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02/04/2020 | BULGARIE | N°2905-2018

Bulgarie | Bulgarie, Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, 02 avril 2020, 2905-2018


ARRET no. 172

Sofia, 02 avril 2020

AU NOM DU PEUPLE

La COUR SUPREME DE CASSATION de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, Deuxième section, à l’audience publique du dix-neuf novembre deux mille dix-neuf, composée de :

PRESIDENTE : EMILIA VASSILEVA
MEMBRES : KOSTADINKA NEDKOVA, ANNA BAEVA

en présence de la greffière Sofia Simeonova, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 2905 d’après le rôle de 2018, rapportée par la juge Anna Baeva, et avant de statuer, a considéré ce qui suit :

La procédure est ouverte au titre d

e l’art. 290 du Code de procédure civile (CPC).

Le pourvoi en cassation a été formé par le ministère du ...

ARRET no. 172

Sofia, 02 avril 2020

AU NOM DU PEUPLE

La COUR SUPREME DE CASSATION de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, Deuxième section, à l’audience publique du dix-neuf novembre deux mille dix-neuf, composée de :

PRESIDENTE : EMILIA VASSILEVA
MEMBRES : KOSTADINKA NEDKOVA, ANNA BAEVA

en présence de la greffière Sofia Simeonova, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 2905 d’après le rôle de 2018, rapportée par la juge Anna Baeva, et avant de statuer, a considéré ce qui suit :

La procédure est ouverte au titre de l’art. 290 du Code de procédure civile (CPC).

Le pourvoi en cassation a été formé par le ministère du Développement régional et des Travaux publics contre l’arrêt no. 184 du 19 juillet 2018, rendu dans l’affaire commerciale no. 288/2018 par la Cour d’appel de Varna, Section commerciale, confirmant le jugement no. 31 du 22 février 2018, rendu dans l’affaire civile no. 282/2015 par le Tribunal de grande instance de Targovichté, 5e formation de jugement, rejetant l’action dirigée par le ministère du Développement régional et des Travaux publics, au titre de l’art. 79, alinéa 1 de la Loi sur les obligations et les contrats, contre la commune de Popovo aux fins de se faire rembourser une créance sur des corrections financières, d’un montant de 1 200 200,86 leva, au titre du contrat de subvention no. BG161PO001/2.1.-02/2007/002/04.06.2008, relevant du Programme opérationnel « Régions en croissance », schéma « Soutien au développement local durable et intégré via la réhabilitation et la rénovation de la voirie communale pour une meilleure accessibilité et mobilité sur le territoire de la commune de Popovo », avec les intérêts légaux dus sur le principal à compter du 12 août 2015 jusqu’au paiement définitif.

Le demandeur en cassation soutient que l’arrêt attaqué est erroné en raison de la violation du droit matériel, de la violation des formes substantielles et de son caractère infondé. Il fait valoir que la juridiction d’appel a abouti à des appréciations juridiques erronées en résultat de l’interprétation et de l’application erronées du cadre juridique régissant des relations sociales liées à la détermination des corrections financières. Il soutient en outre que le juge n’a pas examiné l’ensemble des éléments de preuve recueillis en l’espèce, ni les moyens et les exceptions soulevés par les parties, y compris l’allégation selon laquelle la juridiction de première instance a confondu les délais de prescription pour imposer la correction financière avec les délais pour réclamer le recouvrement de la créance sur la correction financière infligée. Il avance qu’en raison de l’appréciation juridique erronée quant à la prescription de la prétention de remboursement du montant de la correction financière imposée, la juridiction d’appel n’a pas examiné sur le fond les arguments invoqués dans le recours en ce qui concerne la prétention du défendeur que lui soit accordé le montant de la correction financière, et a rendu par conséquent un arrêt infondé. Il avance des arguments selon lesquels il existe des conditions d’application des délais de prescription, prévues dans le Règlement no. 2988/1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes. Il considère que la juridiction d’appel a assimilé de manière erronée le recouvrement du montant de la correction financière au remboursement de sommes allouées sans motifs. Il allègue que la règle de l’art. 110 de la Loi sur les obligations et les contrats a été appliquée de manière erronée par rapport à la procédure d’imposition de la correction financière, et qu’il existe des preuves de son exécution. Il avance des arguments détaillés à l’appui de sa thèse selon laquelle l’application de la correction financière et encore moins la procédure de son imposition ne peuvent pas être assimilées ou plutôt jointes à une procédure d’établissement du fondement et du montant de la créance et de son recouvrement forcé, d’où l’absence de logique juridique de considérer que tous ces actes sont soumis aux mêmes délais de prescription pour leur mise en œuvre, comme l’a admis la juridiction d’appel. Il évoque également des arguments relatifs au caractère erroné de la conclusion tirée par la juridiction d’appel selon laquelle il manque en l’espèce d’éléments de preuve quant à l’exécution de la procédure d’imposition de la correction financière considérée. Il allègue que la juridiction d’appel, de manière erronée, n’a pas appliqué la règle pertinente stipulée dans la deuxième phrase de l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 2 du Règlement no. 2988/95, selon laquelle pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s’étend en toute hypothèse jusqu’à la clôture définitive du programme. Il allègue qu’en raison de l’interprétation erronée de la règle de l’art. 3, paragraphe 2, alinéa 2 du Règlement no. 2988/95, la juridiction d’appel, de manière erronée, a admis que la suspension et l’interruption de la prescription sont régies par les dispositions pertinentes du droit national. Il considère qu’en ce qui concerne l’interruption de la prescription, il y a lieu d’appliquer l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 du Règlement no. 2988/95 et la jurisprudence de la CJUE, créée sur son fondement. En ce sens il fait valoir que le rapport d’audit final de l’Agence exécutive d’audit des fonds européens, en date du 31 novembre 2010, dans la partie relative à la commune Popovo, a été communiqué à celle-ci par lettre no. 99-00-6.5118/11.12.2010, qui a été reçue, comme l’atteste le numéro de référence apposé par la commune, le 20 décembre 2010, mais que cette lettre n’a pas été retenue comme élément de preuve à cause de l’erreur, commise par la juridiction de première instance lors de l’élaboration du rapport écrit au titre de l’art. 146 du CPC et à la suite de la qualification donnée à l’exception de la prescription au titre de l’art. 111, lettre b de la Loi sur les obligations et les contrats. Ceci étant, il fait valoir des griefs tirés d’un vice de procédure commis par la juridiction d’appel, qui a empêché l’élucidation des faits en cause nécessaires pour le règlement approprié du litige. Il considère que sur la base des éléments de preuve recueillis en l’espèce, on peut conclure que le rapport d’audit a été notifié au défendeur, que cela a interrompu son délai de prescription et qu’un nouveau délai a commencé à courir. Il sollicite que l’arrêt attaqué soit annulé et que l’affaire soit renvoyée à la juridiction d’appel en vue de recueillir des éléments de preuve relatifs à l’interruption de la prescription ou en vue de rendre un arrêt accueillant l’action exercée.

Le défendeur, la commune Popovo, conteste le pourvoi en cassation. Il soutient que la juridiction d’appel a examiné de manière approfondie le droit applicable à l’égard du recouvrement réclamé des corrections financières et qu’elle a bien fondé sa conclusion selon laquelle en l’occurrence la disposition à appliquer est celle de l’art. 110 de la Loi sur les obligations et les contrats et non celle de l’art. 3 du Règlement no. 2988/95 qui fait la distinction entre « délai de prescription des poursuites » et « délai d’exécution de la décision prononçant la sanction administrative ». Il considère comme infondé le grief tiré d’une violation des formes substantielles, commise par la juridiction d’appel, et relève que le recours en appel ne contient pas de grief tiré du rapport de la juridiction de première instance. Il soutient que dans son recours en appel, le demandeur en cassation n’a pas avancé des allégations concernant la suspension ou l’interruption de la prescription. Dans ses observations écrites, il avance des arguments quant au caractère erroné des moyens du demandeur en cassation tirés de l’existence d’un délai de prescription applicable à la correction financière et d’un autre délai applicable au recouvrement de la correction financière, qui ne commence à courir qu’à partir de son imposition. Il considère que la prescription concerne la créance née de l’irrégularité commise et que dans les délais de sa prescription le créancier est censé non seulement recueillir des preuves quant au fondement et au montant de sa créance, mais aussi entreprendre des démarches en vue de son recouvrement, conduisant à l’interruption de la prescription, comme en l’occurrence l’exercice d’une action en justice. Il soutient en outre que des éléments de preuve n’ont pas été recueillis en l’espèce, susceptibles de prouver que la prescription concernant la créance litigieuse a été interrompue par un acte de l’autorité compétente, lié aux poursuites ou à des actes juridiques concernant l’irrégularité et notifié au bénéficiaire. Il considère que le moyen, qui n’a été avancé qu’à peine dans le pourvoi en cassation, tiré de l’interruption de la prescription à la suite de la lettre no. 00-00-6-6118/11.12.2010, par laquelle le directeur général de la DG « Programmation du développement régional » auprès du ministère du Développement régional et des Travaux publics a notifié à la commune le rapport final d’audit en date du 30 novembre 2010, ne doit pas être examiné. Il soutient également que la non présentation de cet élément de preuve n’est pas due à une violation des formes substantielles de la part du juge. Il considère que la juridiction d’appel a tiré les bonnes conclusions, notamment que la prescription n’a pas été interrompue par la lettre no. 08-P-5/20.01.2011. Il fait valoir qu’en l’espèce, il n’a pas été prouvé que les éléments constitutifs de l’irrégularité au titre de l’art. 2, point 7 du Règlement no. 1083/06 du Conseil du 11 juillet 2006, ont été réalisés. Eu égard à cela, il sollicite que l’arrêt attaqué soit maintenu.

Par ordonnance no. 519 du 30 juillet 2019, rendue en l’espèce, le pourvoi en cassation de l’arrêt d’appel a été admis sur le fondement de l’art. 280, alinéa 1, point 3 du CPC, sur la question de droit : « La règle de l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 du Règlement no. 2988/1995 est-elle applicable aux poursuites liées à la détermination de corrections financières à la suite d’irrégularités ponctuelles ou systématiques, établies dans des opérations ou des programmes opérationnels, financés en République de Bulgarie par des fonds de l’Union européenne, représentant des mesures administratives au sens de l’art. 4 du Règlement no. 2988/1995, ou bien les hypothèses d’interruption et de suspension sont-elles régies par les dispositions pertinentes du droit national ? »

La Cour suprême de cassation, formation de jugement de la Chambre commerciale, Deuxième section, après avoir considéré les éléments en l’espèce au regard des moyens de cassation avancés et conformément à ses compétences au titre de l’art. 290, alinéa 2 du CPC, a admis ce qui suit :

Afin de statuer, la juridiction d’appel a admis comme établi qu’il existe entre le ministère du Développement régional et des Travaux publics et la commune de Popovo des rapports d’obligation valides sur deux contrats de subvention : le contrat de subvention no. BG161PO001/2.1.-02/2007/002/04.06.2008 relevant du Programme opérationnel « Régions en croissance », schéma « Soutien au développement local durable et intégré via la réhabilitation et la rénovation de la voirie communale pour une meilleure accessibilité et mobilité sur le territoire de la commune de Popovo » et le contrat de subvention no. BG161PO 001/1.1.-01/2007/013/16.07.2008. Sur le premier contrat, le ministère du Développement régional et des Travaux publics a imposé une correction financière à hauteur de 1 196 660,86 leva, représentant 25 % de la valeur du contrat de travaux de construction s’élevant au total à 4 786 643,44 leva, et à hauteur de 3 540 leva, représentant 10 % de la valeur du contrat d’audit, s’élevant au total à 35 400 leva. Sur l’exception soulevée par la commune de Popovo, selon laquelle la créance a été prescrite, la juridiction d’appel a admis que la question litigieuse en l’espèce est de savoir à partir de quel moment la créance de la correction financière devient exigible. Le juge du fond a considéré qu’en ce qui concerne la détermination des corrections financières pour la période en cause du programme, il faut appliquer les Méthodes de détermination des corrections financières applicables dans les cas de violation des règles de passation des marchés publics et des contrats sur des projets cofinancés par les fonds structurels, le Fonds de cohésion de l’Union européenne, le Fonds européen agricole pour le développement rural, le Fonds européen pour la pêche et les fonds du Programme général de solidarité et de gestion des flux migratoires. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, la juridiction d’appel a admis que le moment à partir duquel la créance devient exigible et le délai de prescription commence à courir est la date à laquelle se termine l’exécution du contrat de marché public irrégulièrement conclu. Ceci étant, elle a admis que le délai de prescription pour réaliser la créance et imposer la correction financière commence à courir à partir des dates auxquelles les contrats ont pris fin : 02 décembre 2009 et 23 septembre 2008. Deuxièmement, la juridiction d’appel, s’appuyant sur le Règlement no. 2988/95 et sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, a abouti à la conclusion selon laquelle la prescription de quatre ans, prévue par le règlement, ne doit pas être appliquée à l’égard de la présente hypothèse. Selon le juge, les Etats membres peuvent appliquer des délais de prescription plus longues que le délai quadriennal minimal et l’entrée en vigueur du règlement ne conduit pas à l’obligation pour ces Etats de réduire à quatre ans les délais de prescription appliqués par eux avant. Dans les affaires concernant la protection des intérêts financiers de l’Union, régie par le Règlement no. 2988/95, et sur le fondement de l’art. 3, paragraphe 3 de ce Règlement, le principe de confiance légitime permet aux autorités administratives et judiciaires nationales de l’Etat membre d’appliquer « par analogie » un délai de prescription reposant sur la règle de portée générale du droit national, à l’égard d’un litige lié à la restitution d’un remboursement effectué de manière illégale en cas d’exportations, sous réserve que cette application, fondée sur la jurisprudence, ait été une circonstance suffisamment prévisible que la juridiction de renvoi est tenue de vérifier. Même dans le cadre de la possibilité prévue par l’art. 3, paragraphe 3 du Règlement pour les Etats membres de garder une importante marge de manœuvre, leur permettant de déterminer des délais de prescription plus longs, applicables en cas d’irrégularités préjudiciables aux intérêts financiers de l’Union, ces Etats sont tenus de respecter les principes généraux du droit de l’Union, et, notamment, le principe de proportionnalité. Voilà pourquoi un délai de prescription « plus long », au sens de l’art. 3, paragraphe 3 du Règlement no. 2988/95, ne doit pas aller manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de la protection des intérêts financiers de l’Union. Eu égard à ces considérations, la juridiction d’appel a admis que le délai de prescription de cinq ans, applicable d’après le droit civil bulgare, répond aux conditions décrites et qu’au moment du dépôt du recours, à compter du moment de l’irrégularité, il était prescrit. Troisièmement, la juridiction d’appel a examiné l’importance de la lettre no. 08-P-5/20.01.2011 relative à l’imposition de la correction financière. A cette fin, s’appuyant sur les Méthodes de détermination des corrections financières, le juge a fait la distinction entre « imposition d’une correction financière » et « réalisation d’une correction financière », et a donné une interprétation à la vérification des dépenses réalisées par le bénéficiaire au cours de l’exécution du projet. Le juge a admis que le rapport de l’autorité d’audit, présenté en l’espèce, constatant des violations, est un signalement d’irrégularité constaté, mais que la procédure, prévue dans art. 12 – l’art. 14 des Méthodes de détermination des corrections financières, n’a pas été appliquée. Ceci étant, le juge a abouti à la conclusion que la déclaration contenue dans la lettre en cause constitue l’exécution d’une correction financière, sans que la procédure d’imposition de la correction ait été appliquée, ce qui met à la charge du demandeur d’établir, en engageant une procédure civile ordinaire, la naissance de sa créance qui tire son fondement de l’irrégularité commise, laquelle irrégularité, au moment du dépôt du recours, était prescrite. Il a relevé que conformément au règlement, la suspension ou l’interruption de la prescription est régie par le droit de l’Etat membre et que par conséquent la lettre ne suspend pas et n’interrompt pas la prescription.

Sur la question de droit matériel, la présente formation de jugement considère ce qui suit :
Le Règlement no. 2988/95 introduit des règles générales relatives aux vérifications uniques et aux mesures et sanctions administratives concernant les irrégularités au regard du droit de l’Union, dans l’objectif de lutter contre des actes dirigés contre les intérêts financiers de l’Union dans tous les domaines. L’art. 1, paragraphe 2 donne une définition légale à la notion d’« irrégularité », selon laquelle il s’agit de « toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ». Conformément à la jurisprudence de la CJUE (arrêt du 26 mai 2016, rendu dans les affaires jointes C-260/14 et C-261/14, p. 46) la notion d’irrégularité, au sens de l’article 1, paragraphe 2 du Règlement no. 2988/95, doit être interprétée comme concernant non seulement toute méconnaissance de ce droit, mais aussi comme une méconnaissance des dispositions nationales garantissant la bonne application du droit de l’Union en matière de gestion des projets financés avec les ressources de l’Union. Le Règlement no. 2988/95 n’établit que des règles générales de contrôle et d’imposition de sanctions en vue de protéger les intérêts financiers de l’Union et la reconstitution des montants dépensés de manière irrégulière doit être effectuée sur la base d’autres dispositions, notamment, le cas échéant, sur la base des dispositions sectorielles (Arrêt de la CJUE du 18 décembre 2014 dans l’affaire C-599/13, point 37, Arrêt du 26 mai 2016 dans les affaires С-260/14 et С-261/14, point 32). Comme il s’ensuit de l’art. 2, paragraphe 3 et des considérants 3, 5 et 8 du Règlement no. 2988/95, dans le cadre des règles sectorielles établies en conformité avec les politiques communautaires concrètes, sont déterminées les modalités et les conditions de gestion décentralisée du budget, les règles et les principes applicables aux dispositifs nationaux de gestion et de contrôle, les irrégularités et les mesures et sanctions administratives. Dès lors, ce sont les autorités nationales compétentes qui doivent prendre en compte les dispositions sectorielles afin de déterminer si tel ou tel comportement constitue une « irrégularité » et, le cas échéant, procéder, sur la base de ces dispositions, à la reconstitution des montants utilisés de manière irrégulière.

Dans les cas où les corrections financières effectuées par les Etats membres portent sur des dépenses cofinancées par les fonds structurels en méconnaissance des dispositions régissant la passation des marchés publics, elles constituent des mesures administratives au sens de l’article 4 du Règlement no. 2988/95 (Arrêt de la CJUE du 26 mai 2016 dans les affaires jointes C-260/14 et C-261/14 concernant l’interprétation de l’art. 98, paragraphe 2, alinéa 1, phrase 2 du Règlement 1083/06). Ces mesures administratives ne sont pas considérées comme des sanctions (art. 4, paragraphe 4), mais comme un effet de l’établissement du fait indiquant que les conditions nécessaires pour l’obtention de l’avantage, découlant du cadre juridique communautaire, n’ont pas été respectées et que par conséquent l’avantage a été obtenu de manière indue (Arrêt de la CJUE du 4 juin 2009 dans l’affaire С-158/08, point 28 ; Arrêt du 14 septembre 2014 dans l’affaire С-341/14, point 45 ; Arrêt du 18 décembre 2014 dans l’affaire С-599/13, point 36 ; Arrêt du 26 mai 2016 dans les affaires С-260/14 et С-261/14, point 50).

L’art. 3 du Règlement no. 2988/95 établit les règles générales de limitation du délai dans lequel les poursuites liées à l’établissement de l’irrégularité et à l’imposition de mesures administratives ou de sanctions doivent avoir lieu et dans lequel les décisions prononçant des sanctions administratives doivent être appliquées. Conformément à l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 1 du Règlement, le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à compter du moment de la réalisation de l’irrégularité au sens de l’art. 1, paragraphe 1, étant donné que les règles sectorielles peuvent prévoir un délai plus court, qui ne saurait aller en deçà de trois ans. Ce délai de prescription s’applique à la fois aux irrégularités conduisant à l’imposition d’une sanction administrative au sens de article 5 du Règlement, et à celles qui font l’objet d’une mesure administrative au sens de l’article 4 de ce Règlement, lorsque la mesure vise à retirer un avantage indûment obtenu, mais sans pour autant avoir le caractère d’une sanction (en ce sens, l’arrêt du 29 janvier 2009 dans les affaires jointes C-278/07 et C-280/07, point 22). L’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 prévoit que la prescription est interrompue par tout acte porté à la connaissance de la personne en cause (les poursuites), émanant de l’autorité compétente et visant l’irrégularité, et que le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. Conformément à l’art. 3, paragraphe 2, alinéa 1 du Règlement, le délai d’exécution de la décision prononçant la sanction administrative est de trois ans ; il court à compter du jour où la décision est devenue définitive. Les modalités de suspension ou d’interruption de ce délai sont régies par les dispositions pertinentes du droit national (art. 3, paragraphe 2, alinéa 2). L’art. 3, paragraphe 3 du Règlement donne aux Etats membres la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu au paragraphe 1 et au paragraphe 2. Le délai au titre de l’art. 3, paragraphe 1 du Règlement no. 2988/95 vise à garantir la confiance légitime des opérateurs économiques qui doivent être en mesure d’établir quelles opérations ont produit des effets définitifs et quelles opérations peuvent encore faire l’objet de poursuites (Arrêt de la CJUE du 11 juin 2015 dans l’affaire С-52/14, point 25).

L’art. 3 du Règlement introduit deux délais de prescription différents : le premier, établi au paragraphe 1, concerne les poursuites visant l’imposition de mesures et de sanctions administratives pour cause d’irrégularités réalisées au sens de l’art. 1, paragraphe 2, y compris le retrait de l’avantage indûment obtenu à la suite des opérations économiques concernées, et plus particulièrement, l’obligation de reconstituer les montants indûment obtenus ; le deuxième, établi au paragraphe 2, concerne l’exécution de la décision prononçant la sanction administrative. Cette appréciation s’ensuit sans aucun doute des différents délais prévus, mais aussi de l’approche différente retenue vis-à-vis du traitement des hypothèses d’interruption et de suspension de la prescription. En ce qui concerne les hypothèses d’interruption et de suspension du premier délai, il y a lieu d’appliquer l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 du Règlement, directement applicable dans les Etats membres sans égard au fait si c’est la prescription de quatre ans, établie à l’alinéa 1, qui est appliquée, ou le délai plus court, prévu par les règles sectorielles, ou le délai plus long, prévu par le droit national de l’Etat membre. La règle de l’art. 3, paragraphe 3 ne concerne que la possibilité donnée aux Etats membres d’appliquer des délais plus longs que ceux prévus au paragraphe 1 et au paragraphe 2, compte tenu des traditions juridiques dans ces Etats et la période de temps que leur ordre juridique perçoit comme nécessaire et suffisant pour que l’administration en charge puisse sanctionner les irrégularités réalisées au préjudice des autorités publiques et des budgets nationaux (Arrêt du 5 mai 2011 dans les affaires jointes C-201/10 et C-202/10, point 39), mais ne concerne pas les modalités établies par l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 d’interruption de la prescription en cas de poursuites visant la constatation des irrégularités.

Les considérations ainsi exposées déterminent la réponse suivante à la question de droit matériel posée : la règle de l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 du Règlement no. 2988/1995, régissant les hypothèses d’interruption du délai de prescription, est applicable aux poursuites liées à la détermination et à l’imposition de corrections financières à la suite d’irrégularités ponctuelles ou systématiques, établies dans des opérations ou des programmes opérationnels, financés en République de Bulgarie par des fonds de l’Union européenne, constituant des mesures administratives au sens de l’art. 4 du Règlement no. 2988/1995, sans égard au fait si c’est la prescription de quatre ans, établie à l’alinéa 1, qui est appliquée, ou le délai plus court, prévu par les règles sectorielles, ou le délai plus long, prévu par le droit national de l’Etat membre conformément à l’art. 3, paragraphe 3.

Sur le bien-fondé du pourvoi en cassation.
La solution apportée par la juridiction d’appel à la question de droit, sur laquelle le pourvoi en cassation a été admis, est en contradiction avec la réponse donnée par la présente formation de jugement, car la juridiction d’appel a admis de manière erronée que, conformément au Règlement no. 2988/95, la suspension et l’interruption de la prescription des poursuites, liées à la détermination et à l’imposition de corrections financières, sont régies par le droit de l’Etat membre. Cela a fondé l’appréciation du fond de la juridiction d’appel de prescription de la créance du demandeur, née de la réalisation d’une irrégularité, en raison du délai arrivé à expiration à la date du dépôt du recours, car conformément au droit bulgare, admis comme applicable, la lettre du 20 janvier 2011 ne suspend pas et n’interrompt pas la prescription. Compte tenu de cette appréciation erronée, la juridiction d’appel n’a pas examiné les moyens et les exceptions soulevés par les parties, ni les éléments de preuve recueillis en ce qui concerne l’existence d’une irrégularité au sens de l’art. 1, paragraphe du Règlement no. 2988/95 et de l’art. 2 du Règlement 1083/06 et la détermination du montant de la correction financière. La juridiction d’appel n’a pas examiné non plus l’ensemble des éléments de preuve recueillis en l’espèce, concernant les allégations du demandeur relatives à l’imposition de la correction financière – le rapport présenté de l’Agence exécutive d’audit des fonds européens, les observations du défendeur sur ce rapport no. 92-00-305-100/16.092010, l’ordonnance no. RD-02-14-2183/09.12.2010 du vice-ministre du développement régional et des travaux publics – ce qui est à l’origine d’un des griefs soulevés dans le pourvoi en cassation. La juridiction d’appel n’a pas appliqué la règle impérative de l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 du Règlement no. 2988/1995, régissant les hypothèses d’interruption du délai de prescription, et a commis un vice de procédure car, en raison de cela et étant donné la qualification erronée donnée par la juridiction de première instance à l’exception soulevée par le défendeur de la prescription au titre de l’art. 111, lettre b de la Loi sur les obligations et les contrats, elle n’a pas donné aux parties la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve concernant son application, ni examiné l’importance des éléments de preuve cités ci-dessus dans le contexte de l’art. 3, paragraphe 1, alinéa 3 du Règlement no. 2988/1995.

Le non-examen des moyens, des exceptions et des éléments de preuve indiqués, tant par la juridiction de première instance que par la juridiction d’appel, et la violation des formes substantielles commise par la juridiction d’appel imposent l’annulation de l’arrêt attaqué et le renvoi de l’affaire, sur le fondement de l’art. 293, alinéa 3 du CPC, à la juridiction d’appel pour réexamen par une autre formation de jugement de celle-ci.

Sur le fondement de l’art. 294, alinéa 2 du CPC, la juridiction d’appel doit statuer sur les frais engagés pour la procédure du fond, y compris pour la procédure en cassation.

Sur ces motifs, la Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, formation de jugement de Deuxième section, sur le fondement de l’art. 293, alinéa 1 en lien avec l’alinéa 3 du CPC,

A RENDU L’ARRET SUIVANT :

ANNULE l’arrêt no. 184 du 19 juillet 2018, rendu dans l’affaire commerciale en appel no. 288/2018 par la Cour d’appel de Varna, Section commerciale.
RENVOIE l’affaire à la Cour d’appel de Varna pour réexamen par une autre formation de jugement de cette cour.

L’arrêt n’est pas susceptible de recours.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 2905-2018
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Arrêt

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bg;cour.supreme.cassation;arret;2020-04-02;2905.2018 ?
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