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03/06/2016 | CADHP | N°RANDOM1586740734

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 03 juin 2016, RANDOM1586740734


Texte (pseudonymisé)
Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RJCA 585
Bh Al Be c. Rwanda (compétence) (2014)
RJCA 585

585
1

Bh Al Be c. République du Rwanda
Décision sur les effets du retrait de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, 3 juin 2016 (intégrant un rectificatif à la décision, 5 septembre 2016). Fait en anglais, en français, en portugais et en arabe, le texte anglais faisant foi.
Juges C, THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ, GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
L'affaire concernait la compétence de la Cour africaine pour poursuivr

e l'examen d’une après que l'Etat défendeur eut retiré sa déclaration faite au titre de l’ar...

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RJCA 585
Bh Al Be c. Rwanda (compétence) (2014)
RJCA 585

585
1

Bh Al Be c. République du Rwanda
Décision sur les effets du retrait de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, 3 juin 2016 (intégrant un rectificatif à la décision, 5 septembre 2016). Fait en anglais, en français, en portugais et en arabe, le texte anglais faisant foi.
Juges C, THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ, GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
L'affaire concernait la compétence de la Cour africaine pour poursuivre l'examen d’une après que l'Etat défendeur eut retiré sa déclaration faite au titre de l’article 34(6) du Protocole autorisant un accès direct à la Cour par les particuliers et les ONG. La Cour a estimé qu’en vertu de l’article 3(1) et (2) du Protocole, elle était compétente pour connaître de tout différend relatif audit instrument y compris la question du retrait de la déclaration prévue à l’article 34(6). Sur la validité du retrait, la Cour a estimé que, même si la Convention de Vienne sur le droit des traités n’était pas directement applicable, elle pouvait être appliquée par analogie. La Cour a en outre conclu que, même si l’État défendeur avait le droit de retirer sa déclaration, cela ne pouvait pas se faire de manière arbitraire, car elle conférait des droits à « des tiers, dont la jouissance exige une sécurité juridique ». Le retrait devrait donc être précédé d’un préavis d'au moins un an afin de garantir « la sécurité judiciaire en empêchant la suspension brutale de droits qui aurait des conséquences sur les individus et groupes d'individus ».
Compétence (retrait de la déclaration prévue à l’article 34(6), la Cour décide de sa propre compétence, 52 ; déclaration en vertu de l’article 34(6) dissociable du Protocole, 57 ; les États ont le droit de retirer la déclaration, 58-59 ; pouvoir discrétionnaire en matière de retrait non- absolu, 60 ; avis de retrait nécessaire, 61-66)
Compétence (applicabilité de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 3, 7)
Procédure (préavis pour le retrait de la déclaration prévue à l’article 34(6), 15, 20)
Opinion individuelle : A et C
Procédure (préavis pour le retrait de la déclaration au titre de l’article 34(6), 18-20)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (applicabilité de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 29)

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RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)

Procédure (préavis pour le retrait de la déclaration prévue à l’article
34(6), 33)
I Objet de la requête
1. Le 3 octobre 2014, la Cour a été saisie d’une requête introductive d'instance présentée par Bh Al Be AHci-après dénommée «la requérante ») contre la République du Rwanda, (ci- après dénommée « le défendeur »).
2. La requérante est citoyenne rwandaise et chef du parti d'opposition Forces démocratiques unifiées (FDU Inkingi).
3. La requête est dirigée contre l’Attorney général de la République du Rwanda en sa qualité de représentant du défendeur.
4. La requérante prie la Cour de rendre les ordonnances et de décider des réparations suivantes :
j) Dire que les articles 1, 7, 10 et 11, 18 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ; les articles 7, 3, 9 et 15 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte »); et les articles 7, 14, 15, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont été violés ;
ii) Abroger avec effets rétroactifs les articles 116 et 463 de la loi organique No 01/2012 du 2 mai 2012 relative au Code pénal, ainsi que ceux de la loi No 84/2013 du 28 octobre 2013 relative à la répression des crimes de l'idéologie du génocide ;
iv) Annuler toutes les décisions qui ont été prises depuis l’enquête préliminaire jusqu’au prononcé du dernier jugement ;
v) Libérer la requérante sous condition, et
vi) Lui adjuger les dépens et les réparations.
Il. Résumé des faits
5. La requérante soutient qu’au début du génocide survenu au Rwanda en 1994, elle se trouvait aux Pays-Bas, pour ses études universitaires en économie et en gestion des entreprises.
6. Elle affirme qu’en 2000, elle a été portée à la tête d’un parti politique, le « Bq Bs pour la Démocratie au Rwanda (RDR) ». La requérante soutient en outre qu’elle était membre depuis 1998.
7. Selon la requérante, quelque temps après, la fusion entre ce parti et deux autres formations politiques a donné naissance à un nouveau parti politique, les « Forces démocratiques unifiées » (FDU Inkingi), dont la requérante assure la direction jusqu’aujourd’hui.
8. La requérante soutient qu’en 2010, après avoir passé près de 17 ans à l’étranger, elle a décidé de retourner au Rwanda pour contribuer à

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RJCA 585 587
l’œuvre de reconstruction nationale, avec, au nombre de ses priorités, faire enregistrer un parti politique, le FDU Inkingi.
9. Elle affirme en outre qu’elle n’a pas pu atteindre cet objectif car, à partir du 10 février 2010, elle a fait l’objet de poursuites par la police judiciaire, par le Procureur et par les cours et tribunaux du défendeur. Elle déclare qu’elle a été accusée de propagation de l'idéologie du génocide, de complicité de terrorisme, de sectarisme et de divisionnisme, d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat, de propagation de rumeurs de nature à inciter la population à se soulever contre les autorités politiques, de création de branche armée de mouvement rebelle et de tentative de recours au terrorisme.
10. Le 30 octobre 2012 et le 13 décembre 2013, la requérante a été condamnée à 8 ans puis à 15 ans de prison, respectivement par la Haute Cour et par la Cour suprême du Rwanda.
11. La requérante affirme que toutes les voies de recours internes ont été épuisées.
12. Par lettre du 3 octobre 2014, le Conseil de la requérante a saisi la Cour de la présente requête et par lettre du 19 novembre 2014, le Greffe a signifié la requête au défendeur.
13. Par lettre du 6 février 2015, le Greffe a transmis la requête à tous les États parties au Protocole, à la Présidente de la Commission de l'Union africaine (ci-après désignée « la CUA ») et au Conseil exécutif de l’Union africaine.
14. Par lettre du 23 janvier 2015, le défendeur a déposé sa réponse à la requête et par lettre du 14 avril 2015 la requérante a déposé sa réplique à la réponse du défendeur.
15. Par lettre du 4 janvier 2016, la Cour a notifié aux parties que l'audience publique portant sur la requête était fixée au 4 mars 2016. 16. Par lettres des 10 février 2015, 26 janvier 2016 et 1er mars 2016, Me Gatera Gashabana, un des conseils de la requérante, a demandé à la Cour si la requérante pouvait assister physiquement à l’audience publique pour comparaitre en tant que témoin et si la technologie de vidéoconférence pouvait être utilisée pour permettre à la requérante de suivre la procédure devant la Cour dans l'affaire en l'espèce. Par lettres du 26 janvier 2016 et du 2 mars 2016, le Greffe de la Cour a répondu à la requérante que la Cour n’estimait pas sa présence nécessaire à l'audience publique, qu’elle a rejeté sa demande de comparaître en tant que témoin et qu’elle n'avait pas les moyens de lui permettre de recourir à la technologie de vidéoconférence.
17. Par lettres du 29 février 2016 et du 1er mars 2016 adressées au Greffe de la Cour, les représentants de la requérante ont demandé le report de la date de l'audience publique. Toutefois, dans la lettre du 1er mars 2016, le représentant de la requérante a demandée à la Cour de l'entendre sur les questions de procédure.
18. Par lettre datée du 1er mars 2016 reçue le 2 mars 2016, le défendeur a notifié à la Cour le dépôt de l'instrument de retrait de la

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déclaration qu’il avait faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »). Dans sa lettre, l'Etat défendeur précise que : « La République du Rwanda demande qu’après le dépôt dudit instrument, la Cour suspende toutes les affaires concernant la République du Rwanda, notamment l’affaire citée ci- dessus, jusqu’à ce qu’une révision de la déclaration soit faite et notifiée à la Cour en temps opportun. »
19. Par lettre du 2 mars 2016, le Greffe a accusé réception des lettres de la requérante datées respectivement du 29 février 2016 et du 1er mars 2016 et a informé la requérante que l’audience publique aurait lieu comme prévu le 4 mars 2016, et que la Cour ne disposait pas des moyens nécessaires pour permettre à la requérante de comparaître par voie de vidéoconférence. Le Greffe a également notifié à la requérante la lettre du défendeur datée du 1er mars 2016.
20. Par lettre du 2 mars 2016, le Greffe a accusé réception de la lettre du défendeur datée du 1er mars 2016 et l’a informé que l'audience publique aurait lleu comme prévu le 4 mars 2016. Le Greffe a également notifié au défendeur les lettres de la requérante datées respectivement du 29 février 2016 et du 1er mars 2016,
21.Par lettre datée du 3 mars 2016, le Bureau du Conseiller juridique et Direction des Affaires juridiques de la CUA a notifié à la Cour le dépôt par le défendeur, de l'instrument de retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 346) du Protocole, reçu à la CUA le 29 février 2016.
22. Par lettre du 3 mars 2016, le défendeur a accusé réception de la lettre de la Cour datée du 2 mars 2016 et a indiqué qu’il estime que les raisons avancées par la requérante pour demander le report de la date de l’audience publique sont valables. Le défendeur a également demandé l'autorisation d’être entendu sur sa demande du 2 mars 2016 de suspendre les affaires pendantes devant la Cour le concernant
23. Lors de l’audience publique du 4 mars 2016, la requérante était représentée par Me Gatera Gashabana et Dr Ay Ae. Le défendeur n’a pas comparu à l’audience.
24. A la demande de la requérante, la Cour a entendu les représentants de la requérante sur les questions de procédure et ont demandé à la Cour de prendre les mesures suivantes à ce sujet :
ii Rejeter le mémoire d'amicus curiae présenté par la Commission nationale de lutte contre le génocide ;
ii. Ordonner au défendeur de faciliter l'accès des représentants de la requérante à leur cliente ;
ii. Ordonner au défendeur de faciliter l'accès de la requérante à la technologie de vidéoconférence afin de lui permettre de suivre la procédure devant la Cour dans l'affaire en l’espèce ;
iv. Ordonner au défendeur de se conformer à l'ordonnance rendue par la Cour le 7 octobre 2015 et de déposer les documents pertinents.
25. À l'issue de l'audience publique, le 18 mars 2016, la Cour a rendu une ordonnance portant mesures provisoires, dans laquelle la Cour :
“i. Ordonne aux parties de déposer leurs observations écrites sur le retrait, par le défendeur, de la déclaration faite en vertu de l’article

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34(6) du Protocole, dans les quinze (15) jours suivant réception de la présente ordonnance.
i. Décide que la décision sur les effets du retrait par le défendeur de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole sera rendue à une date ultérieure qui sera notifiée aux parties.
iii. Ordonne à la requérante de déposer ses observations écrites sur les questions de procédure mentionnées au paragraphe 15 ci-dessus, dans les quinze (15) jours suivant réception de la présente ordonnance ».
26. Par lettre du 29 mars 2016, la Cour a signifié aux parties l'ordonnance qu’elle avait rendue le 18 mars.
27. Par lettre du 13 mars 2016, le défendeur a déposé ses observations sur l’ordonnance rendue par la Cour le 18 mars 2016.
28. Par note verbale datée du 4 avril 2016, avec copie au Greffier de la Cour, le Bureau du Conseiller juridique Direction des Affaires juridiques de la CUA a informé tous les États et membres de l’Union
africaine du dépôt par le défendeur de l'instrument de retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour.
29. Par lettre du 15 avril 2016 reçue le 16 avril 2016, la Coalition pour une Cour africaine efficace (ci-après désignée « la Coalition ») a demandé à la Cour de l’autoriser à intervenir en qualité d’amicus curiae dans la requête en l'espèce.
30. Par lettre du 15 avril 2016 reçue le 18 avril 2016, la requérante a déposé ses observations sur l’Ordonnance rendue par la Cour le 18 mars 2016.
31. Par lettre du 4 mai 2016, le Greffe a signifié les observations du défendeur sur l’Ordonnance de la Cour du 18 mars 2016 à la requérante et lui a demandé de déposer ses observations éventuelles dans un délai de 15 (quinze) jours.
32. Par lettre du 4 mai 2016, le Greffe a signifié les observations de la requérante sur l’Ordonnance de la Cour du 18 mars 2016 au défendeur et lui a demandé de déposer ses observations éventuelles dans un délai de 15 (quinze) jours.
33. Par lettre datée du 4 mai 2016, le Greffe a transmis à la Coalition, avec copie aux Parties, la Décision de la Cour de l’autoriser à intervenir en qualité d’amicus curiae et lui a demandé de déposer son mémoire au plus tard le 13 mai 2016.
34. Par lettre du 13 mai 2016, la Coalition a déposé son mémoire
35. Le présent arrêt porte sur la compétence de la Cour à la lumière du retrait par le défendeur de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole.
IV. Position des parties
36. Dans ses observations écrites sur la question des effets du retrait par le défendeur de sa déclaration, celui-ci estime qu’en vertu du principe du parallélisme des formes, seule la CUA est habilitée à se

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prononcer sur le retrait et ses effets. Le défendeur affirme que la Cour et les Parties à la requête ne sont pas concernées par le retrait de sa déclaration, dès lors que l'instrument de retrait a été déposé auprès de la CUA. Toujours selon le défendeur, dans sa lettre du 3 mars 2016, il avait seulement demandé à être entendu sur sa demande de suspendre les procédures en cours et non pas sur la question du retrait. 37. Le défendeur a encore demandé à la Cour de dresser le constat judiciaire que le débat concernant le retrait est du ressort de l'Union africaine.
38. Dans ses observations écrites datées du 15 avril 2016, la requérante fait valoir qu’en l'absence de dispositions concernant un retrait éventuel de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, l’article 56 de la Convention de Vienne (ci-après désignée « la Convention de Vienne ») devrait être appliquée pour interpréter le Protocole. Toujours selon la requérante, empêcher les Etats de se retirer d’un traité ou d’une déclaration qu’ils ont faite volontairement semble être une position trop radicale et porterait atteinte à la souveraineté des Etats. La requérante soutient cependant que cela ne devrait pas être considéré comme une liberté laissée aux Etats de se retirer à tout moment ou de n’importe quelle manière. Elle a donc exhorté la Cour à se laisser guider par le principe de pacta sunt servanda, qui exige que les parties à un Traité doivent en remplir leurs obligations de bonne foi.
39. La requérante fait encore valoir que le principe de la bonne foi exige un délai raisonnable qui doit servir de période de réflexion.
40. À l’appui de cet argument, la requérante a cité l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Ai et contre celui-ci (Ai c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, Arrêt du 26 novembre 1984, dans laquelle la Cour internationale de justice a tiré la conclusion suivante :
« [O]r le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée indéfinie est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi paraît imposer de leur appliquer par analogie le traitement prévu par le droit des traités, qui prescrit un délai raisonnable pour le retrait ou la dénonciation de traités ne renfermant aucune clause de durée ».!
41. La requérante fait encore valoir que « l’objectif d’un préavis de retrait nécessaire est de décourager les retraits opportunistes qui pourraient compromettre la coopération basée sur des Traités ». Elle a cité des exemples de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, qui prévoient des périodes de préavis respectives de six mois et d’un an. La requérante a donc demandé à la Cour de prendre en considération ces analogie. jraités de manière comparative et d'appliquer leurs principes, par
1 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Ai et contre celui-ci (Ai c. États-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, Arrêt du 26 novembre 1984, Rec, 1984, p :420, para 63.

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RICA 585 591
42. La requérante considère que le retrait de la déclaration du défendeur n’a aucun effet sur les affaires pendantes, sur la base du principe de non-rétroactivité. Elle soutient encore que permettre au défendeur de se retirer des affaires pendantes devant la Cour à ce stade constituerait une violation du principe de la légalité. À l’appui de cet argument, la requérante cite l’article 70(1)(b) de la Convention de Vienne, qui dispose qu’à moins que les parties n’en conviennent autrement, la dénonciation d’un Traité n’a aucun effet sur les obligations et la situation juridique préexistante. La requérante affirme aussi que les requêtes introduites après le retrait restent recevables, dans la mesure où elles portent sur les actes posés par l’État durant la période où il était toujours lié par la Convention.
V. Observations de la Coalition
43. La Coalition porte son attention sur deux questions, à savoir celle du droit du défendeur de retirer sa déclaration, et celle des effets juridiques d’un tel retrait. La Coalition estime qu’en l'absence de dispositions explicites concernant le retrait des déclarations dans le Protocole, les dispositions de l’article 56 de la Convention de Vienne peuvent s'appliquer. Selon la Coalition, les règles qui régissent les traités sont également applicables à l'acceptation de la compétence de la Cour et pour cette raison, la Cour devrait interpréter le retrait de la déclaration du défendeur à la lumière des dispositions de la Convention e Vienne.
44. La Coalition est également d’avis que, même si la déclaration d'acceptation de la compétence de la Cour est un acte souverain unilatéral fait un Etat, déclaration crée des obligations internationales par à la charge de ladite l’État qui accepte cette compétence. Selon la Coalition, dans le cas où le défendeur souhaiterait revoir sa déclaration pour y inclure certaines réserves conformément à l’article 19(c) de la Convention de Vienne, ces réserves ne doivent pas être incompatibles avec l’objet et le but du traité.
45. La Coalition relève encore qu'aucun des quatre instruments juridiques portant création des organes judiciaires de l'Union africaine? ne prévoit la dénonciation ou le retrait et que c'est aussi le cas des principaux instruments juridiques des droits de l'homme en Afrique. Dans ces circonstances, le retrait ne semble pas être conforme à l'esprit des instruments juridiques des droits de l'homme adoptés par
46. S'agissant de la deuxième question qui concerne les effets juridiques du retrait de la déclaration du défendeur, la Coalition est d'avis que celui-ci devrait notifier son intention de se retirer au moins douze mois à l’avance, en application de l’article 56(2) de la Convention de Vienne.
2 Il s’agit du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du Protocole de la Cour de justice de l'Union africaine, du Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme ainsi que le Protocole portant amendements au Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme.

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47. Enfin, la Coalition est d'avis que la demande du défendeur de suspendre l'examen des affaires pendantes devant la Cour est en violation des dispositions du droit international des traités, de la Charte africaine et du Protocole. La Coalition relève encore que le rôle de la Cour est de préserver, compléter et renforcer les progrès réalisés dans la protection des droits de l'homme par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Commission ») et par les autres institutions, de même que l’évolution des instruments juridiques africains et internationaux. Cela englobe particulièrement, le devoir de veiller au respect des critères de l'égalité des parties à un procès, indépendamment du fait que l’une des parties soit ou non un Etat souverain. La Coalition considère également que la Cour devrait veiller à assurer le respect du droit de toute victime à un recours efficace, conformément à l’article 7 de la Charte et aux « Directives et Principes concernant le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique »,* adoptés par la Commission.
VI. Décision de la Cour
48. || ressort des observations des parties que trois questions principales sont posées concernant le retrait du défendeur. Tout d'abord, il s'agit de savoir si le retrait est valable. Ensuite, si le retrait est valable, quelles sont les conditions applicables à un tel retrait. Enfin, quelles sont les conséquences juridiques d’un tel retrait. Avant d'examiner ces questions, la Cour doit d’abord s'assurer qu’elle est compétente pour statuer sur la question du retrait.
A. Compétence de la Cour pour statuer sur la question du retrait
49. L'article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifiés par les Etats concernés » (non souligné dans
50. L'article 34(6) du Protocole stipule qu’à tout au moment à partir de la ratification du présent Protocole, l’État partie doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour. L'article stipule en outre : « La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
51. La Cour relève que le défendeur est un État Partie au Protocole, dont il a déposé l’instrument de ratification le 6 juin 2003. Le défendeur a également déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole le 22 juin 2013.
52. La Cour estime, qu’en vertu de l’article 3(1), elle a compétence pour interpréter et appliquer le Protocole, En outre, et en vertu de l’article 3(2), la Cour a le pouvoir de décider en cas de contestation de sa
3 Adopté par la Commission à sa trente-troisième session à Ao AHBf) le 29 mai 2003

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RICA 585 593
compétence. Par conséquent, la Cour considère qu’elle est compétente pour connaître de la requête en l'espèce en ce qui concerne le retrait de la déclaration du défendeur.
B. Sur la question de savoir si le retrait est valable
53. Nul ne conteste que le Protocole ne consacre pas de dispositions relatives à sa dénonciation ou au retrait éventuel de la déclaration prévue par l’article 34(6). De même, la Charte ne contient aucune disposition relative à sa dénonciation éventuelle. La requérante estime dans ses observations qu’en l'absence de dispositions explicites concernant le retrait, la Convention de Vienne est d’application. La Coalition partage ce point de vue. Le défendeur n’a avancé aucun augment sur cette question.
54. S'agissant de l’application de la Convention de Vienne à l'espèce, la Cour fait observer que si la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) émane du Protocole qui obéit au droit des traités, la déclaration elle- même est un acte unilatéral qui ne relève pas du droit des traités. En conséquence, la Cour conclut que la Convention de Vienne ne s'applique pas directement à la déclaration, mais peut s'appliquer par analogie, et la Cour peut s'en inspirer en cas de besoin
55. Pour déterminer si le retrait de la déclaration du défendeur est valable, la Cour sera guidée par les règles pertinentes qui régissent les déclarations de reconnaissance de compétence ainsi que par le principe de la souveraineté des Etats en droit international.
56. S'agissant des règles qui régissent la reconnaissance de la compétence des juridictions internationales, la Cour relève que les dispositions relatives aux déclarations similaires revêtissent une nature facultative. La preuve en est faite par les dispositions relatives à la reconnaissance de la compétence de la Cour internationale de justice,“ de la Cour européenne des droits de l'hommeS et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme.S
57. La Cour relève que, par sa nature, la déclaration prévue par l’article 34(6) est similaire à celles mentionnées ci-dessus. La raison en est que même si l’article 34(6) est une émanation du Protocole, son dépôt est facultatif par nature. Ainsi, en tant qu’acte unilatéral, la déclaration peut être séparée du Protocole et peut, de ce fait, être retirée, indépendamment du Protocole.
58. La Cour estime en outre que la nature facultative de la déclaration et son caractère unilatéral découlent du principe de droit international de la souveraineté des Etats, En ce qui concerne les actes unilatéraux, la souveraineté des Etats prescrit que les Etats sont libres de s'engager
4 Voir l’article 36(2) du Statut de la Cour internationale de justice.
5 Voir l’article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme de 1950 et avant son entrée en vigueur le Protocole n°11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ont restructuré le mécanisme de contrôle établie à cet effet.
6 Voir l’article 62(1) de la Convention américaine des droits de l'homme.

594 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
et qu’ils conservent le pouvoir discrétionnaire de retirer leurs engagements.
59. En conséquence, la Cour conclut que le défendeur est en droit de retirer la déclaration qu’il avait faite en vertu de l’article 34(6) et que ce retrait est valable au regard du Protocole.
C. Les conditions du retrait
60. S'agissant des conditions du retrait, la Cour relève que même si le retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) est un acte unilatéral, le caractère discrétionnaire de ce retrait n'est pas absolu. Ceci est d'autant plus vrai en ce qui concerne les actes créant des droits au profit des tiers et dont la jouissance requiert une sécurité juridique.
Dans ces circonstances et sont autorisés à se retirer, les 61. États sont tenus de donner préavis lorsqu'ils de leur intention. L'exigence de
préavis est nécessaire en l'espèce, considérant en particulier que la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole constitue non seulement un engagement international de l’État, mais bien plus important, crée des droits subjectifs en faveur des individus et des groupes.
62. De l'avis de la Cour, la notification du délai de préavis est essentielle pour assurer la sécurité juridique et empêcher une suspension soudaine de droits ayant inévitablement des conséquences sur les tiers que sont, en l'espèce, les individus et les ONG qui sont titulaires de ces droits.” Par ailleurs, le Protocole est un instrument d'application de la Charte qui garantit la protection et la jouissance des droits de l'homme et des peuples inscrits dans la Charte et dans d’autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme. En conséquence, le retrait brusque sans préavis est susceptible d'affaiblir le régime de protection prévu par la Charte.
63. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a adopté une position similaire dans l'affaire /vcher Ap AG Au, dans laquelle elle à conclu que :
« L'action unilatérale d’un État ne peut êter à une Cour internationale la compétence qu'il lui a déjà reconnue ; [lorsqu’] un État [est autorisé à] retirer sa reconnaissance de la compétence contentieuse de la Cour, il devra donner une notification formelle un an avant que le retrait puisse prendre effet, pour des raisons de sécurité juridique et de continuité ». (traduction).
64. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que la notification du délai de préavis est obligatoire en cas de retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole.
65. Concernant le délai de ce préavis, la Cour s’inspire de deux pratiques principales qui s'accordent sur un délai d’au moins un an. Le
7 Voir Bl Bv Bk Bn Af Av in Africa (2007) Oxford à la page 256 et Cc Bj Bx, Aj Bu in Cb By (ed.) The Bt Ag Y Bu Bt Bo Bg, 2012 aux pages 634-649.
8 Affaire /vcher Ap AG Au paragraphe 24(b).

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premier exemple est la pratique de la Cour interaméricaine des droits de l’homme telle que prévue à l’article 78 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et appliquée dans l'affaire |vcher Ap mentionnée ci-dessus. La seconde illustration est fournie par le délai de préavis prévu par l’article 56(2) de la Convention de Vienne. 66. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le prévis d’un an s'applique au retrait de la déclaration du défendeur.
D. Effets juridiques du retrait
67. La Cour estime que les conséquences juridiques du retrait sont de deux ordres. Tout d’abord, étant donné que le préavis d’un an s'applique en l'espèce, l'acte de retrait ne prendra effet qu'après la période de préavis. En conséquence, la Cour conclut que le retrait de la déclaration du défendeur faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole prendra effet après un délai d’un an, soit le 1er mars 2017.
68. Ensuite, les parties ont soulevé des questions relatives au possible effet sur les affaires pendantes. La Cour estime qu’un acte posé par le défendeur ne saurait écarter la compétence de la Cour comme cela a déjà été indiqué. Cette position est appuyée par le principe juridique de non-rétroactivité qui dispose que les nouvelles règles ne s'appliquent qu’aux situations futures. En conséquence, la Cour déclare que la notification par le défendeur de son intention de retirer sa déclaration n’a aucun effet juridique sur les affaires pendantes devant la Cour.
69. Par ces motifs,
La Cour, à l’unanimité :
i) Dit qu’elle a compétence pour statuer sur la question du retrait de la déclaration.
ii) Dit que le retrait par le défendeur de sa déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole est valable.
À la majorité de neuf (9) voix pour et deux (2) voix contre, les Juges Ba Aa Bb C et Bz A ayant émis une opinion dissidente.
if) Décide que le retrait par le défendeur de sa déclaration faite en vertu de l’article 34(6) prend effet douze mois après le dépôt du préavis, c'est-à-dire le 1er mars 2017.
À l'unanimité,
iv) Le retrait par le défendeur de sa déclaration n’a aucun effet sur la requête en l'espèce, et la Cour continuera donc à l’examiner.

596 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Opinion dissidente : N'YUNGEKO et C
1. Nous sommes d’accord avec la majorité au sein de la Cour pour considérer que celle-ci a compétence pour statuer sur la question du retrait de la déclaration faite par l’Etat défendeur en vertu de l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour ; que ce retrait est en l’occurrence valide ; mais qu’il n’a aucun effet sur la requête sous examen. Nous sommes également d’accord avec la majorité sur toutes les mentions contenues dans le corrigendum attaché à l’arrêt, aussi bien en ce qui concerne l'intitulé de l’arrêt et la formulation correspondante du point (iv) du dispositif, qu’en ce qui regarde le paragraphe 54 de l’arrêt.
2. En revanche, nous sommes en désaccord avec la majorité sur la décision de la Cour selon laquelle « … le retrait par le défendeur de sa déclaration (...) prend effet douze mois après le dépôt du préavis, c’est- à-dire le 1er mars 2017 » [paragraphe 69] (Il). Par ailleurs, s'agissant de la motivation de l'arrêt, nous estimons que malgré l'ajustement apporté par le corrigendum au paragraphe 54 de l'arrêt, la position de la majorité sur l’applicabilité de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités demeure empreinte d'ambigüité (1).
[. Sur l’applicabilité de la Convention de Vienne sur le droit des traités aux actes unilatéraux
3. En examinant la question de savoir si l'Etat défendeur avait le droit de retirer sa déclaration faite au titre de l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour, celle-ci estime avec raison, dans le corrigendum, que « … la Convention de Vienne ne s'applique pas directement à la déclaration, mais peut s'appliquer par analogie, et [que] la Cour peut s’en inspirer, en cas de besoin » [paragraphe 54). Cette position est d’ailleurs en harmonie avec celle de la Cour internationale de justice (CIJ), dans l'affaire de la Compétence en matière de pêcheries (At AG BrAI. Parlant de l’application de la Convention de Vienne à l'interprétation des déclarations d'acceptation de juridiction obligatoire de la Cour, celle-ci a déclaré :
« La Cour relève que les dispositions de la Convention de Vienne peuvent s'appliquer seulement par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec le caractère sui generis de l'acceptation unilatérale de la juridiction de la Cour ».1
4. Toutefois, en se déterminant sur la question de savoir à partir de quelle date le retrait de la déclaration prend effet- question sur laquelle nous reviendrons-, la majorité déclare, de façon lapidaire et sans aucune explication, s'inspirer, entre autres, de la pratique du « délai de préavis [d’un an] prévu par l'article 56(2) de la Convention de Vienne » [paragraphe 65].?
1 Arrêt du 4 décembre 1998, CIJ, Recueil 1998, p. 453, paragraphe 46.
2 Cet article dispose comme suit : « 2. Une partie doit notifier au moins douze mois à l'avance son intention de dénoncer un traité ou de s’en retirer conformément aux dispositions du paragraphe 1 ».

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5. Ce faisant, la Cour ne donne aucune indication sur l’application « analogique » qu’elle postule au paragraphe 54 corrigé de l'arrêt. Même si elle déclare simplement s’en « inspirer », elle donne toujours la forte impression d'appliquer directement l’article 56(2) de la Convention de Vienne, en contradiction avec sa position de principe exprimée au paragraphe 54 corrigé de l'arrêt.
6. De notre point de vue, pour aboutir à la conclusion qui est la sienne, il aurait fallu que la Cour explique en quoi la situation du retrait d’une déclaration est analogue à celle du retrait d’une convention interétatique pour ce qui est du délai de préavis, ce qu’elle n’a absolument pas fait.
7. Le moins que l’on puisse dire est donc que la Cour n’a pas levé toutes les ambiguïtés en ce qui concerne l’applicabilité de la Convention de Vienne sur le droit des traités aux actes unilatéraux des Etats, telle que la déclaration facultative de la reconnaissance de la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant de particuliers. Elle n’a pas fourni les clarifications nécessaires, au sujet d’un point sur lequel elle était pourtant censée faire jurisprudence.
Il. Sur la date à laquelle le retrait de la déclaration prend effet
8. La Cour estime que le retrait de la déclaration doit être assorti d’un délai de préavis et la majorité ajoute qu’en l’occurrence, le délai de préavis applicable est d’une année à compter de la date de dépôt dudit retrait.
9. En ce qui concerne l’exigence d’un préavis, la Cour invoque pour l'essentiel, avec raison, la nécessité d'assurer la sécurité juridique aux bénéficiaires de la déclaration en question, ainsi que la protection du système des droits de l'homme incarné par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples :
« De l’avis de la Cour, la notification du délai de préavis est essentielle pour assurer la sécurité juridique et empêcher une suspension soudaine de droits ayant inévitablement des conséquences sur les tiers que sont, en l'espèce, les individus et les ONG qui sont titulaires de ces droits. Par ailleurs, le Protocole est un instrument d'application de la Charte qui garantit la protection et la jouissance des droits de l'homme et des peuples inscrits dans la Charte et dans d’autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme. En conséquence, le retrait brusque sans préavis est susceptible d'’affaiblir le régime de protection prévu par la Charte » [paragraphe 62. Voir aussi paragraphes 60 et 61].
10. Pour ce qui est du délai de préavis, la majorité déclare s'inspirer de l’article 78 de la Convention interaméricaine des droits de l'homme qui prescrit un an de préavis et de la jurisprudence correspondante de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, de même-on l’a vu- que de l’article 56(2) de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui, elle aussi, prévoit un délai d’une année [paragraphes 65 et 66].
11. Si l’on peut suivre la majorité en ce qui concerne la nécessité d’un délai de préavis pour préserver les droits des bénéficiaires de la déclaration de l'Etat défendeur qu’une interruption brusque pourrait

598 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
affecter par surprise, par contre, il est difficile de comprendre pourquoi cette majorité a prescrit un délai d’un an à cet effet.
12. À notre avis, il s’agit là d’un délai excessif qui n’est justifié par aucun principe ou aucune circonstance particulière, et les fondements que la Cour avance ne sont pas convaincants.
13. La pratique conventionnelle et jurisprudentielle dans le système interaméricain des droits de l'homme est en effet une pratique comme tant d’autres dont il est possible de s’inspirer certes, mais qui n’a pas vocation à s'appliquer, sans discussion, à la Cour africaine. En Europe, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par exemple, prévoit un délai de préavis de six mois.* A l’échelle universelle, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit, quant à lui, un délai de trois mois. La Cour n’explique pas pourquoi elle préfère s'inspirer de la pratique interaméricaine plutôt que de la pratique, différente, du système des Cd Bm ou du système européen.
14. Quant à la Convention de Vienne sur le droit des traités, on a vu que la Cour l’a en fait appliquée directement sans le bénéfice d'une discussion sur l’analogie possible entre le retrait d’une convention, et le retrait d’un acte unilatéral (supra, paragraphe 5).
15. En réalité, dans le silence des textes applicables et en particulier du Protocole portant création de la Cour, sur la question du retrait de la déclaration et du délai de préavis, la Cour aurait dû retenir, plutôt que des délais fixes prévus par des textes qui ne sont pas applicables devant elle, le critère du délai raisonnable posé par la CIJ dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Ai et contre celui-ci (Ai c. Etats Unis d’Amérique), au sujet du retrait des déclarations facultatives de juridiction obligatoire de la Cour :
« … le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée indéfinie est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi paraît imposer de leur appliquer par analogie le traitement prévu par le droit des traités, qui prescrit un délai raisonnable pour le retrait ou la dénonciation de traités ne renfermant aucune clause de durée. Puisque le Ai n'a manifesté en fait aucune intention de retirer sa propre déclaration la question de savoir quel délai raisonnable devrait être respecté n’a pas été approfondie : il suffira d'observer que le laps de temps du 6 au 9 avril ne constitue pas « un délai raisonnable ».5
16. Un auteur a soutenu un point de vue similaire :
« Concerning the customary status of Article 56(2) [of the Ca Convention), it is possible to sustain, with relative certitude, that its fixed period of 12 months does not reflect customary law. Nevertheless, the latter seems to impose the obligation of advance notice to be given within a ’reasonable time”; and this appears to be based on the principle of good faith … ».8
3 Article 58 de la Convention, 4 novembre 1950, telle qu’amendée.
4 Article 12 du Protocole facultatif, 16 décembre 1966.
5 Arrêt du 26 novembre 1984 (compétence de la Cour et recevabilité de la requête), CIJ, Recueil 1984, p. 420, paragraphe 63. Mème si la Cour fait ici référence à la Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit-on le rappelle- un délai de préavis d’un an, elle insiste sur, et applique le critère du « délai raisonnable ».

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RICA 585 599
17. En l’espèce, la Cour aurait dû se poser la question de savoir quel est en l’occufrence le délai raisonnable. Et pour répondre à cette question, la Cour aurait dû se demander, dans la droite ligne de son raisonnement sur la nécessité d'assurer la sécurité juridique des bénéficiaires de la déclaration faite par l'Etat défendeur au titre de l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour, quelles sont les personnes ou les entités qui pourraient être lésées par un retrait brutal de ladite déclaration.
18. A notre avis, et selon une approche pragmatique, on peut considérer que ceux qui peuvent être lésés par un retrait sans préavis de la déclaration sont les individus et les ONG qui étaient sur le point de soumettre une requête à la Cour, en se fondant sur la déclaration pour établir la compétence ratione personae de cette Cour. Allant plus loin dans ce sens, on pourrait considérer que de telles personnes ou ONG sont celles qui étaient sur le point ou qui venaient d’épuiser les voies de recours internes ou qui envisageaient d’invoquer la prolongation anormale de ces recours ou encore leur inefficacité.
19. Si l’on admet cette ligne de raisonnement, il est clair qu’un délai d’un an est excessif et n’est donc pas raisonnable. En effet, on ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce que des requérants potentiels se trouvant dans la situation que l’on vient de décrire, aient besoin d’un an pour introduire leur requête.
20. De notre point de vue, un délai de six mois depuis la publication du retrait devrait pouvoir suffire pour introduire une requête devant la Cour, sachant qu’une requête sera toujours suivie ultérieurement d’un échange de plaidoiries écrites plus élaborées entre les parties, conformément aux dispositions du Règlement intérieur de la Cour.
21. A cet égard, même la requérante s'est abstenue de demander fermement un délai de préavis d’un an. Dans les Observations en date du 15 avril 2016, un de ses Avocats parle en effet d’un délai raisonnable (paragraphe 29], et après avoir relevé que dans la pratique internationale, il a été question de délais d’un an, de six mois ou même de trois mois (paragraphe 32), il considère que le retrait du Rwanda ne devrait pas avoir un effet immédiat mais devrait prendre effet seulement après un certain nombre de mois au moins [paragraphe 33). Sur ce point, il conclut en demandant que le retrait du Rwanda prenne effet seulement après une « cooling off period » [paragraphe 53). C’est dire si, même de l'avis de la Partie requérante, il n’était pas question d'appliquer automatiquement et mécaniquement le délai d'un an prévu par la Convention de Vienne sur le droit des traités.
22. En conclusion, il nous semble que dans un arrêt où la Cour allait certainement faire jurisprudence, elle n’a pas suffisamment appréhendé toutes les dimensions des questions juridiques en cause et toutes les implications de ses positions, non seulement en ce qui concerne l’applicabilité de la Convention de Vienne sur le droit des
6 Ar Am, « Article 56 », The Ca Conventions on the Law of Treaties, a Commentary, Bd Ax X Bc Ah, ed., vol Il, Bt Bo Bg, 2011, p.1257.

600 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
traités aux actes unilatéraux découlant des traités, mais également en ce qui regarde la question du délai de préavis en cas de retrait.
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. Je partage les conclusions de la Cour quant à sa compétence pour statuer sur la question du retrait par le Rwanda de la déclaration facultative de juridiction obligatoire qu’il a déposée au titre de l’article 34(6) du Protocole ; je partage également ses conclusions quant à la validité du retrait, quant à l’exigence d’un préavis de douze mois pour la prise d'effet de ce retrait et quant à l'absence d’incidence du retrait sur l’examen de l'affaire pendante. Je considère toutefois insuffisante la motivation de l'arrêt relative à la validité du retrait et à l'exigence d’un Se de douze mois pour la prise d’effet de ce retrait (paragraphes 54-
2. J'estime en effet que la Cour aurait dû souligner la nature juridique particulière de la déclaration facultative, indiquer plus clairement les conditions de validité juridique d’un retrait de celle-ci et mieux expliquer la raison d’être de l'exigence d’un délai de préavis d’une durée de douze mois. Selon moi, c’est en raison de la nature particulière de la déclaration facultative que son retrait par le Rwanda ne devrait prendre effet qu’avec l’écoulement d’un préavis de douze mois.
[. L’objet particulier de la déclaration facultative : la subjectivisation internationale: des individus et organisations non-gouvernementales
3. Au paragraphe 57 de l'arrêt, la Cour « relève que, par sa nature, la déclaration prévue par l’article 34(6) est similaire à celles [relatives à la reconnaissance de la compétence de la Cour internationale de Justice, de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme] ».
4. J'estime pour ma part que la déclaration facultative de juridiction obligatoire prévue par l’article 34(6) du Protocole est unique en son genre. Elle se différencie nettement des déclarations prévues par le Statut de la Cour internationale de Justice (article 36(4)),* la Convention européenne (article 46), avant son amendement par le Protocole No. 11,? et la Convention américaine (article 62).°
1 « Les déclarations ci-dessus visées pourront être faites purement et simplement ou sous condition de réciprocité »
2 1. Chacune des Hautes Parties contractantes peut, à n’importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, la juridiction de la Cour sur toutes les affaires concernant l'interprétation et l’application de la présente Convention. 2. Les déclarations ci-dessus visées pourront être faites purement et simplement ou sous condition de réciprocité de la part de plusieurs ou de certaines autres Parties contractantes ou pour une durée déterminée. 3. Ces déclarations seront remises au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe qui en transmettra copie aux Hautes Parties contractantes.

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RJCA 585 601
5. Le dépôt de ces trois déclarations a en effet pour objet d’autoriser un « Etat partie » à saisir les cours en question et non pas un « individu » ou une « organisation non- gouvernementale ». Dans le système européen avant qu’il ne soit réformé par le Protocole No. 11, l'individu ne possèdait pas le droit de saisir la Cour européenne ; il s'agissait là d’un droit propre à la défunte Commission européenne et, de manière facultative, aux Etats parties. I| en va de même dans le système interaméricain actuel où seuls la Commission interaméricaine et, de manière facultative, les Etats parties ont le droit de saisir la Cour interaméricaine. En ce qui concerne la Cour internationale de Justice, seuls les Etats peuvent se présenter devant elle (article 36 du Statut).
6. Dans les trois systèmes susmentionnés, le dépôt de la déclaration facultative par un Etat partie emporte reconnaissance obligatoire par celui-ci de la juridiction de la cour concernée à l'égard de tout autre Etat partie ayant fait la même déclaration. Dans ces trois systèmes, le dépôt de la déclaration vise à conférer des droits et avantages réciproques aux Etats parties. Le dépôt de la déclaration crée des droits au bénéfice de l’Etat qui en est l’auteur et de ceux qui ont déjà fait une telle déclaration ; le dépôt de la déclaration constitue également une offre permanente à tous les autres Etats n'ayant pas encore effectué un tel dépôt. C’est par exemple ce que la Cour internationale de Justice a déclaré à plusieurs reprises concernant la déclaration prévue par l’article 36(2) de son Statut.
7. Selon la Cour de La Haye, en effet, la déclaration « établit un lien consensuel et ouvre la possibilité d’un rapport juridictionnel avec les autres Etats qui ont fait une déclaration en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, et constitue “une offre permanente aux autres Etats parties au Statut n'ayant pas encore remis de déclaration
8. Dans le fonctionnement des systèmes de la Cour internationale de Justice et des deux cours régionales européenne (avant l'entrée en vigueur du Protocole No. 11) et interaméricaine, la condition de réciprocité joue, ou jouait, un rôle fondamental. La compétence de ces trois cours est, ou était, conditionnée à son acceptation par les Etats
3 «1. Tout Etat partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratification ou d'adhésion à la présente Convention, ou à tout autre moment ultérieur, déclarer qu'il reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans convention spéciale, la compétence de la Cour pour connaître de toutes les espèces relatives à l'interprétation ou à l’application de la Convention. 2. La déclaration peut être faite inconditionnellement, ou sous condition de réciprocité, ou pour une durée déterminée ou à l’occasion d'espèces données. Elle devra être présentée au Secrétaire général de l'Organisation, lequel en donnera copie aux autres Etats membres de l'Organisation et au Greffier de la Cour. 3. La Cour est habilitée à connaître de toute espèce relative à l'interprétation et à l'application des dispositions de la présente Convention, pourvu que les Etats en cause aient reconnu ou reconnaissent sa compétence, soit par une déclaration spéciale, comme indiqué aux paragraphes précédents, soit par une convention spéciale ».
4 Compétence en matière de pêcheries (At AG BrAI, compétence de la Cour, arrêt du 4 décembre 1998, C.l.J. Recueil 1998, p. 453, paragraphe 46.

602 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
parties et dans la seule mesure définie par les déclarations de ces Etats, c’est-à-dire en tenant compte des réserves éventuelles.®
9. Dans le cadre du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, la déclaration prévue par l’article 34(6) vise pour sa part à autoriser les individus et organisations non- gouvernementales, et non les Etats parties, à saisir la Cour africaine. La condition de réciprocité est absolument inopérante ici dans la mesure où les Etats parties ne visent pas, au moyen de cette déclaration, à se conférer des droits réciproques. C’est par la seule participation des Etats au Protocole, que ces Etats se confèrent ces droits réciproques en ce qui concerne la saisine de la Cour par l’un d'entre eux contre un autre (voir l’article 5(1) du Protocole). Le témoignage le plus éloquent que la réciprocité n’a aucun sens dans le cadre du Protocole est que les bénéficiaires de la déclaration, c'est-à- dire les individus et les organisations non-gouvernementales, ne peuvent pas déposer une telle déclaration.
10. La déclaration facultative de l’article 34(6) du Protocole se distingue ainsi de celles opérant dans le cadre de la Cour internationale de Justice, de la Cour européenne (avant l'entrée en vigueur du Protocole No. 11) et de la Cour interaméricaine. Elle se rapproche par contre de celle prévue par le Protocole créant la Cour arabe des droits de l'homme (articles 19° et 20). Elle se rapproche également de la déclaration prévue par l’article 25 de la Convention européenne (avant son amendement par le Protocole No. 11) en ce qui concerne la saisine de la défunte Commission européenne par les individus” et de celle prévue par l’article 56(4) de la Convention européenne (après son
5 Voir par exemple les prononcés suivants de la Cour internationale de Justice : « [...] la saisine de la Cour par voie de requête, dans le système du Statut, n’est pas ouverte de plein droit à tout Etat partie au Statut, elle n’est ouverte que dans la mesure définie par les déclarations applicables », Affaire Ad (Exception préliminaire), arrêt du 18 novembre 1953, C.l.J. Recueil 1953, p. 122 ; « la compétence de la Cour dépend des déclarations faites par les parties conformément à l’article 36, paragraphe 2 du Statut sous condition de réciprocité : [...] Par ces déclarations, compétence est conférée à la Cour seulement dans la mesure où elles coïncident pour la lui conférer », Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company (Compétence), arrêt du 22 juillet 1952, C.1.J. Recueil 1952, p. 103.
6 «2. State Parties can accept, when ratifying or acceding to the Statute or at any time later, that one or more NGOs that are accredited and working in the field of human rights in the State whose subject claims to be a victim of a human rights violation has access to the Court ».
7 «1. La Commission peut être saisie d’une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la présente Convention, dans le cas où la Haute Partie contractante mise en cause a déclaré reconnaître la compétence de la Commission dans cette matière. Les Hautes parties contractantes ayant souscrit une telle déclaration s'engagent à n’entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. 2. Ces déclarations peuvent être faites pour une durée déterminée. 3. Elles sont remises au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, qui en transmet copies aux Hautes Parties contractantes et en assure la publication. 4. La Commission n’exercera la compétence qui lui est attribuée par le présent article que lorsque six Hautes Parties contractantes au moins se trouveront liées par la déclaration aux paragraphes précédents ».

Be c. Rwanda (compétence) (2014) 1 RJCA 585 603
amendement par le Protocole No. 11), en ce qui concerne le dépôt d’une déclaration facultative autorisant la Cour européenne à être
gouvernementale ou groupe de particuliers à l'égard d’un territoire dont l'Etat partie assure les relations internationales et auquel la Convention a été étendue.®
11. Je rappellerais ici que l’article 34(4) de la Convention européenne telle qu’amendée par le Protocole No. 11 et l’article 4 du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7 /91 du 6 juillet 1991 relatif à la Cour de justice de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ouvrent un droit d’accès direct et automatique des individus au prétoire de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de la CEDEAO, respectivement.
12. En prévoyant un droit de saisine facultatif de la Cour africaine au bénéfice des individus et organisations non-gouvernementales, le système africain de protection des droits de l'homme se situe ainsi à mi-chemin entre le système interaméricain, où l'individu n’a pas le droit de saisir la Cour interaméricaine, et le système européen actuel dans lequel l’individu a un accès direct et automatique à la Cour européenne. 13. En offrant aux individus et organisations non-gouvernementales le droit de faire valoir leurs droits devant la Cour africaine, le dépôt de la déclaration facultative par un Etat partie au Protocole a pour effet essentiel de conférer une subjectivité internationale à ces entités. Les individus et organisations non-gouvernementales disposent ainsi d’un droit propre de saisine de la Cour et peuvent ainsi faire directement faire valoir au plan international les droits garantis par la Charte africaine et les autres instruments juridiques relatifs aux droits de l'homme auxquels sont parties les Etats concernés.
14. Dans le système de protection créé par le Protocole, il n'existe pour ainsi dire plus d’écran étatique entre l'individu et l’ordre juridique international, cet écran ayant été percé par la déclaration de l’article 34(6). De simples « objets » du droit international, les individus et organisations non-gouvernementales sont devenus de véritables « sujets » de droit international, d’abord par le biais de la Charte africaine qui leur a conféré le droit automatique de saisir de la Commission africaine, organe quasi-judiciaire, et par le biais du Protocole qui leur confère désormais le droit facultatif de saisir la Cour africaine, organe judiciaire.
15. Cela ne signifie cependant pas que les individus et organisations non- gouvernementales soient ainsi devenus des sujets de droit international à l’image des Etats. Comme l’a en effet indiqué la Cour internationale de Justice, « Les sujets de droit, dans un système
8 «4. Tout Etat qui a fait une déclaration conformément au premier paragraphe de cet article, peut, à tout moment par la suite, déclarer relativement à un ou plusieurs des territoires visés dans cette déclaration qu’il accepte la compétence de la Cour pour connaître des requêtes de personnes physiques, d'organisations non gouvernementales ou de groupes de particuliers, comme le prévoit l’article 34 de la Convention ».

604 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature ou à l'étendue de leurs droits ».°
16. Dans le cadre du Protocole, les individus et organisations non- gouvernementales sont devenus des sujets dérivés ou secondaires du droit international, dans la mesure où leur subjectivité internationale leur a été conférée par la volonté des Etats africains, sujets originaires ou primaires du droit international. Pure manifestation de la souveraineté de l'Etat, la subjectivité internationale ainsi conférée aux individus et organisations non- gouvernementales par le Protocole ne saurait toutefois être considérée comme immuable ; ce que des Etats souverains, sujets primaires de droit international, peuvent faire, ils peuvent certainement le défaire dans le respect de certaines conditions.
Il. Le retrait de la déclaration facultative : l’exigence d’un préavis raisonnable
17. L'instrument de ratification du Protocole par le Rwanda, daté du 5 mai 2003, a été déposé le 6 mai 2003. Sa déclaration facultative est pour sa part datée du 22 janvier 2013 et a été notifiée au Président de la Commission de l'Union africaine le 6 février 2013. Elle est ainsi libellée :
« [The Republic of Rwanda] declares that the Ab Ac on Human and Peoples’ Rights may receive petitions involving the Republic of Rwanda, filed by Non- Governmental Organizations (NGOs) with observer status before the African Commission of Human and Peoples’ Rights and individuals, subject to the reservation that all local remedies will have been exhausted before the competent organs and jurisdictions of the Republic of Rwanda ».
18. Cette déclaration ne contient aucune précision quant à sa limitation dans le temps. La possibilité de son retrait n’est pas non plus prévue par le Protocole. Aux fins d’identifier les conditions dans lesquelles elle peut être retirée par le Rwanda, il convient de déterminer sa nature juridique.
19. La déclaration prévue par l’article 34(6) du Protocole est une déclaration facultative d'acceptation de la juridiction obligatoire ° de la Cour africaine et peut selon moi s'analyser comme un acte unilatéral lié à une prescription conventionnelle. Elle consiste en effet en un acte unilatéral"! dans la mesure où elle est un engagement de l’État qui en est l’auteur d’assumer unilatéralement une obligation juridique, celle de reconnaître la compétence de la Cour relativement à toute affaire introduite par un individu ou une organisation non- gouvernementale.
9 Réparation des dommages subis au service des Cd Bm, avis consultatif du 11 avril 1949, C.l.J. Recueil 1949, p. 178.
10 « Acte discrétionnaire par lequel un Etat souscrit un engagement de juridiction obligatoire, attribuant unilatéralement compétence à une juridiction pour des catégories de litiges définies à l'avance », Jean Salmon (Dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant/AUF, Bruxelles, 2001, p. 303.
11 Un acte unilatéral peut être défini comme une « manifestation de volonté imputable à un seul sujet de droit international et susceptible de produire des effets juridiques dans l’ordre international », ibid, p. 31.

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Cette déclaration est par ailleurs un acte unilatéral lié à une prescription conventionnelle car elle est prévue par un traité, en l'occurrence le Protocole en son article 34(6), et la catégorie d’affaires pouvant être soumises à la Cour est définie par ledit traité.
20. A cet égard, la Cour internationale de Justice avait par exemple indiqué que
« Les déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour sont des engagements facultatifs, de caractère unilatéral, que les Etats ont toute liberté de souscrire ou de ne pas souscrire ».12
21. La Cour mondiale avait en outre indiqué que le retrait de telles déclarations était possible mais qu’il était soumis à conditions. Elle avait en effet considéré ce qui suit :
« le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée indéfinie est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi paraît imposer de leur appliquer par analogie le traitement prévu par le droit des traités, qui prescrit un délai raisonnable pour le retrait ou la dénonciation de traités ne renfermant aucune clause de durée ».13
22. Dans un arrêt du 24 septembre 1999, la Cour interaméricaine des droits de l'homme avait pour sa part indiqué que la seule manière pour un Etat partie à la Convention américaine de retirer sa déclaration facultative de reconnaissance de la compétence de la Cour était de dénoncer la Convention elle-même, et ce conformément à son article 78 qui prévoit un délai d’un an. ‘* Ce n’est qu’à titre subsidiaire, aux fins d’exclure absolument la possibilité d’un retrait de la déclaration avec « effet immédiat », que la Cour interaméricaine s'était référée à l'arrêt susmentionné de la Cour internationale de Justice pour considérer également que le retrait d’une déclaration facultative était gouverné par les règles pertinentes du droit des traités et que ces règles excluaient clairement un retrait avec effet immédiat.
23. Partageant en cela la position de la Cour européenne des droits de l’homme, telle qu’exprimée dans son arrêt rendu dans l'affaire Bi
12 Activités militaires et paramilitaires au Ai et contre celui-ci (Ai c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt du 26 novembre 1984, C.l.J. Recueil 1984, p. 418, paragraphe 59 ; Compétence en matière de pêcheries (At AG BrAI, compétence de la Cour, arrêt du 4 décembre 1998, C.l.J. Recueil 1998, p. 456, paragraphe 54.
13 Activités militaires et paramilitaires au Ai et contre celui-ci (Ai c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt du 26 novembre 1984, C.l.J. Recueil 1984, p. 420, paragraphe 63 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Bw, exceptions préliminaires, arrêt du 11 juin 1998, C.lJ. Recueil 1998, p. 295, paragraphe 33. Quelques années plus tard, la Cour mondiale avait précisé ce qui suit : « Le régime qui s'applique à l’interprétation des déclarations faites en vertu de l’article 36 du Statut n’est pas identique à celui établi pour l’interprétation des traités par la convention de Vienne sur le droit des traités. [...] La Cour relève que les dispositions de la convention de Vienne peuvent s'appliquer seulement par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec le caractère sui generis de l'acceptation unilatérale de la juridiction de la Cour », Compétence en matière de pêcheries (At AG BrAI, compétence de la Cour, arrêt du 4 décembre 1998, C.1.J. Recueil 1998, p. 453, paragraphe 46.
14 Affaire Z c. Pérou, arrêt du 24 septembre 1999 (Compétence), paragraphe 40.
15 Affaire lvcher-Bronstein c. Pérou, arrêt du 24 septembre 1999, paragraphe 53.

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c. Turquie,'® la Cour interaméricaine avait fermement exclu toute analogie entre la pratique des Etats en relation avec le système de la clause facultative prévu par l’article 36(2) du Statut de la Cour internationale de Justice et celle relative au système de la clause facultative prévu par la Convention américaine des droits de l'homme, et ce en raison de la nature particulière ainsi que de l’objet et du but de cette convention.” La Cour interaméricaine avait à cet égard indiqué ce qui suit :
« In effect, international settlement of human rights cases (entrusted to tribunals like the Inter-American and European Courts of Human Rights) cannot be compared to the peaceful settlement of international disputes involving purely interstate litigation (entrusted to a tribunal like the International Court of Justice); since, as is widely accepted, the contexts are fundamentally different, States cannot expect to have the same amount of discretion in the former as they have traditionally had in the latter ».18
24. Dans la présente espèce, ni la Charte africaine, ni le Protocole portant création de la Cour, ne contiennent de clause de dénonciation, à la différence de la Convention américaine’ et de la Convention
25. À cet égard, un examen des travaux préparatoires de la Charte africaine révèle qu’un certain nombre d'Etats (Congo, Bf, Centrafrique) avaient proposé d’y insérer une clause de dénoncia- tion ;?" cette proposition d'amendement avait toutefois été rejetée par la Conférence des Ministres de l’O.U.A. lors de sa seconde session à Banjul (Gambie).
26. Dans le silence de la Charte Africaine, on devra dès lors se référer à la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 dont l’article 56 soumet la dénonciation d’un traité à des conditions très strictes ; il faut en effet qu’il ait été dans l’intention des parties
16 Affaire Bi c. Turquie (Exceptions préliminaires), arrêt du 23 mars 1995, paragraphes 84 et 85.
17 Affaire Z c. Pérou, arrêt du 24 septembre 1999, paragraphes 47 et
18 Ibid., paragraphe 48.
19 Article 78.
20 Article 58.
21 « Les Délégations susnommées ont l'honneur de proposer à la Conférence des Ministres de l’OUA les propositions ci-après, qui tout en reconnaissant aux Etats, membres de l'OUA un droit de réserve, de retrait de la réserve et un droit de dénonciation, précisent les limites du droit de réserve et la procédure de dénonciation. Ces propositions qui ne remettent en cause aucune des dispositions déjà adoptées, tendent au contraire à les compléter et à lever toute équivoque. Les voici : Article 1 (article 69 nouveau) 1. Le Secrétaire Général de l'OUA recevra et communiquera à tous les Etats qui sont ou qui peuvent devenir parties à la présente Charte, le texte des réserves qui auront été faites au moment de l'adhésion. 2. Aucune réserve incompatible avec l’objet et le but de la présente Charte ne sera admise. 3. Les réserves peuvent être retirées à tout moment par voie de notification adressée au Secrétaire Général de l'OUA. Cette notification prendra effet à la date de réception. Article 2 (article 70). Tout Etat partie peut dénoncer la présente Charte par voie de notification adressée au Secrétaire Général de l'OUA. La dénonciation portera effet un an après la date à laquelle le Secrétaire Général de l'OUA en aura reçu notification », O.U.A., Doc, Amendement n° 7, 2e session, Banjul, 7-21 janvier 1981.

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d'admettre la possibilité d’une dénonciation ou d’un retrait ou que cette possibilité puisse être déduite de la nature du traité. I! est loin d’être évident que les Etats parties aient voulu admettre la possibilité d’une dénonciation de la Charte Africaine ; en rejetant l'amendement relatif à l'insertion d’une clause de dénonciation, on peut en effet estimer que les Etats entendaient ainsi conférer une certaine sacralité à leur engagement. Rien dans la nature de la Charte africaine ne permet non plus de déduire une telle possibilité.
27. Je ferais à cet égard observer que les trois conventions suivantes, adoptées par les Etats africains dans le domaine des droits de l'homme, contiennent pour leur part une clause de dénonciation : la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique du 10 septembre 1969 (article 13), qui a été adoptée avant la Charte africaine, ainsi que la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption du 11 juillet 2013 (article 26) et la Convention sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique du 23 octobre 2009 (article 19), toutes deux adoptées après la Charte africaine. Par contre, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant du 1er juillet 1990, le Protocole à la Charte africaine relatif aux droits de la femme en Afrique du 1er juillet 2003, ainsi que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 sont, à l’instar de la Charte africaine, silencieux sur la question de la dénonciation. Il est donc permis d’'inférer de ce silence l'intention des Etats parties de ne pas permettre la dénonciation desdites conventions. Cette solution a également été préconisée en ce qui concerne le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 qui ne contient pas non plus de clause de
28. Le Protocole ne contenant pas de clause de dénonciation, un Etat partie ne saurait donc être indéfiniment tenu par sa déclaration facultative, sans possibilité aucune de la retirer.* Je considère donc que la déclaration prévue par l’article 34(6) est « séparable » du Protocole et qu’elle peut être retirée par son auteur (voir paragraphe 57
22 Sur ce point, voir la position très ferme du Comité des droits de l'homme, Observation générale No. 26 sur les questions touchant la continuité des obligations souscrites en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Cd Bm, Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.8/Rev.1, 8 décembre 1997, p. 2. Voir également l'aide-mémoire du Secrétaire général des Cd Bm, en date 23 septembre 1997, adressé à la République populaire démocratique de Corée suite à sa notification de dénonciation du Pacte ; le Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire, avait considéré qu’en l'absence de clause de dénonciation dans le Pacte, le consentement de tous les autres Etats parties était nécessaire pour que cette dénonciation puisse prendre effet, voir Cd Bm, Doc. CN/1997/ CN.467.1997.
23 En ce qui concerne la déclaration prévue par l’article 25 de la Convention européenne avant son amendement par le Protocole No. 11 (droit individuel de saisine de la Commission européenne), il a été avancé que la seule manière d’y mettre un terme était de dénoncer la Convention, voir Aq Ak, « Article 25 », in Louis- Aw An, Bp As X B Az (Dir.), La Convention EDH- Commentaire article par article, Paris, Economica, 1995, p. 581.

608 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
29. Je considère également que pour déterminer les conditions dans lesquelles la déclaration peut être retirée, il convient de se référer « par analogie » au droit des traités (voir les paragraphes 54 et 65 de l'arrêt), tel que codifié par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. La République du Rwanda étant partie à cette convention (elle y a adhérée le 3 janvier 1980), ses prescriptions de nature procédurale lui sont en effet applicables.” Par contre, je ne considère pas pertinente la référence faite au paragraphe 65 de l’arrêt à la « pratique » de la Cour interaméricaine telle que reflétée dans l'arrêt lvcher-Bronstein c. Pérou ; comme je l’ai montré (voir paragraphe 22 ci- dessus), la position de la Cour interaméricaine est en effet plus
30. Je ferais enfin observer que, dans son commentaire relatif aux « Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des Etats susceptibles de créer des obligations juridiques », adoptés en 2006, 7 la Commission du droit international des Cd Bm avait considéré qu’il « ne fait en effet aucun doute que les actes unilatéraux peuvent être révoqués ou modifiés dans certaines circonstances particulières ». La Commission a dégagé les critères suivants à prendre en considération pour déterminer le caractère arbitraire ou non d’une révocation d’un acte unilatéral :
« Une déclaration unilatérale qui a créé des obligations juridiques à la charge de l'État auteur ne saurait être arbitrairement rétractée. Pour apprécier si une rétractation serait arbitraire, il convient de prendre en considération :
i) Les termes précis de la déclaration qui se rapporteraient à la rétractation ;
ii) La mesure dans laquelle les personnes auxquelles les obligations sont dues ont fait fond sur ces obligations ;
iii) La mesure dans laquelle il y a eu un changement fondamental des circonstances ».
31. En l'espèce, la déclaration du Rwanda ne contient aucune référence à son retrait possible et il n'existe manifestement pas de changement fondamental de circonstances au sens de l’article 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Reste la question du préjudice que le retrait de sa déclaration par le Rwanda pourrait
24 Le paragraphe 2 de l’article 56 de la Convention, intitulé « Dénonciation ou retrait dans le cas d’un traité ne contenant pas de dispositions relatives à l'extinction, à la dénonciation ou au retrait », dispose que : « Une partie doit notifier au moins douze mois à l'avance son intention de dénoncer un traité ou de s'en retirer conformément aux dispositions du paragraphe 1 ».
25 Le délai de douze mois est une condition procédurale qui n'est pas posée par le droit coutumier.
26 Je relèverais en particulier que le paragraphe 24(b) de l'arrêt dans l'affaire /vcher- Ap AG Au, auquel se réfère la Cour au paragraphe 63 du présent arrêt ne reflète pas la position de la Cour interaméricaine mais celle de la Commission interaméricaine.
27 Texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-huitième session, en 2006, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/61/10). Le rapport, qui contient également des commentaires sur le projet d'articles, est reproduit dans l'Annuaire de la Commission du droit international, 2006, vol. Il(2).

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éventuellement causer aux bénéficiaires de cette déclaration, que sont les individus et les organisations non-gouvernementales.
32. A cet égard, le retrait de sa déclaration par le Rwanda prive purement et simplement les individus et organisations non- gouvernementales du droit qu’ils avaient de saisir la Cour africaine d’une requête contre cet Etat et donc, comme exposé dans la première partie de la présente opinion, de leur subjectivité internationale. II s’agit là d’une conséquence importante pour les individus et les organisations non-gouvernementales, parties prenantes essentielles s’il en est du système de protection judiciaire des droits de l'homme mis en place par le Protocole ; c'est la raison pour laquelle la révocation de sa déclaration par le Rwanda présenterait un caractère arbitraire si elle prenait effet avec effet immédiat : elle prendrait de court, au dépourvu, les individus et organisations non-gouvernementales sur le point d'introduire une affaire contre le Rwanda.
33. Pour ne pas être considérée comme arbitraire, la révocation de la déclaration doit donc être assortie d’un délai de préavis raisonnable, comme l’a par exemple indiqué la Cour internationale de Justice à propos du retrait de la déclaration facultative prévue par l’article 36(2) de son Statut. La définition du « raisonnable » emprunte notamment aux concepts de « juste », d’« équitable » ou de « nécessaire ».° En l'espèce, le délai de préavis de douze mois prescrit par l’article 56(2) de la Convention de Vienne et indiqué par la Cour me paraît à la fois juste, équitable et nécessaire au vu des conséquences négatives importantes que le retrait de la déclaration emporte sur les droits des individus et des organisations non-gouvernementales dans le cadre du système mis en place par le Protocole.
34. Le Protocole, qui vient renforcer le système de garantie collective des droits de l'individu mis en place par la Charte africaine, doit être considéré comme une pièce maîtresse de ce système en raison de la nature judiciaire des procédures qu'il prévoit et du droit de recours individuel en particulier. La Cour se doit donc de sauvegarder autant que possible l'intégrité et l’efficacité de ce mécanisme de recours individuel en maintenant un juste équilibre entre les intérêts des Etats parties, d’une part, et ceux des individus et organisations non- gouvernementales, d’autre part. Pour ce faire, la Cour doit garder en vue l’objet et le but de la Charte africaine et du Protocole ainsi que la place prépondérante que l'Organisation panafricaine accorde désormais à la protection de l'individu comme en témoignent plusieurs dispositions de l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine.
35. En conclusion, je forme le vœu que le présent arrêt n'aura pas pour effet de dissuader les très nombreux Etats qui ne l’ont pas encore fait à déposer la déclaration facultative prévue par l’article 34(6) du Protocole. Les Etats parties au Protocole qui hésitent encore à
28 Voir supra, paragraphe 21.
29 Sur la définition du « raisonnable », voir Bd Ax, L'utilisation du “raisonnable” par le juge international — Discours juridique, raison et contradictions, Editions Bruylant — Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997, pp. 495-526 (paragraphes 439-463).

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procéder au dépôt de la déclaration pourraient envisager d'inclure une réserve temporelle dans leur déclaration, comme le permettait par exemple la Convention européenne (avant son amendement par le Protocole No. 11) en ce qui concerne la saisine de la Commission européenne par les individus (article 25)®° et la saisine de la Cour par les Etats (article 46),°" ou le permet la Convention américaine en ce qui concerne la saisine de la Cour interaméricaine par les Etats (article 62). Bien que de telles réserves temporelles ne soient pas vraiment souhaitables, elles constitueraient certainement un moindre mal par rapport à la situation actuelle, peu satisfaisante, où seuls un peu moins d’un quart des 30 Etats parties au Protocole ont déposé la déclaration.
30 Voir note infrapaginale 21.
31 Voir note infrapaginale 16.
32 Voir note infrapaginale 17.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM1586740734
Date de la décision : 03/06/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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