618 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Ac Ad c. Tanzanie (mesures provisoires) (2016) 1 RICA 618
Ac Ad c. République-Unie de Tanzanie
Ordonnance portant mesures provisoires, 18 mars 2016. Fait en anglais,
français, portugais et arabe, le texte anglais faisant foi.
Juges : THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, ORÉ, GUISSE,
KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : RAMADHANI
Le requérant alléguait la violation du droit à un procès équitable dans une
procédure ayant abouti à sa condamnation à la peine capitale. La Cour a
estimé des mesures provisoires étaient nécessaires pour éviter un
préjudice irréparable en dépit du moratoire de fait adopté par l’État
défendeur et du fait qu'aucune exécution n'avait eu lieu depuis
longtemps.
Mesures provisoires (peine capitale, 16-18)
I Objet de la requête
1. Le 4 janvier 2016, la Cour a été saisie d’une requête introductive d'instance présentée par Ac Ad Aci-après dénommé « le requérant »), contre la République-Unie de Tanzanie, (ci-après dénommée « le défendeur »).
2. Le requérant, qui est actuellement incarcéré à la Prison centrale de Butimba, a été condamné à la peine capitale par la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Aa, le 6 août 2010. La Cour d’appel, la plus haute juridiction de la Tanzanie, a confirmé la peine prononcée par la Haute Cour, le 28 novembre 2011. En 2012, le requérant a introduit un recours en révision de l'arrêt le concernant devant la Cour d’appel ; la requête aux fins de révision a été enregistrée sous le numéro 08/2012 (sic).
3. Le requérant porte notamment les allégations suivantes :
(a) Durant son procès devant la Cour d’appel, il n’a pas bénéficié d’une représentation juridique et a donc été privé de son droit d’être entendu, contrairement à l’article 3 (2) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte »).
(b) Sa condamnation avait été totalement fondée sur l'identification visuelle effectuée par un seul témoin, identification par ailleurs non corroborée par tous les facteurs élémentaires.
(c) La Cour d’appel a confirmé l’arrêt de la Haute Cour, malgré la non- citation de dispositions légales pertinentes.
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(d) La Cour d’appel a commis des erreurs graves en droit, notamment en se convaincant que les preuves à charge étaient au-delà de tout doute raisonnable.
(e) La requête aux fins de révision enregistrée depuis 2012, n’avait, à ce jour, pas encore été entendue, et n’était pas encore inscrite au rôle des audiences. Le requérant allègue en outre que la Cour d’appel a fait preuve de partialité étant donné qu’elle a déjà examiné des recours en révision ultérieurs au sien.
Il. Procédure devant la Cour
4. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 4 janvier 2016.
5. En application de l’article 36 du Règlement intérieur de la Cour, le 25 janvier 2016, le Greffe a signifié la requête à la République-Unie de Tanzanie.
I. Compétence de la Cour
6. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence, en application des articles 3 et 5 du Protocole.
7. Toutefois, avant d’ordonner des mesures provisoires, la Cour ne doit pas établir qu’elle est compétente pour connaître du fond de l'affaire, elle doit simplement être convaincue qu’elle est compétente, prima facie.!
8. L'article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
9. Le défendeur ayant ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples le 9 mars 1984 et le Protocole le 10 février 2006, est de ce fait partie aux deux instruments ; en outre, le 29 mars 2010, il a fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes introduites par les individus et les ONG, au sens de l’article 34(6) du Protocole, lu conjointement avec l’article 5(3) du Protocole.
10. Les droits dont la violation est alléguée par le requérant étant protégés par les articles 3 et 7(1) de la Charte, la Cour a compétence rationae materiae pour connaître de la requête en l'espèce.
11. Au vu de ce qui précède, la Cour est convaincue que, prima facie, elle est compétente pour connaître de la requête en l'espèce.
Voir requête n°002/2013 Commission africaine des droits de l'homme des peuples c. Libye (ordonnance portant mesures provisoires datée du 15 mars 2013) et requête n°006/2012 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Ab (Ordonnance portant mesure provisoires datée du 15 mars 2013) ; requête n°004/2011 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (Ordonnance portant mesures provisoires datée du 25 mars 2011).
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IV. Sur les mesures provisoires
12. Dans sa requête, le requérant ne demande pas à la Cour d’ordonner des mesures provisoires.
13. En vertu de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51(1) du Règlement intérieur de la Cour, celle-ci peut ordonner des mesures provisoires d’office « dans les cas d'extrême gravité ou d’urgence et lorsqu'il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes » et « qu’elle estime devant être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ».
14. |! appartient à la Cour de décider dans chaque situation si, à la lumière des circonstances particulières de l'affaire, elle doit exercer la compétence que lui confèrent les dispositions ci-dessus.
15. Le requérant est condamné à la peine capitale et attend son exécution ; la requête révèle donc une situation d'extrême gravité ou d'urgence ainsi que le risque de dommages irréparables à la personne du requérant.
16. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, qui indiquent que la peine de mort peut être exécutée, ce qui empêcherait la jouissance des droits du requérant protégés par l’article 7 de la Charte, la Cour décide d'exercer la compétence que lui confère l’article 27(2) du Protocole.
17. La Cour constate que la requête en l’espèce révèle une situation d'extrême gravité et d'urgence portant un risque de dommages irréparables eu égard aux droits du requérant protégés par les articles 3 et 7(1) de la Charte, si la peine de mort venait à être appliquée.
18. En conséquence, la Cour conclut que les circonstances requièrent une ordonnance portant mesures provisoires, en application de l’article 27(2) du Protocole et de l’article 51 de son Règlement intérieur, pour préserver le status quo ante, en attendant la décision sur la requête principale.
19. Pour lever toute ambiguïté, la présente Ordonnance est de nature provisoire et ne préjuge en rien des conclusions de la Cour sur sa compétence, sur la recevabilité et sur le fond de la requête.
20. La Cour, à l’unanimité, ordonne au défendeur :
a) De surseoir à l'application de la peine capitale inflgée au requérant, jusqu'à ce qu’elle se prononce sur la requête principale.
b) De faire rapport à la Cour, dans les trente (30) jours de la réception de la présente ordonnance, des mesures prises pour la mettre en œuvre.