18/01/2024 PARTIES :
Appelant : MINISTÈRE PUBLIC
Intimé : M. DPC
Défenseur judiciaire : JPS
Intimé : Mme EPD,
Avocat : Maître JGI
COMPOSITION DE LA COUR :
Président : M. Vincent ANIÈRE
Magistrats : M. Carles CRUZ MORATONES
M. Jaume TOR PORTA
ARRÊT 000010/2024
À Andorre-la-Vieille, le 18 janvier 2024.
Au nom du peuple andorran.
Après s’être réunie, la Chambre Civile du Tribunal Supérieur de Justice d'Andorre a entendu l'appel contre la procédure susmentionnée.
Dans le traitement de cette procédure, les prescriptions légales ont été observées, et M. Jaume TOR PORTA, qui exprime l'opinion du Tribunal, a agi en tant que juge rapporteur.
EXPOSÉ DES FAITS
1.- Le 29/07/2022, Mme EPD a déposé une demande de modification de la capacité de son fils, M. CPD et a demandé qu'un jugement soit rendu procédant à la modification partielle de sa capacité, établissant comme mesure de protection la curatelle dans le domaine de la santé, des biens et de l'administration, fixant l'intervention des curateurs pour les actes visés aux articles 42.1 et 57.2 de la Loi qualifiée de modification de capacité, tout en nommant ses parents curateurs indistincts.
2.- Le défenseur judiciaire de M. CPD a répondu à la demande et exprimé une conformité partielle vis-à-vis des prétentions formulées, pour autant que les pathologies de son client soient dûment constatées au cours de la période d’administration de la preuve.
3.- Le ministère public, en revanche, s'est opposé à la demande formulée, tant que les faits rapportés ne soient pas dûment justifiés.
4.- Après avoir mis en place les moyens de preuve jugés nécessaires et que les parties au procès ont produit leurs conclusions respectives, un jugement a été prononcé le 10/07/2023, contenant les décisions suivantes :
« PREMIÈREMENT.- De déclarer que M. CPD, né le 2 janvier 1997 au Portugal et, de nationalité portugaise, est atteint d'un handicap.
DEUXIÈMEMENT.- De constater que les accompagnements volontaires nécessaires à M. CPD sont faits de manière satisfaisante par ses aidants, à savoir MM. EPD et ADF, sans qu'il soit opportun de les établir judiciairement, dans les termes établis dans le fondement de la quatrième Loi.
DEUXIÈMEMENT.- De déclarer l'invalidité de M. CPD pour l’usage éventuel d’armes.
TROISIÈMEMENT.- D’ordonner la révision d'office des mesures d'accompagnement dans un délai maximal de 3 ans, sans préjudice du fait qu'elle puisse être sollicitée par les personnes autorisées à cet effet et par la personne qui fournit l'accompagnement si les circonstances qui ont déterminé son adoption actuelle varient entre-temps et, le tout, afin de les élargir, de les réduire ou de les révoquer (art. 15 de la loi 30/2022).
QUATRIÈMEMENT.- De remettre une copie légalisée de ce jugement, une fois devenue définitif, au Registre Civil de la Principauté d'Andorre afin qu’il puisse procéder aux inscriptions correspondantes ».
5.- Le ministère public a interjeté appel de cette décision de justice, demandant la révocation partielle établissant l'octroi de mesures d’accompagnement en faveur de M. CPD dans tous les domaines de sa vie, nommant MM. EPD et ADF curateurs et, d'autre part, prononçant que le handicap de M. CPD soit étendu à la conduite des véhicules.
6.- Le défenseur judiciaire de M. CPD et la direction juridique de Mme EPD, ont exprimé leur conformité concernant la première prétention formulée. Ils s'opposent toutefois à la demande présentée relative à l'interdiction de conduire des véhicules automobiles.
FONDEMENTS JURIDIQUES
Premièrement.- Le but de ce recours consiste à statuer sur la portée objective de prise en charge d’accompagnement, telle que prévue par la loi 30/2022 qualifiée de la personne et de la famille, et plus précisément à analyser si cette mesure d'accompagnement des personnes handicapées peut être fournie par le juge dans le cadre d’un dossier judiciaire établissant des mesures d'accompagnement. De manière complémentaire, nous devrons nous prononcer sur le bien-fondé de déclarer que M. CPD n’est pas apte à conduire des véhicules comme demandé par le procureur.
Deuxièmement.- Prise en charge d’accompagnement : concept et portée.
Bien que l’accompagnement constitue la mesure traditionnelle d’aide ou de protection des personnes, il a fallu attendre la Loi 30/2022 qualifiée de la personne et de la famille, pour que le législateur la règlemente succinctement aux articles 64 et suiv. Concrètement, il a défini la notion d’aidant comme « [···] la personne qui exerce des fonctions de protection d'un mineur ou d’accompagnement d'une personne handicapée sans un titre formel qui légitime son action tant qu'un système formel de protection ou de soutien n'a pas été établi ou que le régime existant n’est pas de nouveau opérationnel », en précisant ses fonctions (art. 65), en reconnaissant le droit au remboursement des dépenses engagées à la charge du patrimoine de la personne accompagnée (art. 66) et tout en prévoyant son contrôle par l'autorité judiciaire et l’obligation de rendre des comptes à la fin de sa gestion (art. 67).
En se concentrant sur les caractéristiques de l’accompagnement, nous pouvons déduire de la définition juridique retranscrite qu’elle a été conceptualisée comme un moyen de soutien informel et transitoire (la Loi établit « tant qu'un régime formel de protection ou de soutien n’a pas été mis en place »). Cependant, à partir du moment où la Loi n’établit pas un débit spécifique de communication de l'existence de cette mesure de soutien à l'autorité judiciaire, ce caractère transitoire se dilue, l’accompagnement s’érigeant comme un mécanisme de protection stable et indéfini, une conclusion qui semble ratifier l’exposé des motifs de la Loi, lorsqu'elle indique : « En outre, la Loi présuppose que dans certains cas, la curatelle ne sera pas établie si la personne concernée a accordé des pouvoirs préventifs en prévision d'un futur besoin de soutien ou si la personne handicapée bénéficie déjà d’une aide satisfaisante apportée par l’aidant sans que les tribunaux aient à intervenir [···] ».
Cependant, lorsque la prise en charge d’accompagnement doit être fournie par l'autorité judiciaire, soit parce que la personne concernée ne l’a pas envisagé elle-même, soit lorsque aucun aidant ne la fournit de manière satisfaisante, on ne peut recourir qu’aux mécanismes formels d’accompagnement ce qui, dans l'état de notre droit, se limite aux figures de la curatelle et du défenseur judiciaire (art. 13.1) et il résulte impossible dans ce cas qu’ils soient établis à travers la figure de l’aidant.
Si les considérations ci-dessus sont transférées au cas d’espèces, le recours du ministère public devra aboutir. En effet, non seulement les parties au procès, après une courte période au cours de laquelle une modalité d’accompagnement a été suivie, se sont tournées vers les organes juridictionnels pour demander l'adoption de mesures d’aide, mais il ressort également des moyens de preuve pratiqués qu’un diagnostic de schizophrénie paranoïde a été posé concernant M. CPD, ce qui implique que ce dernier suive un traitement médical et pharmacologique strict, sans lequel il présente de graves dysfonctionnements comportementaux qui lui ont valu divers problèmes juridiques comme il a été rapporté. Dans une telle situation, les mesures d'accompagnement nécessaires interviennent dans le domaine patrimonial pour autant que les transactions soient pertinentes, l'exécution des actes de dernière volonté, ainsi que le suivi des directives médicales prescrites. Il s’agit, surtout dans le cas de la dernière, d’une intervention pertinente qui dépasse même les pouvoirs qu'un aidant peut développer normalement requérant inexorablement l'établissement d'une curatelle, instituant comme curateurs ses parents, MM. EPD et ADF.
Au vu de tout ce qui a été exposé, il conviendra d’admettre le premier motif du recours exposé par le ministère public et de révoquer le jugement prononcé dans le sens indiqué.
Troisièmement.- Concernant l'interdiction de conduire des véhicules à moteur.
Le ministère public estime que le jugement prononcé devrait être complété pour établir que M. CPD n'était pas en mesure de conduire.
Ce point du recours ne pourra être accepté pour les raisons suivantes. La Loi 30/2022 qualifiée de la personne et de la famille, envisage pour les personnes handicapées l'exercice de leur capacité juridique dans des conditions d'égalité comme pour le reste des individus (art. 9.1), reprenant les termes de l'art. 12 de la Convention de New York relative aux droits des personnes handicapées. À cet effet, elle prévoit le recours aux mécanismes d'accompagnement qui peuvent être nécessaires à chaque occasion (théorie du sur-mesure) pour la personne concernée.
La prétention du ministère public porte atteinte à l'esprit de cette Loi puisqu'elle cherche non seulement à adopter des restrictions légales qui ne sont pas prévues par la Loi dans une procédure judiciaire qui cherche à garantir aux handicapés l'exercice de leur capacité dans sa plus grande expression, mais elle les exerce en plus selon une procédure autre que celle qui serait suivie pour le reste des individus, affectant ainsi le principe d'égalité.
La prétention du ministère public devra être acheminée par la voie administrative appropriée à travers laquelle, avec toutes les garanties, M. CPD, puisse articuler ses moyens de défense. À cet effet, l'organe d’instance devra communiquer la présente décision de justice à l'autorité compétente pour engager la procédure légale la plus indiquée.
Quatrièmement.- Dépens.
Compte tenu de la nature de la présente procédure, il ne convient pas de condamner les parties aux dépens dans aucune des instances.
Au vu de tout ce qui a été exposé, le Tribunal Supérieur de Justice, chambre civile,
A DÉCIDÉ
D’admettre partiellement le recours en appel formé par le ministère public contre le jugement 83/2023 du 10/07/2023, révoquant le deuxième point de sa partie décisionnelle en établissant vis-à-vis de M. CPD, sa curatelle qui devra intervenir dans le domaine patrimonial dans les mesures où les transactions auront un contenu économique pertinent, pour l'exécution d’actes de dernière volonté, ainsi que le suivi effectif des directives médicales et pharmacologiques prescrites, instituant pour cela comme curateurs ses parents MM. EPD et ADF.
Pour le reste, nous confirmons la décision de justice prise, sans qu'il soit opportun de condamner les parties aux dépens dans aucune des deux instances, en précisant que la Batllia devra communiquer cette décision à l'autorité compétente pour entamer la procédure légale opportune concernant l'éventuelle privation du permis de conduire de M. CPD.
Cet arrêt est définitif et exécutoire.
Ainsi, à travers notre jugement, nous l’ordonnons et le signons.