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15/03/2013 | CADHP | N°RANDOM38341325

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 15 mars 2013, RANDOM38341325


Texte (pseudonymisé)
200 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c.
Aa (mesures provisoires) (2013) 1 RICA 200
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c.
République du Kenya
Ordonnance portant mesures provisoires, 15 mars 2013. Fait en anglais
et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges B, OUGUERGOUZ, NGOEPE, NIYUNGEKO,
RAMADHANI, TAMBALA, THOMPSON, ORÉ, GUISSE et ABA
L'affaire concernait l'expulsion d’une communauté autochtone d’une zone
forestière du Kenya et étai

t pendante devant la Commission depuis 2009,
date à laquelle celle-ci avait également a...

200 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c.
Aa (mesures provisoires) (2013) 1 RICA 200
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c.
République du Kenya
Ordonnance portant mesures provisoires, 15 mars 2013. Fait en anglais
et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges B, OUGUERGOUZ, NGOEPE, NIYUNGEKO,
RAMADHANI, TAMBALA, THOMPSON, ORÉ, GUISSE et ABA
L'affaire concernait l'expulsion d’une communauté autochtone d’une zone
forestière du Kenya et était pendante devant la Commission depuis 2009,
date à laquelle celle-ci avait également adopté des mesures provisoires.
Après avoir été saisie de la requête par la Commission, la Cour a rendu
une ordonnance de mesures provisoires portant sur les transactions
foncières dans ladite zone forestière.
Compétence (compétence prima facie préalable à des mesures
provisoires, 16 ; requête introduite par la Commission, 19)
Mesures provisoires (situation d’extrême gravité et d’urgence et risque
de préjudice irréparable, 20-25)
1. Le 12 juillet 2012, la Cour a reçu une requête émanant de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « le requérant »), introduisant une instance contre la République du Kenya (ci-après dénommée « le défendeur »), alléguant des violations graves et massives de droits de l'homme pourtant garantis par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte ») ;
2. La requête est introduite en vertu de l’article 5(1) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci- après dénommé « le Protocole ») ;
3. Dans sa requête, le requérant indique avoir reçu, en date du 14 novembre 2009, une plainte visant le défendeur, au nom de la communauté Ogiek du complexe forestier de Mau, alléguant que :
. Les Ab sont un groupe ethnique minoritaire comprenant près de 20000 membres dont près de 15000 habitent le Grand complexe forestier de Mau, un territoire qui s'étend sur près de 400 000 hectares couvrant sept districts administratifs ;
Malgré la reconnaissance quasi universelle du fait que les Ab sont tributaires de la forêt de Mau pour leur subsistance traditionnelle et qu’elle est la source de leur identité religieuse, le Gouvernement du Kenya a, en octobre 2009, par l'intermédiaire du Service des Forêts, donné aux Ogiek et aux autres habitants de la forêt de Mau, un préavis

A c. Kenya (mesures provisoires) (2013) 1 RICA 200 201
d'expulsion de trente (30) jours, exigeant leur déguerpissement de la forêt, au motif que celle-ci constitue une zone de captage d’eau et qu’en tout état de cause, elle faisait partie intégrante du domaine de l’État, en vertu de la section 4 de la Loi régissant les terres domaniales. 4. Le requérant est préoccupé par le fait que la mise en œuvre de l’avis d'expulsion émis par le Gouvernement kényan aura des répercussions à long terme sur la survie politique, sociale et économique de la communauté Ogiek étant donné que leur expulsion aura pour effet la destruction de leurs moyens de subsistance, de leur mode de vie, de leur culture, de leur religion et de leur identité, ce qui constitue à une violation grave et massive des droits consacrés aux articles 1, 2, 4, 14, 17(2) et (3), 21 et 22 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, au sens de l’article 58(1) de ladite Charte.
5. Le requérant conclut sa requête en demandant à la Cour d’enjoindre au défendeur de prendre les mesures suivantes :
. Arrêter l’expulsion des Ogiek de la forêt de Mau-Est et s'abstenir de harceler ou d’intimider la communauté Ogiek et d’empiéter sur leur mode de vie traditionnel ;
Reconnaître le droit des Ogiek sur leurs terres ancestrale et leur délivrer un titre de propriété en bonne et due forme, mesure qui sera précédée d’une consultation entre le Gouvernement et la communauté Ogiek, en vue de la démarcation de leurs terres ; revoir la législation en vue d'autoriser la propriété foncière collective ;
Payer une compensation à la communauté pour le préjudice qu’elle a subi du fait de la perte de leurs biens, de l’absence de développement, de l’aliénation de leurs ressources naturelles et de la liberté de pratiquer leur religion et leur culture.
6. Le 13 juillet 2012, le Greffe a accusé réception de la requête, conformément à l’article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour et le 25 septembre 2012, le Greffe a transmis copie de la requête au défendeur, en application de l’article 35(2) (a) du Règlement intérieur de la Cour, l'invitant à indiquer, dans un délai de trente (30) jours de la réception, les noms et adresses de ses représentants, conformément à l’article 35(4); le Greffier a encore demandé au défendeur de répondre à la requête dans un délai de 60 jours, en application de l’article 37 du Règlement ;
7. Par lettre datée du 25 septembre 2012, le Greffe a informé du dépôt de la requête le Président de la Commission de l'Union africaine et, par son intermédiaire, le Conseil exécutif de l'Union africaine et les autres Etats Parties au Protocole, conformément à l’article 35(3) du Règlement intérieur de la Cour ;
8. Dans sa requête, le requérant n’a pas demandé à la Cour d’indiquer des mesures provisoires et, compte tenu de l’ordonnance rendue le 15 octobre 1997 par la Haute Cour du Kenya dans l'affaire n° 635 of 1997 et des mesures indiquées par le requérant le 23 novembre 2009 et qui sont toujours en vigueur, la Cour a décidé, durant sa vingt-sixième session ordinaire tenue du 17 au 28 septembre 2012, de ne pas ordonner d’autres mesures provisoires de sa propre initiative.
9. Le 31 décembre 2012, le Greffe a reçu du requérant une demande de mesures provisoires dans la présente instance et le Greffe en a accusé réception par lettre adressée au requérant le 2 janvier 2013,

202 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
dans laquelle celui-ci a été informé que la demande serait présentée à la Cour pour examen durant sa prochaine session, prévue du 4 au 15 mars 2013
10. En appui à la requête, le requérant allègue que par lettre datée du 9 novembre 2012 adressée au responsable des titres fonciers du district de Nakuru, le défendeur a levé les mesures imposant des restrictions sur les transactions foncières inférieures à cinq demi- hectares ou moins, à l’intérieur du complexe forestier de Mau et que cette décision risquait de causer un dommage irréparable aux Ogieks et qu’elle contribuerait à pérenniser et à aggraver le préjudice qui fait l’objet de la principale requête du requérant. En attendant l'issue de sa requête, le requérant prie donc la Cour d’ordonner que le défendeur remette en vigueur l'interdiction des transactions foncières à l’intérieur du complexe forestier de Mau et d’assurer le suivi de la mise en œuvre de cette mesure, conformément à l’article 51(5).
11. La présente requête est introduite en vertu des articles 27(2) du Protocole et 51 du Règlement de la Cour. L'article 27(2) dispose que « Dans les cas d’extrême gravité ou d'urgence et lorsqu’il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes » ;
12. Le Greffe a notifié la requête au défendeur par lettre datée du 7 janvier 2013, l’invitant à communiquer toutes les observations éventuelles au sujet de la requête du requérant dans les trente (30) jours de la réception. Le défendeur a reçu cette lettre le 17 janvier 2013 13. Ce délai a expiré le 16 février 2013 et à ce jour, le défendeur n’a toujours pas répondu à la demande de mesures provisoires.
14. Par lettre datée du 21 février 2013, le Greffe a informé le défendeur que la Cour examinerait la demande du requérant pour des mesures provisoires à sa vingt-huitième session ordinaire. Encore une fois, le défendeur n’a pas répondu à cette lettre.
15. Lorsqu’elle examine une requête, la Cour s'assure qu’elle a compétence pour connaître de l'affaire, en application des articles 3 et 5 du Protocole ;
16. Toutefois, avant d’indiquer des mesures provisoires, la Cour ne doit pas être convaincue qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais simplement s'assurer qu’elle est compétente prima facie ;
17. La Cour relève que l’article 3(1) du Protocole dispose que « la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par las Etats concernés » ;
18. La Cour relève encore que le défendeur a ratifié la Charte le 21 octobre 1986 et que celle-ci est entrée en vigueur le 23 janvier 1992 et que les instruments de ratification ont été déposés le 10 février 1992 ; elle relève encore que le défendeur a ratifié le Protocole le 4 janvier 2004 et que celui-ci est entré en vigueur le 4 février 2004. Les instruments de ratification ont été déposés le 18 février 2005. Le défendeur est donc Partie aux deux instruments ;

A c. Aa (mesures provisoires) (2013) 1 RJCA200 203
19. La Cour reconnaît que l’article 5(1) (a) du Protocole mentionne le requérant comme étant l’une des entités ayant qualité pour saisir la Cour et elle fait le constat judiciaire que la requête devant elle contient une demande de mesures provisoires, qui peuvent être une conséquence du mandat de protection que lui confère la Charte et qui n’exigent pas l’examen des questions de fond découlant de la requête ;
20. La Cour estime qu’il existe une situation d'extrême gravité et d'urgence et un risque de dommages irréparables à la communauté Ogiek en raison de la violation des droits qui lui sont garantis par la Charte, notamment :
« La jouissance de leurs droits culturels et à la protection de leurs valeurs traditionnelles, en vertu des articles 2, 17(2) et (3) de la Charte ;
« La protection de la loi, en vertu de l’article 3 ;
« L’intégrité de la personne, en vertu de l’article 4 ;
« Le droit à la propriété, en vertu de l’article 14 ;
« Le droit au développement économique, social et culturel, en vertu de l’article 22.
21. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que :
« Prima facie, elle est compétente pour connaître de la requête ;
« 11 s’agit d’une question dans laquelle des mesures provisoires doivent être ordonnées, conformément à l’article 27(2) du Protocole.
22. La Cour constate qu’il existe une situation d'extrême gravité et d'urgence et un risque de dommages irréparables aux Ogiek de la forêt de Mau et de préjudice à la question de fond devant la Cour.
23. En conséquence, la Cour tire la conclusion que les circonstances en l'espèce exigent que soient ordonnées d'urgence, des mesures provisoires en vertu des articles 27(2) du Protocole et 51 de son Règlement intérieur, pour préserver le statu quo ante jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la requête principale ;
24. Pour éviter tout équivoque, les mesures qu’elle compte indiquer seront nécessairement à caractère provisoire et elles ne préjugent en rien des conclusions que la Cour pourrait tirer sur sa propre compétence, sur la recevabilité de la requête ainsi que sur le fond de
25. Par ces motifs,
LA COUR, à l’unanimité, fait droit à la demande du requérant et ORDONNE les mesures provisoires suivantes au défendeur :
1) La remise en vigueur, avec effet immédiat, des restrictions qu’il avait imposées concernant les transactions foncières dans le complexe de la forêt de Mau et s’'abstienne de tout acte ou de toute action susceptible de préjuger irrémédiablement de la requête principale devant la Cour, jusqu’à ce que la Cour ait statué sur ladite requête ;
2) Faire rapport à la Cour dans un délai de quinze jours (15) de la réception, sur les mesures prises pour mettre en œuvre la présente ordonnance.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM38341325
Date de la décision : 15/03/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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