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RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Demande d’avis consultatif de la Coalition pour la Cour pénale internationale, de Legal Defence & Assistance Project
(LEDAP), the Civil Ac Ag B Documentation
Center (CIRDDOC) et the Ae Ad Documentation
Center (WARDC) (compétence) (2015) 1 RICA 778
Demande d'avis de la Coalition pour la Cour pénale internationale, de
Legal Defence & Assistance Project (LEDAP) the Civil Ac
Ag B Documentation Center (CIRDDOC) et the Ae
Ad Documentation Center (WARDC)
Ordonnance du 29 novembre 2015. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi
Juges A X, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ
GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et MATUSSE
Demande d’avis consultatif sur la question de savoir si les obligations
découlant des décisions de l'UA ont préséance sur les obligations
découlant du Statut de la Cour pénale internationale. Rejetée du fait que
la demande ne porte pas sur les droits de l'homme
Compétence (droit relatif aux droits de l'homme ; la demande d'avis
consultatif devrait préciser les dispositions de la Charte sur lesquelles se
fonde la demande, 17-18)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (seule une demande d'avis consultatif remplissant toutes
les exigences permettant de déterminer la compétence de la Cour devrait
être examinée par elle, 7 ; la Cour devrait d’abord examiner sa
compétence personnelle, 24)
I Nature de la demande
1. Les Auteurs de la demande affirment être des organisations non gouvernementales (ONG), basées et enregistrées au Aa, et qui œuvrent pour la promotion et la protection des droits de l'homme et contre l'impunité en Afrique, particulièrement en Afrique de l'Ouest
2. Les Auteurs affirment encore « avoir des intérêts justiciables dans les questions soulevées dans la présente demande d’avis consultatif », notamment que le Aa est un Etat Partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et un État membre de l’Union africaine (UA) et qu’il est, de ce fait, lié par les obligations découlant de ces deux traités, en vertu de l’article 86 du Statut de Rome et de l’article 23 de l’Acte constitutif de l’Union africaine, en ce qui concerne les résolutions de l’Union africaine
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3. Les Auteurs de la demande font également valoir qu’en tant que coalition et ONG ouvrant pour la fin de l'impunité au Aa et en Afrique de l'Ouest, « et qui travaillent aux côtés des Gouvernements sur les questions relatives à la CPI et à l’UA », ils sont intéressés au plus haut point par les questions soumises à la Cour pour avis consultatif. Ils justifient leur intérêt particulier par les motifs ci-après :
| Dans le cadre de leur collaboration avec les responsables gouvernementaux sur les questions relatives à la CPI et à l’UA, et sur les questions de justice internationale d’une manière générale, les Auteurs souhaitent recevoir un avis sur la question de savoir si les obligations découlant de ces deux traités sont prépondérantes en cas de dispositions divergentes. Selon les Auteurs, « une telle situation prévaut actuellement dans la mesure où diverses résolutions de l’Union africaine ont demandé aux États membres de ne pas coopérer avec la CPI au sujet de l’arrestation et de la remise du Président Omar AI Bashir du Soudan, formellement accusé de crimes en vertu du Statut de Rome, alors qu’au même moment, le Statut fait obligation à ses Etats Parties, dont le Aa, le Ghana et d’autres pays de l'Afrique de l'Ouest, de coopérer avec la CPI, notamment pour l’arrestation et la remise de toute personne accusée par la CPI et contre laquelle un mandat d’arrêt a été émis, comme c'est le cas en l'occurrence avec le Président Omar AI Bashir »
Il Les Auteurs de la demande réalisent des projets visant à combattre l'impunité au Aa et en Afrique de l'Ouest en général et s'appuient sur le respect par ces pays des obligations découlant du Statut de Rome et de leurs lois internes, notamment la loi nigériane portant ratification et application de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Ab Af Y Ah and People's Rights [Ratification and Enforcement Act of AaC et d’autres instruments internationaux et régionaux.
iii. Lors des divers Sommets de Chefs d’État et de gouvernement tenus entre 2011 et 2013, l’Union africaine a adopté plusieurs résolutions demandant à ses membres de ne pas coopérer avec le Bureau du Procureur de la CPI au sujet de l'arrestation et de la remise du Président soudanais Omar AÏ Bashir.
4. Les Auteurs de la demande soutiennent en outre que depuis la mise en accusation du président Omar AI Bashir par la CPI en 2009 et l'émission de mandats d’arrêt à son encontre et leur transmission au Gouvernement nigérian, le Président AI Bashir est entré sur le territoire nigérian à deux reprises en 2009 et en 2013. Le Gouvernement nigérian avait l’obligation, à chacune de ces deux occasions, de l'arrêter et de le remettre à la CPL. Au même moment, le Gouvernement du Aa se trouvait confronté à diverses résolutions de l’Union africaine évoquées au paragraphe 3 ci-dessus, lui interdisant de coopérer avec la CPI. Les Auteurs de la demande affirment en outre qu’en leur qualité d'organisations de la société civile engagées dans la lutte contre l'impunité et qui exigent notamment l’arrestation et la remise à la CPI des personnes accusées par celle-ci, ils ont, à ces deux occasions, demandé au Gouvernement nigérian d'arrêter et de remettre le Président AI Bashir. Ils font observer que lors de la visite que celui-ci a effectué en 2013, un des Auteurs de la demande a demandé à la justice de rendre une ordonnance enjoignant au Gouvernement du Aa de respecter pleinement les engagements découlant des traités signés en la matière. Mais l'affaire n'a pas été
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entendue avant que le Président AI Bashir ne quitte le territoire nigérian.
I. Questions à trancher par la Cour
5. Les Auteurs de la demande sollicitent donc de la Cour qu’elle se prononce sur les questions suivantes :
i. L'obligation d’un État africain partie au Statut de Rome de la CPI de coopérer avec celle-ci est-elle prépondérante par rapport à l’obligation qui lui est faite de se conformer aux résolutions de l’Union africaine prescrivant à ses Etats membres de ne pas coopérer avec la CPI.
ii. Si la réponse à la question (1) ci-dessus est affirmative, tous les États africains parties au Statut de Rome sont-ils soumis à l'obligation légale qui prévaut sur toutes les autres obligations légales ou diplomatiques découlant des résolutions et décisions de l’Union africaine, d’arrêter et de remettre le Président Omar Al Bashir en cas d'entrée sur le territoire de l’un quelconque des États Parties au Statut de Rome de la CPI.
6. La demande d'avis consultatif a été reçue au Greffe de la Cour le 28 mars 2014.
7. Le 8 avril 2015 en application de l’article 4 du Protocole, le Greffier a adressé un courrier à la Secrétaire exécutive de la Commission africaine des droits de l'homme pour avoir la confirmation que l’objet de la demande d'avis consultatif se rapporte pas à une affaire pendante devant la Commission
8. Par lettre datée du 17 avril 2014, la Secrétaire exécutive de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a confirmé que l’objet de la demande d’avis consultatif ne se rapporte pas à une affaire pendante devant la Commission
9. À sa trente-troisième session ordinaire tenue du 28 mai au 13 juin 2014, après avoir examiné la demande d'avis consultatif en l’espèce, la Cour a fait observer que celle-ci ne remplissait pas les conditions énoncées à l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour, et a donné pour instructions au Greffier d'informer les Auteurs en conséquence.
10. Par lettre datée du 30 juin 2014, le Greffe a notifié aux Auteurs de la demande la décision de la Cour, à savoir que la demande d'avis consultatif ne remplit pas les conditions énoncées à l'article 68 du Règlement intérieur de la Cour, en particulier celles énoncées à l’article 68(2).
11. À sa trente-quatrième session ordinaire tenue du 8 au 19 septembre 2014, la Cour a constaté que les Auteurs de la demande n'avaient pas répondu à la lettre du Greffier datée du 30 juin 2014.
12. À sa trente-sixième session ordinaire tenue du 9 au 27 mars 2015, la Cour a constaté que les Auteurs de la demande n’avaient toujours pas répondu à la lettre du Greffier datée du 30 juin 2014,
13. À sa trente-septième session ordinaire tenue du 18 mai au 5 juin 2015, la Cour a, ordonné que la demande d’avis consultatif soit rayée du rôle, au motif qu’elle ne remplit pas les conditions énoncées à
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l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour et en raison du peu d'intérêt marqué par les Auteurs pour qu'une suite soit donnée à
14. Par lettre du 30 juin 2015, le Greffier a signifié aux Auteurs de la demande l'ordonnance rendue par la Cour.
15. Par courriel du 1er juillet 2015, les Auteurs de la demande d’avis consultatif ont transmis à la Cour un document daté du 14 novembre 2014, qu’ils affirmaient avoir déjà envoyé au Greffe en réponse à la lettre du Greffier du 30 juin 2014 Ils ont demandé aussi l’autorisation de faire réinscrire la demande au rôle de la Cour.
IV. Décision de la Cour
16. À sa trente-huitième session ordinaire tenue du 31 août au 18 septembre 2015, la Cour a examiné la demande de réinscription de l’affaire au rôle de la Cour et a constaté que les Auteurs n'avaient fourni aucune preuve indiquant qu’ils avaient transmis leur réponse à la lettre de la Cour du 30 juin 2014, pour justifier la réinscription de leur demande d'avis consultatif au rôle de la Cour.
17. Quoi qu’il en soit, la Cour a décidé d'examiner la nouvelle demande, mais elle a constaté que celle-ci n’était toujours pas conforme aux exigences énoncées à l’article 68(2) du Règlement intérieur qui dispose que : « Toute demande d’avis consultatif précisera les dispositions de la Charte ou de tout autre instrument international relatif aux droits de l'homme à propos desquels l'avis est demandé, les circonstances à l’origine de la demande, ainsi que les noms et adresses des représentants des entités ayant introduit la demande ».
18. La Cour relève à cet égard que les Auteurs n’ont pas précisé les dispositions de la Charte ou de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme à propos desquelles l’avis est demandé. Les points soulevés par les Auteurs de la demande sont plutôt de l’ordre du droit international public et ne touchent pas aux questions des droits de l'homme. En effet, les points soulevés portent sur la hiérarchie des normes du droit public international.
V. En conséquence, la Cour constate que :
Les Auteurs n’ont fourni aucune preuve qu'ils ont répondu à la lettre de la Cour du 30 juin 2014 et qu’en outre, la nouvelle demande d’avis consultatif ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour ;
La Cour, à la majorité de neuf (9) contre un (1), le Juge Fatsah OUGUERGOUZ ayant exprimé une opinion dissidente ;
Rejette la demande de réinscription de la demande d’avis consultatif et ordonne que celle-ci soit rayée du rôle de la Cour.
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Opinion dissidente : OUGUERGOUZ
1. Je considère que cette demande de réinscription au rôle de la Cour de la demande d’avis consultatif No 001/2014 était recevable « en la forme » et qu’il n’y avait donc pas lieu de la rejeter. Je souhaiterais en conséquence exprimer ma dissidence sur la suite qui lui a été réservée par la Cour ainsi que sur la procédure suivie pour son traitement.
[. Au niveau de la procédure suivie dans le traitement de cette demande
2. Je rappellerais que cette demande a été reçue au Greffe le 1er juillet 2015 et qu’elle a été inscrite au rôle de la Cour sous le numéro No 001/ 2015. Cette demande visait à obtenir la réinscription au rôle d’une demande d'avis consultatif reçue au Greffe le 28 mars 2014, inscrite au rôle sous le N° 001/2014 et rayée de ce même rôle par une ordonnance de la Cour en date du 5 juin 2015.
3. J’estime à cet égard que la Cour aurait dû observer une plus grande orthodoxie procédurale dans le traitement de la présente demande (No 001/2015) comme d'ailleurs de la précédente (No 001/2014). Deux hypothèses pouvaient en l'espèce être envisagées
4. Soit cette demande n’était pas en « bonne et due forme » parce qu’elle ne remplissait pas les conditions posées par l’article 68(2) du Règlement, auquel cas c'était au greffier d’en informer ses auteurs et de leur demander de se conformer aux exigences du Règlement. La demande ne devait donc pas être inscrite au rôle de la Cour tant que ces exigences n'étaient pas remplies et c’est par une lettre du greffier que les auteurs de la demande auraient dû en être informés.
5. Soit cette demande était en « bonne et due forme », c’est-à-dire qu’elle remplissait les conditions posées par l’article 68(2) du Règlement, auquel cas elle devait être inscrite au rôle de la Cour, être communiquée à toutes les entités visées à l’article 69 du Règlement et faire l’objet d’un traitement judiciaire complet conformément aux articles 70 à 73 du Règlement.
6. Il n'existe pas selon moi de voie médiane. Si, comme l’observe la Cour dans son ordonnance, il s'agissait là d’une demande « qui ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour », cette demande aurait alors dû faire l’objet d’un traitement purement administratif et être rejetée par une simple lettre du greffier.
7. Je recommande en conséquence que soient à l’avenir inscrites au rôle de la Cour uniquement les demandes d’avis consultatif remplissant les conditions de validité formelle prévues par le Protocole et le Règlement de la Cour. Seules remplissent ces conditions les demandes qui contiennent toutes les informations nécessaires à la détermination de la compétence de la Cour pour en connaître,
8. Aux termes des articles 4(1) du Protocole et 68 du Règlement, la compétence consultative de la Cour est subordonnée à quatre conditions : 1) la demande d’avis doit émaner d’une entité autorisée à le faire, 2) elle doit porter sur une question juridique, 3) cette question
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doit concerner la Charte africaine ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et 4) son objet ne doit pas se rapporter à une requête pendante devant la Commission africaine.
Il. Au niveau de la suite réservée à cette demande
9. La demande d’avis consultatif inscrite au rôle sous le numéro 001/ 2014 a été rayée du rôle par l’ordonnance de la Cour en date du 5 juin 2015 au double motif qu’elle ne remplissait pas les conditions prévues par l’article 68(2) du Règlement et que les demandeurs n’avaient pas manifesté d'intérêt pour la poursuite de la procédure.
10. Le 1er juillet 2015, les quatre organisations non-gouvernementales concernées ont demandé la réinscription de cette demande au rôle en fournissant copie de la correspondance qu'elles avaient adressée à la Cour le 15 novembre 2014 mais qui n’est manifestement jamais parvenue au Greffe.
11. Dans la présente ordonnance, la Cour justifie son refus de réinscrire la demande consultative au rôle en avançant deux raisons, à savoir que :
« Les Auteurs de la demande d’avis consultatif n'ont fourni aucune preuve qu’ils ont répondu à la lettre de la Cour du 30 juin 2014 et qu’en outre, la nouvelle demande d'avis consultatif ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour ».
12. S'agissant de la première raison, j'estime que la Cour aurait dû offrir aux auteurs de la demande l’occasion de fournir la preuve qu'ils ont bien répondu à la lettre du 30 juin 2014. Elle aurait en conséquence dû instruire le Greffe d'écrire aux auteurs de la demande pour, par exemple, leur demander de produire un bordereau d'expédition de leur réponse.
13. C’est toutefois à mes yeux la seconde raison qui est la plus substantielle et la plus déterminante en l'espèce, à savoir que « la nouvelle demande d'avis consultatif ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour ». À cet égard, il ressort de la lecture de la première phrase du paragraphe 17 de l'ordonnance que ce sont plus précisément les conditions prévues au paragraphe 2 de l’article 68 du Règlement qui sont visées ici.
14. De l’avis de la Cour, les auteurs de la demande « n’ont pas précisé les dispositions de la Charte ou de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme à propos desquelles l’avis est demandé » et « les questions soulevées par les auteurs de la demande relèvent du droit international public général et non des droits de l'homme » ;* la Cour précise ensuite que les «questions soulevées concernent la hiérarchie des normes en droit international public ».
15. Je ne partage pas la position de mes collègues sur ces points.
16. Relativement au premier point, je relèverais que tant dans leur nouvelle demande en date du 1 juillet 2015, que dans celle reçue au
1. Ce sont d’ailleurs là les mêmes motifs avancés dans l'ordonnance de la Cour du 5 juin 2015.
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Greffe le 28 mars 2014, inscrite au rôle sous le numéro 001/2014, les auteurs ont indiqué s'appuyer en particulier sur les articles 1, 4, 5, 12, 13 et 86 du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale ; ils ont également précisé les circonstances à l’origine de leur demande.
17. La question se posait donc de savoir si le Statut de Rome peut être ou non considéré comme « un instrument relatif aux droits de l’homme » aux termes de l’article 4 du Protocole et la Cour aurait dû dès lors y répondre clairement,
18. Concernant le second point, à savoir que « les questions soulevées par les auteurs de la demande relèvent du droit international public général et non des droits de l'homme » et qu’elles concernent « la hiérarchie des normes en droit international public », il s’agit-là d’une affirmation que la Cour aurait dû élaborer. Je considère pour ma part que le fait que les questions soulevées touchent au « droit international public général » et à « la hiérarchie des normes en droit international public » en particulier, ne signifie pas nécessairement que ces questions soient étrangères aux « droits de l'homme ».
19. En effet, la protection des droits de l'homme que la Cour est chargée d'assurer sur la base du Protocole, est prévue par le droit international et est par définition irriguée par ce droit. De manière plus générale, toute la question des « droits de l'homme » est de plus en plus appréhendée par le droit international que ce soit au niveau des sujets, des sources, de la responsabilité internationale ou du règlement pacifique des différends. La matière des droits de l'homme, comme toute autre matière régie par le droit international, est donc susceptible de soulever des questions touchant au droit des traités en général et à la hiérarchie des normes internationales en particulier.
20. La Cour devrait-elle par exemple s'abstenir de connaître d’une demande d'avis consultatif intéressant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, instrument de référence par excellence pour la Cour, sous prétexte que cette demande soulève des questions de « droit international public général » et « de hiérarchie des normes internationales » en particulier ? Cette question appelle bien entendu une réponse négative.
21. J'estime en conséquence que les deux motifs essentiels avancés par la Cour pour rejeter cette demande (voir supra, paragraphe 14), ainsi que la demande précédente, sont insuffisants et auraient mérité
22. Les quatre organisations non-gouvernementales concernées sont en effet en droit de savoir pour quelles raisons précises leur demande ne répond pas aux exigences posées par l’article 68 du Règlement.? Au droit des auteurs de la demande d’être informés des raisons du rejet de
2 Voir par exemple le caractère élaboré de la motivation de la Cour internationale de Justice et de la Cour européenne des droits de l'homme pour déclarer leur incompétence à donner l'avis demandé : l'avis consultatif de la CIJ du 8 juillet 1996 relatif à la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé et la décision de la Cour européenne du 2 juin 2004 relative à la Compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif.
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leur demande, s'ajoutent les pédagogiques des prononcés de la Cour et la nécessité pour cette dernière d’éclairer les auteurs potentiels de demandes d’avis consultatif sur ce qui est exactement attendu d’eux.
23. En tout état de cause, les deux motifs avancés par la Cour (voir supra, paragraphe 14), en particulier que « les questions soulevées par les auteurs de la demande relèvent du droit international public général [hiérarchie des normes internationales et non des droits de l'homme », touchent à la compétence matérielle de la Cour. En rejetant la demande sur cette base, la Cour a implicitement statué sur cette compétence et c'est là une question qu’elle se devait de traiter dans le cadre de la procédure prévue par les articles 69 à 73 du Règlement. Il aurait été souhaitable que la Cour se prononce sur cette demande par la voie d’un « avis consultatif »° ou à tout le moins d’une « décision »,* et non pas d’une simple ordonnance signée par le seul Président de la Cour.
24. Je ferais en substance observer que lorsqu'elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, la Cour doit s'assurer qu’elle possède à la fois la compétence personnelle et la compétence matérielle pour connaître de cette demande. Il ressort d’une lecture de la présente ordonnance que la Cour ne se préoccupe que de sa seule compétence matérielle et qu’elle semble donc considérer comme acquise sa compétence personnelle. La Cour ne s'étant pas en l'espèce prononcée sur le locus standi des quatre organisations non- gouvernementales pour demander un avis consultatif sur la base de l’article 4(1) du Protocole, il ne paraît pas opportun de m’exprimer ici sur cette question.
3 Voir par exemple l'avis consultatif du 8 juillet 1996 susmentionné relatif à la Licéité de L'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, dans lequel la Cour internationale de Justice se déclare incompétente pour rendre l’avis demandé. 4 Voir par exemple la décision du 2 juin 2004 susmentionnée relative à la Compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif, dans laquelle la Cour européenne se déclare incompétente pour rendre l’avis demandé.