308 RECUEIL DE JURISPRUDENCE
Ad Ab c. Malawi
1 RJCA 308
DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
(révision et interprétation) (2014)
Ad Ab c. République du Malawi
Arrêt du 28 mars 2014. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges B, NGOEPE, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ,
RAMADHANI, THOMPSON, ORÉ, GUISSE et KIOKO
N’a pas siégé en application de l’article 22 : TAMBALA
N’a pas participé : ABA
Demande de révision de la décision d’irrecevabilité de la requête et
interprétation de l'arrêt.
Interprétation du jugement (le but de l’interprétation d’un arrêt est de
permettre son exécution, 6)
Révision du jugement (éléments de preuve non connus au moment du
prononcé de l'arrêt, 12)
Opinion individuelle : N'YUNGEKO
Interprétation du jugement (l'interprétation ne peut porter que sur le
dispositif du jugement, 6)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Interprétation de l’arrêt (la Cour irait au-delà de son mandat
Révision du jugement (la Cour devrait énoncer clairement les
circonstances justifiant une révision, 10, 16, 17)
I Historique de l’affaire
1. La Cour a rendu son arrêt le 21 juin 2013 dans une affaire introduite par le requérant contre le défendeur. Par lettre datée du 16 août 2013, le requérant a introduit une nouvelle requête comportant deux demandes : la révision de l'arrêt rendu par la Cour et l'interprétation de l'arrêt. Le requérant affirme se fonder respectivement sur les articles 67 et 66 du Règlement. Dans cette requête, le requérant assure sa propre défense
2. Le 28 août 2013, le Greffe a notifié la requête au défendeur en lui demandant de faire connaître sa réponse dans les trente (30) jours
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suivant réception de la notification. Ce délai a été prorogé de quinze (15) jours, c’est-à-dire au 19 octobre 2013. Le défendeur n’a cependant pas répondu. La Cour a donc décidé de procéder à l’examen de la requête.
3. Dans sa requête, comme indiqué plus haut, le requérant formule deux demandes. Dans le présent arrêt, la Cour a traité la demande aux fins d'interprétation en premier.
Il. Demande aux fins d’interprétation, en vertu de l’article 66 du règlement intérieur de la Cour
4. La demande aux fins d'interprétation porte sur huit « points » qui font l’objet de ladite demande d'interprétation :
a) Paragraphe 29 de l'arrêt, en vertu de l’article 15 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (la Charte) : le requérant se plaint que ses pièces à conviction « UM POTANI » et « UM HC APPEAL » n'ont pas été mentionnées dans l’arrêt.
b) Paragraphe 29 de l’arrêt, en vertu de l’article 7 de la Charte le requérant souhaite que la Cour interprète ce paragraphe et détermine si le Tribunal du travail du Malawi a violé l’article 7 de la Charte et si la Cour a violé certaines dispositions de la Constitution du Malawi lorsqu'elle a infirmé la décision de la Haute Cour du Malawi.
c) Paragraphes 34 à 40 de l'arrêt, en vertu de l’article 56(5) de la Charte : La Cour a décidé que le requérant n'avait pas épuisé toutes les voies de recours internes alors que la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission), à sa quarante-sixième session, a conclu qu’il avait épuisé ces voies de recours internes. En conséquence, le requérant souhaite que la Cour interprète le paragraphe 38(2) de l'arrêt, afin de déterminer s’il a épuisé ou non toutes les voies de recours internes. d) Paragraphe 41 de l’arrêt, en vertu de l’article 56(7) de la Charte :
Le requérant souhaite que la Cour détermine s’il a encore la possibilité de réintroduire son affaire devant la Commission, étant donné que la Cour ne "a pas « réglée », au sens de l’article 56(7) de la Charte
e) Paragraphes 19 et 29 de l'arrêt aux termes de l’article 26 de la Charte : Le requérant relève que la Cour a rejeté sa plainte légitime relative à un lien de parenté entre le Juge Tembo de la Cour suprême d’appel du Malawi et "étudiant dénommé Ae qui était l’une des personnes qui s'étaient plaintes de lui. Le requérant souhaite savoir si la Cour s'est fondée sur "article 44 D4 du Règlement de la Cour européenne des droits de l'homme pour rendre sa décision.
) L'interprétation de la date de l'arrêt, en vertu de l’article 28(1) du Protocole et de l’article 59(2) du Règlement intérieur de la Cour :
Les deux dispositions citées exigent que la Cour rende son arrêt dans les quatre-vingt-dix jours suivant la fin des délibérations. Le requérant veut savoir s’il relevait du pouvoir de la Cour de rendre son arrêt le 21 juin 2013, au lieu du 10 juin 2013.
g) L'interprétation de la date de l'arrêt, en vertu de l’article 15(2) du Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l'homme
Le requérant relève que neuf Juges ont entendu l'affaire à Maurice mais, dans l'arrêt, il est indiqué que la décision a été prise à la majorité de sept Juges contre trois, soit dix Juges au total.
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h) Interprétation de l'arrêt, en vertu de l’article 30(3) Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (lACHR) et de l’article 36 du Règlement intérieur de la Cour :
Au paragraphe 29 de l'arrêt, la Cour a relevé que le requérant n’a pas rejeté l'argument du défendeur concernant le lien de parenté entre le Juge Tembo et l'étudiant Tembo mentionné dans les documents « Malawi 1 » et « Malawi 2 » qui lui ont été envoyés le 30 novembre 2012. Il a posé la question ci-après : « Comment peut-on réagir au contenu d’un document dont on ignore le contenu » ?
5. Le requérant s’est, à juste titre, référé à l’article 66 du Règlement, mais l’article qui aurait dû être cité est l’article 28(4) du Protocole qui dispose que :
« 4. La Cour peut interpréter son arrêt ».
Pour sa part, l’article 66 dispose que :
« 1. En application de l’article 28(4) du Protocole, toute partie peut, aux fins de l’exécution de l'arrêt, demander à la Cour d'interpréter [l’arrêt) … 2. La demande est déposée au Greffe. Elle indique avec précision le ou les points du dispositif de l’arrêt dont l'interprétation est demandée ».
6. L'interprétation d’un arrêt peut être demandée à la Cour qu’« aux fins de l'exécution de l'arrêt. En l'espèce, la requête a été rejetée au motif que les recours internes n'avaient pas été épuisés ; l’arrêt n'impose aucune obligation positive susceptible d’être exécuté. II ne peut donc pas y avoir une demande en interprétation de l’arrêt au sens de l’article 28(4) du Protocole, lu conjointement avec l’article 66 du Règlement intérieur de la Cour, car aucune exécution n’est possible dans le cadre de l'arrêt de la Cour.
7. Par ailleurs, la requête ne respecte pas les dispositions de l'article 66(2) en ce qu'elle n’« indique (pas) avec précision le ou les points du dispositif de l’arrêt dont l'interprétation est demandée ». Bien au contraire, la requête est de manière générale incohérente et incompréhensible. Les huit « points » soulevés par le requérant ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une demande en interprétation étant donné qu'ils ne portent pas sur le dispositif de l'arrêt. Le requérant demande l'avis de la Cour, sur un certain nombre de questions, dont la possibilité ou non pour lui de saisir de nouveau la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.
8. Toutefois, afin de dissiper tout doute, il y a deux points qui doivent être expliqués. Le premier point est que le requérant voudrait savoir s’il relève du pouvoir de la Cour de rendre un arrêt le 21 juin 2013 au lieu du 10 juin 2013. Le requérant n'explique pas comment il est parvenu à la date du 10 juin 2013. En tout état de cause, il n’est pas important que la Cour se prononce sur cette demande étant donné qu’elle a déjà cité les dispositions de l’article 28(1) du Protocole et l’article 59(2) du Règlement intérieur, pour dissiper tout doute dans l’esprit du requérant.
Lorsque le Président clôturait l’audience à Maurice le 30 novembre 2012, il a apporté la précision supplémentaire suivante :
« Il ne s’agit pas de 90 jours à compter de ce jour, mais de 90 jours à compter de la clôture des délibérations. Une fois que la Cour serait prête à rendre son arrêt, le Greffe en informera les parties. Par conséquent, la séance est levée sine die ».
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Il convient de relever que la détermination de la clôture des délibérations est une affaire interne à la Cour.
9. Le second point est que le requérant se souvient à juste titre qu’à Maurice, il a comparu devant neuf Juges alors que dans l'arrêt il est indiqué que sept Juges ont voté en faveur de la décision et trois contre. Il fait remarquer qu’il devrait s'agir de six Juges et non sept qui ont voté en faveur de la décision. La Cour reconnait qu'une erreur typographique s’est glissée dans l'arrêt et qu’il devait y être indiqué six et trois Juges au lieu de sept et trois, et un corrigendum a été publié. Cependant, ce point ne peut faire l’objet d'interprétation.
10. La demande aux fins d'interprétation de l'arrêt remplit les conditions de l’article 66(1) du Règlement intérieur en ce qui concerne le délai de douze (12) mois, durant lequel une requête aux fins d’interprétation d’un arrêt peut être introduite. Toutefois, elle ne remplit pas les conditions de l’article 28(4) du Protocole et de l’article 66(2) du Règlement intérieur. Au vu de ce qui précède, la demande aux fins d'interprétation ne peut pas être examinée.
II. Demande aux fins de révision introduite par le requérant en vertu de l’article 67 du règlement intérieur de la Cour
11. En vertu de l’article 28 du Protocole, la Cour a le pouvoir réviser son arrêt. Cet article est libellé comme suit :
«2. L'arrêt de la Cour est pris à la majorité, il est définitif et ne peut pas faire l’objet d’appel.
3. La Cour peut, sans préjudice des dispositions de l'alinéa (2) qui précède, réviser son arrêt, en cas de survenance de preuves dont elle n’avait pas connaissance au moment de sa décision et dans les conditions déterminées dans le Règlement intérieur ».
L'article 67 du Règlement intérieur de la Cour est libellé ainsi :
« En application de l’article 28(3) du Protocole, une partie peut demander à la Cour de réviser son arrêt, en cas de découverte de preuves dont la partie n'avait pas connaissance au moment où l'arrêt était rendu. Cette demande doit intervenir dans un délai de six (6) mois à partir du moment où la partie concernée a eu connaissance de la preuve découverte ».
12. Le requérant doit donc démontrer dans sa requête « la communication des éléments de preuves dont la partie n’avait pas connaissance au moment où l’arrêt était rendu ».
13. Dans sa demande, le requérant entend citer deux parties de l'arrêt rendu par la Cour qui, selon lui, constituent de « nouveaux éléments
13.1. Tout d’abord, il soutient que le premier « élément d’information » qui est « présenté » au paragraphe 27 de l'arrêt, qu’il a cité de façon inexacte comme suit :
« Au Malawi, il existe une loi ou une pratique qui interdit aux justiciables qui ne sont pas des praticiens agréés du droit ou des avocats de s'adresser à la Cour à partir de la barre réservée à ces derniers et lorsque j'ai interjeté appel devant la Haute Cour contre la décision du Tribunal du travail, j'ai refusé (sic) de plaider ma cause (sic) à partir de n'importe quel autre
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endroit et décidé de saisir la Cour suprême contre la décision du Tribunal du Travail ».
13.2. Ensuite, il affirme que l’autre « élément d’information » qui est « présenté » au paragraphe 37 de l’arrêt qu’il a une fois de plus cité de façon inexacte comme suit :
« C’est moi qui ai écourté la procédure de recours devant les juridictions nationales du Malawi en soumettant cinq exemplaires sur les sept exemplaires de divers Jugements rendus par les tribunaux du Malawi, raison invoquée par la Cour africaine dans son arrêt du 21 juin 2013 ».
14. Il convient de relever d’emblée que l’article 28(3) du Protocole dispose que la procédure de révision doit être sans préjudice des dispositions de l’article 28(2) : en d’autres termes une telle procédure ne peut pas être utilisée pour compromettre la finalité des Jugements prévus à l'article 28(2), qui précise encore que ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’un appel. C’est dans ce contexte que cette requête doit être appréhendée.
14.1. Le requérant cite de manière inexacte l'arrêt, notamment deux de ses paragraphes. Le paragraphe 27 de l'arrêt est libellé comme suit : « Non satisfait de ce Jugement, le requérant a interjeté appel devant la Haute Cour. Le requérant a voulu s'adresser à la Cour à partir de la barre réservée aux praticiens reconnus. Lors de sa comparution, le requérant, qui n’est ni un praticien agréé du droit, ni avocat, a voulu s'adresser à la Haute Cour à partir de la barre réservée aux avocats reconnus. Cela lui a été refusé, compte tenu de la pratique devant les juridictions du pays, il avait toutefois tout le loisir de plaider sa cause, à partir de la barre réservée aux demandeurs. Il a refusé de plaider à partir de tout autre emplacement, et il a décidé plutôt d’intenter un recours devant la Cour suprême d’appel, pour la troisième fois ».
En ce qui concerne le paragraphe 37 de l’arrêt, son contenu est tout à fait différent de ce qu'’affirme le requérant. Ce qu’il présente comme étant le paragraphe 37 ne peut être retrouvé nulle part dans l'arrêt. En conséquence, même si ce que le requérant présente de manière inexacte comme étant le paragraphe 27 de l'arrêt résume au moins le contenu de ce paragraphe, ce qu’il présente comme étant le paragraphe 37 est incompréhensible et fait pas partie de l'arrêt.
14.2. En outre, ce que le requérant présente comme « nouvel élément d’information » n’est en réalité ni nouveau, ni ne constitue une « preuve » au sens de l’article 28 du Protocole ou de l’article 67(1) du Règlement intérieur de la Cour car il prétend qu’il s'agit d’une conclusion de la Cour dans l'arrêt qu’elle a rendu. Les nouvelles preuves envisagées par le Protocole et le Règlement intérieur de la Cour sont celles dont les parties concernées n'avaient pas connaissance auparavant. Aucune information contenue dans le mémoire du requérant ne constitue une « preuve » dont la Cour n’avait pas connaissance au moment de sa décision.
15. La demande aux fins de révision remplit les conditions prévues à l’article 67(1) du Règlement en ce qui concerne le délai de 6 (Six) mois durant lequel une requête aux fins de révision d’un arrêt peut être introduite. Toutefois, elle ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 28(2) du Protocole et à l’article 67(1) et (2) du Règlement intérieur de la Cour.
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16. Même si le défendeur n’a pas déposé de réponse à la requête, cela ne purge pas les vices qui l’entachent et n’ajoute rien à la requête.
Pour toutes ces raisons, la Cour rend la décision suivante :
1. Le requérant s’est conformé à l’article 66(1) du Règlement intérieur de la Cour en ce qui concerne le délai de douze (12) mois durant lequel une requête aux fins d'interprétation peut être introduite ; 2. La demande aux fins d'interprétation de l'arrêt n’est pas accueillie et elle est rejetée ;
3. Le requérant s’est conformé à l’article 67(1) du règlement intérieur de la Cour en ce qui concerne le délai de 6 (six) mois durant lequel une requête aux fins de révision d’un arrêt à partir de la date de découverte alléguée de nouveaux éléments de preuve ;
4. Les demandes contenues dans la requête aux fins d'interprétation et de révision de l'arrêt rendu par la Cour le 3 juin 2013 sont irrecevables et elles sont rejetées. La Cour n’examinera donc pas le fond de la requête.
Opinion individuelle : N'YUNGEKO
1. Dans son arrêt du 28 mars 2014 en l'affaire Ad Ab c. République du Malawi, requête en interprétation et en révision de l’arrêt du 21 juin 2013, la Cour conclut que la demande en révision n’est pas recevable en l’absence de nouvelles preuves dont le requérant n'avait pas connaissance au moment où le premier arrêt de la Cour a été rendu (articles 28(3) du Protocole portant création de la Cour (ci-après le Protocole) et 67 du Règlement intérieur de la Cour (ci-après le Règlement intérieur)) (paragraphes 16 et 15).
Elle conclut également que la demande aux fins d'interprétation n’est pas accueillie et est rejetée, au motif notamment que les points soulevés par le requérant ne concernent pas le dispositif de l’arrêt en question (articles 28(4) du Protocole et 66 du Règlement intérieur) (paragraphes 16 et 7).
2. Je partage ces conclusions de la Cour sur les deux questions, mais je suis en désaccord avec elle sur le fait qu’en ce qui concerne la requête en interprétation, elle s'est adonnée, malgré sa position de principe qui vient d’être rappelée, à l'interprétation de l’article 28(1) du Protocole et 59(2) du Règlement intérieur, ainsi qu’à l'examen d’un grief du requérant sur la composition du siège de la Cour qui a rendu l’arrêt du 21 juin 2013 précité.
1. La question de l’interprétation de l’article 28(1) du Protocole et de l’article 59(2) du Règlement intérieur
3. L'article 28(1) du Protocole dispose comme suit : « La Cour rend son arrêt dans les quatre-vingt-dix (90) jours qui suivent l'instruction de
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Quant à l’article 59(2) du Règlement intérieur, qui s’est alignée sur la version anglaise de l’article 28.1 du Protocole, il prévoit que « [lja décision de la Cour est rendue dans les quatre-vingt-dix (90) jours suivant la fin des délibérations ».
4. Dans sa requête, le requérant demande l'interprétation de la date de l’arrêt prononcé le 21 juin 2013 au regard de ces deux dispositions, et pose à la Cour la question de savoir si elle s'est « conformée à l’article 28(1) du Protocole et à l’article 59(2) du Règlement intérieur en rendant son arrêt le 21 juin 2013, soit onze (11) jours après la date réglementaire, qui était le 10 juin 2013 »
5. Dans son arrêt du 28 mars 2014, la Cour examine cette question et répond en substance que le délai de quatre-vingt-dix jours commence à courir avec la fin des délibérations et que la date à laquelle celles-ci se terminent est une affaire interne à la Cour (paragraphe 8).
6. A mon avis, la Cour n'avait pas à répondre à une telle question. En effet, il s’agit d’abord d’une question qui n’a rien à voir avec le dispositif de l'arrêt à interpréter.
Aux termes de l’article 66(2) du Règlement intérieur, la demande en interprétation d’un arrêt doit indiquer avec « précision le ou les points du dispositif de l’arrêt dont l'interprétation est demandée ». Ceci signifie que la demande d'interprétation ne peut porter que sur le dispositif (à l'exclusion notamment de la partie de l'arrêt portant sur la motivation), et que la Cour elle-même ne peut, de la même manière, avoir à interpréter qu’un point du dispositif de l’arrêt concerné.
Le dispositif de l’arrêt du 21 juin 2013 est formulé comme suit : « La Cour déclare la requête irrecevable, en vertu de l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte » (paragraphe 41).
Or, la demande du requérant concernant l'interprétation des articles 28(1) du Protocole et 59(2) du Règlement intérieur précitées n’a manifestement rien à voir avec ce dispositif qui concerne l’irrecevabilité de la requête pour non- épuisement des voies de recours internes. Elle n’a même rigoureusement rien à voir avec la motivation de l'arrêt. Elle concerne une question véritablement périphérique à celui-ci.
D'ailleurs, la Cour venait elle-même de le reconnaître dans un paragraphe précédent de son arrêt où elle indique que « [I]es huit points soulevés par le requérant ne peuvent en aucun cas faire l’objet de demande en interprétation étant donné qu’ils ne portent pas sur le dispositif de l’arrêt » (paragraphe 7).
7. La Cour justifie l'examen de ce point malgré l'affirmation qu’elle vient de faire, par la nécessité de lever tout doute au sujet de cette question. Cette justification n’est cependant pas convaincante. En effet, la même nécessité de lever tout doute pouvait valablement être ressentie à
1 Dans sa version anglaise, cette disposition prévoit une règle différente : « The Court shall render its judgment within ninety (90) days of having completed its deliberations » (italique ajouté).
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propos des six autres points soulevés par le requérant dans sa demande en interprétation que pourtant la Cour a décidé de ne pas clarifier, et la Cour n’explique pourquoi l'interprétation des articles 28(1) et 59.2 mérite un traitement différent des autres points. Le choix des points que la Cour n'a pas à interpréter, mais qu’elle interprète quand même, apparaît ainsi nécessairement comme arbitraire.
8. Ensuite, les passages de l'arrêt dans lesquels la Cour donne son interprétation des articles 28(1) du Protocole et 59(2) du Règlement intérieur ne constituent même pas des obiter dicta.
L’on sait en effet qu’il est généralement admis qu’un juge puisse inclure dans son jugement des obiter dicta. Obiter dictum est une locution latine signifiant ‘soit dit en passant’, qui « qualifie l'argument qui n’entre pas dans la ratio decidendi, qui n'est pas invoqué pour faire la décision ».? || s’agit d’un argument qui n’est pas rigoureusement nécessaire pour fonder la décision du juge.
Or, dans le cas présent, ces passages se veulent apparemment exprimer une interprétation décisive et obligatoire des articles concernés.
9. En outre, dans tous les cas, la Cour n’a pas à exercer, sans nécessité, sa mission d’interprétation des instruments juridiques des droits de l'homme, de façon incidente.
La Cour est investie d’une mission d'interprétation des instruments juridiques des droits de l'homme aussi bien en matière contentieuse (article 3 du Protocole) qu’en matière consultative (article 4 du Protocole).
Il s’agit d’une mission qu’elle doit exercer à titre principal et autonome, dans le cadre de cette double compétence et des procédures appropriées, et pas en passant et au détour de l'interprétation du dispositif d’un arrêt.
Il s'agit également d’une mission qu’elle doit accomplir en suivant les règles de l’art, c'est-à-dire en se fondant notamment sur les règles d'interprétation des traités internationaux, tels que prévues par les articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969.
Dans la présente affaire, en s'adonnant rapidement à une interprétation incidente de l’article 28(1) du Protocole, la Cour a pris le risque de fournir une interprétation incomplète de cet article, sans égard aux règles précitées de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
10. Enfin s’il s'agissait pour la Cour de donner un avis consultatif, il est clair, aux termes de l’article 4 du Protocole, qu’elle n’en a pas la compétence lorsqu'une demande émane d'un individu.
2 Lexique des termes juridiques 2014, Aa C et al ed., 21e éd., 2013, p. 635. Selon le Black's Law Ag, obiter dictum, is « [a] judicial comment made while delivering a judicial opinion, but one that is unnecessary to the decision in the case and therefore not precedential (although it may be considered persuasive)" (Ac Af A, ed., 9th ed. 2009, p. 1177).
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Il importe de le préciser parce que la Cour semble comprendre les demandes du requérant comme des demandes d’ « avis (..) sur un certain nombre de questions. » (paragraphe 7).
11. Pour toutes ces raisons, la Cour aurait dû s'abstenir de répondre à la demande d’interprétation des articles 28(1) du Protocole et 59(2) du Règlement intérieur, dans son arrêt du 28 mars 2014.
Il. La question de l’examen d’un grief du requérant sur la composition du siège de la Cour qui a rendu l’arrêt du 21 juin 2013 précité.
12. Dans sa requête en interprétation de l’arrêt du 21 juin 2013, le requérant demande également l'interprétation « de la date de cet arrêt au regard de l’article 15(2) du Règlement de procédure de la CIDH » [sic], en indiquant qu’alors qu’à l’audience publique il avait comparu devant neuf Juges, l’arrêt mentionne qu’il a été rendu par dix Juges.
13. Dans son arrêt du 28 mars 2014, la Cour se donne la peine d’y répondre dans les termes suivants : « La Cour reconnaît qu’une erreur typographique s’est glissée dans l’arrêt et qu’il devait y être indiqué six et trois juges au lieu de sept et trois et un corrigendum a été publié. Cependant ce point ne peut faire l’objet d’interprétation » (paragraphe 9).
14. A mon avis, la Cour n’avait pas à traiter de cette question dans son arrêt. Premièrement, comme la Cour le reconnaît, il ne s'agit pas là d'une question d'interprétation (ce qui la place déjà en dehors du champ de compétence de la Cour en matière d’interprétation des arrêts). Deuxièmement, la Cour n’a pas à corriger de simples erreurs typographiques dans un arrêt d’interprétation d’une décision antérieure. Dans sa pratique, la Cour fait corriger de telles erreurs à travers un erratum attaché à l'arrêt concerné. Cette démarche aurait suffi à régler le problème. Une décision judicaire de la Cour ne me semble pas être le lieu du règlement de telles questions,
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. Bien que je souscrive aux conclusions de la Cour quant à l’irrecevabilité des demandes en interprétation et en révision de son arrêt du 21 juin 2013 introduites par Monsieur Ad Ab, je ne partage pas entièrement le raisonnement qu’elle suit pour y parvenir et je souhaiterais expliquer pourquoi.
[. Concernant la demande en interprétation
2. Au paragraphe 6 du présent arrêt, la Cour observe à juste titre que, aux termes de l’article 66(1) du Règlement, une interprétation peut lui être demandée « aux fins de l'exécution d’un arrêt et que l’arrêt dont l'interprétation est en l'espèce demandée a déclaré irrecevable la requête pour non-épuisement des voies de recours internes par le requérant, La Cour fait ensuite observer que l'arrêt en question
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n’impose aucune obligation qui soit susceptible d'être exécutée et conclut que la demande en interprétation n'est pas possible aux termes des dispositions pertinentes du Protocole et du Règlement. C’est là à mon sens ce qu'il suffisait de dire en la matière.
3. La Cour a cependant jugé utile d'examiner si une deuxième condition posée par l’article 66 du Règlement était remplie en l'espèce, à savoir que la demande doit indiquer « avec précision le ou les points du dispositif de l'arrêt dont l'interprétation est demandée ».
4. A cet égard, la Cour fait observer que la demande est au contraire « de manière générale incompréhensible et incohérente » et conclut que les neufs «points » mentionnés par le requérant ne peuvent pas faire l’objet d’une interprétation." La Cour aurait dû à mon sens arrêter son analyse sur cette conclusion et passer à l'examen de la demande en révision.
5. En dépit de cette conclusion négative, la Cour a toutefois considéré qu’il y avait deux « points » qui méritaient d’être clarifiés « afin de dissiper tout doute ». Ce faisant, la Cour fait non seulement droit, de manière implicite, à la demande en interprétation introduite par le requérant mais elle le fait sans expliquer pourquoi elle a retenu ces deux « points » en particulier. Toute aussi obscure est l’assertion faite au paragraphe 8 de l'arrêt selon laquelle « il ne revient pas à la Cour de répondre à cette demande étant donné qu’elle a déjà cité les dispositions contenues dans l’article 28(1) du Protocole et l’article 59(2) du Règlement intérieur ».
6. La Cour a ensuite donné son éclairage sur la règle des 90 jours posée par l’article 28(1) du Protocole en relevant que « la clôture des délibérations est une affaire interne à la Cour » et a admis l’existence d’une erreur typographique dans l'arrêt du 21 juin 2013, qui a donné lieu à la publication d’un erratum.
7. J'estime que les développements contenus dans le paragraphe 8 ainsi que dans le paragraphe 9 du présent arrêt s'apparentent à des « justifications » qui n'avaient pas lieu d’être, spécialement en ce qui concerne l'application de la règle des 90 jours dont le sens demeure à ce jour ambigu.? La Cour aurait donc pu utilement en faire l’économie desdits développements.
8. En résumé, dans la présente espèce, la Cour aurait dû se contenter de rejeter la demande sans entrer dans toutes les considérations contenues aux paragraphes 7, 8 et 9 de l'arrêt. Dans le traitement à venir de demandes similaires, c’est-à-dire manifestement non fondées,
1 Je relèverais ici que l’un des neufs « points » mentionnés par le requérant dans sa demande : concerne le paragraphe 41 de l'arrêt du 21 juin 2013, en l'occurrence son dispositif (voir la lettre (d) du paragraphe 4 du présent arrêt); c'est cependant à la Commission africaine et non pas à la Cour qu'il appartient de répondre à une telle question.
2 On notera en effet que les versions anglaise et française de cette disposition ne concordent pas, la première se référant à la clôture des «délibérations et la seconde à la clôture de l’ « instruction », ce dernier terme désignant l’ensemble des étapes procédurales (phases écrite et orale) précédant la phase de jugement proprement dite.
318 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
la Cour pourrait s'inspirer de l’article 80(3) du Règlement de la Cour européenne des droits de l'homme qui prévoit que «la chambre initiale peut décider d'office d’écarter la demande au motif que nulle raison n’en justifie l'examen).
Il. Concernant la demande en révision
9. Je ne partage pas la lecture que fait la Cour des paragraphes 2 et 3 de l’article 28 du Protocole au paragraphe 14 du présent arrêt. L'expression sous réserve (« without prejudice ») utilisée au paragraphe 3 de cet article doit à mon sens être simplement entendue comme prévoyant une exception au principe du caractère «définitif) des arrêts de la Cour posée au paragraphe précédent.
10. J’estime également que la Cour aurait dû poser plus clairement les trois conditions de recevabilité de la demande en révision telles que prévues par le Protocole et le Règlement, à savoir que la demande doit 1) faire état de la survenance de preuves nouvelles, 2) dont la Cour « ou » la partie demanderesse n’avait pas connaissance au moment où l'arrêt a été rendu, et 3) être déposée dans un délai de six mois à partir du moment où ladite partie a eu connaissance de la preuve découverte. 11. Ce faisant, la Cour aurait pu profiter de cette occasion pour donner un éclairage utile sur certaines faiblesses du Protocole et du Règlement en la matière.
12. La non-concordance des versions anglaise et française du paragraphe 3 de l’article 28 du Protocole pourrait en effet expliquer pourquoi une des trois conditions qu’il pose ne soit pas identique à celle posée par le paragraphe 1 de l’article 67 du Règlement.
13. La version française du paragraphe 3 de l’article 28 du Protocole permet à la Cour de réviser son arrêt en cas de survenance de preuves « dont elle n’avait pas connaissance au moment de sa décision »; la version anglaise de ce paragraphe ne contient pas pour sa part une telle condition.
14. Quant au paragraphe 1 de l’article 67 du Règlement, tant sa version anglaise que sa version française prévoient que c’est la « partie » qui demande la révision qui ne doit pas avoir eu connaissance de la preuve nouvelle au moment où l'arrêt a été rendu.
15. À cet égard, il n’est pas sans importance de faire observer que ceux des instruments régissant le fonctionnement d’autres juridictions internationales, qui traitent de la question de la révision, exigent que tant la Cour que la partie qui demande la révision doivent avoir été dans cette ignorance ; il en va ainsi de l'article 25 du Protocole portant création de la Cour de Justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest,* de l’article 48(1) du Protocole portant
3 « La demande en révision d’une décision n’est ouverte devant la Cour que lorsqu'elle est fondée sur la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, au moment du prononcé de la décision, était inconnu de la Cour et du demandeur, à condition toutefois qu’une telle ignorance ne soit pas le fait d’une négligence ».
Ab c. Malawi (révision et interprétation) (2014) 1 RICA 308 319
création de la Cour africaine de Justice et des droits de l’'homme,* de l’article 61(1) du Statut de la Cour internationale de Justice“ et de
l’article l'homme. 80(1) du Règlement de la Cour européenne des droits de
16. Plus fondamental encore, ces trois instruments font référence à la survenance d’un « fait » nouveau et non pas d’une « preuve » nouvelle, ce qui est sensiblement différent ; ils prévoient également deux autres conditions essentielles, à savoir qu’il n’y ait pas eu de la part de la partie qui demande la révision « faute à ignorer le fait nouveau » et que ce fait doit être de nature à exercer une « influence décisive » sur l'issue de l’affaire tranchée par l'arrêt litigieux.
17. Ces questions relatives au sens à donner aux articles 28(3) du Protocole et 67(1) du Règlement méritaient à mes yeux de se voir accorder par la Cour au moins autant d'importance que celle du sens à donner aux articles 28(1) du Protocole et 59(2) du Règlement, relatifs au délai de 90 jours dans lequel la Cour doit rendre ses arrêts.
18. Je relèverais enfin que dans le dispositif de l’arrêt, la Cour décide de rejeter la demande en interprétation alors même que dans ses motifs elle s'est prononcée sur deux des neufs « points » mentionnés dans la demande du requérant.
4 « La révision d’un arrêt ne peut être demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision, sans qu’il y ait, de sa part, faute à l’ignorer ».
5 « La revision de l'arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la revision, sans qu’il y ait, de sa part, faute à l’ignorer ».
6 « Encas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l'issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l'époque de l'arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut, dans le délai de six mois à partir du moment où elle a eu connaissance du fait découvert, saisir la Cour d’une demande en révision de l'arrêt dont il s'agit ». La Convention américaine des droits de l'homme, pas plus que le Statut et le Règlement de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, ne contiennent de dispositions relatives à la révision des arrêts ; ces trois instruments font seulement référence à la question de l'interprétation des arrêts.