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18/03/2016 | CADHP | N°RANDOM1990307066

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 18 mars 2016, RANDOM1990307066


Texte (pseudonymisé)
526 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Cx Xu Ba et 9 autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RJCA 526
Cx Xu Ba et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 18 mars 2016. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges : THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ,
KIOKO, ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
N’a pas siégé en application de l’article 22 : RAMADHANI
Les requérants allèguent qu'ils ont été arrêtés au Mozambique et
transférés de force en Tanzanie par l’action collective de la police
tanzanien

ne, kényane et mozambicaine. Les requérants contestaient le
retard accusé par les juridictions ta...

526 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Cx Xu Ba et 9 autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RJCA 526
Cx Xu Ba et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 18 mars 2016. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges : THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ,
KIOKO, ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
N’a pas siégé en application de l’article 22 : RAMADHANI
Les requérants allèguent qu'ils ont été arrêtés au Mozambique et
transférés de force en Tanzanie par l’action collective de la police
tanzanienne, kényane et mozambicaine. Les requérants contestaient le
retard accusé par les juridictions tanzaniennes dans le traitement de leurs
affaires. La Cour a conclu à la violation par la Tanzanie du droit d’être
jugé dans un délai raisonnable, la procédure pénale qui visait les
requérants étant restée endante depuis près de dix ans. La Cour a
également conclu que l’État défendeur était dans l'obligation de fournir
une assistance judiciaire aux requérants dès que les autorités judiciaires
s’étaient rendu compte qu'ils n'étaient pas représentés par un avocat
même s'ils ne l’avaient pas demandé.
Compétence (il n’est pas nécessaire que le requérant mentionne
expressément les dispositions de la Charte dont la violation est alléguée,
57, 58 ; violation continue, 66)
Recevabilité (l’article 34(1) n’énonce pas les critères de recevabilité, 71 ;
épuisement des recours internes ; recours effectifs 88 à 89 ; prolongation
anormale 90 à 94 ; recours extraordinaires 95)
Procès équitable (procès dans un délai raisonnable, 127, 131, 132,
135 ; complexité de l'affaire, 138, 139, 144 ; rôle de l’État défendeur dans
le rallongement de la procédure avant le procès, moyens de preuve, 149 ;
obligation des juridictions d'éviter le rallongement inutiles de la
procédure, 153, 154 ; assistance, 166, 168, 172, 175, 181, 183, 184)
Compétence (le PIDCP est applicable, 165 ; le Pacte est plus détaillé
que la Charte, 166)
I Les Parties
1. La requête est introduite le 23 juillet 2013 par Cx Xu Ba, Xk Ch Ap, Bb As Ax, Xt By Cs, Xj Ce Cg, Cc Bp Ax, Bb Bq Am, Xk Bs et Ck An Xv Xci-après dénommés « les requérants »), tous citoyens de la République du

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 527
Be, contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « le défendeur »).
Il. Objet de la requête
2. Les requérants affirment qu’ils étaient au Mozambique en voyage de prospection d’affaires lorsque, sans aucun respect pour les procédures légales d’extradition, ils ont été enlevés et arrêtés le 16 décembre 2005, par la police mozambicaine, de connivence avec la police kényane et la police tanzanienne, suite à un rapport mensonger fait par une dame du nom de Ay Av, alléguant qu’ils étaient liés à des éléments dangereux des forces armées kényanes et de l'administration policière du Kenya. Ils allèguent qu’ils ont été ensuite embarqués dans un avion militaire de type "Buffalo" à ; destination de la Tanzanie.
3. Selon les requérants, avant d’être emmenés en Tanzanie, la police mozambicaine les a déférés devant un juge d'instruction qui les a acquittés de tout acte répréhensible et a ordonné leur remise en liberté. Ils ajoutent qu’au mépris de l'ordonnance du Juge, la police mozambicaine les a gardés en détention jusqu’au 16 janvier 2006, date à laquelle ils ont été transférés de force et illégalement en Tanzanie.
4. Ils soutiennent en effet que dans la matinée du 14 janvier 2006, alors qu’ils étaient encore sous la garde des autorités mozambicaines, ils ont été menottés et embarqués sans ménagement dans des fourgons de la police, conduits à l'aéroport de la ville de Maputo, où ils ont rencontré un groupe d'agents de la police kényane et tanzanienne, notamment un agent de la police tanzanienne dont ils apprendront plus tard qu’il est le SSP Kigondo (inspecteur de police), responsable régional des affaires criminelles pour la région du Kilimanjaro. Ils affirment que cet agent de police tenait en mains leurs affaires, y compris leurs cartes d'embarquement sur un vol commercial régulier à destination de Dar es-Salaam et un sac en plastique transparent rempli de menottes.
5. Toujours selon les requérants, ils ont refusé d’embarquer sur le vol commercial, alors que leurs bagages avaient été déjà enregistrés. Suite à leur refus d’embarquer sur ce vol, ils ont été embarqués, sans ménagement dans la fourgonnette et ramenés au poste de police pour y être enfermés jusqu’au matin du 16 janvier 2006, où ils ont de nouveau été conduits de force dans une base aérienne mozambicaine et embarqués de force dans un avion militaire mozambicain de type « Buffalo », en présence d’agents de la police kenyane et tanzanienne. 6. Les requérants allèguent encore que l'avion a atterri à l’aéroport international Xe Bh Cf de Dar es-Salaam, et qu’à leur arrivée à Dar es-Salaam, on leur a bandé les yeux, et ils ont été embarqués brutalement dans des véhicules qui attendaient, puis, conduits dans trois endroits différents et enfermés, les mains toujours menottées derrière le dos. Ils ajoutent que le 19 janvier 2006, ils ont été de nouveau embarqués sans ménagement dans des véhicules, sous surveillance étroite, mains menottées derrière le dos, puis conduits sous escorte serrée d'agents de police lourdement armés à Moshi, au commissariat de police de l’aéroport international de Kilimandjaro, où, selon eux, ils ont été soumis à une bastonnade sévère avec des

528 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
gourdins et des barres métalliques, torturés à l’électrochoc par une unité de police spécialisée dans la torture ; dirigée par un certain Inspecteur Bv Bz. En outre, ils n’ont pas eu la possibilité d'entrer en communication avec leurs avocats, venus plusieurs fois pour les rencontrer.
7. Les requérants, affirment encore qu’ils ont été finalement mis en accusation pour une série d’infractions pénales graves, dont les procès se sont prolongés de manière excessive et anormale en plus d’être entachés de multiples violations de droits de l'homme.
8. Ils soutiennent en outre que deux des chefs d’accusations ont été plus tard retirés par le défendeur dans l'affaire pénale n°647 de 2006 et dans l'affaire pénale n°881 de 2006 et, dans l'affaire pénale n°10 de 2006, le défendeur a abandonné les poursuites pour le chef d'accusation de meurtre, conformément aux dispositions de l’article 91(1) du Code de procédure pénale de l’État défendeur.
9. Les requérants affirment encore que trois (3) d’entre eux ont été libérés après que le chef d'accusation de meurtre a été annulé, pour manque de preuves ; cinq (5) ont été condamnés à trente (30) ans de prison pour entente en vue de commettre une infraction, en violation de l’article 384 du Code pénal, et pour vol à main armée, en violation de l’article 287A du Code pénal ; ils purgent actuellement leur peine à la prison centrale d’Xg, à Dar es Salaam, tandis que deux (2) sont décédés en détention pendant le procès.
10. Les trois (3) qui ont été libérés sont : Ci Xm Ap, Bm Bd Ap et Ai Ab tandis que les cinq (5) qui ont été reconnus coupables et condamnés sont : Cx Xu Ba, Xt By Cs, Xj Ce Ct, Cc Bp Ax et Bb Bq Am ; les deux (2) qui sont morts en détention étaient : Xk Ch Ap et Bb As Ax.
II. Procédures devant les juridictions nationales de Tanzanie
11. Les requérants allèguent que le 24 janvier 2006, ils ont été déférés devant le Tribunal du Magistrat résident ou de district de Moshi, accusés d’un chef de meurtre et de trois chefs de vol à main armée, après avoir été accusés du cambriolage commis à la National Bank of Commerce Limited, succursale de Moshi, le 21 mai 2004 et du meurtre d’un certain Xx Xs Xd Ak à Moshi le 26 juillet 2005, 12. Ils ont introduit la requête en l'espèce devant la Cour sur la base des affaires suivantes : affaire pénale n°2 de 2006 (entente en vue de commettre une infraction, en violation de l’article 384 du Code pénal, et vol à main armée, en violation de l’article 287A du Code pénal) devant le tribunal du Magistrat résident de Moshi et l'affaire pénale n°10 de 2006 (meurtre) devant la Haute Cour de Tanzanie :
13. Avant que ces affaires ne soient entendues, les requérants ont déposé devant la Haute Cour la requête en matière pénale n°7 de 2006 demandant l’autorisation de déposer une requête de certiorari et une ordonnance d'interdiction en vue de contester leur enlèvement du

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 529
Mozambique et leur séquestration. Dans leur requête, ils demandaient les mesures suivantes :
« a. Une ordonnance de suspension de la procédure engagée contre eux ; b. Une ordonnance de certiorari pour annuler leur mise en accusation initiale sous le chef de meurtre ;
c. Une ordonnance de certiorari pour déclarer nulle leur arrestation ainsi que les quatre charges criminelles initiales ; à raison des actions illégales et contraires à la loi commises par la police et les services
d. Une ordonnance interdisant au Magistrat résident de Moshi d’entendre ou de statuer sur les charges criminelles retenues contre eux ;
e. Une décision ordonnant leur mise en liberté immédiate et la restitution de leurs biens, notamment leurs passeports, leurs cartes internationales de vaccination, leurs cartes bancaires, leurs cartes de fidélité grands voyageurs, 29 047 dollars E-U, 28 000 ShK, quatre téléphones portables, trois bagues en or, des montres et des souliers ; f. Leur adjuger les dépens ».
14. Le 1° juin 2006, la Haute Cour a accordé aux requérants l’autorisation de demander des ordonnances de certiorari et d'interdiction, mais a refusé d’ordonner la suspension des procédures.
15. La Haute Cour ayant fait droit à leur demande, les requérants ont déposé la requête en matière pénale n°16 de 2006, demandant les ordonnances de certiorari et d'interdiction suivantes :
« a. Une ordonnance de suspension des procédures devant le Tribunal de district de Moshi, dans les affaires pénales n°647 de 2005 et n°2 de 2006 ainsi que la procédure d’instructions dans l’enquête préliminaire no26 de 2006, qui sont pendantes devant le Magistrat du Tribunal de résidence de Moshi, qui est cité comme quatrième défendeur ;
b. Une ordonnance de certiorari pour annuler l’ordonnance du troisième défendeur, à savoir, le Tribunal du Magistrat résident de Moshi, déférant les requérants devant la Haute Cour ;
c. Une ordonnance de certiorari pour annuler les actions illégales et abusives des premier et deuxième défendeurs, à savoir, l'inspecteur général de police et le directeur des services d’immigration, ainsi que tous les chefs d'accusation et toutes les poursuites pénales dans les quatre affaires pénales précitées, qui reposent sur les actes manifestement illégaux et illicites desdits premier et deuxième défendeurs ;
d. Une ordonnance de prohibition pour interdire aux troisième et quatrième défendeurs d'entendre, ou, de toute autre manière, de statuer sur tous les chefs d'accusation ou une quelconque des accusations ou affaires pénales précitées.
e. Une ordonnance de remise en liberté immédiate des requérants et de restitution de leurs passeports, billets d’avion non utilisés (Maputo- XaAH, cartes d’identité kenyanes, certificats internationaux de vaccination, cartes de guichet automatique, cartes de fidélité, la somme de 29 047 de dollars EU, la somme de 28 000,00 shillings kenyans, quatre téléphones mobiles, trois bagues en or, des montres et des souliers, et
f. Toute autre ordonnance que la Cour estime juste et appropriée ».
16. Pendant ce temps, l’État défendeur a interjeté appel par pourvoi en matière pénale n°276 de 2006 contre la décision de la Haute Cour

530 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
relative à la requête en matière pénale n°007 de 2006, qui a autorisé les requérants à demander les ordonnances de certiorari et d'interdiction. La procédure relative à la requête pénale N°16 de 2006 : a donc été suspendue en attendant l'issue de l’appel de l’État défendeur.
17. Le 20 novembre 2007, la Cour d'appel a rejeté l'appel en matière pénale n° 276 de 2006 du requérant. Cette décision a permis à la procédure pénale n°16 de 2006 de suivre son cours.
18. Le 26 septembre 2008, la Haute Cour a rejeté dans son entièreté la requête en matière pénale n°16 de 2006. Le 26 novembre 2008, les requérants ont interjeté appel de cette décision de la Haute Cour devant la Cour d'appel dans l'appel en matière pénale n° 353 de 2008 et, le 14 février 2011, l’appel a été rejeté au motif qu’il était irrecevable, les requérants n'ayant pas obtenu au préalable l'autorisation d'interjeter appel. Ils ont alors déposé un nouvel appel devant la Cour d'appel, sous la référence n°27 de 2011, la Cour d'appel a fait droit à la requête le 19 mars 2013, au motif que le juge de première instance avait commis une erreur en se prononçant sur le fond sans avoir statué sur les questions préliminaires de droit soulevées par le défendeur. L'affaire a donc été renvoyée devant la Haute Cour pour qu’elle se prononce d’abord sur les questions préliminaires de droit.
19. Toujours selon les requérants, ils ont ensuite saisi la Cour de céans, soutenant qu’ils avaient épuisé les voies de recours internes : « (a). En ce qui concerne les charges criminelles, c’est au bout d’un délai anormal de sept ans que leur affaire a été jugée ; et (b). Quant à la violation de leurs droits, leur requête est allée jusqu’à la Cour d’appel ». 20. Les requérants soulignent en outre que leurs requêtes ont suivi toute la procédure jusqu’à la Cour d'appel à deux reprises, et les deux fois, sans succès. A cet égard, ils font valoir qu’au sein du système judiciaire du défendeur, ils ont épuisé toutes les voies de recours internes. De plus, ils allèguent que la Cour d’appel du défendeur « aurait dû traiter les requêtes répétitives dans le but primordial de rendre justice dans l'affaire, sans tenir compte indument des aspects techniques du droit, notamment du droit procédural ».
21. En conclusion, les requérants soutiennent qu’ils n’ont saisi la Cour de céans en l'espèce qu'après avoir réalisé que le défendeur prenait trop de temps pour lancer les procédures ordonnées par la Cour d'appel dans l'affaire n°79 de 2011.
22. Il ressort du dossier devant la Cour de céans, que lorsque les requérants saisissaient la Cour le 23 juillet 2013, seules les affaires pénales n°2 de 2006et n°10 de 2006 ainsi que la requête pénale n°16 de 2006 étaient encore pendantes devant les juridictions du défendeur. 23. L’attention de la Cour de céans a été attirée sur le fait qu’en décembre 2006, le défendeur a organisé un procès similaire sur les mêmes faits, les mêmes infractions devant le même tribunal (le Tribunal de résidence de Moshi), par le même Procureur, contre un groupe complètement différent d'accusés. Certains des accusés dans l'affaire en l'espèce ont été condamnés à frente (30) ans de prison et douze (12) coups de fouet, tandis que dans l’autre procès, les accusés

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 531
ont été condamnés à trois (3) ans d'emprisonnement. Lorsque cette question a été soulevée par les requérants, le défendeur n'y a pas répondu. Les requérants n'ont pas non plus démontré à la Cour de céans la relation entre les deux affaires, ils n'ont mis en relief que les similitudes,
IV. Violations alléguées
24. Dans leur requête, les requérants allèguent ce qui suit :
a. « Nos droits à la propriété ont été violés par l’État défendeur ;
b. Nos droits à la liberté ont été violés par l’État défendeur ;
c. Nos droits au travail ont été violés par l'État défendeur ;
d. Nos droits d’être jugés dans un délai raisonnable par les tribunaux ont été violés par l'État défendeur ».
V. Procédure devant la Cour
25. La requête a été introduite devant la Cour le 23 juillet 2013.
26. Le 30 juillet 2013, le Greffe a demandé des éclaircissements aux requérants, pour savoir s'ils avaient été en contact avec leur conseil et s’ils avaient réintroduit leur requête devant la Haute Cour aux fins d'obtenir une décision sur les questions préliminaires de droit tel que la Cour d'appel l’avait ordonné dans son arrêt du 19 mars 2013
27. Par lettre du 12 août 2013, les requérants ont informé la Cour que quatre mois s'étaient écoulés depuis que la Cour d'appel avait rendu sa décision du 19 mars 2013, et que pendant ce temps, ils n'avaient aucune nouvelle de leur conseil, M. Bx Ag d’Bj,
28. Le 27 août 2013, le Greffe a demandé des éclaircissements aux requérants, pour savoir si leur conseil avait été commis, par le défendeur, et s’ils avaient demandé à leur conseil de faire réinscrire leur affaire au rôle de la Haute Cour conformément à l’ordonnance de la Cour d’appel, ou s'ils l'avaient fait eux-mêmes.
29. Le 26 septembre 2013, les requérants ont informé la Cour que leur conseil avait été engagé par leurs proches, ils ont en outre affirmé que dans leur tentative de faire avancer l’examen de l'affaire devant la Haute Cour, ils avaient écrit, puis, tenté de communiquer avec leur conseil, en vain. Ils ont donc écrit à la Haute Cour le 16 août 2013, demandant à celle-ci de fixer une date d’audience de leur affaire, conformément à l’ordonnance de la Cour d’appel, mais ils n’ont pas reçu de réponse.
30. Le 12 décembre 2013, en application de l’article 35(2)(a) du Règlement intérieur de la Cour, le Greffier a communiqué copie du dossier au défendeur et a invité celui-ci à indiquer les noms et adresses de ses représentants dans les trente (30) jours de la réception et de répondre à la requête dans un délai de soixante (60) jours, à compter de la date de réception de la notification. À la même date, la Présidente de la Commission de l’Union africaine et, par son intermédiaire, le Conseil exécutif de l'Union africaine et tous les Etats Parties au Protocole, ont été informés du dépôt de la requête, conformément à l’article 35(3) du Règlement intérieur de la Cour.

532 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
31. Le défendeur a déposé sa réponse à la requête le 26 février 2014. 32. Le 31 mars 2014, les requérants ont déposé leur réplique à la réponse du défendeur.
33. Le 8 avril 2014, le Greffe, en application de l’article 35(2)(b) du Règlement intérieur de la Cour, a communiqué copie du dossier à la République du Kenya, l’État partie dont les requérants sont ressortissants, attirant son attention sur le fait qu’il pouvait intervenir dans la procédure si tel était son souhait.
34. Le 9 avril 2014, le Greffe, conformément à l’article 31 du Règlement intérieur de la Cour, a demandé aux requérants d’informer la Cour s'ils étaient toujours confrontés à des problèmes de représentation juridique, et que si tel était le cas, il leur conseillait de contacter l’Union panafricaine des avocats (UPA) sur la possibilité pour celle-ci de leur fournir une assistance judiciaire.
35. Le 2 juin 2014, le Greffe a demandé à l’UPA s’il lui était possible d'envisager de fournir une assistance judiciaire aux requérants, et par lettre du 11 août 2014, SUPA a exprimé sa disponibilité pour représenter les requérants en l'espèce. À la même date, le Greffe a informé le défendeur que l'UPA représenterait les requérants devant la Cour.
36. Par lettre du 4 novembre 2014, les. Parties ont été informées que l’audience publique portant sur la requête en l'espèce était prévue pour les 12 et 13 mars 2015.
37. Le 19 décembre 2014, le défendeur a demandé à la Cour de reporter l’audience à juin 2015, invoquant des raisons d’« effectifs limités et d’autres questions nationales d’égale importance ».
38. Le 19 janvier 2015, le Greffe a transmis copie de la demande de report formulée par le défendeur aux requérants et ceux-ci y ont répondu le 22 janvier 2015, en indiquant qu’ils n'avaient aucune objection,
39. Le 9 février 2015, la Cour a informé les deux parties qu’elle avait décidé de reporter l'audience à sa trente-septième session ordinaire et qu’elle porterait sur les exceptions préliminaires, la recevabilité et le fond de l'affaire.
40. Le 13 mai 2015, les requérants ont demandé à la Cour de faciliter leur présence à l'audience, et d’ordonner au défendeur de les transférer de la prison d’Xg, à Dar es Salaam, à la prison de Karanga, à Moshi.
41. Le 18 mai 2015, après avoir examiné la demande des requérants, la Cour a décidé que, compte tenu des circonstances de l'espèce, leur présence n’était pas nécessaire.
42. Le 20 mai 2015, les deux. Parties ont déposé une série de documents parmi lesquels, les comptes rendus des audiences en première instance et des listes de sources de jurisprudence, pour examen, tout en sollicitant l'autorisation de la Cour pour présenter des preuves supplémentaires après la clôture des débats, en vertu de l’article 50 du Règlement intérieur de la Cour.

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 533
43. Le 21 mai 2015, la Cour a tenu une audience publique à son siège à Bj, au cours de laquelle les parties ont présenté leurs observations orales et répondu aux questions posées par la Cour.
VI. Mesures demandées par les parties
A. Mesures demandées par les requérants
44. Dans leur requête, les requérants « prient la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples de les rétablir dans leurs droits, qui ont été violés par l’État défendeur ». Ils prient également la Cour :
(a) les rétablir dans leurs droits qui ont été violés concernant les allégations présentées dans leur requête :
(b) d’ordonner des mesures de réparations pour remédier aux allégations présentées dans la requête. (page 101).
45. Dans leur réplique, datée du 31 mars 2014, à la réponse du défendeur, les requérants soulignent que leur principal grief porte sur le retard provoqué par le défendeur dans l'examen des affaires les concernant devant le système judiciaire national, en l'occurrence l'affaire pénale n°2 de 2006 et la requête en matière pénale n°16 de 2006. Ils affirment en outre que même s'ils avaient introduit des requêtes suspensives de la procédure à leur encontre, aucune de ces requêtes n'a été accordée, et ceci ne constitue donc pas un prétexte pour le défendeur de retarder leur procès sur la base des requêtes introduites, aucune de leur requête n'ayant été accordée.
46. Durant l'audience publique du 21 mai 2015, les requérants ont demandé à la Cour de rendre les mesures suivantes :
« 1. Une déclaration affirmant que l’État détendeur a violé le droit des requérants à être jugés dans un délai raisonnable comme le prescrit l’article 7 de la Charte et même par l’article 192 de la loi portant Code de procédure pénale de l’État défendeur ;
2. Une déclaration affirmant que l’État défendeur à violé le droit des requérants à bénéficier d’une assistance judiciaire et d’une représentation pour toute la durée de leur procès ;
3. Une ordonnance exigeant que les procès en instance soient clôturés dans un délai raisonnable fixé à la discrétion de la Cour ;
4. Une ordonnance enjoignant à l’État défendeur de fournir une assistance judiciaire et une représentation aux requérants pour le reste de la procédure d'appel devant les juridictions nationales ;
5. Une ordonnance demandant que la procédure en réparation respecte la décision que la Cour rendra au terme de la présente procédure si la décision est favorable aux requérants ;
6. Toute autre déclaration et/ou ordonnance que la Cour estime appropriée compte tenu des circonstances de l'espèce ».
B. Mesures demandées par le défendeur
47. Dans sa réponse à la requête, le défendeur a soulevé des exceptions préliminaires sur la compétence de la Cour pour connaître de l'affaire et sur la recevabilité de la requête. I| a également déposé ses observations sur le fond de la requête.

534 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
48. Dans sa réponse, le défendeur prie la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples de prendre les mesures suivantes sur la recevabilité de la requête :
«i. La requête n’invoque pas la compétence de l’Honorable Cour.
ii. Les requérants n’ont pas qualité pour introduire la présente requête devant la Cour africaine et l’accès à la Cour doit leur être refusé, conformément aux articles. 34(6) et 5(3) du Protocole.
iii. La requête ne remplit pas les critères de recevabilité énoncées à l’article 50, alinéas 2, 5 et 6 du Règlement intérieur de la Cour et aux articles 56 et 6(2) du Protocole.
iv. La requête n’est pas conforme aux conditions procédurales obligatoires énoncées à l’article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour.
v. Rejeter la requête en application de l’article 38 du Règlement intérieur de la Cour.
vi. Condamner les requérants aux dépens ».
49. Sur le fond de la requête, l’État défendeur prie la Cour de prendre les mesures ci-après :
«i. La police tanzanienne n’a pas enlevé et séquestré les requérants en complicité avec les polices mozambicaine et kényane.
ii. Le défendeur s'est conformé aux exigences de l’article 13(1)(a), (b) et (c) du Code de procédure pénale tanzanien.
iii. Le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit des requérants à la propriété.
iv. Le Gouvernement tanzanien n’a pas violé le droit des requérants à la liberté.
v. Le Gouvernement tanzanien n’a pas violé le droit des requérants au ravail.
vi. Le Gouvernement tanzanien n’a pas violé le droit des requérants à être jugé dans un délai raisonnable.
vi. Ne pas accorder de réparations au regard des demandes et allégations formulées dans la présente requête à l’encontre de la République-Unie de Tanzanie.
viii. Condamner les requérants aux dépens ».
50. Au cours de l’audience publique, le défendeur a prié la Cour de rendre les mesures suivantes
« 1. Déclarer que l'État défendeur n’a pas causé de retard excessif dans les procédures relatives aux affaires pénales n°2/2006 et 16/2006 ;
2. Dire qu’il n’y a pas lieu d’ordonner des réparations ;
3. Rejeter la requête ».
51. En application de l’article 39(1) de son Règlement intérieur, la Cour procédera à un examen préliminaire de sa compétence et se prononcera, s'il y a lieu, sur la recevabilité et le fond de la requête.
VII. Compétence de la Cour
A. Compétence rationae materiae
52. Selon le défendeur, la compétence de la Cour, telle qu’elle est énoncée à l’article 3(1) du Protocole et aux articles 26 et 40(2) du

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 535
Règlement intérieur de la Cour, n’a pas été invoquée par les requérants. Le défendeur affirme que les requérants ont simplement cité les affaires dans lesquelles ils sont poursuivis devant les juridictions nationales et n’ont fait aucun effort, ne serait-ce que pour mentionner le Protocole, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée la « Charte »), ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par l'Etat défendeur. Ils ne se sont pas non plus référés à l'Acte constitutif de
53. Le défendeur affirme encore que certaines des allégations contenues dans la requête sont dirigées contre le Be et le Mozambique, Etats Parties au Protocole, mais qui n'ont pas fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole. Le défendeur ajoute que les requérants allèguent qu’il y a eu entente entre les forces de police du Kenya, du Mozambique et de la Tanzanie pour les enlever et les séquestrer, et même si ces Etats Parties ne sont pas visés dans la requête, ils y sont impliqués par inadvertance en raison de la nature des allégations d'entente soulevées par les requérants.
54. Le défendeur conclut en demandant que « l'accès à la Cour soit refusé aux requérants et que la requête soit dûment rejetée, au motif qu’elle n’a pas invoqué la compétence de la Cour ».
55. Dans leur réponse à l’exception préliminaire soulevée par le défendeur sur la compétence de la Cour, les requérants soutiennent que la compétence de la Cour a été invoquée dans la requête, ajoutant qu’ils se sont « conformés à l’article 3(1) du Protocole ainsi qu’aux articles 26 et 40(2) du Règlement intérieur de la Cour ».
56. Les requérants soutiennent encore que leurs allégations contre les Etats Parties qui n’ont pas fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole ont été citées par erreur, et ils font observer que dans leur requête, ils ont
« simplement donné un bref historique de la manière dont nous nous sommes retrouvés sur le territoire de l’État défendeur, » et ils n’ont « jamais eu l’intention d’impliquer un État membre dans cette requête, étant donné que notre principal grief porte sur la lenteur excessive et anormale des procédures auxquelles nous sommes confrontés, en l'occurrence, l'affaire pénale n°2 de 2006 et la requête pénale n°16 de 2006. Le retard accusé dans les procédures a été provoqué par l’État défendeur (XcAH, qui est l’un des États ayant fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole ».
57. La Cour rejette l'exception soulevée par le défendeur selon laquelle la compétence de la Cour de céans n'a pas été invoquée du simple fait que les requérants n’ont cité que les procédures pénales dont ils faisaient l’objet devant les juridictions nationales, sans mentionner ni le Protocole, ni la Charte, ni aucun autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par le défendeur. Dans des affaires précédentes concernant le même défendeur, notamment, la requête 003/2012 Peter Aa c. République-Unie de Tanzanie et la requête 001/2013 - Bm Bn Cv c. République-Unie de Tanzanie, la

536 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Cour a considéré dans les deux arrêts rendus le 28 mars 2014, que tant que les droits dont la violation est alléguée sont protégés par la Charte ou tout autre instrument des droits de l'homme ratifié par l’État concerné, la Cour a compétence pour connaitre de l'affaire.
58. En l'espèce, les requérants allèguent la violation d’un certain nombre de leurs droits (voir paragraphe 24 ci-dessus), Il n’est donc pas nécessaire de mentionner des dispositions précises de la Charte dans la requête. || suffit que les droits dont la violation est alléguée soient protégés par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l'homme auquel l’État concerné est partie.
59. Cette position est similaire à celle adoptée par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dans une communication concernant l'Etat défendeur. En effet, dans la Communication 333/06 - Ah Bf Aw Br B Xr et autres c. Tanzanie, la Commission a conclu que :
« l’un des premiers points à considérer en vertu de l’article 56(2) est de savoir s’il y a eu une violation prima facie des droits de l'homme garantis par la Charte africaine… [la Commission ne se préoccupe que de savoir s’il est suffisamment prouvé qu’une violation a eu lieu. Et donc, il n’est pas, en principe, obligatoire que le Plaignant mentionne les dispositions spécifiques de la Charte africaine qui ont été violées ».?
60. La Cour, conclut en conséquence qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de la requête en l'espèce.
B. Compétence rationae personae
61. La Cour examine à présent l'exception soulevée par le défendeur selon laquelle elle n’est pas compétente pour connaître de la requête car celle-ci contient « des allégations dirigées notamment contre le Be et le Mozambique, Etats Parties qui n’ont pas fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour recevoir des requêtes en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole ».
62. La Cour constate que dans leur réplique à l'exception soulevée par le défendeur, les requérants ont clairement indiqué qu’ils n'avaient jamais eu l’intention d’impliquer aucun autre Etat membre, étant donné que leur requête et leurs griefs portent uniquement sur le prolongement excessif des procédures dont ils faisaient l’objet devant les tribunaux du défendeur, notamment, l'affaire pénale n°2 de 2006 et la requête en matière pénale n°16 de 2006. Ils allèguent que ce retard a été orchestré par l’État défendeur (la XcAH qui a par ailleurs fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour. Les requérants ont réitéré leur position dans leurs observations orales durant l'audience publique.
63. La Cour relève en outre que les requérants sont des ressortissants kényans ; qu’ils ont introduit leur requête contre un Etat partie au Protocole, qui a aussi fait la déclaration prévue à l’article 34(6) le 29 mars 2010, reconnaissant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes introduites par des individus. La Cour conclut en
1 28èM° rapport d'activité, novembre 2009 mai 2010
2 Ibidem, par. 51

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 537
conséquence qu’elle a la compétence rationae personae pour connaître de la requête en l'espèce.
C. Compétence rationae temporis
64. La compétence rationae temporis de la Cour n’a pas été contestée dans son arrêt du 28 mars 2014, dans la requête n°013/2011 - Ayants droits des feus Xo An, Ar Xq dit Ablassé, Af An et Blaise IIboudo et Le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Bu Cz, la Cour a indiqué que les dates à prendre en considération en ce qui concerne sa compétence temporelle sont celles de l'entrée en vigueur de la Charte, du Protocole et celles du dépôt de la Déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour connaître des requêtes présentées par des individus,
65. En l’espèce, l’État défendeur a ratifié la Charte le 18 février 1984, le Protocole le 7 février 2006 et a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole le 29 mars 2010.
66. La Cour quant à elle considère que les violations alléguées par les requérants en l'espèce ne constituent pas des violations instantanées, mais des violations continues des obligations internationales du défendeur, qui, de ce fait, relèvent de la compétence de la Cour africaine : les violations alléguées sont survenues avant le 29 mars 2010, date à laquelle le défendeur a fait la déclaration spéciale, et se sont poursuivis après cette date. En effet, les requérants sont toujours en détention, certaines affaires à leur encontre sont toujours pendantes devant les juridictions du défendeur et une assistance judiciaire ne leur a pas été fournie pour poursuivre les affaires pendantes.
D. Compétence rationae loci
67. S'agissant de sa compétence rationae loci qui n’a pas été contestée, la Cour estime qu’étant donné que les violations alléguées ont lieu sur le territoire d’un Etat membre de l'UA dont relèvent également les parties, la Cour est donc compétente pour connaître de la requête en l’espèce.
68. Ayant établi qu’elle est compétente pour connaître de la requête en l'espèce, la Cour aborde à présent les exceptions préliminaires d’irrecevabilité de la requête soulevées par le défendeur.
VIII. Recevabilité de la requête
69. Dans sa réponse à la requête, le défendeur soutient qu’« à titre subsidiaire et sans préjudice de ses exceptions préliminaires sur la compétence de la Cour », il conteste la recevabilité de la présente requête pour les quatre (4) motifs suivants :
ii la requête n'est ni compatible avec la Charte de l'Organisation de l’Unité Africaine ni avec la Charte actuelle, comme l'exige l'article 40(2) du Règlement intérieur de la Cour ;
ii. les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes ;

538 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
iii. la requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après l'épuisement des voies de recours internes, comme l'exige l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ;
iv. la requête n’est pas conforme aux dispositions de l’article 34(1), du Règlement intérieur de la Cour, du fait qu’elle n’est signée ni par le requérant ni par son représentant, comme le prescrit l'article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour,
70. Le défendeur soutient à cet égard « … qu’en règle générale, une requête n’est recevable que si elle remplit toutes les conditions de recevabilité. I! suffit donc de constater que les critères de recevabilité énoncés à l’article 40(2)(5) et (6) ne sont pas remplis, outre le non- respect de l’article 34(1) du Règlement de la Cour, pour conclure que, manifestement, la présente requête doit être déclarée irrecevable et rejetée en conséquence et les requérants condamnés aux dépens ».
A. Exception relative à la non-conformité de la requête à l’article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour
71. Même s'il ne s’agit pas d’une condition de recevabilité au sens de l’article 56 de la Charte et de l’article 40 du Règlement intérieur de la Cour, le défendeur cite certains motifs pour déclarer la requête irrecevable. Selon lui, la requête en l'espèce n’est pas conforme à l’article 34(1) du Règlement intérieur, la requête n’étant signée d'aucun des requérants ou de leurs représentants comme l’exige cet article. Le défendeur fait encore valoir que l'absence de signature de la requête entraîne la nullité de celle-ci, du fait que ses auteurs ne sont pas identifiables et souligne le fait que cette condition essentielle ne soit pas remplie rend la requête nulle et de nul effet ; elle est irrémédiablement viciée et doit en conséquence, être déclarée irrecevable par la Cour.
72. Dans leur réplique, les requérants soutiennent que « le défendeur n’a pas attentivement examiné notre requête car nous sommes convaincus que la Cour ne l'aurait pas acceptée si elle n'avait pas été signée … ». Ils ajoutent aussi que « … la requête introduite devant la Cour a été rédigée en prison et tout document envoyé de la prison devait et doit être signé pour qu’il soit clair que l’auteur n’a pas été contraint de le faire, compte tenu du fait qu’il est prisonnier ».
73. La Cour considère que l'exception soulevée par le défendeur est sans fondement et sans objet, étant donné que la requête principale s’appuie sur les pièces jointes qui sont signées et font référence à la requête, La lettre émanant de la Prison centrale par laquelle la requête a été transmise à la Cour est dûment signée par le régisseur de la prison. Les pièces jointes, qui constituent la preuve du prolongement excessif des voies de recours internes ainsi que la demande de réparation portent les empreintes digitales des dix (10) requérants. La requête principale fait référence à ces deux documents. La Cour en conclut que l'exception tirée de cette question n’est pas étayée et qu’elle est sans fondement. Elle la rejette en conséquence.
74. La Cour examine à présent les autres exceptions d’irrecevabilité de la requête, soulevées par le défendeur.

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 539
75. La Cour rappelle que l’article 40(2) du Règlement de la Cour dispose que : « En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 612) du Protocole, pour être examinée, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1) Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat,
2) Etre compatible avec l’Acte constitutif de l’'UA et la Charte ;
3) Ne pas contenir des termes outrageants ou insultants ;
4) Ne pas se limiter à rassembler des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5) Etre postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7) Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine.
B. Comptabilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine
76. Selon le défendeur, la requête n’est pas compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine. Elle fait simplement référence aux procédures dont les requérants font l’objet devant les juridictions internes. Le défendeur soutient encore que, dans leur requête, les requérants n’ont pas cité les dispositions de la Charte dont la violation est alléguée, arguant que la requête demande à la Cour d’examiner et de statuer sur des affaires ou des actions menées par la police du Kenya et celle du Mozambique, deux Etats Parties qui n’ont pas reconnu la compétence de la Cour en déposant la déclaration requise. Le défendeur cite à l'appui de ses arguments, les décisions rendues par la Cour dans la requête n°005/2011 - Bc Cj et Aj Cj c. République du Mozambique et Bt Bo, de même que la requête n°002/2011 - Co Bg c. République algérienne démocratique et populaire.
77. Le-défendeur conclut qu'au vu de ce qui précède, la requête ne remplit pas les critères de recevabilité énoncés à l’article 40(2) du Règlement intérieur de la Cour et devrait en conséquence être rejetée.
78. Dans leur réplique à l'exception ci-dessus, les requérants affirment ce qui suit :
« (nous) réfutons les affirmations de l’État défendeur selon lesquelles nous demandons à la Cour d'examiner et ensuite de se prononcer sur les questions ou des actes commis par la police du Kenya et celle du Mozambique. Nous soutenons que la question de l'enlèvement et de la séquestration par la police tanzanienne, de connivence avec les polices du Kenya et du Mozambique, est un problème qui n’est pas encore réglé, l'affaire étant toujours pendante devant la Haute Cour de Tanzanie à Moshi.

540 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Quant à la requête 2016 de 2006, également pendante devant la Haute Cour, qui porte sur l'enlèvement et à la séquestration illégale, elle est pendante depuis huit (8) ans et continue de l’être. Cette procédure se prolonge donc d’une façon anormale ».
79. La Cour fait observer que l’Acte constitutif de l’Union africaine, qui a remplacé la Charte de l'OUA, dispose que l’un des objectifs de l’Union africaine est de promouvoir et de protéger les droits de l'homme et des peuples, conformément à la Charte africaine et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme. La requête en l'espèce est donc conforme aux objectifs de l’Union africaine car elle exige que la Cour, en tant qu’organe de l’Union africaine, statue sur la question de savoir si les droits de l'homme et des peuples sont protégés ou non par le défendeur, qui est un Etat membre de l’Union, conformément à la Charte et aux autres instruments ratifiés par le défendeur. Par ailleurs, la Cour s'est prononcée sur cette question dans l'arrêt rendu dans la requête n°003/2012 - Peter Aa c. République-Unie de Tanzanie, en concluant que dans la mesure où elle expose des faits qui révèlent une violation prima facie des droits, la requête est recevable. (Paragraphe 114 à 124 de l'arrêt).
80. Après avoir examiné les arguments des deux parties et au regard de sa décision ci-dessus relative à sa compétence, la Cour rejette l'exception soulevée par le défendeur pour ce motif.
C. Épuisement des voies de recours internes
81. Le défendeur soutient qu’il est prématuré d’introduire la présente requête devant la Cour africaine, étant donné que les procédures engagées contre les requérants sont encore pendantes devant les juridictions internes, 1) affirme par ailleurs que les requérants ont le droit d’interjeter appel dans n'importe laquelle de ces affaires s'ils s’estiment lésés par les décisions des tribunaux. Toutefois, il faut au préalable que des décisions définitives aient été rendues dans ces affaires pour qu’ils puissent exercer leur droit de se pourvoir en appel. En outre, selon le défendeur, les requérants ont la latitude de saisir la Cour constitutionnelle des violations alléguées de leurs droits, en vertu de la Loi sur l'application des droits et devoirs fondamentaux (Cp Br and Duties Enforcement Act). De plus, si les requérants s’estiment lésés par la décision de la Cour d’appel de Tanzanie, ils peuvent demander la révision de ladite décision comme en vertu de la Partie 111 B-article 66 du Règlement de procédure de la Cour d’appel de Tanzanie (2009).
82. S'agissant des affaires pendantes devant la Haute Cour, le défendeur soutient que les requêtes sont traitées par ordre d'arrivée et que malheureusement, le rôle des juridictions internes est engorgé. L'Etat défendeur affirme qu'il fait tout ce qui est en son pouvoir pour veiller à ce que toutes les affaires pendantes devant les tribunaux soient traitées avec le plus de célérité possible, car, il est conscient que lenteur de justice vaut déni de justice et qu’il ne souhaite pas que les affaires connaissent des retards injustifiés, au détriment de qui que ce soit.

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83. Le défendeur fait valoir, en guise de conclusion, qu’au vu de ce qui précède, les requérants n’ont pas encore épuisé les voies de recours internes disponibles et que l'épuisement des recours internes étant une condition fondamentale à remplir avant de saisir la Cour africaine, « la requête en l'espèce ne remplit pas les conditions de recevabilité, car elle ne répond pas aux critères établis à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ». À l’appui de son argument, le défendeur cite les communications no 333/2006 - Sharingo et autres c. Tanzanie et n°275/2003, Article 19 c. Erythrée de la Commission africaine.
84. Dans leur réplique à l'argument du défendeur selon lequel les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, les requérants affirment que
« nous, les requérants en l'espèce, n’avons pas épuisé les voies de recours comme l’allègue le défendeur. Notre plainte concerne le prolongement anormal de notre séjour en prison, de 2006 à ce jour ». Ils affirment aussi avoir « laissé passer l’occasion d’obtenir la révision de la décision, étant donné que c'était la deuxième fois que la Cour d'appel renvoyait l’affaire devant la Haute Cour. Notre avocat nous a déconseillé de poursuivre la voie de la révision, pour que nous puissions, dès le départ, concentrer davantage notre attention sur la requête ».
85. La Cour note d’abord que les requérants eux-mêmes ont admis qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Ils l’ont indiqué dans leur réplique à l'exception préliminaire portant cette question et ils l'ont réitéré par la suite dans leurs observations orales lors de l'audience publique, durant laquelle ils ont de nouveau rappelé qu’ils ne contestent pas le fait « qu’ils n’ont pas épuisé les recours légaux qui leur étaient disponibles, mais, plutôt la lenteur excessive de la procédure depuis 2006, date de leur emprisonnement, à ce jour ».
86. || s'agit pour la Cour d’apprécier si la raison avancée par les requérants pour justifier le non-épuisement des voies de recours internes s’inscrit parmi les exceptions acceptables prévues à l’article pé6S) de la Charte et reprises à l’article 40(5) du Règlement intérieur de
87. L'article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour qui reprend les dispositions de l’article 56(5) de la Charte prévoit que les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir notamment les conditions suivantes : « Etre postérieure à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale » (soulignement de la Cour).
88. Il est incontestable que les voies de recours internes sont disponibles et les requérants eux-mêmes l’admettent, mais que ces recours ont été prolongés de façon anormale dans leur cas. Selon l'interprétation de la Cour, l’article 40(5) prévoit des critères d'efficacité que doit remplir tout recours interne. Les recours doivent être non seulement disponibles, mais aussi être efficaces et suffisants.
89. Dans l'affaire Ayants droit de feus. Xo An, Ar Xq dit Ablassé, Af An et Ac Cn et Le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Bu Cz, la Cour a conclu qu’un recours efficace est un recours « qui produit l’effet

542 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
qu’on en attend ; dès lors, l'efficacité d’un recours en tant que tel se mesure à sa capacité à remédier à la situation dont se plaint celui ou celle qui l’exerce ».° Ce point de vue est partagé par la Commission africaine qui a estimé, dans la Communication n°147/95 - 149/96 — Cr Ca c. Gambie qu’« une voie de recours est considérée comme existante lorsqu'elle peut être utilisée sans obstacle par le requérant, elle est efficace si elle offre des perspectives de réussite et elle est satisfaisante lorsqu'elle est à même de donner satisfaction au
90. L’exception, au sens de l’article 40(5), est que la procédure ne doit pas seulement être prolongée, mais elle doit l’être de « façon anormale. » Cela signifie que cette exception ne saurait être retenue si le défendeur peut démontrer que la procédure s'est prolongée « de façon normale ».
91. Selon le Black’s Law Cm, (Dictionnaire juridique de Black), « de façon anormale » signifie « de manière excessive » ou « sans justification ». Ainsi, lorsque des raisons valables peuvent justifier la prolongation de la procédure dans une affaire, il n’y pas lieu de parler de prolongation « de façon anormale », par exemple, lorsqu'un pays est confronté à des troubles internes ou à une guerre qui peut avoir une Incidence sur le fonctionnement de la magistrature, ou lorsque le retard est causé en partie par la victime elle-même, sa famille ou ses représentants.
92. Dans la communication 293/04 : Zimbabwe Lawyers for Aw Br et Institute for Aw Br and Development in Bf c. Zimbabwe, la Commission africaine a fait observer que même si elle n’a pas formulé de définition standard de « prolongé de façon anormale », elle peut être guidée par les circonstances et le contexte de chaque affaire et par la doctrine de la Common Law du « test de l'homme raisonnable ». Sous ce critère, la Commission cherche à savoir, compte tenu de la nature et des circonstances particulières d’une affaire, qu’elle aurait été la décision d’un homme raisonnable.
93. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la question qui se pose est celle de déterminer si la procédure s’est prolongée de façon anormale.
94. Eu regard à tous ces facteurs, la réponse de la Cour à la question
après posée l’arrestation au paragraphe et la 93 mise est en affirmative. accusation, Depuis des 2006, requérants près jusqu’à de dix ans ce qu ils saisissent la Cour en 2013, les juridictions de l’État défendeur n’ont pas mené cette affaire à son terme. Les arguments avancés par le défendeur selon lesquels les retards sont dus aux requêtes en suspension des procédures introduites par les requérants ne sauraient
3 Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, requête n° 013/2011, Arrêt du 28 mars 2014, p.24 ; par. 68.
4 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Sir Cr At Ca c. Gambie ; Communication no. 147/95-149/96, par. 31 ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Zimbabwe Lawyers for Aw Br C Cu Xp AG Ad c. Zimbabwe, Communication no. 284/03, par. 116.

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prospérer, car il revient aux juridictions de l’État défendeur de traiter les affaires jusqu’à leurs conclusions. Par ailleurs, rien n'indique que les juridictions de l’État défendeur ont fait droit à l’une quelconque de ces demandes de suspension dans les affaires concernées,
95. En outre, les arguments du défendeur selon lesquels les requérants auraient du introduire une requête en inconstitutionnalité ou en révision sont inacceptables, la Cour ayant établi qu’il s'agit là de recours extraordinaires que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser. Telle a été la position de la Cour dans son arrêt du 14 juin 2013 dans l'arrêt relatif à la requête no 005/2013 - Alex Thomas (voir affaire Alex Thomas ci-dessus, paragraphe 64).
96. Compte tenu de la situation dans laquelle se trouvent les requérants, qui est aggravée par le retard mis à leur fournir les comptes rendus d’audience, et l’absence de conseil au stade ultérieur de la procédure, la Cour considère que l’exception du défendeur tirée du non-épuisement des voies de recours internes est dénuée de tout fondement et la rejette en conséquence.
D. Dépôt de la requête dans un délai raisonnable
97. Dans sa réponse à la requête, le défendeur soutient que le principe du délai raisonnable n’a pas été respecté, les requérants n’ayant pas épuisé tous les recours internes disponibles, en application de l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour, Selon le défendeur, l’on ne saurait donc affirmer que la requête a été introduite dans un délai raisonnable à compter de l'épuisement des recours internes, ces recours n’ayant même pas été épuisés.
98. Le défendeur affirme qu’à titre subsidiaire et sans préjudice de ce qui précède, si l'Honorable Cour venait à conclure que les requérants ont épuisé toutes les voies de recours internes avant d'introduire la présente requête, il soutiendrait encore que celle-ci n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après l'épuisement de ces recours. Il fait encore valoir que l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ne prescrit, ni ne définit, ni ne quantifie la durée du délai raisonnable. Toutefois, l’évolution de la jurisprudence relative au droit international des droits de l'homme a permis d'établir qu’une période de six (6) mots constitue un délai raisonnable. Il ajoute que le fait que les requérants soient en détention ne constituait et ne constitue pas un obstacle à leur accès à la Cour puisqu'ils ont pu introduire la présente requête même dans ces conditions. Selon lui, les requérants ont laissé le délai raisonnable s’écouler depuis le jour où ils se sont sentis lésés en 2006 et depuis la décision de la Cour d’appel dans l’appel en matière pénale 1354/2008, jusqu’au jour où ils ont introduit la présente requête devant a Cour.
99. En conclusion, le défendeur estime que la Cour doit déclarer la requête irrecevable, au motif qu’elle a été déposée au-delà du délai raisonnable, en violation de l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour. A cet égard, il cite la Communication n°308/2005, Cy c. Zimbabwe devant la Commission africaine pour étayer son argument. 100. Pour leur part, les requérants affirment que « nous continuons à nous opposer fermement et à contester les affirmations de l'Etat

544 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
défendeur selon lesquelles nous n’avons pas épuisé les voies de recours internes. En effet, dans notre requête, nous insistons sur le retard mis par la juridiction du défendeur à statuer sur l'affaire nous concernant ». Ils affirment aussi que « la requête n°006 de 2013 a été rédigée et envoyée officiellement au Greffier de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples le 20 juin 2013. Le temps qui s’est écoulé entre la date de la décision de la Cour d'appel siégeant à Bj le 19 mars 2013 et la date du dépôt de la requête s'inscrit dans le délai requis de six mois. Nous insistons sur le fait que notre principale plainte dans la requête n°006 de 2013 porte sur la prolongation de façon anormale des procédures visant à nous rendre justice ».
101. La Cour a déjà dégagé la conclusion, au paragraphe 96 ci-dessus, que l'exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes est dénuée de tout fondement, étant donné que l’objet de la plainte des requérants est la prolongation excessive de leur procès. Par ailleurs, la Cour a déduit des pièces de procédures que la dernière décision de la Cour d’ appel dans cette affaire a été rendue le 20 mars 2013 et que la requête en l'espèce a été introduite devant la Cour africaine le 23 juillet 2013. À tous les égards, une période de quatre (4) mois est un délai raisonnable.
102. La Cour considère en conséquence que la requête a été effectivement introduite dans un délai raisonnable et elle rejette donc l'exception du défendeur tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
103. Au vu de ce qui précède, la Cour est convaincue que la requête en l'espèce remplit tous les critères de recevabilité énoncés aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement intérieur de la Cour. En conséquence, la requête est déclarée recevable.
IX. SUR LE FOND
A. Les arguments des requérants sur le fond
104. Dans leur requête datée du 23 juillet 2013, les requérants allèguent que leur droit à la propriété, à la liberté, au travail* et à être jugés dans un délai raisonnable par les juridictions internes a été violé par l’État défendeur.
105. Dans leur réplique du 31 mars 2014 à la réponse du défendeur datée du 26 février 2014, les requérants soutiennent encore ce qui suit
«i. Le défendeur n’a pas examiné correctement la requête n°006 de 2013, étant donné que tous les requérants dans la requête sont des ressortissants kenyans ;
5 Voir le par. 24 plus haut, le requérant n’a pas évoqué ces allégations dans les plaidoiries ultérieures, que ce soit dans sa réplique à la réponse du défendeur ou durant les plaidoiries, orales. En conséquence, la Cour n’examinera pas ces allégations dans cet arrêt.

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 545
i. Nous, les requérants, sommes poursuivis devant le Tribunal de première instance dans l'affaire pénale n°2 de 2006 et seuls huit (8) des requérants font l’objet de ces poursuites ;
iii. Devant la Haute Cour, les accusations de meurtre dans l’affaire n°10 de 2006 ne concernent que sept (7) des requérants ;
iv. La requête n°006 de 2013 introduite devant la Cour africaine ne concerne aucun requérant tanzanien, contrairement à ce qu’affirme le défendeur ;
v. Les requérants ont été amenés du Mozambique à bord d’un avion militaire et les allégations du défendeur selon lesquelles ils ont été amenés en Tanzanie et arrêtés à l'aéroport Xe Bh Cf sont fermement contestées, même si l’affaire est toujours pendante devant la Haute Cour, sous la référence n°16 de 2006 ;
vi. Le 24 avril 2006 et le 3 mars 2006, les charges à l'encontre des requérants dans les affaires n°811 de 2005 et n°647 de 2005 ont été retirées. Cela est contesté car ces charges ont été retirées le 3 septembre 2007, dans les affaires n°811 de 2005 et le 16 janvier 2009, dans l'affaire no 647 de 2005 ;
vi. Le défendeur ne s’est pas conformé aux dispositions de l’article 13(1)(a), (b) et (c) du Code de procédure pénale ».
106. Durant l'audience publique, les requérants ont réitéré ces allégations,
B. Les arguments du défendeur sur le fond
107. Dans sa réponse datée du 26 février 2014, le défendeur conteste les allégations formulées par les requérants et affirme en particulier ce qui suit :
«i. S'agissant de l'enlèvement et de la séquestration alléguée des requérants, le défendeur affirme que ces arrestations ont été opérées dans le strict respect de la loi ; que ces allégations sont dénuées de tout fondement et qu’elles doivent donc être rejetées en conséquence. i. S'agissant de l’allégation selon laquelle le défendeur ne s'est pas conformé aux exigences obligatoires de l’article 13(1)(a), (b) et (c) de la loi portant Code de procédure pénale [Chapitre 20 RE 2002], le défendeur tient à rappeler que le Code de procédure pénale prévoit les cas d'arrestation sans mandat, comme les situations d'urgence et d'autres situations prévues à l’article 14 du Code pénal [Chapitre 20 RE 2002]. Cette allégation est donc erronée et sans fondement et elle doit être rejetée en conséquence.
iii. Concernant l’allégation selon laquelle la requête introduite par les requérants devant la Haute Cour de Moshi selon la procédure d'urgence pour leur enlèvement et leur séquestration est pendante depuis janvier 2006, le défendeur soutient que peu de temps après leur inculpation, les requérants avaient eux-mêmes introduit une requête demandant des ordonnances suspensives de leur procès qui venait de se clôturer devant la Cour d'appel de Tanzanie, par un arrêt rendu le 19 mars 2013 ordonnant le renvoi de l'affaire devant la Haute Cour pour l'examen des exceptions préliminaires. Le défendeur affirme donc que cette allégation est fantaisiste et vexatoire et qu’elle doit être purement et simplement rejetée.
iv. Au sujet de l’allégation selon laquelle le droit des requérants à la propriété a été violé par la République-Unie de Tanzanie, le défendeur estime que l’article 24(1) de la Constitution de la Ré-publique-Unie de

546 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Tanzanie de 1977 garantit le droit à la propriété. De plus, la Cour a ajouté que « tous les biens appartenant légitimement aux requérants leur seront dûment restitués dès la clôture de leur procès ».
v. S'agissant de l’allégation d’atteinte au droit des requérants à la liberté, le défendeur affirme que le droit à la liberté est inscrit à l’article 15(1) de la Constitution tanzanienne et il précise que la détention des requérants était conforme à la loi et qu’ils sont poursuivis, pour des crimes ne pouvant donner lieu à une libération sous caution et que des procédures sont en cours à leur encontre devant les juridictions internes,
vi. Au sujet de la violation du droit des requérants au travail, le défendeur fait valoir que le droit au travail est garanti par l’article 22(1) de la Constitution tanzanienne et que de ce fait, « ces allégations sont erronées et dénuées de tout fondement et qu’elles doivent donc être rejetées »
vi. Quant à l’allégation selon laquelle le droit des requérants à être jugés dans un délai raisonnable a été violé, le défendeur affirme encore « qu’il n'existe pas de délai spécifique pour la finalisation d’un procès en République-Unie de Tanzanie et que les requérants eux-mêmes sont à l’origine de tout retard accusé dans leurs procès, pour avoir introduit une multitude de requêtes, notamment la requête no 16/2006 devant la Haute Cour de Tanzanie, de même que la requête en matière pénale no 79/2011... ».
viii. Pour ce qui est de la demande de réparations en faveur des requérants au regard des allégations portées contre la République- Unie de Tanzanie, le défendeur demande à la Cour de rejeter toutes ces prétentions dans leur entièreté ».
En conclusion, le défendeur prie la Cour de statuer dans le sens des paragraphes 48 et 49 plus haut.
108. Lors de l'audience publique du 21 mai 2015, le défendeur a réitéré sa position et a réfuté les allégations des requérants, en affirmant que les requérants, « [...] dès réception de l'autorisation de demander des ordonnances de mesures extraordinaires, ont introduit la requête n°16/ 2006 (Miscellaneous case) devant la Haute Cour de Tanzanie à Moshi, le 19 juin 2006, demandant des ordonnances de certiorari et de prohibition dans l'affaire de l'enlèvement des requérants de la République du Mozambique par la police tanzanienne en collusion avec les polices kényane et mozambicaine ». Le défendeur ajoute « qu’il ne s'agissait pas d’une demande en vue d’un procès équitable. En effet, les requérants demandaient ce qui suit :
ii une ordonnance de suspension de la procédure pénale devant le tribunal de district de Moshi ;
ii. une ordonnance de certiorari pour annuler toutes les autres ordonnances concernant l'affaire de meurtre ;
ii. une ordonnance de certiorari pour annuler l’action du 1° et du 2ème défendeur en ce qui concerne les affaires pénales visant les requérants ;
iv. une ordonnance de prohibition interdisant aux 3éme et 4enie défendeurs d'entendre ou, de toute autre manière, de statuer dans l’une des procédures engagées à l'encontre des requérants ;
v. une ordonnance de remise en liberté immédiate des requérants »

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 547
109. Selon le défendeur, « les requérants ne demandaient pas de procès équitable, mais plutôt leur libération afin que les charges retenues contre eux ne soient pas examinées par une juridiction locale. Aucune question relative aux droits de l'homme n’a été soulevée dans cette requête ».
110. Le défendeur soutient encore que les requérants n’ont jamais soulevé la question des retards lorsqu'ils poursuivaient ces recours, réfutant ainsi « les allégations selon lesquelles le défendeur a provoqué un retard quelconque dans l'affaire pénale n°16 de 2006, qui s'est éteinte le 19 mars 2013, suite à son annulation par la Cour d'appel ». 111. Le défendeur affirme encore que les requérants ne se sont jamais plaints de l’évolution de la requête n°16/2006 étant donné qu'ils poursuivaient vigoureusement eux-mêmes leurs droits et recherchaient des solutions relevant de la compétence des juridictions nationales, par le biais de ce pourvoi, et que, tout au long des procès, les requérants ont bénéficié des conseils d’un avocat et qu'ils étaient représentés.
ii. Conclusions de la Cour sur le fond de la requête
112. La Cour note que, dans leur requête, les requérants allèguent que la police tanzanienne les a « enlevés et séquestrés, en collusion avec les polices mozambicaine et kényane », et les a illégalement remis aux autorités tanzaniennes, qu’ils ont contesté leur enlèvement et séquestration alléguées devant la Haute Cour de Tanzanie à Moshi, et que cette affaire « est pendante depuis janvier 2006 ».
113. Toutefois, selon l’entendement de la Cour, ce dont les requérants se plaignent en réalité devant elle, c'est du retard prolongé et injustifié allégué dans le traitement [de cette affaire d’enlèvement et de séquestration, affaire qui est toujours pendante devant la Haute Cour de Tanzanie à Moshi, de même que l'affaire pénale n°2 de 2006 et l’affaire pénale n°10 de 2006. La Cour n’est donc pas saisie de la requête en l'espèce pour enquêter sur les circonstances dans lesquelles les requérants ont été amenés en Tanzanie, question qui a été soulevée uniquement devant les juridictions nationales et non pas devant la Cour de céans.
114. Même s'ils ne l’ont pas mentionné dans leur requête ou dans leur réplique, lors de l'audience publique, les requérants ont également allégué qu’ils n’ont pas bénéficié d’une assistance judiciaire.
115. La Cour examine à présent ces deux allégations.
116. Ces deux allégations tombent dans le champ d’application des droits garantis par l’article 7 de la Charte africaine. En effet, l’article 7 de la Charte dispose, entre autres, que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : … (c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ; et (d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale » (soulignement de la Cour).

548 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
i. Violation alléguée de l’article 7 de la Charte africaine à raison de l’allégation de retard prolongé et injustifié dans le traitement des affaires devant les juridictions nationales
117. Les requérants soulignent dans leurs observations aussi bien écrites qu’orales que leur requête devant la Cour se fonde sur le retard prolongé et injustifié à juger les affaires pénales pendantes devant les juridictions nationales, en particulier l’affaire pénale n°2 de 2006 (sur l'entente en vue de commettre une infraction et vol à main armée) et la requête en matière pénale n°16 de 2006, (dans laquelle ils contestent leur séquestration et leur enlèvement allégué du Mozambique).
118. Ils allèguent à cet égard que leur droit d’être jugés dans un délai raisonnable a été violé, ces affaires étant pendantes depuis 2006.
119. Ce grief est exprimé clairement dans leur requête datée du 23 juillet 2013 et dans laquelle ils affirment que « nos droits d’être jugés dans un délai raisonnable par les tribunaux ont été violés par l’État défendeur ». Dans leur réplique datée du 25 mars 2014, ils ont réaffirmé que «le grief exposé dans la requête ne vise que les allégations de retard provoqué par l’État défendeur dans les affaires dans lesquelles ils sont poursuivis devant les tribunaux nationaux, c’est-à-dire, l'affaire pénale n°2 de 2006 et la requête en matière pénale n°16 de 2006 ». Lors de l’audience publique du 21 maj 2015, les requérants ont précisé que dans la requête pénale diverse no 16 de 2006, qui porte sur l'enlèvement et la séquestration des requérants, l'affaire a été prolongée de façon excessive. ».
120. Ils précisent qu’ils ont déposé la requête devant la Haute Cour de Tanzanie le 19 juin 2006, et qu’elle a été rejetée le 16 septembre 2008. La procédure a donc dure près de deux ans et trois mois avant d’être clôturée. Les requérants ont alors interjeté appel devant la Cour d'appel, par requête datée du 30 septembre 2008 et la Cour d’appel a rendu son arrêt le 14 février 2011. Une autre période de deux ans et cinq mois s’est écoulée entre le rejet de la requête par la Haute Cour et la décision de la Cour d’appel.
121. Les requérants ont ensuite sollicité l’autorisation de déposer une demande de prorogation du délai pour interjeter appel devant la Cour d'appel ; c'est alors que le défendeur a déposé une exception préliminaire arguant que la Cour avait statué strictement sur le fond et n’avait pas pris en considération les exceptions préliminaires du défendeur. Lorsque le défendeur a déposé son recours, les requérants ont soulevé une exception préliminaire faisant valoir que l'appel était basé sur une décision interlocutoire qui ne peut pas faire l’objet d’un appel.
122. L'appel des requérants a été rejeté, et l'affaire renvoyée devant la Haute Cour ; l’affaire a de nouveau évolué jusqu’à la Cour d’appel qui, elle aussi, a conclu que le tribunal de première instance avait statué sur le fond de l'affaire sans tenir compte des exceptions préliminaires soulevées par le défendeur. La Cour d’appel a de nouveau renvoyé l’affaire devant la Haute Cour. C’est alors que les requérants ont décidé de déposer la requête en l'espèce devant la Cour africaine.

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RJCA 526 549
123. Dans sa réponse du 26 février 2014, le défendeur « réfute fermement les allégations selon lesquelles il a provoqué tout retard dans le traitement de la requête pénale no 16 de 2006 », qui, selon le défendeur, « a effectivement cessé d'exister le 19 mars 2013, après avoir été annulée par la Cour d’appel ». Le défendeur soutient encore que « les requérants ne se sont jamais plaints de l’évolution de la requête puisqu'ils défendaient eux-mêmes vigoureusement leurs droits et recherchaient des réparations devant les juridictions nationales par le biais de cette requête ». Le défendeur a conclu en déclarant que les requérants « … sont les responsables de leur propre destin ».
124. Pendant l'audience publique, le défendeur a soutenu que «… plusieurs raisons pouvaient justifier la lenteur de la procédure. Tout d’abord, la complexité et la gravité de l'affaire. Celle-ci concernait dix (10) accusés et il fallait constituer un dossier suffisamment solide pour prouver leur culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. En effet, il s’est écoulé une période de près de deux ans, du 25 janvier 2006, jour où les requérants ont été mis en accusation, au 5 août 2008, jour où le Ministère public a présenté son premier témoin. Cependant, il y avait d’autres suspects et d’autres accusés qui étaient impliqués dans des procès d’extradition au Kenya et nous pensions qu’il était donc prudent que les personnes accusées soient toutes présentes avant le début des procédures pénales »,
125. Le défendeur soutient encore que « ce qui s'est passé en réalité, c’est que les chefs d’accusations étaient en cours de requalification et chaque accusé étant mis en accusation individuellement, cela ralentissait les procédures, qui devaient chaque fois recommencer ab initio … Malheureusement, les affaires au Kenya sont allées jusqu’au niveau de la Cour d’appel et les intéressés n'ont jamais été remis en liberté. Nous avons donc décidé de poursuivre les procédures uniquement avec les personnes mises en accusation ».
126. Dans ses observations finales, le défendeur a indiqué que « nous tenons également à souligner que ces retards ne peuvent pas être imputés uniquement au Ministère public. En effet à maintes occasions, l'avocat de la défense ne s'est pas présenté, d’autres fois, il était malade, d’autres fois encore, il devait comparaitre devant la Cour d'appel, devant les juridictions supérieures, et lorsqu’un avocat comparaît devant une juridiction supérieure, naturellement, il ne peut pas comparaître en même temps devant la juridiction inférieure. Ainsi, ce retard allégué n’est pas à imputer au défendeur … »
127. Au sujet de la violation alléguée de l’article 7 à raison du retard prolongé et injustifié, la Cour tient à souligner l'importance d’un processus judiciaire rapide, surtout en matière pénale. La maxime souvent utilisée à cet égard est : justice différée égale justice refusée. Lorsque la société se rend compte que le règlement judiciaire des différends est trop lent, elle peut perdre confiance non seulement dans les institutions judiciaires, mais aussi et surtout dans le règlement pacifique des différends. En matière pénale, l'effet dissuasif du droit pénal ne peut être efficace que si la société peut voir que les auteurs des crimes sont jugés et, s'ils sont déclarés coupables qu'ils seront ensuite condamnés dans un délai raisonnable, tandis que les suspects

550 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
innocents ont indéniablement un très grand intérêt à ce que leur innocence soit rapidement reconnue.
128. L'article 7(1)(d) de la Charte africaine dispose que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : [...] le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ». (non souligné dans l'original).
129. En l'espèce, les requérants soutiennent qu’ils ont déposé leur requête devant la Haute Cour de Tanzanie le 19 juin 2006 et ; au moment où ils ont déposé la requête en l'espèce devant la Cour africaine, soit le 23 juillet 2013, l'affaire était toujours pendante devant les juridictions internes du défendeur.
130. Même si le défendeur affirme que la requête n°16 de 2006 « a effectivement cessé d'exister le 19 mars 2013, après avoir été annulée par la Cour d'appel », les requérants ont rappelé durant l'audience publique, que « dans la requête pénale diverse no 16 de 2006 devant la Haute Cour portant sur l'enlèvement et la séquestration des requérants, l'affaire a été indûment prolongée et elle est toujours pendante devant les juridictions depuis neuf (9) ans aujourd’hui. Il n’y a pas eu d'ordonnance de suspension, et donc pas de raison pouvant justifier que ce procès dure neuf (9) ans ». Ils ont ainsi mis l’accent sur le fait que l'affaire était encore pendante devant les juridictions du défendeur, La Cour relève à cet égard que le défendeur n’a pas présenté de preuves à l’appui de l'affirmation selon laquelle l’affaire a été clôturée.
131. En tout état de cause, si la Cour devait limiter le calcul de la période à partir de la date où l'affaire a été introduite, soit le 19 juin 2006, jusqu’au moment où le défendeur affirme que l’affaire a été annulée par la Cour d’appel, à savoir le 19 mars 2013, la période concernée serait de six (6) ans et deux cent soixante-treize (273) jours. 132. Subsidiairement, l’on calcule cette période à partir du 19 juin 2006, date à laquelle l’affaire a été introduite, jusqu’au 23 juillet 2013, date à laquelle les requérants ont saisi la Cour africaine, la période concernée est de plus de sept (7) ans ; et si la Cour prend en considération l’affirmation des requérants selon laquelle, à ce jour, l'affaire est encore pendante devant la Haute Cour de Tanzanie à Moshi, (ce que la Cour a l'intention de faire), la période concernée sera de plus de neuf (9) ans. 133. Quel que soit le système de calcul adopté par la Cour, il est clair que l'affaire en question est pendante devant les juridictions du défendeur depuis au moins six (6) ans.
134. Ayant établi la période durant laquelle l'affaire est restée pendante au niveau des juridictions internes, la Cour examine à présent si ce délai est raisonnable, au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte.
135. La Cour note d’amblée, qu’il n’existe pas de délai considéré comme « raisonnable » qui serve de norme dans l'examen d’une affaire. Pour déterminer si le délai est raisonnable ou non, chaque affaire doit être traitée selon ses propres circonstances.
136. Comme il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, aucun délai précis n’a été fixé. La Cour porte plutôt son attention sur plusieurs autres critères, notamment (i) la complexité

Xu Ba et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526 551
de l'affaire, (ii) le comportement du requérant, (ii) le comportement des autorités judiciaires nationales.°
137. La Cour se fonde à présent les critères ci-dessus pour déterminer si oui ou non des procédures en l’espèce étaient raisonnables,
ii. Complexité de l’affaire
138. Pour apprécier la complexité d’une affaire, tous les aspects doivent être pris en considération, étant donné que la complexité peut porter à la fois sur des questions de fait et de droit.
139. Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la complexité peut étre, entre autres facteurs, due à : (i) la nature des faits qui sont à établis, (ii) le nombre d'accusés et de témoins, (iii) les éléments internationaux, (iv) la jonction de l'affaire à d’autres affaires, (v) l'intervention des autres personnes dans la procédure. En conséquence, plus une affaire est complexe, plus longue en est la procédure.” Cependant, même dans des affaires très complexes, les retards déraisonnables peuvent encore se produire.®
140. Dans l'affaire Ivan lovchev Xb c. Bulgarie,® le requérant et un certain M. Z. ont été arrêtés à Bl, soupçonnés d’avoir volé une voiture en 1990. Ils ont été mis en examen et placés en détention provisoire. Au début de 1991, M. Aq Cl a réussi à s'échapper pendant son transfert d’un centre de détention à un autre. En mai 1991, le requérant a été libéré sous caution. Le 24 juillet 1991, le requérant a été arrêté à Az pour vol. L'affaire a été liée aux autres affaires pendantes contre M. S.V., dont certaines concernaient aussi le requérant. Le 5 février 1993, la procédure a été suspendue parce que le lieu où se trouvait de M. Z. était inconnu. Selon le requérant, M. Aq Cl s’était installé en Grèce, mais durant les années suivantes, il était revenu en Bulgarie chaque été, sans jamais avoir été arrêté ou inquiété par les autorités, et il avait même renouvelé ses pièces d'identité. La Cour a conclu qu’il a fallu au total près de neuf (9) ans pour que l'affaire
141. Pour déterminer si oui ou non le délai était raisonnable, la Cour européenne a jugé que «… l'affaire était complexe eu égard au fait, qu’elle concernait de nombreuses infractions commises dans des lieux différents. Cependant, il ne semble pas que ce soit la principale cause des retards dans l'enquête. Il ne semble pas non plus que le requérant ait contribué en aucune façon à prolonger la durée de la procédure, qui, apparemment, était principalement due à l'incapacité des autorités à
6 Affaire n°12919/1987 (Xw c. Belgique, requête n°11681 de 1985 (Xh Alimentaria Sanders A c. Espagne et requête n°32771/1996 (Au c. Royaume
7 Voir affaire Xw c. Belgique (requête n° 12919/87) dans laquelle une période de six ans et trois mois n’a pas été considérée comme non raisonnable par la Cous, du fait qu’elle concernait une enquête difficile sur un meurtre et l’évolution parallèle de deux affaires.
8 Vols affaire Xl et Ao c. Italie (affaire n°19874/92) relative à un procés pour meurtre qui a duré seize ans
9 Affaire n°15197/02

552 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
traquer et convoquer son co-accusé, M. Z. [...] L'absence d’un co- accusé ne peut pas justifier une période d'inactivité aussi longue que celle écoulée dans cette affaire, ou presque aucune action d'enquête n’a été effectuée pendant environ neuf ans, surtout d'autant plus que, compte tenu du retard, les autorités auraient pu envisager de séparer les affaires, l’une contre le requérant et les autres contre M. Z. ».
142. En l'espèce, le défendeur affirme que le retard mis à traiter l’affaire pourrait être attribué à la complexité de l'affaire. || soutient encore que « ce qui s'est passé en réalité c’est que les chefs d’accusation étaient en cours de requalification et que chaque accusé était mis en accusation individuellement, ce qui a ralenti les procédures ; ils devaient chaque fois recommencer ab initio [.….] Malheureusement, les affaires au Kenya sont allées jusqu’à la Cour d'appel et les plaignants n’ont jamais été remis en liberté. Nous avons donc décidé de poursuivre les procédures engagées uniquement à l'encontre des personnes mises en accusation ».
143. Le défendeur avance ainsi deux éléments principaux pour justifier la complexité de l'affaire : l’un étant le fait qu’il y avait dix personnes accusées, raison pour laquelle il a fallu une période de près de deux ans depuis le moment où les requérants avaient été mis en accusation, jusqu’au moment où le Ministère public a présenté son premier témoin ; l’autre élément étant le fait qu’il y avait d’autres suspects et des accusés qui étaient impliqués dans des procès d’extradition au Kenya et le défendeur a estimé prudent que toutes les personnes accusées soient présentes avant que la procédure ne soit lancée.
144. Tout d’abord, la Cour n’est pas convaincue que le simple fait que des accusés soient nombreux rend une affaire devant un tribunal automatiquement complexe. En outre, lier la poursuite des. requérants à d'autres affaires pendantes devant un autre tribunal dont les procédures étaient hors du contrôle du défendeur signifie mettre les droits individuels et la liberté des. requérants à la merci d’une juridiction étrangère. C’était un pari et il a mal tourné, car à la fin, les « autres suspects » présumés impliqués dans des procédures d’extradition du Kenya ne sont jamais apparus. Le fait que le défendeur ait finalement décidé d'engager le procès contre les requérants après avoir essayé en vain à obtenir l’extradition des « autres suspects » du Kenya, démontre qu’il était possible de séparer les affaires et de poursuivre les requérants ab initio. Le retard n’était donc en aucune façon dû à la complexité de l'affaire et il n’était pas justifié.
iii. — Comportement des requérants
145. Pendant l'audience publique, le défendeur a affirmé que «[...) ces retards ne peuvent pas être imputés uniquement au Ministère public. En effet, à maintes reprises, l’avocat de la défense ne s’est pas présenté, d’autres fois, il était malade, d’autres fois encore, il devait se présenter à la Cour d'appel, ou devant les juridictions supérieures, et ce qui arrive lorsqu’un avocat doit se présenter devant une juridiction supérieure, naturellement, il ne peut pas comparaitre en même temps devant la juridiction inférieure. Ce retard allégué n’est donc pas à imputer au défendeur [...] ».

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146. La Cour examine à présent la mesure dans laquelle les requérants ont eux-mêmes contribué au prolongement de la procédure,
147. Les requérants reconnaissent qu’ils ont demandé la suspension des procédures pénales dont ils faisaient l’objet, mais ces demandes ont été rejetées, et l'appel contre ces rejets est toujours en instance. On ne peut donc pas reprocher aux requérant d’utiliser les voies procédurales à leur disposition pour tenter de recouvrer leur liberté.
148. Dans l’affaire Xh Alimentaria Sanders A c. Espagne, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu que le requérant est seulement tenu de « faire preuve de diligence dans l’exécution des étapes procédurales pertinentes pour lui, de s'abstenir de recourir aux tactiques dilatoires et de se prévaloir des possibilités offertes par les lois internes pour abréger la procédure ». *°
149. La Cour prend note des arguments du défendeur selon lesquels l'avocat de la défense a peut-être contribué au retard, en étant parfois malade, du fait de ne s'être pas présenté, ou d’avoir plutôt préféré comparaitre devant les juridictions supérieures. Toutefois, le défendeur ne démontre pas dans quelle mesure les actions de l'avocat de la défense ont causé le retard de la procédure ou si celui-ci a délibérément voulu retarder la procédure. Aucune preuve devant la Cour n’indique qu’une action quelconque de la défense visait à retarder le procès, comme le rapporte le défendeur.
150. Pour ces raisons, la Cour rejette l'argument du défendeur selon lequel les requérants ont été en partie responsables du retard.
iv. Comportement des autorités judiciaires nationales
151. Durant l’audience publique, les requérants ont allégué que devant le Tribunal du Magistral résident, à Moshi, « il y a eu plus de cinquante- cinq (55) ajournements durant toute la procédure relative à l'affaire en l'espèce. Ils ont ajouté qu’au cours des quatre premières années de l'affaire, un seul témoin avait fait une déposition et durant toute la procédure, les requérants ont constamment remis en question la durée même des procès, jusqu'à un an après la mise en accusation les requérants, la raison la plus fréquente avancée par les autorités pour demander l’ajournement était qu’ils étaient encore en train de constituer le dossier de la police, que les enquêtes étaient encore en cours ». Le défendeur n’a pas contesté cette affirmation des requérants.
152. Les requérants soutiennent encore que dans leurs efforts pour faire avancer l'examen de l’affaire devant la Haute Cour, ils ont écrit et tenté de communiquer avec leur avocat en vain et c'est la raison pour laquelle ils ont adressé à la Haute Cour une lettre datée du 16 août 2013, pour demander qu’une date d'audience soit fixée, en application de l’ordonnance de la Cour d'appel, mais ladite lettre est restée sans réponse.
10 Arrêt du 7 juillet 1989, affaire n°011681/85, par. 35

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153. Même en supposant que les avocats de la défense tentaient de retarder le procès, il n’en demeure pas moins que les autorités des juridictions nationales ont le devoir de veiller à ce que tous ceux qui jouent un rôle dans un procès fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter tout retard inutile. Les juges ont également le droit, aussi bien que le devoir, de s'assurer activement que les procédures judiciaires devant eux respectent l’exigence du délai raisonnable. Dans l'affaire Au c. Royaume-Uni, la Cour européenne a par exemple estimé que « le juge de première instance est l'ultime gardien de l'équité », " qu’elle attend du juge de première instance une attitude plus proactive. ‘?
154. Ainsi, dans la jurisprudence de la Cour européenne, les retards qui ont été imputés à l'Etat dans les affaires pénales sont dus au transfert des dossiers d’une juridiction à une autre, à l’audition d’affaires impliquant soit deux, soit plus de deux accusés ensemble, à la communication du jugement à l'accusé et à la préparation et à l'audition des appels. ‘*
155. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut que le délai n’a pas été raisonnable, non pas à cause de la complexité de l'affaire, ni à cause de l’action des requérants, mais surtout en raison du manque de diligence de la part des autorités judiciaires nationales. La Cour ne saurait fermier les yeux sur le fait que le défendeur a mis l'affaire en veilleuse pour une période d’environ deux ans, parfois sous prétexte que les autorités n'avaient pas terminé les enquêtes, ou qu’elles attendaient l’extradition des coaccusés par une autre juridiction étrangère. La Cour conclut que le défendeur a agi en violation de l’article 7(1)(d) de la Charte africaine, à savoir le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
a. … Violation alléguée de l’article 7 à raison du refus allégué de fournir une assistance judiciaire aux requérants
156. Dans leur requête datée du 23 juillet 2013 et leur réplique du 31 mars 2014, les requérants n'avaient pas abordé la question de l'assistance judiciaire. Toutefois, au cours de l’audience publique, ils ont soulevé la question et fait valoir qu’ils n'avaient pas besoin de demander une assistance judiciaire pour qu’elle leur soit accordée, et qu’en revanche, le juge de première instance et les juges d'appel avalent l’obligation de chercher à savoir si oui ou non les requérants remplissaient les conditions requises pour bénéficier d’une assistance judiciaire, au regard des critères énoncés à l’article 3 de la Loi sur l'assistance judiciaire (Procédures pénales).
157. Au cours l’audience publique, le défendeur a rejeté les allégations des requérants et fait valoir que « Tout au long des procès, les
11 Voir CEDH 24 septembre 2002, Au c. Royaume Uni (affaire n° 32771196).
13 N Mole and C. Bi, The Right to a Fair Trial, Aw Br Xi no 3. pp. 27 et 28.

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requérants avaient un avocat pour leur défense et avaient les moyens de rémunérer les services d’un avocat. Il ressort des pièces du dossier qu’il y avait un certain M. Ag et un certain M. Ae ; les arrêts que nous avons produits indiquent, eux aussi, que les requérants étaient représentés convenablement et de manière adéquate par un avocat chevronné ».
158. Le défendeur affirme encore que « les requérants ont toujours bénéficié d’une représentation juridique, ils n’ont jamais demandé d'assistance judiciaire conformément à la Loi sur l'assistance judiciaire dans la procédure pénale [Cap 21 RE 2002], et n’ont pas encore demandé d'assistance judiciaire conformément aux dispositions pertinentes [du Cap 21]; il serait donc injuste que la Cour fasse une telle déclaration, car les requérants n’ont même pas fait savoir au défendeur qu’ils ont besoin d'assistance judiciaire et de représentation juridique ». 159. Les faits exposés devant la Cour semblent indiquer que les requérants ont été représentés tout au long des procès par un avocat qu’eux-mêmes ou leurs proches avaient engagé. Il n’est pas établi que le défendeur leur aurait commis un avocat d'office s’ils n’en avaient pas engagé un. Ce qui est important cependant, c'est qu’ils avaient un conseil, au moins jusqu'à ce que celui-ci les abandonne. Il ressort donc clairement des plaidoiries que les requérants ne prétendent pas que le défendeur aurait dû leur fournir un avocat tout au long du procès, et il n’est pas correct d’attendre du défendeur qu'il fournisse une assistance judiciaire aux requérants qui étaient déjà représentés par un conseil de leur choix.
160. Toutefois, dans sa réponse durant l’audience publique, le défendeur a confirmé qu’il était « informé que l’avocat s’était retiré de l’affaire pénale n°2 de 2006. Toutefois, comme les requérants ne s'étant pas plaints qu’ils étaient affectés à cet effet par le départ de leur défenseur et avaient besoin d'assistance judiciaire, le défendeur n’a donc pris aucune mesure à cet effet. Nous réitérons que les requérants n’ont fait aucune tentative pour demander une assistance judiciaire en vertu de la Loi sur l'assistance judiciaire dans la procédure pénale (Cap 21 RE 2002) ».
161. I! convient de relever qu’au moment où les requérants ont déposé la requête en l'espèce devant la Cour de céans, ils avaient déjà été abandonnés par leur conseil et avaient encore des affaires pendantes contre eux devant les juridictions du défendeur. Le défendeur était informé de cette situation.
162. Pour déterminer si oui ou non le défendeur a violé le droit des requérants à un procès équitable en omettant de leur fournir une assistance judiciaire, la Cour irivoquera des éléments du droit à un procès équitable, qui est garanti par la Charte africaine et par d'autres instruments internationaux des droits de l'homme ratifiés par le défendeur.
163. L'article pertinent de la Charte à cet égard est l’article 7(1)(c). Il dispose que ;
«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :

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(b)
(c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».
164. L'article 7 du Protocole est libellé comme suit : « La Cour applique les dispositions de la Charte ainsi que de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par l’État concerné. ».
165. Compte tenu du fait que le défendeur est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et qu'il a ratifié le 11 juin 1976 en vertu de l’article 7 du Protocole, la Cour peut dès lors interpréter l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article 14(3)(d) du Pacte.
166. L'article 14(3)(d) du PIDCP est plus précis que l’article 7(1) de la Charte et il est libellé comme suit :
« Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :
(b)
(c)
(d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer »
167. L'article 14(3)(d) du PIDCP contient trois garanties distinctes. D'abord, la disposition prévoit que les personnes accusées ont le droit d'être présentes pendant leur procès, Ensuite, la disposition renvoie au droit de l’accusé à assurer sa propre défense ou à être assisté par un défenseur de son choix. Enfin, cette disposition garantit le droit des personnes accusées à une assistance judiciaire, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, et gratuitement si elles ne disposent pas de moyens suffisants pour rémunérer cette assistance.
168. La disposition pertinente de la Charte africaine à cet égard est l’article 7(1)(c), qui dispose que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ». Cette disposition a été largement interprétée par la Commission africaine aussi bien dans sa jurisprudence que dans des résolutions spécifiques.
169. La Cour est confortée dans sa position par les décisions de la Commission africaine, de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui sont dotées de compétences similaires. Les Déclarations et directives de la Commission africaine sur le droit à l'assistance judiciaire sont également édifiantes.
170. Dans sa jurisprudence, la Commission a en effet souligné l'importance de l'assistance judiciaire dans la Communication 231/99 Avocats Sans Frontières (au nom de Bk CbAH c. Burundi, la Commission africaine a approfondi l’analyse de cette disposition

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relative au droit à l'assistance judiciaire : « … la Commission rappelle avec insistance que le droit à l'assistance juridique est un élément fondamental du droit à un procès équitable. Plus encore lorsque les intérêts de la justice l’exigent. Elle est d’avis que dans le cas sous examen, compte tenu de la gravité des allégations portées contre l'accusé et de la nature de la peine qu’il encourt, il était dans l’intérêt de la justice qu’il bénéficie de l'assistance d’un avocat dans chaque étape
171. La Cour, pour l’interprétation et l’application de l’article 14(3)(d) du PIDCP, s'inspire également de la jurisprudence du Comité des droits de l'homme, notamment de la communication N°377/89 Cq Cw c. Jamaïque, qui présente des circonstances similaires à celles du requérant dans l'affaire en l'espèce devant la Cour, car elles soulèvent toutes les deux des questions de respect des garanties constitutionnelles de leurs droits à un procès équitable dans leurs procès et appels en matière pénale. Dans ses observations sur cette communication, le Comité des droits de l'homme a conclu que :
« L’auteur a affirmé que l'absence de l'aide juridique aux fins de présentation d’une requête constitutionnelle constitue en soi une violation de la Convention. Le Comité relève que la Convention ne contient pas une obligation expresse en tant que telle selon laquelle un Etat doit fournir une aide juridique aux personnes dans tous les cas mais seulement, conformément à l’article 14(3)(d), dans la détermination d’une accusation en matière pénale lorsque les intérêts de la justice l’exigent »,
172. La Cour peut en outre s'inspirer de la Jurisprudence de la Cour européenne. L'article 6(3)(d) de la Convention européenne des droits de l’homme comporte deux garanties minimum distinctes pour toute personne accusée d’une infraction pénale. D'abord, le droit de se défendre elle-même ou d’avoir l'assistance d’un défenseur de son choix. Ensuite, l’article dispose que si la personne accusée n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur ; qu'elle puisse être assistée gratuitement par un avocat commis d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent.
173. La Cour peut en outre se référer à la jurisprudence de la Cour européenne. L'article 6(3)(c) de la Convention européenne des droits de l’homme contient en effet deux garanties distinctes minimales pour une personne accusée d’une infraction pénale. Tout d’abord, le droit de se défendre elle-même ou par l'intermédiaire d’un avocat de son choix. Deuxièmement la disposition garantit le droit à une assistance judiciaire qui doit être attribuée aux personnes accusées chaque fois que les intérêts de la justice l’exigent, et gratuitement si elles ne disposent pas de moyens suffisants pour s’offrir une telle aide.
174. Dans l'affaire Cd c. Italie,"* le requérant avait obtenu une assistance judiciaire pour son pourvoi devant la Cour de cassation. L'avocat qui avait été commis à la défense du requérant n’a à aucun
14 Voir Commission africaine des droits de l'homme et des peuples : Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique (2003); Déclaration de Lilongwe sur l'accès à l'assistance juridique dans le système pénal en Afrique (2006).
15 Arrêt du 13 mai 1980.

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moment exercé son ministère pour le requérant. I| a même demandé d'être remplacé, au motif qu’il avait d’autres engagements, avançant aussi des raisons de santé. La Cour n’a pas répondu à cette requête et les nombreuses demandes du requérant pour la désignation d’un autre conseil ont été rejetées, au motif qu’un avocat avait déjà été commis pour le représenter. Le requérant a donc été obligé d'assurer lui-même sa défense.
175. Rappelant que le but de la Convention consiste à protéger des droits, non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs et comme ceux de la de la défense en particulier, eu égard au rôle éminent que joue dans une société démocratique, le droit à un procès équitable dont ils dérivent. La Cour a conclu que le droit à une assistance judiciaire gratuite n’est pas respecté simplement par la commission formelle d’un conseil, encore faut-il que cette assistance s effective. La Cour a ajouté que l'Etat doit poser un acte positif pour faire en sorte que le requérant jouisse effectivement de son droit à une assistance judiciaire gratuite.‘°
176. S'il est vrai qu’on ne saurait imputer à un État la responsabilité de toute défaillance d’un avocat commis d'office, il incombe aux autorités compétentes d'agir de manière à assurer au requérant jouisse effective en toute circonstance, du droit qu’elles lui avaient reconnu. ‘”
177. Dans sa jurisprudence, la Cour européenne a identifié quatre facteurs qui doivent être pris en considération, soit isolément, soit conjointement, pour déterminer si une assistance judiciaire gratuite est nécessaire dans l'intérêt de la justice :
(il) La gravité de la peine encourue ;
(ii) La complexité de l'affaire ;
(iv) La situation sociale et personnelle de l'accusé.
178. Dans l'affaire Benham c, Royaume-Uni, ‘8 le requérant avait été accusé de non-paiement d’une dette et encourait une peine maximale de trois (3) mois de prison. La Cour européenne a estimé que cette peine potentielle était suffisamment sévère pour que le requérant bénéficie d’une assistance judiciaire, dans l'intérêt de la justice. Dans l'affaire Xn c. Turquie, la Cour a conclu que l'assistance judiciaire devrait être disponible pour les personnes accusées ou soupçonnées d’un crime, indépendamment de la nature du crime particulier et que l'assistance judiciaire est particulièrement cruciale pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves. ‘°
179. Dans le même ordre d’idées, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a constaté la violation de l’article 8 de la Convention relative aux droits de l'homme, qui garantit le droit à un procès équitable, est semblable à l’article 7 de la Charte africaine. Il y a lieu de rappeler
16 Affaire Cd, pars. 33 à 35.
17 Ibid, par. 36.
18 Affaire n° 19380/92, Arrêt du 10 juin 1996 (Grand Chamber).
19 Affaire n° 36391/02, Xn c. Turkey, Arrêt du 27 novembre 2008 (Grand Chamber) paragraphe 54.

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l’affaire Y c. Équateur, dans laquelle la Cour interaméricaine des droits de l'homme a réaffirmé les garanties minimums auxquelles toute personne a droit, en vertu de l’article 8(2)(c)(d) et (e) de la Convention américaine.
180. La Cour de céans fait encore observer que l'assistance judiciaire est garantie de manière explicite, dans le système judiciaire de l'Etat défendeur, notamment la Constitution et la législation et les divers arrêts de la Haute Cour et de la Cour d’appel ont relevé la nécessité de fournir une assistance judiciaire. ?!
181. Compte tenu de la gravité des accusations portées, contre les requérants, la Cour est d’avis que le défendeur était dans l’obligation de fournir une assistance judiciaire ou tout au moins, d'informer les requérants de leur droit à une assistance judiciaire, dès qu’il était devenu clair qu’ils n'étaient plus représentés. Point n’est besoin de savoir si l'affaire se trouve au stade de l'audience préliminaire, du procès ou de l'appel. Les requérants ont droit à une assistance judiciaire à toute hauteur de la procédure,
182. La Cour n’accepte pas l'argument du défendeur selon lequel les requérants ne se sont pas plaints du départ de leur avocat ou indiqué qu’ils avaient besoin d’une assistance judiciaire. L'assistance judiciaire est un droit qui doit être accordé, que l'accusé en fasse la demande ou non. Le but essentiel de cette assistance est d’assurer une procédure judiciaire équitable et d'éviter ainsi un déni de justice, Lorsque le requérant n’est pas informé de ce droit ou ne l’invoque pas, il incombe aux autorités judiciaires de donner effet à ce droit. Les requérants n’avaient aucune obligation de solliciter une assistance judiciaire pour que le défendeur la leur accorde, au contraire, il revenait au défendeur de veiller à ce que les requérants soient représentés. Voir arrêt relatif à la requête n°005/2013 - Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie, rendu le 20novembre 2015 ;
183. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour conclut que des requérants avaient droit à une assistance judiciaire et n'avaient pas besoin d’en faire la demande. La Cour relève que même lorsque le défendeur a été informé que l'avocat des requérants les avait abandonnés, le défendeur a poursuivi la procédure à leur encontre à l'issue de laquelle il les a condamnés sans qu’ils soient représentés par un avocat,
184. Après avoir examiné toutes ces circonstances, la Cour considère qu’il incombait au juge de première instance et aux juges d'appel de veiller à ce que les requérants bénéficient d’une assistance judiciaire.
20 Arrêt du 12 novembre 1997 (fond) par. 82. Ces garanties comprennent a l'octroi à l'accusé du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense, de se défendre lui-même ou d’être assisté d’un défenseur de son choix et de communiquer librement et en privé avec son conseil ; [et] le droit inaliénable d’être assisté d’un défenseur procuré par l'État, rémunéré ou non, selon la législation interne, si l'accusé ne se défend pas lui-même ou ne nomme pas un défenseur dans le délai prévu par la loi [.] »
21 Voir par exemple l’arrêt de la Cour d’appel dans l'affaire Xf Al Bw c. Gouvernement de Zanzibar et le jugement de la Haute Cour dans l’affaire Alimasi Kalumbeta C R, 1982, TLR 329.

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Le défendeur a donc manqué à son obligation découlant de la Charte africaine de fournir aux requérants une représentation juridique dans l'affaire pénale n°002 de 2006 pour laquelle certains d’entre eux ont finalement été condamnés à trente (30) ans d'emprisonnement.
185. Dans leur requête, les requérants demandent des réparations pour les violations alléguées, au cas où la Cour trancherait en leur faveur.
186. Le défendeur pour sa part, dans ses observations orales, pendant l'audience publique, a demandé qu’« il ne soit accordé aux requérants aucune réparation relative aux revendications et allégations contenues dans la requête en l'espèce contre la République-Unie de Tanzanie ». 187. Le défendeur a affirmé en outre que «les requérants n’ont jamais demandé de réparations devant les juridictions nationales de l’État défendeur, et que ce recours juridique ne peut donc pas être recherché maintenant devant la Cour africaine. Le défendeur a ajouté qu'il n’a violé aucune disposition de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui pourrait justifier une ordonnance de réparation, que les requérants doivent saisir la Cour d’une requête formelle aux fins de réparation et qu’à cet égard, demander réparation par le biais de la requête en l'espèce est prématuré ».
188. En vertu de l’article 27(1) du Protocole, la Cour peut ordonner des réparations, L'article dispose que « lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
189. À cet égard, l’article 63 du Règlement intérieur de la Cour précise que : « … la Cour statue sur la demande de réparation introduite conformément à l’article 34(5) du présent Règlement, dans l’arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme et des peuples ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
190. La Cour ordonnera des mesures de réparation dans le dispositif du présent arrêt et statuera sur les autres formes de réparation dans un autre arrêt, en tenant compte des observations supplémentaires des Parties sur la question.
191. Chaque parti a demandé que les dépens soient à la charge de l’autre partie dans la requête en l'espèce. La Cour relève que l’article 30 du Règlement de la Cour dispose que « à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
192. La Cour se prononcera sur cette question dans son arrêt sur les autres formes de réparation
193. Par ces motifs :
La Cour, à l’unanimité :

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i. Rejette les exceptions préliminaires du défendeur portant sur la compétence rationae materiae et rationae personae de la Cour pour connaître de la requête en l'espèce ;
ii. Décide qu’elle est compétente pour connaitre de la requête ;
iii. Rejette l'exception préliminaire du défendeur sur la recevabilité de la requête, au motif qu’elle n’est pas conforme à l'exigence de l’article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour ;
iv. Rejette l'exception préliminaire du défendeur portant sur la recevabilité de la requête, au motif qu’elle est incompatible avec la Charte africaine et l’Acte constitutif de l’Union africaine ;
v. Rejette l'exception préliminaire du défendeur portant sur la recevabilité de la requête, au motif que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes ;
vi. Rejette l'exception préliminaire du défendeur sur la recevabilité de la requête, au motif qu’elle n'a pas été déposée dans un délai raisonnable après l'épuisement des recours internes ;
vi. Décide que la requête est recevable ;
vi. Constate qu’il y a eu violation de l’article 7(1)(c) et (d) de la Charte par le défendeur ;
ix. Ordonne au défendeur de fournir une assistance judiciaire aux requérants dans le cadre des poursuites à leur encontre devant les juridictions nationales ;
x. Ordonne au défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires, dans un délai raisonnable, pour diligenter et finaliser toutes les procédures d'appel en matière pénale concernant les requérants devant les juridictions nationales.
xi. Ordonne au requérant d'informer la Cour des mesures qu’il a prise dans un délai de six (6) mois, à compter de la date du présent arrêt :
xii. Conformément à l’article 63 de son Règlement intérieur, la Cour, demande aux requérants de déposer des observations sur les réparations, dans un délai de trente (30) jours, et au défendeur d’y répondre dans les trente (30) jours de la réception des observations des requérants.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM1990307066
Date de la décision : 18/03/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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