Sofia, 01 juin 2017
AU NOM DU PEUPLE
La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Première chambre pénale, à son audience publique de ce vingt-deux mai deux mille dix-sept, composée de :
PRESIDENTE : BLAGA IVANOVA
MEMBRES :
MINA TOPOUZOVA
SPAS IVANTCHEV
et la greffière Mira Nedeva, en la présence du procureur Kiril Ivanov, a entendu l’affaire de cassation No 488 d’après le rôle de 2017, rapportée par la juge IVANOVA.
La procédure de cassation a été ouverte à la suite d’un pourvoi formé par l’accusateur privé D.I.P. contre le nouveau jugement d’appel rendu par le Tribunal de grande instance de Sofia le 17 mai 2016 sur l’affaire pénale d’appel No 477/16, annulant la partie contenant la condamnation du jugement prononcé par le Tribunal d’instance de Sofia le 15 décembre 2015 sur l’affaire pénale No 7789/13 et reconnaissant non coupables les deux accusés B.A.V. et E.V.V. pour avoir le 4 mars 2013, en agissant en complicité et conjointement, imputé le crime meurtre à D.I.P. par les propos suivants: « Elle a appelé son cousin D. et ils l’ont descendu au garage... Là-bas, ils l’ont tué avec son pistolet, près de la voiture. C’est pourquoi le sang était là. Ensuite, ils l’ont mis sur le siège et ils ont tout arrangé pour que ça a l’air d’un suicide », cette diffamation ayant été diffusée par la presse (article dans le journal 24 Tchassa, numéro 62 du 4 mars 2013, dans une interview accordée au journaliste L.I.), à la suite de quoi et en vertu de l’art. 304 du Code de procédure pénale (CPP), ils ont été acquittés du chef d’accusation fondé sur l’art. 148, alinéa 2 en lien avec l’alinéa 1, point 2 en lien avec l’art. 147, alinéa 1, hypothèse 2 en lien avec l’art. 20, alinéa 2 du Code pénal (CP), le reste du jugement ayant étant confirmé.
Par son jugement, le tribunal d’instance avait reconnu coupables les accusés В. pour avoir le 4 mars 2013, en agissant en complicité et conjointement, imputé le crime meurtre à D.I.P. par les propos suivants: „Elle a appelé son cousin D. et ils l’ont descendu au garage... Là-bas, ils l’ont tué avec son pistolet, près de la voiture. C’est pourquoi le sang était là. Ensuite, ils l’ont mis sur le siège et ils ont tout arrangé pour que ça a l’air d’un suicide », une diffamation diffusée par la presse (article dans le journal 24 Tchassa, numéro 62 du 4 mars 2013, dans une interview accordée au journaliste L.I.), constituant une infraction pénale au titre de l’art. 148, alinéa 2 en lien avec l’alinéa 1, point 2 en lien avec l’art. 147, alinéa 1, hypothèse 2 en lien avec l’art. 20, alinéa 2 du CP, à la suite de quoi et en vertu de l’art. 78а du CP, les accusés ont été libérés de la responsabilité pénale et une peine administrative, amende de 1 000 leva, a été infligée à chacun d’eux ; en outre, ils ont été déclarés non coupables pour les propos : « lui et son épouse estiment tous deux que J. a été tué par K., en complicité avec son cousin D. », et qu’« ils accusent de sa mort K., la fiancée de J. ...., lui et son épouse estiment tous deux que J. a été tué par K. , en complicité avec son cousin D.... », à la suite de quoi et en vertu de l’art. 304 du CPP, ils ont été acquittés du chef d’accusation fondé sur l’art. 148, alinéa 2 en lien avec l’alinéa 1, point 2 en lien avec l’art. 147, alinéa 1, hypothèse 2 en lien avec l’art. 20, alinéa 2 du CP.
Le pourvoi se fonde sur l’art. 348, alinéa 1, points 1 et 2 du CPP. Les moyens suivants y sont avancés : les éléments de preuve ont été appréciés de façon sélective, partielle et biaisée ; le témoignage du témoin I. n’a pas été interprété du point de vue de son contenu objectif ; la juridiction d’appel a admis de façon erronée que les accusés avaient exprimé leurs suppositions et doutes et non des allégations discréditant la réputation de l’accusateur privé ; la juridiction d’appel a formulé des conclusions erronées quant à l’application de la loi matérielle ; alors que l’infraction pénale commise était une diffamation, l’acquittement des accusés a conduit à une application erronée de la loi matérielle.
Il est demandé dans le pourvoi d’annuler l’acte rendu en appel et de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit de nouveau jugée par une autre formation de jugement du Tribunal de grande instance de Sofia.
Lors de l’audience devant la présente instance, l’avocat de l’accusateur privé plaide en faveur de l’accueil du pourvoi.
Le demandeur ne participe pas en personne à la procédure devant la CSC.
La défense considère que l’acte rendu en appel doit être maintenu.
L’accusé В. demande que le pourvoi soit rejeté.
L’accusée В. exprime la même position.
Le représentant du Parquet auprès de la Cour suprême de cassation considère que le pourvoi est infondé.
La Cour suprême de cassation, après avoir examiné les moyens avancés par les parties et, dans les limites de sa compétence, a constaté ce qui suit :
Le moyen tiré de l’art. 348, alinéa 1, point 2 CPP, n’est pas valable.
La juridiction d’appel a procédé à une analyse des éléments de preuve conformément aux exigences de la procédure et a tiré des conclusions correctes sur les faits pertinents. Les preuves orales, ressortant des témoignages du témoin I., du témoin N., du témoin N., ont été correctement interprétées, ainsi que les explications fournies par les accusés, au même titre que les preuves écrites décrivant la situation de fait admise par les deux instances sur le fond. La divergence entre la première instance et l’instance d’appel ne concerne pas les faits établis, mais les conclusions de droit tirées sur la base de ces faits. Il y a de la coïncidence dans les avis exprimés par les deux instances quant au manque de conformité, en tant qu’éléments constitutifs de l’infraction, des propos incriminés, sur la base desquels l’acquittement a été prononcé dès la première instance, parce que la juridiction d’appel n’a que confirmé le jugement rendu sur ce point. Il a été correctement conclu que le motif de l’acquittement reposait sur le fait que, du point de vue objectif, les propos visés ne contenaient pas d’affirmations des accusés, mais un compte-rendu des événements de la part du témoin I. qui avait mené l’investigation journalistique. Ceci est d’autant plus vrai qu’il n’est pas possible d’engager la responsabilité pénale d’une personne pour des affirmations exprimées par une autre personne, même quand ces dernières reposent sur des informations fournies par l’accusé, parce que la conformité des propos diffamatoires, en tant qu’éléments constitutifs de l’infraction, exige qu’ils soient énoncés par l’auteur de l’infraction en personne. Dans cette situation, il a été correctement admis qu’il ne s’agissait pas de diffamation et les accusés ont été acquittés du chef d’accusation soulevé contre eux dans la partie visée du jugement.
La juridiction d’appel a correctement conclu sur l’absence de conformité entre les éléments constitutifs de l’infraction et la seconde accusation de diffamation vis-à-vis de laquelle la première instance avait appliqué l’art. 78а du CP. En ce sens, il est important de relever comme suit : pour que la diffamation soit constituée, il faut que des propos diffamatoires soient formulés par rapport à une certaine personne ou que l’auteur ait imputé à cette personne une infraction pénale en sachant dès le début que l’information est fausse ou que l’infraction n’a pas eu lieu ou n’a pas été commise par cette personne. En l’occurrence, le critère appliqué par la première instance quant à l’absence de conformité des éléments constitutifs de l’infraction du point de vue objectif (qu’il s’agit d’une information qu’on a partagée et dont on a rendue compte) est valable également par rapport aux autres propos incriminés dans le pourvoi. Tout l’article est dominé par la présence d’auteur du témoin I. qui a raconté l’événement en interprétant ce qu’il avait appris des parents du défunt, J.V. D’autre part, les accusés avaient raconté leur propre version des événements en étant convaincus que cette version était la plus crédible. Il a été établi que l’avis des autorités d’enquête était complètement différent, notamment que la procédure pénale pour la mort de J.V. était ouverte contre X pour infraction pénale au titre de l’art. 127, alinéa 1 du CP. Mais les parents avaient rejeté (au sens habituel de ce mot) une telle version et dès qu’ils avaient appris la mort absurde de leur fils, ils avaient pensé qu’il avait été tué et avaient cherché les « coupables ». Cette circonstance était d’une importance essentielle pour l’issue de l’affaire, parce qu’elle excluait l’existence d’une conformité des éléments constitutifs de l’infraction du point de vue subjectif, ce qui suffisait pour prononcer l’acquittement.
Ensuite, la présente instance partage les considérations exprimées par la juridiction d’appel en ce qui concerne le droit des citoyens à former librement leur propre opinion sur certaines questions et à l’exprimer publiquement, ce droit étant garanti par la Constitution et les lois de la République de Bulgarie, ainsi que par les actes internationaux : le Pacte international des droits civils et politiques, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’instance d’appel a cité la jurisprudence du CSC et de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle « dans un Etat démocratique et de droit chacun a le droit, sans peur de sanctions, d’exprimer publiquement son opinion sur toute question, tant par des déclarations anodines ou neutres que par des propos qui peuvent vexer, choquer ou déranger, parce que telles sont les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sans lesquelles il n’y aurait pas de société démocratique ». La jurisprudence citée complète les conclusions relatives au manque de motifs susceptibles d’engager la responsabilité pénale des accusés, lesquelles conclusions restent correctes et sont partagées par la présente instance. Voilà pourquoi la juridiction d’appel, après avoir admis qu’aucun des propos incriminés ne représentait de diffamation, a complètement acquitté les accusés en formulant correctement les conclusions de droit et en appliquant bien la loi matérielle.
Ceci étant, la CSC considère qu’il n’y a pas de violation de l’art. 348, alinéa 1, points 1 et 2 du CPP et que, par conséquent, la demande d’annulation de l’acte rendu en appel et de renvoi de l’affaire pour qu’elle soit de nouveau jugée par une autre formation de jugement du Tribunal de grande instance de Sofia ne peut pas être accueillie.
En considérant ce qui précède et en vertu de l’art. 354, alinéa 1, point 1 du CPP, la CSC, Première chambre pénale,
A RENDU L’ARRET SUIVANT :
MAINTIENT le nouveau jugement d’appel rendu par le Tribunal de grande instance de Sofia le 17 mai 2016 sur l’affaire pénale d’appel No 477/16.
L’arrêt n’est pas susceptible de recours.
PRESIDENTE : MEMBRES :