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28/03/2014 | CADHP | N°RANDOM697982892

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 mars 2014, RANDOM697982892


Texte (pseudonymisé)
Aw et autres c.
Ap An Aw et autres c.
1 RJCA 371

Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 371 371
Tanzanie (recevabilité) (2014)

Ap An Aw et autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 mars 2014. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges : AKUFFO, NGOEPE, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA,
THOMPSON, ORÉ, GUISSE, KIOKO et ABA
Affaire concernant le non-paiement des pensions et d’indemnités de
départ aux anciens employés après la dissolution de la Communauté de
l’Afrique de l'Est. La Cour a déclaré la requête

irrecevable pour non
épuisement des voies de recours internes.
Compétence (pas besoin de préciser les dispo...

Aw et autres c.
Ap An Aw et autres c.
1 RJCA 371

Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 371 371
Tanzanie (recevabilité) (2014)

Ap An Aw et autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 mars 2014. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges : AKUFFO, NGOEPE, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA,
THOMPSON, ORÉ, GUISSE, KIOKO et ABA
Affaire concernant le non-paiement des pensions et d’indemnités de
départ aux anciens employés après la dissolution de la Communauté de
l’Afrique de l'Est. La Cour a déclaré la requête irrecevable pour non
épuisement des voies de recours internes.
Compétence (pas besoin de préciser les dispositions du Traité dont la
violation est alléguée, 74)
Recevabilité (non-épuisement des voies de recours internes, 127-130)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (compétence temporelle, 21, 22)
I Objet de la requête
1. La Cour a été saisie de cette affaire par lettre en date du 27 janvier 2012 et par requête datée du 27 janvier 2012, signées de M. Aj Ag pour le compte d’un groupe d'ex-employés de la Communauté de l'Afrique de l’Est (CAE), (« les requérants ») contre la République- Unie de Tanzanie (« le défendeur »).
A Les parties
2. Les requérants sont tous des ressortissants de l’État défendeur. Durant la procédure en l’espèce, la Cour a modifié le titre de la requête et a remplacé At Am et autres par Ap An Aw et autres. 3. Le défendeur est partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée «la Charte ») ainsi qu’au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuple portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé «le Protocole »). Par ailleurs, le défendeur a fait la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, acceptant d’être attrait devant la Cour africaine par des individus et par les ONG dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Commission »).

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4. À sa vingt-septième session ordinaire, la Cour a décidé d’amender le titre de la requête en remplaçant l’Attorney général par la République-Unie de Tanzanie comme défendeur, car l’Attorney général avait été initialement cité par les requérants comme défendeur. (Voir paragraphe 35 ci-dessous)
B Les faits selon les requérants
5. Selon la requête, le 17 mai 1984, suite à la dissolution de la Communauté de l’Afrique de l'Est (EAC), les Présidents tanzanien, ougandais et kényan ont signé un Accord de médiation, ordonnant notamment le paiement de réparations liées à l’actif et au passif de l’EAC ainsi que le paiement des pensions et des allocations de ses ex- employés.
6. Les requérants allèguent qu’en 2003, face à l'inexécution de ses engagements par le Gouvernement tanzanien, ils ont saisi la Haute Cour de Tanzanie mais, le 20 septembre 2005, ils ont retiré l'affaire après avoir conclu avec le défendeur un règlement amiable, scellé par décision judicaire.
7. Les requérants ajoutent qu’ils ont rejeté cet accord à l’amiable car il n’avait pas été entièrement respecté par le défendeur.
8. Ils soutiennent également que la Haute Cour, qui avait été saisie après le rejet de l'accord à l’amiable a constaté qu’il y avait deux groupes de requérants et a demandé à chaque groupe de préparer un état de paiement. Ces deux états devaient par la suite être additionnés pour obtenir un seul montant, ce qui a été fait. À cet effet, les avocats des deux parties ont préparé une déclaration commune avant d'aborder les autres mesures.
9. Le Juge Président de la Haute Cour a réparti les ex-employés au nombre de 5598 sur deux listes distinctes dénommées liste 3A et liste 3A1. Le requérants font partie de la liste 3A1.
10. Ceux-ci indiquent qu’à la Haute Cour, le défendeur a contesté les états de paiement soumis par les deux groupes, arguant du fait que les montants indiqués avaient déjà été réglés. Ils affirment que leur conseil a réfuté ces allégations en relevant que seules les primes de transport avaient été payées et non toutes les quinze (15) rubriques de l’Acte de règlement. Ils font observer que le défendeur n’a pas pu fournir la preuve des paiements qu'il aurait effectués.
11. Selon les requérants, le Juge Président, Mwaikugile, s’est récusé plus tard et un nouveau Juge a été désigné pour instruire l'affaire et statuer sur la possibilité de délivrer aux requérants un certificat de paiement pour les montants qu’ils devraient percevoir du défendeur. Ils ajoutent qu’en décembre 2010, le Juge Utamwa de la Haute Cour a rejeté l'affaire à l'issue d’un procès expéditif, au motif que la requête était irrecevable entachée de vices.
12. En raison de la tension suscitée par cette affaire sur le plan national, la Cour d’appel de la Tanzanie, conformément à l’article 4(3) de la loi sur la compétence des juridictions d’appel, cap 141 R.E. 2002 s’est saisie de l'affaire et a rendu une décision dans laquelle elle a déclaré que la Haute Cour avait été valablement saisie pour délivrer

Aw et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 371 373
l'attestation demandée et a ordonné que cette affaire soit instruite à nouveau et tranchée par un autre Juge de la Haute Cour.
13. Toujours selon les requérants, l'affaire a été confiée au Juge Fauz Twaib. Ils soutiennent que lorsqu'ils ont comparu devant ce Juge, leurs co-requérants de la liste 3A ont invoqué un moyen de défense différent du leur. En effet, poursuivent-ils, ceux-ci ont présenté un nouvel état de paiement avec un montant plus élevé et ont demandé au Juge de le substituer à celui qui avait été pris en compte par les Juges de la Cour
14. Dans son Jugement en date du 23 mai 2011, le Juge Fauz Twaib de la Haute Cour a rejeté leur requête dans son entièreté au motif qu’il n’y avait pas de montant en souffrance.
15. Les requérants ajoutent que suite à cette décision, ils ont quitté la salle d'audience en colère mais sont restés devant le Palais de justice. Ils ont ensuite envoyé leurs représentants auprès du Président de la Cour suprême de Tanzanie pour s'enquérir de leur sort.
16. Selon les requérants, pendant qu’ils attendaient une réponse, le Gouvernement a envoyé la force d'élite de la Police tanzanienne qui serait alors intervenue pour les disperser. Des scènes de chaos s'en sont ensuivies, étant donné que les plaignants ne voulaient pas quitter le Tribunal sans avoir été entendus par le Président de la Cour suprême. C’est à ce moment que la force d’élite a commencé à faire usage de matraques en bois et de jets d’eau irritante.
17. Les requérants allèguent que plusieurs personnes ont été grièvement blessées, parmi lesquelles un homme âgé de 80 ans et une dame de plus de 75 ans, qui est prête à témoigner devant la Cour africaine.
18. Les requérants font encore valoir qu’en juin et juillet 2011, leurs collègues qui figurent sur la liste 3A ont demandé l'autorisation de la Haute Cour pour interjeter appel devant elle afin de remplacer leur requête initiale par une nouvelle. Cette demande d’autorisation fut rejetée le 14 décembre 2011 au motif qu’elle n'avait pas été introduite dans un délai raisonnable et qu’elle était entachée de vices de procédure.
C. Les violations alléguées
19. Les requérants soutiennent que le non-paiement de l'intégralité des pensions et indemnités de licenciement dues par le Gouvernement tanzanien en vertu de l'Accord de médiation de 1984 constitue une violation de la Déclaration universelle des droits de l'homme (ci-après dénommée « la Déclaration »), notamment des articles 7 sur le droit à la non-discrimination, 8 sur le droit à un recours effectif, 23 sur le droit au travail et à la juste rémunération, 25 sur le droit à un niveau de vie suffisant et 30 sur l’obligation des Etats de ne pas se livrer à une activité ou accomplir un acte visant la destruction des droits et libertés qui sont énoncés dans la Déclaration.
20. Sans invoquer de disposition particulière, les requérants allèguent aussi que la brutalité et l'humiliation qu’ils ont subies de la part de la police constituent également une violation de la Déclaration.

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21. Dans sa réponse datée du 6 mars 2013, le défendeur rejette les allégations des requérants selon lesquelles il a violé leurs droits. Il réitère son objection à l'application de la Déclaration universelle des droits de l’homme à l'affaire en l'espèce. S'agissant de l’allégation de brutalité policière, le défendeur soutient que « le Gouvernement n’a violé aucun droit quelconque des requérants ni commis des actes de brutalité envers eux. La police a simplement exercé sa fonction de maintien de l’ordre et de la paix sans causer aucun mal aux
D. Mesures demandées
22. Dans leur requête initiale datée du 16 janvier 2012, et leurs observations en date du 30 mars 2012 ainsi que dans leur réplique à la réponse du défendeur, les requérants prient la Cour de :
« « Déclarer que le défendeur a violé les articles 7, 8, 23, 25 et 30 de la Déclaration dont il est signataire ;
« Déclarer que les requérants n’ont pas perçu tous les droits dus par le défendeur ;
« Certifier que les requérants ont droit au paiement des indemnités de cessation de service à compter du 1% octobre 2009 ;
« Ordonner que l’état de droit soit restauré et que le défendeur doit payer les montants arrêtés par la Cour d'appel.
« Demander à la Cour d’appel de Tanzanie de délivrer un Acte pour faciliter ces paiements.
« Attirer l'attention du défendeur sur la nécessité de ne pas recourir dans l’avenir à des actes de brutalité et d’humiliation contre des citoyens qui ne cherchent qu’à exercer leurs droits légitimes.
« Ordonner qu’une compensation soit versée aux victimes des actes de brutalité policière ;
« Déclarer l’Acte de règlement nul et non avenu ».
23. Dans sa réponse datée du 6 mars 2013, le défendeur prie la Cour de déclarer que :
« Tout d’abord, elle n’aurait pas dû être saisie de l'affaire en l'espèce car celle-ci est contraire aux conditions de recevabilité définies à l’article 40, alinéas 1 à 6 et à l’article 6(2) du Protocole … et à l’article 56 de la Charte. Les requérants n’ont pas invoqué la compétence de la Cour.
La requête est rejetée, conformément à l’article 38 du Règlement intérieur de la Cour ».
24. Le défendeur prie également la Cour de rendre les ordonnances suivantes sur le fond de la requête :
« « Le Gouvernement tanzanien n’a pas violé les articles 7, 8, 23, 25 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et aucune compensation ou réparation ne doit donc être accordée aux requérants.
« Le Gouvernement a payé tous les droits dus aux requérants.
« L'acte de Règlement était et reste valide.
* Il ny a eu aucun acte de brutalité policière commise par le gouvernement tanzanien et, de ce fait, aucune indemnisation ne doit être accordée aux requérants.

« Les frais liés à cette requête sont à la charge des requérants.
« Toute autre mesure que la Cour estime appropriée ».
Il. La procédure devant la Cour
25. La requête datée du 27 janvier 2012 était accompagné [sic] de ce qui, selon les requérants, constitue la preuve de l'épuisement de toutes les voies de recours internes.
26. Par courriel daté du 8 février 2012, les requérants ont sollicité une assistance judiciaire auprès du Greffier de la Cour. Celui-ci a répondu par lettre datée du 10 février 2012 que la Cour ne disposait pas encore d’un programme d'assistance judiciaire et que son personnel n’était pas autorisé à représenter les parties.
27. Par lettre datée du 30 avril 2012, le Greffe a demandé au requérant de fournir la preuve que la requête remplit les conditions prescrites à l’article 34 du Règlement intérieur de la Cour.
28. Par lettre datée du 11 mai 2012, le requérant a transmis au Greffe une série de documents, y compris des jugements.
29. Par lettre datée du 28 juin 2012, le Greffier a informé le requérant que lors de sa vingt-cinquième session ordinaire tenue en juin 2012, la Cour avait demandé au Greffier d'obtenir des informations supplémentaires concernant l'affaire, notamment, la preuve de l'épuisement des voies de recours internes par rapport aux brutalités policières alléguées. Dans la même lettre, le Greffier a demandé que les informations supplémentaires en question soient transmises au Greffe de la Cour dans les trente (30 jours) de la réception.
30. Par lettre datée du 16 juillet 2012, les requérants ont déposé ce qu’ils considèrent comme preuves de l'épuisement des voies de recours internes par rapport aux allégations de brutalité policière.
31. Par lettre datée du 10 octobre 2012, le Greffe a communiqué la requête au défendeur, en vertu de l’article 35(2) (a) du Règlement intérieur de la Cour. Conformément à l’article 35(4) (a) du Règlement, le défendeur a été invité à indiquer les noms de ses représentants dans un délai de trente (30) jours, et en vertu de l’article 37 du Règlement, répondre ettre. à la requête dans les soixante (60) jours de la réception de la
32. Par lettre datée du 10 octobre 2012, le Greffe a informé le Président de la Commission de l’Union africaine du dépôt de la requête, en vertu de l’article 35(3) du Règlement intérieur.
33. Par lettre datée du 25 octobre 2012, M. Am At et six autres ont informé la Cour qu’ils avaient appris qu’une affaire civile en son nom et six autres avait été introduite devant la Cour, étant donné qu'il est allégué que la requête devant la Cour serait liée à l'affaire civile n°95/2003. Il a déclaré qu’en tant que représentants légaux dans l'affaire civile n°95/2003, qui était toujours pendante devant la Haute Cour à l’époque, ils n'avaient introduit aucune requête, ni autorisé quiconque à déposer une requête en leur nom, devant la Cour africaine.

376 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
34. Par lettre datée du 13 décembre 2012, le Greffe a informé les requérants de la lettre de M. At datée du 25 octobre 2012.
35. Par lettre datée du 17 décembre 2012, le Greffe a informé les conseils des requérants qu’à sa vingt-septième session ordinaire, la Cour avait décidé de modifier le nom du défendeur, qui serait désormais la République-Unie de Tanzanie et non plus l’Attorney général de la République-Unie de Tanzanie, et que suite à cette décision, la requête s'’intitulerait désormais : requête n°001/2012- At Am et autres c. République-Unie de Tanzanie.
36. Par lettre datée du 17 décembre 2012, le Greffe a transmis à nouveau au défendeur, au Président de la Commission africaine et au conseil du requérant, la requête et toutes les annexes qui y étaient jointes.
37. Par note verbale datée du 30 janvier 2013, le défendeur a déposé des exceptions préliminaires à la requête ainsi que la liste des noms et adresses de ses représentants, conformément à l’article 35(4) (a) du Règlement intérieur de la Cour.
38. Par lettre datée du 1er février 2013, le Greffe a informé les requérants des exceptions préliminaires soulevées par le défendeur, et les a invités à déposer leur réplique, le cas échéant, dans les trente (30) jours de la réception de la lettre.
39. Par lettre datée du 18 février 2013, les requérants ont envoyé leurs observations en réponse aux exceptions préliminaires soulevées par le défendeur.
40. Par lettre datée du 21 février 2013, le Greffier a transmis au défendeur une copie de la réponse des requérants aux exceptions préliminaires et a demandé au défendeur de déposer ses conclusions, le cas échéant, dans les trente (30) jours de la réception de cette lettre. 41. Par Note verbale datée du 7 mars 2013, le défendeur a transmis sa réponse à la requête, conformément à l’article 37 du Règlement intérieur de la Cour.
42. Par lettre datée du 12 mars 2013, le Greffe a transmis la réponse du défendeur aux requérants et a invité ceux-ci à lui soumettre leur réplique dans les trente (30) jours de la réception de la lettre.
43. Par lettre datée du 4 avril 2013, les requérants ont transmis leur réplique à la réponse du défendeur, demandant en outre que ladite réponse du défendeur soit retirée du dossier au motif qu’elle avait été déposée hors délai.
44. Par lettre datée du 9 avril 2013, le Greffe a transmis copie de la réplique des requérants au défendeur.
45. Par lettre datée du 3 juillet 2013, le Greffe a informé les parties de la clôture des plaidoiries.
46. Par lettre datée du 2 octobre 2013, le Greffe a transmis aux parties une ordonnance de la Cour portant modification du nom des requérants par Ap An Aw et autres.

II. _ Exceptions préliminaires soulevées par le défendeur
A. Exception d’incompétence ratione materiae
47. Selon le défendeur, les requérants ont fondé leur requête sur les articles 7, 8, 23, 25 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Or, selon l’article 3(1) du Protocole, la compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires et à tous les différends « dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument juridique pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les Etats concernés ». Il en conclut que ces dispositions confèrent à la Cour la compétence de traiter des affaires concernant les violations des instruments des droits de l'homme qui y sont mentionnées, pour autant qu’ils aient été ratifiés par le Gouvernement tanzanien.
48. Le défendeur ajoute cependant, qu’il ressort de l'analyse directe et approfondie de la requête que celle-ci ne concerne l'interprétation d'aucun instrument des droits de l'homme ratifié par la Tanzanie.
49. Le défendeur précise que cette requête ne relève certainement pas du champ d’application de l’article 3(1) du Protocole ni de l’article 26 du Règlement et conclut que la Cour devrait se déclarer incompétente rationae materiae.
B. Exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non- respect des conditions de l’article 40 du Règlement
50. Selon le défendeur, la requête est irrecevable en ce sens qu'elle ne répond pas aux conditions de recevabilité prévues à l’article 40 du Règlement intérieur de la Cour, lu conjointement avec l’article 6 de la Charte africaine.
i. Sur l’identité des requérants — Article 56(1) de la Charte
51. Le défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de la requête, au motif qu’elle n'indique pas l’identité réelle des requérants, contrairement aux dispositions de l’article 56(1) de la Charte.
52. Le défendeur soutient que la requête introduite devant la Cour porte le titre At Am et autres c. Tanzanie, mais cette requête a été signée par d’autres personnes et non par At Am lui-même. Le défendeur affirme que la requête se fonde sur l’affaire n° 95/2003 intitulée Am At et autres c. Attorney général, qui était pendante devant la Haute Cour de Tanzanie. Les requérants affirment que M. At a informé la Cour par lettre datée du 25 octobre 2012 « qu’en tant que représentants légaux dans l’affaire civile n° 95/2003 qui était alors pendante devant la Haute Cour de Tanzanie, ils n'ont jamais introduit d'affaire ni autorisé quiconque à le faire en leur nom ». Ils ajoutent qu’ils avaient informé la Cour qu’ils n’étaient pas parties dans la requête n°001/2012 actuellement pendante devant la Cour, et qu’ils s’exonéraient de toute responsabilité en rapport avec la requête n°001/ 2012, étant donné que cela risquait de jouer en leur défaveur si, au moment opportun, ils décidaient de saisir les juridictions. Ils ont précisé

378 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
que leur lettre a été écrite pour le compte de 17.746 anciens employés de la CAE se trouvant dans le dossier de la Cour et tous les autres Tanzaniens qui étaient employés de la Communauté de l'Afrique de l’Est, qui a été dissoute… ».
53. Par ailleurs, le défendeur soutient que les requérants n’ont pas suivi la procédure appropriée dans sa tentative de faire modifier le titre de la requête, étant donné qu’« une requête viciée ne peut pas être purgée par un amendement ». || affirme que la « procédure appropriée consiste à retirer la requête et reprendre la procédure si réellement ils veulent poursuivre cette affaire ».
54. Le défendeur conclut que « Sur la base de ce qui précède, nous avons indiqué que, selon la lettre de At Am et autres, il n’y a actuellement aucune affaire portant le même nom qui est pendante devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples ».
ii — Sur la conformité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et avec la Charte : article 56(2) de la Charte.
55. Selon le défendeur, les droits invoqués à l’appui de la présente requête ne portent que sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il soutient qu’en omettant de citer les dispositions de l’Acte constitutif de l’Union africaine (ci-après dénommé « l’Acte constitutif ») ou de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, « les requérants demandent à la Cour de traiter d’une question qui ne relève pas de sa compétence ».
ii. Sur la question de savoir si la requête n’est pas exclusivement basée sur des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse — article 56(4) de la Charte
56. Le défendeur soutient qu’en ce qui concerne les allégations de brutalité policière, les requérants se fondent sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse. Selon le défendeur, aucune preuve de violence physique n’a été produite.
iv. Sur l’épuisement des voies de recours internes : article 56(5) de la Charte
57. Le défendeur soutient que les requérants n’ont ni épuisé les voies de recours internes en rapport avec leurs demande [sic] d'indemnisation, ni tenté d’épuiser les voies de recours internes en rapport avec la brutalité policière alléguée.
58. Concernant les revendications portant sur une indemnisation, le défendeur explique qu’après le rejet de leurs requêtes par la Haute Cour en mai 2011, les requérants ont déposé, le 6 juin 2011, une demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel de Tanzanie. Selon le défendeur, la demande a été radiée pour vice de forme et les requérants ont par la suite introduit devant la Haute Cour une demande en prorogation de délai pour interjeter appel. Le

Aw et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RJCA 371 379
défendeur affirme que cette dernière demande a été, elle aussi, radiée le 11 octobre 2012, aux dépens des requérants, et que ceux-ci ont réintroduit une demande en prorogation de délai en vue d'’interjeter appel.
59. Sur les allégations de brutalité policière, le défendeur fait valoir que les requérants n’ont produit aucune preuve indiquant que les victimes présumées ont poursuivi le Gouvernement devant les juridictions internes. Le défendeur soutient également que la lettre présentée par les requérant est sans fondement.
v. … Sur le délai raisonnable : article 56(6) de la Charte
60. Selon le défendeur, l’ordonnance rejetant la demande d'indemnisation introduite par les requérants a été rendue en mai 2011 et les requérants n’ont saisi la Cour qu’en janvier 2012, soit huit (8) mois après le prononcé de la décision. En ce qui concerne la brutalité policière alléguée, le défendeur fait observer que les faits se sont produits le 13 octobre 2010 alors que la Cour africaine a été saisie en janvier 2012, soit un (1) an et trois (3) mois après les violences alléguées. Il ajoute que même si la Charte ne donne pas d'indication sur ce qui constitue un délai raisonnable, la Commission africaine, de même que les autres instances régionales retiennent un délai de six (6) mois.
61. Le défendeur prie donc la Cour de déclarer la requête irrecevable tant en ce qui concerne les violations alléguées pour lesquelles les requérants revendiquent une indemnisation, que celles portant sur des brutalités policières.
IV. Position des requérants vis-à-vis des exceptions préliminaires soulevées par le défendeur
A. Arguments contre les exceptions soulevées sur la base de l’article 56 de la Charte et de l’article 40 du Règlement intérieur
i. Sur l’identité des requérants
62. Pour leur part, les requérants font valoir dans leur réplique au mémoire en défense du défendeur (paragraphe 12) que « Les requérants à la présente requête ne prétendent pas représenter tous les employés de la défunte Communauté. Ils ne prétendent pas non plus être mandatés par At Am et autres. On ne comprend donc pas pourquoi At et autres se désistent et se désolidarisent de la présente requête. La procédure de laquelle ils auraient pu se désister serait l'instance civile n° 95/2003. Mais cette affaire a été réglée grâce à l’Acte de règlement intérieur et c’est pour cela que nous estimons que la décision d'intituler la requête n° 001/2012 Ap An Aw et autres c. République-Unie de Tanzanie est parfaitement appropriée ».

380 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
ii. Sur l’épuisement des voies de recours internes :
63. Selon les requérants, il n’y a à ce jour aucune affaire pendante devant la Haute Cour concernant l'instance civile n° 95/2003, à savoir la requête déposée par les employés de la liste 3A aux fins de prorogation du délai d’appel. Ils précisent que le 11 octobre 2012, ladite requête a été rejetée et ses auteurs condamnés aux dépens. Ils ajoutent que c'est la deuxième fois qu’une requête des employés de la liste 3A est rejetée par la Haute Cour.
64. Sur l'épuisement des voies de recours concernant les violences policières, les requérants renvoient la Cour à leur lettre du 16 juillet 2012. Dans la dite lettre, les requérants relatent les faits qui ont suscité l'intervention des forces de police, décrivent les scènes de brutalité policière, communiquent une liste de personnes qui auraient été blessées des suites de ces brutalités et font enfin part d’humiliation dont ils auraient été victimes.
65. Les requérants font par ailleurs valoir que la procédure au niveau local s’est prolongée de façon anormale. Ils soutiennent que depuis la signature de l'Accord de médiation en 1984, le Kenya et l’'Ouganda ont déjà réglé les indemnités de leurs citoyens respectifs, alors que le défendeur ne l’a pas fait.
iii. — Autres critères de recevabilité
66. Les requérants n’ont présenté aucune observation en réponse à l'exception du défendeur tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’UA et avec la Charte (article 56(2)), du fait que la requête est basée exclusivement sur des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse (article 56(4) de la Charte) et du fait que la requête n’a pas été introduite dans un délai raisonnable conformément à l’article 56(6) de la Charte.
V. Sur la demande des requérants de voir la réponse du défendeur retirée du dossier
67. Les requérants soutiennent que la réponse du défendeur est forclose, ayant été déposée contrairement aux dispositions de l’article 37 du Règlement, qui dispose que « l’État défendeur répond à la requête dont il fait l’objet dans un délai de soixante (60) jours qui pourrait être prorogé par la Cour, s’il y a lieu ».
68. Les requérants font encore valoir que la réponse du défendeur a été déposée le 11 mars 2013 au lieu du 7 mars 2013 et que le défendeur n’a pas sollicité une prorogation de délai. Ils demandent donc à la Cour de retirer cette réponse du dossier.

Aw et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 371 381
VI. Considérations de la Cour :
i. Compétence rationae materiae
69. Le défendeur soutient que la Cour n'a pas compétence pour connaître de la requête en l'espèce, étant donné que les requérants n’ont cité que des dispositions de la Déclaration sans indiquer une disposition quelconque de l’Acte constitutif ou de la Charte africaine. Le défendeur soutient encore que l'article 3(1) du Protocole limite la compétence de la Cour uniquement aux instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme « ratifiés par les Etats concernés ».
70. L'article 3(1) du Protocole confère à la Cour la compétence de connaitre de toutes les affaires concernant les violations alléguées des droits de l’homme. Cet article est libellé comme suit :
« La Cour a compétence pour connaitre de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifiés par les États concernés ». Il convient de noter qu’en vertu de l’article 3(2) du Protocole, la Cour a compétence pour statuer sur sa propre compétence. L'article dispose qu’ « En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ».
71. La question qui se pose dans la requête en l'espèce est celle de savoir si la Déclaration est un instrument de protection des droits de l'homme à prendre en considération au sens de l’article 3(1) du Protocole.
72. La Cour rappelle tout d’abord que la Déclaration universelle des droits de l'homme est une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies. La Cour relève encore que même si la Déclaration est l’un des premiers instruments dont l’objectif est de protéger des droits subjectifs de l'individu, elle n'est pas ratifiée par les Etats.
73. La Cour reconnait cependant que même si la Déclaration n’est pas un traité qui nécessite une ratification par les Etats pour entrer en vigueur, elle a été élevée au statut de droit international coutumier et de norme incontournable.‘ Elle représente la reconnaissance universelle que les droits et les libertés fondamentales sont inhérents à toute personne humaine et qu’ils sont inaliénables et applicables à tous de la même manière ; que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.” Elle a été proclamée comme l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations et tout au long des années, elle a inspiré l’évolution des instruments des droits de l'homme aux niveaux national, régional et universel. L'un de ces instruments est la Charte. En effet, l’article 60 de la Charte africaine autorise la Cour à « s'inspirer du droit international relatif aux droits de l'homme et des peuples, en particulier de divers instruments africains des droits de
1 Ax Al A Ad : “Be Az Av as an international Policy for world peace” Ah Ba Aa, Number 2 janvier à juin 2009.

382 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
l’homme, de la Charte des Nations Unies, de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine et de la Déclaration universelle des droits de l'homme … ».
74. Certes, l’article 34(4) du Règlement intérieur de la Cour prévoit que « la requête doit indiquer la violation alléguée ». Cependant, aucune exigence n'est prescrite quant à une indication formelle dans la requête de l'instrument d’où provient la disposition de la violation alléguée. La Cour considère ainsi que la référence du requérant à la Déclaration n'a aucune incidence sur la compétence de la Cour, pour autant que la violation alléguée soit également sanctionnée par un traité ratifié par l'Etat concerné.
75. La Cour estime qu’il est de son pouvoir d’exercer sa compétence sur les violations alléguées, en rapport avec les instruments pertinents de protection des droits de l'homme ratifiés par l’État défendeur.
76. La Cour relève que tous les droits dont la violation par le défendeur est alléguée par les requérants sont garantis dans la Charte, en particulier le droit à la non-discrimination (articles 2 et 3), le droit à un recours effectif (article 7), le droit de travailler et de recevoir un salaire équitable (article 15), le droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne (article 4). Ces droits sont également garantis dans le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC), que le défendeur a ratifié le 11 juin 1976, notamment le droit à un niveau de vie satisfaisant (article 11 sic).
77. La Cour conclut en conséquence qu’elle a compétence rationae materiae pour connaître de l'affaire et elle rejette ainsi l'exception d'incompétence soulevée par le défendeur.
ii — Compétences rationae personae et rationae temporis
78. Les parties ne se sont pas adressées à la Cour sur ces deux aspects de sa compétence. Cependant, l’article 39 (1) du Règlement prévoit que la Cour « procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article 40 du présent Règlement ».
79. En application de l’article 39(1) de son Règlement intérieur, la Cour procède maintenant à l'examen de sa compétence ratione personae et ratione temporis.
80. En ce qui concerne sa compétence personnelle, le Protocole dispose qu’un Etat contre lequel une action a été intentée doit non seulement avoir ratifié le Protocole et les autres instruments des droits de l'homme énoncés dans son article 3(1) mais doit également avoir fait la déclaration prévue à l’article 36(4) du Protocole. Dans le cas en l'espèce, l’état de ratification des Instruments de l’union africaine indique que la République-Unie de Tanzanie est devenue Partie au Protocole le 7 février 2006. La cour relève également que les requérants, tous ressortissant de l'Etat défendeur, sont des individus. Pour ces raisons, la Cour considère qu’elle a compétence ratione personae.

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81. Relativement à la compétence rationae temporis de la Cour, il est nécessaire de faire une brève genèse de la procédure. Le 9 mai 2003, les ex-employés de la défunte Communauté de l'Afrique de l'Est ont saisi la Haute Cour de Tanzanie pour obtenir l'exécution des engagements pris par l’État tanzanien dans le cadre de l'Accord de médiation, relativement au paiement de leur pension et allocation.
Le 20 septembre 2005, les requérants ont retiré l'affaire de la Haute Cour après avoir conclu un accord amiable avec le défendeur. Le 15 octobre 2010, les requérants saisissent la Haute Cour pour voir le défendeur condamné, cette fois-ci, à exécuter l’accord amiable qui a été conclu avec celui-ci. Le 27 janvier 2012, ils saisissent la Cour africaine au sujet de la non-exécution de cet accord amiable dont l'examen a été soumis aux juridictions tanzaniennes depuis octobre 2010 comme indiqué précédemment.
82. La Cour relève que selon l'argument des requérants, la non- exécution de l'accord amiable serait constitutive de la violation des droits dont ils se plaignent devant elle. La Cour considère que les violations alléguées qui auraient été occasionnées par le non-paiement des indemnités de compensation se situent dans la période courant à partir d’octobre 2010, date à laquelle la Haute Cour a été saisie pour la première fois sur le grief de la non-exécution de l'accord amiable. La Cour relève également que les violences policières alléguées par les requérants auraient été commises à la suite du Jugement de la Cour en date du 23 mai 2011.
83. La Cour constate qu'aussi bien les violations alléguées occasionnées par le non-paiement des indemnités de compensation que les violences policières alléguées ont eu lieu après la date de ratification du Protocole (7 février 2006) et celle de la déclaration (9 mars 2010) de l’article 34(6) par le défendeur.
84. Pour cette raison, la Cour conclut qu’elle a la compétence rationae temporis pour connaître de la requête.
B. …Recevabilité de la requête
85. La Cour rappelle que chaque requête doit remplir les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte lu conjointement avec l’article 6(2) du Protocole. L'article 56 de la Charte prévoit que «les communications … relatives aux droits de l'homme et des peuples doivent nécessairement pour être examinées remplit les … », il énumère ensuite sept (7) conditions qui doivent être remplie pour qu’une requête soit recevable. L'article 6(2) du Protocole pour sa part prévoit que « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
86. Le défendeur allègue que six (6) des conditions prévues à l’article 56 de la Charte n’ont pas été remplies par les requérants. Il y a lieu de rappeler ici que les sept conditions énoncées à l’article 56 sont cumulatives et que si l’une d’entre elles n’est pas remplie, la requête ne peut pas être recevable.
87. La Cour examine à présent les arguments avancés par les défendeurs à cet égard.

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i. Sur l’identité des requérants
88. L'article 56(1) de la Charte dispose que les requêtes doivent « indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Commission de garder l'anonymat ». Le défendeur soutient que la requête en l'espèce a été introduite au nom de At Am et autres c. République-Unie de Tanzanie et non pas au nom des requérants.
89. La Cour reconnaît que la requête a été introduite au nom de At Am et autres. Toutefois la Cour a modifié le nom en Ap An Aw et autres. Le fait que At Am se soit dissocié de la requête n’invalide pas l'identité des nouveaux requérants.
90. La Cour décide en conséquence que l'identité des requérants a été valablement indiquée et que, de ce fait, la requête remplit les conditions prévues à l'article 56(1) de la Charte.
ii — Sur la conformité de la requête à l’Acte constitutif et à la Charte :
91. L'article 56(2) de la Charte dispose que les requêtes doivent « être compatibles avec l’[Acte constitutif de l’Union africaine] ou avec la présente Charte ». Selon le défendeur, la requête aurait violé les règles applicables en ne citant que des dispositions de la Déclaration et en omettant de citer l’Acte constitutif de ou la Charte. Sur ce point, la Cour a déjà fait observer qu'elle n’est pas liée à la référence faite à la Déclaration dans la requête et qu’elle s’en tient aux faits de violations alléguées par les requérants pour se prononcer sur sa compétence.
92. Comme indiqué plus haut, le défendeur a ratifié la Charte et d’autres instruments relatifs aux droits de l'homme, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC). À cet égard, la Cour relève que toutes les dispositions de la Déclaration dont la violation par le défendeur est alléguée ont des dispositions équivalentes dans la Charte.
93. Le fait de ne pas citer expressément la Charte dans une requête ne signifie pas nécessairement que la Cour n’a pas compétence pour connaître de l'affaire. I| suffit que ces droits dont la violation est alléguée soient inscrits dans la Charte ou dans tout autre instrument relatif aux droits de l'homme et ratifié par l’État concerné.
94. La Cour conclut donc que l'exception tirée de la conformité de la requête à l’Acte constitutif et à la Charte n’est pas fondée et rejette
iii. — Sur la question de savoir si la requête ne se fonde pas entièrement sur des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse
95. L'article 56(4) de la Charte dispose que les requêtes ne se limitent « pas à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse ». Le défendeur fait valoir que les requérants ont joint des coupures de journaux comme unique preuve de leurs allégations de brutalités policières, fondant ainsi leur requête exclusivement sur des nouvelles diffusées par des moyens de

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communication de masse. La Cour note certes que les requérants ont fourni des extraits de journaux à l'appui de leurs allégations de brutalités policières. Elle note cependant que la production de ces extraits de journaux par les requérants n'avait pour seul but que d’étayer les accusations qu'ils ont portées dans leur requête.
96. || convient de relever qu’en dehors des coupures de journaux, les requérants ont cité dans leurs écritures des noms de personnes qui selon eux seraient des témoins et des victimes de brutalités alléguées et dont certaines qui auraient été hospitalisées à la suite de ces brutalités. Dans leur lettre du 16 juillet 2012 adressée à la Cour, les requérants ont décrit les scènes de brutalités policières.
97. La Cour conclut donc que la requête n’est pas uniquement fondée sur les nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse et rejette l'exception.
iv. Sur l’épuisement des voies de recours internes
98. L’une des conditions de recevabilité prévue à l’article 56 du Protocole est l'épuisement des voies de recours internes. L'article 56(5) de la Charte exige que les requêtes portant sur des violations de droits de l'homme et des peuples ne seront examinées que si elles sont « postérieures à l'épuisement des recours internes, s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale » .
99. Dans l'arrêt qu’elle a rendu dans l'affaire Au Ba Ab and the Legal and Az Av Centre et Rev. Christopher Bb c. République-Unie de Tanzanie, jonction d'instances n°° 009/ 2011 et 011/2011, par. 82.1, la Cour a conclu que « les recours prévus à l’article 6(2) du Protocole et à l’article 56(5) de la Charte sont essentiellement des recours judiciaires, car ils répondent aux critères de disponibilité, d'efficacité et de satisfaction ». Ainsi, il convient pour la Cour de vérifier si les requérants ont épuisé les voies de recours internes ou s’ils ont été confrontés à une procédure qui s’est prolongée de manière anormale.
100. S'agissant de la requête en l'espèce, la Cour doit répondre à deux questions concernant l'épuisement des voies de recours internes. La première est celle de savoir si les requérants ont épuisé ou non les voies de recours internes en ce qui concerne leurs demandes d’indemnisation. La deuxième est de savoir si les recours internes ont été épuisés pour ce qui est des brutalités policières. La Cour examine séparément chacune des revendications.
101. Les requérants soutiennent qu’ils ont épuisé toutes les voies de recours en ce qui concerne les violations relatives à leurs demandes de compensation et qu'aucune affaire les concernant n’est pendante devant les juridictions tanzaniennes. Pour sa part, le défendeur soutient que la requête portée devant la Cour africaine est toujours pendante devant les juridictions internes de l'Etat défendeur et que de ce fait, les voies de recours internes n'ont pas été épuisées.
102. || est important à ce stade de rappeler les procédures judiciaires qui se sont déroulées au niveau interne.

386 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
103. Selon les pièces présentées à la Cour par les parties en date du 9 mai 2003, un certain Am At et six autres, en leur nom
et au nom des anciens employés de la défunte Communauté propre de l'Afrique de l'Est (EAC), ont intenté l’action civile n° 95 de 2003 devant la Haute Cour de Tanzanie. Le 20 septembre 2005, après des négociations, les parties ont conclu un arrangement à l'amiable et elles ont signé un Acte de règlement.
104. Le préambule de l’Acte de règlement prévoyait notamment que « considérant que durant les négociations, il a été constaté que le nombre de tous les anciens employés de la défunte Communauté de l'Afrique de l'Est n’était pas composé seulement des requérants mais qu’il s'élevait à 31 831 (trente-et-un mille huit cent trente-et-un) dont le Gouvernement a décidé de régler les droits selon les termes et les conditions du présent Acte de règlement ».
105. Les paragraphes 2 et 3 de l’Acte de règlement valent la peine d'être cités. Au paragraphe 1, il est stipulé que « les Plaignants acceptent de retirer toutes les réclamations figurant au dossier de l'affaire n° 95 de 2003, intentée contre le défendeur… Le paragraphe 3 dispose que « le défendeur accepte de verser aux ». Plaignants, ainsi qu’à tous les anciens employés de la défunte Communauté de l’Afrique de l'Est, qui ne sont pas parties à la présente cause, toutes leurs revendications indiquées plus haut, en fonction de leur dossier individuel et ces paiements constitueront le paiement final pour solde de tout compte en ce qui concerne les anciens employés tanzaniens de la défunte Communauté de l’Afrique de l'Est. I! y a lieu de noter que pour éviter toute confusion, après le paiement de ces montants, le défendeur n’aura plus aucune obligation quelle qu’elle soit vis-à-vis des Plaignants ou d’autres individus, découlant de leur qualité d'employés de la défunte Communauté de l'Afrique de l'Est ».
106. L'Acte de règlement a été dûment déposé devant la Haute Cour le 21 septembre 2005 (devant l’Hon. Juge Oriyo à l’époque) et un jugement de confirmation a été rendu en faveur des Plaignants (désormais les requérants devant la Cour africaine) sous forme de décret. La Cour a ordonné les mesures suivantes :
« Par consentement entre les parties, la Cour statue comme suit, en faveur des plaignants :
a. Les Plaignants retirent par les présentes toutes les revendications et toutes les réclamations à l’encontre du défendeur ;
b. Le défendeur s'engage à verser aux sept (7) Plaignants, aux autres bénéficiaires figurant au dossier ainsi qu’à toutes les autres personnes qui étaient employées par la défunte Communauté de l'Afrique de l’Est ainsi que ses institutions et sociétés au 30 juin 1977, toutes les sommes dues reprises à la page 3 de l’Acte de règlement, en fonction du dossier individuel des Plaignants et des autres bénéficiaires mentionnés plus haut ».
107. Il est allégué que lorsque le défendeur a commencé à effectuer les paiements aux anciens employés sur la base de ce que «le Gouvernement considérait comme leur dû en vertu de l’Acte de règlement et donc, en application des mesures ordonnées par la Cour », un différend est survenu entre les parties et 5 598 des 31 831 anciens employés, y compris les requérants devant la Cour de céans.

Aw et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RJCA 371 387
Ces anciens employés, « estimaient que les paiements qui leur avaient été versés ne correspondaient pas à leurs droits inscrits dans l'Acte de règlement ». À plusieurs reprises, les parties se sont affrontées entre elles et avec le défendeur devant la Haute Cour.
108. Le 15 octobre 2010, les 5 598 anciens employés ont déposé une requête devant la Haute Cour, arguant du fait qu’ils n'étaient pas satisfaits de la manière dont le défendeur avait mis en œuvre l’'Acte de règlement, alléguant que 15 des rubriques prévues dans l'Accord n’avaient pas été réglées par le défendeur. Les 5 898 plaignants, y compris les requérants devant la Cour de céans, sont retournés devant la Haute Cour et ont demandé un certificat de droit au paiement, en vue de l'exécution de l’acte de règlement. L'affaire a été entendue par l'Hon. Juge Mwaikugile, mais il s’est récusé, avant de rendre son jugement.
109. Il est important de relever qu’au moment où l'affaire est arrivée devant le Juge Mwaikugile, les Plaignants étaient déjà divisés en deux groupes, en raison de dissensions internes. Au paragraphe 7 de leur réplique datée du 4 avril 2013 à la réponse du défendeur à la requête, les requérants ont fourni à la Cour les raisons de la division entre eux, indiquant que « Même si At Am et autres représentaient tous les employés de la défunte Communauté dans l'instance civile n° 95/ 2003, ils n'avaient pas mandat de négocier un quelconque Acte de règlement avec le Gouvernement et se désister de l'instance en question. Par conséquent, l'Acte de règlement a été signé sans le consentement des employés de la défunte Communauté. C’est cet accord qui a été à l’origine de la scission des plaignants en deux groupes ».
110. Les requérants soutiennent qu’il y a des différences dans les réparations demandées par chacun des deux groupes. Pour cette raison, le Juge Mwaikugile a décidé de désigner les deux groupes par Liste de paie 3A, qui comprend 2 681 employés dont le montant total réclamé est de 416 166 090 304,30 shillings tanzaniens et Liste de paie 3A1, comprenant 2917 employés, dont le montant total des réclamations s'élève à 2178558653 941 TShs. Alors que les employés de la liste 3A alléguaient qu’ils n'avaient pas reçu la totalité de leur dû, « ceux de la liste 3A1 réclamaient leurs droit les plus élémentaires. Mais le Gouvernement a versé aux plaignants, qu’un seul élément des droits réclamés, à savoir les frais de transport ».
111. Suite à la récusation du Juge Mwaikugile, l'affaire a été confiée au Juge Utamwa de la même Cour. Celui-ci a entendu l'affaire le 9 novembre 2010 et l'a déclarée irrecevable.
112. Dans la requête introduite par les requérants en date du 16 janvier 2012, ceux-ci soutiennent que « la décision [du Juge Utamwa] n'avait pas été bien accueillie par les requérants. La tension, la colère, la méfiance et la frustration qu’elle a provoquées se sont ouvertement reflétées dans les déclarations publiques relayées par les médias ».
113. Agissant en vertu de la section 4(3) de la loi sur la compétence des juridictions d'appel, Cap 141 RE. 2002, la Cour d'appel a demandé le dossier de la Haute Cour sur l’affaire, afin de vérifier l’exactitude, la légalité ainsi que la régularité ou le bien-fondé des décisions du Juge

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de la Haute Cour ou la régularité des procédures (voir par. 16 de la réponse du défendeur à la requête en date du 6 mars 2013 et p. 3 de la requête des requérants en date du 16 janvier 2012). La Cour d’appel a examiné l'affaire en révision civile n° 10 de 2010.
114. Après avoir entendu les conseils des deux parties (défendeur et Plaignants), la Cour d'appel a « reformé la partie de la décision de la Haute Cour radiant la requête et a ordonné l'examen de la requête sur le fond dès que possible, mais par un autre Juge… En fin de compte, nous considérons que la Haute Cour avait été valablement saisie pour émettre le certificat de droit au paiement, en vertu de la section 16 de la loi pertinente. Le Juge a donc commis une erreur de droit en n’exerçant pas sa compétence pour entendre la requête et statuer sur le fond. C’est pour cette raison que nous avons annulé sa décision radiant la requête au motif qu’elle était irrecevable ; nous la rétablissons et ordonnons qu’elle soit examinée et tranchée aussitôt par un autre Juge ». Il est important de relever que la Cour d'appel n’a pas examiné l’affaire sur le fond.
115. Suite à cette décision de la Cour d’appel, l'affaire a été confiée au Juge Fauz Twaib de la Haute Cour. Dans l'arrêt qu’il a rendu le 23 mai 2011, le Juge Twaib a conclu comme suit : « lorsque la preuve existe que le paiement a été effectué dans son entièreté conformément à l’ordonnance de la Cour, aucun certificat de paiement ne devrait être délivré. La raison pour cela est claire : émettre un certificat de droit au paiement pour des montants non dus actuellement serait non seulement inutile, mais pourrait également créer la confusion et même créer le risque que des paiements non autorisés soient effectués.…. ». Le Juge a ajouté : « de ce qui précède, et sur la base des pièces qui m'ont été présentées dans cette requête, il n’y a pas de droits impayés par le défendeur. Au contraire, il y a eu trop- perçu pour ceux dont l'indemnité de logement a été ajoutée à leurs revenus annuels calculés aux fins de la pension ». Il a conclu en déclarant qu’ « étant donné que j'ai tiré la conclusion qu’il n’y pas de solde impayé, les requérants ne peuvent pas obtenir ce qu’ils réclament. La Cour ne peut pas leur délivrer le certificat de droit au paiement qu’ils demandent. En conséquence, la requête est rejetée dans son entièreté ».
116. Selon le défendeur, suite au jugement rendu par le Juge Twaib le 23 mai 2011, les requérants ont demandé l'autorisation de la Haute Cour pour interjeter appel devant la Cour d'appel et la requête a été rejetée pour déclaration sous serment entachée de vices. Les requérants ont, de nouveau, demandé à la Haute Cour une prorogation de délai pour interjeter appel mais cette requête a, elle aussi, été rejetée avec dépens, le 11 octobre 2012. Le défendeur ajoute encore que le 25 octobre 2012, les requérants ont introduit de nouveau une requête aux fins de prorogation de délai pour interjeter appel et cette demande devait être examinée le 19 mars 2013.
117. Le 27 novembre 2013, la Cour a dressé une correspondance aux parties pour leur demander de lui fournir des informations sur l’état de l’affaire au niveau national. Par lettre datée du 12 décembre 2013, le requérant a informé la Cour qu’il avait fourni à la Cour toutes les informations relatives à la requête en l'espèce. Pour sa part, le

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défendeur, par lettre datée du 30 décembre 2013, a informé la Cour qu’il recherchait encore les informations demandées.
118. Pour leur part, les requérants soutiennent qu’ «il n’y a pas d'affaire pendante devant la Haute Cour de Tanzanie, qui soit liée à l’affaire civile n° 95/2003 ». Ils soulignent que les requêtes introduites par les membres de la liste 3A ont été rejetées deux fois, la dernière fois étant le 11 octobre 2012.
119. Toujours selon les requérants, lorsqu'ils avaient comparu devant le Juge Twaib, les membres de la liste 3A « s'étaient présentés avec une nouvelle liste de paie indiquant un montant supérieur et lui demandant de la substituer à celle qui avait déjà été examinée par les Juges de la Cour d’appel ; le Juge leur a répondu qu’il n’était pas là pour statuer sur une question différente de celle qui était dans l’acte reçu de la Cour suprême. Dans son jugement, le Juge a rejeté cette nouvelle requête. ». Ils ajoutent que « la décision du Juge Fauz indique clairement qu’il n’a rejeté que la nouvelle liste de paie qui lui avait été présentée par les membres de la liste 3A pour remplacer celle qui figurait dans l’acte de règlement transmise par les Juges de la Cour d'appel pour décision immédiate. Etant donné que le Juge n’a pas rejeté le contenu de l'acte reçu de la Cour d’appel, le Gouvernement doit payer les prestations de licenciement comme l’a ordonné la Cour suprême à la page 15 … ».
120. Les requérants font encore valoir, qu’ils ont écrit trois fois à la Cour d'appel demandant un certificat de droit au paiement et que la Cour d'appel leur avait répondu qu’ils devaient faire preuve de patience. La Cour de céans n’accorde aucun poids à ces lettres.
121. La Cour relève que les requérants font partie d’un groupe d'anciens employés de la défunte Communauté de l'Afrique de l’Est engagés dans la procédure no 95/2003 contre le défendeur. L’Acte de règlement qui a été déposé devant la Haute Cour le 21 septembre 2005 indique clairement que « le défendeur paiera aux sept Plaignants, aux autres personnes figurant au dossier ainsi qu’à toutes les autres personnes qui étaient des employés de la défunte Communauté de l'Afrique de l’Est ainsi que ses institutions et sociétés au 30 juin
122. Rien dans le dossier devant la Cour africaine ne laisse supposer que les requérants se sont dissociés du procès. Ils ont d’abord saisi la Cour sous l'identité de At Am et autres c. l’Attorney général de la République-Unie de Tanzanie, le même titre que dans l'affaire no 95/ 2003, dont le défendeur affirme qu’elle est toujours pendante devant les juridictions tanzaniennes. C’est seulement lorsque M. At Am s’est dissocié de l'affaire devant la Cour de céans que les requérants ont demandé de changer le titre de la requête, qui est devenue Ap An Aw et autres.
123. Les requérants ont comparu devant les tribunaux tanzaniens dans le cadre d’une seule et même affaire portant la référence n°92/2003 depuis 2005. La scission des requérants en deux groupes devant les juridictions internes ne signifie pas que les Plaignants des deux listes n’étaient pas parties dans la même action. La cause d'action est restée

390 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
la même, les parties sont les mêmes et les mesures demandées étaient identiques.
124. Les requérants ont reconnu, au paragraphe 7 de leur réplique à la réponse du défendeur, que la scission en leur sein était due à des différends internes. Afin d'assurer une bonne administration de la justice, la Cour a estimé qu’il était nécessaire de qualifier les deux groupes comme Liste 3A et Liste 3A1, mais pour une et même action en justice. En tout état de cause, la Cour considère que les requérants sont et continuent d’être parties à la cause n°95/2003.
125. La Cour fait observer que les requérants n’ont pas fourni la preuve de la clôture de leur action devant les juridictions internes. Même si la Cour de céans devait accepter l’argument selon lequel ils constituent deux groupes distincts et que leurs revendications sont différentes de celles des autres plaignants dans l'affaire n°95/2003, il n’y a aucune indication de l'épuisement des voies de recours internes. Ils affirment que même s'ils avaient comparu ensemble devant le Juge Twaib, la décision rendue par celui-ci le 23 mai 2011 « rejetait uniquement la nouvelle liste de paie que les plaignants de la liste 3A lui avaient remise… », laissant entendre que le Juge ne s’était pas prononcé sur la réclamation des plaignants de la liste 3A1.
126. Même si cette affirmation est correcte, la Cour est d’avis que les anciens employés figurant sur la liste 3A avaient demandé l'autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel, tandis que ceux de la liste 3A1, qui sont les requérants devant la Cour de céans, n’ont démontré aucune action qu’ils auraient menée ou tenté de mener pour amener la Cour à statuer sur leurs revendications ou interjeter appel devant la Cour d'appel. En réalité, les requérants ne semblent pas enclins à saisir la cour d'appel. À la page 5, paragraphe 1 de leur réplique à la réponse du défendeur, ils ont affirmé que « les requérants en la présente requête n’ont pas jugé utile de retourner devant la Cour d'appel, qui s’était déjà prononcée sur l'affaire. Par ailleurs, les requérants ont choisi de saisir l’Union africaine, à travers cette auguste juridiction, qui, selon eux, est la mieux placée pour faire en sorte que non seulement justice soit rendue mais également qu'il y ait apparence de justice ». Ils ont ajouté : « dans une autre tournure surprenante d’événements, At Am et autres ont récemment introduit une autre requête devant la Chambre (no 165/2012), dans l'intention de prolonger la durée de l'affaire civile n°95/2003. Ce qui est encore plus curieux est le fait que la déclaration sous serment en appui de la requête interlocutoire dans l'affaire n°165/2012 porte les références de l’affaire civile n°95/2003 ».
127. La déclaration ci-dessus amène la Cour à tirer deux conclusions : si les requérants sont parties dans l'affaire n°95/2003, celle-ci est encore pendante devant les juridictions internes et partant, les recours internes n’ont pas été épuisés. Si, en revanche, ils ne sont pas parties dans l'affaire n°95/2003 pendante devant les tribunaux internes, ils n’ont pas porté leur affaire devant la Cour d’appel après le jugement rendu le 23 mai 2011 par le Juge Twaib. Leur argument selon lequel un tel appel ne serait pas utile, au motif que la Cour d'appel avait déjà statué sur la question ne peut pas tenir, car la Cour d'appel ne s'était pas prononcée sur le fond.

Aw et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RJCA 371 391
128. La Cour d’appel avait simplement « reformé la partie de la décision de la Haute Cour radiant la requête et a ordonné l’examen de la requête sur le fond dès que possible, mais par un autre Juge… ». En tout état de cause, nous constatons et soutenons que la Haute Cour a été valablement saisie pour émettre un certificat en vertu de l’article 16 de la loi. Donc, le Juge a commis une erreur de droit pour ne pas avoir exercé sa compétence pour entendre la requête et statuer sur le fond. C’est pour cette raison que nous avons annulé sa décision radiant la requête au motif qu’elle était irrecevable ; nous la rétablissons et ordonnons qu’elle soit examinée et tranchée aussitôt par un autre Juge ».
129. La citation ci-dessus indique clairement que la Cour d'appel n’a pas examiné le fond l'affaire.
130. La Cour retient en conséquence que quelle que soit la situation, c’est-à-dire, que les requérants soient parties dans l'affaire n° 95/2003 ou qu’ils soient intervenus séparément, ils ne se sont pas conformés à l’exigence de l’article 56(5) de la Charte en ce qui concerne les demandes de compensation.
131. Sur la question de la prolongation excessive des procédures, les requérants soutiennent que le processus a été prolongé de façon anormale au niveau national. Ils affirment, dans leur réplique à la réponse du défendeur que l’Accord de médiation pour le paiement de leurs droits aux anciens employés de la défunte Communauté de l’Afrique de l'Est a été signé en 1984 et que tant le Kenya que l’Ak avaient déjà payé leur dû à leurs ressortissants.
132. Le défendeur n'a pas abordé cette question dans sa réponse en date du 7 mars 2013. Toutefois, au vu des plaidoiries, la Cour considère que l'affaire a débuté devant la Haute Cour en 2003, et a été clôturée en 2005 par la signature de l’Acte de règlement. La Cour estime que le fond de l'affaire a été examiné en 2005 et les requérants n’ont saisi la Cour après, que pour l’exécution de l'Acte de règlement. 133. Au vu des plaidoiries, la Cour considère que depuis le début de l’affaire devant les juridictions en 2003, en particulier après la signature de l’Acte de règlement en 2005, les retards enregistrés ont été occasionnés par les différends internes parmi les plaignants. Le paragraphe 18 de leur réplique à la réponse du défendeur vient étayer cette conclusion. Ils affirment, en effet, que « pour les raisons ci- après… avons conclu que les personnes qui figurent sur la liste de paie 3A, sous l’égide de At Am et six autres, sont l’un des facteurs ayant causé un prolongement anormal des procédures et l’on pourrait se demander si notre Honorable Gouvernement n’y est pas pour quelque chose ».
134. Il n’y a aucune indication que les procédures au niveau interne aient été prolongées de façon anormale à une étape quelconque de l’affaire et les requérants n’ont pas fourni la preuve d’une collusion entre le défendeur et les requérants de liste 3A pour « prolonger la procédure ». Lorsque la Cour d’appel s'est rendu compte de la tension que l'affaire avait provoquée, elle a invoqué ses pouvoirs en vertu de la loi sur la compétence des juridictions d’appel pour intervenir, et lorsque l’affaire a été renvoyée devant la Haute Cour, le Juge Twaib a tranché

392 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
l’affaire en deux semaines, au point que les requérants eux-mêmes ont été surpris par la rapidité avec laquelle l'affaire avait été traitée.
135. En conséquence, la Cour considère que la procédure de l'affaire en l'espèce n’a pas été prolongée de façon anormale par le défendeur. 136. S'agissant des brutalités policières, le défendeur fait valoir qu’ « il n’existe aucune preuve que ces victimes alléguées ou requérants ont introduit un recours quelconque devant les juridictions internes contre les violences policières alléguées. La lettre qu’ils ont adressée à la Cour en date du 16 juillet 2012... ne va pas dans ce sens ».
137. Les requérants n’ont apporté aucune preuve des mesures qu’ils ont prises, ou tenté de prendre, pour épuiser les voies de recours internes. Dans leur réplique à la réponse du défendeur, ils citent leur lettre du 16 juillet 2012 comme justification de l'épuisement des recours internes. Or cette lettre décrivait simplement les incidents qui avaient eu lieu ce jour-là et rien n’était dit sur une procédure quelconque engagée devant une juridiction. La Cour considère dès lors que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne les allégations de brutalités policières.
138. Sur les deux chefs de demande, à savoir la réclamation portant sur des compensations et l’allégation de brutalités policières, la Cour constate que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes.
v. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du délai non raisonnable écoulé avant l’introduction de la requête
139. L'article 56(6) de la Charte exige que les requêtes soient « introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
140. Ayant conclu que les requérants n'avaient pas épuisé les voies de recours internes comme le prescrit l’article 56(5) de la Charte, la Cour estime qu’elle ne doit pas se prononcer sur la condition du délai non raisonnable énoncée par l’article 56(6).
vi. Sur la demande des requérants de retirer la réponse du défendeur du dossier
141. Concernant la demande du requérant de retirer la réponse du défendeur du dossier, la Cour fait observer que la réponse du défendeur a été reçue au Greffe le 11 mars 2013, soit quatre (4) jours après le délai fixé par la Cour. Cependant, la Cour relève que la réponse était datée du 7 mars 2013 et n'est parvenue au Greffe que quatre jours plus tard par courrier. Pour cette raison, même si la requête a été reçue en dehors du délai fixé, la Cour estime qu’elle a été valablement déposée.
142. La Cour, ayant dégagé la conclusion que la requête n'est pas recevable au motif que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes, décide que l'affaire ne sera pas examinée sur le fond.

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C. Sur les frais de la procédure
143. Le défendeur prie la Cour de condamner le requérant aux dépens. 144. La Cour relève que l’article 30 du Règlement intérieur prévoit qu’« à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ». Après avoir considéré toutes les circonstances de la cause, la Cour estime que chaque partie devra supporter ses frais de procédure.
La Cour,
1) Sur sa compétence, à la majorité de neuf (9) contre un (1), le Juge OUGUERGOUZ ayant émis une opinion dissidente :
i. Rejette l'exception d’incompétence soulevée par le défendeur. ii. Se déclare compétente pour connaître de la requête ;
2) À l’unanimité, rejette la demande du requérant de retirer le mémoire en réponse du défendeur du dossier au motif qu’il a été déposé en dehors des délais prescrits.
3) Sur la recevabilité de la requête, à l'unanimité,
i. Rejette l'exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur fondée sur l'identité des requérants ;
ii. Rejette l'exception soulevée par le défendeur tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et avec la Charte ;
iii. Rejette également l'exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur, fondée sur le fait que la requête ne doit pas être basée sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ; iv. Retient l'exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les violations liées à la demande d'indemnisation ;
v. Retient également l'exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur, tirée du non-respect de l'épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les violences policières ;
4) Déclare en conséquence la requête irrecevable.
5) Conformément à l’article 30 du Règlement intérieur de la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure.

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Opinion dissidente : OUGUERGOUZ
1. Bien que je sois également en faveur du rejet de la requête introduite par Monsieur Ap An Aw et autres contre la République Unie de Tanzanie, je considère que la Cour aurait dû se déclarer incompétente ratione temporis pour connaître des violations alléguées des droits des requérants tirées du non-paiement de l'intégralité de leurs pensions et indemnités de licenciement et qu’elle aurait en conséquence dû examiner la recevabilité de la requête exclusivement en ce qui concerne les violations alléguées des droits des requérants tirées des violences policières qui auraient eu lieu après le prononcé de la décision de la High Court de Tanzanie à Dar es Salaam le 23 mai 2011. Seule la question préliminaire de la compétence temporelle de la Cour nous occupera donc ici.
2. L'État défendeur a déposé ses instruments de ratification de la Charte et du Protocole le 9 mars 1984 et le 10 février 2006, respectivement ; il a déposé la déclaration facultative de juridiction obligatoire le 9 mars 2010. C’est en conséquence cette dernière date qui constitue la date critique aux fins de déterminer la compétence de la Cour pour connaître de violations alléguées de la Charte ou d’un autre instrument juridique international ratifié par l’État défendeur.
3. Il s'ensuit que si elle est saisie d’une requête individuelle dirigée contre l’Etat défendeur, qui allègue la violation d’un droit fondée sur des faits s'étant produits avant le 9 mars 2010, la Cour n’a en principe pas compétence pour connaître de cette allégation.
4. La compétence ratione temporis de la Cour doit être appréciée exclusivement en relation avec les faits générateurs de la violation alléguée ; l'échec subséquent des recours introduits dans l’ordre judiciaire interne de l’Etat défendeur aux fins de redressement de la violation ne saurait faire entrer cette violation dans le champ de compétence temporelle de la Cour.
5. Dans un arrêt rendu le 8 mars 2006, la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a ainsi fait observer ce qui suit :
« Un justiciable qui estime qu’un Etat a violé ses droits garantis par la Convention est censé exercer d’abord les voies de recours disponibles en droit interne. Si celles-ci se révèlent infructueuses et que l'intéressé s'adresse ensuite à la c éventuelle de ses droits garantis par la Convention doit être considérée comme découlant non pas du refus de remédier à l’ingérence incriminée mais de l’ingérence elle-même, étant entendu que celle-ci peut revêtir la forme d’une décision de justice ».!
6. Aux fins d’établir la compétence temporelle de la Cour en l’espèce, il est donc essentiel de localiser dans le temps le fait de l'Etat défendeur qui est à l’origine de la violation alléguée de ses obligations internationales au titre de la Charte ou de tout autre instrument juridique auquel il est partie.
1 Paragraphe 78 de l'arrêt rendu dans l'affaire Ai c. Croatie, requête No. 59532/ 00.

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7. Lorsque, comme c'est le cas ici, les faits de l'espèce se situent en partie avant et en partie après la date critique (c'est-à-dire le 9 mars 2010), il est nécessaire de déterminer si la violation alléguée procède d’un fait qui s’est produit antérieurement à cette date ou d’un fait qui s’est produit postérieurement à celle-ci. A cet égard, il convient de garder en mémoire la classique distinction entre les faits de l'Etat ayant un « caractère instantané »? et ceux possédant un « caractère continu ».3
8. Dans l'examen de sa compétence temporelle, la Cour devrait tenir compte non seulement des faits dont se plaignent les requérants mais également de la portée des droits garantis par un instrument juridique international, dont la violation est alléguée.
9. En l'espèce, les requérants allèguent que le non-paiement de l'intégralité des pensions et indemnités de licenciement qui leur sont dues par l'Etat défendeur constitue une violation des articles 7, 8, 23, 25 et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
10. Les quatre premières dispositions garantissent, respectivement, le droit à l'égalité et à la non-discrimination, le droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes, le droit au travail et à des conditions de travail satisfaisantes et le droit à un niveau de vie suffisant. L'article 30, pour sa part, ne consacre pas un droit de l'individu en tant que tel ; il est en effet libellé comme suit : « aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés ». Cette disposition consacre l’interdiction devenue classique de l’abus de droit.“
2 « La violation d’une obligation internationale par le fait de l'Etat n'ayant pas un caractère continu a lleu au moment où le fait se produit, même si ses effets perdurent », paragraphe 1 l’article 14 (« Extension dans le temps de la violation d’une obligation internationale ») du « Projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite adopté par la Commission du droit international le 9 août 2001 », Annuaire de la Commission du droit international, Volume II (Deuxième partie), Rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, UN Doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), p. 27.
3 « La violation d’une obligation internationale par le fait de l'Etat ayant un caractère continu s'étend sur toute la période durant laquelle le fait continue et reste non conforme à l'obligation internationale », paragraphe 2 du même article 14. La Cour peut ainsi considérer des faits antérieurs à la date d'entrée en vigueur de la déclaration facultative à l'égard d’un Etat défendeur si elle estime qu’ils sont à l’origine d’une situation continue qui s'est prolongée au-delà de cette date (voir par exemple les considérations de la Cour en la matière aux paragraphes 62 à 83 de l'arrêt qu’elle a rendu le 21 juin 2013 sur la recevabilité de la requête No. 013/2011, Ayants-droit de feus Aq Af, Ac Ar dit Ablasse, Am Af et Blaise IIboudo & Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Bd Bf).
4 D'autres instruments juridiques internationaux prévoient une telle interdiction, comme par exemple le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 5), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (article 5), la Convention américaine des droits de l'homme (article 29(a)), la Convention européenne des droits de l'homme (article 17) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union e pour un examen de cette question, voir Sébastien van

396 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
11. Quelle que soit la pertinence des droits dont les requérants allèguent la violation par l'Etat défendeur en raison du non-paiement de l'intégralité de leurs pensions et indemnités de licenciement, la Cour ne peut connaître de la violation de ces droits que si celle-ci rentre le champ de sa compétence ratione temporis. || est donc essentiel de dater avec précision la survenance du fait générateur de cette violation alléguée, constitué en l'espèce par le non-paiement par l'Etat défendeur de l'intégralité des pensions et indemnités de licenciement.
12. |! ressort des faits de l'espèce que plusieurs dates pourraient être prises en considération aux fins de déterminer la survenance de ce fait générateur.
13. Le 20 septembre 2005, un règlement amiable (« Deed of Settlement ») a été conclu entre les requérants et leurs co-plaignants de l’époque, d’une part, et l'Etat défendeur, d’autre part. Le 21 septembre 2005, ce règlement amiable a été enregistré à la High Court de Tanzanie à Dar es Salaam.
14. Aux termes de l’article 3 de cet accord, l'Etat défendeur s’était engagé à payer les sommes dues aux plaignants et de le faire entre le 20 septembre 2005 et le 28 octobre 2005. Aux termes de l’article 2 de cet accord, il s'était également engagé à considérer toute autre demande d’indemnisation dans un délai de six (6) mois courant à partir du 28 octobre 2005.
15. Dans leur requête, les requérants indiquent que :
« Respondents on 21/9/2005 started to pay the applicants only one item (passage). (.) Doing this shows that by paying only one item in the total of 15 the defendants contravened the out of Court settlement » (voir leur lettre du 16 janvier 2012).
16. Le 15 octobre 2010, les requérants estimant insuffisants les paiements faits par l'Etat défendeur, ont une nouvelle fois saisi la High Court de Tanzanie.
17. Le 23 mai 2011, la High Court de Tanzanie a rejeté la demande des requérants visant à la délivrance par cette juridiction d’un document intitulé « Certificate of Payment ». À la page 17 de sa décision, le juge Fauz Twaib a fait sienne l'interprétation faite de l'accord amiable en 2008 et 2009 par le juge Orlyo, celui-là même qui avait enregistré cet accord par sa décision en date du 21 septembre 2005 ; le juge Twaib s’est en particulier référé aux paragraphes suivants des deux décisions prises par le juge Orlyo.
18. Dans sa décision du 19 septembre 2008, le juge Orlyo relevait que : « Looked at from an objective angle, by Clause 2, the (Defendant) undertakes to pay all the (Plaintiffs) claims as enumerated at page 3 thereof. But the undertaking by the (Defendant) to pay is qualified and restricted. Whereas the claim in the plaint and at page 3 of the Ao
Ae, « L'article 17 de la Convention européenne des droits de l'homme est-il indispensable ? », Revue trimestrielle des droits de l'homme, 2001, pp. 541- 566. Les dispositions susmentionnées s'inspirent dans une certaine mesure de la phrase prononcée par Ay Bc de Saint-Just durant la Révolution française : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »

Aw et autres c. Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 371 397
Deed are general, it was agreed by the parties that their payments are to be made on the basis of the individual record of each employee (...) » (c’est moi qui souligne).
19. Dans sa seconde décision en date du 30 janvier 2009, il indiquait que :
« There is no dispute on the content of paragraph 8 (...) and on the rights of the Applicants stated therein. However, the contents of paragraph 8 are not to be taken in isolation of the rest of the paragraphs of the Deed of Settlement. Further, and of cardinal importance is that the contents of paragraph 8 and the whole Deed of Settlement are subject to the relevant aws ».
20. Ces deux décisions témoignent clairement qu’à la date du 19 septembre 2008, il existait déjà une plainte et donc une contestation quant au paiement des pensions et indemnités de licenciement par l'Etat défendeur ; cela présuppose nécessairement l'existence à cette date d’une violation par l’Etat défendeur de son obligation à l'égard des requérants, telle que prévue par le règlement amiable du 20 septembre 2005. La contestation est donc bien antérieure à la saisine de la High Court de Tanzanie par les requérants le 15 octobre 2010.
21. Il est ainsi permis de conclure de ce qui précède que la survenance du fait générateur de la violation alléguée de certaines dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme est antérieure à la date d'entrée en vigueur de la déclaration facultative à l'égard de l'Etat défendeur et que partant la Cour n’est pas compétente ratione temporis pour connaître de cette allégation.
22. La Cour aurait ainsi dû se déclarer incompétente en ce qui concerne les violations alléguées des droits des requérants tirées du non-paiement de l'intégralité de leurs pensions et indemnités de licenciement ; elle aurait dû poursuivre l’examen de la recevabilité de la requête mais uniquement en ce qui concerne les allégations de violation des droits des requérants tirées des violences policières qui auraient eu lieu le 23 mai 2011, pour la déclarer, comme elle l’a fait, irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours internes.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM697982892
Date de la décision : 28/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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