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14/06/2013 | CADHP | N°011/2011

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 14 juin 2013, 011/2011


Texte (pseudonymisé)
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RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)

Ag Az Ab, the Legal and X A Centre et Ae Bo Ae Ba c. Tanzanie (fond) (2013) 1
Dans l’affaire consolidée (1) Ag Az Ab et Legal and X A Centre c. République-Unie de Tanzanie et (2) Ae Bo Ae Ba c. République-Unie de Tanzanie.
Arrêt du 14 juin 2013. Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges : AKUFFO, OUGUERGOUZ, MUTSINZI, NGOEPE, NIYUNGEKO, TAMBALA, THOMPSON et ORE
La Cour a décidé de la jonction de deux instances visant la République Unie de Tanzanie concernant sur le m

ême objet, relativement à la question de savoir si l'interdiction faite aux candi...

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RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)

Ag Az Ab, the Legal and X A Centre et Ae Bo Ae Ba c. Tanzanie (fond) (2013) 1
Dans l’affaire consolidée (1) Ag Az Ab et Legal and X A Centre c. République-Unie de Tanzanie et (2) Ae Bo Ae Ba c. République-Unie de Tanzanie.
Arrêt du 14 juin 2013. Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges : AKUFFO, OUGUERGOUZ, MUTSINZI, NGOEPE, NIYUNGEKO, TAMBALA, THOMPSON et ORE
La Cour a décidé de la jonction de deux instances visant la République Unie de Tanzanie concernant sur le même objet, relativement à la question de savoir si l'interdiction faite aux candidats indépendants de participer aux élections était contraire à la Charte. La Cour a estimé qu’une telle interdiction était contraire au droit de participer à la direction des affaires publiques de son pays, droit protégé à l’article 13 de la Charte.
Compétence (ratification du Protocole portant création de la Cour, 84)
Recevabilité de la requête (épuisement des recours internes, parties, 82.3 ; introduction dans un délai raisonnable, 83)
Participation aux affaires publiques (participation directe à la cause, 109, 110)
Limitation droits (article 27(2) ; proportionnalité, 107.2)
Association (liberté de ne pas adhérer à une association, 113-115)
Réparations (étape d’introduction d’une demande de réparation, 124)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (compétence matérielle ; instrument des droits de l'homme, 14-16 ; compétence temporelle, dépôt de la déclaration au titre de l’article 34(6), 21-23)
Recevabilité (intérêt des ONG, saisine de la Cour pour le compte d’un particulier, 26-27)
Limitations des droits (doivent être conformes à l’article 27(2), 30 ; la liberté d'association et la participation aux affaires publiques sans restriction, 32 ; l’État doit fournir la preuve que les restrictions sont nécessaires à des fins légitimes, 33, 34)
Opinion individuelle : NGOEPE

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RICA

Opinion individuelle : N'YUNGEKO
Séquence de jugement (la Cour devrait d’abord examiner sa
compétence et ensuite la recevabilité de la requête, 4)
Compétence (compétence temporelle, entrée en vigueur du Protocole,
17)
I Les Parties
1. Ag Az Ab et Legal and X A Centre (« les premiers requérants ») se présentent comme des organisations non gouvernementales (« ONG ») dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (« la Commiission »). Elles sont toutes les deux basées en République-Unie de Tanzanie. Elles affirment que leurs objectifs sont d'agir en tant que représentants des intérêts de ses membres pour promouvoir une bonne administration de la justice et la faire appliquer par le Gouvernement et conseiller celui-ci ainsi que le public sur toutes les questions juridiques, notamment sur les droits de l'homme, l’état de droit, la bonne gouvernance ainsi que la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
2. Le Ae Ba (« second requérant »), est un ressortissant de la République-Unie de Tanzanie. Il introduit la requête en son nom propre, en tant que citoyen de cette République.
3. Le défendeur est la République-Unie de Tanzanie. Celle-ci est citée en l'espèce par les requérants, du fait que ce pays a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (« la Charte ») ainsi que le Protocole. Par ailleurs, le défendeur a fait la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, acceptant d’être attrait devant la Cour africaine par les individus et par les ONG dotées du statut d’observateur auprès de la Commission.
Il. Objet des requêtes
4. Le 2 juin 2011 et le 10 juin 2011 respectivement, les premiers requérants et le second requérant ont déposé au Greffe des requêtes introductives d'instance contre le défendeur, alléguant que celui-ci avait, à travers certaines modifications de sa Constitution, violé le droit de ses citoyens à la liberté d'association et à participer aux affaires publiques de leur pays et le droit d’être protégé contre la discrimination, pour avoir interdit aux candidats indépendants de se présenter aux élections présidentielles, parlementaires et locales. Les requérants allèguent également que le défendeur a porté atteinte à l’état de droit, pour avoir engagé un processus de révision constitutionnelle dans l'intention de régler une question pendante devant les juridictions de la Tanzanie.

36 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
II. La Procédure
5. La requête introduite par les premiers requérants (la « première requête ») a été reçue au Greffe de la Cour le 2 juin 2011 ; par lettre datée du même jour ; le Greffier en a accusé réception et a informé les requérants que leur requête avait été enregistrée sous la référence requête n° 009/2011.
6. À sa vingt-et-unième session ordinaire tenue du 6 au 17 juin 2011, la Cour a invité le Greffier à vérifier auprès de la Commission si les premiers requérants étaient dotés du statut d’observateur auprès d'elle et a décidé que la requête soit signifiée au défendeur, mais seulement au cas où il serait confirmé que les premiers requérants jouissaient du
7. Par lettre datée du 17 juin 2011 adressée au Secrétaire exécutif de la Commission, et conformément aux instructions de la Cour, le Greffier a demandé confirmation du statut d’observateur des premiers requérants auprès de la Commission.
8. Par lettre datée du 15 juillet 2011 et parvenue au Greffe le même jour, le Secrétaire exécutif de la Commission a confirmé que les premiers requérants étaient dotés du statut d’observateur auprès de la Commission.
9. Conformément à l’article 35(2)(a) du Règlement intérieur de la Cour, et par note verbale datée du 18 juillet 2011 adressée au défendeur, le Greffier a communiqué copie de la requête des premiers requérants au défendeur, par courrier recommandé. Le défendeur a été informé de l'enregistrement de la Première requête et, conformément à l’article 35(4)(a) du Règlement intérieur de la Cour, a été invité à communiquer à la Cour les noms et adresses de ses représentants dans les trente (30) jours et, conformément à l’article 37 du Règlement, à répondre à la demande dans les soixante (60) jours. Une copie de la note verbale a été réservée aux représentants des premiers requérants, à savoir Ag Az Ab.
10. Conformément à l’article 35(3) du Règlement intérieur de la Cour, et par lettre datée du 18 juillet 2011, le dépôt de la Première requête a été signifié au Président de la Commission de l’Union africaine et, par son intermédiaire, le Conseil exécutif de l'Union ainsi qu’à tous les autres Etats Parties.
11. Par note verbale datée du 19 août 2011 et reçue au Greffe de la Cour le même jour, le défendeur a indiqué les noms de ses représentants. Copie de cette liste, a été communiquée aux requérants.
12. Le défendeur a envoyé sa réponse à la Première requête par note verbale datée du 16 septembre 2011, reçue au Greffe de la Cour le même jour.
13. Par note verbale datée du 16 septembre 2011, le Greffier a accusé réception de la réponse du défendeur à la Première requête.
14. La requête du Second requérant (la « Deuxième requête ») a été reçue au Greffe le 10 juin 2011 ; dans sa requête, le Second requérant a informé le Greffier du nom de son conseil.

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RICA 34 37
15. Par lettre du 20 juin 2011 adressée au Second requérant, le Greffier a accusé réception de la requête et a informé le conseil que celle-ci avait été enregistrée sous le n° 011/2011 et que le défendeur en serait notifié.
16. À sa vingt-et-unième session ordinaire tenue du 6 au 17 juin 2011, la Cour a donné pour instructions au Greffier de signifier la Deuxième requête au défendeur.
17. Conformément à l’article 35(2)(a) du Règlement intérieur de la Cour et par note verbale datée du 17 juin 2011 adressée au défendeur, le Greffier a communiqué copie de la Deuxième requête au défendeur, par courrier recommandé. Le défendeur a été également informé que la requête avait été enregistrée et que, conformément à l’article 35(4)(a) du Règlement, le défendeur était invité à indiquer, dans les trente (30) jours, les noms et adresses de ses représentants ; conformément à l’article 37 du Règlement intérieur de la Cour, il devait aussi répondre à la requête dans un délai de soixante (60) jours.
18. Conformément à l’article 35(3) du Règlement intérieur de la Cour, et par lettre datée du 18 juillet 2011, la Deuxième requête a été signifiée au Président de la Commission de l’Union africaine et, par son intermédiaire, le Conseil exécutif de l'Union, ainsi qu’à tous les autres Etats Parties.
19. Par note verbale en date du 27 juillet 2011 parvenue au Greffe de la Cour le même jour, le défendeur a indiqué les noms et adresses de ses représentants.
20. Par note verbale en date du 23 août 2011 parvenue au Greffe de la Cour le 24 août 2011, le défendeur a déposé sa réponse à la Deuxième requête.
21. Par note verbale datée du 25 août 2011, le Greffier a accusé réception de la réponse du défendeur à la Deuxième requête.
22. Par lettre datée du 25 août 2011, le Greffier a communiqué la réponse du défendeur à la Deuxième requête au conseil du Second requérant et a informé celui-ci que s’il souhaitait déposer une réplique à la réponse du défendeur, il devrait le faire dans les trente (30) jours de la réception.
23. À sa vingt-deuxième session ordinaire tenue du 12 au 23 septembre 2011 et par ordonnance datée du 22 septembre 2011, la Cour a décidé la jonction des deux instances.
24. Le 3 octobre 2011, le Greffier a reçu la réplique du Second requérant à la réponse du défendeur à la requête n° 011/2011. Cette réplique était datée du 30 septembre 2011.
25. Par lettre datée du 3 octobre 2011, le Greffier a accusé réception de la réplique du Second requérant à la réponse du défendeur à la Deuxième requête.
26. Par deux lettres distinctes datées du 17 octobre 2011, le Greffier a informé les Parties de la décision de la Cour de joindre les deux requêtes et leur a transmis l'ordonnance de jonction. Dans la lettre adressée au défendeur, le Greffier a également transmis la réplique du Second requérant à la réponse du défendeur à la Deuxième requête.

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27. Le 28 octobre 2011, les premiers requérants ont déposé auprès du Greffe de la Cour leur réplique à la réponse du défendeur à la Première requête.
28. Par lettre datée du 1er novembre 2011, le Greffier a accusé réception de la réplique des premiers requérants à la réponse du défendeur à la Première requête.
29. Par lettre datée du 5 novembre 2011, le Greffier a communiqué au défendeur copie de la réplique des premiers requérants à la réponse du défendeur à la Deuxième requête.
30. À sa vingt-troisième session ordinaire tenue du 5 au 16 décembre 2011, la Cour a décidé que les actes de procédure dans les requêtes jointes étaient clôturés et qu’une audience publique serait organisée durant la vingt-quatrième session ordinaire, prévue du 19 au 30 mars 2012. Les dates effectives proposées pour l'audience publique ont été fixées aux 26 et 27 mars 2012.
31. Par lettre datée du 21 décembre 2011, le Greffier a informé les parties des dates proposées pour l’audience publique et leur a demandé de confirmer leur disponibilité et d'indiquer si ces dates leur convenaient, et ce, au plus tard le 20 janvier 2012.
32. Par note verbale du 19 janvier 2012 parvenue au Greffe de la Cour le 7 février 2012, le défendeur a informé la Cour que les dates proposées pour les audiences ne lui convenaient pas et il a proposé de reporter l’audience aux 11 et 12 avril 2012.
33. Par lettre datée du 3 février 2012, le Greffier a accusé réception de la lettre du défendeur datée du 19 janvier 2012.
34. Par lettre datée du 20 janvier 2012 et parvenue au Greffe le 7 février 2012, les premiers requérants ont informé le Greffe de leur disponibilité à assister à l’audience publique, aux dates proposées par la Cour.
35. Par lettre datée du 8 février 2012, le Greffier a accusé réception de la lettre des premiers requérants, datée du 20 janvier 2012.
36. Par lettres distinctes, toutes datées du 13 mars 2012, le Greffier a informé les parties que l'audience publique aurait lieu durant la vingt- cinquième session ordinaire de la Cour prévue pour juin 2012 et qu’elles seraient informées en temps opportun des dates effectives.
37. Le 2 avril 2012, le Greffe a reçu un courrier électronique daté du 31 mars 2012 émanant du conseil du Second requérant, transmettant des observations concernant le report de l'audience publique.
38. Par lettre datée du 3 avril 2012, le Greffier a accusé réception des observations du conseil du Second requérant sur le report de
39. Par lettres distinctes, toutes datées du 12 avril 2012, le Greffier a informé les parties que la Cour avait décidé, à sa vingt-quatrième session ordinaire tenue du 19 au 30 mars 2012, que l'audience publique aurait lieu les 14 et 15 juin 2012 et que l'affaire serait entendue tant sur les exceptions préliminaires que sur le fond.
40. Le 13 avril 2012, le Greffe a reçu un courrier électronique du conseil du Second requérant, accusant réception de la lettre du Greffier datée

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RICA 34 39
du 12 avril 2012, informant les parties des nouvelles dates de
41. Par lettre datée du 4 mai 2012, le Greffe a informé des dates de l'audience publique le Président de la Commission de l’Union africaine et, par son intermédiaire, le Conseil exécutif de l’Union ainsi que tous les autres Etats Parties au Protocole.
42. Par lettre datée du 16 mai 2012, le défendeur a demandé à la Cour l'autorisation de déposer des observations supplémentaires.
43. Par lettre datée du 16 mai 2012 adressée au défendeur, le Greffier a accusé réception de la lettre du défendeur demandant l’autorisation de déposer des documents supplémentaires à verser au dossier, et a indiqué que le défendeur serait informé de l’issue de sa demande.
44. Par lettres distinctes, datées du 22 mai 2012, le Greffier a demandé aux parties de confirmer ou d’indiquer les noms de leurs représentants ainsi que les noms des témoins ou des experts, le cas échéant, qu’ils avaient l’intention de citer à la barre durant l’audience publique.
45. Le 25 mai 2012, le Greffe à reçu un courrier électronique du conseil du Second requérant, confirmant que tous les conseils du Second requérant seraient présents à l'audience publique. | a également informé le Greffier qu’il déposerait une demande d'assistance judiciaire. Une demande d'assistance a été effectivement déposée plus tard par lettre datée du 1“ juin 2012, en vue de faciliter le voyage du Second requérant et de deux de ses conseils pour assister à l’audience publique. Le Greffier a informé les conseils que la Cour n’était pas en mesure de fournir l’assistance judiciaire demandée en raison du fait qu’elle ne disposait pas d’une politique d'assistance juridique.
46. Par lettre datée du 23 mai 2012 et parvenue au Greffe le 28 mai 2012, le défendeur a communiqué les noms de ses représentants qui seraient présents à l'audience publique.
47. Le 28 mai 2012, le défendeur a déposé les documents supplémentaires dont il avait demandé le versement au dossier.
48. Par lettres distinctes, toutes datées du 29 mai 2012 et adressées au défendeur, le Greffe a accusé réception de la lettre du défendeur indiquant les noms des représentants à l'audience publique et de la lettre transmettant les documents supplémentaires dont le défendeur avait demandé l'inclusion dans ses écritures.
49. Par lettre datée du 30 mai 2012, le Greffier a accusé réception du courrier électronique daté du 25 mai 2012 émanant du conseil du Second requérant, confirmant les noms des représentants du Second requérant qui seraient présents à l'audience publique.
50. Par courrier électronique du 3 juin 2012, le conseil du Second requérant a confirmé réception de la lettre du Greffier datée du 30 mai 2012.
51. Par lettres distinctes datées du 31 mai 2012, le Greffier a notifié aux requérants, copies des documents supplémentaires dont le défendeur avait demandé le versement au dossier ; le Greffier a également demandé aux requérants de déposer leurs observations, le cas

40 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
échéant, au plus tard le 7 juin 2012 ou, subsidiairement, d’inclure toute conclusion dans leurs observations orales lors de l'audience publique. 52. Par lettres distinctes, datées du 31 mai 2012, le Greffier a invité les parties à déposer des copies écrites de leurs observations orales, avant le 7 juin 2012.
53. Le 4 juin 2012, le conseil du Second requérant a envoyé un courrier électronique au Greffe, accusant réception de la lettre du Greffier datée du 31 mai 2012, par laquelle celui-ci informait les requérants qu'ils avaient le droit de présenter des observations sur les documents supplémentaires dont le défendeur avait demandé l'inclusion dans ses écritures.
54. Par note verbale datée du 4 juin 2012, le Greffier a informé le défendeur que la vingt-cinquième session ordinaire de la Cour se tiendrait du 11 au 26 juin 2012 et lui a rappelé, par la même occasion, que l'audience publique portant sur les requêtes en l'espèce aurait lieu les 14 et 15 juin 2012.
55. Par lettres distinctes, toutes datées du 6 juin 2012, le Greffier a transmis aux premiers requérants et au défendeur, les observations du Second requérant, datées du 31 mars 2012, sur le report de l'audience publique portant sur les requêtes en l’espèce.
56. Par courrier électronique du 7 juin 2012, les premiers requérants ont déposé au Greffe, la copie écrite de leurs observations orales, également datées du 7 juin 2012. Dans le même courrier électronique, ils ont indiqué au Greffier les noms de leurs représentants à l'audience. 57. Par lettre datée du 8 juin 2012, le Greffier a accusé réception du courrier électronique des premiers requérants, daté du 7 juin 2012.
58. Par note verbale du 7 juin 2012, le défendeur a déposé la copie écrite de ses observations orales sur les requêtes jointes.
59. Par lettre datée du 11 juin 2012 adressée au défendeur, le Greffier a accusé réception de la copie écrite des observations orales du défendeur.
60. Par lettres distinctes, datées du 12 juin 2012, les parties ont été informées des modalités pratiques relatives à l'audience publique portant sur les requêtes en l'espèce.
61. Par courrier électronique daté du 14 juin 2012, le conseil du Second requérant a informé le Greffier des questions que le Second requérant comptait soulever lors de l'audience publique.
62. Les audiences publiques ont eu lieu les 14 et 15 juin 2012 au siège de la Cour à Arusha (Tanzanie) et les parties ont présenté leurs observations orales tant sur les exceptions préliminaires que sur le fond. Les parties étaient représentées comme suit :
Pour les premiers requérants :
- M. Clement Julius Mashamba, Avocat
- M. James Jesse, Avocat
« M. Donald Deya, Avocat
Pour le Second requérant :

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RICA 34 41
« M°. Roland Ah Bv
Pour le défendeur :
- M. Be Cb, Directeur des affaires constitutionnelles et des droits de l’homme, Cabinet de l’Attorney général ;
* Mme Au Am, Principal State Attorney, Cabinet de l'Attorney général ;
* Mme Bx Bh, Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney général ;
* Mme Aj Ai, Principal State Attorney, Cabinet de l’Attorney général ;
* M. Bs Bt, Al State Attorney, Cabinet de l’Attorney général ;
« M. Ce Aq Ai Deuxième - Secrétaire - Juriste, Ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale.
63. Durant l'audience publique, les membres de la Cour ont également posé des questions aux parties et celles-ci ont fourni des réponses orales.
64. Par lettres distinctes datées du 31 juillet 2012, le Greffier a transmis aux parties une copie du compte rendu in extenso des audiences publiques, en leur signalant que les observations éventuelles s’y rapportant devaient lui parvenir dans un délai de trente (30) jours.
65. Par note verbale datée du 31 août 2012 parvenue au Greffe par courrier électronique le même jour et sur support papier le 3 septembre 2012, le défendeur a transmis ses observations au Greffier sur le compte rendu in extenso des audiences publiques. Pour leur part, les requérants n’ont pas communiqué d’observations à ce sujet.
IV. Contexte historique et factuel des requêtes en l’espèce
66. La Cour rappelle brièvement ci-après le contexte historique et factuel des deux requêtes en l’espèce.
67. En 1992, l'Assemblée nationale de la République-Unie de Tanzanie (« L'Assemblée nationale tanzanienne ») a adopté la Loi portant huitième révision constitutionnelle, qui est entrée en vigueur durant la même année 1992. L'une des dispositions de cette Loi prescrivait que tout candidat aux élections présidentielles, parlementaires et locales doit être membre d’un parti politique et investi par celui-ci.
68. En 1993, le Ae Bo Ae Ba, le Second requérant, a intenté une action devant la Haute Cour de Tanzanie (« la Haute Cour ») dans l'affaire Rév. Christopher R. Ba c. Attorney général (Civil Case n°5 de 1993), contestant la modification des articles 39, 67 et 77 de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie et de l’article 39 de la Loi régissant les Autorités Locales (Élections) de 1979, tel que modifiée ultérieurement par la Loi n° 7 de 2002, par le biais de la huitième modification constitutionnelle mentionnée ci-dessus. Le Second requérant soutient que l'amendement en question est en contradiction avec la Constitution de la République-Unie de Tanzanie et qu’il est, de ce fait, nul et non avenu.

42 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
69. Le 24 octobre 1994, la Haute Cour a rendu son jugement dans l’affaire Misc. Civil Cause No. 5 de 1993, en faveur du Second requérant, déclarant inconstitutionnel l'amendement qui visait à empêcher les candidatures indépendantes aux élections présidentielles, législatives et locales.
70. En outre, le 16 octobre 1994, le Gouvernement a déposé un projet de loi au Parlement (Loi n° 34 de 1994, portant onzième amendement constitutionnel) visant à supprimer le droit des candidats indépendants à se présenter aux élections présidentielles, législatives et locales.
71. Le 2 décembre 1994, l’Assemblée nationale tanzanienne a adopté le projet de loi, (loi no 34 de 1994 portant onzième amendement constitutionnel), dont l’effet était de restaurer la position constitutionnelle qui prévalait avant le jugement dans l’affaire Civil Case No.5 de 1993, en modifiant l’article 21(1) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie. Cette loi est entrée en vigueur le 17 janvier 1995, après avoir été promulguée par le Président de la République. Cette loi réformait effectivement le jugement de la Haute Cour dans l'affaire Civil Case No.5 de 1993.
72. En 2005, le Second requérant a saisi de nouveau la Haute Cour, dans l'affaire Bo Ba c. Attorney général Miscellaneous Civil Case n° 10 de 2005, contestant les amendements apportés aux articles 39, 67 et 77 de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie, tels qu’ils figurent dans la loi portant onzième révision constitutionnelle de 1994. Le 5 mai 2006, la Haute Cour s’est, une fois de plus, prononcée en faveur du plaignant, estimant que les modifications contestées violaient les principes démocratiques et la doctrine des structures fondamentales inscrites dans la Constitution. Par cet arrêt, la Haute Cour a de nouveau autorisé les candidatures indépendantes.
73. En 2009, l’Attorney général a interjeté appel devant la Cour d’appel de la République-Unie de Tanzanie (« la Cour d'appel ») dans l'affaire Bk Bf général c. le Ae Bo Ba, affaire Civil Appeal No.45 de 2009 (« Civil Appeal n°45 de 2008 »), contre le jugement précité de la Haute Cour. Dans son arrêt du 17 juin 2010, la Cour d'appel a infirmé le jugement de la Haute Cour, rejetant ainsi les candidatures indépendantes aux élections locales, au Parlement et à la Présidence de la République.
74. La Cour d'appel a estimé que la question était de nature politique et qu’elle devait donc être résolue par le Parlement. Celui-ci a alors entamé un processus constitutionnel en vue de résoudre la question. Il s’agit d’un processus de consultation visant à recueillir l'opinion des citoyens tanzaniens sur une éventuelle modification de la Constitution. Durant l’audience publique, il a été confirmé devant la Cour que la procédure était toujours en cours.
75. Selon la législation interne actuelle en République-Unie de Tanzanie, les candidats qui ne sont pas membres d’un parti politique ou investis par celui-ci ne peuvent pas participer aux élections présidentielles, parlementaires ou locales.
V. Mesures sollicitées par les requérants

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RICA 34 43
76. Les premiers requérants demandent à la Cour d’ordonner les mesures suivantes :
« (a) Dire pour droit que le défendeur a violé les articles 2 et 13(1) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que les articles 3 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
b) Ordonner au défendeur de mettre en place les mesures constitutionnelles, législatives ainsi que les autres mesures nécessaires pour garantir les droits consacrés aux articles 2 et 13(1) de la Charte et aux articles 3 et 25 du PIDCP ;
c) Rendre une ordonnance enjoignant au défendeur de faire rapport à la Cour, dans un délai de douze (12) mois à compter de la date du présent arrêt, sur la mise en œuvre de celui-ci et des mesures qui s’y rapportent ;
d) Toute autre mesure de réparation que la Cour estime appropriée.
e) Condamner le défendeur aux dépens ».
77. Le Second requérant prie la Cour d’ordonner les mesures suivantes :
« (a) Constater que la République-Unie de Tanzanie a violé et continue de violer ses droits ;
b) Dire et juger que la République-Unie de Tanzanie doit lui verser une compensation appropriée pour la violation continue de ses droits, du fait qu’il a été contraint de subir des procédures judiciaires longues et coûteuses ;
c) Qu'il se réserve le droit de compléter l'analyse juridique visant à réclamer une indemnisation compensatoire ainsi que des mesures de réparation ».
VI. La position des requérants
78. Les premiers et second requérants adoptent des positions sensiblement similaires. Ils contestent la validité des amendements mentionnés plus haut, apportés à la Constitution de la République-Unie de Tanzanie et dont l'effet est, en résumé, d’empêcher les candidats indépendants de se présenter aux élections présidentielles, législatives et locales. Ces amendements exigent que les candidats appartiennent à un parti politique agréé ou soient investis par celui-ci. Les requérants soutiennent que l'interdiction des candidatures indépendantes viole plusieurs aspects du droit des aspirants à participer aux affaires publiques de leur pays, droits consacrés par divers instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.
VII. Exceptions préliminaires du défendeur
79. Le défendeur soulève certaines exceptions préliminaires tant sur la recevabilité que sur la compétence.

44 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
80. Exceptions préliminaires d’irrecevabilité :
80.1 Non-épuisement des recours internes
L'article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56 de la Charte, exige que pour qu’une requête soit recevable devant la Cour, le requérant doit avoir épuisé toutes les voies de recours internes. En effet, l’article 6(2) du Protocole est libellé comme suit : « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ». Pour sa part, l’article 56(5) de la Charte prescrit que pour être examinées, les requêtes doivent « être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils existent … à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale ». Selon le défendeur cela n’est pas le cas pour les requérants en l'espèce. La raison en est que dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel, celle-ci a déclaré que la question de l'interdiction de candidats indépendants devait être réglée par le Parlement. Le défendeur soutient encore que le Gouvernement a préparé et déposé un projet de loi portant révision constitutionnelle le 11 mars 2011, en vue de mettre en place un mécanisme devant guider le processus de révision constitutionnelle. Au moment où la requête a été introduite, le projet de loi attendait sa deuxième et troisième lecture, avant que la loi ne soit promulguée. Le défendeur fait valoir que l’arrêt rendu en appel le 17 juin 2010 n’abordait pas de manière substantielle la question des candidats indépendants, cette question étant laissée au Parlement, et que cette voie n’a pas encore été exploitée. Le défendeur ajoute que le Parlement doit encore se réunir et délibérer sur la question. || affirme en outre qu’une évolution importante a eu lieu dans le processus de révision de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie. En effet, une Commission a été mise en place, dont le mandat est de prendre en main le processus de révision constitutionnelle. Le défendeur soutient que puisque cette Commission a pour mission de recueillir les avis du grand public, le Second requérant aura la possibilité d'exprimer son point de vue.ll est également prévu une Assemblée constituante qui examinera les dispositions de la nouvelle Constitution. En conséquence, le défendeur soutient que la question a été laissée au peuple tanzanien.
80.2 Non-respect d’un délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour
Le deuxième point soulevé par le défendeur sur la recevabilité se fonde sur l’article 56(6) de la Charte, qui prescrit que les requêtes soient « introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la [Cour] ». Selon le défendeur, les requérants ont attendu pendant un délai non raisonnable avant de porter leurs requêtes devant les juridictions compétentes. Il soutient que malgré le fait que la Cour d'appel ait rendu son arrêt le 17 juin 2010, ce n'est que respectivement, les 2 et 10 juin 2011 que les premiers et second requérants ont introduit leurs requêtes.
80.3 Exception d’incompétence
L'autre exception préliminaire soulevée par le défendeur a trait à la compétence de la Cour. Le défendeur soutient qu’au moment de la

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RJCA34 45
violation alléguée des droits en question, le Protocole portant création de la Cour n’était pas encore entré en vigueur. De ce fait, la Cour n’a pas compétence pour connaître de l'affaire.
VIII. Réponse des requérants aux exceptions préliminaires
81. Les requérants ont répondu aux exceptions préliminaires ci-dessus soulevées par le défendeur.
81.1 Non-épuisement allégué des recours internes
Les requérants soutiennent que le processus de révision constitutionnelle et le Parlement ne constituent pas un recours interne effectif qui doit être épuisé au sens de l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte. Selon les requérants, ce qui constitue une voie de recours interne et qui doit d'abord être épuisé ne peut être qu’un recours juridictionnel.
81.2 Délai non raisonnable allégué dans le dépôt de la requête
Sur l'exception selon laquelle les requérants ont attendu pendant un délai non raisonnable avant de porter leurs requêtes devant les juridictions compétentes :
Les requérants soutiennent qu’il n’y a pas eu de retard injustifié. Tout d’abord, quatre mois après l'arrêt, des élections générales ont eu lieu, ce qui fait que tous les fonctionnaires étaient occupés par celles- ci. Ensuite, les requérants ont dû attendre que le Parlement examine la question, suite à l'arrêt de la Cour d’appel. Ils soutiennent en outre que le délai doit être calculé à partir du moment où il est apparu que le Parlement n'avait pas réagi après l'arrêt de la Cour d’appel.
81.3 Défaut allégué de compétence
Sur l'exception d’incompétence au motif que le Protocole n’était pas encore en vigueur au moment de la violation alléguée des droits du Second requérant :
Le Second requérant fait valoir qu’une distinction doit être faite entre les dispositions à caractère normatif et les dispositions institutionnelles. Les droits que l’on cherche à protéger étaient déjà inscrits dans la Charte à laquelle le défendeur était déjà Partie au moment de la violation alléguée ; même si le Protocole est entré en vigueur plus tard, il ne constituait qu’un simple mécanisme pour protéger ces droits. En effet, la Charte définit les droits, tandis que le Protocole fournit le cadre institutionnel pour les faire respecter. Toujours selon le Second requérant, ce n’est pas la ratification du Protocole qui établit ces droits, car ceux-ci étaient déjà consacrés dans la Charte. Or, le défendeur les a violés et continue à le faire. La question de la rétroactivité ne se pose donc pas.
IX. Décision de la Cour concernant la recevabilité
82. Non épuisement des voies de recours internes
82.1 La Cour est d'avis, qu’en principe, les recours prévus à l’article 6(2) du Protocole et à l’article 56(5) lus conjointement sont essentiellement des recours judiciaires, étant donné que selon la

46 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
jurisprudence établie, ceux-ci répondent aux critères de disponibilité, d'efficacité et de satisfaction. C’est ainsi que dans les communications no 147/95 et 147/96, Sir At Ac c. Gambie, Treizième rapport d'activité (1999-2000), par. 31, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a déclaré que : « Dans l’application de cette règle, les trois critères fondamentaux suivants doivent être pris en compte : la disponibilité, l'efficacité et la satisfaction [suffisante] ». La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a encore estimé, dans la Communication 22198 Cudjoe c. Ghana, Douzième rapport d’activité (1998-1999), par 14 et que : « … les recours internes dont fait mention l’article 56(5) ci-dessus s'entendent des recours introduits devant les tribunaux de l’ordre judiciaire ». Dans le jugement rendu dans l'affaire Velasquez-Rodriguez c. Honduras (29 juillet 1988 (Série C) n° 4, par. 64), la Cour interaméricaine des droits de l'homme s’est prononcée ainsi : « Les recours internes adéquats sont ceux qui sont à même de réparer la violation d’un droit reconnu par la loi. Dans chaque pays, il existe un certain nombre de recours, mais ceux-ci ne sont pas tous applicables à toutes les situations. Si un recours n’est pas adéquat dans une affaire donnée, il est évident qu’il ne doit pas être épuisé » (traduction). Dans la même perspective, s'agissant de l’affaire Akdivar et autres c. Turquie, requête n° 21893/93, jugement du 16 septembre 1996, Jugements et décisions 1996 IV, page 1210 par. 66, la Cour européenne des droits de l'homme a indiqué que pour se conformer à l'exigence de l'épuisement des recours internes : « … un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l'accessibilité voulues ».
82.2. Le Second requérant soutient qu’il a épuisé les voies de recours judiciaires internes puisque l'arrêt rendu par la Cour d’appel qui est la plus haute instance judiciaire a rejeté les jugements rendus par la Haute Cour qui avait déclaré inconstitutionnelle l'interdiction des candidatures indépendantes. Quant aux premiers requérants, ils font valoir qu’il n’était pas nécessaire pour eux d'engager une action en justice aux fins de contester l’interdiction puisque le résultat aurait été le même. Le défendeur n’a pas émis d’objection. Il soutient toutefois que le processus parlementaire, qui est lié au processus d'amendement constitutionnel, est un recours que le requérant aurait dû épuiser.
82.3 Dans la jurisprudence en matière de droits de l'homme, l'expression recours interne se réfère essentiellement aux recours judiciaires car ceux-ci constituent le moyen le plus efficace pour remédier aux violations des droits de l'homme. Le fait que le Second requérant a épuisé les voies de recours judiciaires internes est indiscutable.
Le défendeur n’ayant pas réagi à l'argument avancé par le premier requérant selon lequel il n’était pas nécessaire d'engager une action pour contester l'interdiction des candidatures indépendantes, on peut considérer qu’il a admis l'argument des premiers requérants.

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Compte tenu de ce qui précède, la Cour reconnait qu’il n’était pas nécessaire de recourir au même processus judiciaire dès lors que le résultat était connu d’avance. Le processus parlementaire qui, selon le défendeur, devait être épuisé est en réalité un processus politique qui n’est ni disponible, ni efficace et suffisant car il n’est pas librement accessible à tous et à chacun étant donné qu'il relève du pouvoir discrétionnaire et qu’il peut être abandonné à tout moment ; en outre, son issue dépend de la volonté politique de la majorité. Quelle que soit la nature démocratique du processus parlementaire, celui-ci ne peut pas équivaloir à un processus judiciaire indépendant devant lequel on peut faire valoir des droits consacrés par la Charte. En conclusion, nous constatons que les requérants ont épuisé les voies de recours internes prévues à l’article 6(2) du Protocole lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte.
83. Le retard allégué dans l’introduction des requêtes
La Cour accepte l'argument des requérants selon lequel il n’y a pas eu de retard excessif dans la soumission des requêtes car après l'arrêt de la Cour d'appel, les requérants étaient en droit d'attendre la réaction du Parlement. Compte tenu de ces circonstances, la période de près de trois cent soixante (360) jours (soit environ un an) qui s’est écoulée entre le jugement et le dépôt des requêtes n’a pas été prolongée de manière non raisonnable.
X. La décision de la Cour sur l’exception d’incompétence
A. Compétence temporelle de la Cour
84. La seule exception soulevée contestant la compétence de la Cour se fonde sur le fait que l’action faisant l’objet des requêtes, à savoir l'interdiction des candidatures indépendantes est intervenue avant que le Protocole de la Cour n’entre en vigueur. Cet argument ne peut être retenu. Les droits dont la violation est alléguée sont protégés par la Charte. Au moment de la violation alléguée, le défendeur avait déjà ratifié la Charte et était donc lié par celle-ci. La Charte était en vigueur et le défendeur avait déjà l'obligation de protéger ces droits pendant la période de la violation alléguée.
Au moment de la ratification du Protocole par le défendeur, et lorsque le Protocole est entré en vigueur en ce qui concerne le défendeur, la violation alléguée était en cours et elle se poursuit dans la mesure où les candidats indépendants ne sont toujours pas autorisés à se présenter aux élections présidentielles, parlementaires et locales. En outre, les violations alléguées se sont poursuivies au-delà de la période où le défendeur a fait la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole.
B. Compétence matérielle et personnelle de la Cour
85. L'article 3(1) du Protocole confère à la Cour la compétence de connaître de toutes les affaires concernant les violations alléguées des droits de l’homme. Cet article est libellé comme suit :
« La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de

48 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme ratifié par les Etats concernés ».
La Cour considère que les violations alléguées relèvent du champ d'application de cette disposition.
86. Les articles 5(3) et 34(6) du Protocole, lus conjointement précisent la compétence de la Cour en ce qui concerne les requêtes introduites par les individus et les ONG :
L'article 5(3) est libellé comme suit :
«La Cour peut permettre aux individus ainsi qu'aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
L'article 34(6) dispose ainsi :
« À tout moment, à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
Il ressort du dossier que le défendeur a ratifié le Protocole et a fait la déclaration prévue à l’article 34(6) de celui-ci; la Cour peut donc connaître des requêtes introduites par des individus et des ONG contre le défendeur. En outre, les premiers requérants sont dotés du statut d'observateur auprès de la Commission. La Cour a donc la compétence personnelle en l’espèce.
87. Hormis l'exception ci-dessus qui a été soulevée par le défendeur, aucun autre point contestant la compétence de la Cour n'a a été soulevé ; il ne subsiste donc pas de question susceptible d’écarter la compétence de la Cour. Celle-ci est donc compétente pour connaître
88. Les requêtes étant recevables et la compétence en l'espèce étant établie, la Cour procède à l'examen de l'affaire sur le fond, qui, comme indiqué précédemment, a été plaidé en même temps que les exceptions préliminaires soulevées par le défendeur.
C. Sur le fond de l’affaire
89. La position des requérants sur le fond
89.1 La position et les arguments des premier et second requérants sur le fond sont essentiellement identiques et seront, par conséquent, examinés ensemble, sauf dans les cas où il serait utile d’établir des distinctions.
89.2 En substance, les arguments des requérants, exposés de manière plus détaillée ci-dessus, les requérants font valoir que le Onzième amendement de la Constitution adopté le 2 décembre 1995 par le Parlement tanzanien et promulgué le 17 janvier 1995 par le Président de la République-Unie de Tanzanie, viole les droits de l'homme consacrés aux articles 2, 10 et 13(1) de la Charte, du fait qu’il empêche ses citoyens de se présenter en tant que candidats indépendants aux élections présidentielles, législatives et locales.

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89.3 Les requérants soutiennent, premièrement que cette interdiction constitue une discrimination à l'égard des candidats indépendants. Ensuite, l’interdiction viole le droit à la liberté d’association et le droit de participer à la gestion et à la direction des affaires publiques de leur pays. Ils estiment encore, que les conditions de création d’un parti politique sont strictes ; par exemple, un parti politique doit disposer d’un certain quota de militants par région et être représenté non seulement dans la partie continentale du pays, mais aussi à Zanzibar. Il n’est pas possible de jouir de ses droits politiques si l’on n’est pas membre d’un parti politique ; les requérants font valoir en conséquence, qu’il n'y a pas de liberté d'association.
90. Position du défendeur sur le fond
90.1 Le défendeur réplique que l'interdiction des candidatures indépendantes est un moyen pour éviter une liberté absolue, incontrôlée et sans limites, qui conduirait à l’anarchie et au désordre. Cette interdiction est nécessaire pour garantir la bonne gouvernance et l’unité du pays. C’est pour cette raison que l’élection à la Présidence de la République, au Parlement et aux administrations locales est régie respectivement par les articles 39(1) et 67(1)(b) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie et par la section 39(f) Section 292 de la loi sur les élections locales. L'’interdiction des candidatures indépendantes à des postes de responsabilité au sein du Gouvernement est nécessaire pour préserver la sécurité et la défense nationale, l’ordre public, la paix et la moralité publique. Toujours selon le défendeur, les conditions requises pour l'agrément des partis politiques, comme la nécessité d’être représenté dans toutes les régions, sont nécessaires pour éviter le tribalisme.
90.2. S'agissant de la discrimination alléguée, le défendeur soutient que les amendements constitutionnels en question ne visent pas certains individus en particulier, mais s'appliquent de la même manière à tous les Tanzaniens. Ils ne sont donc pas discriminatoires.
90.3 Concernant la violation alléguée du droit à la liberté d'association, le défendeur soutient que le fait de se porter candidat à un poste politique est une question d’ambition personnelle ; l’on ne peut y être contraint, si on n’en a pas la volonté. Faisant référence, en particulier, au second requérant, le défendeur affirme que celui-ci n’a jamais été empêché de participer à la vie politique ; il est membre d’un parti politique et il a été candidat malheureux à la présidence de la République.
90.4 En conséquence, le défendeur prie la Cour de rejeter les requêtes.
D. Décision de la Cour sur le fond
i. Droit de participer librement à la direction des affaires de son pays
91. Comme nous l'avons relevé plus haut, les requérants font valoir que le défendeur a violé l’article 13(1) de la Charte. Ils soutiennent que cette violation se poursuit parce que les dispositions constitutionnelles et légales contestées sont toujours en vigueur.

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92. Les requérants se fondent également sur les articles 3 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et sur l’article 21(1) de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH).
93. En résumé, ils soutiennent que l'arrêt rendu par la Cour suprême, les articles 39, 47, 67 et 77 de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie de 1977 ainsi que la Loi n° 7 de 2002 régissant les Autorités locales (élections), qui exigent que les candidats aux élections présidentielles, législatives et locales soient membres d’un parti politique et investis par celui-ci, constituent une violation des articles 2, 10 et 13 de la Charte, et des articles 3 et 25 du PIDCP.
94. Pour sa part, le défendeur affirme que la décision sur l'introduction ou non des candidatures indépendantes en Tanzanie est dictée par les nécessités sociales du pays et qu’elle est fondée sur ses réalités historiques. Il soutient en outre que la question des candidatures indépendantes est une question d’ordre politique et non juridique. Cet argument est conforme à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Tanzanie. 95. Toujours selon le défendeur, l’interdiction des candidatures indépendantes est un moyen d'éviter une liberté absolue et incontrôlée
- « totale et sans limites, qui conduirait à l’anarchie ».
96. Le défendeur relève également que le Second requérant a créé son propre parti politique et qu’il n’a été empêché en aucune manière, de participer à la vie politique.
97. Dans l'examen de la violation alléguée par le défendeur de l’article 13(1) de la Charte africaine et des articles 3 et 25 du PIDCP, la Cour doit évaluer de manière critique les articles invoqués à l'appui de cette allégation. L'article 13(1) de la Charte, qui est la principale disposition portant sur la participation à la vie politique, est libellé comme suit : « 1. Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi ».
98. Il est impératif de souligner ici que les droits garantis par l’article 13(1) de la Charte sont des droits individuels. Ils ne sont pas supposés être exercés uniquement en association avec d'autres individus ou groupe d’individus, comme les partis politiques. Dans une requête comme l'affaire en l'espèce, le plus important est donc de savoir si, oui ou non, un droit individuel a été bafoué ou violé de toute autre manière, et non de savoir si des groupes peuvent jouir ou non de ce droit.
99. Vu la clarté manifeste du libellé de l’article 13(1) de la Charte, qui offre à chaque citoyen la possibilité de participer à la direction des affaires publiques de son pays, directement ou par l'intermédiaire de ses représentants, exiger d’un candidat qu’il soit membre d’un parti politique avant d’être autorisé à participer à la vie politique en Tanzanie constitue certainement une violation des droits consacrés à l’article 13(1) de la Charte. Ce droit doit cependant être exercé conformément à la loi.
100. La jouissance de ce droit est également limitée par l’article 27(2) de la Charte, qui dispose que : « …Les droits et les libertés de chaque

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personne s'exercent dans le respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt commun ». En outre, l’article 29(4) de la Charte fait obligation aux individus de : « ...préserver et de renforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement lorsque celle- ci est menacée ». Cette disposition limite également la jouissance de ces droits ».
101. Pour justifier les restrictions, le défendeur invoque le principe de la nécessité, fondé sur les nécessités sociales du peuple tanzanien. Quelles sont donc ces nécessités sociales ?
102. En réponse aux questions posées par la Cour lors de l’audience publique, le défendeur a indiqué que les conditions qui prévalent actuellement en Tanzanie justifient le maintien de l’interdiction des candidatures indépendantes. Selon le défendeur, cette interdiction est justifiée par la structure de l’Union, la République-Unie de Tanzanie étant composée de la Tanzanie continentale et de la Tanzanie Zanzibar. Les restrictions qui exigent qu’un parti ait un nombre minimum de militants sur la partie continentale et sur l’île de Zanzibar sont justifiées et les conditions d'agrément des partis politiques ont permis d’éviter tout tribalisme en Tanzanie. Selon le défendeur, la loi fixe simplement la procédure à respecter pour jouir de ses droits, sans y imposer de restrictions. La procédure énonce les obligations minimales dont on doit s'acquitter pour jouir de ces droits et elles sont raisonnables.
103. Le défendeur a rappelé la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire civile n°45 de 2009, qui est similaire à la décision rendue par la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Bd Ca c. Mexique, jugement du 6 août 2008, Série C n°184, où il est dit la décision d'autoriser les candidatures indépendantes est fonction que des nécessités sociales de chaque État, conditions qui dépendent elles-mêmes de ses réalités historiques du pays. Le défendeur cite les paragraphes 192 et 193 de l'arrêt rendu dans l'affaire Bd Ca c. Mexique, et dont la teneur est la suivante :
« 192. Les systèmes qui acceptent des candidats indépendants peuvent se fonder sur la nécessité d'étendre et d'améliorer la participation et la représentation dans la gestion des affaires publiques et permettre un rapprochement entre les citoyens et les institutions démocratiques, alors que les systèmes qui optent pour l’exclusivité de l'investiture des candidats par les partis politiques peuvent se fonder sur des nécessités variées, comme le besoin de renforcer ces organisations en tant qu’instruments essentiels de la démocratie ou l’organisation efficiente du processus électoral. Ces besoins doivent en fin de compte cadrer avec l'objectif légitime, conformément à la Convention américaine » (Traduction). « 193. La Cour estime que l'État a justifié l'investiture des candidats exclusivement par les partis politiques comme une réponse à des nécessités sociales, justifiées par des besoins et des raisons historiques, politiques et sociales. Les raisons avancées, à savoir la nécessité de créer et de renforcer le système de partis pour répondre à une réalité historique et politique ; la nécessité d’organiser un processus électoral efficace dans une société composée de 75 millions de votants, dans laquelle tout le monde aura le même droit d’être élu ; la nécessité pour un système essentiellement financé par les fonds publics d’assurer la tenue d’élections libres et dans des conditions équitables et la nécessité de contrôler

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efficacement les fonds utilisés au cours des élections, relèvent toutes de l'intérêt public essentiel. Toutefois, les représentants n’ont pas fourni suffisamment de preuves qui, en dehors de leurs déclarations concernant le manque de crédibilité des parties politiques et la nécessité des candidatures indépendantes, rendraient nul l'argument avancé par l’État ». (Traduction)
104. Le défendeur s'est étendu sur ce qu’il a appelé les réalités historiques et sociales ayant justifié l'interdiction des candidatures indépendantes. Selon lui, au lendemain de l'indépendance, la Tanzanie était dotée d’un système politique pluraliste, mais le monopartisme avait dû être instauré afin de consolider l’unité nationale. La démocratie multipartiste a été restaurée au début des années 90, par le biais du Huitième amendement constitutionnel, notamment des articles 39, 47 et 67 et les candidatures indépendantes ont été interdites. Ces dispositions ont été adoptées à une période où la Tanzanie était une jeune démocratie et elles étaient nécessaires pour la consolidation de la démocratie pluraliste.
105. Le défendeur s’est également attardé sur le tort allégué qui devait être réparé par le Onzième amendement constitutionnel. I| soutient qu’avant l'adoption de cet amendement, l'interprétation de l’article 21 portait exclusivement sur le droit de participer à la direction des affaires publiques de son pays, alors que l’investiture des candidats aux élections présidentielles, législatives et locales était régie par les articles 39, 47 et 67 de la Constitution. L'article 21 de la Constitution était donc interprété isolément des dispositions concernant l’obligation d'appartenir à un parti politique pour pouvoir participer aux affaires publiques nationales. Il s'agit là d’un tort qui découlait de la non- harmonisation des deux ensembles de dispositions. Le Onzième amendement constitutionnel devait corriger ce tort en harmonisant, par voie de renvoi aux dispositions relatives à l'investiture des candidats aux élections par les partis politiques, à savoir, les articles 39, 47, et 67, qui renvoient aussi à l’article 21 relatif au droit de participer à la direction des affaires publiques. De plus, la révision constitutionnelle a maintenu les dispositions en vigueur, tout en les renforçant et en les précisant. L'intention du Gouvernement était aussi de permettre la participation à la gestion des affaires publiques par l'intermédiaire des partis politiques, sans oublier que ces amendements sont intervenus deux ans seulement après l'adoption de la loi sur les partis politiques en 1992, au moment où la Tanzanie était encore engagée dans le processus d’instauration de la démocratie pluraliste. À cette période, le pays n'avait même pas encore tenu ses premières élections générales pluralistes et son système de démocratie multipartiste était encore à ses débuts. La nécessité des candidatures indépendantes ne se faisait donc pas sentir.
106. Jurisprudence
106.1. La jurisprudence sur les limitations à la jouissance des droits a établi le principe que les restrictions doivent être non seulement nécessaires dans une société démocratique, mais aussi raisonnablement proportionnelles à l’objectif légitime recherché. Lorsque le plaignant fournit la preuve qu'il y a violation prima facie d’un droit, l’État défendeur pourrait faire valoir que ce droit a été limité de

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manière légitime par la «loi», en fournissant la preuve que cette restriction cadre avec l’un des objectifs définis à l’article 27(2) de la Charte. Dans les communications 105/93, 128/94, 130/94 et 152/96 en jonction -Media A Aw et autres c. Bz, Quatrième rapport d'activité (2000-2001), et communication 255/2002-Gareth Cc Bu c. Afrique du Sud Huitième rapport d'activité (juillet 2004 — décembre 2004), la Commission a considéré que la « seule » raison « légitime pour justifier ces limitations des droits et libertés » se trouve à l’article 27(2) de la Charte. Après avoir examiné la question de savoir si cette restriction est mise en œuvre dans le cadre d’une «loi d'application générale », la Commission a appliqué le critère de proportionnalité pour évaluer l'impact, la nature et la portée de la limitation par rapport à l'intérêt légitime de l'Etat à certaines fins. L'intérêt légitime doit être « proportionnel aux avantages recherchés et absolument nécessair ».
106.2. La Cour européenne des droits de l'homme (la Cour européenne) a également adopté une approche semblable. Dans l’affaire Ar c. Royaume Uni, au paragraphe 49 du jugement dans la n° 5493/72, la Cour a conclu : « les fonctions de supervision requête de la Cour l’ obligent à à porter une attention que toute particulière aux principes qui caractérisent « une société démocratique »..….cela signifie, entre autres considérations, que toute « formalité », « condition », « restriction » ou sanction » imposée en la matière doit être proportionnelle au but légitime poursuivi ». Cette approche a été reprise au paragraphe ps de l'arrêt rendu dans l'affaire An c. Royaume Uni, requête n° 9063/80, (rendu le 24 novembre 1986) : «
La notion de nécessité implique un besoin social impérieux ; en … particulier, la mesure prise doit être proportionnée au but légitime poursuivi. En outre, l'étendue de la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales dépend non seulement de la nature de l'objectif visé, mais aussi de la finalité de la restriction, mais encore de la nature du droit en cause ».
106.3. En ce qui concerne les raisons sociales impérieuses, la Cour européenne vérifie, non seulement si l’Etat concerné a usé de son d'appréciation en bonne foi, mais également si les raisons avancées pouvoir sont « pertinentes » et « suffisantes », comme elle l'a précisé dans l'affaire OIsson c. Suède, requête n° 10465/83 (arrêt rendu le 24 mars 1988), Série A n°130, paragraphe 68.
106.4. Par ailleurs, conformément aux précisions données dans l'affaire Ap et Bl c. Suède, requêtes n° 7151/75, 7152/75 (arrêt du 23 septembre 1982), Série A n°52, la Cour apprécie si l'intervention était proportionnelle à l’objectif légitime visé. Elle doit donc, pour cela « rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ».
106.5. Pour déterminer si la restriction des droits est prévue par la loi, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a adopté une approche différente de celle de la Cour européenne. La Cour interaméricaine est guidée par l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme (CADH), qui définit la portée des restrictions des droits. L'article 30 est libellé comme suit : « Les restrictions autorisées par la

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présente Convention à la jouissance et à l'exercice des droits et libertés qui y sont reconnus ne peuvent être appliquées qu’en vertu des lois édictées dans l’intérêt général et uniquement aux fins pour lesquelles ces lois ont été prévues ». Pour sa part, l’article 32(2) dispose que : « les droits de chaque personne sont limités par les droits d'autrui, par la sécurité de tous et par les justes exigences du bien commun, dans une société démocratique ». Une limitation des droits n’est autorisée que si elle a un fondement juridique et que la loi qui s’y rapporte est conforme à la Convention. Ces restrictions doivent être légales et légitimes. Cette approche est reflétée dans l'affaire Ao By et autres c. Panama (arrêt rendu le 2 février 2001).
107. Conclusions de la Cour
107.1. La Cour s'accorde avec la Commission africaine pour dire que les limitations aux droits et aux libertés prévues dans la Charte ne peuvent être uniquement que celles qui sont précisées à l’article 27(2) de la Charte et que ces limitations doivent prendre la forme d’une « loi d'application générale ». Elles doivent aussi être proportionnées à l’objectif légitime poursuivi. La Cour européenne des droits de l'homme a adopté la même approche, qui requiert qu’un juste équilibre soit trouvé entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de protection des droits individuels fondamentaux.
107.2 L'article 27(2) de la Charte prévoit des restrictions aux droits et aux libertés individuelles, mais uniquement sur la base des libertés d’autrui comme la sécurité collective, la moralité et l’intérêt commun. Les besoins de la population tanzanienne, auxquels sont soumis les droits individuels, doivent, à notre avis, être conformes aux obligations individuelles, comme le prévoit l’article 27(2) de la Charte et respecter la sécurité collective, la morale, l'intérêt commun et la solidarité. Rien dans les arguments avancés par le défendeur ne vient démontrer que les restrictions à l’exercice du droit de participer librement aux affaires publiques de son pays et interdisant les candidatures indépendantes font partie des restrictions envisagées par l'article 27(2) de la Charte. En tout état de cause, ces restrictions ne sont pas proportionnelles à l'objectif avancé, qui est le renforcement de l’unité et de la solidarité nationale.
Le défendeur s’est largement fondé sur l’affaire Bd Ca v Mexico. Dans cette affaire, la Cour interaméricaine a jugé que les individus désireux de postuler aux fonctions électives avaient d’autres options. Par conséquent, à part la condition d’être membre d’un parti politique ou d’être soutenu par ce dernier, un candidat pourrait être soutenu par un parti politique sans en être membre mais également que tout individu pourrait créer un parti politique parce que les conditions pour ce faire n'étaient pas si ardues. Dans la présente affaire, les citoyens Tanzaniens ne peuvent postuler aux fonctions électives qu’en étant membres d’un parti politique et qu’en étant soutenus par les partis politiques. Il n’existe pas d’autres options disponibles pour eux.
107.3 L'observation générale n° 25 du Comité des droits de l'homme de l'ONU sur le droit de participer à la direction des affaires publiques, le droit de vote et le droit d'accéder, dans des conditions générales

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d'égalité, à des fonctions publiques (article 25), en son paragraphe 17, est libellé comme suit : « Le droit de se présenter à des élections ne devrait pas être limité de manière déraisonnable en obligeant les candidats à appartenir à des partis ou à un parti déterminé. Toute condition exigeant un nombre minimum de partisans de la présentation de candidature devrait être raisonnable et ne devrait pas servir à faire obstacle à la candidature. Sans préjudice du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, l’opinion politique ne peut pas servir de motif pour priver une personne du droit de se présenter à une élection ». La Cour fait sienne cette observation générale car il s'agit d’une déclaration faisant autorité sur l’interprétation de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui reflète l’esprit de l’article 13 de la Charte et qui, en vertu de l'article 60 de la Charte, est « un instrument adopté par les Cd Bi relatif aux droits de l'homme » dont la Cour peut « s’inspirer » pour sa propre interprétation.
108. Par ailleurs, la Cour est d'avis que les limitations imposées par le défendeur doivent être conformes aux normes internationales qu'il est tenu de respecter. Cette exigence est conforme au principe exposé à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui dispose que: « Un Etat partie à un traité ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution du traité. Les règles énoncées… sont sans préjudice de l’article 46 En outre, l’article 32 du Projet d'articles de la Commission du ». droit international sur la responsabilité de l’État (2001) prescrit que « l’État responsable ne peut pas se prévaloir des dispositions de son droit interne pour justifier un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la présente partie ».
109. Le défendeur se fonde sur l’article 13(1) de la Charte pour affirmer que la jouissance des droits en question doit s'exercer conforment à la loi, c’est à dire la loi nationale du défendeur. Il y a lieu de relever que les restrictions imposées dans le cadre des lois nationales ne peuvent pas aller à l'encontre des dispositions explicites de la Charte. La Cour partage le point de vue exprimé par la Commission dans la communication 212/98, affaire Br Bp c. Zambie, par. 50 : « Les clauses « dérogatoires » ne devraient pas être interprétées dans le sens contraire aux principes de la Charte. Le recours à ces dispositions ne devrait pas être un moyen de perpétrer des violations des dispositions claires de la Charte. Il importe que la Commission fasse une mise en garde contre le recours trop facile à ces clauses dérogatoires à la Charte africaine. Il incombe à l’État de prouver qu’il est justifié de recourir aux clauses dérogatoires ».
Ayant ratifié la Charte, le défendeur a l'obligation d'intégrer cette disposition dans sa législation nationale conformément à l'intention et aux objectifs de la Charte. En conséquence, la Cour estime que même si la clause en question envisage l'adoption de règles et de règlements pour l’exercice des droits qui y sont consacrés, ces règles et règlements ne sauraient annuler les mêmes droits et libertés qu’ils doivent régir. Comment pourrait-on parler de liberté si même pour désigner un représentant de son choix, l’on est obligé de choisir l’un des personnes investies par des partis politiques, même si cette personne n’a pas les qualités requises. Dans la mesure où ladite

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disposition réserve aux citoyens le droit de participer directement ou par l'intermédiaire de ses représentants à la gestion des affaires publiques, toute loi qui exige du citoyen d’être membre d’un parti politique avant de se présenter aux élections présidentielles, législatives et locales est une mesure inutile, qui porte atteinte au droit du citoyen de participer directement à la vie politique et constitue donc une violation d’un droit.
110. Enfin, concernant la création par le Second requérant de son propre parti politique, la Cour estime que cela ne décharge en rien le défendeur de l’une quelconque de ses obligations. Si, dans sa volonté de participer à la vie politique en tant citoyen responsable, le Second requérant a créé sa propre formation politique afin de contourner l'obstacle mis en place inutilement par le défendeur, doit-il être contraint de continuer dans cette voie s'il s’estime incapable de supporter le fardeau que représente la création et l'entretien d’un tel parti politique ? L'on ne saurait affirmer qu’il n'a pas été empêché de participer à la gestion des affaires publiques de son pays. Le requérant a essayé de le faire une fois et s'il ne souhaite plus continuer sur cette voie, il a le droit d’insister pour faire respecter les droits que lui confère la Charte. Par ailleurs, doit-il être exclu de la vie politique s’il choisit de ne pas créer son propre parti ? Certainement pas. On peut même dire que si le requérant a réussi à créer un parti politique, il ne peut pas être empêché pour autant de remettre en cause la validité des lois en question et d’affirmer que cet état de choses constitue une violation des dispositions de la Charte. Une affaire comme celle en l'espèce ne peut et ne doit pas être examinée comme s'il s'agissait d’une action personnelle et il serait dangereux pour la Cour de donner cette impression. S'il y a eu violation, elle affecte tous les Tanzaniens ; et si la Cour fait droit à la requête introduite par le requérant, cette décision profitera à tous les Tanzaniens.
111. La Cour conclut donc que le droit du requérant de participer librement aux affaires publiques de son pays a été violé, du fait que pour se porter candidat aux élections présidentielles, législatives ou locales en Tanzanie, il faut être membre d’un parti politique. Les Tanzaniens ne sont donc pas libres de participer à la direction des affaires publiques de leur pays, directement ou par le libre choix de leurs représentants.
ii. Droit à la liberté d’association
112. Les requérants font valoir que les restrictions qui imposent aux candidats à une élection d’appartenir à un parti politique constituent une entrave à la liberté d'association des Tanzaniens qui souhaiteraient participer à la vie politique. Ils soutiennent en outre que la liberté d’association constitue l’un des principes fondamentaux de la démocratie, dont l'objectif est de permettre à tous les citoyens d'exercer un contrôle sur le fonctionnement de l’État, afin de garantir l'exercice adéquat des fonctions publiques et exiger le respect des lois par le Gouvernement, assurant ainsi la transparence et la responsabilité. Ils se fondent en cela sur l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, sur l’article 22 du PIDCP et sur l’article 20 de la Charte africaine. En effet, l’article 10(2) de la Charte

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est libellé comme suit : « 2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association, sous réserve de l'obligation de solidarité prévue à l’article 29 ». La disposition pertinente qui renvoie à l’article 29 de la Charte est l’article 29(4), qui impose aux individus « De préserver et de renforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement lorsque celle-ci est menacée ». L'article 27(2) de la Charte étant la clause générale de limitation, il est pertinent pour l'examen de cette affaire. Il est cité une fois de plus pour faciliter la référence : « Les droits et les libertés de chaque personne s'exercent dans le respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun ». Cette disposition signifie que les Etats Parties à la Charte jouissent d’une certaine mesure de discrétion concernant la limitation à la liberté d’association, dans l’intérêt de la sécurité collective, de la morale, de l'intérêt commun et qui respecte les droits et les libertés d'autrui.
113. La Cour estime qu'il y a atteinte à la liberté d'association dès lors qu’un individu est contraint de s'associer avec d’autres personnes. La liberté d'association est aussi bafouée lorsque les autres citoyens sont obligés de s'associer avec un individu. En d’autres termes, la liberté d'association signifie que chacun est libre de s'associer et libre de ne pas le faire.
114. En conséquence, la Cour considère que le fait que le défendeur exige de ses citoyens d’adhérer à un parti politique et d’être investi par celui-ci comme préalable pour se porter candidat aux élections locales, législatives ou présidentielles, constitue une entrave à la liberté d'association, puisque les individus sont contraints d’adhérer à une association ou d'en créer une, avant de pouvoir se porter candidats à des postes électifs.
115. La Cour n’est pas convaincue que les nécessités sociales avancées ci-dessus soient conformes aux critères des exceptions prévues à l’article 29(4) et à l’article 27(2) de la Charte, au point de justifier la limitation du droit du citoyen à choisir de s'associer ou de ne pas s'associer, selon son choix.
iii. Droit à la non-discrimination et à l’égalité devant la loi
116. Les requérants allèguent que les dispositions constitutionnelles qui interdisent les candidatures indépendantes ont pour effet de créer une discrimination à l'égard de la majorité des Tanzaniens et constitue de ce fait, une entrave au droit à la non-discrimination, consacré à l’article 2 de la Charte africaine. Cet article est libellé comme suit : « Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
117. Les requérants soutiennent que même si la loi interdisant les candidatures indépendantes s'applique de la même manière à tous les Tanzaniens, ses effets sont discriminatoires, étant donné que seuls ceux qui sont membres d’un parti politique et qui sont parrainés par celui-ci peuvent se présenter aux élections présidentielles,

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parlementaires ou locales. Les requérants ont attiré l'attention de la Cour sur la jurisprudence de la Commission africaine dans la communication 211/98 Ak Bq Bc c. Zambie, Rapport d'activité (2000-2001), au paragraphe 64, dans laquelle la Commission a conclu, entre autres, que « [toute mesure visant à exclure un groupe de citoyens d’une participation aux processus démocratiques est discriminatoire et est en porte-à-faux avec la Charte africaine ».
118. Le défendeur fait valoir que la loi qui interdit les candidatures indépendantes n’est pas discriminatoire, du fait qu’elle s'applique à tous les Tanzaniens, sans distinction.
119. Les requérants semblent alléguer une discrimination qui est le résultat des amendements constitutionnels mentionnés plus haut, qui ont pour effet d'établir une distinction entre, d’une part, les Tanzaniens qui sont membres de partis politiques et d'autre part, ceux qui n’appartiennent à aucune formation politique, étant donné que les premiers peuvent se présenter aux élections présidentielles, législatives et locales, tandis que les seconds en sont exclus. Dans cette optique, le droit à la non-discrimination est lié au droit de l’égalité devant la loi, qui est consacré à l’article 3(2) de la Charte et qui précise que : « [t]outes les personnes ont droits à une égale protection de la loi». À la lumière de l’article 2 de la Charte cité plus haut, la discrimination alléguée pourrait être apparentée à une distinction basée sur une « opinion politique ou … Tout autre opinion ».
Pour justifier la différence de traitement entre Tanzanien, le défendeur a, comme nous l’avons déjà indiqué, invoqué l'existence de nécessité sociales de la population, basées, inter alia, sur la structure particulière de l'Etat, (union entre la Tanzanie continentale et Zanzibar) ainsi que l’histoire du pays, des considérations qui requièrent une transition progressive d’une démocratie pluraliste dans l’unité. La question qui se pose alors est celle de savoir si les moyens invoqués par le défendeur en réponse à la différence de traitement inscrite dans les amendements constitutionnels mentionnés ci-dessus sont pertinents, en d’autres termes, s'ils sont raisonnables et légitimes. Comme la Cour l’a déjà indiquée, ces justifications ne peuvent pas conférer de légitimité aux restrictions imposées par ces mêmes amendements constitutionnels au droit de participer à la direction des affaires publiques de son pays et à celui de ne pas être obligé de faire partie d'une association (supra, par. 107 à 111 et 114 à 115). La Cour considère que ces mêmes justifications ne peuvent pas conférer de légitimité aux restrictions au droit à la non-discrimination et à l’égalité devant la loi. En conséquence, la Cour conclut à une violation des articles 2 et 3(2) de la Charte.
iv. Atteinte alléguée à l’état de droit
120. Le Second requérant fait valoir qu’en lançant un amendement constitutionnel pour régler un litige qui était pendant devant les juridictions et dont l'effet était de rendre sans objet la résolution de cette affaire sur le plan judiciaire, le défendeur s’est servi abusivement du processus d’amendement constitutionnel et partant, a violé l’état de droit. Le Second requérant soutient encore que l’état de droit est un

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principe du droit international coutumier. Le défendeur affirme que le Gouvernement tanzanien souscrit entièrement aux principes de l’état de droit, de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance du système judiciaire, conformément à la Constitution de la République- Unie de Tanzanie. En réponse à l’argument du Second requérant selon lequel le onzième amendement constitutionnel est contraire au principe de l’état de droit, le défendeur rétorque que les amendements constitutionnels ne sont pas un nouveau phénomène en Tanzanie et que la Constitution de la République-Unie de Tanzanie a déjà connu quatorze (14) amendements constitutionnels. En effet, l’article 98(1) de la Constitution prévoit que celle-ci peut faire l’objet d’'amendements à tout moment en cas de besoin et c’est ce qui s'est passé en 1994. Selon le défendeur, la question de la violation de l’état de droit ne se pose pas donc du tout.
121. La Cour considère que le concept de l’état de droit est un principe d'ensemble dont relèvent tous les droits de l'homme et qui ne saurait être traité dans l’abstrait ou dans la globalité. De plus, l'argument des requérants selon lequel l’état de droit n’a pas été respecté n’est rattaché à aucun droit spécifique. La Cour estime donc que la question de la violation du principe de l’état de droit est sans intérêt en l'espèce.
E. Violation alléguée du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Déclaration universelle des droits de l’homme
122. La Cour fait observer qu’elle est compétente pour interpréter les traités ci-dessus, conformément à l’article 3(1) du Protocole qui dispose que : « [Ia Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés ».
123. Après avoir examiné les violations alléguées des dispositions qui relèvent de la Charte, la Cour estime, qu’il est inutile d’examiner l’application desdits traités dans l'affaire en l’espèce.
i. Compensation et réparation
124. La Cour a le pouvoir d’ordonner le paiement d’une compensation ou l’octroi d’une réparation en vertu de l’article 27(1) du Protocole, qui est libellé comme suit : « Lorsque qu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ». Conformément à l’article 63 du Règlement intérieur de la Cour, la Cour : « …statue sur la demande de réparation introduite en vertu de l’article 34(5) du présent Règlement, dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ». Dans les mesures qu’il demande à la Cour, le Second requérant se réserve le droit de compléter l'analyse juridique visant à réclamer une indemnisation compensatoire ainsi que des mesures de réparation. || ne l’a pas fait, pas plus que les parties n’ont

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abordé la question avec la Cour. La Cour ne peut donc pas se prononcer dans cet arrêt sur une compensation et des réparations. La Cour décide d'inviter le Second requérant, s’il le souhaite, à faire valoir ses droits à cet égard.
ii. Frais de procédure
125. Le premier requérant a demandé à la Cour d’ordonner au défendeur de payer les dépens. Le défendeur a demandé à la Cour d’ordonner aux requérants de payer les frais de procédure. La Cour fait observer que l’article 30 de son Règlement intérieur dispose que « [A] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédures ». La Cour estime donc que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il n’y a aucune raison de déroger aux dispositions de cet article.
iii. — Sur les mesures demandées
126. En conclusion,
La Cour, ayant déclaré les requêtes recevables et qu’elle a compétence pour en connaître, conclut à la majorité de ses membres : 1. Concernant les premiers requérants, la Cour conclut que le défendeur a violé les Articles 2, 3, 10 et 13(1) de la Charte ;
2. En ce qui concerne le Deuxième requérant, la Cour conclut que le défendeur a violé les Articles 2, 3, 10 et 13(1) de la Charte ;
3. Il est ordonné au défendeur de prendre toutes les mesures constitutionnelles, législatives et autres dispositions utiles dans un délai raisonnable, afin de mettre fin aux violations constatées et informer la Cour des mesures prises à cet égard.
4. Conformément à l’article 63 de son Règlement intérieur, la Cour fait droit à la demande du Second requérant aux fins d’être autorisé à déposer des conclusions sur l’octroi de réparations dans un délai de trente (30) jours et invite le défendeur à y répondre dans les trente (30) jours suivant la réception des conclusions du Second requérant.
5. Conformément à l’article 30 du Règlement intérieur de la Cour, chacune des parties supportera ses propres frais de procédure.
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. Je suis d’avis qu’il y a violation par l’État défendeur des droits garantis par les articles 2, 3(2), 10 et 13(1) de la Charte africaine ; je considère toutefois que les motifs invoqués pour parvenir à une telle conclusion ne sont pas exposés avec suffisamment de clarté dans le présent arrêt. En outre, la Cour aurait d’abord dû se prononcer sur la question de sa compétence pour connaître des deux requêtes, avant d'examiner la question de la recevabilité desdites requêtes ; elle aurait également dû consacrer des développements plus substantiels au traitement de ces deux questions importantes.

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I Compétence de la Cour
2. La Cour doit d’abord s'assurer qu’elle a compétence pour connaître d’une requête avant d’examiner la recevabilité de celle-ci ; elle doit le faire proprio motu même lorsque l’État défendeur n’a pas soulevé d’exceptions d’incompétence. Dans l'exercice de sa fonction contentieuse, la Cour ne peut en effet utiliser ses pouvoirs juridictionnels que contre les Etats parties au Protocole et dans le cadre des limites posées par cet instrument concernant notamment la qualité des entités habilitées à la saisir et le type de différends qui peuvent lui être soumis. Ce n’est que si une requête est introduite contre un Etat partie au Protocole et rentre dans le cadre des limites posées par celui- ci que sa recevabilité pourra être examinée par la Cour. C’est d’ailleurs dans cet ordre chronologique que les questions de compétence et de recevabilité sont traitées par le Protocole (articles 3(1), 5 et 6 ; voir également l’article 39 du Règlement de la Cour).
3. Dans son Mémoire en réponse à la requête des 1er requérants, le défendeur a soulevé deux exceptions à la recevabilité de cette requête ; dans son Mémoire en réponse à la requête du 2ème requérant, le défendeur a soulevé cinq exceptions à la recevabilité de cette requête. Dans ses Mémoires en réponse aux deux requêtes, le défendeur a toutefois traité tant des questions de recevabilité des requêtes que des questions de fond. Pour des raisons tenant à une bonne administration de la justice, la Cour a en conséquence décidé de ne pas suspendre la procédure sur le fond et de joindre l'examen des exceptions soulevées par le défendeur à l'examen du fond des deux affaires, comme le lui autorise le paragraphe 3 de l’article 52 du Règlement. Les répliques des deux requérants ainsi que les plaidoiries de toutes les Parties ont ainsi porté tant sur les questions de compétence de la Cour et de recevabilité des deux requêtes que sur les questions de fond.
4. || conviendra ici de faire observer que le défendeur n’a formellement soulevé aucune exception d’incompétence de la Cour. Bien que dans son Mémoire en réponse à la requête du 2ème requérant (pp. 9-11, par. 19-23), il ait présenté ses cinq exceptions préliminaires comme des exceptions d’irrecevabilité de la requête, ses troisième, quatrième et cinquième exceptions doivent en réalité s’analyser comme des exceptions d’incompétence de la Cour.
5. La compétence de la Cour pour connaître d’une requête introduite contre un Etat Partie et émanant directement d’un individu ou d’une organisation non gouvernementale est, pour l'essentiel, régie par les articles 3(1) et 5(3) du Protocole. Cette compétence doit s'apprécier tant au niveau personnel (ratione personae) que matériel (ratione materiae), temporel (ratione temporis) et géographique (ratione loci).
A. Compétence personnelle
6. L'article 3 du Protocole, intitulé « Compétence de la Cour », traite de la compétence générale de la Cour, alors que l’article 5, intitulé « Saisine de la Cour », régit expressément la compétence personnelle de la Cour. Bien que formellement distinctes, les questions de « compétence » de la Cour et de « saisine » de la Cour entretiennent

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ainsi des relations étroites dans le cadre du Protocole. La compétence de la Cour est également régie par l’article 34(6) du Protocole, auquel se réfère le paragraphe 3 de l’article 5 susmentionné.
7. || ressort d’une lecture combinée des article 5(3) et 34(6) du Protocole que la saisine directe de la Cour par un individu ou une organisation non gouvernementale est subordonnée au dépôt par l’État défendeur d’une déclaration spéciale autorisant une telle saisine.
8. En l’espèce, la Cour s’est donc assurée que l’État défendeur figure bien parmi les Etats parties au Protocole ayant déposé la déclaration mentionnée à l’article 34(6) susvisé. Les 1er requérants étant deux organisations non gouvernementales, la Cour s'est également assurée que celles-ci sont dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. C’est ainsi que la Cour a pu conclure que, ces deux conditions cumulatives étant réunies, elle avait compétence ratione personae pour connaître des deux requêtes.
9. La compétence ratione loci de la Cour n’a pas été contestée par le défendeur et n’est pas non plus contestable au regard des violations alléguées par les requérants. Il n’y avait donc pas lieu pour la Cour d'examiner la question de sa compétence ratione loci.
10. || en va différemment de la compétence ratione materiae et de la compétence ratione temporis de la Cour qui, bien que n’ayant pas été formellement contestées par le défendeur au moyen d’exceptions d'incompétence, l’ont été implicitement dans l'exposé de ses exceptions préliminaires relatives à la recevabilité de la requête du 2eme requérant.
B. Compétence matérielle
11. Dans son Mémoire en réponse à la requête du 2ème requérant, le défendeur soutient en effet, au titre de ses troisième, quatrième et cinquième exceptions d'’irrecevabilité, respectivement, que cette « requête contient des dispositions contraires à l’Article 26(1)(a) du Règlement intérieur de la Cour (....) et à l’article 7 du Protocole (...) », qu’elle « s'appuie sur le Traité portant création de la Communauté d'Afrique de l'Est qui n'existait pas au moment où le requérant intentait son action contre le Gouvernement de Tanzanie en 1993 » et qu’elle « est rétroactive par rapport au Protocole » (voir également sa plaidoirie du 14 juin 2012, Oral Bm Ad As, p. 26, lignes 36-37, p. 27, lignes 1-9, et p. 27, lignes 15-26, respectivement).
12. A l’appui de sa troisième exception préliminaire, le défendeur soutient que le Traité portant création de la Communauté d'Afrique de l’Est, en date du 30 novembre 1999, n’est pas un traité « relatif aux droits de l'homme » au sens de l’article 7 du Protocole et de l’article 26(1)(a) du Règlement de la Cour et que dès lors « il est étranger à l'affaire » (par. 19-20 du Mémoire en réponse ; voir également sa plaidoirie du 14 juin 2012, Oral Bm Ad As, p. 26, lignes 19-20). Dans sa Réplique, le 2ème requérant relève pour sa part que « l’article 3(1) du Protocole (...) ne précise pas quel instrument doit être considéré comme relatif aux droits de l’homme » et soutient « que tout traité contenant des dispositions de protection des droits de l'homme

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doit être considéré comme pertinent et relevant de la compétence de la Cour » (par. 13). A l’audience du 15 juin 2012, le 2ème requérant a indiqué que « the treaty of the East Af Ax (..) does have in Article 6 a provision that protects the X A » and « that provision not the entire treaty but that particular provision (...) is part of applicable law before the Court » (Plaidoirie du 15 juin 2012, Oral Bm Ad As, p. 12, lignes 20-23).
13. Par conséquent, contrairement à ce qu’elle indique au paragraphe 87 de l’arrêt, la Cour devait se prononcer également sur la question de l’applicabilité du Traité portant création de la Communauté d'Afrique de l’Est, à la lumière des articles 3(1) et 7 du Protocole, ainsi que de l’article 26(1)(a) du Règlement.
14. Ces trois dispositions contiennent l'expression « tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés » qui se réfère expressément à trois conditions
1) l'instrument en question doit être un traité international, d’où l’exigence de sa ratification par l'Etat concerné, 2) ce traité international doit être « relatif aux droits de l'homme » et 3) il doit avoir été ratifié par l’Etat partie concerné. Ces trois conditions sont cumulatives et si celles- ci sont réunies la Cour devrait encore déterminer si le traité en question est « pertinent » aux fins du traitement de l'affaire examinée.
15. Concernant la question de savoir si un traité particulier peut être considéré comme « un instrument relatif aux droits de l’homme », la Cour aurait par exemple pu proposer de faire une distinction entre les traités dont l’objet principal est la protection des droits de l'homme et ceux dont l’objet est autre mais qui contiennent des dispositions relatives aux droits de l'homme. Les traités de la première catégorie qui sont rédigés de manière à accorder des « droits subjectifs » à l'individu peuvent sans l'ombre d’un doute être considérés comme des instruments relatifs aux droits de l’homme ; ce sont là des instruments relatifs aux droits de l'homme par excellence. Les traités de la première catégorie qui contiennent essentiellement des obligations à la charge des Etats parties sans accorder de droit subjectifs à l'individu pourraient également être considérés comme des instruments relatifs aux droits de l'homme. Quant aux traités de la seconde catégorie, c'est- à-dire ceux dont l’objet principal n’est pas la protection des droits de l’homme mais qui contiennent des dispositions relatives aux droits de l’homme, leur cas est plus problématique dans la mesure où les dispositions en question n’accordent généralement pas de droits subjectifs aux individus relevant de la juridiction des Etats parties auxdits traités. La Cour possédant « la compétence de sa compétence » (article 3(2) du Protocole), c'est à elle qu’il revient de déterminer quels sont les traités relatifs aux droits de l'homme susceptibles de rentrer dans le champ de sa compétence matérielle, et ce, en fonction de leur « pertinence » aux fins du traitement d’une affaire (article 3(1) du Protocole).
16. Cette question importante du droit applicable méritait d’autant plus de faire l’objet d’un examen par la Cour que celle-ci affirme, aux paragraphes 122 et 123 de l'arrêt, qu’elle a compétence pour connaître de l'interprétation et de l'application tant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, que de la Déclaration universelle

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des droits de l'homme de 1948. Cette affirmation de la Cour n’est pas sans soulever certaines questions concernant le premier instrument dans la mesure où il s’agit là d’un traité dont le contrôle de la mise en oeuvre a été confié à un organe international, le Comité des droits de l'homme des Cd Bi ; le risque de fragmentation de la jurisprudence internationale ne doit en effet pas être négligé. Une telle affirmation soulève également des questions s'agissant du second instrument qui est en réalité une résolution de l'Assemblée générale des Cd Bi.
C. Compétence temporelle
17. Dans ses écritures, le défendeur n’a soulevé aucune autre exception préliminaire relative à la compétence temporelle de la Cour, autre que celle relative au Traité portant création de la Communauté d'Afrique de l'Est. A l’audience du 15 juin 2012, le défendeur a toutefois contesté la compétence temporelle de la Cour dans les termes suivants : « our contention with retrospectivity is hinged only on the aspect of the Bn Av Ay Act No. 34 of 1994, which was enacted before the government of the Bj Aa B Ag ratified the protocol to the Af Bw establishing the African Court. The Court cannot adjudicate on matters which transpired prior to Tanzania having ratified the instruments and placing the Bj Aa B Ag under the jurisdiction of this Court, hence the issue is retrospective » (Plaidoirie du 15 juin 2012, Oral Bm Ad As, p. 27, lignes 16-21); le défendeur a ajouté ce qui suit : « the international principle is that international treaties are not retrospective. [...] This principle is applicable to the Bj Aa B Ag with regard to Article 34(6) of the Protocol to the Af Bw establishing an African Court » (Plaidoirie du 15 juin 2012, Oral Bm Ad As, p. 27, lignes 30-31 et p. 28, lignes 1-5).
18. Au cours de la même audience publique, le 2ème requérant a pour sa part indiqué ce qui suit : « the violations that were alleged goes before the setting up of the Charter and the issue of retroactivity that Tanzania raises is not relevant. And we would like to refer to what we have already argued that violation existed in the past, it continues to exist », (Plaidoirie du 15 juin 2012, Oral Bm Ad As, p. 13, lignes 11-14).
19. Devant nécessairement s'assurer de sa compétence pour connaître des affaires dont elle est saisie, la Cour a, comme il se devait, examiné le bien-fondé de cette sixième exception préliminaire du défendeur, bien que celle-ci ait été soulevée tardivement par ce dernier, c’est-à-dire seulement lors du second tour des plaidoiries.
20. Je considère cependant que, dans le traitement de cette exception, la Cour aurait dû opérer une distinction plus nette entre les obligations de l’Etat défendeur au titre de la Charte africaine et celles qu’il a contractées au titre du Protocole et de la déclaration facultative. Le second requérant confond en effet ces deux types d'obligations (voir paragraphe 81(3) de l'arrêt) et il appartenait à la Cour de lever toute ambiguïté en la matière en indiquant clairement qu’en l'espèce sa

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compétence personnelle est uniquement fondée sur le Protocole et la déclaration facultative.
21. En vertu du principe bien établi en droit international de non- rétroactivité des traités, la Cour ne peut être saisie d’allégations de violations des droits de l'homme et des peuples par un individu ou une organisation non gouvernementale que si les violations alléguées sont postérieures à l'entrée en vigueur à l’égard de l'Etat concerné non seulement de la Charte africaine mais également du Protocole et surtout de la déclaration facultative ; l’article 34(6) du Protocole ne souffre à cet égard d'aucune ambiguïté quand il dispose que « la Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5 (3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
22. En l'espèce, la date critique pour apprécier la compétence de la Cour pour connaître des requêtes ne saurait donc être la date d'entrée en vigueur de la seule Charte africaine ou du Protocole à l’égard de la Tanzanie ; l’unique date à prendre en considération est celle du dépôt par la Tanzanie de la déclaration prévue par l’article 34(6) du Protocole, c'est-à-dire le 29 mars 2010. Sur cette base, il est clair que toute violation alléguée de la Charte africaine par la Tanzanie qui serait survenue avant cette date ne saurait entrer dans le cadre de la compétence temporelle de la Cour, sauf dans l'hypothèse où cette violation présenterait un caractère continu.
23. Au paragraphe 84 de l'arrêt, la Cour aurait ainsi dû indiquer clairement que la seule date à prendre en considération en l'espèce est celle de l'entrée en vigueur de la déclaration facultative à l'égard de l'État défendeur et non pas celle de l'entrée en vigueur de la Charte africaine ou du Protocole à l'égard de cet Etat ; elle aurait ensuite dû se concentrer sur la seule question du caractère continu des violations alléguées au-delà de la date critique du 29 mars 2010.
Il. Recevabilité des requêtes
24. La Cour aurait dû examiner, même de manière sommaire, la question de l'intérêt pour agir des deux organisations non- gouvernementales auteurs des premières requêtes, à savoir la Ag Az Ab et The Ak X A Centre.
25. Il convient en effet de distinguer la question de la « qualité pour agir » devant la Cour de celle de l’« intérêt pour agir » devant celle-ci. La qualité pour agir d’une entité a trait au pouvoir de celle-ci d’ester devant la Cour et relève donc de la compétence personnelle de la Cour relativement au requérant. L'intérêt pour agir renvoie pour sa part à la notion d’intérêt légitime, c’est-à-dire d'intérêt juridiquement reconnu ou protégé dont la Cour apprécie souverainement l'existence dans chaque cas d'espèce. En d’autres termes, la qualité pour agir touche à la personne du requérant, l'intérêt à agir, à l’action qu’il engage.
26. Une action devant la Cour n’est en effet recevable que si son auteur justifie de son intérêt propre à l'engager. Pour faire la preuve de cet intérêt, le requérant doit en conséquence démontrer que l’action ou l’abstention de l’État défendeur concerne un droit dont ledit requérant est titulaire ou le droit d’un individu au nom duquel le requérant souhaite intervenir.

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27. En l'espèce, Monsieur Ba, titulaire des droits dont la violation est alléguée, étant partie à l'instance, la question se posait de savoir si une organisation non gouvernementale pouvait également introduire une requête ayant pour objet les mêmes allégations. La situation aurait été différente si Monsieur Ba n'avait pas engagé d'action devant la Cour et que les deux organisations non gouvernementales concernées avaient pris fait et cause pour Monsieur Ba et engagé une action en son nom.
28. Je considère que l'interdiction des candidatures indépendantes à certaines élections et l'obligation corrélative d’appartenir à un parti politique ne sont pas en elles-mêmes des violations des articles 10 et 13(1) de la Charte africaine ; elles ne constituent des violations de ces dispositions que si elles peuvent s’analyser comme des restrictions non raisonnables ou non légitimes à l'exercice des droits consacrés (voir, dans une affaire similaire, les conclusions de la Cour interaméricaine des droits de l'homme aux paragraphes 193 et 205 de son arrêt rendu le 6 août 2008 en l'affaire Bd Ca c. Mexique).
29. À la différence des articles 22 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les articles 10 et 13(1) de la Charte africaine n’énoncent pas la liberté d’association et le droit du citoyen à la libre participation à la direction des affaires publiques de son pays en des termes satisfaisants.
30. La principale faiblesse de ces deux dispositions de la Charte réside dans la clause de limitation qu’elles contiennent. Aux termes de ces articles, la liberté d'association et le droit du citoyen à la libre participation à la direction des affaires publiques de son pays doivent en effet s'exercer « conformément aux règles édictées par la loi ». Cette dernière clause ne figure pas dans l’article 25 du second Pacte, qui énonce pour sa part que les droits garantis devront s'exercer « sans discrimination et sans restrictions déraisonnables ». À contrario, cette disposition autorise des restrictions « raisonnables », telles que celles fondées sur l’âge de la personne par exemple. C’est selon nous dans le même esprit que doivent être interprétés les articles 10 et 13(1) de la Charte. Les limitations que le législateur pourrait apporter à l’exercice des deux droits consacrés devront être raisonnables ou légitimes, c’est-à-dire qu’elles devront être fondées sur un certain nombre de critères objectifs. Dans le silence des articles 10 et 13(1), on pourra utilement se référer aux critères énoncés dans le second paragraphe de l’article 27 de la Charte bien que cette disposition soit a priori destinée à prévenir les abus que l'individu serait susceptible de commettre dans l’exercice de ses droits et libertés, plutôt qu’à protéger l'individu contre des limitations abusives de ses droits et libertés par l'Etat, comme le suggèrent fortement la formulation de cet article et son emplacement dans le chapitre relatif aux devoirs de l'individu.
31. Mais en définitive, et comme l’a indiqué la Commission africaine et l’a confirmé la Cour au paragraphe 112 du présent arrêt, cette disposition peut s’analyser comme une clause générale de limitation des droits qui vient limiter la marge de manœuvre des Etats parties en

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la matière. Les seules limitations à l'exercice de la liberté d’association et du droit des citoyens de participer librement à la direction de la vie publique de leur pays seront en conséquence celles nécessaires au « respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt commun ».
32. On peut ainsi conclure qu’aux termes de la Charte africaine, la liberté d'association et le droit à la libre participation à la vie publique du pays ne sont pas absolus car leur exercice est susceptible d’être limité par les Etats parties. On peut également conclure que ce pouvoir de limitation par les Etats parties n’est pas non plus absolu dans la mesure où il doit satisfaire certaines exigences : les restrictions doivent être prévues par la loi et être nécessaires au « respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt commun ».
33. Il appartenait en conséquence à l’Etat défendeur de démontrer que les restrictions qu’il a portées à la liberté d'association et au droit à la libre participation à la direction des affaires publiques du pays étaient non seulement prévues par la loi mais étaient également nécessaires au « respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun ».
34. Or, l'Etat défendeur n'en a pas apporté la démonstration. C’est ce qu’il suffisait à la Cour d’indiquer de façon plus claire, spécialement en ce qui concerne le droit à la libre participation aux affaires publiques du pays. Les paragraphes 107 in fine, 109, 111 et 112 de l'arrêt suggèrent en effet que l'interdiction des candidatures indépendantes à certaines élections et l'obligation corrélative d’appartenir à un parti politique constituent en « elles-mêmes » des violations des articles 10 et 13(1) de la Charte africaine, nonobstant le caractère raisonnable ou pas de telles limitations. Le raisonnement de la Cour aurait gagné en clarté si ses différentes séquences, et les paragraphes correspondants de l’arrêt, avaient été articulés de façon plus cohérente, de manière à montrer que c’est bien le caractère non raisonnable des limitations apportées aux droits concernés qui amène la Cour à conclure à la violation desdits droits. Le paragraphe 115 de l'arrêt, en particulier, n’est pas à sa juste place dans le raisonnement de la Cour (il devrait être situé en amont) et le paragraphe 108 vise pour sa part des questions étrangères à la présente espèce.
35. Ayant conclu à la violation des articles 10 et 13(1) de la Charte, la Cour ne pouvait que conclure à la violation des principes de non- discrimination et d'égalité dans la loi tels que consacrés aux articles 2 et 3(2), respectivement.
36. Le principe de non-discrimination d’une part, et ceux d'égalité devant et dans la loi, d’autre part, entretiennent des relations étroites. Ils sont pour ainsi dire les deux faces de la même pièce, le premier étant le corollaire des seconds. Leur différence essentielle dans le cadre de la Charte africaine réside dans leur champ d’application respectif. En effet, aux termes des articles 2 et 3 de la Charte, le principe de non-discrimination ne s'applique qu'aux seuls droits garantis par la Charte, alors que les principes d’égalité s'appliquent à tous les droits garantis par la législation nationale d’un Etat partie même s'ils ne sont pas protégés par la Charte.

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37. En l'espèce, le point de départ du raisonnement de la Cour aurait dû être d'indiquer clairement cette distinction et de constater que les discriminations alléguées concernent effectivement deux droits protégés par la Charte. Après avoir constaté qu’il existe effectivement une violation de ces deux droits et qu’il existe bien un traitement différencié de divers groupes de la population, elle aurait dû souligner que toute différenciation ne constitue pas forcément une discrimination. Comme l’a en effet indiqué le Comité des droits de l'homme des Cd Bi dans son commentaire général de l’article 26 du second Pacte international, une « différenciation ne constitue pas une discrimination si elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et si le but visé est légitime au regard du Pacte »‘ (voir également, sur ce point, la position de la Cour européenne dans l’affaire Lithgow c. Royaume-Uni).?
38. Ce n’est qu’après avoir posé ces prémisses que la Cour aurait dû examiner, comme elle l’a fait au paragraphe 119 de l'arrêt, le caractère objectif et raisonnable des restrictions apportées par les amendements à la Constitution tanzanienne et conclure que le but visé par la différenciation n’est pas légitime au regard de la Charte.
Opinion individuelle : NGOEPE
1. Je souscris à la décision de la majorité dont je fais partie à tous égards. Il s’agit d’un arrêt qui, pour tout lecteur sérieux et appliqué, qu’il y souscrive ou non, a été rédigé avec suffisamment de clarté et de lucidité. Cependant, j'éprouve le besoin de rédiger une opinion individuelle sur une problématique qui frustre cette Cour depuis quelque temps et qui s'est manifestée au cours de l'élaboration de cet arrêt d’une manière différente des précédentes. En effet, pour la rédaction d’un arrêt, cette Cour devrait-elle toujours, dans chaque affaire, statuer d’abord sur la recevabilité avant de statuer sur la compétence, ou vice-versa ? Contrairement aux arrêts précédents, pour celui-ci, nous avons opté de statuer sur la recevabilité avant la compétence.
2. || n’y a eu aucune décision unanime dans aucune des affaires sur ce qui devrait être examiné en premier, entre la compétence et la recevabilité. À chaque occasion, les points de vue étaient divergeant sur la question avec de solides arguments avancés en appui de
1 Commentaire général No.18, Non-discrimination, adopté par le Comité le 10 novembre 1989 lors de sa 37eme session, paragraphe 13 ; voir également, par exemple, ses Constatations finales adoptées le 15 juillet 2002, relativement à la Communication No. 932/2000, Comité des droits de l'homme, Doc. CCPR/C/75/D/ 932/2000, 26 juillet 2002, pp. 21-24, paragraphes 12.2-13.18.
2 Selon la Cour européenne, aux fins d'application de l’article 14 de la Convention européenne, une différence de traitement est discriminatoire si elle n’est pas fondée sur une « justification objective ou raisonnable » c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime », requête No 9063/80, Arrêt du 8 juillet 1986, Series A, No. 102, paragraphe 177, Bb X A Report, 1986, No. 8, p. 329.

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chacune des deux thèses. J'ai comparé ce débat à la fameuse situation de « qui de la poule ou de l’œuf vient en premier » ? Personnellement, à ce stade, je ne souscris à aucune des deux approches car je ne suis pas d'avis qu’il faille adopter des positions rigides. Le problème que je pose ne concerne donc pas la question à traiter en premier, mais plutôt à l’approche rigide selon laquelle il faut toujours commencer par une et jamais par l’autre.
3. En réfléchissant de temps à autre sur cette problématique, tout comme sur d’autres, il est certes, non seulement souhaitable, mais également nécessaire que cette Cour tire des enseignements des autres juridictions internationales. Mais il faut en même temps garder à l’esprit que cette Cour est à ses débuts et qu’elle est autorisée, sinon obligée de développer ses propres jurisprudences et pratiques. Elle ne peut donc se permettre de compromettre sa propre capacité à le traduire par les faits en s'enfermant dans toute forme de rigidité ou d'approche mécanique ; les choses ne devraient pas être immuables. Le pragmatisme est une vertu. J'aurais de sérieuses réserves à l’égard d’une approche et d’une application mécanique du droit. À mon avis, le ciel ne s'effondrera pas simplement parce que dans une affaire, la Cour a commencé par traiter de la recevabilité au lieu de la compétence, ou vice-versa. En outre, parfois, la rigidité conduit à de longs débats secondaires visant à déterminer notamment si un point particulier relève de la recevabilité ou de la compétence. Cette situation se produit lorsqu’un point semble chevaucher sur les deux questions. Etant donné que je n'ai pas de penchant particulier sur laquelle des deux questions devrait toujours être tranchée en premier, je n’en dirai pas plus.
Opinion individuelle : N'YUNGEKO
1. Je suis d'accord avec la décision de la Cour dans les affaires Ag Az Ab et Legal and X A Centre & Rev. Bo Ba c. République Unie de Tanzanie, telle que reprise au paragraphe 126 de son arrêt du 14 juin 2013. Mais je ne partage pas son opinion sur les deux points suivants : l’ordre de traitement des questions de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête d’une part, et la motivation et le raisonnement de la Cour sur la détermination de sa compétence ratione temporis d'autre part.
I L’ordre de traitement des questions de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête
2. Après avoir résumé la position des parties respectivement sur les questions de recevabilité de la requête et de sa compétence ratione temporis (paragraphes 80 et 81), la Cour se prononce dans le même ordre sur ces deux questions (paragraphes 82 à 88). De même, dans son dispositif, la Cour mentionne, dans cet or ces questions (paragraphe 126 de l'arrêt).
3. Il convient d’abord d'observer que dans /a pratique de la Cour, c’est la première fois que celle-ci commence le traitement d’une affaire par

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l'examen de la recevabilité de la requête. Dans la totalité des décisions qu’elle a rendues depuis 2009, elle a toujours cherché à s'assurer in limine qu’elle a compétence pour connaître de l'affaire, qu’une partie ait soulevé ou non une objection à cet égard.! Dans ces conditions, l’on se serait attendu à ce qu’à l’occasion du présent arrêt, elle explique au moins en passant, pourquoi elle change ainsi d'approche, sous peine de projeter une image d’inconstance et de manque de cohérence. Malheureusement, il n’y a rien de tel dans le texte. Un des résultats de cette situation est que face à un changement ou une fluctuation inexpliquée de la pratique de la Cour, les parties ne sauront pas exactement par quelle question juridique commencer désormais, lorsqu'elles seront amenées à soumettre une requête ou une plaidoirie à la Cour. Cela peut être inutilement source de confusion.
4. Dans tous les cas ensuite, ce changement d’approche pose un problème de principe : est-il possible pour la Cour de commencer à examiner la recevabilité d’une requête, avant de s'être assuré qu’elle a compétence pour examiner cette requête ? A notre avis, la réponse à cette question est négative, et cela pour un certain nombre de raisons. Premièrement, il ne faut pas oublier que /a compétence de la Cour n’a pas un caractère général et automatique, qu’elle est une compétence attribuée et conditionnée, et donc limitée par définition. Un juge doté d'un tel type de compétence ne peut pas entamer l'examen d’un quelconque aspect de la requête, sans avoir préalablement vérifié qu’il est habilité à le faire.
Deuxièmement, il importe de réaliser qu’alors que la compétence concerne le pouvoir du juge, la recevabilité de la requête est un aspect de la requête, au même titre que son bien-fondé. Dans ces conditions, est-ce qu’un juge peut entreprendre l'examen d’un aspect de la requête, avant de s'assurer qu’il peut examiner la requête dans son ensemble ? Est-ce que cela aurait un sens qu’il commence à s'occuper de ce qu’on lui demande de faire, sans au préalable se préoccuper de savoir s’il peut le faire ? La logique et le bon sens commandent que la Cour s'assure d’abord qu’elle a compétence avant d’examiner la requête sous l'angle de sa recevabilité.
5. Cette position est confortée, si besoin en était, par /a manière dont l’article 39 du Règlement intérieur de la Cour est rédigé. Cet article impose à la Cour, dans l’ordre, « l'examen préliminaire de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête » (italique ajouté). Cette disposition est clairement indicative de l’entendement originel de la Cour en ce qui concerne l’ordre de considération des questions de compétence et de recevabilité.
6. En réalité, la seule étape procédurale qui devrait précéder celle de l'examen de la compétence de la Cour, est celle de la réception/ enregistrement de la requête par le Greffe, après vérification que son contenu correspond aux dispositions de l’article 34 du Règlement intérieur de la Cour. Mais cette réception n’est pas à confondre avec la recevabilité de la requête qui, elle, relève de la compétence de la Cour,
1 On peut retrouver les décisions de la Cour sur son site web : www.african-court.org

TLS et autres c. Tanzanie (fond) (2013) 1 RJCA 34 71
et est donc examinée ultérieurement par elle, sur la base de l’article 56 de la Charte, et de l’article 40 du Règlement intérieur de la Cour.
7.1 résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Cour aurait dû, et devrait dans l'avenir, traiter la question de sa compétence avant celle de la recevabilité de la requête soumise à son examen, sauf à avancer des raisons particulières de déroger à ce cheminement procédural normal.
Il. La détermination de la compétence ratione temporis de la Cour
8. Concernant la compétence de la Cour, l’État défendeur avait soulevé une exception d’incompétence ratione temporis, tirée du fait que la violation alléguée (interdiction des candidatures indépendantes aux élections présidentielles, législatives et locales) est intervenue avant l'entrée en vigueur à son égard du Protocole portant création de la Cour (paragraphe 80.3 de l'arrêt).
9. Selon la présentation qu’en fait l’arrêt de la Cour, le deuxième requérant oppose à cette objection les arguments suivants :
« … une distinction doit être faite entre les dispositions à caractère normatif et les dispositions institutionnelles. Les droits que l’on cherche à protéger étaient déjà inscrits dans la Charte africaine à laquelle le défendeur était déjà Partie au moment de la violation alléguée ; même si le Protocole est entré en vigueur plus tard, i/ ne constituait qu’un simple mécanisme pour protéger ces droits. En effet, la Charte définit les droits, tandis que le Protocole fournit le cadre institutionnel pour les faire respecter. Toujours selon le Second requérant, ce n’est pas la ratification du Protocole qui établit ces droits, car ceux-ci étaient déjà consacrés dans la Charte. Or le défendeur les a violés et continue à le faire. La question de la rétroactivité ne se pose donc pas » (paragraphe 81.3) (italique ajouté).
10. Reprenant apparemment à son compte l'argumentation opposée à cette objection par le deuxième requérant, la Cour rejette l’objection, aux deux motifs exprimés dans le passage ci-après :
« Les droits dont la violation est alléguée sont protégés par la Charte. Au moment de la violation alléguée, le défendeur avait déjà ratifié la Charte et était donc lié par celle-ci. La Charte était en vigueur et le défendeur avait déjà l’obligation de protéger ces droits pendant la période de la violation alléguée. Au moment de la ratification du Protocole par sle] défendeur, et lorsque le Protocole est entré en vigueur en ce qui concerne le défendeur, la violation alléguée était en cours et elle se poursuit dans la mesure où les candidats indépendants ne sont toujours pas autorisés à se présenter aux élections présidentielles, parlementaires et locales. » (paragraphe 84 de l’arrêt).
11. Le deuxième motif avancé par la Cour (la continuité de la violation) est correct et ne soulève pas de difficulté particulière. En revanche, le premier motif (la ratification antérieure de la Charte) n’est pas compréhensible et prête à confusion, dans le contexte de l’objection spécifique soulevée par l’État défendeur. En effet, alors que l’objection de l’État défendeur se fonde sur la date d’entrée en vigueur du Protocole portant création de la Cour à son égard, la Cour y répond en invoquant la date d'entrée en vigueur de la Charte, qui pourtant ne soulevait aucun problème pour l’État défendeur. Et l’on n’aperçoit pas

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très bien quelle conclusion la Cour tire de la date d’entrée en vigueur de la Charte, par rapport à l’argument de non- rétroactivité du Protocole avancé par l'Etat défendeur
12. A mon avis, pour répondre complètement à l'argument invoqué par le second requérant, la Cour aurait dû être claire sur ce point, et indiquer que bien que l'Etat défendeur fût déjà lié par la Charte, la Cour n’était pas compétente ratione temporis vis à-vis de lui, tant que le Protocole lui attribuant compétence n’était pas encore en vigueur à son égard (sauf bien entendu à invoquer l’argument de la continuité de la violation alléguée). Cette clarification était d'autant plus nécessaire que le second requérant semble faire, au sujet de l'application du principe de la non-rétroactivité des traités, une distinction entre les traités à caractère normatif et les traités à caractère institutionnel (supra paragraphe 9).
13. Or cette distinction- qui semble suggérer que seule la date d’entrée en vigueur des traités garantissant les droits de l'homme substantiels compte (par opposition aux traités établissant des institutions de surveillance), ne repose sur aucun fondement en droit international. En effet, pour prendre le cas présent, même si le Protocole établit un mécanisme institutionnel de protection des droits substantiels garantis par la Charte, il n’en reste pas moins un « traité » au sens de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. Selon l’article 2(1)(a) de cette convention « [l'expression « traité » s'entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière » (italique ajouté). Comme on le voit, d’une part, tout accord international écrit entre Etats est un traité, peu importe qu’il pose des normes substantielles ou établit des mécanismes institutionnels ; d'autre part, sa dénomination particulière ne porte pas à conséquence.
14. Le Protocole portant création de la Cour étant un traité au sens de la Convention de Vienne précitée, il en résulte que toutes les dispositions de cette convention lui sont applicables. La disposition pertinente en rapport avec le point sous examen est l’article 28 qui pose le principe de la non- rétroactivité des traités en ces termes : « À moins qu’une intention différente ne ressorte du traité, ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée en vigueur au regard de cette partie ou une situation qui avait cessé d'exister à cette ate ».
Dans la présente affaire, le second requérant ne se fonde ni sur une intention différente des parties résultant du Protocole lui-même, ni sur une intention différente autrement établie, pour écarter l'application du principe de la non-rétroactivité des traités.
15. En réalité, pour établir la compétence ratione temporis de la Cour dans une affaire comme celle- -ci, il faut prendre cumulativement en compte les dates de l’entrée en vigueur à l’égard de l’État défendeur, de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, du Protocole portant création de la Cour, et de la déclaration facultative de

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reconnaissance de la compétence de la Cour pour connaître de
gouvernementales, prévu Protocole. Si la violation alléguée intervient avant l’une quelconque de ces dates critiques, le principe de la non- rétroactivité s'applique dans toute sa rigueur, peu importe que cette violation soit éventuellement intervenue après les autres dates.
16. Dans la présente affaire, et par rapport au point sous examen, la nécessité de prendre en compte la date de l'entrée en vigueur du Protocole à l’égard de l'Etat défendeur est d'autant plus impérieuse que c’est ce Protocole qui établit précisément la compétence de la Cour en matière contentieuse (articles 3 et 5 du Protocole). Comment pourrait- on examiner une exception d’incompétence de la Cour en ignorant la date d'entrée en vigueur du Protocole conférant à la Cour sa compétence ? Cela me paraît tout simplement impossible.
17. Encore une fois, à mon avis, répondre adéquatement à l'argumentation du second requérant, pour la Cour aurait dû clairement endosser la position de l'Etat défendeur et indiquer que la date pertinente en l'espèce pour déterminer sa compétence ratione temporis est celle de l'entrée en vigueur du Protocole portant création de la Cour à l’égard de l’État défendeur, quitte ensuite à se fonder sur le caractère continu de la violation alléguée pour établir sa compétence.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 011/2011
Date de la décision : 14/06/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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