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23/09/2011 | CADHP | N°RANDOM259174234

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 23 septembre 2011, RANDOM259174234


Texte (pseudonymisé)
Ag Aw c. Cameroun et Aj
Ag Aw Ab c. Cameroun
(compétence) (2011) 1 RICA 89

et Aj

Ag Aw Ab c. République du Cameroun et République
fédérale du Aj
Décision du 23 septembre 2011. Fait en anglais et en français, la version
française faisant foi.
Juges X, AKUFFO, MUTSINZI, NGOEPE, GUINDO,
OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : THOMPSON
La Cour a rejeté la requête, l’un des États défendeurs n'ayant pas ratifié
le Protocole de la Cour et l’autre n'ayant pas fait la déclaration prévue à
l’artic

le 34(6) autorisant les particuliers et les ONG à la saisir directement.
Compétence (Etat partie au Protocole ; déclaration...

Ag Aw c. Cameroun et Aj
Ag Aw Ab c. Cameroun
(compétence) (2011) 1 RICA 89

et Aj

Ag Aw Ab c. République du Cameroun et République
fédérale du Aj
Décision du 23 septembre 2011. Fait en anglais et en français, la version
française faisant foi.
Juges X, AKUFFO, MUTSINZI, NGOEPE, GUINDO,
OUGUERGOUZ, TAMBALA, ORÉ
N’a pas siégé conformément à l’article 22 : THOMPSON
La Cour a rejeté la requête, l’un des États défendeurs n'ayant pas ratifié
le Protocole de la Cour et l’autre n'ayant pas fait la déclaration prévue à
l’article 34(6) autorisant les particuliers et les ONG à la saisir directement.
Compétence (Etat partie au Protocole ; déclaration prévue à l’article
34(6), 9)
Procédure (renvoi à la Commission)
Opinion dissidente : OUGUERGOUZ
Compétence (6)
Procédure (renvoi à la Commission, 12 ; motifs 21)
1. Par requête datée du 20 mai 2011, Ag Aw Ab, domicilié à Ac YAkC, a introduit une instance devant la Cour contre la République du Cameroun et la République fédérale du Aj, alléguant des violations des articles 3, 5, 6, 7 et 13(3) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
2. Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et à l’article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour (ci- après dénommé « le Règlement »), le Juge Elsie N. Thompson, membre de la Cour, de nationalité nigériane, s'est récusée.
3. Conformément à l’article 34(1) du Règlement, le Greffe a accusé réception de la requête, par lettre datée du 26 mai 2011.
4. Par lettre datée du 10 juin 2011, le Greffe a écrit au Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine pour vérifier si les Etats défendeurs avaient déposé ou non la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole.

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5. Par lettre datée du 13 juin 2011, le Conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine a informé le Greffe que ni le Cameroun ni le Aj n’avaient déposé ladite déclaration. Par la même occasion, il a joint une liste indiquant l’état des ratifications, dont il ressort que le Cameroun n’a même pas ratifié le Protocole.
6. La Cour relève que le Aj, État partie au Protocole, n’a pas déposé la déclaration requise et que le Cameroun n'a même pas ratifié le Protocole.
7. L'article 5(3) du Protocole dispose que : « la Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire directement des requêtes devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
8. L'article 34(6) pour sa part dispose comme suit : « À tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration),
9. Il ressort d’une lecture combinée des dispositions sus mentionnées que la saisine directe de la Cour par un individu est subordonnée au dépôt par l’État défendeur d’une déclaration spéciale autorisant une telle saisine.
10. En conséquence, en application de l’article 34(6) du Protocole, il apparaît que la Cour n’a manifestement pas compétence pour connaître de la requête introduite par Ag Aw Ab contre le Cameroun et le Aj.
11. L'article 6(3) du Protocole dispose que la Cour peut connaître des requêtes ou les renvoyer devant la Commission. La Cour considère qu’au vu des allégations contenues dans la requête, il serait approprié de renvoyer l'affaire à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples,
12. Par ces motifs,
LA COUR :
| A l’unanimité :
Déclare, qu’en application de l’article 34 (6) du Protocole, elle n’a pas compétence pour connaître de la requête introduite par Ag Aw Ab contre le Cameroun et le Aj,
ii. Par sept voix contre une
Décide, en application de l’article 6 (3) du Protocole, de renvoyer l'affaire devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

Ag Aw c. Cameroun et Aj (compétence) (2011)1 RJCA89 91
Opinion dissidente : OUGUERGOUZ
1. La présente opinion vise à expliquer pourquoi j'ai été amené à voter contre la décision de la Cour de renvoyer l'affaire devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, en application de l’article 6(3) du Protocole ; elle a accessoirement pour objet de préciser ma position relativement à la déclaration contenue dans le paragraphe premier du dispositif, en faveur duquel j'ai voté.
2. Je suis d’avis que la Cour est manifestement incompétente pour connaître de la requête introduite par Monsieur Ag Aw Ab et ai en conséquence voté en faveur du paragraphe premier du dispositif de la décision. J’estime toutefois que s'agissant d’un cas d’'incompétence manifeste de la Cour, cette requête n'aurait pas dû faire l’objet d’un traitement judiciaire par la Cour et donner ainsi lieu à une décision de cette dernière. Je me suis déjà amplement exprimé sur cette question de procédure, qui touche à la politique judiciaire de la Cour, dans mon opinion individuelle jointe à l'arrêt rendu le 15 décembre 2009 dans l'affaire Ba Av c. République du Sénégal.
3. La présente décision de la Cour se distingue formellement d’un « arrêt » par le fait qu’elle est signée par les seuls Président et Greffier de la Cour et qu’elle a été adoptée au terme d’une procédure dite « simplifiée », à laquelle n’ont pas participé les deux Etats contre lesquels la requête est dirigée.
4. L'adoption du format de la « décision » d’incompétence plutôt que du format de l'arrêt a été décidée par la Cour lors de sa 21°" session ordinaire (6-17 juin 2011), à l’occasion de l’examen de la requête N° 002/2011 (At Am c. République d'Algérie), auquel je n’ai pas participé de manière à me conformer aux prescriptions de l’article 22 du Protocole et de l’article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour. Lors du traitement de cette requête, il avait notamment été décidé que lorsqu’une requête semble prima facie n’avoir aucune chance de succès, elle ne devrait pas être communiquée à l’Etat contre lequel elle est dirigée.
5. En l'espèce, la Cour a décidé de ne pas communiquer la requête de Monsieur Ag Aw Ab au Cameroun et au Aj, ni même de les informer de son dépôt ; elle a également décidé de ne pas notifier le dépôt de la requête au Président de la Commission de l’Union africaine et aux autres Etats parties au Protocole.
6. Je considère que dans la présente espèce la requête aurait dû être rejetée de plano par voie de simple lettre du Greffe adressée au requérant dès le lendemain du 13 juin 2011, date à laquelle le Conseiller juridique de la Commission de l'Union africaine confirmait que la République du Cameroun n’était pas partie au Protocole et que la République fédérale du Aj, bien que partie au Protocole, n'avait pas fait la déclaration prévue par l’article 34(6) de cet instrument.
7. La question de la compétence de la Cour ne devrait en effet se voir consacrée, à elle seule, une décision formelle de la Cour que lorsqu'elle fait l’objet d’une « contestation » au sens de l’article 3(2) du Protocole, c'est-à-dire lorsqu’une exception d’incompétence est

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soulevée sur la base de l’article 52 du Règlement intérieur. Dans tous les cas d’incompétence « manifeste » de la Cour, constatée au terme d'un traitement judiciaire de la requête par une formation réduite de la Cour (juge rapporteur ou comité de deux ou trois juges) ou qui pourrait, de lege ferenda, être constatée au terme d’un traitement purement administratif de la requête par le Greffe, une simple lettre adressée par ce dernier au requérant devrait suffire ; cela permettrait de réaliser une économie de moyens et, eu égard au fait que la Cour ne siège pas de manière permanente, d'assurer un traitement plus rapide de telles requêtes.
8. L'adoption par la Cour, comme dans la présente espèce, d’une décision d’incompétence alors que les Etats concernés n’ont pas reçu copie de la requête ni même été informés de son dépôt, est par ailleurs contestable dans son principe ; cela l’est d'autant plus en l'espèce que la requête a, dès sa réception, fait l’objet d’une publicité sur le site électronique de la Cour. La non-communication de la requête aux Etats concernés a en outre privé le Aj (le Cameroun n’est pas partie au Protocole) de la possibilité d'accepter la compétence de la Cour par la voie du forum prorogatum (sur cette question, voir mon opinion individuelle susmentionnée).
9. A cet égard, une requête introduite contre un Etat partie au Protocole n’ayant pas déposé la déclaration facultative devrait être communiquée pour information à l'Etat concerné de manière à lui permettre d'accepter la compétence de la Cour pour en connaître.! La pratique actuelle du Greffe étant d'inscrire au rôle général toutes les affaires introduites devant la Cour, les requêtes relatives à ces affaires devraient en toute logique être systématiquement communiquées aux Etats concernés et faire l’objet d’une publicité sur le site électronique de la Cour ; l'inscription d’une affaire au rôle général d’une juridiction signifie en effet que cette dernière a été valablement « saisie » et que cette affaire est désormais pendante devant ladite juridiction (sur cette question, voir les paragraphes 14, 15 et 16 de mon opinion individuelle susmentionnée).
10. S’étant déclarée manifestement incompétente pour connaître de la requête, la Cour a décidé de renvoyer cette dernière devant la Commission africaine en se basant sur le paragraphe 3 de l’article 6 du Protocole, qui prévoit que « la Cour peut connaître des requêtes ou les renvoyer devant la Commission ».
11. La pratique d’un tel renvoi a été instaurée par la Cour dans sa décision d'incompétence relative à la requête N° 0002/2011 susmentionnée. La Cour a maintenu cette pratique lors de l'examen, durant la même session, des requêtes N° 005/2011 (Au Ao B Aq Ao c. Mozambique Airlines & Mozambique) et N° 006/ 2011 (Association des Juristes d'Afrique pour la bonne gouvernance c.
1 Le Greffe informerait alors le requérant 1) qu’en l’absence de déclaration facultative, la Cour n’a pas compétence pour connaître de sa requête, 2) que celle-ci a été communiquée à cet Etat pour information et 3) que la Cour pourra en connaître si l'Etat concerné décidait d'accepter sa compétence.

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Côte d'Ivoire) à propos desquelles elle s'est également déclarée manifestement incompétente.
12. A mon sens, le renvoi à la Commission africaine d’une requête à propos de laquelle la Cour s'est déclarée manifestement incompétente n’est pas fondé en droit. Ce renvoi ne me paraît pas compatible avec l’article 6 du Protocole, interprété selon les règles générales d'interprétation posées par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.
13. L’intitulé de cet article 6 (« Recevabilité des requêtes ») suggère en effet fortement que l'option offerte à la Cour au paragraphe 3 concerne avant toute chose l'examen de la recevabilité d’une requête à l'égard de laquelle la compétence de Cour est déjà établie. Les travaux préparatoires du Protocole n’apportent malheureusement aucun éclairage sur le sens à donner audit paragraphe 3 ; la première version de ce paragraphe se lisait en effet comme suit : « La Cour peut elle- même connaître de la requête ou la renvoyer devant la Commission ».?
14. Lu dans son contexte, ce paragraphe autorise ainsi la Cour soit à examiner elle-même la recevabilité d’une requête qui relève de sa compétence, soit à confier l'examen de cette recevabilité à la Commission africaine. Dans cette dernière hypothèse, la Cour confierait à la Commission une mission plus large que celle envisagée au paragraphe 1 de l’article 6.
15. En effet, cette dernière disposition autorise seulement la Cour à « solliciter l’avis de la Commission » sur la recevabilité d’une « requête introduite en application de l’article 5(3) » du Protocole. Le paragraphe 3 de l’article 6 autorise pour sa part la Cour à demander à la Commission de se prononcer elle-même sur la recevabilité d’une requête. L'absence de référence à l’article 5(3) du Protocole suggère en outre que cet examen de la recevabilité pourrait concerner non seulement les requêtes émanant d’un individu ou d’une organisation non-gouvernementale mais également celles émanant d’un Etat partie au Protocole ou d’une organisation intergouvernementale africaine.
16. Cette dernière suggestion mise à part, mon interprétation du paragraphe 3 de l’article G est corroborée par l’article 119 du Règlement intérieur de la Commission, intitulé « Recevabilité aux termes de l’article 6 du Protocole », et libellé comme suit :
« 1. Lorsque, conformément à l’article 6 du Protocole, il est demandé à la Commission de donner son avis sur la recevabilité d’une affaire en instance devant la Cour ou lorsque la Cour a transféré une affaire à la Commission, elle doit examiner la recevabilité de cette affaire conformément à l’article 56 de la Charte et aux articles 105, 106 et 107 du présent Règlement intérieur.
2 Article 6 du projet de Protocole adopté par la première réunion d'experts juridiques gouvernementaux (Az Ai, 6-12 septembre 1995), voir Aa Ar A the Ae Ah on Human and Peoples’ Rights on the Establishment of an Ae Ax AG As and Peoples’ Rights, adopted by the Meeting of Ay Al Experts on the Establishment of an African Court on Human and Peoples’ Rights, 6- 12 September 1995, Az Ai, Ad Ae, DOC OAU/LEG/EXP/AFC/HPR/PRO (I) Rev. 1.

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2. Après examen de la recevabilité du cas qui lui est soumis aux termes de l’article 6 du Protocole, la Commission transmet immédiatement à la Cour son avis ou sa décision sur la recevabilité ».
17. Cette disposition du Règlement de la Commission ne laisse aucun doute sur le fait que dans les deux hypothèses prévues par les paragraphes 1 et 3 de l’article 6 du Protocole, la Commission considère que sa mission est de s'assurer de la recevabilité d’une requête relative à une affaire à propos de laquelle la Cour s’est déclarée compétente ; il serait autrement difficile de comprendre pourquoi le paragraphe 2 de l’article 119 susmentionné prévoit la transmission immédiate à la Cour de l’avis ou de la « décision » de la Commission. La transmission immédiate à la Cour de la décision de la Commission sur la recevabilité d’une requête n’aurait en effet aucun sens si la Cour n’avait plus de rôle à jouer dans le traitement de cette requête ; l’idée sous-jacente est qu’une fois s'être assurée de la recevabilité de la requête, la Cour peut entamer l'examen au fond de cette dernière.
18. A la différence du Règlement intérieur de la Commission, celui de la Cour n’apporte pas de véritables précisions sur l’objet du renvoi prévu par l’article 6(3) du Protocole. L'article 29(5) du Règlement intérieur de la Cour est en effet ainsi libellé :
« (a) Lorsqu’en application de l’article 6(3) du Protocole, la Cour décide de renvoyer une affaire devant la Commission, elle lui transmet une copie de l’ensemble des pièces de la procédure qui lui ont été soumises dans cette affaire, accompagnée d’un rapport succinct. La Cour peut, à la demande de la Commission, lui transmettre également l'original du dossier de l'affaire.
(b) Le Greffier avise immédiatement les parties à l'affaire devant la Cour du renvoi de l’affaire devant la Commission ».
19. La terminologie utilisée dans cette disposition (« affaire », « par- ties », « ensemble des pièces de la procédure », « rapport succinct ») suggère qu’il existe une véritable « affaire » pendante devant la Cour. On fera également observer que dans une hypothèse d’incompétence manifeste de la Cour, le dossier de l'affaire en question devrait normalement se résumer à peu de choses ; en outre, même si il arrivait que la compétence ratione personae, materiae, loci ou temporis de la Cour soit très discutable et que, partant, elle ait fait l’objet d’un examen approfondi par celle-ci, la partie du dossier de l'affaire relative à cet examen de la compétence de la Cour ne présenterait aucun intérêt particulier pour la Commission et ne devrait donc pas lui être communiquée.
20. Ma conclusion est qu’en se fondant sur le paragraphe 3 de l’article 6 du Protocole pour renvoyer devant la Commission africaine une requête à l’égard de laquelle elle s'est déclarée manifestement incompétente, la Cour a détourné cette disposition de son objet premier ; la même conclusion vaut a fortiori en ce qui concerne le renvoi éventuel devant la Commission d’une requête à l'égard de laquelle la Cour se déclarerait incompétente par voie d’arrêt, à l'issue d’une procédure judiciaire contradictoire classique (voir l’article 52(6) du Règlement de la Cour).
21. Ce n’est toutefois pas cette seule conclusion qui m'a conduit à voter contre la décision de renvoi de la requête devant la Commission. Plus

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fondamentale encore à mes yeux est l’absence totale de motivation de la décision de la Cour en l'espèce, l’exigence de motivation des décisions de la Cour étant en effet consubstantielle à la fonction judiciaire qui est la sienne.
22. En l'espèce, comme dans les trois affaires susmentionnées, la Cour a considéré qu’il était « approprié » d'opérer le renvoi « au vu des allégations contenues dans la requête », sans aucune autre précision. Elle aurait dû préciser les raisons pour lesquelles elle considère que les allégations contenues dans la requête commandent un tel renvoi ou pourquoi ce dernier est « approprié ».
23. Le paragraphe 3 de l’article 6 du Protocole offre certes à la Cour le choix entre deux solutions possibles mais ce choix n’en doit pas moins obéir à des critères objectifs. Bien que relevant de son pouvoir discrétionnaire, le choix de la Cour ne saurait être exercé de manière arbitraire, c’est-à-dire de façon aléatoire, imprévisible ou en dehors de toute logique apparente.
24. L'intégrité de la fonction judiciaire de la Cour lui commande en effet de motiver les décisions prises au titre de la disposition susmentionnée de manière à satisfaire les exigences de prévisibilité et d’uniformité, ingrédients essentiels du principe de sécurité juridique dont elle se doit être le garant.
25. En l'absence de critères objectifs de renvoi devant la Commission des requêtes à l'égard desquelles la Cour se déclare manifestement incompétente, le risque est grand que ce renvoi devienne systématique, comme semble en augurer la pratique actuelle.
26. L'absence de critères objectifs de renvoi ne permet par ailleurs pas à un juge dissident d'expliquer les raisons pour lesquelles il conteste le bien-fondé d’un tel renvoi, sauf à faire état d’éléments de fait ou de droit qui ne figurent pas dans la décision de la Cour et, ce faisant, à trahir le secret des délibérations de cette dernière.
27. Si la Cour devait perpétuer cette pratique du renvoi devant la Commission des requêtes à l'égard desquelles elle se considère manifestement incompétente, il serait nécessaire qu’elle identifie clairement des critères de renvoi. Elle pourrait pour ce faire prendre par exemple en considération la nature ou le degré des violations portées à son attention par la requête en question et ainsi renvoyer devant la Commission les requêtes qui « semblent révéler l'existence d’un ensemble de violations graves ou massives des droits de l'homme et des peuples », pour reprendre la formulation de l’article 58(1) de la Charte africaine.
28. Ce critère des violations graves ou massives des droits de l'homme est, rappelons-le, un de ceux utilisés par la Commission africaine pour soumettre une affaire à la Cour en vertu de l’article 5 du Protocole (voir les articles 84(2) et 118(3) de son Règlement intérieur). Une fois le renvoi effectué par la Cour, il appartiendrait à la Commission d'examiner la requête et de tirer de son examen les conclusions qui s'imposent aux termes des dispositions susmentionnées de son Règlement.

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29. Si la Cour s'engageait dans cette voie, elle resterait dans la logique dans laquelle elle s'est récemment engagée avec sa pratique du renvoi devant la Commission de requêtes à l'égard desquelles elle se considère manifestement incompétente. Elle donnerait même un sens à cette pratique en la réservant à des situations exceptionnelles. Ainsi, la Cour jouerait en quelque sorte le rôle de « mécanisme d'alerte » de la Commission à l’image de celui que peuvent actuellement jouer auprès de cette dernière les individus et les organisations non gouvernementales, comme en témoignent les circonstances ayant présidé à l'introduction par la Commission de sa requête contre la Grande Af Ap An populaire et socialiste.
30. Il s'agit bien entendu là d’une question de politique judiciaire qui mérite mûre réflexion de la part de la Cour. La réponse à cette question dépendra du rôle que la Cour entend jouer dans le système de protection des droits de l'homme mis en place par la Charte africaine et le Protocole portant création de la Cour ; elle dépendra en particulier de la manière dont la Cour conçoit sa synergie avec la Commission africaine sur la base des articles 2, 4, 5, 6(1 & 3), 8 et 33 du Protocole. 31. À cet égard, la Cour pourrait poursuivre son exploration des potentialités du paragraphe 3 de l’article 6 du Protocole et s'interroger sur la question de savoir si le renvoi d’une requête à la Commission ne pourrait pas intervenir après que la Cour se soit déclarée « compétente » et avoir pour finalité non pas seulement l’examen de la recevabilité de cette requête par la Commission mais également son examen au fond. 32. Le verbe « connaître » utilisé au paragraphe 3 et la place de ce paragraphe dans l’ordonnancement de l’article 6 (immédiatement après le paragraphe 2 consacré à la question de l'examen de la recevabilité des requêtes par la Cour), suggèrent en effet que la Cour peut examiner les requêtes au fond ou les renvoyer devant la Commission.
33. Sur la base de critères qu’il lui appartiendrait d’identifier, la Cour pourrait ainsi décider de ne pas statuer au fond sur une affaire qu’elle aurait pourtant la compétence de trancher. Ce système, dit du « pick and choose », est par exemple utilisé par la Cour suprême des Etats- Unis d’Amérique. L'article 10 du Règlement de cette juridiction autorise en effet celle-ci à exercer sa compétence d’appel de manière discrétionnaire, c’est-à-dire lorsqu'elle estime qu’il existe des raisons décisives d'exercer cette compétence ; cette même disposition prévoit des critères de sélection des affaires susceptibles d'appel devant la Cour suprême (question fédérale importante, existence d’une divergence de jurisprudence entre deux cours d'appels, par exemple). 34. En décidant de ne pas statuer au fond sur une affaire qu’elle aurait pourtant la compétence de trancher, la Cour africaine ouvrirait cependant la voie à un véritable déni de justice ; le renvoi de la requête devant la Commission africaine pour son examen au fond ne suffirait pas à prévenir pareil déni de justice dans la mesure où seule la Cour possède des attributions de nature judiciaire. Cet écueil est peut-être surmontable et il appartiendrait alors à la Cour et à la Commission d'engager une réflexion commune en la matière.

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35. Il s'agit là encore pour la Cour d’une question de politique judiciaire qui touche à la place qu’elle entend occuper au sein du système africain de protection des droits de l’homme et des peuples. Il n’est en effet pas exclu que dans un avenir plus ou moins proche, la Cour soit submergée par un flot de requêtes et qu’elle ne puisse plus en assurer un traitement satisfaisant en raison du caractère limité des ressources matérielles et humaines à sa disposition. I! lui faudrait alors faire un choix : soit poursuivre sa pratique d’examen systématique de toutes les requêtes qu’elle reçoit, avec le risque d'engorgement et de paralysie de ses services que cela comporte ; soit opérer un filtrage des requêtes selon certains critères et se muer ainsi en une sorte d’organe judiciaire régulateur de l’ensemble du système africain de protection des droits de l’homme.
36. En résumé, je considère qu’en l'espèce :
. l’incompétence ratione personae de la Cour étant manifeste, la requête aurait dû faire l’objet d’un traitement purement administratif par le Greffe et qu’elle n’aurait en conséquence pas dû donner lieu à une décision de la Cour ;
. s'agissant d’un cas d’incompétence manifeste de la Cour, cette requête n'aurait pas dû faire l’objet d’un renvoi devant la Commission africaine sur la base de l’article 6(3) du Protocole et, qu’en tout état de cause, ce renvoi aurait dû être dûment motivé ;
. c'est au Greffe qu’il appartenait éventuellement d’« orienter » le requérant vers la Commission africaine, soit dans la lettre par laquelle il l’informe de l’incompétence de la Cour, soit, comme dans la présente espèce, dans la lettre sous couvert de laquelle il lui adresse la décision d’incompétence de la Cour.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM259174234
Date de la décision : 23/09/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
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