CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755
Demande d'avis consultatif par le Comité africain d’experts
les droits et le bien-être de l'enfant (avis consultatif) (2014)
RJCA 755
755
sur
1
Demande d'avis consultatif par le Comité africain d’experts sur les droits
et le bien-être de l'enfant concernant le statut du Comité africain sur les
droits et le bien-être de l'enfant devant la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples.
Avis consultatif du 5 décembre 2014, intégrant le rectificatif daté du
même jour.
Juges B, THOMPSON, NIYUNGEKO, TAMBALA, ORÉ,
GUISSE, KIOKO et BEN ACHOUR
La Cour a estimé que le Comité africain d’experts sur les droits et du
bien-être de l’enfant était habilité à soumettre une demande d'avis
consultatif mais pas des affaires en matière contentieuse, du fait qu’il ne
figure pas sur la liste des entités habilitées à saisir la Cour en vertu du
Protocole.
Compétence (compétence personnelle pour demander que l'avis
consultatif soit considéré au fond, 37 ; le Comité est un organe de l’UA qui
est habilité à demander un avis consultatif, 55-57 ; les entités pouvant
introduire des requêtes en matière contentieuse à la Cour, le Comité non-
inclus, 69 ; le Comité n’est pas une organisation intergouvernementale,
73, 74)
Interprétation (sens ordinaire, 61 ; l'approche téléologique ne peut pas
prévaloir sur le sens ordinaire du texte, 98)
I Nature de la demande
1. Le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant (« le Comité ») a saisi la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (« la Cour ») d’une demande d’avis consultatif, en vertu de l’article 4 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (« le Protocole ») et de l’article 68 du Règlement intérieur de la Cour (« le Règlement »).
2. Le Comité fait valoir qu’il a été créé en vertu de l’article 32 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (« la Charte de l'enfant »), auprès de l’Union africaine pour, entre autres, promouvoir et protéger les droits consacrés dans ladite Charte, formuler et élaborer des règles et principes visant à assurer la protection des droits et du bien-être de l'enfant en Afrique, et interpréter les dispositions de la
756 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Charte de l’enfant.! Le Comité fait aussi valoir que des fonctions quasi- judiciaires lui ont été conférées et qu’il est habilité à recevoir des communications et d’enquêter sur toute question inscrite dans la Charte de l’enfant.? Le Comité soutient en outre que le mandat de la Cour vient compléter celui du Comité et assure ainsi une protection effective des droits et du bien-être de l'enfant en Afrique.*
3. Sur le fond de la demande, Le Comité fait encore valoir qu’interprétés judicieusement, les articles 4(1) du Protocole et 68(1) du Règlement intérieur confèrent à la Cour compétence pour donner des avis consultatifs, à la demande de l’Union africaine ou de l’un de ses organes représentant l’Union dans des domaines spécifiques, à l’instar
4. Le Comité demande aussi le droit de saisir la Cour en vertu de l’article 5(1)(e) du Protocole et de l’article 33(1)(e) du Règlement. Le Comité fonde essentiellement sa demande sur l'argument selon lequel le mandat de la Cour est complémentaire de celui du Comité pour assurer une protection effective des droits et du bien-être de l'enfant en
5. En ce qui concerne le droit applicable, le Comité se fonde sur certaines dispositions du Protocole, notamment le cinquième paragraphe du préambule ainsi que l’article 3 du Protocole, qui traitent tous de la compétence de la Cour ; ainsi que l’article 4 relatif à la compétence consultative de la Cour et l’article 5(1)(e) consacré à la saisine de la Cour par les organisations intergouvernementales africaines. Le Comité cite en outre l’article 33(1)(e) du Règlement qui porte sur la saisine de la Cour par les organisations intergouvernementales africaines ainsi que l’article 68(1) du Règlement qui énumère les entités ayant qualité pour saisir la Cour d’une demande d’avis consultatif.
6. Pour appuyer encore davantage sa demande, le Comité se réfère à l’article 4(1) de la Charte de l'enfant qui porte sur l’intérêt supérieur de l'enfant, qui doit être la considération première de toute action envisagée. Le Comité cite également l’article 32, en vertu duquel le Comité est créé, ainsi que l’article 42 qui définit son mandat. Le Comité se réfère également à l’article 31(1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (« la Convention de Vienne ») qui prescrit la règle générale d'interprétation des traités.
7. Le Comité cite encore trois cas de jurisprudence à l’appui de sa demande, à savoir :
| la Cour internationale de Justice (« CIJ ») dans son Avis consultatif sur la compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations Unies (Recueil CIJ (1950) 8) ;
DSA/ACE/64/1697.13, par. 1.
Ibid., par. 2
Ibid., par. 3.
Ibid., par. 2.
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755757
ii. l'affaire Institute for Bh Ah and Development in Africa et Ao Aa Justice Initiative (au nom d'enfants d'ascendance nubienne au AwAG c. Aw dans laquelle le Comité a statue ;ê
iii. l’affaire ZH Ae AI Ai of State for the Home Department, 2011 UK SC 4.
Il. Questions à trancher
8. Au vu de ce qui précède, le Comité soumet les questions suivantes à l’appréciation de la Cour :
a. Le Comité a-t-il qualité pour demander un avis consultatif, en vertu de l’article 4(1) du Protocole ?
b. Le Comité fait-il partie des « organisations intergouvernementales africaines visées à l'article 5(1)(e) du Protocole ?
c. L'article 5(1)(e) du Protocole doit-il être interprété à la lumière des mandats respectifs de la Cour africaine et du Comité ? ;
d. Le statut du Comité devant la Cour en vertu de l’article 5(1)(e) du Protocole est-il conforme à l’objet et au but visés par le Protocole ?
9. La demande datée du 11 novembre 2013 a été reçue au Greffe de la Cour le 25 novembre 2013. Le Greffe en a accusé réception par lettre en date du 26 novembre 2013
10. À sa trente-et-unième session ordinaire tenue du 25 novembre au 6 décembre 2013, la Cour a décidé de transmettre copie de la demande à tous les Etats membres de l’Union africaine, à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Commission africaine ») ainsi qu’à toutes les autres parties intéressées, conformément à l’article 69 du Règlement intérieur de la Cour et de leur accorder un délai de quatre-vingt-dix (90) jour pour déposer leur observations, le cas échéant, conformément à l’article 70 du Règlement intérieur de la Cour.
11. En l'espèce, la Cour a identifié les parties intéressées suivantes : « le Conseil économique social et culturel (ECOSSOC) ;
la Commission de l’Union africaine pour le droit international (CUADI) ;
- la Commission de l’Union africaine (CUA) ;
«la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) ;
«l’Institut africain du droit international (IADI) ;
« le Comité africain d'expert sur le droit et le bien-être de l’enfant ;
« la Direction Femme, Genre et Développement ;
« le Parlement panafricain ;
« a Direction des citoyens et de la diaspora (CIDO).
12. Par lettre datée du 2 janvier 2014, le Greffe a transmis la copie de la demande à tous les Etats membres de l’Union africaine et a invité les
6 Communication n°Com/002/2009 (2011).
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parties intéressées à déposer leurs observations écrites, le cas échéant, dans les quatre-vingt-dix (90) jours de la réception de la lettre. 13. Par courriel daté du 30 janvier 2014, le Bureau du Conseiller juridique a signalé que la demande n’a pas été jointe à la lettre du Greffe datée du 2 février 2014
14. Par courriel daté du même jour, le Greffier a transmis copie de la demande au Bureau du Conseiller juridique qui en a accusé réception. 15. Par lettre datée du 19 février 2014, la République du Aw a déposé ses observations sur les questions soulevées dans la demande.
16. À sa trente-deuxième session tenue du 10 au 28 mars 2014, la Cour a rendu une décision portant prorogation au 30 avril du délai accordé aux Etats membres pour déposer leurs observations sur l’objet de la demande d’avis consultatif. Elle a également invité des organes et institutions spécifiques de l'Union africaine à déposer leurs observations dans le même délai.
17. Par lettre datée du 18 mars 2014, le Greffe a demandé à la Commission africaine (la Commission africaine) de confirmer si l’objet de la demande d'avis consultatif ne se rapporte pas à une affaire pendante devant la Commission. Par lettre datée du 19 mars 2014, la Commission a confirmé que l'objet de la demande d’avis consultatif ne se rapporte pas à une affaire pendante devant elle.
18. Par lettres et notes verbales datées du 26 mars 2014, le Greffe a transmis copie de la décision de la Cour aux Etats membres et aux entités concernées.
19. Par lettre datée du 7 avril 2014, la Commission a sollicité la prorogation au 31 mai 2014 du délai pour déposer ses observations sur la demande. Par lettre datée du 15 avril 2014, le Greffe a informé la Commission que sa demande de prorogation du délai a été accordée. 20. Par courriel daté du 30 avril 2014, le Bx Bt a sollicité la prorogation du délai pour déposer son avis.
21. Par lettre datée du 16 mai 2014, le Greffe a informé le Bx Bt que sa demande de prorogation de délai a été accordée et qu'il devait déposer ses observations au plus tard le 31 mai 2014.
22. À sa trente-troisième session ordinaire tenue du 26 mai au 13 juin 2014, la Cour a décidé de proroger au 30 juin 2014 le délai accordé aux États membres et aux entités concernées pour déposer leurs observations. Le 2 juin 2014, le Greffe a informé tous les États membres en conséquence.
23. La République du Sénégal a déposé ses observations sur la demande le 5 mai 2014.
24. Par lettre datée du 29 mai 2014 parvenue au Greffe le 2 juin 2014, la Commission africaine a déposé ses observations sur la demande. Le Greffe en a accusé réception le 3 juin 2014.
25. Le 2 juin 2014, le Greffe a reçu les observations de la République du Gabon datées du 6 mai 2014 et a accusé réception le 4 juin 2014.
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755 759
IV. Observations reçues des États et d’autres entités
26. En réponse à la demande adressée aux États et aux entités intéressées pour déposer leurs observations écrites sur la demande, la Cour a reçu des observations et des commentaires de la République du Aw,” de la République du Sénégal,® de la République du Gabon,° ainsi que de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.'° La Commission de l'Union africaine n’a pas soumis
27. La République du Aw a affirmé son avis favorable" sur toutes les questions soulevées par le Comité tel qu’énoncées au paragraphe 8 ci-dessus.
28. À cet égard, la République du Aw affirme que :
« le Comité a qualité pour saisir la Cour d’une demande d'avis consultatif en vertu de l’article 4(1) du Protocole et la Cour est compétente pour donner un avis sur toute question juridique relative à la Charte ;
« le Comité est une organisation non gouvernementale au sens de l’article 5(1)(e) du Protocole et est de ce fait habilité à introduire des affaires devant la Cour ;
« Le Comité devrait être habilitée à saisir la Cour de toute affaire concernant les violations graves des droits de l'enfant conformément à l’objet et au but du Protocole ».
29. La République du Sénégal a affirmé que : « conformément à l’article 32 de la Charte de l'Enfant, le Comité est une organisation reconnue par l'Union africaine et qu’il a qualité pour demander un avis consultatif en vertu de l’article 4(1)"?... La demande introduite par le Comité est conforme à l’article 68(1) du Règlement intérieur de la Cour car il porte sur une question purement juridique ». La République du Sénégal soutient en outre que « le Comité africain des experts sur les droits et le bien-être de l’enfant est bien fondé à saisir la Cour sur toute question dont celle-ci a compétence ; le Comité africain d'expert sur le droit et le bien-être de l'enfant est une organisation intergouvernementale ; la Cour devrait se conformer au pouvoir d’interprétation qui lui a été conférée par l’article 3 du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ; la saisine de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples par la Comité d’expert sur les droits et le bien-être de l'Enfant est bien en accord avec l'objectif et le but du Protocole ».
30. Pour sa part, la République du Gabon a affirmé qu’ « au terme de l'examen de l’ensemble des dispositions soulevées à l’appui de la demande du Comité, les principes généraux qui gouvernent la procédure contentieuse, juridictionnelle et quasi-juridictionnelle en matière des droits de l’homme, notamment ceux élaborés dans le cadre
8 No 02927/MJ/DDH/MMS.
10 Ref:AfCHPR/Reg./ADV./002/2013/018.
11 MFA.AU 16/38, paragraphe 1.
12 No 02927/MJ/DDH/MMS, page 2.
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des instruments pertinents africains en la matière, du champ de compétence de la Cour et du Comité, le Ministère est d'avis que le Comité est, d’une part, habilité à adresser à la CADHP, des demandes d'avis consultatif à l’instar de celle en cours d'examen » ; et que « le Comité, d’autre part, est habilité à revêtir le statut d'organisation intergouvernemental africain et ainsi, à saisir la CADHP pour demander réparation de toute violation des droits de l'Enfant ».
31. La Commission africaine quant à elle a apporté une réponse globale à toutes les questions soulevées dans la demande d’avis consultatif. Elle a exprimé l’opinion selon laquelle le Comité pourrait être considéré comme une organisation africaine, et non pas un organe de l’Union africaine, au sens de l’article 4(1) du Protocole. En outre, la Commission a affirmé que « le Comité ne devrait pas être considéré comme organisation intergouvernementale au sens de l’article 5(1) du Protocole ». La Commission a néanmoins laissé à la Cour le soin d'apprécier toutes les questions soulevées dans la demande.
32. Elle a en outre conclu ses observations en affirmant que le Comité était habilité à demander un avis consultatif en tant qu’« organisation africaine », mais non en tant qu’organe de l’Union, au sens de l’article 4(1) du Protocole.'* S'agissant de l’article 5(1) du Protocole,‘ la Commission a exprimé l’avis que le Comité ne doit pas être considéré comme une « organisation intergouvernementale ». Néanmoins, la Commission a laissé toutes ces questions à l'appréciation de la Cour.
V. Compétence de la Cour
33. En application des dispositions de l’article 4(1) du Protocole, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme, à condition que l’objet de l’avis consultatif ne se rapporte pas à une question pendante devant la Commission.
34. L'article 68(1) du Règlement intérieur de la Cour dispose que « [C]onformément à l’article 4 du Protocole, des demandes d’avis consultatifs peuvent être adressées à la Cour par un Etat membre, par l’Union africaine, par tout organe de l’Union africaine ou par une organisation africaine reconnue par l’Union africaine. Ces demandes doivent porter sur des questions juridiques et indiquer avec précision les points spécifiques sur lesquels l’avis de la Cour est requis ». En outre, l’alinéa 2 exige que « [T]Joute demande d'avis consultatif précisera les dispositions de la Charte ou de tout instrument international relatif aux droits de l'homme à propos desquelles l’avis est demandé, les circonstances à l’origine de la demande, ainsi que les noms et adresses des représentants des entités ayant introduit la demande ».
35. Dans la demande en l'espèce, les auteurs ont sollicité une interprétation du Protocole, pour savoir si le Comité est habilité à
13 Ref.: AfCHPR/Reg./ADV./002/2013/018, P. 3.1 ; P.13, par. 3.30.
14 Ibid, pages 4 à 9, par. 3.5, 3.8 à 3.18, page 11, para 14 à 18, para 3.34, 3.35 et 3.37 à 3.42.
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755 761
demander un avis consultatif à la Cour et à saisir celle-ci de quelque requête en vertu des articles 4 et 5 du Protocole.
36. Au regard de la nature de la demande, et compte tenu du fait que l’une des questions à trancher porte précisément sur la compétence personnelle de la Cour, à savoir si le Comité est l’une des entités habilités à la saisir en vertu des article 4(2) du Protocole et 68(2) du Règlement intérieur, la Cour ne doit pas examiner la question à ce stade car celle-ci sera abordée en même temps que le fond de la demande.
37. En ce qui concerne sa compétence matérielle, la Cour doit examiner si la demande porte sur des questions juridiques portant sur les droits de l'homme et elle est convaincue que c’est effectivement le cas.
38. La Cour estime que compte tenu de la nature de la demande qui ne porte pas sur une appréciation des faits, il n’y a lieu d’examiner ni la compétence temporelle ni la compétence territoriale.
39. En vertu de l’article 4(1) du Protocole, la Cour « peut donner » un avis consultatif, elle use donc de sa discrétion pour donner ou non un avis consultatif sur la demande en l’espèce. Après avoir examiné ce point, la Cour estime qu'il n’existe aucune raison impérative pour qu’elle ne donne pas un tel avis.
40. Bien que la Cour ait consacré cette partie à l'examen de sa compétence, elle ne saurait ignorer que d’autres questions relatives à la substance de la demande doivent être examinées.
41. Aux termes des articles 4(2) du Protocole et 68(2) du Règlement de la Cour, et comme souligné plus haut, la Cour statue sur la recevabilité de la demande en tenant compte des critères de recevabilité additionnels ci-dessous énoncés dans ces deux articles :
ii la demande doit indiquer avec précision les points spécifiques sur lesquels l’avis de la Cour est requis ;
i. la demande doit préciser les dispositions de la Charte ou de tout instrument international relatif aux droits de l’homme à propos desquelles l’avis est demandé ;
iii. la demande doit préciser les circonstances à l’origine de la demande ; iv. la demande doit préciser les noms et adresses des représentants des entités ayant introduit la demande.
42. Ayant examiné la demande à la lumière des conditions de recevabilité ci-dessus, la Cour considère que ces conditions sont remplies.
VI. Recevabilité de la demande
43. Avant d'examiner une telle demande, la Cour est tenue de se conformer aux dispositions de l’article 68(3) de son Règlement intérieur relatif à la recevabilité, qui dispose que « [LJ'objet de la demande d’avis consultatif ne peut pas se rapporter à une requête pendante devant la Commission ». La Cour estime que la nature de la demande en l'espèce est telle qu’il ne peut y avoir une affaire similaire en instance devant la Commission. En tout état de cause, par lettre datée du 19
762 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
mars 2014, la Commission avait elle-même confirmé que la question n’était pas pendante devant elle.
44. La Cour va à présent statuer sur le fond de la demande.
VII. Le fond de la demande
A « Le Comité a-t-il qualité pour demander un avis consultatif à la Cour en vertu de l’article 4(1) du Protocole ? »
45. Sur la première question relative à la demande d’un avis consultatif, le Comité fait valoir qu’il fait partie des entités habilitées à adresser une demande d'avis consultatif à la Cour en vertu de l’article 4(1) du Protocole, et qu’il a qualité pour saisir la Cour en tant qu’organe créé et reconnu par l’UA et fonctionnant dans le cadre de celle-ci.
46. Le Comité soutient aussi que l'interprétation du sens ordinaire des dispositions d’un traité constitue un élément essentiel du droit international. À cet égard, le Comité se réfère à l’Avis consultatif [de la CIJ] sur la compétence de l'Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies. Dans cet avis, la CIJ a affirmé que :
« le premier devoir d’un tribunal, appelé à interpréter et à appliquer les dispositions d’un traité, est de s’efforcer de donner effet, selon leur sens naturel et ordinaire, à ces dispositions prises dans leur contexte. Si les mots pertinents, lorsqu'on leur attribue leur signification naturelle et ordinaire, ont un sens dans leur contexte, l'examen doit s'arrêter là ».15
47. Le Comité se réfère encore à l’article 32 de la Charte de l’enfant qui dispose que « il est créé un Comité africain sur les droits et le bien-être de l'Enfant, dans le cadre de l’organisation de l’unité africaine, chargé de la promotion et de la protection des droits de l'enfant ».
48. Le Comité fait valoir en outre que le libellé de l’article 32 de la Charte de l’enfant, dans son sens ordinaire et naturel et dans le contexte de la Charte, indique clairement que le Comité est un organe de l’UA créé dans le cadre de l'Union et que cette position a été réaffirmée en 2002 dans la Résolution de la Conférence de l’UA, qui prescrit que le Comité « fonctionner[ait] dorénavant dans le cadre de
49. En conséquence, le Comité soutient qu’en tant qu’organe de l'UA et agissant dans le cadre de celle-ci, il a qualité pour adresser une demande d'avis consultatif à la Cour, en vertu de l’article 4(1) du Protocole.
15 Recueil CIJ, 1950, 8.
16 AU Doc ASS/AU/Dec. 1(i)xi.
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755 763
B. Observations déposées par les États et les autres entités intéressées
50. Comme mentionné plus haut les États membres qui ont répondu à la demande en vue de soumettre des observations, à savoir le Aw, le Sénégal et le Gabon, ont tous appuyé la demande du Comité sur tous les points.
51. Dans les observations soumises par le Aw sur la demande comme indiqué plus haut, ce pays soutient que le Comité est habilité à saisir la Cour d’une demande d'avis consultatif en tant que « organisation africaine » et non en tant qu’organe de l'Union au sens de l’article 4(1) du Protocole.
Avis de la Cour sur cette question
52. L'article 4(1) du Protocole est libellé comme suit :
« À la demande d’un État membre de l’OUA, de tout organe de l’OUA ou d’une organisation africaine reconnue par l'OUA, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme, à condition que l’objet de l’avis consultatif ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Commission ».
53. De l’avis de la Cour, les dispositions de l’article 4(1) du Protocole font obligation à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si oui ou non le Comité est un organe de l'Union ou une organisation africaine reconnue par l'UA.
54. La Cour fait observer qu’en 2002, par décision n° AU/ASS/Dec.1 (i)(xi) adoptée à sa première session ordinaire, la Conférence de l’Union a décidé que « le Comité fonctionner[ait] dorénavant dans le cadre de l’Union africaine ». Cette décision doit être prise en compte dans l’examen du mandat spécifique du Comité et de sa nature, de la pratique effective dans les opérations du Comité, de son statut et de sa relation avec les organes politiques de l’'UA. La Cour fait encore observer que la Charte de l'enfant, qui porte création du Comité, a été adoptée sous l'égide et dans le cadre de l'Organisation panafricaine qui était alors l'OUA. Il y a lieu de noter que tous les Etats qui ont soumis des observations sur la demande ont exprimé l’avis selon lequel le Comité est un organe de l’Union.
55. La Cour est consciente du fait que le Comité est un organe spécialisé de l'UA dans le domaine des droits de l’enfant et qu’il est doté de tous les attributs d’un organe de l’'UA en ce qui concerne l'établissement de rapports, sa nature quasijudiciaire, ses procédures budgétaires ainsi que la manière dont il rend compte aux organes politiques. À cet égard, la Cour relève que le Comité a toujours été traité sur le même pied que tous les autres organes de l’UA, et qu’il a figuré à l’ordre du jour des réunions du Conseil exécutif et de la Conférence de l’Union, parmi les « organes de l’Union » officiellement reconnus par le Conseil exécutif et par la Conférence lorsqu'il s'agit de présenter et d'examiner les projets de budget et de rapports annuels. Les décisions prises par les organes politiques au sujet des rapports présentés par le Comité apparaissent aussi aux côtés de celles concernant les autres organes cités à l’article 5 de l’Acte constitutif.
764 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
56. Compte tenu de tous ces facteurs, la Cour est convaincue, même en l'absence d’une décision officielle de l’Union faisant du Comité un organe de l’Union, que les organes politiques de l’UA l’ont toujours traité comme tel. La Conférence de l'Union semble donc avoir interprété et appliqué sa décision de 2002 dans le sens que le Comité est un organe de l'Union.
57. La Cour est donc convaincue de ce que le Comité est un organe de l’Union et que la conséquence de ce constat est que le Comité a qualité pour demander un avis consultatif à la Cour en tant qu’organe de l’Union africaine, conformément à l’article 4(1) du Protocole.
C. « Le Comité est-il une organisation intergouver- nementale au sens de l’article 5(1)(e) du Protocole ? »
58. La Cour aborde à présent le deuxième volet de la demande, qui porte sur la saisine de la Cour par le Comité, en matière contentieuse, en vertu de l’article 5(1)(e) du Protocole.
59. La Cour estime que ce deuxième aspect de la demande du Comité se résume à la question de savoir si le Comité est une organisation intergouvernementale africaine, au sens de l'alinéa (e), paragraphe (1) de l’article 5 du Protocole. L'article 5(1) est libellé comme suit :
« 1. Ont qualité pour saisir la Cour
a) la Commission,
b) l’État partie qui a saisi la Commission,
c) l’État partie contre lequel une plainte a été introduite, d) l’État partie dont le ressortissant est victime d’une violation des droits de l'homme, e) les organisations intergouvernementales africaines ».
60. Selon le Comité, pour déterminer le sens de la notion d’ « organisation intergouvernementale africaine », il y a lieu de se référer à l’article 31(1) de la Convention de Vienne qui dispose qu’« [U]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».
61. Le Comité soutient aussi que pour déterminer le sens ordinaire d'une disposition de traité, la Cour peut recourir à des dictionnaires, comme l’a fait par le passé la Commission africaine.‘” Le Comité se fonde également sur la définition que donne l’Bm Br au terme « africain », à savoir « qui se rapporte à l’Afrique ou qui concerne l'Afrique »,'® et souligne que le Comité fait partie de l'organe de suivi du système africain des droits de l'homme au sein de l’Union africaine et, de ce fait, peut être qualifié d’ « africain ». Toujours selon le Comité,
17 Voir Interights et autres (Au nom de Av Bn AcAG c. Botswana 240/01, 2003 ; Ak Af c. Zimbabwe 308/05, 2008 ; ILesanmi c. Bd C, 2005 ; Anuak Justice Council/ Ethiopia 299/05, 2006 ; Zimbabwe Lawyers for Bh Ah Y Ar Am X Bq c. Zimbabwe 284/03, 2009 entre autres affaires où la Commission africaine a eu recours au Black's Law Br, au Bm Bi Br ainsi qu’au Bb At Br comme
18 Concise Bm Br, 10° édition, 1999.
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755 765
le caractère « africain » du Comité est aussi étayé par le fait que 41 Etats africains ont ratifié la Charte de l'enfant, qui est l'instrument constitutif du Comité. ‘° Le Comité soutient donc que ces éléments et bien d'autres sont suffisants pour lui conférer un caractère « africain ».
62. S'agissant de la notion de « organisation intergouvernementale », le Comité soutient qu’il en a les attributs tels qu’ils sont définis par Pevehouse,? à savoir :
« (1) une entité officiellement reconnue, (2) une entité composée d’jau moins trois] États souverains membres et (3) une entité dotée d’un secrétariat permanent ou tout autre symbole institutionnel comme un siège et un personnel permanent ».
63. Selon le Comité, la première composante de cette définition requiert que les organisations intergouvernementales soient créées en vertu d’un traité internationalement reconnu.? Ce qui est le cas du Comité, étant donné qu'il a été créé par la Charte de l'enfant, qui est un traité internationalement reconnu, ratifié par 41 Etats membres de l’Union africaine.
64. Le Comité soutient encore qu’il remplit de toute évidence la deuxième exigence dans la mesure où il est constitué de plus de deux Etats membres puisqu’il compte 11 membres issus de 11 pays différents. Il dispose aussi d’un secrétariat permanent qui est basé en Ethiopie.
65. Au vu de ce qui précède, le Comité affirme qu'il remplit les conditions requises pour être une organisation intergouvernementale africaine et qu’il a, de ce fait, qualité pour saisir la Cour.
66. Dans les observations soumises par le Aw sur la demande comme indiqué plus haut, ce pays soutient que « le Comité devrait être habilité à saisir la Cour de toutes les affaires portant sur des violations graves des droits des enfants, conformément à l’objet et au but du Protocole portant création de la Cour, qui sont de renforcer le système africain des droits de l'homme ». Pour sa part, le Sénégal a exprimé l’avis que le Comité est une organisation intergouvernementale. De son côté, le Gabon a indiqué que « le Comité. est habilité pour demander réparation de toute violation des droits de l'enfant ».
67. Pour la Commission africaine, le sens naturel et ordinaire de l’expression « organisation intergouvernementale » est le suivant : une entité créée par traité, constituée d’au moins deux « organisations gouvernementales internationales », ou « entre ou parmi plusieurs gouvernements ». Le terme « intergouvernemental » s'entend donc d’entités dont la qualité de membre est exclusivement ou principalement réservée à des Etats. Ces organisations auraient
19 mhttp://Www.achrp.ordinstruments/childi (consulté le 29 mars 2013).
20 Pevehouse et consorts, intergovernmental organisations 1875-2000 : A new correlates of war data set, 2003, 2.
21 Voir supra.
22 L'ouvrage scientifique de F. Bv, Ba Bh Ah As in Africa, 2012, 434, peut étayer cette position.
766 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
généralement aussi des représentants des États, chargés de la gestion des affaires de l’organisation.
68. La Cour relève que l’article 5(1) du Protocole dresse une liste des entités habilitées à la saisir d’une « requête ». Fait à noter, toutes les entités ayant qualité pour solliciter un avis consultatif devant la Cour ne sont pas habilitées à saisir celleci d’une requête. Par exemple, même si les organes de l'UA sont habilités à demander un avis consultatif à la Cour en vertu de l’article 4(1), ils n’ont pas qualité pour saisir la Cour d'une requête en vertu de l’article 5 du Protocole. La Commission est le seul organe qui y est expressément cité parmi les entités habilitées à saisir directement la Cour.
69. La Cour fait en outre observer que le Comité n'est pas mentionné à l’article 5(1) du Protocole, même s'il est vrai que la Charte de l'enfant avait déjà été adoptée au moment de l'adoption du Protocole en 1998. Bien que la Charte soit entrée en vigueur en 1999, soit un an après l'adoption du Protocole, le Comité est réputé avoir été créé par son instrument constitutif de 1990% et qu’il aurait donc pu être mentionné comme la Commission africaine, parmi les entités ayant qualité pour saisir directement la Cour en vertu de l’article 5(1) du Protocole.
70. N’ayant pas été mentionné parmi les entités citées à l’article 5(1) du Protocole portant création de la Cour, la seule possibilité qui restait au Comité pour saisir la Cour d’une requête est d’être qualifié par la Cour d'organisation intergouvernementale au sens de l’article 5(1)(e). Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur le sens de la notion de « Organisation intergouvernementale africaine » telle qu’elle est utilisée à l’article 5(1)(e) du Protocole. Comme souligné plus haut, le Comité est un « organe de l’Union » et est, de ce fait, « africain ». La seule expression qui reste à interpréter est celle d’ « organisation intergouvernementale ».
71. La Convention de Vienne sur le droit des traités entre les États, entre les Etats et les organisations internationales, ou entre les organisations internationales, adoptée à Vienne le 21 mars 1986, ne définit pas le terme « intergouvernemental » et elle ne précise pas non plus les attributs ou les caractéristiques d’une organisation intergouvernementale. Toutefois, la Convention définit l'expression organisation internationale comme étant une « organisation
72. Selon l’Encyclopedia of Public International Law, une organisation intergouvernementale est définie comme étant « une association d'Etats, établie en vertu et sur la base d'un traité, qui vise un objectif
23 La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant fut adoptée le 11 juillet 1990, tandis que le Protocole portant création de la Cour a été adopté le 9 juin 1998. 24 Protocole portant création de la Cour, article 5(1)(a).
24 Protocole portant création de la Cour, article 5(1)(a).
25 Article 2(1)(0).
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commun et qui est dotée de ses propres organes spécialisés pour exercer des fonctions spécifiques au sein de l’organisation ». [Traduction]
73. Aux termes des articles 32 et 33 de la Charte de l'enfant, le Comité est composé de 11 membres experts, désignés et élus par les Etats à titre individuel et qui siègent à titre personnel après leur élection. Les membres du Comité ne sauraient donc être considérés comme étant des représentants des Etats ce de l’avis de la Cour, constitue un élément crucial pour déterminer ; qui, si une entité est une organisation « intergouvernementale » ou non. De toute évidence, les Etats n'ont pas de représentants chargés de la gestion des affaires du Comité. En tout état de cause, même s'ils en avaient, le Comité ne pourrait toujours pas être considéré comme une organisation intergouvernementale.
74. Pour qu’il puisse saisir la Cour de quelque requête en vertu de l’article 5 du Protocole dans son libellé actuel, le Comité devrait être expressément ajouté à la liste des entités habilitées à introduire des requêtes devant la Cour, ou alors le Comité devrait être qualifié d'organisation intergouvernementale. Ainsi, même si la Charte de l'enfant dont il est issu soit constituée d'Etats en tant que « parties », le Comité, en tant qu’organe ou institution, n’est pas intergouvernemental dans la mesure où il n’est pas composé de représentants des Etats. En outre, de l’avis de la Cour, un organe ne peut pas en même temps se prévaloir de la qualité d'organisation internationale étant donné qu’il faudrait que l’organe soit normalement partie d’une organisation, tandis que celle-ci existe par elle-même. En conséquence, le Comité ne peut pas saisir la Cour de cas de violations des droits de l'homme ou de l'enfant en vertu de l’article 5(1)(e) du Protocole en qualité
75. La Cour estime cependant qu’il est souhaitable, dans l'intérêt de la protection des droits de l'homme sur le continent, que le mandat du Comité soit renforcé au même titre que celui de la Commission africaine est renforcé dans sa relation de complémentarité avec la Cour. En effet, il n’y a manifestement aucune raison imaginable qui justifie que le Comité n’ait pas été mentionné à l’article 5(1) du Protocole, parmi les organes habilités à saisir la Cour, afin de renforcer ses prérogatives comme cela a été le cas pour la Commission africaine dans sa relation avec la Cour. Il y a lieu de noter que cette omission apparente a été corrigée et remédiée par la suite à l’article 30(c) du Protocole relatif au Statut de la Cour de justice et des droits de l’homme, adopté en 2008 par la Conférence de l'Union à Bc Z Aj AJBkAG, qui confère au Comité qualité pour saisir directement la Cour.
26 Cette définition suppose que l’organisation intergouvernementale créée d’autres organes ou institutions pour assurer l'atteinte de ses objectifs. L'UA par exemple a créé plusieurs institutions et organes, dont le Comité, pour assurer l'atteinte des objectifs de l'Union.
27 M Ab, African courts and the African Commission on Human and Peoples” Rights, 251. Disponible à l'adresse http://Wwww.kas.de/upload/auslands homepages inantibia/Human Rights in Africa/8 Hansungule.pdf (consulté le 28 mars 2013).
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76. La Cour fait observer que le mandat du Comité et celui de la Commission africaine sont largement similaires au regard de leurs traités constitutifs respectifs, la différence étant que le premier est spécifiquement consacré aux droits et au bienêtre de l’enfant. Toutefois, la Cour conclut qu’elle a les mains liées par le Protocole car elle ne peut pas accorder au Comité la qualité pour saisir la Cour qui ne lui a pas été conférée par son acte constitutif (la Charte africaine de l'enfant) et par le Protocole.
77. Étant donné que les troisième et quatrième volets de la demande du Comité sont liés en ce sens qu’ils se fondent tous sur l'argument selon lequel le meilleur outil d'interprétation d’un instrument juridique est une interprétation téléologique, la Cour va examiner les deux volets ensemble. Il s'agit de savoir :
c) « si l’article 5(1)(e) doit être interprété à la lumière des mandats de la Cour africaine et du Comité ;
d) si la qualité du Comité devant la Cour en vertu de l’article 5(1) (e) du Protocole est conforme à l’objet et au but visé par le Protocole ».
78. En vertu de l’article 3 du Protocole, la Cour a compétence pour « connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés ».
79. Selon le Comité, la Charte africaine de l’enfant, en tant qu’instrument adopté dans le cadre du système africain des droits de l'homme, est visée par la disposition « tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés » et elle relève, de ce fait, de la compétence de la Cour en la matière. Le Comité soutient que ce serait trahir le but visé par le Protocole que de refuser au Comité le droit de la saisir, alors que celui-ci constitue le principal organe de suivi de l'application de la Charte de l'enfant qui confère compétence à la Cour en la matière. Le Comité soutient en outre que pour lui permettre d’exercer son mandat de manière efficace, il devrait être habilité à saisir la Cour de cas portant sur des violations graves des droits des enfants.
80. Le Comité souhaite également attirer l’attention de la Cour sur l’article 42 de la Charte de l'enfant qui confère au Comité la mission de promotion et de protection des droits inscrits dans la Charte de l’enfant, confirmant ainsi le mandat de protection du Comité, ce qui lui permet d'assumer un rôle quasi-judiciaire, notamment lorsqu’il examine des communications individuelles. Le Comité affirme encore que la Cour a pour mission de renforcer le mandat de protection de la Commission africaine et par voie de conséquence, le système africain des droits de l’homme en général, y compris le Comité.
81. En référence au bien-fondé de la création de la Cour comme l’énonce le préambule du Protocole, à savoir « renforcer l'efficacité de la Commission [africaine) », le Comité rappelle qu’il est confronté aux mêmes difficultés que celles auxquelles fait face la Commission
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africaine depuis des années dans l'exercice de son mandat de protection des droits de l’homme. Il s’agit notamment du non-respect de ses résolutions, du fait de leur caractère non-contraignant, de l’absence de recours efficaces, de la faiblesse institutionnelle et du manque de ressources humaines et financières.’ Le Comité soutient donc que la Cour peut jouer un rôle de complémentarité et de renfort en matière d'arbitrage aussi bien vis-à-vis de la Commission africaine que du Comité, et remédier aux insuffisances de ces deux organes.3! 82. À la lumière de ces considérations, le Comité conclut que l’un des objectifs essentiels du Protocole est de créer un cadre institutionnel de complémentarité entre la Cour, la Commission africaine et le Comité. Le Comité estime également qu’en raison de leurs mandats respectifs, il devrait pouvoir saisir la Cour africaine en tant qu’organe quasi- judiciaire dont les recommandations ne sont pas contraignantes.
83. De l’avis de la Commission, « l’article 5 du Protocole n’a pas d’autre objectif que d’énoncer les organes ayant qualité pour introduire des requêtes devant la Cour. Plus précisément, l’article 5(1)(e) du Protocole a pour but d'habiliter les « organisations intergouverne- mentales africaines » à saisir la Cour. Il existe de nombreux organes qui, au cas où ils venaient à être habilités à saisir la Cour, contribueraient à atteindre les buts et les objectifs généraux de protection des droits de l'homme et des peuples. Toutefois, les buts et objectifs généraux de protection des droits de l'homme et des peuples ne précisent pas qui peut saisir la Cour. En définitive, les organes habilités à introduire des requêtes devant la Cour sont énumérés par l'instrument juridique pertinent. À cet égard, l’article 5 du Protocole portant création de la Cour précise les entités qui ont qualité pour saisir la Cour. Le Comité n’est pas visé à l’article 5(1)(a) à (d), et il n’est pas non plus une « organisation intergouvernementale » au sens de l’article 5(e) du Protocole ».
84. À l’appui du deuxième volet (d) de sa demande, le Comité affirme que, concernant l'interprétation des dispositions d’un traité, la ClJ, dans son « Avis consultatif sur la compétence de l'Assemblée générale pour l'admission d’un Etat aux Nations Unies »,°° a affirmé que les traités
28 M. Ab, African courts and the African Commission on Human and Peoples’ Rights, p. 251, disponible sur le site http://Wwww.kas.de/upload/auslandshomepages inantibia/Human Rights in Africa/8 Hansungule.pdf, visité le 28 mars 2013.
29 F. Viljoen, supra, p. 416, A Az, Information note of the first meeting of A AH X Bh and Peoples’ Rights, disponible sur le site www.africanunionorg/hackground document on the A AH, visité le 4 avril 2013.
30 S. T. Aq, Towards a positive application of complementarity in the A Bh Ah By: issues of functions and relations, 2011, n° 22, The Bj Au of International Law, p. 672 ; D. M. Bw, The merits and demerits of the A Bu on the Rights and Welfare of the Child, 2002, n°10, The Ba Au on Children's Rights, p. 170.
31 Aq, supra, p. 672
32 D. Bl, Access to the A AH on Human and Peoples’ Rights: À Case of the Poacher turned gamekeeper, http1/papers,ssrn.com/so13/papers.cfm?Abstract_id- 1391482 visité le 6 mars 2013.
33 Rapports CIJ, 1950, 8.
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doivent être interprétés « à la lumière de leur objet et de leur but ». Selon le Comité, cette position est encore réaffirmée par l’article 31 de la Convention de Vienne, qui dispose, de manière expresse que les termes d’un traité doivent être interprétés à la lumière de l’objet et du but du traité, ajoutant que l’un des objectifs primordiaux du Protocole, comme le mentionne son préambule, est la promotion et la protection des droits de l'homme en Afrique. *
85. Le Comité cite encore l’article 4(1) de la Charte de l'enfant qui prescrit que « [DJans toute action concernant un enfant, entreprise par une quelconque personne ou autorité, l'intérêt supérieur de l'enfant sera la considération primordiale ». Le Comité cite également le Comité des Nations Unies des droits de l'enfant dans son Observation générale n° 5 de 20035 qui est libellé comme suit :
« Chaque institution ou organe législatif, administratif ou judiciaire est tenu de se conformer au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant en se demandant systématiquement comment les droits et les intérêts de l’enfant seront affectés par ses décisions et ses actes ».
86. Le Comité propose aussi que la Cour tienne également compte de la décision rendue par le Comité lui-même dans la Communication Institute for Bh Ah and Development in Africa et Ao Aa Justice Initiative (au nom d'enfants d’ascendance nubienne au Aw) c. Aw,® dans laquelle le Comité a affirmé que l’intérêt supérieur de l'enfant doit, dans certaines circonstances, primer sur les exigences techniques susceptibles d’entraver l’accès aux juridictions en faveur des enfants. Car « il ne peut être de l'intérêt supérieur [des enfants] de les laisser dans des limbes juridiques ».°” Le Comité cite également en référence la Cour suprême d’Angleterre qui a affirmé dans l'affaire ZH Ae AI Ai of State for Home Department® que « lorsque l'intérêt supérieur de l'enfant commende clairement de suivre une certaine voie d'action, cette voie doit être privilégiée » [traduction).
87. Le Comité exhorte la Cour à s'approprier le raisonnement ci-dessus et d’en tirer la conclusion la plus favorable à l'intérêt supérieur de l'enfant, et d’ajouter le Comité parmi les organes ayant qualité pour saisir la Cour, garantissant ainsi la promotion et la protection des droits et du bien-être de l'enfant. Le Comité est persuadé que cette interprétation est conforme à l’objectif du Protocole, à savoir la complémentarité des mécanismes de protection quasi-judiciaires existants, à l’instar du Comité.
88. Le Comité fait encore valoir que l’objet et le but des traités en matière des droits de l’homme ainsi que l'exigence d'efficacité nécessitent une interprétation large des dispositions des traités afin d'aboutir à une solution qui soit la plus favorable à la protection des
34 Par. 3 et 7 du préambule du Protocole portant création de la Cour africaine.
35 Mesures générales de mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant (articles 4, 42 et 44, par. 6).
36 Communication no Com/002/2009 (2011).
37 Voir par. 29 de la communication ci-dessus.
38 2011 UK SC 4.
39 F Viljoen supra, 407.
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755 771
droits inscrits dans le traité.4° Par ailleurs, l’article 5 du Protocole devrait être interprété de manière téléologique afin de permettre l’accès à la Cour au plus grand nombre d’entités. Une telle interprétation serait conforme à la principale raison d’être du droit international humanitaire en général et de la Cour en particulier, à savoir la promotion et la protection des droits de l'homme.“ De plus, une interprétation d'ensemble, à la lumière de l’objet et du but du Protocole, constituerait également un appui aux efforts visant à internationaliser les droits de l’homme et mettre en place un système complémentaire des droits de l’homme sur le plan régional.4
89. Toujours selon le Comité, l’article 5(1)(e) du Protocole portant création de la Cour devrait donc être interprété dans son ensemble pour ajouter le Comité aux organes ayant qualité pour saisir la Cour. Le Comité précise que l'intention d'accorder ce droit au Comité est corroborée par l’article 30(c) du Protocole relatif au Statut de Cour africaine de justice et des droits de l'homme qui reconnaît au Comité le droit de saisir directement la Cour. Il convient donc d’interpréter les dispositions du Protocole dans l’esprit de ce contexte évolutif.
90. Le Comité soutient également qu’une lecture téléologique de l’article 5(1)(e) du Protocole à la lumière de l’article 4(1) de la Charte africaine de l'enfant conduit à la conclusion que le Comité a qualité pour saisir la Cour africaine d’une requête. Cette approche, ajoute le Comité, refléterait l’objet et le but du Protocole, qui est de renforcer le système africain des droits de l'homme.“
91. Dans ses observations sur ce volet de la demande, la Commission fait observer tout d’abord, que le libellé de cette question « laisse supposer que le Comité est une ‘organisation intergouvernementale africaine’ ». Elle ajoute que « même si le Comité est une organisation africaine, la Commission est d’avis qu’il n’est pas pour autant une organisation « intergouvernementale ». La Commission affirme en outre que même si le Comité est un organe conventionnel africain, il n’est pas pour autant une organisation « intergouvernementale ».“ Comme nous l’avons expliqué plus haut, il s'agit simplement d’un organe créé par traité, au même titre que la Commission qui a dû être expressément mentionnée dans le Protocole, du fait qu’elle n’est également pas non plus une organisation « intergouvernementale ».
40 M. Bg, Interpreting regional Bh Ah Bp, file///C:/Users/OWNER/ Desktop/clinicals/getArtigo13.php.htm (visité le 9 mars 2013).
41 D. Bl, Access to the A AH on Human and Peoples’ Rights: A Case of the Poacher turned gamekeeper, disponible sur le site http://papers.ssrn.com/so13/ papers.cfm?abstract id=1391482, consulté le 9 mars 2013. 42.
43 Viljoen, voir supra, p. 407.
44 Par exemple, la Commission intergouvernementale des droits de l'homme de l’'ANASE (CIDHA) a été créée en vertu de l'article 14 de la Charte de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Charte de l'ANASE). La CIDHA est, comme son nom l'indique, une organisation « internationale. » Elle est composée (pays membres) « des pays membres de l'ANASE », tel que prescrit à l’article 5(1) des Termes de référence de la Commission des droits de l'homme de l'ANASE.
772 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
92. La Cour reconnait que la théorie ou présomption téléologique est l’un des outils (peut-être le plus important) d'interprétation d’un instrument juridique dans le but de déterminer si un statut s'applique à une circonstance particulière, et si oui, quelles en sont les conséquences. La Cour est aussi consciente de la tendance générale à utiliser l'approche téléologique au détriment d’autres approches qui préconisent de rechercher d’abord le sens littéral, et d'adopter ensuite l'approche « dorée » (toujours en privilégiant le sens ordinaire, mais avec une légère modification pour éviter l'absurde). Enfin, si un résultat satisfaisant n’est toujours pas obtenu, on peut alors recourir à l'approche téléologique, qui consiste à donner l'interprétation qui permettrait le mieux d'atteindre le but de l’action. ‘
93. La Cour rappelle d'emblée que même si le Comité n’a pas été cité parmi les organes habilités à saisir la Cour en vertu de l’article 5(1) du Protocole, il a par la suite été expressément autorisé à le faire dans le Protocole de 2008, portant fusion entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de justice pour donner naissance à la Cour africaine de justice et des droits de l'homme.
94. La Cour fait en outre observer que cette décision des organes politiques confirme d’une part l’avis de la Cour, à savoir qu’il est hautement souhaitable que le Comité soit habilité à saisir la Cour et d'autre part que l’omission initiale de mentionner le Comité dans le Protocole n’était pas intentionnelle.
95. La Cour est convaincue du bien-fondé de l’argument selon lequel l'intérêt supérieur de l'enfant est primordial. La Cour est également convaincue, comme l’a fait valoir le Comité dans l’affaire des enfants nubiens mentionnée plus haut, que l’intérêt supérieur de l'enfant devrait, dans certaines circonstances, primer sur les considérations techniques susceptibles d’entraver l’accès aux institutions judiciaires, en faveur des enfants.
96. De l’avis de la Cour, s'agit là d'arguments bien fondés mais qui s'applique à un grand nombre d’affaires spécifiques et au fond des requêtes pendantes devant la Cour et relatives aux droits de l’enfant. En effet, l'approche de la Cour a toujours été de s'assurer que toutes ses décisions sont fondées sur l'objectif primordial, qui est de promouvoir "homme. sa saisine afin de garantir la protection des droits de
97. La Cour est consciente que la Charte de l’enfant, en tant qu’instrument adopté dans le cadre du système africain des droits de l’homme, est visée par la disposition « tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés ». La Cour relève également que le Comité est le principal organe de suivi de l’application de la Charte de l'enfant qui confère compétence à la Cour, et que la possibilité de saisir la Cour permettrait au Comité de remplir
45 Ag Bs, Purposive Interpretation in Law, Bf Bo Ax, 2005. Voir aussi John F. Ay, Ad Be An Al Ap, 74 Fordham L Rev. 2009 (2006), disponible sur le site http://ir.lawnet.fordham.edu/
CAEDBE (avis consultatif) (2014) 1 RICA 755773
plus efficacement son mandat concernant les violations graves des droits de l’enfant.
98. Toutefois, la Cour n’est pas convaincue qu’une interprétation téléologique puisse se substituer au caractère clair et sans équivoque des intentions du législateur, qui peuvent être perçues à partir du sens naturel et ordinaire du texte en question. En l'espèce, la Cour estime que le sens du texte est clair et sans équivoque quant aux entités qui peuvent saisir la Cour en vertu de l’article 5 du Protocole. En effet, un principe de droit bien connu prescrit que lorsqu’une liste exhaustive est fournie dans un traité, elle ne peut pas être interprétée pour y insérer une entité qui n’y est pas mentionnée, même si celle-ci est dotée des mêmes attributs que les entités citées.
99. En l’espèce, la Cour ne peut donc se substituer au législateur ni en assumer les fonctions, alors que les intentions de celui-ci sont claires et sans équivoque.
100. Par ces motifs, À l’unanimité
1. Dit qu’elle a compétence pour donner l’avis consultatif demandé.
2. Décide que la demande d’avis consultatif est recevable.
3. Statue de la manière suivante à la question posée par le Comité. i. Le Comité est un organe de l’Union africaine, et a qualité pour demander un avis consultatif à la Cour, en vertu de l’article 4(1) du Protocole.
ii. Le Comité n’est pas une organisation intergouvernementale au sens de l’article 5(1) du Protocole.
iii. La Cour est d'avis que le Comité devrait être habilité à saisir directement la Cour en vertu de l’article 5(1) du Protocole.
4. Aucune ordonnance n’est rendue concernant les frais de la procédure.