Mkandawire c. Malawi (recevabilité) (2013)
As Ab c. Malawi (recevabilité) (2013) 1
1 RICA 291 291
As Ab c. République du Malawi
Arrêt du 21 juin 2013. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges A, OUGUERGOUZ, NGOEPE, NIYUNGEKO,
RAMADHANI, THOMPSON, ORÉ, GUISSE et KIOKO
N’a pas siégé en application de l’article 22 : TAMBALA
Non-épuisement des voies de recours internes dans une affaire de
licenciement non justifié.
Compétence (violation continue, 36)
Recevabilité (non-épuisement des recours internes, 40.1)
Opinion individuelle : N'YUNGEKO et GUISSE
Séquence de jugement (la Cour devrait d’abord examiner sa
compétence et ensuite la recevabilité de la requête, 3, 4)
Compétence (compétence temporelle, entrée en vigueur du Protocole, 8
; violation continue, 9)
Recevabilité (épuisement des voies de recours internes, la Cour devrait
avoir des raisons convaincantes de ne pas accepter l’argument de l’État
défendeur que les recours internes avaient été épuisés, 13-18).
La Cour a publié un rectificatif (non daté) portant sur l’opinion dissidente
des juges Niyungeko et Guissé et qui est inséré dans le texte ci-dessous.
I Les Parties
1 Le requérant, As Ab, est un ressortissant du Malawi né au Congo. Il a introduit la présente requête en vue d’obtenir réparation suite à son licenciement par l'Université du Malawi (« l’Université »), où il était enseignant.
2 Le défendeur est l’État du Malawi. Celui-ci a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (« la Charte ») en 1989. Le défendeur est également Etat Partie au Protocole, qu’il a ratifié le 9 septembre 2008. Le défendeur a également fait la déclaration prévue à l’article 34(6) dudit Protocole, acceptant d’être attrait devant la Cour africaine par des plaignants individuels. Cette déclaration a été faite le 9 octobre 2008.
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Il. Procédure
3. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 13 mars 2011, par courriel et notifiée au défendeur et aux autres entités prévues à l’article 35 du Règlement, le 17 juin 2011, par lettres distinctes.
4 Le requérant ayant indiqué dans sa requête qu'il avait déjà saisi la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (« la Commission ») et qu’il avait retiré sa plainte par la suite, le Greffe a écrit à la Commission en date du 28 mars 2011, pour s'assurer que l'affaire avait été officiellement retirée conformément à l’article 29(6) du Règlement. Par lettre datée du 19 mai 2011, la Commission a informé la Cour que l'affaire avait effectivement été retirée par le requérant.
5. Par lettre datée du 10 mai 2011, le requérant a également demandé que l’ancien Greffier par intérim ainsi que le Juge Tambala, ressortissant du Malawi, soient exclus de l'examen de l’affaire et à sa vingt-et-unième session ordinaire tenue du 6 au 17 juin 2011, la Cour a constaté que le Juge Tambala s'était déjà récusé, et que conformément à l’article 22 du Protocole, il ne siégerait pas dans l'affaire. La Cour a également constaté que, de toutes manières, le Greffier par intérim, n’étant pas Juge, ne participerait pas aux délibérations de la Cour. Par lettre datée du 8 juillet 2011, le Greffier a donc informé le requérant en conséquence.
6. Par note verbale datée du 9 janvier 2012 et parvenue au Greffe le 7 février 2012, le défendeur a communiqué au Greffe les noms de ses représentants et a, par la même occasion, fait parvenir sa réponse à la requête. Ces documents ont été communiqués au requérant le même jour.
7 Le 14 mars 2012, le Greffe à reçu la réplique du requérant à la réponse du défendeur à la requête ; cette réplique a été communiquée au défendeur le même jour.
8 À sa vingt-quatrième session ordinaire tenue du 19 au 30 mars 2012, la Cour a invité le défendeur, conformément à l’article 52(4) du Règlement, à fournir les moyens de preuve à l'appui des exceptions préliminaires qu’il avait soulevées dans sa réponse à la requête, dans un délai de trente (30) jours. L’ordonnance a été notifiée aux parties le 2 avril 2012.
9 Le défendeur ne s'étant pas conformé à l’ordonnance de la Cour, le requérant a demandé à la Cour de poursuivre la procédure en l'espèce, par lettre datée du 21 mai, parvenue au Greffe le 22 mai 2012. 10. À sa vingt-cinquième session ordinaire tenue du 11 au 26 juin 2012, la Cour a décidé d’organiser une audience publique portant sur la requête les 20 et 21 septembre 2012, et par lettres distinctes datées du 3 juillet 2012, les deux parties ont été notifiées de la décision de la Cour.
11. Par note verbale datée du 14 juillet 2012 et parvenue au Greffe le 27 août 2012, le défendeur a demandé un report de l'audience publique, soit à la dernière semaine d'octobre, soit à la première semaine de novembre 2012, au motif que le Ministre des Affaires étrangères et deux représentants légaux de la République du Malawi
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participeraient à l'Assemblée générale des Nations Unies à New Ac (Etats-Unis).
12. Par lettre datée du 28 août 2012, le requérant a informé le Greffe que si l'audience était reportée à la vingt-septième session ordinaire qui se tiendrait à Maurice, il ne pourrait pas y participer en raison du coût du voyage. Il a invoqué l’article 55 du Règlement et demandé à la Cour d'examiner la possibilité de poursuivre l'examen de l’affaire comme prévu, même si le défendeur ne confirmait pas sa disponibilité.
13. À sa vingt-sixième session ordinaire tenue du 17 au 28 septembre 2012, la Cour a décidé que l'audience publique aurait lieu les 29 et 30 novembre 2012, durant sa vingt-septième session ordinaire, à Maurice. La Cour a également décidé de fournir une assistance au requérant, pour lui permettre de se rendre à Maurice pour l’audience. L'audience publique a donc eu lieu au cours de la vingt-septième session ordinaire de la Cour tenue du 26 novembre au 7 décembre 2012 et les deux parties y ont présenté leurs plaidoiries.
14. Une audience publique a été organisée les 29 et 30 novembre 2012 au cours de laquelle les parties ont présenté leurs observations orales tant sur les exceptions préliminaires que sur le fond de l'affaire. Les parties étaient représentées comme suit :
Pour le requérant :
« M. As Ab — représenté par lui-même
Pour le défendeur :
« M. Ai An — conseil
15. Au cours de cette audience publique, les membres de la Cour ont posé des questions aux parties et celles-ci ont répondu oralement.
II. Résumé des faits
16. Le requérant avait conclu un contrat d’emploi avec l’Université du Malawi en tant que chargé de cours de langue française, pour certains étudiants du premier cycle. Il affirme avoir signé le contrat d'emploi avec l’Université le 1°" décembre 1998 et qu’il a commencé à enseigner le 5 juillet 1999 au sein du département de français, qui avait son propre chef.
Le contrat d’emploi avait été conclu pour une durée indéterminée. L’une des clauses du contrat prévoyait que celui-ci pouvait être résilié par chacune des parties, moyennant un préavis de trois mois ou un salaire de trois mois tenant lieu de préavis. Le contrat est entré en vigueur le 1°" décembre 1998.
À la suite de certaines plaintes portées contre lui, le requérant a été démis de ses fonctions par lettre écrite du Secrétaire général de l’Université, en date du 2 décembre 1999. Le requérant a saisi de son cas les juridictions du Malawi, notamment le Tribunal du travail (Industrial Relations Court), jusqu'à la Cour suprême d’appel, cette dernière étant la plus haute juridiction du Malawi. Le requérant n'étant toujours pas satisfait, il a saisi la Commission. Par la suite, il a retiré l’affaire de la Commission et il a introduit la présente requête devant la Cour.
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IV. Arguments du requérant
17. Le requérant soutient que la résiliation de son emploi s’est faite en violation de plusieurs de ses droits consacrés par la Charte. Même si le requérant mentionne les articles 4, 5, 7, 15 et 19 de la Charte, il ressort des documents présentés à la Commission et à la Cour et de sa présentation de l’ensemble de son cas, que les droits qui auraient été violés sont ceux prévus aux articles 7 et 15 de la Charte. L'article 7(1) de la Charte est libellé ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ; … ».
b) Pour sa part, l’article 15 de la Charte dispose que :
« Toute personne a le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un travail égal ».
V. Mesures demandées par le requérant
18. Dans sa requête, le requérant résume ses prétentions de la manière suivante :
«1.Une ordonnance me rétablissant dans mes fonctions en tant qu’enseignant au sein du département de français du Chancellor College.
2. Le paiement d’un montant forfaitaire de 12 839 059,00 Ap malawiens (Mk), représentant a) 8 000 000,00 Mk de dommages et intérêts compensatoires et frais judiciaires b) 3 416 845,60 Mk pour préjudice personnel c) 1 350 000.00 Mk au titre du salaire de 9 mois que j'aurais perçu pendant ma période de probation si je n'avais pas été licencié prématurément d) 56 813,40 Mk étant le salaire de deux mois ; e) 15 400,00 Mk étant le solde de mon loyer payé à Mme Am Aw Af.
3. Un paiement de mes droits dans le cadre du régime d'assurance offert (sic) par la Compagnie nationale d'assurance sur le salaire de 9 mois, que j'aurais contribué pendant ma période d'observation si je n'avais pas été licencié prématurément ».
VI. Circonstances ayant conduit à la résiliation du contrat du requérant
19. Peu après que le requérant eut commencé à enseigner au début du mois de juillet 1999, ses supérieurs ont reçu des plaintes émanant de ses étudiants. Les plaintes alléguaient qu’il n’était pas compétent en tant qu’enseignant. Sa propre version des faits est qu’il est victime, pour avoir refusé d’accorder un traitement de faveur à certains étudiants qui, selon lui, avaient des relations haut placées au sein de l’Université. Pour cette raison, il a refusé d'assister à une réunion, prévue pour le 27 août 1999, convoquée par le chef de son département pour discuter des plaintes portées contre lui. || a ensuite été réprimandé pour ne pas avoir assisté à cette réunion et, par une lettre datée du 9 septembre 1999, il a été convoqué devant le Comité de discipline. Il s'est présenté devant le comité le 16 septembre 1999.
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Toujours selon le requérant, il a été informé le 20 septembre 1999 des résultats de l’entrevue. Par lettre du 8 novembre 1999, le Recteur de l’Université, comme cela avait été recommandé par le Comité de discipline, a émis un avertissement pour insubordination à l’encontre du requérant, et a pris des dispositions pour que celui-ci soit conseillé sur la manière de dispenser les cours.
20. Deux enseignants ont été chargés d'assister à certains cours, aux fins d’observation et d’évaluation. Ils ont présenté un rapport au Chef du département le 30 novembre 1999. Le rapport était défavorable. En effet, il y était écrit que le requérant n’était pas compétent en tant qu’enseignant. Après réception de ce rapport, le Chef du département a, à son tour, écrit au Recteur de l’Université, le 30 novembre 1999, recommandant le licenciement du requérant, dans l'intérêt des étudiants. Selon le requérant, le Recteur l’a appelé à son bureau et l’a informé de ce qui s'était passé à la faculté et a montré au requérant le rapport défavorable daté du 30 novembre 1999, ainsi que la lettre du Chef du département, également datée du 30 novembre 1999. Le 2 décembre 1999, le requérant a reçu une lettre, datée du même jour, qui lui était adressée par le Secrétaire général de l’Université, l’informant que son contrat d’emploi était résilié, avec effet immédiat. Dans ladite lettre, il était mentionné notamment que le rapport indiquait clairement que le requérant n'avait pris aucune mesure pour changer sa manière de dispenser les cours, méthode qui avait été critiquée par les enseignants qui avaient évalué le requérant et rédigé un rapport défavorable le 30 novembre 1999.
VIII. Procédures devant les juridictions nationales du Malawi
21. Pour faire reconnaître les droits dont il alléguait la violation, le requérant a saisi diverses juridictions du Malawi.
22. Le requérant a intenté une action devant la Haute Cour contre l’Université du Malawi, réclamant, entre autres revendications, la réintégration dans son emploi. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en date du 27 novembre 2003, la Haute Cour a conclu que le requérant n'avait pas bénéficié d’une procédure équitable pour présenter ses moyens de défense contre le rapport qui lui était défavorable, et que, de ce fait, son licenciement était abusif. Toutefois, la Haute Cour a également constaté qu’il ne pouvait pas être réintégré dans ses fonctions. Elle a donc ordonné le versement d’un supplément de deux (2) mois de salaire (l’Université avait déjà décidé, de son propre chef, de lui verser un mois de salaire); l'ordonnance visait à rétablir la situation d’un préavis de trois mois. La Haute Cour a également accordé des dommages et intérêts compensatoires pour licenciement abusif, dont le montant devait être justifié par le requérant devant le Greffier de cette Cour.
23. L'Université du Malawi a fait appel de ce jugement devant la Cour suprême d'appel du Malawi. L'un des moyens d’appel invoqué était que la Haute Cour avait commis une erreur en ordonnant le paiement de dommages et intérêts au requérant, en plus du salaire de trois mois tenant lieu de préavis. La Cour suprême d'appel, dans son
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arrêt du 12 juillet 2004, a conclu que la Haute Cour avait commis une erreur en accordant des dommages-intérêts pour licenciement injustifié, en plus de la compensation de trois mois de salaire. Elle a également estimé que si le requérant avait voulu « faire valoir que les principes de justice naturelle n'avaient pas été respectés au moment de son licenciement, il avait tout le loisir de soulever la question de manière appropriée lors de sa plaidoirie en tant que cause d’action distincte ». Comme le requérant ne l’avait pas fait, la Haute Cour n’était pas valablement saisie de cette revendication et elle avait donc commis une erreur en ordonnant de tels dommages et intérêts. Toutefois, le paiement du salaire de trois mois tenant lieu de préavis a été confirmé par la Cour suprême d’appel et il reste toujours dû.
24. Par la suite, le requérant a de nouveau saisi la Cour suprême d'appel, lui demandant de réviser son arrêt du 12 juillet 2004. Le requérant se fondait sur les articles 31 et 43 de la Constitution du Malawi. L'article 31 de celle-ci garantit le droit à des pratiques équitables sur le lieu de travail et l’article 43 garantit la justice administrative. Etant donné que le requérant invoquait des dispositions de la Constitution, la Cour suprême d'appel a renvoyé l'affaire devant la Cour constitutionnelle, qui est l’une des Chambres de la Haute Cour et qui est composée de trois Juges.
25. L'affaire a été dûment inscrite au rôle de la Cour constitutionnelle. Celle-ci a estimé que l'affaire était régie par le Code du travail issu de la Loi sur l'emploi (2000). La Cour constitutionnelle a encore estimé que l'affaire pouvait être tranchée en se fondant sur la section 57(2) de la Loi sur l'emploi, qui protège les employés contre les licenciements abusifs. Elle a conclu que la question devait donc être traitée par le Tribunal du travail, qui, en vertu de la Constitution du Malawi, est aussi une juridiction compétente. L'affaire a donc été renvoyée devant le Tribunal du travail.
26. L'affaire du requérant a été effectivement inscrite au rôle du Tribunal du travail du Malawi. Celui-ci devait décider si le licenciement du requérant avait été abusif, du fait qu’il n’était fondé sur aucune raison valable et si le requérant avait eu la possibilité d’être entendu. Etant donné que le licenciement du requérant avait eu lieu avant la promulgation de la Loi sur l'emploi de 2000, la Cour a examiné la question en se fondant sur l’article 43 de la Constitution, qui, comme nous l'avons déjà indiqué ci-dessus, prévoit le droit à des pratiques équitables sur les lieux de travail. Le tribunal s’est penché sur la genèse de l'affaire et il a constaté que le requérant avait refusé d'assister à une réunion convoquée par son supérieur pour discuter de plaintes émanant des étudiants ; qu’il avait refusé d'adapter ou de modifier ses méthodes d’enseignement et qu’il avait été jugé incompétent ; que jusqu’au 30 novembre 1999, lorsque son licenciement avait été recommandé, il n’avait fait preuve d’aucune amélioration, d’où son licenciement, le 2 décembre 1999. Le Tribunal du travail a également estimé que le requérant avait eu la possibilité d’être entendu et à cet égard, le dernier paragraphe de la page 4 du jugement est libellé ainsi : « La Cour a entendu en l'espèce que le requérant avait été invité à se présenter devant le Recteur pour répondre de son incapacité à s'améliorer, malgré l'avertissement qui lui avait été adressé. La procédure a été
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équitable, en ce qui concerne le droit d’être entendu dans un cadre administratif. Ce qui est important est que le requérant était libre d’exposer sa cause et de présenter ses moyens de défense au moment de l’entrevue. La décision de le licencier et le licenciement lui-même ne sont intervenus qu’après l’entrevue. Le requérant était encore dans sa période probatoire. Après avoir pris tous ces facteurs en considération, la Cour ne constate aucune raison impérieuse de revoir la sanction imposée. » (traduction).
Le Tribunal a donc estimé que le licenciement était équitable et a rejeté les revendications du requérant.
27. Non satisfait de ce jugement, le requérant a interjeté appel devant la Haute Cour. Lors de sa comparution, le requérant, qui n’est ni un praticien agréé du droit, ni avocat, a voulu s'adresser à la Haute Cour à partir de la barre réservée aux avocats reconnus. Cela lui a été refusé, compte tenu de la pratique devant les juridictions du pays ; il avait toutefois tout le loisir de plaider sa cause, à partir de la barre réservée aux demandeurs. Il a refusé de plaider à partir de tout autre emplacement, et il a décidé plutôt d’intenter un recours devant la Cour suprême d’appel, pour la troisième fois.
28. L'appel du requérant a été inscrit au rôle et entendu par la Cour suprême d'appel. L'arrêt a été rendu le 11 octobre 2007. Celui-ci résume les moyens d'appel en deux parties. Tout d’abord, « que son contrat a été résilié illégalement, du fait qu’il n’a pas eu la possibilité d’être entendu par le Comité de discipline de l’Université pour réfuter les allégations portées contre lui, et d'autre part, qu’il n'avait pas été autorisé à s'adresser au Juge de la Haute Cour et faire valoir ses moyens d'appel, du fait qu’il n’était pas juriste agréé ». En ce qui concerne le premier motif, la Cour suprême d'appel du Malawi a estimé que la question relevait de l'autorité de la chose jugée et qu’elle ne pouvait donc pas être examinée à nouveau ; la Cour suprême d’appel s’est référée à son arrêt du 12 juillet 2004 déjà mentionné ci-dessus. Dans cet arrêt, la Cour suprême d'appel avait conclu, entre autres, que s'agissant de la requête pour licenciement illégal, en violation des principes de justice naturelle, le requérant aurait dû recourir à une action de nature différente, en précisant, dans ses plaidoiries, qu’il s'agissait d’une « cause d'action différente ». En déclarant que la question relevait de l'autorité de la chose jugée, la Cour d’appel a effectivement maintenu la position qu’elle avait adoptée dans son arrêt du 12 juillet 2004.
29. Pour soutenir sa cause en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 7 de la Charte, le requérant a avancé plusieurs allégations non étayées contre certains Juges, dont certaines ne sont pas dignes d'être répétées ici. || a affirmé, par exemple, que l’un des Juges de la Cour suprême d’appel était le père biologique de l’un des étudiants qui avaient porté plainte contre lui. En réponse à une question posée par la Cour durant l’audience publique, le conseil du défendeur a souligné que l'allégation n'avait aucun fondement, ce que le requérant a été incapable de contester. Sans aucune justification, le requérant a accusé les Juges et le Greffier de parti pris et dans certains cas, il a utilisé des propos désobligeants pour critiquer certains jugements.
IX. La position du défendeur.
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30. Exceptions préliminaires : le défendeur a soulevé deux exceptions préliminaires.
30.1 La première exception porte sur la recevabilité de la requête, à savoir que celle-ci n’est pas recevable du fait que l'affaire avait déjà été portée devant la Commission, et qu’elle reste donc pendante devant elle. À cet égard, le défendeur soutient qu’il ne serait pas souhaitable de permettre aux plaignants de chercher à saisir plusieurs juridictions à la fois.
30.2 La deuxième objection a trait au défaut de compétence de la Cour en l'espèce. Le défendeur soutient en effet que la Cour africaine n’a pas compétence pour examiner cette affaire, étant donné que le Protocole portant création de la Cour n’est entré en vigueur que le 25 janvier 2004, alors que la cause d’action est survenue en 1999. Le défendeur fait également valoir, à cet égard, qu’il n'avait ratifié le Protocole que le 9 septembre 2008 et déposé l'instrument de ratification le 9 octobre 2008. Le défendeur n’a cependant fait aucune mention du fait qu’il n'avait déposé que tout récemment la Déclaration prévue à l’article 34(6), longtemps après que la cause d'action eut surgi.
31. S’agissant du fond de l’affaire, le défendeur nie toute violation des droits du requérant. Pour ce qui est la violation alléguée de l’article 7 de la Charte, le défendeur soutient que le requérant a exercé son droit de saisir les juridictions nationales et qu’il a bénéficié d’un jugement équitable. Selon le défendeur, les juridictions du Malawi ont fait preuve de beaucoup de compréhension, en vue d’aider le requérant. Quant à la violation alléguée de l’article 15 de la Charte, le défendeur soutient que le requérant a été recruté par l’université par conclusion d’un contrat dont l’une des clauses était que chacune des parties pouvait résilier le contrat, moyennant un préavis de trois mois ou un salaire de trois mois, tenant lieu de préavis. En conséquence, le défendeur soutient que la Cour suprême d'appel ayant déjà ordonné le paiement de trois mois de salaire au requérant, le droit allégué n’a pas été violé. Le défendeur soutient également que dans cette affaire, le Tribunal du travail a estimé que le licenciement avait été équitable.
X. Décision de la Cour concernant l’exception d’incompétence
32. Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l'exception soulevée par le défendeur sur la compétence de la Cour est tirée du fait que la violation alléguée des droits du requérant a eu lieu en 1999, alors que le Protocole n’est entré en vigueur que le 9 octobre 2008, après sa ratification par le défendeur. La Cour fait observer que la Charte est entrée en vigueur le 21 octobre 1986 et que le défendeur l’a ratifiée en 1989. La Cour estime en conséquence, qu’au moment de la violation alléguée des droits du requérant en 1999, le défendeur était déjà assujetti à la Charte ; il avait donc l’obligation de protéger les droits dont la violation est alléguée. Par ailleurs, la Cour relève que le requérant avance que la violation de ses droits consacrés aux articles 7 et 15 se poursuit. Pour ces motifs, l'exception préliminaire soulevée par le défendeur ne peut être retenue.
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XI. Décision de la Cour concernant la recevabilité de la requête.
33. L'argument du défendeur sur ce point est que la requête n’est pas recevable, car elle est pendante devant la Commission. La Cour constate cependant que le requérant a formellement retiré sa communication devant la Commission avant de saisir la Cour en mars 2011. Le requérant a déposé devant la Cour les copies de deux lettres adressées à la Commission, en date du 7 et du 17 février 2011 respectivement, retirant ladite communication. La Commission a également confirmé à la Cour, dans une lettre datée du 29 mars 2011, que l’affaire du requérant avait effectivement fait l’objet d’un retrait formel. Cette affaire n’est donc pas pendante devant la Commission. Une fois que le requérant a retiré sa requête, il a le droit de s'adresser à une autre instance et, de l'avis de la Cour, il n’y a rien d’anormal à ce sujet. L’exception soulevée par le défendeur n’est donc pas retenue. Toutefois, ce constat ne signifie pas nécessairement que la requête est recevable, car elle doit encore remplir d’autres critères de recevabilité ; en particulier, le requérant doit satisfaire aux dispositions de l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte et démontrer qu’il a épuisé toutes les voies de recours internes. Cet aspect sera abordé plus loin.
XII. Compétence de la Cour en vertu du Protocole
34. La compétence matérielle de la Cour est précisée à l'article 3 du Protocole. L'article 3(1) du Protocole dispose que: « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous les différends sont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés ». L'article 3(2) dispose qu’ « [e]n cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ». Cette disposition est assez large car elle couvre toutes les affaires et tous les différends en matière de droits de l'homme concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les Etats concernés. En l'espèce, les exigences portant sur la compétence ont été satisfaites, étant donné que les droits dont la violation est alléguée sont consacrés par la Charte.
35. S'agissant de la compétence personnelle, le requérant est ressortissant du Malawi, Etat ayant ratifié le Protocole et qui a également déposé la déclaration exigée à l’article 34(6) du Protocole, lu conjointement avec l’article 5(3) acceptant la compétence de la Cour pour connaître des affaires introduites contre lui par les individus et les organisations non gouvernementales.
36. Pour ce qui est de la compétence temporelle, même si les faits qui ont conduit à la présente requête sont survenus avant le dépôt de la déclaration par le défendeur, la Cour a déjà constaté que ladite violation se poursuit. Au vu de tout ce qui précède, la Cour a compétence pour connaître de l'affaire.
300 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Conclusions de la Cour concernant l’épuisement des voies de recours internes comme le prescrit l’article 6(2) du Protocole lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte
37. Comme indiqué ci-dessus, la requête doit satisfaire aux exigences de l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte, à savoir que le requérant doit avoir épuisé les voies de recours internes. L'article 6(2) du Protocole prévoit que « la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ». Pour sa part, l’article 56(5) de la Charte exige l'épuisement des « recours internes, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale » (voir également l’article 40 du Règlement intérieur de la Cour). Selon les conclusions déposées par les deux parties, ainsi que les copies de divers jugements des tribunaux du Malawi invoqués et soumis par le requérant lui-même, la question se pose de savoir si le requérant a épuisé les voies de recours judiciaires comme l’exigent les articles ci-dessus, avant de saisir cette Cour, ou si il a été confronté à une procédure qui s'est prolongée de manière anormale. Le défendeur n’a pas soulevé d'exception de non- épuisement des recours internes. La Cour a cependant le devoir de faire respecter les dispositions du Protocole et dans la Charte. Elle est tenue de s'assurer que la requête est conforme, entre autres, aux conditions de recevabilité énoncées dans le Protocole et dans la Charte. La loi ne doit pas faire débat. Le fait pour le défendeur de ne pas soulever la question de la non-conformité avec les exigences inscrites dans le Protocole et la Charte ne peut pas rendre recevable une requête qui est autrement irrecevable. L'épuisement des recours internes est une règle fondamentale dans la relation entre les États
d’une Parties part, avec et le avec Protocole la Cour, et la d’autre Charte part. et avec Les les juridictions Etats Parties nationales, ratifient le
Protocole en tenant pour acquis que les recours internes doivent d'abord être épuisés avant que la Cour ne soit saisie : la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole est également faite sur cette base.
Extrait de la jurisprudence sur l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes :
38. Par épuisement des voies de recours internes, la Cour se réfère essentiellement aux recours judiciaires.
La Cour a récemment confirmé la jurisprudence sur le fait que les recours internes désignent essentiellement les recours d’ordre judiciaire dans son arrêt portant sur la jonction d'instance des affaires Au Az Aa et The Aj and Ao Av Centre c. République-Unie de Tanzanie, requête n°009/2011 et Ak Ar Ah Ba c. République-Unie de Tanzanie, requête n°011/ 2011, paragraphe 82.3 : « l'expression recours interne se réfère essentiellement aux recours judiciaires car ceux-ci constituent le moyen le plus efficace pour remédier aux violations des droits de l'homme ». (Traduction)
La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si le requérant a épuisé les voies de recours judiciaires internes.
Mkandawire c. Malawi (recevabilité) (2013) 1 RICA 291 301
38.1 La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIADH) a déclaré dans son Rapport n° 89/03, requête 12.303, Al X et Ag Ax At c. Panama (22 octobre 2003), paragraphe 35 et 36 que :
« 35. Dans la présente situation, l’État fait valoir que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes parce que l’« amparo » introduite par la présumée victime n’était pas le recours approprié. Il soutient qu’en effet, les requérants auraient dû introduire une requête pour inconstitutionnalité…
36. Pour étayer ses arguments, l'État invoque l’arrêt de la Cour suprême.…dans laquelle la Cour, après avoir examiné l’« amparo » introduite par la victime alléguée, a statué que l’« amparo » n’était pas le recours approprié parce que la loi contestée est un instrument législatif d’ordre général promulguée par une autorité dotée du pouvoir constitutionnel de le faire…et elle ne peut être contestée par « amparo » pour protéger la constitution…La cour a décidé que ce type de contestation doit se faire par un recours indépendant en inconstitutionnalité. L'État soutient que les requérants n’ont pas épuisé toutes les voies de recours ».
Après une étude approfondie de la question, la CIADH a retenu l'argument ci-dessus. La Cour suprême n’ayant pas statué en faveur des requérants au motif qu’ils l’ont saisie en introduisant une procédure « « amparo » pour la protection par la Constitution », qui n'est pas celle indiquée, au lieu dun «recours indépendant en inconstitutionnalité », ceux-ci ne peuvent prétendre avoir épuisé les voies de recours internes d'ordre judiciaire. Le requérant se retrouve dans la même situation.
39. Pour répondre à la question de savoir si, conformément à la jurisprudence ci-dessus, le requérant a épuisé les voies de recours internes prévues à l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte, il y a lieu d'examiner de nouveau les jugements rendus par les juridictions nationales du Malawi.
39.1 L’arrêt rendu par la Haute Cour le 27 novembre 2003 : Le contrat de travail pouvait être résilé par chacune des parties, moyennant un préavis de trois mois ou le paiement de 3 mois de salaire tenant lieu d’un tel préavis. L'Université n’a fait ni l’un ni l’autre ; en revanche, elle n’a versé au requérant qu’un mois de salaire. Dans son arrêt du 27 novembre 2003, la Haute Cour a ordonné le paiement de deux mois supplémentaires et cette compensation a été confirmée par la Cour suprême d’appel dans son arrêt du 12 juillet 2004. Cette décision est toujours valable ; la question de savoir si l’appelant a perçu le montant ou non est sans intérêt.
39.2 Le Tribunal du travail (Industrial Court) : Le Tribunal du travail a constaté que le licenciement avait été décidé pour des motifs justes et que le requérant avait eu la possibilité d’être entendu ; qu’il avait en réalité comparu devant un Comité de discipline le 16 septembre 1999 et aussi devant le Recteur, le 2 décembre 1999. L'appelant n’a pas saisi l’occasion pour contester et s'opposer à la décision du Tribunal du travail devant la Haute Cour. Même s’il a comparu devant celle-ci, il a refusé de plaider sa cause lorsque la Cour lui a indiqué qu’il ne pouvait pas plaider à partir d’une plate-forme réservée aux praticiens agréés.
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Cette pratique est confirmée par la plus haute juridiction du Malawi et sans connaître les raisons et les pratiques qui l’ont motivée, il n'appartient pas à la Cour de céans de se prononcer sur son bien- fondé. Ce qui importe, c'est qu’il n’y a aucune raison de croire qu’en plaidant sa cause à partir de l'endroit où il était supposé se tenir, le requérant aurait subi un préjudice quelconque et ce n’est d’ailleurs pas l’objet de sa requête devant cette Cour. Le requérant aurait dû accepter de présenter ses arguments et faire valoir le bien-fondé de son appel contre les décisions du Tribunal du Travail devant la Haute Cour et s’il n’était pas satisfait, saisir la Cour suprême d'appel. À ce jour, le requérant n’a fait ni l’un ni l’autre.
39.3 Les arrêts de la Cour suprême d’appel : Comme nous l’avons déjà indiqué, dans son arrêt du 12 juillet 2004, la Cour suprême d’appel avait confirmé le paiement de trois mois de salaire, mais elle avait rejeté les prétentions fondées sur le licenciement abusif, qui invoquaient une violation du principe de justice naturelle, et les motifs indiqués par la Cour ont déjà été mentionnés et cités plus haut. Dans son arrêt ultérieur du 11 octobre 2007, la Cour, constatant qu’elle était saisie de la même question, a invoqué l'autorité de la chose jugée, confirmant de ce fait sa décision antérieure à savoir que le requérant ne pouvait pas présenter ses revendications pour licenciement abusif de la manière dont il l’avait fait. Le bien-fondé de ces deux arrêts de la Cour suprême d'appel dépend de la réponse à la question de savoir si, oui ou non, selon la législation et les règles de procédure nationales, le requérant était supposé soulever la question dans ses plaidoiries en tant que cause d'action distincte et réclamer une indemnisation pour licenciement abusif. La Cour suprême d'appel étant la juridiction de dernier recours, elle a le dernier mot pour dire quelle est la législation nationale appropriée. Dans ses deux arrêts, elle a déclaré que le requérant n’avait pas soulevé la question en tant que cause d’action distincte. || est important de noter que le requérant n’a pas été empêché de poursuivre ses réclamations, mais qu’il lui a été seulement dit qu’il avait eu recours à une mauvaise procédure. En effet, la Haute Cour lui avait conseillé de recourir à l’assistance d’un avocat pour l’aider, mais il a refusé.
Conclusions de la Cour
40. || ressort clairement des extraits des jugements qui précèdent qu’au moment où le requérant a déposé sa requête, la situation était la suivante :
40.1 La possibilité de réclamer des réparations pour licenciement abusif était encore ouverte, de même que le recours contre la décision du Tribunal du Travail, qui avait déclaré que le licenciement était juste et équitable. Le requérant avait la possibilité de présenter ses arguments devant la Haute Cour contre le jugement du Tribunal du travail et en cas d'échec, interjeter appel devant la Cour suprême d'appel. Comme il ne l’a pas fait, la Haute Cour et la Cour suprême n’ont pas eu la possibilité d’examiner le fond du recours pour licenciement abusif qui avait été examiné par le Tribunal du Travail.
Mkandawire c. Malawi (recevabilité) (2013) 1 RICA 291 303
40.2 || n’y a pas eu de retard indu dans le traitement des requêtes introduites devant la plus haute juridiction du Malawi, à savoir la Cour suprême d'appel. Un numéro de référence est attribué à chaque affaire, indiquant l’année où l’action a été enregistrée et la date du jugement n’est pas trop éloignée : dans l'affaire n°38 de 2003 devant la Cour suprême (mentionnée plus haut) le jugement a été rendu le 12 juillet 2004, tandis que dans l’affaire n°24 de 2007, le jugement (également mentionné plus haut) a été rendu le 11 octobre 2007.
Pour ces raisons :
41. La Cour déclare la requête irrecevable, en vertu de l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte.
Les frais de la procédure
42. Conformément à l’article 30 du Règlement, chaque partie supporte ses frais de procédure.
En conclusion, la Cour, à la majorité de six voix contre trois, décide que :
i. La requête n’est pas recevable
ii. La requête est radiée du rôle.
Opinion dissidente : NIYUNGEKO et GUISSE
1. Dans son arrêt du 21 juin 2013 en l’affaire As Ab c. République du Malawi, la Cour conclut proprio motu à l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Nous sommes au regret de marquer notre désaccord sur la conclusion à laquelle elle aboutit concernant la question de l'épuisement des voies de recours internes ; sur le raisonnement et la position de la Cour en ce qui concerne sa compétence ratione temporis ; ainsi que sur la structure de l'arrêt en ce qui regarde les questions de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête.
I La structure de l’arrêt concernant les questions de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête
2. Dans son arrêt, la Cour traite successivement de l’objection préliminaire d’incompétence de la Cour ratione temporis soulevée par l’État défendeur (paragraphe 32); de l’exception préliminaire d’irrecevabilité de la requête tirée de la circonstance que cette dernière avait été soumise à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (paragraphe 33); de la compétence de la Cour en vertu du Protocole (paragraphe 34-35); et enfin de la question de l'épuisement des voies de recours internes (paragraphes 37-40), qui est de nouveau une question de recevabilité de la requête. Ce faisant, elle mélange le traitement des questions de compétence de la Cour, avec celui des questions de recevabilité de la requête. Ce mélange des genres pose
304 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
problème et crée une confusion sur des questions juridiques bien distinctes.
3. En effet, alors que la compétence concerne la Cour, la recevabilité concerne /a requête, et il importe naturellement de traiter distinctement ces deux questions sans les imbriquer l’une dans l’autre. Quant à l’ordre de traitement de ces questions, il résulte aussi bien de la pratique générale antérieure de la Cour, de la logique et du sens commun, ainsi que de l’article 39 du Règlement intérieur de la Cour, que celle-ci doit d’abord examiner sa compétence, avant d’examiner la recevabilité de la requête.‘
4. Dans la présente affaire, la Cour aurait dû, à notre avis, traiter distinctement d’abord toutes les questions relatives à sa compétence (aussi bien l’objection préliminaire que la question de sa compétence en vertu du Protocole), et ensuite toutes les questions relatives à la recevabilité de la requête (aussi bien l’objection préliminaire que la question de l'épuisement des voies de recours internes). L'arrêt n'aurait pu qu’y gagner en clarté.’
Il. La détermination de la compétence de la Cour ratione temporis
5. Concernant la compétence de la Cour, l'État défendeur avait soulevé une exception d’incompétence ratione temporis, tirée du fait que les violations alléguées des articles 7 et 15 de la Charte sont intervenues avant l’entrée en vigueur à son égard du Protocole portant création de la Cour, le 9 octobre 2008 (paragraphe 30(2) de l'arrêt).
6. La Cour rejette cette exception pour les motifs qu’elle indique dans le passage suivant : La Cour fait observer que la Charte est entrée en vigueur le 21 octobre 1986 et que le défendeur l'a ratifiée en 1989. La Cour estime en conséquence, qu’au moment de la violation alléguée des droits du requérant en 1999, le défendeur était déjà assujetti à la Charte ; il avait donc l'obligation de protéger les droits dont la violation est alléguée. Par ailleurs, le Cour relève que le requérant avance que la violation de ses droits consacrés aux articles 7 et 15 se poursuit. Pour ces motifs, l'exception préliminaire soulevée par le défendeur ne peut être retenue » (paragraphe 32).
7. Le premier motif avancé par la Cour (la ratification antérieure de la Charte) n’est pas compréhensible et prêt à confusion, dans le contexte de l’objection spécifique soulevée par l'Etat défendeur. En effet, alors que l’objection de l’État défendeur se fonde sur la date d'entrée en vigueur du Protocole portant création de la Cour à son égard, la Cour y répond en invoquant la date d'entrée en vigueur de la Charte, qui pourtant ne soulevait aucun problème pour l'Etat défendeur. Et l’on n’aperçoit pas très bien quelle conclusion la Cour tire de la date
1 Pour plus de détails sur ce point, voir l’opinion individuelle du Juge Gérard Niyungeko, jointe à l'arrêt du 14 juin 2013, dans l'affaire Au Az Aa & alt. c. République Unie de Tanzanie, paragraphes 2 à 7.
2 Dans l'affaire Au Az Aa & alt. c. République Unie de Tanzanie citée au paragraphe précédent, la Cour avait traité distinctement les deux questions, sauf qu’elle avait inversé, à notre avis, indument, l’ordre de leur traitement, /bidem.
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d’entrée en vigueur de la Charte, par rapport à l’argument de non- rétroactivité du Protocole avancé par l’État défendeur.°
8. A notre avis, la Cour aurait dû être claire sur ce point, et indiquer que bien que l’État défendeur fût déjà lié par la Charte, la Cour n'est pas compétente ratione temporis vis-à-vis de lui, tant que le Protocole lui attribuant compétence n’est pas encore en vigueur à son égard, sauf bien entendu à invoquer l’argument de la continuité de la violation alléguée.
9. S'agissant du deuxième motif avancé par la Cour (la continuité des violations alléguées), la Cour aurait dû examiner de plus près ces allégations, et marquer éventuellement la distinction entre les faits « instantanés » et les faits « continus », comme elle l’a pertinemment fait dans un autre arrêt rendu le même jour, dans l’affaire Ayants droit de feus Aq Ad et alt. c. Bb Ay. En l’occurrence, elle aurait pu se poser la question de savoir si la violation alléguée de l’article 15 de la Charte (le licenciement du requérant par l’Université du Malawi) n’était pas un fait « instantané » hors de sa compétence ratione temporis, et si en revanche la violation alléguée de l’article 7 de la Charte (la manière dont les juridictions nationales ont traité l'affaire) n’était pas un fait « continu » rentrant dans le champ de sa compétence temporelle, L’approfondissement de ces questions aurait permis à la Cour d'aboutir à une conclusion mieux informée en ce qui concerne sa compétence ratione temporis.
10. A notre avis, la Cour a ainsi manqué une occasion de faire clairement jurisprudence, sur une question qui, elle, ne manquera pas de se poser à nouveau à elle dans l'avenir.
II. La question de l’épuisement des voies de recoures internes
11. Mais le problème le plus sérieux que pose l’arrêt de la Cour est celui de sa démarche et de sa décision sur la question de l'épuisement des voies de recours internes. Après avoir résumé la manière dont les diverses juridictions nationales ont à plusieurs reprises traité l'affaire (paragraphes 21 à 28 et 39), la Cour conclut en substance que le requérant n'avait pas épuisé les voies de recours internes, étant donné qu’il n'avait pas voulu plaider l’appel qu’il avait introduit devant la Haute Cour contre une décision du Tribunal du Travail, et que dans ses conditions il s'était également privé d’un recours devant la Cour suprême d'appel, dans le cas où il n'aurait pas été satisfait de la décision de la Haute Cour, s'agissant de sa réclamation de réparation pour licenciement abusif (paragraphe 40(1)).
12. Il convient d’abord de rappeler que la Cour a soulevé cette question proprio motu, sans que l’État défendeur ait soulevé une exception préliminaire à cet égard. Bien au contraire, devant la Commission
3 Le même problème s’est posé dans l'affaire Au Az Aa & alt. c. République Unie de Tanzanie, arrêt du 14 juin 2013. Voir opinion individuelle du Juge Gérard Niyungeko, paragraphes 8 à 17.
4 Arrêt du 21 juin 2013, paragraphe 63.
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africaine des droits de l'homme et des droits de l'homme et des peuples, l’État défendeur avait précédemment déclaré, selon la Commission, que « i[]}t does not dispute that the Complainant exhausted all available local remedies and that as a matter of fact his claims before Malawi courts were duly entertained… ».° La Commission elle-même a conclu l’examen de la question de l'épuisement des voies de recours internes dans cette affaire, dans les termes suivants :
« Thus, there is no contention regarding the exhaustion of local remedies by the Complainant from the Respondent State. In this regard, Article 56(5) has been duly complied with ».$
13. Sans doute la Cour a-t-elle le pouvoir et même le devoir, en vertu de l’article 39 de son Règlement intérieur, d'examiner d'office la recevabilité de la requête, même lorsque l'Etat défendeur n’a pas soulevé d'exception préliminaire à cet égard. Mais lorsque l’État défendeur lui-même- qui est censé connaître bien les voies de recours de son système judiciaire interne, et qui a intérêt à soulever une exception d’irrecevabilité de la requête- reconnaît que les voies de recours ont été épuisées, lorsque la Commission, au terme d’un examen des circonstances de l’affaire aboutit à la même conclusion, la Cour doit avoir de sérieuses raisons pour passer outre cet accord général, et conclure au non-épuisement des voies de recours internes 14. Dans l’arrêt de la Cour, ce sont ces raisons sérieuses qui manquent. Voilà un requérant qui a saisi de la même affaire, la Haute Cour à trois reprises (dont une fois en tant que Cour constitutionnelle), la Cour suprême d’appel à trois reprises, ainsi que le Tribunal du Travail, et l’on en vient à conclure qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes, parce qu'il aurait pu faire de nouveau appel à la même Haute Cour et à la même Cour suprême d’appel ?
15. La distinction subtile entre une action en constatation d’une fin illégale du contrat d’emploi aux termes du contrat lui-même, et une action en constatation d’un licenciement abusif basée sur les règles de la justice naturelle, que la Cour semble reprendre à son compte (paragraphe 40(1), ne pèse pas lourd, face à l'impression générale qui se dégage du traitement de cette affaire par les juridictions nationales, et à la reconnaissance par l’État défendeur que les voies de recours ont été épuisées.
16. Enfin, il nous semble que la Cour ayant pris l'initiative de traiter la question de l'épuisement des voies de recours internes, elle aurait dû l’examiner dans tous ses aspects, et s'assurer notamment que les recours auxquels elle renvoie le requérant sont toujours disponibles et efficaces. Or, la question n’ayant pas été discutée entre les parties, et la Cour elle-même n’ayant pas posé de questions à ce sujet, personne ne sait, judiciairement parlant, si le recours devant la Haute Cour est toujours ouvert au requérant. Et à supposer qu’il le soit, rien ne garantit que ce recours soit efficace, vu notamment que la Cour suprême
5 Communication 357/2008- As Ab B Ae, décision de la Commission, paragraphe 102.
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d'appel a, dans son arrêt de 2007, décidé que le principe res judicata s’appliauait à l’action du requérant en constatation du licenciement abusif.”
17. La Cour africaine a donc pris sa décision, sans avoir aucune certitude sur la disponibilité des recours et leur efficacité. À notre avis, elle aurait dû, en pareilles circonstances, sur la base de l’article 41 de son Règlement intérieur, au moins demander aux parties de lui fournir des informations supplémentaires sur la question de l'épuisement des voies de recours internes, sur leur disponibilité et sur leur efficacité. Ne l’ayant pas fait, elle a pris le risque de statuer en se fondant sur une base bien fragile.
18. En ce qui nous concerne, nous sommes d’avis que le requérant peut être considéré comme ayant épuisé les voies de recours interne reconnu l’Etat défendeur lui-même, et ainsi que l’a constaté la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples ; en conséquence, nous considérons que la requête est recevable.
19. Si la Cour avait abouti à la même conclusion que nous, elle aurait eu la possibilité d'examiner le fond de l'affaire et de se prononcer sur les violations alléguées rentrant dans le champ de sa compétence, et vider ainsi définitivement cette affaire. En l’état, l’arrêt de la Cour laisse donc, à notre regret, un goût d’inachevé.
7 Arrêt du 11 octobre 2007 : « We shall now deal with the first ground of appeal which is that his employment was unlawfully terminated. Upon regarding the judgment of this Court which was delivered on 12 July 2004 which we have partly cited earlier in this judgment, we are satisfied that the issue for determination and the parties to the appeal are the same. It is very clear to us that this case falls into a classic definition of res judicata ».