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05/06/2015 | CADHP | N°RANDOM1526845211

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 05 juin 2015, RANDOM1526845211


Texte (pseudonymisé)
Bj

et autres c. Cb Ca (réparations) (2015) 1 RICA 265 265

Ayants droit de feus Xg Bj, Ac Bv dit
Ce, Aj Bj et Blaise IIboudo et Mouvement
Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Cb
Ca (réparations) (2015) 1 RJCA 265
Ayants droit de feus Xg Bj, Ac Bv alias Ce,
Aj Bj et Ce Bb et Mouvement Burkinabè des droits de
l’homme et des peuples c. Cb Ca
Arrêt sur les réparations, 5 juin 2015. Fait en anglais et en français, le
texte français faisant foi.
L'arrêt portait sur les bénéficiaires des dommages-intérêts dans une
affaire d'assass

inat et quel montant devait être versé à titre de
compensation pour les frais liés aux procédures devant...

Bj

et autres c. Cb Ca (réparations) (2015) 1 RICA 265 265

Ayants droit de feus Xg Bj, Ac Bv dit
Ce, Aj Bj et Blaise IIboudo et Mouvement
Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Cb
Ca (réparations) (2015) 1 RJCA 265
Ayants droit de feus Xg Bj, Ac Bv alias Ce,
Aj Bj et Ce Bb et Mouvement Burkinabè des droits de
l’homme et des peuples c. Cb Ca
Arrêt sur les réparations, 5 juin 2015. Fait en anglais et en français, le
texte français faisant foi.
L'arrêt portait sur les bénéficiaires des dommages-intérêts dans une
affaire d'assassinat et quel montant devait être versé à titre de
compensation pour les frais liés aux procédures devant les instances
juridictionnelles.
Juges AJ, THOMPSON, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ,
TAMBALA, ORÉ, GUISSE, KIOKO, BEN ACHOUR, BOSSA et
MATUSSE
Réparations (proches parents de la victime directe, 46-50 ; preuve
établissant un lien de parenté avec la victime, 54 ; préjudice moral, 55-56
; équité dans la détermination du préjudice moral, 60-62 ; dommages-
intérêts au profit d’une personne morale, 65-67 ; coûts normaux des
activités des ONG, 71-72, remboursement des honoraires d'avocat, 79-82
; frais de participation aux audiences de la Cour africaine, 91-93 ;
mesures de satisfaction, 98-99, cessation de la violation)
I Objet de la requête
1. Dans son arrêt précédent en date du 28 mars 2014 relatif à la présente affaire, la Cour, après avoir constaté que l’État défendeur avait violé l’article 1er de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « La Charte »), les articles 7 et 9(2) de la Charte, ce dernier étant lu conjointement avec l’article 66(2)(c) du Traité révisé de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a décidé ce qui suit, en ce qui concerne les réparations : « 6. Réserve la question des demandes en réparation ; 7. Ordonne aux requérants de soumettre à la Cour leur Mémoire sur les réparations dans les trente jours qui suivent la date du présent arrêt ; ordonne également à l'Etat défendeur de soumettre à la Cour son Mémoire en réponse sur les réparations dans les trente jours qui suivront la réception du Mémoire des requérants ».
2. Le présent arrêt porte donc sur les demandes en réparation introduites par les requérants en application de l'arrêt sus-visé de la Cour. Selon les requérants, ces demandes concernent d’abord la violation de l’article 7 de la Charte par l’État défendeur, du fait de son

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manque de diligence dans la recherche, la poursuite et le jugement des responsables des assassinats de Xg Bj et de ses trois compagnons. Elles concernent ensuite la violation de l’article 9(2) de la Charte, lu avec l’article 66(c) du Traité révisé de la CEDEAO, c'est-à-dire conjointement la violation du droit des journalistes burkinabé à la liberté d’expression, en ce sens que « la défaillance de l’État défendeur dans la recherche et le jugement des assassins de Xg Bj a suscité des peurs et des inquiétudes dans les milieux des médias » locaux. Il convient d’observer cependant que dans la suite du Mémoire sur les réparations, aucun argument n’est développé et aucune demande spécifique de réparation n’est formulée en ce qui concerne cette violation de la liberté d’expression. Par voie de conséquence, la Cour n'aura pas à se prononcer sur une quelconque réparation à cet égard
Il Bref historique de l’affaire ‘°
3. Les faits de l'affaire remontent à l'assassinat, le 13 décembre 1998 de Xg Bj, journaliste d’investigation, et de ses compagnons Les sieurs Ac Bv dit Ce et Blaise IIboudo étaient des collaborateurs de M. Bj, alors que le sieur Aj Bj était son jeune frère
4. Dans leur requête initiale en date du 10 décembre 2011 les requérants alléguaient que « le quadruple assassinat, le 13 décembre 1998 ( ) [était] lié aux enquêtes que Xg Bj menait sur de nombreux scandales politiques, économiques et sociaux que le Cb Ca connaissait à cette époque notamment ses investigations concernant le décès de Br Bf, le chauffeur de Ay Ap, frère du Président du Faso et Conseiller à la Présidence de la République »
5. Après que la police et le Ministère public du Cb Ca eurent mené des enquêtes et instruit l'affaire du quadruple assassinat, un des suspects identifiés fut inculpé en février 2001
6. En juillet 2006, une ordonnance de non- lieu en faveur de l’inculpé fut cependant prise par le juge d’instruction près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou
7. En août 2006, un appel contre l'ordonnance de non-lieu, interjeté par la famille de Xg Bj auprès de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Ouagadougou, fut rejeté par cette dernière, et le non- lieu fut confirmé
8. Suite à ces développements, les requérants ont saisi la présente Cour en alléguant cumulativement des violations de diverses dispositions d’instruments internationaux des droits de l'homme auxquels le Cb Ca est partie, à savoir
(Mi la Charte : article 1er (obligation d'adopter les mesures législatives ou autres pour assurer l’exercice des droits garantis par la Charte); article 3 (égalité de tous devant la loi et égale protection de la loi); article 4
1 Pour les détails sur les faits et l’évolution historique de l'affaire, voir l’arrêt précité de la Cour en date du 28 mars 2014, paras 2 à 19

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(droit à la vie); article 7(droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes); et article 9 (droit d’exprimer et de diffuser ses opinions);
(ii) le Pacte international relatif aux droits civils et politiques : article 2(3) (droit à un recours en cas de violations des droits); article 6(1) (droit à la vie); article 14 (droit à ce que sa cause soit entendue par un juge compétent, indépendant et impartial); et article 19(2) (liberté d'expression);
(iii) le Traité révisé de la CEDEAO : article 66(2)(c) (obligation de respecter les droits du journaliste);
(iv) la Déclaration universelle des droits de l’homme : article 8 (droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes en cas de violation des droits).
9. L'État défendeur ayant soulevé diverses exceptions d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête, la Cour s’est prononcée sur celles-ci dans son arrêt du 21 juin 2013.?
10. Comme cela a été relevé plus haut, dans son arrêt précité en date du 28 mars 2014, la Cour a conclu à la violation par l’État défendeur d’un certain nombre de dispositions de la Charte (supra, para 1).
II. Résumé de la procédure devant la Cour
11. Après avoir demandé et obtenu de la Cour une prolongation de délai, les requérants ont transmis au Greffe de la Cour leur Mémoire sur les réparations, par courriel en date du 7 juin 2014 reçu au Greffe le 9 juin 2014. A ce Mémoire sont attachés deux décrets présidentiels en date du 9 juin 1999 et du 11 juin 1999 portant offre de couverture sociale et allocation spéciale notamment aux ayants droits et ascendants directs de Xg Bj, Aj Xn Bj, Blaise IIboudo et Ce Bv.
12. Par courriel en date du 2 juillet 2014, reçu au Greffe la même date, les requérants ont transmis au Greffe de la Cour un Rectificatif au Mémoire sur les réparations. À ce Rectificatif sont attachés notamment les documents suivants : une série d'actes d’état civil (actes de naissance ; actes de mariage ; cartes d’identité ; actes d’individualité ; actes de filiation ; certificats de vie ; certificats d’autorité parentale ; certificats de nationalité ; etc.) destinés à prouver les relations de parenté des ayants droits avec les victimes des assassinats du 13 décembre 1998 ; le barème indicatif des frais et honoraires des Avocats du Cb Ca du 20 décembre 2003 (extrait) ; les conventions d'honoraires ; l'arrêté ministériel du 13 juillet 1999 portant allocation spéciale en faveur notamment des requérants individuels dans la présente affaire ; les lettres de certains requérants déclinant l’offre de l'allocation spéciale offerte par l’État défendeur ; des notes d'hôtel à Bo et des titres de transport aérien pour les audiences devant la Cour ; des reçus des frais de transport au sol ; des reçus de paiement de frais de visa .
2 Voir l'arrêt du 21 juin 2013, para 125.

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13. Après avoir demandé et obtenu de la Cour une prolongation de délai, l’État défendeur a transmis au Greffe, son Mémoire en réponse sur les réparations, par lettre en date du 6 octobre 2014, reçue au Greffe le 20 octobre 2014.
14. Par lettre datée du 17 novembre 2014, les requérants, en réplique au Mémoire de l'Etat défendeur, ont informé la Cour qu’ils n'avaient pas d'observations à faire sur ledit Mémoire, sauf qu’ils réfutaient l’allégation de l’État défendeur selon laquelle celui-ci contribuait annuellement au financement du fonctionnement du MBDHP et
15. Au cours de sa trente-sixième session ordinaire tenue à Bo, Tanzanie, du 9 au 27 mars 2015, la Cour a déclaré la procédure close et a mis l'affaire en délibéré.
16. Par une lettre en date du 30 avril 2015, le Greffier a demandé aux requérants d’envoyer à la Cour la version complète d’un document dont ils avaient précédemment soumis un extrait (le barème indicatif des honoraires des Avocats au Cb Ca), ainsi que de compléter le jeu des pièces justificatives qu’ils avaient remis à la Cour sur les frais de déplacement et de séjour des représentants des requérants à Bo. Par lettre en date du 14 mai 2015 parvenu au Greffe de la Cour le 2 juin 2015, les requérants ont transmis le barème des honoraires demandé, ainsi qu’un jeu de pièces justificatives, mais qui s'est révélé être pratiquement le même que celui qu’ils avaient initialement soumis. De son côté, l'Etat défendeur, à qui la lettre du Greffier avait été copiée, a, par un courriel reçu au Greffe le 28 mai 2015, transmis une copie du barème indicatif, en indiquant en revanche que la production de pièces justificatives demandées incombait aux requérants.
IV. Les conclusions des parties
17. Au cours de la procédure, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties ;
Au nom des requérants,
dans le Mémoire :
« 21. Au vu des points de fait et de droit ci-dessus mentionnés, et sans préjudice des éléments de fait et de droit et des éléments de preuve qui pourraient être ultérieurement produits, ainsi que du droit de compléter et d’amender le présent document, les Ayants droit de feu Xg Bj, Ac dit Ce Bv, Aj Bj et Blaise IIboudo et le Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP) [prient] votre Cour de condamner le Cb Ca à leur octroyer la somme de trois cent quarante- neuf millions neuf cent trentequatre mille et sept cent cinq (349.934.705) FCFA pour la réparation des préjudices causés par les violations des droits dont il a été reconnu (coupable] dans l'affaire de l'assassinat du journaliste Xg Bj et de ses compagnons ».
Dans le Rectificatif au Mémoire :
« 9. Au vu des points de fait et de droit ci-dessus mentionnés, et sans préjudice des éléments de fait et de droit et des éléments de preuve qui pourraient être ultérieurement produits, ainsi que du droit de compléter et d’amender le présent document, les Ayants droit de feu Xg Bj, Ac dit Ce Bv, Aj Bj et Blaise IIboudo et le

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Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP) [prient] votre Cour de condamner le Cb Ca à leur octroyer la somme de quatre cent vingt-quatre millions deux cent soixante-dix-sept mille deux cent cinq (424.277.205) FCFA pour la réparation des préjudices causés par les violations des droits dont il a été reconnu [coupable] dans l'affaire de l'assassinat du journaliste Xg Bj et de ses compagnons ».
Au nom de l’État défendeur,
Dans le Mémoire en réponse :
« 71. Au bénéfice des motifs sus évoqués, l’État du Cb Ca prie respectueusement la Cour de :
« dire et juger que les requérants n’ont pas produit ou ont insuffisamment produit les pièces justificatives de leurs qualités et identité, et n'ont donc pas établi la preuve de leur relation proche ou de parenté avec les victimes directes que sont Feus Xg Bj, Ernest YembiZongo, Blaise IIboudo et Ac Bv dit Ce, Décider par conséquent qu’ils n’ont pas la qualité de victimes indirectes et ne peuvent prétendre à quelque réparation que ce soit ;
« Débouter le Mouvement Burkinabè des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP) de sa demande en paiement de la somme de 45 734 705 F CFA, comme étant non fondée ;
En revanche, lui allouer le franc symbolique en réparation de son préjudice moral ;
Dire que les honoraires des Avocats des requérants ne sont pas des dommages et intérêts spécifiques ou généraux et par conséquent les en débouter ;
Subsidiairement,
« Bien vouloir dire que le montant des honoraires des avocats est excessif et le ramener à la somme totale de 20.000.000 FCFA à raison de 5.000.000 CFA par famille de victimes indirectes ;
* Enfin, quant aux frais de déplacement et de séjour à Bo (Tanzanie) que les victimes indirectes et leurs conseils ont estimés à 6 542 500 F CFA, l’État du Cb Ca s’en remet à la très sage appréciation de la Cour ».
18. Au total, il apparaît que les requérants demandent à la fois : des dommages et intérêts pour le préjudice subi par eux ; le remboursement des frais et dépens encourus par eux ; ainsi que des mesures de satisfaction et des garanties de non-répétition.
La Cour va examiner successivement ces chefs de demandes.
V. Les demandes des dommages et intérêts
19. Avant d’examiner les demandes spécifiques de compensation, la Cour aimerait faire un certain nombre d'observations préliminaires de caractère général.
A. Observations préliminaires
20. La Cour rappelle d’abord que le droit international consacre l'obligation pour l’État reconnu auteur d’un fait international illicite de réparer intégralement le préjudice causé. Cette obligation a été

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énoncée par la Cour permanente de Justice internationale dans un dictum en l'affaire de l’'Usine de Chorzéôw, dans les termes ci-après :
« C’est un principe général de droit international que la violation d’un engagement entraine l’obligation de réparer dans une forme adéquate. La réparation est donc le complément indispensable d’un manquement à l’application d’une convention, sans qu’il soit nécessaire que cela soit inscrit dans la convention même ».*
21. Elle a été plus tard consacrée comme suit, par l'article 31(1) du Projet d’articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite, adopté par la Commission du droit international (CDI) et soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2001 : « 1. L'État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite ».“ 22. Dans le contexte du système africain de protection des droits de l’homme, le principe a été reflété dans l’article 27(1) du Protocole du 10 juin 1998 portant création de la Cour de céans qui dispose
« Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
23. Dans la présente affaire, la Cour ayant constaté des violations de la Charte par l'Etat défendeur dans son arrêt précité du 28 mars 2014, cet Etat est tenu de réparer intégralement le préjudice causé aux requérants.
24. La Cour aimerait ensuite rappeler que conformément au droit international, pour qu’une réparation soit due, il faut qu’il y ait un lien de causalité entre le fait illicite établi et le préjudice allégué. A cet égard, l’article 31(2) du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État précité parle en effet d’un « préjudice (...) résultant du fait internationalement illicite de l'État ».°
25. Dans la présente affaire, seuls donc les dommages qui résultent de faits illicites constatés, vont être pris en compte par la Cour.
26. La Cour voudrait par ailleurs faire observer que selon le droit international, tant le préjudice matériel que le préjudice moral doivent être réparés. Aux termes de l’article 31(2) du projet d’articles sur la
3 CPJI: CPJI : Usine de Chorzow (compétence), arrêt du 26 juillet 1927, Série A, no 9 (1927), p. 21 ; Voir aussi : Idem (fond), arrêt du 13 septembre 1928, Série A, no 7, p.29.
4 Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. 11 (2), p.28 ; l’Assemblée générale des Nations Unies a pris note de ce Projet d'articles par sa Résolution 56/83 en date du 12 décembre 2001
5 Ibidem. Voir aussi : Voir aussi CIADH : Aw Av and others c. Bolivie (fond, réparations et dépens), arrêt du 27 novembre 2008, para. 110 :« Les réparations doivent avoir un lien de causalité avec les faits de la cause, les violations alléguées, les dommages prouvés, ainsi que les mesures demandées pour réparer le préjudice subi. La Cour doit donc constater cette corrélation afin de se prononcer et juger conformément à la loi » [traduction du Greffe].

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responsabilité de l’État précité : « [Je préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral. ».S
27. Selon le Dictionnaire de droit international public, le dommage matériel est une « [aJatteinte à un intérêt économique ou patrimonial, c’est-à-dire un intérêt s’appréciant immédiatement en termes monétaires ».” Quant au dommage moral, il est défini comme étant une « [a]tteinte à la considération, aux sentiments ou à l'affection d’une personne physique en faveur de laquelle est exercée la protection diplomatique ou un recours juridictionnel ».°
28. Dans la présente affaire, les requérants demandent en effet à la fois la réparation du préjudice moral subi par eux, ainsi que la réparation du préjudice matériel subi par le MBDHP, et la Cour considérera naturellement les deux types de dommage.
29. La Cour relève également que la réparation peut prendre plusieurs formes. Selon l’article 34 du Projet d'articles de la CDI précité : « La réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite prend la forme de restitution, d'indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement conformément aux dispositions du présent chapitre ».°
30. La Cour note enfin que dans la présente affaire, le fait internationalement illicite générateur de la responsabilité internationale de l'Etat défendeur est la violation de l’article 7 de la Charte découlant du fait que cet Etat « n’a pas agi avec la diligence due dans la recherche, la poursuite et le jugement des responsables des assassinats de Xg Bj et ses trois compagnons ».'° Tous les chefs de demandes de réparations doivent donc être considérés et appréciés ici par rapport à ce fait illicite, et par rapport à lui seul.
6 Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. Il (2), p. 28.
7 Dictionnaire de droit international public, Ao C, ed., Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 361.
8 /bidem. Voir aussi CIADH : Cj Cm c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 3 décembre 2001, para 53 : « Le préjudice non pécuniaire peut inclure la douleur et les souffrances subies par les victimes directes et leurs proches, le discrédit jeté sur des choses qui sont très importantes pour les personnes, les autres conséquences néfastes qui ne peuvent être mesurés en termes monétaires, de même que la perturbation de la vie de la victime ou sa famille » [traduction du Greffe].
9 Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. || (2), p. 28. Voir dans ce sens : Comité de l'ONU contre la torture : Cx As Bc c. Espagne, décision du 17 mai 2005, Communication no 212/2002, para. 6.8 ; Idem : Ali Ben Salem c. Tunisie, décision du 7 novembre 2007, Communication no 269/2005, para. 16.8 : « Le Comité considère que la réparation doit couvrir l'ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime, ainsi que des mesures propres à garantir la non- répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire »; CPJI : Usine de Chorzow (fond), arrêt du 13 septembre 1928, Série A, no 17, p.47 ; CIADH : Z c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 27 novembre 1998, paras 48 et 51 ; CIADH : Xa Cg, Xm Aq et al c. Xe (réparations), arrêt du 30 novembre 2001, para 25 ; CIADH : At c. Venezuela (réparations et dépens), arrêt du 29 août 2002, para. 77.
10 Arrêt de la Cour dans cette affaire en date du 28 mars 2014, para 156.

272 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
31. C’est à la lumière de l’ensemble de ces observations que la Cour va examiner maintenant les différentes demandes en réparation introduites par les requérants.
B. Les demandes de réparation du préjudice moral ”
i. Les requérants, personnes physiques
32. Dans leur Mémoire sur les réparations, les requérants, personnes physiques, c'est-à -dire les ayants droit de Xg Bj, Ac Bv dit Ce, Aj Bj, et Ce Bb, demandent pour l'essentiel une réparation en raison de « la douleur, de la souffrance physique et des souffrances et traumatismes émotionnels » endurés par eux « pendant toute la durée de la longue procédure judiciaire totalement imputable aux autorités burkinabé ».
33. Ils indiquent que le fait d’ « attendre pendant près de huit années une hypothétique convocation du service public de la justice pour pouvoir apporter au juge des éléments d'information pouvant l'aider à privilégier des pistes de recherche des auteurs de l'assassinat de ses parents », le fait de « passer d’interminables heures devant les cabinets d'avocats et/ou des juges d’instruction à la recherche de nouvelles sur ces personnes », et le fait de « passer des nuits blanches à fruminer les difficultés quotidiennement rencontrées dans cette quête de la vérité », ont été pour eux, « des épreuves auxquelles il est quasiment impossible ’d’attacher’ un coût ».
34. Ils ajoutent que même si l’arrêt de la Cour du 28 mars 2014 précité peut lui-même constituer une forme de réparation, « la longueur des procédures judiciaires, les souffrances et traitements vexatoires qu’elles ont occasionnés, les changements qu'ils ont provoqués dans la vie des ayant droits et surtout la situation d’impunité dans laquelle se trouvaient les auteurs de l’assassinat de Xg Bj et de ses compagnons justifient l’octroi d’un dédommagement monétaire, basé sur le principe de l'équité (...) qui pourra leur donner le sentiment d’une juste réparation du préjudice subi ».
35. Ils précisent à ce sujet qu’ils ont catégoriquement refusé l’offre par l’État défendeur en 1999 d’une couverture sociale sous forme de prise en charge alimentaire, sanitaire et scolaire, et d’une allocation spéciale, parce qu’ils ne voulaient aucun « soutien de l'Etat tant que les auteurs de l'assassinat ne seraient pas attraits devant la justice burkinabé ».
36. A cet égard, en se basant sur une liste de personnes qu'ils considèrent être des ayants droits de chaque famille et sur un montant forfaitaire d'argent à allouer à chacun d'eux, ils demandent les montants ci-après :
(i) En ce qui concerne les ayant droits de Xg Bj, ils demandent 149 millions FCFA pour 43 ayants droit à hauteur de 25 millions pour le conjoint, 10 millions pour la mère, 1 million pour chacune des six
11 Les requérants parlent de « dommages et intérêts non- pécuniaires », alors qu’en réalité il s'agit de demande de dommages et intérêts « pécuniaires » pour préjudice « moral ».

Bj et autres c. Cb Ca (réparations) (2015) 1 RICA 265 273
marâtres, 15 millions pour chacun des cinq enfants, 2 millions pour chacune des seize sœurs utérines ou consanguines, et 2 millions pour chacun des quatorze frères utérins ou consanguins. 12
(ii) Les ayants droit d’Aj Bj quant à eux demandent 49 millions FCFA pour 37 ayants droit à hauteur de 10 millions pour la mère, 1 million pour chacune des six marâtres, 2 millions pour chacune des seize sœurs utérines ou consanguines, et 2 millions pour chacun des quatorze frères utérins ou consanguins. 13
(ii) S'agissant des ayants droit de Ce Bb, ils demandent 30 millions FCFA pour 7 ayants droit à hauteur de 10 millions pour le père, 10 millions pour la mère, 2 millions pour chacune des deux sœurs utérines, et 2 millions pour chacun des trois frères utérins.
(iv) Enfin, les ayants droit de Ac Bv dit Ce demandent 29 millions FCFA pour 4 ayants droit à hauteur de 10 millions pour la mère, 15 millions pour le fils, et 2 millions pour chacune des deux sœurs utérines.
37. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur considère que les requérants individuels n’apportent pas suffisamment d’éléments pour justifier les qualités d’ayants droits qu’ils revendiquent, au regard du droit interne burkinabé, et au regard du droit international.
38. Il plaide d’abord que selon le droit burkinabé, le statut de veuve suppose la réunion de deux conditions : le mariage (attesté par un acte de mariage), et le décès du conjoint (prouvé par un acte de décès). Il précise que ces deux conditions sont remplies dans le cas de la veuve de Xg Bj.
39. || ajoute que le statut d'enfant ou de descendant se détermine par la filiation de laquelle résulte la parenté, qui elle-même se prouve par des actes de l’état civil. !! souligne que dans la présente affaire, « [c]es conditions sont partiellement remplies par certains ayants droit et intégralement ignorées par d’autres »,
40. Enfin, il indique que la succession est déférée aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants, à ses parents collatéraux et à son conjoint survivant, dans l’ordre établi par la loi ; et qu’en particulier, « les pères, mères, frères et sœurs ne succèdent qu’à défaut d'enfants et de descendants ».
41. L’État défendeur soutient ensuite que selon le droit international et communautaire, et en particulier à travers la jurisprudence des principales juridictions internationales (Comité des droits de l'homme, Cour interaméricaine, Cour européenne, Commission africaine et Cour africaine), « seuls les membres de la famille ayant une relation de parenté proche avec la victime directe sont considérés comme des victimes indirectes ayant droit à réparation ». Il précise que ces derniers doivent cependant établir cette relation.
12 Le montant total exact est en réalité de 176 millions FCFA.
13 Il est à noter que dans le Rectificatif au Mémoire, les requérants demandent un montant de 64 millions de FCFA, pour les mêmes ayant droits, avec les mêmes tarifs individuels, mais sans aucune explication. Le montant total exact est en réalité 76 millions FCFA.

274 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
42. Dans l’ensemble, l’État défendeur fait observer qu’en la présente affaire, si certains ayants droit ont produit à la fois des actes de naissance et des certificats de vie, d’autres en revanche n’ont produit qu’un seul acte (acte de naissance ou certificat de vie) ou des pièces d'identité qui ne sont pas en cours de validité et insusceptibles d'attester de leur identité parce que n’existant plus au Cb Ca depuis plus de dix ans, tandis que d'autres encore ne fournissent aucune pièce.‘* Il signale qu'aucune famille n’a produit un certificat d'hérédité, « document de base dans le droit interne burkinabé qui, seul atteste de la qualité d’héritier ».
43. L'État défendeur conclut qu’en fin de compte, « les requérants ne justifient pas de leurs qualités d’ayants droits ou de victimes indirectes et ne peuvent donc prétendre à une quelconque réparation ».
44. La Cour observe que ce qui est en discussion ici entre les parties, ce sont les questions suivantes : la notion de victime susceptible d’être bénéficiaire d’une réparation et son application en l'espèce ; le type de preuve à soumettre pour établir la qualité de victime ; et le montant des réparations demandées. Il conviendra aussi de clarifier la question de la preuve du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral subi.
a. La notion de victime et son application en l’espèce
45. Alors que les requérants alignent au total un nombre considérable d'ayants droit incluant non seulement le conjoint et les enfants des personnes décédées, mais également leurs pères et/ou mères, leurs marâtres et leurs frères et sœurs, l'Etat défendeur considère qu’ils ne sont pas tous des ayants droit, et qu’en particulier selon le droit burkinabé, les pères, mères, frères et sœurs ne succèdent qu’à défaut d'enfants et de descendants. L'Etat défendeur assimile ainsi les victimes ayant droit à la réparation aux héritiers des personnes décédées d’après la loi burkinabé. Selon cette conception, et dans les circonstances de la présente affaire, seuls les enfants et le cas échéant les conjoints seraient les victimes des violations des droits de l'homme constatées par la Cour.
46. La Cour estime qu’en droit international des droits de l'homme, la notion de victime ne doit pas être nécessairement limitée à celle d'héritier en première ligne d’une personne décédée, selon le droit national. Cette notion peut en effet comprendre non seulement ces derniers, mais aussi éventuellement d’autres personnes proches de la personne décédée, dont on peut raisonnablement penser qu’elles ont pu subir un préjudice moral caractérisé du fait de la violation des droits de l’homme concernée.
47. Selon le principe 8 des Principes de base et directives sur le droit à un recours et à la réparation pour les victimes des violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et des violations graves du
14 A cet égard, l’État défendeur présente un tableau synthétique de ces différentes catégories d’ayants droit (paras 35 à 40)

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droit international humanitaire, adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 2006 :
« Aux fins du présent document, on entend par « victimes » les personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions constituant des violations flagrantes du droit international des droits de l'homme ou des violations graves du droit international humanitaires. Le cas échéant, et conformément au droit interne, on entend aussi par « victimes » les membres de la famille proche ou les personnes à charge de la victime directe et les personnes qui, en intervenant pour venir en aide à des victimes qui se trouvaient dans une situation critique ou pour prévenir la persécution, ont subi un préjudice ». 15
48. Concernant le contenu de la notion de parents les plus proches de la victime directe, la jurisprudence internationale n’est pas rigoureusement uniforme. Si par exemple la Cour interaméricaine des droits de l'homme a dans certains cas considéré que les parents les plus proches étaient les pères et mères, les enfants et les conjoints, ‘° dans la plupart des cas, elle y a inclus également les frères et sœurs de la victime directe. "7
15 Dans le même sens, Comité des droits de l'homme : Cd AK et 19 autres femmes mauriciennes c. lle Maurice, décision du 9 avril 1981, Communication 035/1978, para. 9.2 :« Une personne ne peut se dire victime au sens de l’article 1 du Protocole facultatif que si elle est effectivement affectée. La mesure dans laquelle cette exigence doit être concrètement prise en compte est une question de degré » [traduction du Greffe]; CEDH : As/akhanova c. Russie, arrêt du 18 décembre 2012, para. 133 :« (...) les requérants, qui sont de proches parents des hommes qui ont disparu, doivent être considérés comme des victimes d’une violation de l’article 3 de la Convention, en raison de la détresse et l'angoisse dont ils ont souffert et continuent à souffrir, en raison de l'impossibilité de savoir avec exactitude le sort des membres de leur famille et la manière dont leurs plaintes ont été traitées » [traduction du Greffe].
16 Voir par exemple CIADH : Ab c. Argentine (fond, réparation et dépens), arrêt du 18 septembre 2003, para. 85 ; CIADH : Cu Bg et al. c. Guatemala(exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 25 mai 2010, para 220 : « (...) la présente Cour a conclu qu’elle peut constater une violation du droit à l'intégrité physique et morale des parents directs les plus proches des victimes pour certaines violations des droits de l'homme telles que les disparitions forcées, en appliquant la présomption de préjudice subi par les mères et les pères, fils et filles, époux et épouses, et les partenaires permanents (ci-après désignés « les parents directs les plus proches »), tant que cela s'applique aux circonstances particulières de l'affaire. En ce qui concerne ledit parent direct, il appartient à l'État de réfuter cette présomption ». [Traduction du Greffe] ; CIADH : Ad Xh et autres c. République dominicaine (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 27 février 2012, para. 270.
17 Voir par exemple AG : Bk Ae c. Xe (réparations et coûts), arrêt du 27 novembre 1998, para. 92 ; CIADH : Bh Ai c. Guatemala (fond, réparations et dépens), arrêt du 25 novembre 2003, para. 243 ; CIADH : Massacres de Az c. Colombie (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 1er juillet 2006, para. 264 : « Conformément à sa jurisprudence (.…..) la Cour considère que les proches parents immédiats identifiés de manière adéquate sont les descendants et ascendants directs de la victime présumée, à savoir : la mère, le père, les enfants, ainsi que les frères et sœurs, et le conjoint ou le partenaire permanent, ou ceux qui sont désignés par la Cour sur la base des caractéristiques de l'affaire et de l'existence d’une relation spéciale entre les parents les plus proches et la victime ou selon les faits de la cause ». [Traduction du Greffe].

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49. |! apparaît en tout cas que la question de savoir si une personne donnée peut être considérée comme un des parents les plus proches ayant droit à la réparation est à déterminer au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.
50. Dans le contexte et les circonstances de la présente affaire, sans doute beaucoup de personnes ont-elles moralement souffert, à des degrés divers, du manque de diligence des autorités de l’État défendeur dans la recherche, la poursuite et le jugement des auteurs du quadruple assassinat, mais on peut raisonnablement considérer que les personnes qui ont agi (directement ou par représentation) en toute première ligne à cet égard et souffert le plus de la situation sont le conjoint, les enfants, et les pères et mères des défunts. Ce sont donc ces personnes qui, dans la présente affaire, peuvent prétendre à la qualité de victimes, et donc à la réparation, si du moins la preuve concrète de cette qualité est dûment rapportée.'® Sous cette réserve, les personnes mentionnées dans les paragraphes qui suivent ont droit à la réparation pour le préjudice moral subi :
(i) En ce qui concerne les ayants droits de Xg Bj, les victimes sont Bj Xp, Geneviève (épouse) ; Bj Au Ah (fils) ; Bj, Antoine (fils) ; Bj, Arnold (fils) ; Bj, Judith (fille) ; Bj Constant (fils); et Xq, Augustine (mère).
(ii) En ce qui concerne les ayants droit d’Aj Bj, la victime est Yameogo, Cz Be (mère).
(ii) En ce qui concerne les ayants droit de Blaise IIboudo, les victimes sont Il Bb, Jonas (père); et Am, Deborah (mère).
(iv) En ce qui concerne les ayants droit d’Ac Bv dit Ce, les victimes sont Bf, Ck (mere); et Bv Ac Cq (fils).
b. La preuve de la qualité de victime
51. Tandis que pour l’essentiel, en dehors le cas échéant des actes de mariage, les requérants produisent tantôt des actes de naissance des ayants droits, tantôt des certificats de vie, et tantôt les deux à la fois, pour établir leur qualité de victime, ou ne produisent aucun document à l’appui, l’État défendeur considère qu’en conformité avec la législation nationale en vigueur, chaque ayant droit devrait produire non seulement les deux documents précités à la fois, mais également des
52. La Cour observe que selon l’article 26(2) du Protocole portant sa création, elle « reçoit tous moyens de preuve (écrites ou orales) qu'elle juge appropriées et sur lesquelles elle fonde ses décisions ». Cette disposition, qui consacre le principe de la libre admissibilité des preuves, implique notamment que la Cour n'est pas tenue par les règles restrictives de droit interne en ce qui concerne les moyens de preuve admissibles. Elle peut donc décider qu’un moyen de preuve exigé par le droit interne n’est pas nécessairement requis devant elle, en tant que juridiction internationale
18 Voir infra, para 54.

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53. Dans la même ligne, il a été jugé que :
« This obligation to make reparations is regulated, in all its aspects [including the determination of beneficiaries] by international law, and cannot be modified by the respondent State nor can it fail to comply with it, invoking to this end provisions of its domestic law ”.12
54. Dans la présente affaire, la Cour estime que pour établir leur qualité de victime, les requérants, personnes physiques mentionnées plus haut (para 50) n’ont pas besoin de produire un certificat d’hérédité exigé par les lois burkinabé. En effet, comme la Cour l’a relevé plus haut (para 46), la question pertinente ici n’est pas de savoir si une personne est héritière ou pas, mais plutôt celle de savoir si cette personne est une victime reconnue au sens du droit international des droits de l'homme. Selon la Cour, les conjoints ne doivent produire que l’acte de mariage et le certificat de vie, ou toute autre preuve équivalente. Quant aux enfants, ils doivent produire uniquement l'acte de naissance attestant de leur filiation, et le certificat de vie, ou toute autre preuve équivalente. Enfin, les pères et mères doivent produire seulement une attestation de paternité ou de maternité, ainsi que le certificat de vie, ou toute autre preuve équivalente.
c. La preuve du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral
55. S'agissant du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral subi, la Cour est d'avis que celui-ci peut résulter de la violation d’un droit de l'homme, comme une conséquence automatique, sans qu’il soit besoin de l’établir autrement. Dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine, il existe même une présomption à cet égard. Cette Cour a en effet déclaré qu'il existait “a presumption according to which violations of human rights and a situation of impunity regarding those violations cause grief, anguish and sadness, both to the victims and to their next of kin.»® et que dans de telles circonstances, aucune
19 CIADH : At c. Venezuela (réparations et dépens), arrêt du 29 août 2002, para 77 : « Cette obligation de réparer est régie, dans tous ses aspects (y compris la détermination des bénéficiaires) par le droit international, et ne peut être modifiée par l'État défendeur, et celui-ci ne peut s’y dérober, en invoquant les dispositions du droit interne à cette fin » [traduction du Greffe] ; voir aussi CIADH : Montero- Artanguren et al. (Xi Cf AL XjAN c. Venezuela (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 5 juillet 2006, para. 117.
20 CIADH : At c. Venezuela, Arrêt du 29 août 2002, réparations et dépens, para. 50 : "… une présomption que les violations des droits de l'homme et une situation d’'impunité résultant de ces violations sont une source de douleur, d'angoisse et de tristesse, tant pour les victimes que pour leurs proches » [traduction du Greffe]. Voir dans le mème sens : /dem : Cy c. Suriname, Arrêt (réparations et dépens), 10 septembre 1993, para 76 ; Idem : Bk Ae AH Xe (Réparations et dépens), 27 novembre 1998, para. 140 ; Idem :Ad Xh et autres c. République dominicaine, 27 février 2012, (objections préliminaires, fond, réparations et dépens) para. 270 ; Idem : Bh Ai c. Guatemala, Judgement, 25 November 2003, (merits, reparations and costs), para. 243.

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preuve n’était requise.?!
56. Dans la présente affaire, il ne fait guère de doute que les proches de Xg Bj et de ses trois compagnons ont moralement souffert des carences imputables à l'Etat défendeur dans la recherche, la poursuite, et le jugement des auteurs du quadruple assassinat du 13 décembre 1998, et en particulier de la longueur indue d’une procédure en fin de compte infructueuse (voir arrêt du 28 mars 2014, paras 152 à 156).
d. Le montant des réparations
57. Alors que les requérants demandent des montants forfaitaires pour la réparation du préjudice moral subi (supra, para 36), l’État défendeur s'attache à établir qu'aucun des requérants n’a justifié de sa qualité d'ayant droit ou de victime indirecte, et qu'aucun n’est donc en mesure de prétendre à une quelconque réparation (supra, para 43).
58. La Cour rappelle d’abord qu’elle a déjà disposé de cette question des personnes qui peuvent prétendre à la qualité de victimes dans la présente affaire (supra para 50) et qu’elle n’a donc pas à y revenir.
59. La Cour observe ensuite que l’État défendeur ne conteste pas l'existence d’un préjudice moral au détriment des ayants droit identifiés par la Cour comment étant des victimes.
60. En ce qui concerne la quantification proprement dite de la réparation, le principe applicable est celui de la réparation intégrale, proportionnellement au préjudice subi. Comme la Cour permanente de justice internationale l’a précisé dans l'affaire précitée de l’Usine de Chorzow, l’État responsable de la violation doit s’efforcer d'« effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ».?? Dans le même sens, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré : « Reparations consist of measures tending to eliminate the effects of the violations that have been committed. Their nature and amount depend on both the pecuniary and non-pecuniary damage that has been caused. Reparations should not make the victims or their successors either richer or poorer and they should be proportionate to the violations declared in the judgment”.
21 CIADH : Massacre de Bu c. Colombie (fond, réparations et dépens), arrêt du 15 septembre 2005, para. 146 : « Au-delà de ce qui précède, dans une affaire comme celle du massacre de Bu, la Cour estime qu'aucune preuve n’est nécessaire pour prouver les graves répercussions sur le bien-être mental et émotionnel des proches parents des victimes » [traduction du Greffe].
22 CPJI : Usine de Chorzow (fond), arrêt du 13 septembre 1928, Série A, no 7, p.47.
23 CIADH : Goiburu et al. c. Paraguay (fond, réparations et dépens), arrêt du 22 septembre 2006, para. 143 « La réparation comprend des mesures visant à éliminer les conséquences de violations commise. La nature et le montant dépendent tant du préjudice pécuniaire que non pécuniaire subi. La réparation ne saurait rendre les victimes ou leurs ayants droit plus riches ou plus pauvres et devrait être proportionnelle aux violations constatées dans l'arrêt » (traduction du Greffe]. Voir aussi : Idem : Z c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 27 novembre 1998, para. 51 ; « Enfants de la rue » (Villagrän-Morales et al.) c. Guatemala (réparations et dépens), arrêt du 26 mai 2001, para. 63 ; Idem : Gonzâlez et al.

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61. S'agissant particulièrement de la détermination des montants de la réparation pécuniaire d’un préjudice moral, il est admis qu’elle devrait se faire en équité, en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire. Comme l’a relevé la Cour interaméricaine des droits de l'homme :
« Since it is not possible to allocate a precise monetary equivalent for non- pecuniary damage, it can only be compensated, in order to provide comprehensive reparation to the victims, by the payment of a sum of money or the delivery of goods or services with a monetary value, which the Xk determines by the reasonable exercise of judicial discretion and based on the principle of equity… ».2#
62. Dans la présente affaire, la Cour note en particulier que les montants forfaitaires soumis par les requérants par victime n’ont pas été formellement contestés par l’État défendeur. Dans ces conditions, la Cour, statuant en équité, et considérant que les souffrances de victimes concernées se sont étalées sur de nombreuses années (supra, paras 3 à 7), ne voit aucune raison de ne pas allouer ces montants tels quels. En conséquence, la Cour fait droit aux demandes en réparation du préjudice moral subi par les victimes identifiées au paragraphe 50 ci-dessus, qui auront fourni les preuves indiquées au paragraphe 54 ci-dessus, soit 25 millions par conjoint, 15 millions par enfant, et 10 millions par père ou mère. De la même manière, la Cour rejette les demandes en réparation du préjudice moral introduites pour le compte des autres personnes listées par les requérants, à savoir les marâtres, les sœurs et frères utérins ou consanguins.
ii. Le Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP)
63. Dans leur Mémoire sur les réparations, les requérants indiquent que le MBDHP « réclame au Cb Ca le franc symbolique pour
(« Cotton Field ») c. Mexique (exceptions préliminaires, fond, réparations, et dépens), arrêt du 16 novembre 2009, paras.450 et 451. Voir aussi : Haut- Commissariat aux droits de l’homme, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire, Résolution 60/147 adoptée par l'Assemblée générale le 16 décembre 2005, principe 15.
24 CIADH : Goiburu et al. c. Paraguay (fond, réparations et dépens), arrêt du 22 septembre 2006, para. 156 ; « Etant donné qu'il est impossible de calculer le montant précis en numéraire du dommage moral, celui-ci ne peut qu'être compensé, dans le but de fournir une réparation complète aux victimes, par le paiement d’une somme d'argent ou la fourniture de biens ou de services ayant une valeur monétaire, que la Cour fixe en exerçant raisonnablement son pouvoir (judiciaire) discrétionnaire, en se fondant sur le principe de l'équité. » [traduction du Greffe). Voir aussi CIADH : « Enfants de la rue » (Villagrän-Morales et al.) c. Guatemala (réparations et dépens), arrêt du 26 mai 2001, para. 84 ; CIADH : Cantoral-Benavides c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 3 décembre 2001, para. 53 ; CEDH : Varnava et autres c. Turquie, arrêt du 18 septembre 2009, GC, para. 224 : « [La Cour) est guidée par le principe de l'équité, qui implique avant tout une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l'affaire, c'est-à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise. »; CEDH : A/ Ch c. Royaume--Uni, arrêt du 7 juillet 2011, GC, para. 114.

280 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
tous les dommages causés pour son implication dans les actions de recherche de la vérité. »
64. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur indique qu’il « ne voit aucun inconvénient quant au paiement » de « la somme de un (1) franc CFA symbolique en réparation du préjudice moral [que le MBDHP] a subi ».
65. La Cour admet d’abord qu’une personne morale peut subir un préjudice moral. En l'espèce, ce préjudice a pu résulter des frustrations ressenties durant des années par le MBDHP en raison du non-aboutissement des actions de recherche, de poursuite et de jugement des assassins de Xg Bj et ses compagnons.
66. La Cour estime ensuite à cet égard que, conformément à la pratique internationale, la constatation, dans son arrêt précité du 28 mars 2014 de la violation de la Charte par l'Etat défendeur, constitue déjà en soi une forme de réparation du préjudice moral subi par le MBDHP.
67. En outre, dans les circonstances particulières de la présente affaire où l’État défendeur n’a pas soulevé d’objection, la Cour ne voit aucune raison de ne pas octroyer la réparation symbolique réclamée par le MBDHP au titre de réparation du préjudice moral subi. En conséquence, elle fait droit, pour le surplus, à la demande des requérants d’octroyer un FCFA symbolique au MBDHP.
C. Les demandes en réparation du préjudice matériel
68. Dans leur Mémoire sur les réparations, et s'agissant à nouveau du MBDHP, les requérants demandent « le remboursement de tous les frais encourus par l’organisation, entre 1998 et 2013, de manifestations, particulièrement la journée de lutte contre l'impunité organisée le 13 décembre de chaque année, pour à la fois forcer les autorités à rechercher les auteurs de l’assassinat du journaliste et de ses compagnons et mobiliser la population burkinabé afin qu’elle apporte son soutien aux familles des ayants droit », à savoir la somme de quarante-cinq millions sept cent trente-quatre mille sept cent cinq (45.734.705) FCFA ».
25 Voir en ce sens CEDH : Ag X c. Portugal, arrêt du 6 avril 2000, para.35 ; « La Cour ne peut [...] exclure, au vu de sa propre jurisprudence et à la lumière de cette pratique, qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel (préjudice moral] appelant une réparation pécuniaire » ; Idem : Parti de la liberté et de la démocratie (ByAN c. Turquie, arrêt du 8 décembre 1999, paras 55 à 57.
26 CIADH : El! Cl c. Venezuela (réparations et dépens), arrêt du 14 septembre 1996, para. 35 ; CIADH : Ax Ar et autres c. Xe AIréparation et dépens), arrêt du 19 septembre 1996, para. 56 ; CIADH : Montero-Aranguren et al. (Xi Cf AL XjAN c. Venezuela (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 5 juillet 2006, para. 131 : « Les arrêts rendus conformément à la jurisprudence internationale récurrente, constituent en eux-mêmes une forme de réparation » (traduction du Greffe]; CEDH : Varnava et autres c. Turquie, arrêt du 18 septembre 2009, GC, para. 224 ; CIJ : Détroit de Xc AIAP c. Albanie) (fond), arrêt du 9 avril 1949, Recueil 1949, p. 36.

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69. Par ailleurs, dans leur lettre en date du 17 novembre 2014 envoyée au titre de Réplique, les requérants rejettent l'affirmation selon laquelle « l’État du Cb Ca contribue financièrement et chaque année au fonctionnement du Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples] MBDHP à l'instar d’autres associations ». Selon eux, depuis sa création le 19 février 1989, le MBDHP n’a jamais reçu des autorités de contribution financière sous quelque forme que ce soit.
70. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur estime que la demande de remboursement des frais d'organisation de manifestations ne repose sur aucun fondement matériel ou légal, pour les raisons suivantes :
(i) le MBDHP existe bien avant l'affaire Xg Bj et a mené des manifestations sans rapport avec cette affaire ;
(ii) l’État du Cb Ca contribue financièrement chaque année au fonctionnement du MBDHP, à l'instar d’autres associations ; 27
(ii) les manifestations dont il est question ici ont été organisées de concert avec d’autres organisations dans le cadre du « Collectif des organisations de masse et des partis politiques » et ne sont pas des actions précises et propres au MBDHP ;
(iv) ces manifestations ont toujours été dirigées contre l'impunité en général, et non pas uniquement en faveur du « dossier Xg Bj
(v) le MBDHP ne rapporte aucun document attestant des frais qu’il dit avoir exposés pour la tenue de ces manifestions, et n'indique même pas quand lesdites manifestations ont pu avoir lieu.
En conséquence de tout ce qui précède, l’État défendeur demande à la Cour de débouter le MBDHP de sa demande de remboursement desdits frais, en ce qu’elle est « fantaisiste et non fondée ».
71. La Cour rappelle que le Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples est, comme sa dénomination l'indique, une organisation de défense des droits de l'homme et des peuples au Cb Ca. Il apparaît dès lors que l’organisation de manifestations en vue de la défense des droits de l'homme dans ce pays, y compris les droits des ayants droit de Xg Bj et ses compagnons, rentre dans son mandat et dans le cadre normal de ses activités.
72. Pour cette raison, la Cour estime qu'il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de remboursement des frais engagés par le MBDHP pour l’organisation de manifestations en faveur des droits de l'homme, y compris ceux des requérants dans la présente affaire.
VI. Les frais et dépens encourus par les ayants droits
73. Sous cette rubrique, les requérants demandent que l’État défendeur leur rembourse les honoraires d'avocats d’une part, et les frais de déplacement au siège de la Cour d’autre part.
A. Les honoraires d’Avocats
27 Comme cela a été relevé plus haut (para 69), les requérants rejettent catégoriquement cette allégation

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74. Dans leur Mémoire sur les réparations, les requérants considèrent que le remboursement des dépenses effectuées tant au niveau national qu’international pour obtenir justice fait partie des mesures appropriées envisagées à l'article du Protocole sur la Cour [para 17]. Ils indiquent qu’il s’agit notamment des « frais et honoraires des conseils des ayants droit et du MBDHP pendant la durée de la procédure judiciaire au Cb Ca et en Tanzanie » [au siège de la Cour].
75. Selon les requérants, « [Jes honoraires incluent : la somme totale due par le client à l'Avocat au titre des prestations fournies par celui-ci ; les frais et débours correspondant aux frais exposés par l’'Avocat dans l’accomplissement de sa mission et débours payés pour le compte du client (...); les émoluments correspondant aux droit et taxes perçus par l’Avocat pour les actes de procédure, suivant un tarif fixé par les textes en vigueur ».
76. Les requérants précisent que leurs Conseils se sont occupés du dossier depuis 1999 « avec ce que cela comporte comme conséquences sur tous les plans (politique, financier, moral, etc.) », et demandent à la Cour « d’arbitrer ces frais à la somme de vingt-cinq (25) millions de FCFA sous réserves des taxes et émoluments y relatifs ». 77. Toutefois, dans leur Rectificatif au Mémoire sur les réparations, les requérants indiquent que les chiffres contenus dans leur Mémoire sont inexacts en ce qu'ils ne sont pas conformes aux conventions signées par deux avocats avec les ayants droit en 2010, sur la base du barème indicatif des frais et honoraires des avocats du Cb Ca. Ils demandent en conséquence à la Cour « d’arbitrer ces frais à la somme de vingt-cinq (25) millions de FCFA par famille sous réserves des taxes et émoluments y relatifs comme cela a été approuvés par elles » (...), [c]e qui revient à la somme de Cent (100) millions de FCFA ».
78. Dans son Mémoire en réponse, l'État défendeur, en analysant le barème indicatif des frais et honoraires des avocats au Cb Ca produit par les requérants, plaide que les conventions d'honoraires invoquées par les requérants sont « complaisantes en ce qu’elles n’indiquent pas les honoraires pourtant connus ». Il conteste que les honoraires d'avocats fassent partie de dommages et intérêts qui selon lui, font seuls l’objet de la demande des requérants en l'espèce, mais soutient que si, par extraordinaire la Cour convenait que les honoraires en font partie, « la somme de 25 000 000 réclamée par [les] Conseils à chaque famille de victime est excessive et hors de proportion avec les réalités socio-économiques du Cb Ca ». L'État défendeur « estime que la somme de 20 000 000 FCFA, soit 5 000 000 FCFA par famille, constituerait une juste rémunération des Avocats des victimes
79. De l'avis de la Cour, la réparation due aux victimes des violations des droits de l'homme peut également inclure le remboursement des honoraires d'avocats. Telle a été sa position dans l'affaire précitée Rev. Bl c. République Unie de Tanzanie :
« La Cour fait observer que les frais et les dépens font partie du concept de « réparation ». Ainsi lorsque la responsabilité est établie dans un jugement déclaratoire, la Cour peut ordonner à l’État d’octroyer une

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compensation à la victime pour les frais et dépens liés aux actions qu’elle a intentées pour obtenir justice aux niveaux national et international ».28
80. Cette position est en droite ligne de celle des autres juridictions internationales des droits de l'homme. Comme la Cour interaméricaine des droits de l'homme l'a par exemple relevé :
« … costs and expenses are included in the concept of reparations (...) because the activity deployed by the next of kin of the victims or their representatives in order to obtain justice at both the national and the international level entails expenditure that must be compensated when the State’s international responsibility is declared in a judgment against it ».2° 81. En ce qui concerne la détermination du montant de ces honoraires, la Cour a décidé dans l'affaire Rev. Bl précitée, qu’il revient au requérant de fournir la justification des sommes réclamées.®
82. Telle est aussi la position de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui, dans une affaire, a déclaré :
« … La Cour considère qu’il ne suffit pas de présenter des documents probants ; les parties doivent plutôt développer un raisonnement qui démontre le lien entre les éléments de preuve et les faits de la cause, et, en cas de décaissements financiers allégués, les postes de dépenses et leur justification doivent être décrits clairement ».3!
83. Dans la présente affaire, les requérants ont produit un extrait du barème indicatif des frais et honoraires des avocats du Cb Ca en date du 20 décembre 2003 ainsi que des conventions d'honoraires signées avec les requérants en 2010.
84. Si l’on prend en compte le barème indicatif, il apparaît que les avocats auraient droit à un montant de 150 000 FCFA pour l’ouverture du dossier, à une somme de 150 000 FCFA pour l’ assistance et la
28 Arrêt du 13 juin 2014, para 39.
29 CIADH : Goiburu et al. c. Paraguay (fond, réparations et dépens), arrêt du 22 septembre 2006, para. 180 : «… Les dépens et autres frais sont inclus dans le concept de réparation (...) en raison du fait que l'activité menée par les proches parents des victimes ou par leurs représentants pour obtenir la justice tant au niveau national qu’international entraînent des dépenses qui doivent être compensées lorsque la responsabilité internationale de l’État est établie dans un jugement rendu à son encontre » [traduction du Greffe] ; voir aussi CIADH : Caballero-Delgado and Cw c. Colombie (fond), arrêt du 8 décembre 1995, para 71 ; CIADH : Cn et Bz c. Argentine (réparation et dépens), arrêt du 27 août 1998 para 79 : « Les frais sont un élément à prendre en considération dans le concept de réparation auquel se réfère l’article 63(1) de la Convention, car ils sont une conséquence naturelle des démarches entreprises par la victime, ses ayants droit ou ses représentants pour obtenir un règlement judiciaire reconnaissant la violation commise et établissant ses conséquences juridiques. » [traduction du Greffe]; CIADH : LoayzaTomayo c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 27 novembre 1998, para 176 : CIADH : Y c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 31 mai 2001, para. 72.
30 Bl c. République Unie de Tanzanie, Arrêt du 13 juin 2014, para 40.
31 CIADH : Co Ct et Bd B c. Équateur (exceptions préliminaires, fond, réparation et dépens), arrêt du 21 novembre 2007, para 277 ; voir aussi CEDH : Bs c. Allemagne, arrêt du 8 juillet 2003, para. 105 : « L'allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux [...]. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée ».

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représentation judiciaires et 25 000 FCFA par séance devant le juge de première instance, à une somme de 350 000 FCFA pour l'assistance et la représentation judiciaires devant l'instance d’appel, ainsi qu’à un pourcentage du montant de la réparation qui aurait été payée aux victimes parties à l’action civile. Vu qu’en l'espèce aucune réparation civile n’a été payée aux victimes par les juridictions nationales, il n’est pas possible de déterminer avec précision un quelconque montant global sur la base du barème indicatif.
85. Si l’on se fonde sur les conventions d'honoraires, les avocats auraient droit à un montant de 250 000 FCFA pour l'ouverture du dossier et à une somme de 25 000 000 de FCFA pour l’assistance et la représentation judiciaires. Cela donnerait un montant 25 250 000 FCFA par famille, soit un total de 101 000 000 FCFA que les requérants arrondissent à 100 000 000 FCFA.
86. De l'avis de la Cour, le montant qui aurait été basé sur le barème indicatif serait trop bas, si l’on tient en compte, entre autres, les difficultés qu’ont dû rencontrer les avocats au cours de la procédure interne, en raison particulièrement de sa longueur et de la haute sensibilité politique du dossier, et si l’on prend également en considération les exigences qualitatives de la procédure devant une juridiction internationale. L'État défendeur lui-même admet qu'un montant global presque douze fois plus élevé, à savoir 20 000 000 FCFA, serait raisonnable. D’un autre côté, le montant de 100 000 000 FCFA fondé sur les conventions d'honoraires apparaît comme trop élevé dans les circonstances, en particulier si l’on prend en compte le fait qu’il s'agissait d’une seule affaire pour les quatre familles.
87. Dans ces conditions, la Cour se doit de déterminer le montant des honoraires des avocats en équité, sur la base de ce qui lui semble raisonnable dans chaque espèce.“ A son avis, dans la présente affaire, et considérant à la fois les montants fixés par le barème indicatif, les montants prévus par les conventions d'honoraires, et les montants proposés par l’État défendeur lui-même, un montant total
32 Voir CIADH : Cn et Bz c. Argentine (réparations et dépens), arrêt du 27 août 1998, para 83 : « des (...) facteurs importants doivent être pris en compte pour évaluer les prestations des avocats dans une procédure devant un tribunal international, comme les éléments de preuve présentés pour étayer les faits allégués, la parfaite connaissance de la jurisprudence internationale et, de manière générale, tout ce qui peut servir à démontrer la qualité et la pertinence du travail effectué » [traduction du Greffe]
33 Voir notamment : Voir notamment CIADH : Cn et Bz c. Argentine (réparations et dépens), arrêt du 27 août 1998, para. 80 ; CIADH : Constitutional Xk c. Xe (fond, réparations et dépens), arrêt du 31 janvier 2001, para. 125 ; CIADH : « White Van » (Paniagua-Morales et al.) c. Guatemala (réparations), arrêt du 25 mai 2001, para 213 ; CIADH : Y c. Xe (réparations et dépens), arrêt du 31 mai 2001, para. 72 ; CIADH : Goiburu et al. c. Paraguay (fond, réparations et dépens), arrêt du 22 septembre 2006, para. 180 : « Cette évaluation [des dépens et autres frais] peut être fondée sur le principe de l'équité et tenir compte des dépenses présentées par les parties, à condition le montant soit raisonnable » [traduction du Greffe]; Cf. : CEDH : Bt c. Royaume-Uni, arrêt du 17 juillet 2008, para. 32 : « La Cour rappelle que seuls les dépens et autres frais de justice réellement encourus et jugés nécessaires et dont le montant est raisonnable sont remboursables en vertu de l’article 41 de la Convention ».

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forfaitaire des frais et honoraires des avocats à hauteur de 40 millions, est équitable et raisonnable.
B. Les frais de déplacement et de séjour au siège de la Cour
88. Dans leur Mémoire sur les réparations, les requérants plaident à nouveau que le remboursement des frais de déplacement et de séjour des Conseils et du représentant du MBDHP à Bo pour participer aux audiences de la Cour africaine fait partie des mesures de réparation appropriées prévues à l’article 27 du Protocole portant création de la Cour. Ces frais portent sur les déplacements effectués en mars et novembre 2013 pour les besoins des audiences de la Cour, et les requérants les estiment à sept millions deux cent mille (7.200.000) FCFA.
89. Toutefois, dans leur Rectificatif au Mémoire sur les réparations, les requérants ramènent ce montant à six millions cinq cent quarante-deux mille cinq cent (6.542.500) FCFA.
90. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur estime que les frais de déplacement et de séjour à Bo pour y suivre le procès devraient être attestés par divers documents délivrés par des sociétés de transport, des hôtels et des restaurants, et s’en remet à l'appréciation de la Cour pour ce qui est de leur montant, considérant que ces frais ne sont pas évoqués dans les conventions d'honoraires.
91. La Cour est d'avis que la réparation due aux victimes des violations des droits de l'homme peut également inclure le remboursement des frais de déplacement et de séjour de leurs représentants à son siège, pour les besoins de l'affaire.
92. La Cour observe que dans la présente affaire, les parties s'accordent sur le principe du remboursement des frais de déplacement et de séjour, à Bo, des représentants des requérants. La Cour note également que les requérants ont produit des pièces écrites destinées à établir les montants réclamés. Elle constate cependant qu’ils n’ont pas complété le jeu des pièces justificatives initialement produit (supra, para 16).
93. La Cour considère que s'agissant du remboursement de frais effectivement engagés, seules les dépenses justifiées par une preuve de paiement tel que les reçus ou les documents équivalents peuvent être pris en compte en vue d’une réparation.
94. Sur cette base, il ressort du dossier que les frais de déplacement et de séjour remboursables sont d’un montant de 1.106 USD pour Mme Bn Xb Bj, épouse de Xg Bj ; de 1.106 USD pour Chrysogne Zougmore, président du MBDHP ; de 1.106 USD pour Me Benewende Stanislas Sankara, Conseil ; de 1.827,37 USD pour M. Cr Cs, Conseil ; et de 50 USD pour Me Prosper Farama, Conseil. La Cour fait en conséquence droit à la demande de remboursement en faveur des requérants d’un montant total de
34 Voir supra, notes 28 et 29.

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5.195,37 USD, équivalant à 3.135.405, 80 FCFA au taux de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO).
VII. Les mesures de satisfaction et les garanties de non répétition
A. Mesure de satisfaction : la publication de la décision de la Cour
95. Dans leur Mémoire sur les réparations, les requérants demandent à la Cour d’ordonner « [I]a publication de [sa] décision dans le Journal officiel, le quotidien national An et les deux journaux les plus lus afin que l’opinion nationale, plus particulièrement les autorités judiciaires et les responsables des services de sécurité, sachent les torts causés à l'Etat et son système de protection des droits de la personne humaine par le mauvais fonctionnement des services publics de la justice et de la sécurité ».
96. Dans son Mémoire en réponse, l’État défendeur indique que par principe, il ne voit pas d’'inconvénient à la publication de la décision de la Cour, mais plaide qu’en droit international des droits de l'homme, « les mesures de satisfaction ne doivent pas conduire à l’humiliation de l’État contre lequel il a été retenu des violations des droits de l’homme » [paras 50-51). Il ajoute qu’en l’occurrence, le motif donné par les requérants pour soutenir leur demande de publication (supra paragraphe précédent), « participe plus d’une volonté d’humilier l’État du Cb Ca et de nuire à son image que d’un souci de protection des droits humains ». En conséquence, l’État défendeur prie la Cour de rejeter cette mesure de satisfaction telle que demandée par les victimes indirectes, comme étant inadéquate et non pertinente.
97. La Cour observe que le principe même de la publication de la décision de la Cour n’est pas contesté entre les parties.
98. La Cour note par ailleurs que la publication des décisions des juridictions internationales des droits de l'homme au titre de mesure de satisfaction est de pratique courante.5 Ainsi, dans l'affaire Rev. Christopher Bl c. République Unie de Tanzanie, la Cour a elle- même décidé proprio motu d’ordonner la publication d’une de ses décisions à titre de mesure de satisfaction.‘
99. La Cour estime en outre que, conçues de manière raisonnable, les mesures de publication de sa décision n’ont rien d’humiliant pour l’État défendeur.
100. En s'inspirant de sa propre jurisprudence précitée (supra, para 98), la Cour estime qu’à titre de mesure de satisfaction, l'Etat défendeur doit, dans un délai de six mois à compter du présent arrêt, publier : (i) le résumé officiel du présent arrêt préparé par le Greffe de la Cour
35 Voir notamment : CIADH : Massacre du Plan de Xd c. Guatemala (réparations), arrêt du 19 novembre 2004, paras. 102 et 103 ; CIADH : Bp Ak c. Panama (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 12 août 2008, para 248.
36 Arrêt du 13 juin 2014, paragraphes 45 et 46(5).

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en français, une fois dans le journal officiel et une fois dans un quotidien national de large diffusion ; (il) le même résumé sur un site Internet officiel de l'Etat défendeur, et l’y maintenir pendant un an.
B. Les « garanties de non- répétition
101. Dans leur Mémoire sur les réparations, en rapport avec ce qu'ils appellent des « garanties de non- répétition », les requérants demandent à la Cour d’ordonner « [la reprise des investigations afin que les auteurs de l'assassinat soient débusqués et traduits devant les juridictions nationales », et « d’exiger des autorités burkinabé de fournir [à la Cour), dans un délai de six (6) mois, toutes les informations concernant les initiatives prises à cet effet ».
102. Dans son Mémoire en réponse, et se fondant toujours sur l'argument de l’humiliation, l'Etat défendeur plaide qu’« éxiger la reprise immédiate des investigations et la production dans un délai de six mois de toutes les informations concernant les mesures prises à cet effet, constitue un mépris vis-à-vis des dispositions du Code de procédure pénale burkinabé spécialement en ses articles 188 et 189.7 L'État défendeur ajoute qu' », "il « continue de prendre l'engagement que dès qu'il sera découvert des faits nouveaux ou charges nouvelles, au sens des dispositions [précitées) du Code de procédure pénale, il fera procéder à la réouverture de l'information, aussi longtemps que la prescription de dix (10) ans prévue pour les crimes ne sera pas intervenue ».
103. En ce qui concerne la demande de reprise des investigations sur l'assassinat de Xg Bj et ses trois compagnons, la Cour fait observer qu’il ne s’agit pas véritablement d’une mesure de non- répétition, mais plutôt d’une mesure de cessation d’une violation déjà constatée.
104. Quoi qu'il en soit, la Cour est d'avis qu’il s’agit d’une mesure légitime susceptible d’éviter en effet la continuation de la violation de l’article 7 de la Charte en l'espèce.
105. Cette position est en droite ligne de la jurisprudence de certaines instances internationales. Ainsi par exemple, le Comité des droits de l’homme a considéré, dans une affaire, que :
« L'État partie devrait enquêter sur les événements faisant l’objet de la plainte et traduire en justice ceux qui se seront rendus coupables de préjudices sur la personne du frère de l’auteur ; il est de surcroît tenu de prendre des mesures pour garantir que pareilles violations ne se reproduisent plus ».8
37 Ces dispositions se lisent comme suit : Article 188 : « L'inculpé à l'égard duquel le juge d'instruction a dit n’y avoir lieu à suivre ne peut plus être recherché à l’occasion du même fait, à moins qu’il ne survienne de nouvelles charges » ; Article 189 ; « Sont considérées comme charges nouvelles les déclarations de témoins, pièces et procès-verbaux qui, n'ayant pu être soumis à l'examen du juge d’instruction, sont cependant de nature soit à fortifier les charges qui auraient été trouvées trop faibles, soit à donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité ».
38 Comité des droits de l'homme : MAOBa c. République centrafricaine (pour Ay Bm), décision du 7 avril 1994, Communication no 428/1990, para 7.

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106. De son côté, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples recommande fréquemment aux Etats de prendre certaines mesures destinées à éviter la répétition des violations qu’elle a constatées. Dans l'affaire Ci Cc c. Zimbabwe par exemple, elle recommande que « an inquiry and investigation be carried out to bring those who perpetrated the violations to justice ».*
107. La Cour estime par ailleurs qu’une telle mesure est loin de constituer un mépris vis-à-vis de la législation burkinabé, puisque celle- ci offre des possibilités de reprise des investigations après une décision judiciaire nationale de non- lieu, et que l’État défendeur lui-même est disposé à rouvrir les investigations dans les affaires en cause (supra, para 102).
108. La Cour aimerait en outre préciser que si en effet, elle peut ordonner à l’État l'adoption de certaines mesures, elle n’estime en revanche pas nécessaire d’indiquer à celui-ci comment il doit se conformer à sa décision, les moyens de le faire pouvant être laissés à son appréciation.
109. Sur la base des considérations qui précèdent, la Cour accède à la demande des requérants d’ordonner à l’État défendeur de reprendre les investigations, en vue de poursuivre et juger les auteurs de l'assassinat de Xg Bj et de ses trois compagnons, et ainsi de faire toute la lumière sur cette affaire, et de rendre justice aux familles des victimes.
110. En ce qui concerne la demande des requérants d’exiger de l’État défendeur de produire dans un délai de six mois toutes les informations concernant les mesures prises à cet effet, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de fixer un délai spécifique pour la mise en œuvre de ces dernières, étant donné qu’elle déterminera dans le dispositif (infra, para 111) les délais dans lesquels l’État défendeur devra l’informer de l'exécution de l’ensemble des mesures qu’elle aura prises dans la présente affaire.
111. Par ces motifs,
LA COUR,
D) À l'unanimité,
Décide qu’en ce qui concerne le préjudice moral subi par les requérants personnes physiques, dans la présente affaire, seuls le conjoint, les fils
39 CADHP : Communication 288/04, Ci Cc c. Zimbabwe, 51 session, 2 mai 2012, para 194(2) : « une enquête et une investigation devraient être menées pour traduire en justice ceux qui se seront rendus coupables » (traduction du Greffe]. Voir dans ce sens Idem : Communications 54/91-61/91-98/93164/97_196/97-210/98, Malawi Africa Association, Amnesty International, Ms Cv Bi, Union interafricaine des droits de l'Homme and A, Collectif des veuves et ayants-Droit, Association mauritanienne des droits de l'Homme c. Mauritanie, 27e session, 11 maj 2000, dispositif ; Communication 241/01, Purohit et Xl c. La Gambie, 33e session, 29 mai 2003, dispositif ; Communication 279/03296/05, Aa Bq Bw Organisation and Centre on Bx Bw and Evictions (COHRE) c. Soudan, 45e session, 27 mai 2009, dispositif ; Communication 236/00, Af Ay Xo AH Aa, 46€ session, 25 novembre 2009, dispositif ; Communication 334/06, Cp Xf for Personal Rights and Al c. Egypte, 9e session extraordinaire, 1 mars 2011, dispositif.

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et filles, et les pères et mères des personnes décédées, cités au paragraphe 50 du présent arrêt, ont droit à la réparation ;
Ordonne en conséquence à l’État défendeur de payer vingt- cinq (25) millions FCFA à chacun des conjoints ; quinze (15) millions FCFA à chacun des fils et filles ; et dix (10) millions FCFA à chacun des pères et mères concernés ;
Déclare qu’aux fins des paiements prévus au paragraphe précédent, les documents ci-après devront être présentés par les requérants aux autorités compétentes burkinabé : un acte de mariage et un certificat de vie ou toute autre preuve équivalente pour le conjoint ; un acte de naissance et un certificat de vie ou toute autre preuve équivalente pour les fils et filles ; une attestation de paternité ou de maternité et un certificat de vie ou toute autre preuve équivalente pour les pères et mères ;
Déclare que l'arrêt du 28 mars 2014 en la présente affaire constitue une forme de réparation du préjudice moral subi par le Mouvement Burkinabé des Droits de l'homme et des Peuples (MBDHP); ordonne pour le surplus à l’État défendeur de payer un (1) franc symbolique au MBDHP, au titre de réparation dudit préjudice ;
v) À l’unanimité,
Rejette la demande par le MBDHP d’une indemnisation pour avoir régulièrement organisé des manifestations en faveur des droits de l'homme, y compris ceux des requérants ;
vi) À l’unanimité,
Ordonne à l’État défendeur de payer aux requérants la somme de quarante (40) millions de FCFA au titre des frais et honoraires qu’ils doivent à leurs avocats conseils ;
Ordonne à l’État défendeur de rembourser aux requérants les frais de déplacement et de séjour de leurs conseils au siège de la Cour, en mars et novembre 2013, à hauteur de trois millions cent trente-cinq mille quatre cent cinq et quatre-vingt centimes (3.135.405, 80) de FCFA.
Ordonne à l'État défendeur de payer tous les montants indiqués aux points (ii), (iv), (vi) et (vii) du présent paragraphe dans un délai de six mois à partir de ce jour, faute de quoi il aura à payer également un intérêt moratoire calculé sur la base du taux applicable à la Banque Centrale de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), durant toute la période de retard et jusqu'au paiement intégral des sommes dues.

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ix) À l’unanimité,
Ordonne à l’État défendeur de publier, dans un délai de six mois à compter de la date de la présente décision : (a) le résumé en français du présent arrêt préparé le Greffe de la Cour, une fois dans le journal officiel et une fois dans par un quotidien national de large diffusion : (b) le même résumé sur un site Internet officiel de l’État défendeur, et l'y maintenir pendant un an ;
x) Par dix voix contre une, le Juge Tambala étant dissident, Ordonne à l’État défendeur de reprendre les investigations en vue de rechercher, poursuivre et juger les auteurs des assassinats de Xg Bj et de ses trois compagnons ;
xi) À l'unanimité, Ordonne à l’État défendeur, de lui soumettre, dans un délai de six (6) mois à partir de ce jour, un rapport sur l’état d'exécution de l’ensemble des décisions prises dans le présent arrêt.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM1526845211
Date de la décision : 05/06/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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