ni les armes du crime ni les objets volés n’ont été retrouvés
195. Au cours de l’audience publique, le Conseil du requérant a plaidé qu’au moment de son arrestation, il n’a été retrouvé, ni avec des armes ni avec l’objet du vol, et qu’il a indiqué tout cela au juge de première instance et au juge d'appel.
196. Au cours de la même audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a plaidé que selon les témoignages, il y avait des armes telles que des armes à feu, un bâton, une machette, et une épée qui était utilisée pour menacer les victimes ; que selon la loi, tout ce que l'accusation doit prouver est qu'une arme offensive a été utilisée, que
23 Voir aussi dans ce sens, l'arrêt de la Cour dans l'affaire Xd Cl Ae et alt. c. République- Unie de Tanzanie, 14 juin 2013, paras 108-109 ; Commission : Communication no 212/98 Bn Bb c. Zambie, para 50.
24 Voir dans ce sens : CEDH : Bz Br B c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, paras 33.

Bk c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624 659
le requérant était en compagnie de deux ou plusieurs personnes, et qu’à ce moment ou après, il a utilisé cette arme offensive pour intimider les victimes.
197. La Cour observe que l’Etat défendeur reconnaît que les armes du crime n’ont pas été retrouvées, et que l'existence et la nature de ces armes ont été établies sur la base de témoignages.
198. La Cour note cependant que le fait que les armes du crime n’ont pas été retrouvées n'empêche pas que l’infraction de vol à main armée puisse être établie sur la base d’autres éléments que les preuves matérielles, pour autant que ces autres éléments soient effectivement probants.
199. Par voie de conséquence, la Cour ne saurait déduire de la seule absence des armes du crime, que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 7 de la Charte.
K. L’allégation selon laquelle la peine qui a été prononcée par le juge à l’encontre du requérant n’était pas la peine prévue par la loi tanzanienne au moment des faits
200. Dans sa requête, le requérant allègue que même s’il y avait eu des preuves l’inculpant- ce qui n’est pas le cas-, la peine de trente ans d'emprisonnement qui a été prononcée à son encontre n’était pas applicable, et que donc sa condamnation était contraire à la Constitution. Il ajoute que la peine de trente ans de prison a été introduite et publiée par l’Acte de notification gouvernementale no 269 de 2004, l’article concerné portant le no 287 A.
201. Dans ses Observations écrites jointes à la requête, le requérant indique que jusqu’ à l’année 2002, le Code pénal ne prévoyait pas de peine d'emprisonnement de trente (30) ans ; qu’il prévoyait, soit vingt (20) ans de prison, soit la prison à vie ; que la peine de trente(30) ans de prison était donc inconstitutionnelle ; et que l'amendement intervenu en 2002 qui a prévu trente (30) ans de prison est postérieur à sa condamnation intervenue le 21 juillet 1998 [p. 6]. Il invoque deux jugements rendus par la Haute Cour à Moshi en 2012 et 2013," qui ont annulé des sentences de trente ans de prison prononcées en 2001 et en 2003.
202. Dans son Mémoire en réplique, le requérant réitère cette position. 203. Dans son Mémoire en réponse, l’Etat défendeur réfute l’allégation selon laquelle la peine ne pouvait pas être de trente ans de prison, et explique que sur la base de l’article 286 du Code pénal, la peine prévue était en réalité l'emprisonnement à vie, mais que le juge l'avait ramenée à trente ans de prison en application de la Loi sur les peines minimales qui prévoyait cette peine minimale pour le vol à main armée. || précise que l’Acte de notification gouvernementale no 269 de 2004 qu’invoque le requérant ne faisait que corriger une simple erreur typographique dans la numérotation des articles du Code pénal de 2004.
25 Le requérant cite les affaires suivantes : Cj Ag and Xh Am, Criminal Revision no 2/2013 ; By Co, App.no 28/2012.

660 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
204. Au cours de l'audience publique, l’Etat défendeur a expliqué qu’en 1994, le Parlement, par la Loi no 6 de 1994, a amendé la section 5 de la Loi sur les peines minimales en fixant la peine minimale à trente ans de prison pour le vol à main armée, et que c’est cette peine qui a été appliquée au cas d’espèce, même si la peine prévue par l'article 286 du Code pénal était l’emprisonnement à vie.
205. Concernant le jugement d'annulation de la sentence de trente ans de prison dans l'affaire Xh Am Bv et Cj Ag c. République invoquée par le requérant (supra, para 201), le représentant de l'Etat défendeur a soutenu qu’il s'agissait d’une décision de la Haute Cour [Criminal Revision no 2 of 2013], mais que la Cour d’appel a par contre décidé dans l'affaire Xf Cs Xg c. République qu’une peine de trente ans de prison était appropriée pour le crime de vol à main armée (Ap Al Ce 69 of 2004).
206. Au cours de la même audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a répété que c'est la Loi 6 de 1994 prévoyant la peine minimale appde trente ans pour l'infraction de vol à main armée qui a été appliquée au requérant en 1997. Il a précisé que la Loi no 4 de 2004 qui est entrée en vigueur par l'Acte de notification 269 de 2004 éclaircissait tout simplement les vols à main armée lorsque l’accusé porte des armes dangereuses.
207. La Cour observe que la seule question pertinente ici en discussion est celle de savoir si le requérant a été condamné en 1998, avec confirmation en 1999 et en 2004, à une peine qui n’était pas prévue par la loi.
208. Selon l’article 7(2) de la Charte : « ..Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise ».
209. Dans la présente affaire, la loi applicable au moment des faits incriminés (vol à main armée), c'est-à-dire en avril 1997, est le Code pénal tanzanien de 1981 et la Loi sur les sentences minimales de 1972, telle qu’amendée en 1989 et ensuite en 1994.
210. Il ressort de l’article 286 de ce Code pénal que le vol à main armée est puni d’une peine d'emprisonnement à vie, avec ou sans châtiment corporel. Il ressort également de l’article 5(b) de la Loi sur les sentences minimales que la peine minimale applicable à cette infraction est de trente ans de prison. La lecture combinée de ces dispositions indique que la peine applicable au vol à main armée était clairement de trente ans de prison au minimum.
211. En outre, le jugement de la Haute Cour en date du 1°" juin 1999 rapporte que la peine appliquée en l'espèce est le minimum fixé par la loi pour les personnes accusées.
212. Par ailleurs, il ressort également du dossier que la Loi no 4 de 2004, qu'aurait pu éventuellement appliquer la Cour d'appel dans son arrêt du 5 octobre 2004 n’a pas modifié la peine applicable à l'infraction de vol à main armée.
213. Pour toutes ces raisons, en prononçant et en confirmant la peine de trente ans de prison dans la présente espèce à l'encontre du

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requérant, les juridictions nationales tanzaniennes n’ont pas violé le principe de la non- rétroactivité des peines.
L. … L’allégation selon laquelle le jugement du Tribunal de district du 21 juillet 1998 n’aurait pas été prononcé en audience publique
214. Dans sa requête, le requérant affirme qu’en violation de l’article 311 de la Loi portant Code de procédure pénale, le jugement du Tribunal par lequel il a été condamné en 1998, n’a pas été prononcé en public.
215. Dans ses Observations écrites jointes à la requête, le requérant fait observer qu’il ressort du dossier que le jugement a été plutôt lu dans un bureau le 21 juillet 1998, au lieu d’être prononcé en public.
216. Dans son Mémoire en réplique, le requérant réitère cette position. 217. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant a encore précisé qu’au niveau du Tribunal de district, la décision a été prononcée dans un bureau d’un juge, et que cette décision ne donne aucune raison à cela.
218. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur réfute cette allégation et affirme que si l’article 311 du Code de procédure pénale prévoit que les jugements soient prononcés en public, le même article prévoit également d’autres options.
219. L'État défendeur indique par ailleurs qu’en raison du manque d'espace, les bureaux des Juges sont utilisés au même titre que la salle des audiences, pourvu que le public puisse être présent à l’occasion des plaidoiries et du prononcé des jugements. Il ajoute que l'affaire concernant le requérant n’a pas été entendue à huis clos et que le jugement n’a pas été prononcé à huis clos non plus, puisque toute personne qui le souhaitait pouvait être présente à ces occasions.
220. Au cours de l'audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a encore expliqué qu’en raison du problème de locaux, les bureaux sont utilisés au cours de la procédure ; et que le requérant n’a pas été jugé à huis clos dans la mesure où tous ceux qui voulaient participer à la procédure pouvaient le faire.
221. Le représentant de l’Etat défendeur a précisé en outre que lorsque des bureaux sont utilisés, les audiences publiques ne se tiennent que lorsque les portes sont ouvertes et que tout membre du public y a accès ; que c’est seulement à ces conditions que la Cour peut siéger comme une juridiction ouverte ; que le rôle de la Cour est affiché et est disponible au public à l'extérieur des salles d'audience ; et que les séances à huis clos n’ont lieu que lorsque la victime est un enfant et que les faits en cause sont par exemple des faits de viol, cela pour protéger la dignité de l’enfant. Il a ajouté que le fait que les bureaux soient considérés comme des salles d'audience lorsque les portes sont ouvertes est « une pratique des tribunaux qui est interprétée de manière très large ».
222. La Cour observe que la Charte est silencieuse sur le principe de la publicité des prononcés des décisions de justice en rapport avec le

662 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
droit à un procès équitable porté par son article 7. Par contre, l’article 14. 1 du Pacte dispose notamment que « …tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants ».
223. La Cour note que dans la présente affaire, les Parties s'accordent sur le fait que le jugement devait être prononcé en audience publique, et sur le fait qu’en l’occurrence, le jugement rendu en première instance a été prononcé dans le bureau d’un juge. La seule question en discussion est celle de savoir si une audience tenue dans le bureau d'un juge, entièrement ouvert au public, peut être considéré comme une audience publique, et si en conséquence, le jugement prononcé dans de telles circonstances est réputé prononcé publiquement.
224. Aux yeux de la Cour, la question de savoir si le prononcé d’un jugement a été fait publiquement devrait être appréciée avec une certaine flexibilité, et pas de façon trop formaliste. Comme l’a déclaré la Cour européenne des droits de l'homme dans l’affaire Aw c. Italie, « ...l’exigence selon laquelle le jugement doit être rendu publiquement a été interprétée avec une certaine souplesse ».?* Dans cette même affaire, la Cour a rappelé “qu’il convenait, dans chaque cas, d’apprécier à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit, et en fonction du but et de l’objet de l’article 6 $ 1, la forme de publicité du « jugement » prévue par le droit interne de l'Etat en cause ».27 Elle a estimé que “l’exigence de publicité des jugements ne devait pas nécessairement prendre la forme d’une lecture à haute voix de l'arrêt, et a déclaré que les exigences de l’article 6 [ de la convention européenne des droits de l'homme] avaient été satisfaites car toute personne justifiant d’un intérêt pouvait consulter le texte intégral des arrêts du tribunal militaire de cassation ».2
225. De l'avis de la Cour, la publicité du prononcé d’un jugement est assurée dès lors qu’elle a lieu dans un local ou un endroit ouvert, pourvu que le public soit informé du lieu et qu’il puisse y accéder librement.
226. Dans la présente affaire, il n'est pas rapporté que le bureau du juge dans lequel l’audience a eu lieu n’était pas ouvert et accessible au public, et il n’est pas allégué non plus que le public n’en était pas informé et ne pouvait pas y accéder librement. Au contraire, il ressort du dossier que le prononcé des décisions de justice dans les bureaux
26 Arrêt du 10 Avril 2012, para 37.
27 Ibidem. Voir aussi la jurisprudence citée.
28 Ibidem. 38. La Cour a rappelle que dans “l'affaire Ernst c. Belgique (no 33400/96, arrêt du 15 juillet 2003), elle a considéré que les exigences de publicité posées par l’article 6 $ 1 de la Convention avaient été suffisamment respectées du fait que les requérants ont pu se procurer le texte de la décision par une démarche auprès du greffe quelques jours après le prononcé en chambre du conseil de l'arrêt de la Cour de cassation” (/bidem). Elle a ajoutée qu’en l'espèce “l’ordonnance de la Cour d'appel et l'arrêt de la Cour de Cassation ont été déposés au greffe et le requérant a été informé dudit dépôt” et qu”[aju vu de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, [elle] estime que les exigences de publicité posées par l’article 6 $1 de la Convention ont été suffisamment respectées” (/bidem, para 39).

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des Juges est une pratique courante due à l'insuffisance des locaux, et l’on peut donc présumer que le public est au courant de cette pratique. 227. Par voie de conséquence, la Cour estime que le fait que le prononcé de l'arrêt de condamnation du requérant ait eu lieu dans un bureau d’un juge n'est pas en lui-même une violation de son droit à un procès équitable.
IX. La question des réparations
228. Dans sa requête, le requérant a demandé, entre autres, que la justice soit rétablie en sa faveur ; que la déclaration de culpabilité et la peine qui lui a été infligée soient annulées ; qu’il soit remis en liberté ; et que la Cour ordonne toute autre mesure qu’elle estimera appropriée. 229. Au cours de l'audience publique, le Conseil du requérant a demandé à la Cour d’ordonner à l'Etat défendeur la reprise du procès par les juridictions nationales en prenant en compte les déficiences constatées, et cela dans un délai raisonnable fixé par la Cour ; d’ordonner à l’ Etat défendeur d’accorder une assistance légale et une représentation gratuites au requérant à l’occasion de la reprise du procès ; et d’ordonner qu’une réparation soit accordée en rapport avec toutes les violations des droits de l'homme constatées.
230. Dans ses conclusions à la même audience publique, le représentant de l'Etat défendeur a de son côté demandé « …qu’il n’y ait pas de réparation pour le requérant en ce qui concerne cette
231. L'article 27(1) du Protocole dispose que « [I] lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
232. À cet égard, l’article 63 du Règlement intérieur prévoit que « [la Cour statue sur la demande de réparation (…) dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
233. Dans cette affaire, la Cour se prononcera sur certaines formes de réparation dans le présent arrêt, et statuera sur les autres formes de réparation à une phase ultérieure de la procédure.
234. En ce qui concerne la demande par le requérant de sa remise en liberté, comme la Cour l’a indiqué dans l'affaire Bh Bl c. République Unie de Tanzanie, une telle mesure ne pourrait être ordonnée par la Cour elle-même que dans des circonstances spéciales et contraignantes.”’ Dans la présente affaire, le requérant n’a pas indiqué de telles circonstances.
235. Pour ce qui est de la demande de reprise du procès, la Cour considère qu’une telle mesure ne serait pas juste pour le requérant, dans la mesure où il a déjà passé 19 ans en détention, soit plus de la
29 Arrêt du 20 novembre 2015, para 157.

664 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
moitié de la peine à laquelle il a été condamné, et dans la mesure aussi où la nouvelle procédure judiciaire interne pourrait être longue.
236. Prenant en compte cette considération particulière, la Cour ordonne plutôt à l’Etat défendeur de prendre toutes les autres mesures appropriées, dans un délai raisonnable, en vue de remédier aux violations des droits de l'homme constatées.
237. S'agissant des autres formes de réparation, la Cour statuera ultérieurement sur les demandes des parties, après les avoir entendus plus amplement.
X. Frais de procédure
238. Dans les conclusions de son Mémoire en réponse, l'Etat défendeur a demandé à la Cour que les frais de procédure soient mis à la charge du requérant.
239. Le requérant ne s’est pas exprimé sur ce point.
240. La Cour note que l’article 30 du Règlement intérieur prévoit qu’ « [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
241. La Cour se prononcera sur la question des frais de procédure au moment où elle statuera sur les autres formes de réparation.
242. Par ces motifs,
LA COUR,
A l’unanimité :
i) Rejette l'exception d’incompétence ratione materiae de la Cour tirée de l’argument selon lequel celle-ci, en examinant les preuves de la culpabilité du requérant, agirait comme une juridiction d’appel ;
ii) Rejette l'exception d’incompétence ratione materiae de la Cour tirée de l'argument selon lequel le requérant n'aurait pas invoqué les dispositions appropriées du Protocole et du Règlement intérieur ;
iii) Déclare qu’elle a compétence pour connaître de la présente requête ;
iv) Rejette l'exception d'’irrecevabilité de la requête tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
V) Rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non- épuisement des voies de recours internes ;
vi) Rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non- respect d’un délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour ;
vii) Déclare la requête recevable ;
viii) Dit que l'Etat défendeur n’ a pas violé l’article 7 de la Charte et/ ou l’article 14 du Pacte en ce qui concerne les allégations du requérant
30 Voir dans ce sens, /bidem, para 158.

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selon lesquelles : le poste de police dans lequel il a été détenu au moment de son arrestation n’était pas doté de facilités de base ; il aurait été traité de manière discriminatoire en matière d'assistance judiciaire gratuite ; l'acte d'accusation aurait été entaché d’irrégularités ; il aurait été condamné alors que les armes du crime et les objets volés n’ont pas été retrouvés ; et il aurait été condamné à une peine qui n’était pas prévue par la loi au moment des faits ;
ix) Dit que l'Etat défendeur a violé l’article 7 de la Charte et l’article 14 du Pacte en ce qui concerne les droits allégués du requérant de se défendre lui-même et d'accéder à un avocat au moment de son arrestation ; de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite au cours de la procédure judiciaire ; de se voir communiquer promptement les pièces du dossier afin de pouvoir se défendre ; de voir son moyen de défense basé sur le fait que le Procureur devant le tribunal de district aurait été dans une situation de conflit d'intérêts par rapport à la victime du vol à mains armées, considéré par le juge ; de ne pas être condamné uniquement sur la base des déclarations inconsistantes d’un seul témoin, en l’absence de toute séance d’identification ; et de voir sa défense d’alibi sérieusement considérée par les autorités policières et judiciaires de l'Etat défendeur.
A la majorité de sept contre deux voix, les Juges Xk Ch AH et Cv Ac AG ayant émis des opinions dissidentes
x) Dit que l'Etat défendeur n’a pas violé l’article 7 de la Charte et/ou l’article 14 du Pacte en ce qui concerne l'allégation selon laquelle le jugement de condamnation n’aurait pas été prononcé en audience publique ;
xi) Dit que la demande du requérant d’être libéré de prison n’est pas acceptée.
A l’unanimité :
xii) Ordonne à l'Etat défendeur de prendre toutes les mesures requises, dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées, à l'exclusion de la ré- ouverture du procès, et d’informer la Cour, dans un délai de six mois à partir de la date du présent arrêt, des mesures ainsi prises ;
xiii) Réserve les questions de demandes d’autres formes de réparation et de frais de procédure ;
xiv) Ordonne au requérant de soumettre à la Cour son Mémoire sur les autres formes de réparation dans les trente jours qui suivent la date du présent arrêt ; ordonne également à l'Etat défendeur de soumettre à la Cour son Mémoire en réponse sur les autres formes de réparation dans les trente jours qui suivront la réception du Mémoire du requérant.

666 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Opinion partiellement dissidente : THOMPSON
1. Je souscris largement au fond à l’arrêt rendu par la Cour, à l'exception de la conclusion tirée aux paragraphes 236, 242(xii) et 242(ix), que nous aurions abordés de manière différente en vue de rendre une décision précise en conséquence.
2. Le requérant allègue la violation de plusieurs articles de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui ont été précisés dans l'arrêt et il demande notamment d’être remis en liberté.
3. La Cour a conclu à la violation de l’article 7 de la Charte et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), en se fondant largement sur le caractère non équitable du procès et a ordonné à l'Etat défendeur de :
« prendre toutes les mesures requises, dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées, à l'exclusion de la ré- ouverture du procès, et d'informer la Cour, dans un délai de six mois à partir de la date du présent arrêt ».
4. S'agissant de la question qui porte sur le constat fait par la Cour que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7 de la Charte du fait que la déclaration de culpabilité et le prononcé de la sentence à l’encontre du requérant s'étaient déroulés dans le bureau d’un Juge, je suis également en désaccord avec la conclusion de la Cour. La Charte est silencieuse sur la question du prononcé des jugements en audience
publique, arte mais la Cour est habilitée, en vertu des articles 60 et 61 de la
« à s’inspirer du droit international relatif aux droits de l’homme et à prendre aussi en considération, comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droits, les autres conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États membres de l’organisation ainsi que la jurisprudence et la doctrine ».
5. Le PIDCP, dont le requérant allègue la violation, dispose expressément en son article 14(1) que « tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants ».‘
6. Par ailleurs, dans l'observation générale n°13, le Comité des droits de l'homme? a déclaré que : « Les dispositions de l’article 14 s'appliquent à tous les tribunaux et autres organes juridictionnels de droit commun ou d’exception ». Je souhaite ajouter que la Cour
1 Voir aussi l’article 6(1) de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales appelée la Convention européenne qui dispose que «le jugement doit être rendu publiquement ». Quant à l’article 8(5) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, elle se réfère simplement au caractère public de la procédure pénale,. Les articles 22(2) et 23(2) respectifs des Statuts du Tribunal pénal international pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie disposent que les jugements de la Chambre de première instance sont rendus en audience publique. Enfin, en vertu de l’article 74(5) du Statut de la Cour pénale international, « Il est donné lecture de la décision ou de son résumé en audience publique ».
2 Nations Unies, Recueil des observations générales, p. 123, par. 4.

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européenne des droits de l'homme (CEDH) a fait observer que l’objet d’un prononcé de jugement en public est « d’assurer le contrôle de l'appareil judiciaire par le public en vue de la sauvegarde du droit à un procès équitable ».
7. Dans la présente espèce, les lois du pays du défendeur sont sans équivoque sur le mode du prononcé du jugement. L'article 311(1) de la loi relative à procédure pénale de la Tanzanie dispose :
311(1) La décision à l'issue de chaque procès au pénal est rendue en audience publique ou dès que possible dès la fin du procès, mais en tout état de cause dans un délai ne dépassant pas 90 jours durant lesquels notification est donnée aux parties ou à leurs conseils, le cas échéant, mais lorsque la décision est sous forme écrite au moment de son prononcé, le juge ou le magistrat peut, sauf objection de l'accusation ou de la défense, expliquer les motifs de sa décision lors d’une audience publique au lieu de donner lecture de la décision dans son intégralité.
8. Au niveau national, le Magistrat n’a nullement motivé son choix de prononcer le jugement dans son bureau. Le requérant y a fait allusion tel qu’explicité aux paragraphes 215 et 216 de l'arrêt de la Cour. Le défendeur a, en réponse, affirmé qu’en raison du manque d’espace, les bureaux des juges sont utilisés comme salles d’audience où le public peut être présent lors des réquisitions et plaidoiries et du prononcé des jugements. Cette allégation est sans objet du moment que le procès lui- même s’est tenu en audience publique.
9. Ayant tiré la conclusion que la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine n’ont pas eu lieu en audience publique, la Cour aurait dû constater la violation du droit du requérant à un procès équitable et compte tenu des circonstances propres à l'affaire, une violation des articles 7 et 14(1) du PIDCP. Le jugement à la majorité s’est fondé sur l'affaire Aw c. Italie, dans laquelle la CEDH a jugé que, « l'exigence selon laquelle le jugement doit être rendu publiquement a été interprété avec une certaine souplesse ».° Dans le jugement, la majorité a constaté que le manque de salles d'audience adéquates est une raison suffisante pour faire preuve de souplesse. À mon avis, l’ensemble des conditions qui prévalent dans le processus judiciaire doit être examiné pour déterminer si une telle souplesse peut être autorisée. Cela pourrait s'appliquer lorsque le texte d’un jugement est accessible immédiatement, même s'il n’a pas été rendu en audience publique.
10. Tel n’est pas le cas dans les circonstances spécifiques de l'affaire en l’espèce, car les textes des jugements ne sont pas immédiatement disponibles aux parties et au public, et en conséquence, le moyen le plus approprié par lequel ils ont connaissance du jugement est le prononcé en audience publique. En l'espèce, étant donné que, selon toute vraisemblance et comme à l’accoutumée, l'arrêt ne serait pas immédiatement accessible au requérant et qu’il n'avait pas été lu en audience publique, l’article 7 de la Charte a été violé.
3 Jugement du 10 avril 2012, paragraphe 37.
4 Requête no 005/2013, Bh Bl c. République-Unie de Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015, paragraphes 108 et 109.

668 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
11. Sur la question particulière de la remise en liberté du requérant, la Cour considère, et j'y souscris entièrement, qu’une ordonnance de remise en liberté d’un condamné ne peut être rendue que « dans des circonstances exceptionnelles ou impérieuses ». Toutefois, la Cour est allée plus loin en tirant la conclusion que le requérant n’a pas démontré en quoi les circonstances étaient exceptionnelles et le fait que la déclaration de culpabilité et la peine imposée n’aient pas été prononcées en audience publique ne constituent pas une violation de l’article 7 par l’État défendeur. C’est sur ce sujet que j'émets une opinion dissidente.
12. Même si le requérant n’indique pas quels faits particuliers constituent des circonstances exceptionnelles, je suis fermement convaincue que la Cour a conclu à de telles circonstances particulières et impérieuses lorsqu’elle a relevé que la reprise du procès ou un nouveau procès du requérant ne serait pas « juste pour le requérant, dans la mesure où il a déjà passé 19 ans en détention, soit plus de la moitié de la peine à laquelle il a été condamné, et dans la mesure aussi où la nouvelle procédure judiciaire interne pourrait être longue ».
13. La Cour a également dégagé la conclusion que le requérant avait été déclaré coupable sur la base de « dépositions incohérentes d’un seul témoin, en l'absence de toute séance d'identification » et que « l’alibi du requérant n’a pas été traité adéquatement par les juridictions nationales ».
14. Au vu de ce qui précède, je ne peux constater des circonstances particulières et plus impérieuses que le fait que la déclaration de culpabilité du requérant se soit fondée sur les dépositions contradictoires d’un témoin unique, en l'absence de toute séance d'identification ; l’alibi invoqué le requérant sa défense n’a pas été suffisamment que pris en considération par par la pour police et par les autorités judiciaires de l’État défendeur, que le requérant est resté en prison pendant 19 sur les 30 années d'emprisonnement auxquelles il a été condamné à l'issue d’une procédure que la Cour elle-même a qualifiée d’inéquitable en violation de la Charte.
15. En l'espèce, la Cour hésite à rendre une ordonnance de remise en liberté du requérant et elle a choisi plutôt de laisser cette question à la discrétion de l’État défendeur. La Cour devrait relever qu’elle avait déjà rendu des ordonnances similaires dans la requête n°005/2013 - Bh Bl c. République-Unie de Tanzanie,® que l'État défendeur n’a pas mises en application.
16. Dans l'affaire De/ Rio Cc c. Espagne,® après avoir constaté que le requérant avait été injustement gardé en prison et que ses droits avaient été violés, la Cour européenne des droits de l'homme a décidé, « à la majorité de 16 voix contre une, que l'Etat défendeur devait faire en sorte que le requérant soit libéré dès que possible ». Cette affaire portait sur la violation alléguée de l’article 7 de la Convention
5 Requête 005/2013, Bh Bl c. République-Unie de Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015, p. 65, par. 161(ix).
6 Jugement, requête no. 42750/09, Del Rio Cc c. Espagne, 21 octobre 2013, p. 51, par. 3 du dispositif.

Bk c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624 669
européenne des droits de l'homme, qui dispose que « 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ».
17. Dans cette affaire, le requérant avait fait valoir qu’un amendement du Code pénal et l'adoption d’une nouvelle approche dans le prononcé des peines, qui avait eu pour conséquence la prolongation de neuf ans de sa date de libération était équivalente à une application rétroactive d’une peine qui n’existait pas au moment où cette approche a été adoptée. L'Etat défendeur avait fait valoir que les modifications apportées à ladite loi, de même que la nouvelle méthode de prononcé des peines étaient en dehors du champ d’application de l’exigence de non-rétroactivité, étant donné qu’il n'y a pas eu création d’une peine rétroactive, mais qu’il s'agissait uniquement de la mise en application de cette peine. La Cour européenne a considéré que lorsque des changements apportés à une loi ou son interprétation ont des conséquences sur une peine ou sur la remise de celle-ci, de telle sorte qu’ils altèrent gravement ladite sentence d’une manière qui n’était pas prévisible au moment où elle avait été prononcée au détriment de la personne condamnée ou de ses droits inscrits dans le Pacte. Ces changements, de par leur nature même, portaient sur la substance de la sentence et non pas sur la procédure ou sur les dispositions de son exécution et de ce fait, tombent dans le champ d'application de l'interdiction de la rétroactivité.” En conséquence, la Cour a constaté une violation de l’article 7 du Pacte et a donc conclu que l’article 5 du Pacte avait été violé, celui-ci étant libellé de manière similaire à l’article 6 de la Charte. La requérante avait fait valoir qu’un constat de violation de l’article 7 du Pacte signifierait que son maintien en prison à partir de la date où elle devait être remise en liberté sur la base de l’ancienne méthode de prononcé de peine, relevait d’une procédure contraire à la loi. La Cour européenne, ayant tiré la conclusion que la nouvelle approche tombait sous le principe de non-rétroactivité précisé à l’article 7 du Pacte, a tiré la conclusion que le maintien en prison de la requérante n'avait pas suivi une procédure prescrite par la loi. C’est sur cette base que la Cour a ordonné sa remise en liberté.
18. Dans l'affaire Loayza-Tamayo c. Le Pérou, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a ordonné la remise en liberté de la victime, dans la mesure où s'abstenir de rendre une telle décision aurait constitué une situation de double incrimination qui est interdite par la Convention américaine des droits de l'homme.
19. Mon opinion est donc qu'au vu des circonstances propres à l'espèce, il ne saurait y avoir d'autre réparation que la remise en liberté du requérant. Dans le paragraphe relatif au dispositif, la Cour s'est gardée de se prononcer sur la remise en liberté du requérant, laissant cette décision à la discrétion de l’État défendeur. Au vu de l'attitude de l’État défendeur dans l’application des ordonnances rendues par la
7 Ibid par. 108, 109 et 171.
8 Ibid par.131.

670 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Cour dans l’affaire Bh Bl, la Cour aurait dû faire droit à la demande du requérant et ordonner sa libération plutôt que de laisser cette décision à la discrétion de l’État défendeur, une discrétion que celui-ci pourrait ne jamais exercer.
Opinion dissidente : BEN ACHOUR
1. Je souscris à la majeure partie du raisonnement et des décisions prises par la Cour dans l'affaire Xi Bk c. la République- Unie de Tanzanie (requête 007/2013).
2. Cependant, je n'ai pas pu me rallier à la majorité des membres de la Cour sur deux questions, à mon avis, importantes :
« La première question est relative au refus de la Cour d’ordonner la remise en liberté du prisonnier, qui purge une peine de 30 ans de prison prononcée par le Tribunal de district de Moshi le 21 juillet 1998. Dans le $ xi du dispositif de l’arrêt la Cour « [D]Jit que la demande du requérant d’être libéré de prison n’est pas acceptée ». J'avais exprimé la même désapprobation quant à ce refus de la Cour à propos de l’affaire Alex Thomas.!
« La deuxième question est relative à l'absence de publicité du procès en raison du prononcé de la condamnation du requérant dans le bureau du juge ; ce qui à mon sens constitue une atteinte grave au principe de la publicité de tout procès en général, et de tout procès pénal en particulier.
[. Le refus de la Cour d’ordonner la remise en liberté du prisonnier
3. Comme dans l'affaire Bh Bl,” le requérant (Xi Bk) allègue la violation de plusieurs de ses droits, soit lors de son arrestation, soit lors de sa garde à vue, soit encore lors de son
4. A la lumière de ces allégations, la Cour, à bon droit, « [D]it que l’Etat défendeur a violé l’article 7 de la Charte et l’article 14 du Pacte en ce qui concerne les droits allégués du requérant de se défendre lui-même et d’accéder à un avocat au moment de son arrestation, de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite au cours de la procédure judiciaire ; de se voir communiquer promptement les pièces du dossier afin de pouvoir se défendre ; de voir son moyen de défense basé sur le fait que le Procureur devant le tribunal de district aurait été dans une situation de conflit d'intérêts par rapport à la victime du vol à mains armées, considéré par le juge ; de ne pas être condamné uniquement sur la base des déclarations inconsistantes d’un seul témoin, en l’absence de toute séance d’identification ; et de voir sa défense d’alibi sérieusement
1. 1 Arrêt du 20 novembre 2015.
3 Cf. Le paragraphe 5 de l'arrêt.

Bk c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624 671
considérée par les autorités policières et judiciaires de l'Etat défendeur ».
En somme, la Cour admet que le procès de M. Bk n’a pas été un procès équitable.
5. La Cour ordonne à l’Etat défendeur de « [p]rendre toutes les mesures requises, dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées, à l'exclusion de la ré- ouverture du procès, et d'informer la Cour, dans un délai de six mois à partir de la date du présent arrêt, des mesures ainsi prises ». Cependant, dans le $ 234 de son raisonnement, la Cour estime que : «[E]n ce qui concerne la demande par le requérant de sa remise en liberté, comme la Cour l’a indiqué dans l'affaire Bh Bl c. République Unie de Tanzanie, une telle mesure ne pourrait être ordonnée par la Cour elle-même que dans des circonstances spéciales et contraignantes ».* La Cour conclut en outre que : « [DJans la présente affaire, le requérant n’a pas indiqué de telles circonstances » et décide « que la demande du requérant d’être libéré de prison n’est pas acceptée »». Je ne suis pas de cet avis.
6. Je souligne d’abord, que j'admets que l'ordonnance de mise en liberté ne soit prononcée « [qjue dans des circonstances spéciales et contraignantes ». Il s’agit là d’une jurisprudence constante des juridictions internationales des droits de l'homme. Il est arrivé cependant, que la remise en liberté soit ordonnée.®
7. Dans cette affaire, malgré le fait que le requérant n’ait pas exposé de faits particuliers justifiant des circonstances exceptionnelles, je réitère ma ferme conviction que la Cour a établi elle-même ces circonstances exceptionnelles et/ou impérieuses lorsqu'elle a confirmé toutes les irrégularités qui ont entaché les différentes étapes de cette affaire, depuis l'arrestation jusqu’à la lourde condamnation à 30 ans de prison.
8. Je ne vois pas de « circonstance » plus « exceptionnelle et/ou impérieuse » que celle dans laquelle s’est trouvée et se trouve encore le requérant, qui croupit en prison depuis 9 ans sur les 30 ans de prison qui lui ont été infligés, suite à un procès que la Cour a déclaré non équitable et contraire à certaines dispositions de la Charte.
9. Malheureusement, en refusant d’ordonner la remise en liberté du requérant, la Cour n’est pas allée jusqu’au bout de la logique de son raisonnement. C’est pourtant la seule mesure « réparatrice » que la Cour aurait pu ordonner, au vu des circonstances de l'espèce. En effet, au lieu de laisser au défendeur le pouvoir discrétionnaire des mesures appropriées, la Cour aurait du ordonner la remise en liberté du requérant.
4 Arrêt du 20 novembre 2015, para 157.
5 Cf CEDH, Grande Chambre, https://ep00.epimg.net/descargables/2013/10/21/ b8e1233fc4e5d30dc28a73be6c4df8fb.pdf, Arrêt du 21 octobre 2013. «3. Dit, par seize voix contre une, qu’il incombe à l’État défendeur d’assurer la remise en liberté de la requérante dans les plus brefs délais ». Disponible : https://ep00.epimg.net/

672 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Il. Le prononcé de la condamnation du requérant dans le bureau du juge
10. La condamnation à 30 ans de prison pour le chef d’inculpation de vol à main armé n’a pas été prononcée selon les allégations répétées du requérant, « en audience publique » mais « dans le bureau d’un juge sans raison ».
11. L’État défendeur n’a pas réfuté cette allégation. Il l’a même confirmée d’une certaine manière. En effet, dans son Mémoire en réponse, il a invoqué l’article 311 du code de procédure pénale tanzanien qui pose le principe que les jugements doivent être prononcés en public sous réserve de quelques exceptions ($ 218 de
12. L'État défendeur est allé jusqu’à donner une justification à cette pratique en arguant du « [mJanque d’espace » et en avançant que « [Iles bureaux des juges sont utilisés au même titre que la salle d'audience » ajoutant que « [1J'affaire concernant le requérant n’a pas été entendue à huis clos et que le jugement n’a pas été prononcé à huis clos non plus, puisque toute personne qui le souhaitait pouvait être présente à ces occasions. » ($ 219 de l'arrêt).
13. L'Etat défendeur, allègue l’absence de hui-clos pour conclure, a contrario, qu’il y a eu publicité. | va sans dire que l’argument est spécieux, voire fallacieux L'absence d’une décision de hui-clos ordonnée par une juridiction en bonne et due forme ne constitue pas une présomption irréfragable que le procès s’est tenu en public et que le prononcé de la peine a eu lieu en séance publique. La publicité ou la non publicité ne peut se déduire que des faits du procès et des circonstances réelles dans lesquelles il s’est tenu. La Cour aurait du s'assurer que le défendeur a fait diligence pour que les conditions normales de publicité du procès aient été mise à disposition pour que le public puisse suivre le déroulement du procès. Or, non seulement les dimensions raisonnables du bureau d’un juge ne permettent normalement pas à un nombre conséquent de personnes d’être présent, mais, et en supposant que le bureau soit assez spacieux et spécialement aménagé pour recevoir le public, la tenue de l'audience dans un bureau de juge est en soi intimidant aussi bien pour l’accusé que pour le public.
14. L'Etat défendeur estime que les audiences dans les bureaux des juges ne se tiennent que « [[Jorsque les portes sont ouvertes » et que « [I]e rôle de la cour est affiché et est disponible au public à l'extérieur de la salle d'audience » ($ 220 de l'arrêt).
15. Implicitement, la Cour accepte cette argumentation en affirmant que « [de l'avis de la Cour, la publicité du prononcé d'un jugement est assurée dès lors qu’elle a lieu dans un local ou un endroit ouvert, pourvu que le public soit informé du lieu et qu’il puisse y accéder librement ». ($ 225 de l'arrêt). La Cour va jusqu’à trouver à cette curiosité un argument dans la Charte qui « [e]st silencieuse sur le principe de la publicité des prononcés des décisions de justice en rapport avec le droit à un procès équitable porté par son article 7 » (S 222). Pourtant, la Cour ne manque pas de relever que ce principe est

Bk c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624 673
bel et bien consacré par l’article 14 du Pacte international sur les droits civils et politique dûment ratifié par l’Etat défendeur le 16 juillet 1976.
16. Pour étayer son raisonnement la Cour « [n]ote que la question de savoir si le prononcé d’un jugement a été fait publiquement devrait être appréciée avec une certaine flexibilité, et pas de façon trop formaliste » et s'appuie sur une jurisprudence de la CEDH qui a déclaré : « (dans l'affaire Aw c. Italie, « …l’exigence selon laquelle le jugement doit être rendu publiquement a été interprétée avec une certaine souplesse ».S Dans cette même affaire, la Cour a rappelé « qu’il convenait, dans chaque cas, d’apprécier à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit, et en fonction du but et de l’objet de l’article 6 $ 1, la forme de publicité du « jugement » prévue par le droit interne de l’État en cause ».” Elle a estimé que « l’exigence de publicité des jugements ne devait pas nécessairement prendre la forme d’une lecture à haute voix de l'arrêt, et a déclaré que les exigences de l’article 6 [ de la convention européenne des droits de l'homme] avaient été satisfaites car toute personne justifiant d’un intérêt pouvait consulter le texte intégral des arrêts du tribunal militaire de cassation ».°
17. L’argument n’est pas convainquant. La Cour européenne ne se réfère pas aux mêmes conditions de prononcé du jugement que celles de l'affaire Bk. Elle note bien qu’il « [c]Jonvenait, dans chaque d'apprécier à la lumière des particularités de la procédure dont il ‘agit, cas, s et en fonction du but et de l’objet de l’article 6 $ 1, la forme de publicité du « jugement » prévue par le droit interne ‘de l'État en cause »; vérification qui n'a pas été faite par la Cour dans cette affaire.
18. Pour s'en convaincre, il n'y a qu’à revenir au $ 6 de l’observation générale N°13 du Comité des droits de l'homme, commentant l’article 1481 du PIDCP®, qui affirme dans « [L]Je caractère public des audiences est une sauvegarde importante, dans l'intérêt de l'individu et de toute la société ». Il ajoute que, le paragraphe 1 de l’article 14 reconnaît néanmoins que « [l]es tribunaux ont le pouvoir de prononcer le huis clos pendant la totalité ou une partie du procès pour les raisons énoncées dans ce paragraphe ». Il conclut en notant que, « [hJormis ces circonstances exceptionnelles, le Comité considère qu’un procès doit être ouvert au public en général, y compris les membres de la
6 Arrêt du 10 Avril 2012, para 37.
7 _Ibidem. Voir aussi la jurisprudence citée.
8 /bidem. 38. La Cour a rappelé que dans « l'affaire Ernst c. Belgique (no 33400/96, arrêt du 15 juillet 2003), elle a considéré que les exigences de publicité posées par l’article 6 $ 1 de la Convention avaient été suffisamment respectées du fait que les requérants ont pu se procurer le texte de la décision par une démarche auprès du greffe quelques jours après le prononcé en chambre du conseil de l'arrêt de la Cour de cassation » (/bidem). Elle a ajoutée qu’en l'espèce « l'ordonnance de la Cour d'appel et l'arrêt de la Cour de Cassation ont été déposés au greffe et le requérant a été informé dudit dépôt » et qu « [a]u vu de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, [elle] estime que les exigences de publicité posées par l’article 6$1 de la Convention ont été suffisamment respectées » (/bidem, para 39).
9 L'article 14 $ 1 du PIDCP affirme entre autres : « tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public ».

674 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
presse et ne doit pas, par exemple, n’être accessible qu'à une catégorie particulière de personnes »."°
19. Il ressort de ce qui précède que le prononcé d’un jugement pénal dans un bureau de juge quand bien même ses portes seraient ouvertes, et même s’il ne constitue pas un huis clos au sens strict, n’en est pas moins une limite inacceptable au principe de la publicité affirmé par l’article 1481 du PIDCP et l’une des composantes principales du procès équitable. Pour cette raison je ne peux pas me ranger au raisonnement de la Cour sur ce point particulier.
10 C’est nous qui soulignons.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM76499864
Date de la décision : 03/06/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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