114 RECUEIL
Amir Adam
DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1 (2006-2016)
Am c. Soudan (compétence) (2012) 1 RJCA 114
Ar An Am c. République du Soudan
Décision du 30 mars 2012. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges B, _AKUFFO, GUINDO, OUGUERGOUZ,
RAMADHANI, TAMBALA, THOMPSON et ORÉ
La requête a été rejetée au motif que l’État défendeur n’avait pas fait la
déclaration prévue à l’article 34(6) autorisant les particuliers et les ONG Ã
la saisir directement.
Compétence (déclaration en vertu de l’article 34(6), 8)
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
Compétence (rejet par le Greffe, 1)
1. Par la requête en date du 25 février 2012, Me Mbu ne Letang, avocat résidant à Ac, a introduit une requête auprès de la Cour au nom de son client, Ar An Am, de nationalité soudanaise, natif du Darfour, domicilié en République démocratique du Congo, qui a été accusé par le gouvernement soudanais d'être membre d’une force d'opposition au gouvernement légitime du Soudan. Le requérant allègue des violations des articles 12(1), 2, 3, 4 et 13 de la Convention internationale relative aux droits civils et politiques.
2. En vertu des dispositions de l'article 34(1) du Règlement intérieur de la Cour, le Greffier, par lettre datée du 14 mars 2012, a accusé réception de cette requête.
3. La Cour fait observer qu’en vertu des dispositions de l’article 5(3) du Protocole, elle « peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole
4. La Cour note par ailleurs que l’article 346) du Protocole dispose qu’« [à ] tout moment, à partir de la ratification du présent Protocole, l'Etat doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l'article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration ».
5. Par lettre en date du 30 mars 2012, le Greffier a demandé au Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine de l’informer
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si le Aj avait fait la déclaration exigée par l’article 34(6) du Protocole.
6. Par courriel en date du 12 avril 2012, le Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine a informé le Greffier que la République du Soudan n’avait pas fait une telle déclaration.
7. La Cour observe que la République du Soudan n’a pas fait la déclaration prévue par l’article 34(6).
8. Conformément aux articles 5(3) et 34(6) du Protocole, la Cour n’a manifestement pas compétence pour connaître de l'affaire introduite au nom de Ar An Am, contre la République du Soudan.
9. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité :
Décide qu'en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole, elle n’a manifestement pas compétence pour connaître de l'affaire introduite au nom de Ar An Am contre la République du Soudan, et que l'affaire est par conséquent rayée du rôle de la Cour.
Opinion individuelle : OUGUERGOUZ
1. Je suis d’avis que la requête introduite contre la République du Soudan par Monsieur Ar An Am doit être rejetée. Toutefois, l'incompétence ratione personae de la Cour étant manifeste en l'espèce, cette requête n'aurait pas dû donner lieu à une décision de la Cour ; elle aurait dû être rejetée de plano par une simple lettre du Greffier (voir mon raisonnement sur ce point dans mes opinions individuelles jointes aux décisions rendues dans les affaires Ab Ag c. République du Sénégal, Aq Al'o Aa c. Parlement panafricain, Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education (CONASYSED) c. République du Gabon, Ao International Investments A, Mr et Mme AGL de Ap c. République d'Afrique du Sud et Af Ai Ad c. République d'Afrique du Sud, ainsi que dans mon opinion dissidente jointe à la décision rendue dans l'affaire Ae Ah Ak c. République du Cameroun et République fédérale du Nigéria).
2. Je ne suis en effet pas favorable au traitement judiciaire d’une requête individuelle dirigée contre un Etat partie au Protocole qui n’a pas fait la déclaration facultative d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour pour connaître des requêtes émanant d'individus ou d'organisations non-gouvernementales, ou contre un Etat africain non partie au Protocole ou non membre de l’Union africaine, comme cela a été le cas concernant plusieurs requêtes déjà traitées par la Cour.
3. En accordant un traitement judiciaire à la présente requête introduite contre le Soudan, la Cour ne tient ainsi pas compte de l'interprétation, pourtant correcte à mes yeux, qu’elle avait initialement donnée de
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l’article 34(6) du Protocole dans le paragraphe 39 de son tout premier arrêt relatif à l'affaire Ab Ag c. République du Sénégal ; dans cette décision, la Cour avait en effet rappelé ce qui suit : «la seconde phrase de l’article 34(6) du Protocole prévoit que [la Cour] «ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration » (souligné ajouté). Le terme « reçoit » ne doit cependant être entendu ni dans son sens littéral, comme renvoyant au concept de « réception », ni dans son sens technique comme renvoyant au concept de « recevabilité ». Il doit plutôt être interprété à la lumière tant du texte que de l’esprit de l’article 34(6) pris dans son intégralité et en particulier de l'expression « déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant d'individus ou d’ONG] » figurant dans la première phrase de cette disposition. Il ressort donc clairement de cette lecture que l’objet de l’article 34(6) susmentionné est de régler les conditions pour que la Cour puisse connaître de telles requêtes, à savoir l'exigence du dépôt d’une déclaration spéciale par l’Etat partie concerné, et de tirer les conséquences de l'absence d’un tel dépôt par cet État ».
4. || est clair qu’en accordant un traitement judiciaire à une requête et en rendant une décision à son égard, la Cour «connaît » bel et bien de cette requête au sens où elle a interprété le verbe «connaître à la fin du paragraphe 39 susmentionné, c'est-à -dire qu’elle procède en fait à l'examen de cette requête, même si cet examen se termine par un constat d’incompétence ; or, selon l'interprétation qu’elle a ainsi donnée de l’article 34(6) du Protocole, la Cour ne devrait pas procéder à l'examen d'une requête si l'Etat partie concerné n’a pas déposé la déclaration facultative.
5. Dans le traitement judiciaire de la présente affaire, la Cour a par ailleurs décidé de ne pas communiquer la requête de Monsieur Ar An Am au Soudan, ni même d'informer cet Etat du dépôt de la requête. L'adoption par la Cour d’une décision judiciaire dans de telles conditions constitue une atteinte au principe du contradictoire (Audiatur et altera pars), principe qui doit s'appliquer à tout moment de la procédure. Cette entorse à l'équité et l’égalité des armes est d’autant plus remarquable que la requête de Monsieur Ar An Am a, dès sa réception, fait l’objet d’une publicité sur le site électronique de la Cour.
6. La non-communication de la requête au Soudan a également privé celui-ci de la possibilité d'accepter la compétence de la Cour par la voie du forum prorogatum (sur cette question, voir mon opinion individuelle dans l’affaire Ab Ag c. République du Sénégal précitée).