La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2022 | CADHP | N°052/2016

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 01 décembre 2022, 052/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
A Ao AN
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 052/2016
ARRÊT
1° DÉCEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Exception d’incompétence matérielle
B Autres aspects de la compétence
VI

SUR LA RECEVABILITÉ
Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
Exception tirée du non-épuisement des recours internes
Il E...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
A Ao AN
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 052/2016
ARRÊT
1° DÉCEMBRE 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Exception d’incompétence matérielle
B Autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
Exception tirée du non-épuisement des recours internes
Il Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable Autres conditions de recevabilité
VII. SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit à la vie
B Violation alléguée du droit à un procès équitable
1 Violation alléguée du droit à être jugé dans les meilleurs délais
Il Violation alléguée du droit à une représentation judiciaire efficace
C Violation alléguée du droit à la dignité et à ne pas subir des traitements
cruels innumains ou dégradants
1 Sur la longue période de détention avant procès ayant donné lieu à un
traitement dégradant subi par le Requérant
il, Sur la détention du Requérant dans le couloir de la mort
VIII SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
B Réparations non-pécuniaires
1 Amendement de la loi pour gara10i12l14r15p16t22u22r25t29 30 31e33l Restitution 10
10
12
14
15
16
22
22
25
29
30
31
33
35
35
36 ii. Publication
iv. Surla mise en œuvre et la soumission de rapports
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
X. DISPOSITIF La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Bo Ay
AK, Xb X, Ak Bt AO, Cf Y, Stella
|. ANUKAM, At Ck AJ, Cn AQ et Bh Af ADJEl — J uges, et
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour” (ci-après désigné « le Règlement »), la J uge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
A Ao AN
représenté par :
Me Donald DEYA, Directeur exécutif de l'Union panafricaine des avocats
(UPA);
ii. M° Ar Ce AL, Legal and Ca Xk Centre, Dar es-Salaam,
agissant au nom de la Cornell University Law School, Cornell Centre on the
Cg By Cr.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
Ah Cl Bl Xd, Be Br, Bureau du Solicitor General ;
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
ii Mme Ci Cb AG, Be Br adjointe, Bureau du
Solicitor General ;
ii. M. An AM, Ambassadeur, Chef de l'Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine, régionale et
internationale ;
iv. Mme Cx B, Directrice adjointe, Droits de l'homme, Principal
Ap Aj, Cabinet de l’Aj Br ;
v. M. Xl Z, Bm Ap Aj, Cabinet de l’Aj Br ;
vi. M. Bu Bc AH, Foreign Service Officer, ministère des Affaires étrangères
et de la Coopération Est-africaine, régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
L LES PARTIES
1. Le sieur A Ao AN Cci-après dénommé « le Requérant »)
est un ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente
Requête, était incarcéré à la prison centrale de Butimba, Mwanza après
avoir été reconnu coupable et condamné à mort pour meurtre. Le
Requérant allègue la violation de ses droits dans le cadre des procédures
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole
(ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte la
compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus et
d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019 l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devantelle avant sa prise
d'effet un (1) an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier devant la Cour que le Requéranta été condamné pour
meurtre sur trois (3) enfants. Les trois meurtres se sont produits le 18
décembre 2003 dans le village de Businde (District de Karagwe) à une
époque où le Requérant était un soldat et formateur d’une branche des
Forces de défense du peuple tanzanien.
4, Le 30 juillet2010, la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Bg, l’a déclaré
coupable et l’a condamné à la mort par pendaison.
5, Se sentant lésé par cette décision, il a saisi la Cour d’appel de Tanzanie
siégeant à Mwanza d’un recours, qui a été rejeté dans son intégralité le 11
mars 2013.
6. Le 12 mars 2013, le Requéranta introduit devant la Cour d’appel un recours
en révision au motif que le premier jugement était entaché d'erreurs
manifestes. Au moment du dépôt de la présente Requête, le recours en
révision n’avait été ni instruit ni inscrit au rôle des audiences.
7. || ressort des informations communiquées par l’État défendeur, le 14
décembre 2018, que la Cour d'appel a rejeté le recours en révision au motif
qu'il n’était pas fondé.
? Xi Bf Xf c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
B. Violations alléguées
8. Le Requérantallègue que l’État défendeur :
i. a violé les articles 4 et 7 de la Charte, et l’article 6 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) après que
la peine de mort obligatoire a été imposée au Requérant ;
ii. a violé l’article 7 de la Charte pour n'avoir pas fourni de conseil au
Requérant, et pour l’avoir maintenu en détention préventive
pendant plus de six (6) ans avant son procès ; et
ii. a violé l’article 5 de la Charte lorsque le Requéranta été maintenu
en détention provisoire et dans des conditions de détention
inhumaines et dégradantes.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. La Requête introductive d'instance a été reçue au Greffe le 9 septembre
2016 et communiquée à l’État défendeur le 16 novembre 2016.
10. Après plusieurs prorogations de délai, les Parties ont soumis leurs
observations sur le fond et les réparations, conformément aux instructions
de la Cour.
11, Le 5 mars 2018, la Cornell University Law School a introduit devant la Cour
une demande aux fins d'assurer, aux côtés de PALU, la représentation pro
bono du Requérant. La Cour a accueilli la demande et transmis le dossier
du Requérant à ladite faculté.
12. Le 18 mai 2020, la Cornell University Law School a soumis, au nom du
Requérant, des observations amendées. Celles-ci ontété communiquées à
l’État défendeur le 1° juin 2020. Malgré plusieurs prorogations de délai,
l’État défendeur n’a pas répondu à la Requête amendée.
13. Les débats ont été clos le 30 juin 2022 et les Parties ont été dûment
notifiées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
14. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle ordonne à l’État défendeur de :
i. Annuler la condamnation à mort et ordonner que le Requérant
bénéficie d’un nouveau procès conforme aux garanties de procès
équitable de la Charte africaine ; età titre subsidiaire,
ii. Annuler la peine capitale et ordonner que le Requérant bénéficie
d’une nouvelle audience de fixation de peine ;
ill. Amender sa loi pour garantir le respect de la vie.
15. L'État défendeur demande, quant à lui, à la Cour de :
i. Dire qu’elle n’est pas compétente en l’espèce ;
ii. Déclarer la Requête irrecevable au motif que le Requérant n’a pas
épuisé les recours internes et ne l’a pas déposée dans un délai
raisonnable.
ii. Dire que l’État défendeur n’a violé aucune des dispositions de la
Charte, tel qu’allégué par le Requérant ; et
iv. Rejeter les demandes du Requérant et lui adjuger les dépens.
V. SUR LA COMPÉTENCE
16. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et
l’application de la Charte, du [.…] Protocole, et de tout autre instrument
pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
17. La Cour relève également qu'aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [..]
conformément à la Charte, au Protocole et au […] Règlement »°.
18. Compte tenu de ce qui précède, la Cour esttenue de procéder à l'examen
de sa compétence et de statuer sur les éventuelles exceptions qui s’y
rapportent.
19. La Cour constate que l'État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle en l'espèce. La Cour examinera ladite exception
(A) avant de se prononcer sur les autres aspects de sa compétence (B) si
nécessaire.
A. Exception d’incompétence matérielle
20. L'État défendeur fait valoir que la Cour de céans n’est pas dotée d’une
compétence d'appel qui lui permette d’examiner des questions de fait et de
droittelles que l’aliénation mentale plaidée par le Requérant comme moyen
de défense dans la présente affaire. Selon l’État défendeur, cette question
a été définitivement tranchée par la Cour d’appel.
21. L'État défendeur soutient également que la Cour de céans n’est pas
compétente pour examiner la présente Requête puisqu'elle ne peut pas
annuler la condamnation et la peine ou ordonner la remise en liberté du
Requérant.
3 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
22. Le Requérant réfute l'exception soulevée par l’État défendeur et affirme que
la Cour estcompétente en l’espèce dans la mesure où la présente Requête
allègue une violation des droits garantis par la Charte et le PIDCP*,
23. La question qui se pose dans la présente affaire relativement à la
compétence est celle de savoir si la Cour est compétente pour l’examiner
et faire droit aux demandes du R equérant.
24. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme et
ratifié par l’État concemés.
25. La Cour rappelle également que, conformément à sa jurisprudence établie,
elle n’exerce pas de compétence d'appel à l’égard des requêtes déjà
examinées par les juridictions nationales. Toutefois, la Cour réitère sa
position selon laquelle elle conserve le pouvoir discrétionnaire d’apprécier
la pertinence des procédures internes par rapport aux normes énoncées
dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés
par l’État concerné”,
26. En l'espèce, le Requérant demande à la Cour d'apprécier si la procédure
devant les juridictions nationales a été menée conformément aux
obligations de l’État défendeur découlant de la Charte, du PIDCP et des
autres instruments relatifs aux droits de l'homme qu'il à ratifiés. La Cour est,
* Ratifié par l’État défendeur le 11 juin 1976.
5 Cd Xc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020, $ 18.
8 Ernest Bn Bz c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RJ CA 197, 88 14 à 16.
7 Bw Co c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RJ CA 493, $ 33 ; Bd Bs Bd et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RJ CA 539, $ 29 et Cv Ag c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RJ CA 482, $ 130.
en vertu des dispositions de l’article 3(1) du Protocole, habilitée à veiller au
respect de ces obligations.
27. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et conclut qu’elle a la compétence matérielle en l'espèce.
B. Autres aspects de la compétence
28. La Cour fait observer qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à la règle 49(1) du Règlement, elle doit s'assurer que tous
les aspects de sa compétence sont satisfaits avant de poursuivre l'examen
de la Requête.
29. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour rappelle en outre qu’elle a décidé, dans ses
arrêts antérieurs, que le retraitde la Déclaration n’avaitaucun effet rétroactif
et aucune incidence, ni sur les affaires introduites avant le dépôt de
l'instrument de retrait, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie
avant que ledit retrait ne prenne effet, comme c’est le cas en l’espèce.S À la
lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence
temporelle pour examiner la présente Requête.
30. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant sont survenues après que l’État défendeur est
devenu partie à la Charte etau Protocole. En outre, les violations alléguées
sont continues par nature, la condamnation du Requérant étant maintenue
sur la base de ce qu’il considère comme une procédure inéquitable®.
8 Xi Bf Xf c. Tanzanie (fond et réparations), $$ 35 à 39 ; Am Az Ch c. République-Unie du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RJ CA 585, $ 67.
? Voir Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 8 Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence
temporelle pour examiner la présente Requête.
31. Pour ce qui est de sa compétence territoriale, la Cour relève que les
violations alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de
l’État défendeur, qui est partie au Protocole. La Cour en conclut qu’elle a la
compétence territoriale.
32. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
33. En vertu de l'article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
34. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, etau
35. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
mai 2017) 2 RJ CA 9, 88 64 et 65 ; Ai Cz et autres c. Ct Cj (exceptions préliminaires) (25 juin 2013) 1 RJ CA 204, $$ 71 à 77 et 83.
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s’ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
36. La Cour fait observer que l’État défendeur soulève des exceptions
d’irrecevabilité de la Requête. La Cour examinera lesdites exceptions (A)
avant de se prononcer sur les autres conditions de recevabilité (B) si
nécessaire.
A. Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
37. L’Étatdéfendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête. La
première a trait à l'exigence de l'épuisement des recours internes et la
seconde est relative à la question de savoir si la Requête a été déposée
dans un délai raisonnable.
i. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
38. L'État défendeur soutient que la Requête ne satisfait pas à l’exigence de
l'épuisement des recours internes comme le prévoient l’article 56(5) de la
Charte et la règle 50(2)(e) du Règlement!° qui exigent qu’une affaire
10 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
concernant la violation de droits de l'homme doit être entendue à tous les
niveaux des juridictions nationales avant d’être portée devant la Cour. Selon
l’État défendeur, la présente Requête est prématurée car le Requérant avait
toujours la possibilité d'introduire un recours en inconstitutionnalité devant
la Haute Cour en vertu de la Loi sur les droits et devoirs fondamentaux pour
faire valoir les droits qui auraient été violés.
39. Le Requérant réfute l’exception soulevée par l’État défendeur et soutient
qu’il n’était pas tenu de former un recours en inconstitutionnalité en vertu
de la Loi sur les droits et devoirs fondamentaux dans la mesure où il s’agit
d’un recours extraordinaire, comme l’a déjà établi la Cour de céans. Il a,
selon lui, épuisé les recours dès lors qu’il a suivi le processus de procès en
matière pénale prévu par la loi, allant jusqu’à la Cour d’appel.
40. La question à trancher concernant la recevabilité dans la présente affaire
est de savoir si le Requérant aurait dû introduire un recours en
inconstitutionnalité devant la Haute Cour pour la violation alléguée de ses
droits fondamentaux.
41. Aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dontles dispositions sont reprises
dans la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête dont la Cour de céans
est saisie doit satisfaire à l’exigence de l'épuisement des recours internes.
En ce qui concerne les recours à épuiser, la Cour a décidé dans ses arrêts
précédents qu’ils doivent être des recours ordinaires!!. En ce qui concerne
l’État défendeur, la Cour a, dans nombre de ses arrêts, également décidé
que les requérants ne sont pas tenus d'exercer le recours en
inconstitutionnalité devant la Haute Cour pour violation des droits
fondamentaux, celui-ci étant un recours extraordinaire!?. Conformément à
!1 Bv Xm c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête No. 023/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, $ 74 ; Cv Ag c. Tanzanie (fond), & 64.
!? Ai Xa c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, $ 61 ; Xe Cs Aw c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RJ CA 570, $ 46 ; Bq Bb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RJ CA 11 la décision de la Cour, dès lors que le Requérant a franchi les étapes du
système judiciaire, allant jusqu'à la Cour d’appel, qui est la plus haute
juridiction du pays, il a épuisé les recours requis**.
42. La Cour faitobserver qu'en l’espèce, le recours du Requérant a été tranché
par un arrêtrendu le 11 mars 2013 par la Cour d'appel, qui estla plus haute
autorité judiciaire de l'État défendeur. Le recours en constitutionnalité
n'étant pas un recours que le Requérant aurait dû exercer, il convient donc
de considérer que les recours internes ont été épuisées en l'espèce.
43. La Cour en conclut que le Requérant a épuisé les recours internes prévus
à l’article 56(5) de la Charte et à la règle 50(2)(e) du Règlement. Elle rejette
donc l'exception soulevée par l’État défendeur.
ii. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
44. L'État défendeur affirme que la Requête n’a pas été déposée dans un délai
raisonnable après l’épuisement des recours internes. Il soutient que le
Requérant n’a pas indiqué de raison pour laquelle il n’a pas déposé la
présente Requête dans les six (6) mois suivant le rejet par la Cour d'appel
du recours en matière pénale, le 11 mars 2013. L'État défendeur soutient
qu’il s’agit de l'exigence énoncée par la Commission africaine des droits de
l'homme et des peuples dans l’affaire Ba Cp c. Zimbabwe.
45. Le Requérantréfute, pour sa part, l’exception soulevée par l’État défendeur
et fait valoir que le temps qu'il a passé à attendre l'issue de sa requête en
révision de l’arrêt de la Cour d’appel devrait être pris en compte dans le
décompte du temps requis pour épuiser les recours internes. Il affirme en
outre que la procédure de révision était en cours au moment où il a déposé
624, 55 66 à 70 ; Cv Ag c. Tanzanie (fond), 58 63 et 65.
13 Bi Al dit Bi Cc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 026/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, $ 51 ; Bq Bb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RJ CA 624, $ 76.
la présente Requête et qu’il incombe à l'État défendeur d’expliquer le retard
accusé.
46. La Cour fait observer que ni la Charte ni le Règlementne définissentle délai
exact dans lequel les Requêtes doivent lui être soumises après
l'épuisement des recours internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle
50(2)(f) du Règlement indiquent uniquement que les requêtes doivent être
introduites « … dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des
recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ». La référence faite par l’État
défendeur de la période de six (6) mois ne peut se justifier.
47. La Cour rappelle que, pour apprécier le caractère raisonnable du délai, il
convient de tenir compte de la situation du Requérant, à savoir s’il était
incarcéré, profane en matière de droit et indigent, ou s’il avait une
connaissance limitée du fonctionnement de la Cour de céans!*, En outre,
bien que l'épuisement des recours extraordinaires tels que la procédure de
révision ne soit pas obligatoire selon les circonstances de l'affaire, le temps
passé à tenter d’exercer ces recours devrait être pris en compte dans
l'évaluation du caractère raisonnable prévu par l’article 56(5) de la Charte**,
48. || ressort du dossier devant la Cour que le Requérant a épuisé les recours
internes le 11 mars 2013, date de l'arrêt de la Cour d'appel. La présente
Requête ayant été déposée le 9 septembre 2016, la Cour doit apprécier si
le délai de trois (3) ans, cinq (5) mois et vingt-huit (28) jours est raisonnable
au sens de l’article 56(6) de la Charte.
14 Bq Xj Cm c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 014/2016, Arrêt du 2 décembre 2021, $ 61 ; Ax Bp c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RJ CA 356, 5 83.
15 Bq Xj Cm c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 014/2016, Arrêt du 2 décembre 2021, 88 64 à 65 ; Ag Cq Cy et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RJ CA 325, $ 55.
49. En l'espèce, la Cour relève que le Requérant est incarcéré et qu’il est dans
le couloir de la mort. ll a également introduitun recours en révision de l'arrêt
de la Cour d’appel le 12 mars 2013. Le 9 septembre 2016, le Requérant a
déposé la présente Requête, après avoir attendu l’issue de sa requête en
révision pendant plus de trois (3) ans.
50. La Cour considère que les circonstances susmentionnées justifient
valablement le délai dans lequel le Requéranta introduit sa Requête après
l’arrêt de la Cour d'appel. La Cour en conclut que ce délai est raisonnable
au sens de l’article 56(6) de la Charte.
51. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité
soulevée par l'État défendeur, tirée du dépôt allégué de la présente
Requête dans un délai non raisonnable.
B. Autres conditions de recevabilité
52. La Cour fait observer, à la lecture du dossier, que la conformité de la
Requête aux exigences des alinéas (1), (2), (3), (4) et (7) de l’article 56 de
la Charte, reprises aux points (a), (b), (c), (d) et (g) de la règle 50(2) du
Règlement, n’est pas contestée par les Parties. Néanmoins, la Cour doit
s'assurer que ces exigences ont été satisfaites.
53. La Cour constate que l'exigence prévue à la règle 50(2)(a) du Règlement
est satisfaite, le Requérant étant clairement identifié.
54, La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en outre, que
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et
des peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief et aucune
demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte. La Cour en
conclut que la Requête satisfait à l'exigence de la règle 50(2)(b) du
Règlement.
55. La Cour fait, en outre, observer que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, ce qui la rend
conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
56. La Cour note que la Requête ne repose pas exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse. Elle
satisfait donc à la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement.
57. S'agissant enfin de la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement,
la Cour constate que la présente Requête ne concerne pas une affaire qui
a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte
des Nations unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte. La Requête satisfait donc à cette exigence.
58. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte, tel
que repris à l’article 50 du Règlement, et la déclare recevable.
VII. SUR LE FOND
59. Le Requérantallègue la violation des droits suivants :
Le droit à la vie garanti par l’article 4 de la Charte, en raison de
l'imposition de la peine de mort obligatoire ;
ii. Les droits à un procès équitable, à être jugé dans un délai raisonnable
et à bénéficier d’une représentation efficace, protégés par l’article 7(1)
de la Charte, en raison du retard accusé par les procédures devant les
juridictions nationales, de l'absence de conseils compétents et
expérimentés, et de la non-allocation de ressources adéquates aux
conseils ;
iii. Le droit à la dignité et à ne pas subir de traitements cruels, inhumains et
dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte, en raison du mode
d'exécution de la peine de mort, à savoir la pendaison, de sa détention dans le couloir de la mort et de sa longue détention avant le procès.
A. Violation alléguée du droit à la vie
60. Le Requérant fait valoir que la peine de mort obligatoire viole le droit à la
vie, car elle porte atteinte au droit à un processus de fixation de peine
individualisé dans la mesure où elle ne tient pas compte des circonstances
propres à la fois au contrevenant et à la commission de l'infraction, telles
que les déficiences mentales, comme c’est le cas en l’espèce. Le
Requérant allègue qu’en raison du système d'imposition obligatoire de la
peine de mort mis en œuvre dans l’État défendeur, le tribunal qui l’a
condamné à mort n’a pas eu la possibilité de tenir compte des preuves
cruciales établissant des circonstances atténuantes, notamment ses
antécédents de maltraitance subie étant enfant, ses graves déficiences
mentales, les services qu'il a rendus à son pays et son adaptation réussie
à la vie carcérale.
61. Selon le Requérant, la peine de mort obligatoire a empêché le tribunal
d'instance de prendre en compte les circonstances atténuantes liées à sa
déficience mentale, alors qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-
traumatique (SSPT) débilitant et de lésions cérébrales traumatiques. Il
soutient que, bien que ses déficiences mentales atténuent sa culpabilité
morale et le disqualifient pour la peine de mort, la loi de l’État défendeur est
indifférente à ses troubles psychologiques du moment qu'il est jugé sain
d'esprit et apte à être jugé. Le Requérant soutient également qu’il a des
antécédents de toxicomanie à long terme, notamment d'alcool et de
marijuana, qui l’ont aidé à faire face aux situations traumatiques qu'il a
successivement traversées. Il soutient que le tribunal qui a prononcé la
peine n’a pas tenu compte du fait qu’il a commis l'infraction en état
d’aliénation mentale, car il avait consommé de l’alcool fort et fumé du
« bhang », ce qui a réduit sa capacité à garder le contrôle.
62. Le Requérant soutient en outre que son état de santé a été évalué trois (3)
ans et demi après l'infraction qu’il avait commise et que cette évaluation s'est limitée à déterminer s’il avait atteint le seuil légal de santé mentale et
d'aptitude à être jugé. Le Requérant fait valoir que le rapport médical fourni
au tribunal de première instance pour évaluer son état de santé mentale
n'était pas conforme aux meilleures pratiques en matière d’évaluation
psychiatrique, celui-ci étant incomplet et superficiel. Selon le Requérant, de
telles déficiences ne justifient pas nécessairement une exemption des
sanctions pénales mais atténuentla culpabilité personnelle étant donné que
la capacité du contrevenant à comprendre et à traiter l’information, à
communiquer et à contrôler ses pulsions se réduit. Le Requérant fait valoir
qu’en tant que personne présentant des troubles mentaux multiples et
graves, il bénéficie d'une exemption de l’application de la peine de mort.
63. L’État défendeur réfute les allégations du Requérant et fait valoir que,
comme l’indiquent clairement les articles 14(2) et 14(2)(b) du Code pénal,
l’intoxication ne peut constituer un moyen de défense face à une accusation
criminelle que si, de ce fait, au moment de la commission de l'infraction, la
personne accusée ne comprenait pas ce qu'elle faisait et si « la personne
accusée était, en raison de l’'intoxication, en état d’aliénation mentale,
temporaire ou autre, au moment de la commission de cet acte ou de cette
64. L’État défendeur soutient qu’après avoir examiné de manière critique les
preuves et les circonstances de l’affaire, le tribunal d'instance a été
convaincu que le Requérant savait ce qu'il faisait et était conscient que son
acte était répréhensible. Selon l’État défendeur, le comportement du
Requérant avant, pendant et après les meurtres n'était pas celui d’une
personne atteinte de démence temporelle et ne comprenant pas ce qu’elle
faisait. L'État défendeur soutient en outre que le Requérant, aux deux
occasions où il a commis les meurtres, a ordonné que les corps soient jetés
dans la rivière, a demandé à ses complices de remuer l’eau afin de
dissoudre le sang des victimes eta averti lesdits complices de ne parler des
événements à personne, sinon ils subiraient le même sort que les personnes décédées. L'État défendeur soutient que ces actions du
Requérant montrent qu'il était sain d’esprit avant, pendant et après les
meurtres et qu’il avait l'intention de détruire toutes les preuves.
65. L'État défendeur demande donc à la Cour de constater que les allégations
du Requérant sont fallacieuses et sans fondement et de les rejeter en
conséquence.
66. La question à examiner est de savoir si, en condamnant le Requérant à la
peine de mort sans tenir compte des circonstances particulières de son cas,
la juridiction d’instance a violé le droit à la vie protégé par l’article 4 de la
Charte.
67. L'article 4 de la Charte dispose :
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit
au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa
personne : Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.
68. La Cour a conclu dans l'affaire Bj Aa etautres c. République-Unie de
Tanzanie, l'imposition de la peine de mort obligatoire est antithétique au
droit à la vie prévu à l’article 4 de la Charte et est en violation au droit à un
procès équitable!S. La Cour rappelle que ses conclusions dans l'arrêt
Rajabu font la constatation générale selon laquelle l’empiètement sur le
droit à la vie est arbitraire dans les cas où la loi prive l’autorité chargée de
prononcer la peine de toute marge de manœuvre pour prendre en compte
les circonstances propres au Requérantou à la commission de l’infraction”.
Il convient de noter que, dans l'affaire Rajabu, le Requérant n’a pas
réellement présenté les circonstances spécifiques que le juge qui a
prononcé la peine n’a pas examinées, mais il a seulement avancé
16 Bj Aa et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJ CA 562, 58 104 à 114. Voir également Ax Ac Au c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021, 88 120 à 131.
17 Bj Aa c. Tanzanie, 88 109 à 114.
l’argument selon lequel la peine de mort obligatoire n’est pas conforme au
droit à un procès équitable en raison de l'absence de pouvoir judiciaire
discrétionnaire permettant de prendre en compte les circonstances propres
non seulement à l'accusé, mais aussi à la commission effective de
l'infraction. Ce raisonnement a également été repris dans l'affaire J uma c.
Tanzanie, qui a donné lieu à la deuxième décision rendue par la Cour sur
la même question après l'arrêt Rajabu!S.
69. La Cour note qu’il est allégué, dans la Requête initiale, que la juridiction
d'instance n’a pas pris en compte le fait spécifique que le Requérant était
sous l'effet d’une substance stupéfiante au moment de la commission de
l'infraction. Cependant, les observations faites dans les mémoires modifiés
tendent à élever le niveau des circonstances atténuantes en démontrant
que le Requérant a spécifiquement souffert d’aliénation mentale
permanente, mais aussi que le rapportsur son état de santé était superficiel,
et que d’autres détails n'ont pas été pris en compte par le juge qui a
prononcé la peine.
70. Au vu de l’ensemble des arguments présentés parle Requérant, la question
à trancher se résume aux circonstances particulières de cette affaire, à
savoir si le droit à la vie du Requérant a été violé du fait que les tribunaux
nationaux n’ont pas pris en compte lors de sa condamnation à mort, tous
les aspects de l’aliénation mentale invoqué comme moyen de défense. Il
s'ensuit que, dans la présente affaire, le Requérant demande à la Cour de
céans d'apprécier si le fait pour les juridictions nationales de n’avoir pas pris
en compte les circonstances décrites en l'espèce équivaut à une violation
du droit à un procès équitable et, par conséquent, du droit à la vie. Il
convient donc de distinguer la présente Requête de l'affaire Rajabu car la
présente affaire offre une opportunité empirique d'évaluer si des
circonstances spécifiques ont été effectivement avancées par le Requérant
etque les tribunaux nationaux ne les ont pas examinées lors de l'application
de la peine de mort.
18 Ax Ac Au c. Tanzanie, 85 116 à 131.
71. Il est à noter que, dans sa réponse à la Requête introductive d’instance,
l’État défendeur fait valoir que le tribunal de première instance et la Cour
d'appel n’ont pas retenu l'aliénation mentale du Requérant invoqué comme
moyen de défense parce que celle-ci ne répondait pas au critère requis par
la loi et qu’il a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le
Requérant était sain d'esprit et savait ce qu'il faisait au moment de la
commission des forfaits.
72. || ressort du dossier que le principal point en litige entre les Parties sur la
question à trancher est la non-prise en compte par les juridictions internes
de l'aliénation mentale du Requérant comme moyen de défense ainsi que
la fiabilité du rapport médical qui a constitué la position judiciaire de la
juridiction d'instance. À cet égard, la Cour rappelle sa position dans l’affaire
Ai Xa c. République-Unie de Tanzanie!°, où elle a conclu que
le fait que la Haute Cour n’ait pas pris en compte le rapport d'évaluation
médicale de l’état de santé mentale du requérant constituait un grave vice
de procédure ayant entraîné une violation du droit du requérant à un procès
équitable inscrit à l'article 7(1) de la Charte.
73. La Cour relève, en l'espèce, que la Haute Cour a examiné l’aliénation
mentale du Requérant invoquée comme moyen de défense en examinant
le rapport médical produit par l’Institut psychiatrique d’Cw et a décidé
d’écarter ledit rapport au motif qu’il avait été présenté par le Dr Mbatia,
témoin à charge PWS5, qui ne l'avait pas rédigé. Cependant, la Haute Cour
a également examiné l'aliénation mentale comme moyen de défense, à la
lumière des témoignages des témoins à charge, et y a trouvé des preuves
convaincantes pour condamner le Requérant. Il convient de noter qu’au
nombre des circonstances prises en compte par la juridiction d’instance
figuraient le fait que les actes de meurtre des victimes ont été perpétrés à
deux moments différents dans la même journée ; et que le Requérant a, à
chaque fois, donné l'ordre à ses complices de faire disparaître les preuves.
19 Ai Xa c. Tanzanie (fond et réparations), $ 160.
Sur la base de ces considérations, la Haute Cour, prenant en compte l'acte
illégal (actus reus) et l'état d'esprit (mens rea) du Requérant, a conclu qu’il
est évident qu’il savait ce qu’il faisait en commettant les crimes.
74. La Cour fait également observer que la Cour d’appel a confirmé le
raisonnementetles conclusions de la Haute Cour eta rejeté l’appel au motif
qu’il n’était pas fondé. C’est à la lumière de ces considérations que les
tribunaux nationaux ont rejeté le moyen de défense relatif à l’aliénation
mentale du Requérant.
75. La Cour rappelle que le Requérant a également invoqué d’autres facteurs
qui, selon lui, auraient dû être pris en compte par les juridictions nationales.
En ce qui concerne lesdites questions, la Cour note que la juridiction
d'instance et la Cour d'appel ont examiné les arguments et les preuves qui
leur ont été présentés. Ce faisant, les deux juridictions sont parvenues à la
conclusion que les éléments de preuve examinés étaient suffisants et
substantiels pour justifier le maintien de la condamnation, même après avoir
écarté le rapport médical contesté.
76. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’en condamnant le
Requérant, les juridictions nationales ontnon seulement exercé leur pouvoir
discrétionnaire d’examiner les circonstances et la situation spécifiques du
Requérant, mais qu'elles ont également procédé à une évaluation correcte
de ces circonstances, principalement en ce qui conceme le moyen de
défense relatif à l’aliénation mentale du Requérant.
71. Cela dit, la Cour rappelle que le facteur déterminant dans l'évaluation de
l'équité en matière de privation arbitraire de la vie évoquée à l’article 4 de
la Charte n’est pas seulement la question de savoir si la juridiction
d'instance disposait du pouvoir discrétionnaire de recevoir et d'examiner les
observations relatives à la situation spécifique du Requérant et aux
circonstances de l'infraction. L'élément clé à cet égard est plutôt de savoir
si le magistrat a pu exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte
de la situation et des circonstances susmentionnées au moment de décider de la sanction à imposer en cas de meurtre. La réponse sans ambages est
non. Sur la question du pouvoir discrétionnaire, la Cour fait observer que,
quel qu’eusse été l'issue de l'examen des circonstances de l'affaire, dès
lors qu’elle avait reconnu l’accusé coupable, la Haute Cour, en l’espèce,
n’avait d’autre choix que d'imposer la peine de mort comme seule sanction
prévue par l'article 197 du code pénal. À l'inverse, si la Haute Cour avait été
convaincue par la défense d’aliénation mentale du Requérant en l'espèce,
et que la loi prévoyait d’autres sanctions pour meurtre en fonction des
circonstances plaidées en l'espèce, le principe de discrétion judiciaire aurait
été respecté et la légalité confirmée en vertu de l’article 4 de la Charte.
78. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’exigence de
discrétion judiciaire n’a pas été respectée en l'espèce et en conclut que
l’État défendeur a violé le droit à la vie protégé par l’article 4 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à un procès équitable
79. Le Requérant allègue que son droit à un procès équitable a été violé en
raison du temps qu'il a passé en détention dans l'attente de son procès et
du fait qu’il n’a pas bénéficié d’une représentation judiciaire au cours de la
procédure. La Cour relève que le Requérantallègue la violation des articles
7 de la Charte, et 7, 9 et 14 du PIDCP. Toutefois, conformément à sa
jurisprudence, la Cour examinera cette allégation uniquement sous l’angle
de l’article 7(1) de la Charte qui sera interprété à la lumière des précisions
complémentaires apportées par les dispositions du PIDCP”,
i. Violation alléguée du droit à être jugé dans les meilleurs délais
80. Le Requérantallègue que le fait de l’avoir maintenu en détention provisoire
pendant six (6) ans et demi avant son procès constitue une violation de son
droit d’être jugé dans les meilleurs délais. Selon lui, ce délai, tant en ce qui
concerne la déclaration de sa culpabilité que la peine prononcée à son
20 Bw Co c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RJ CA 493,
encontre, n’était pas raisonnable dans la mesure où l'affaire n’était pas
complexe et où le retard était imputable à l’État défendeur. P our étayer son
allégation, le Requérant déclare qu’après son arrestation le 20 décembre
2003, il a fallu près de deux (2) ans au Ap Aj pour l'inculper, un (1)
an pour que le rapport médical ordonné par la Cour soit achevé, deux (2)
ans pour tenir l'audience préliminaire après le dépôt des actes d'accusation,
deux (2) autres années se sont écoulées sans explication avant que l’affaire
ne soit mise en délibéré et qu’au total, six (6) ans et demi se sont écoulés
depuis l'arrestation jusqu’au moment où le Ministère public a cité son
premier témoin.
81. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
82. Aux termes de l’article 7(1)(d) de la Charte, toute personne a « le droit d’être
jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale … ».
83. La Cour de céans a conclu dans ses arrêts précédents que, pour apprécier
si justice a été rendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 7(1)(d)
de la Charte, les facteurs à prendre en considération doivent inclure la
complexité de l’affaire, le comportement des Parties et celui des autorités
judiciaires qui ont un devoir de diligence dans des circonstances où des
sanctions sévères sontapplicables?!. Il est demandé, en l’espèce, à la Cour
de se prononcer sur le caractère raisonnable du délai de six (6) ans et demi
qui s’est écoulé entre l’arrestation du Requérant etle début de son procès.
84. S'agissant de la complexité de l'affaire, la Cour note qu’il ressort de la
réponse de l’État défendeur à la Requête introductive d’instance et des
dossiers de la procédure interne, que l'affaire était de toute évidence
relativement ordinaire. L'affaire n’a pas nécessité d'enquête approfondie,
les preuves étant principalement constituées de déclarations de témoins, y
2! Ai Xa c. Tanzanie (fond et réparations), $ 82 ; Ax Ac Au c. Tanzanie, op. cit, 5 104 ; Bw Co c. Tanzanie (fond et réparations), 55 122 à 124.
compris celles de deux co-accusés qui ont été initialement inculpés avec le
Requérant. Bien qu'il ait fallu un an pour que le rapport médical soit produit,
il convient de noter que les juridictions de première instance et d’appel l’ont
écarté, et que la condamnation a été fondée en grande partie sur les
examens post-mortem et les déclarations des témoins, qui étaient tous
disponibles dans les mois suivant l’arrestation. En outre, lors de l'audience
préliminaire, le Requérant avait déjà fait part de son intention de plaider l’aliénation mentale.
85. La Cour relève en outre que le Requérant n’a pas agi d’une quelconque
manière ou formulé une quelconque demande ayant contribué au retard.
Bien au contraire, le conseil du Requérant a attiré systématiquement
l’attention des autorités judiciaires sur le fait que l'accusé était en détention
depuis trop longtemps et que l’affaire souffrait d’un retard important. À
l’inverse, l'État défendeur n’a pas abordé spécifiquement cette question
dans sa réponse à la Requête introductive d'instance, etle Ministère public
n'a non plus justifié lesdits retards comme étant inhérentes aux procédures
internes. Il convient de noter qu’en guise de justification des trois (3) ans
qu’il a fallu pour examiner le recours en révision du Requérant, l’État
défendeur évoque des contraintes liées à la liste des affaires inscrites au
rôle de la Cour d’Appel. De l’avis de l’État défendeur, les recours en révision
sont examinés sur la base du principe du « premier arrivé, premier servi ».
Il s'ensuit que si aucun élément ne permet d'affirmer que le Requérant a
contribué au retard, il n’en va pas de même pour les autorités judiciaires de
l’État défendeur.
86. S'agissant, enfin, de la diligence raisonnable, la Cour relève que le
Requérant allègue un retard de plus de six (6) ans. La Cour relève que les
autorités de l’État défendeur n’ont pas fourni d’explication sur le délai de
deux (2) ans qui s’est écoulé avant que le Ministère public ne dépose les
actes d’accusation, ni sur la période d’un (1) an qui s’est écoulée avant que
le rapport médical commandé auprès d’une institution étatique ne soit
produit. Aucune justification n’a été non plus fournie pour les quelques
années supplémentaires d’ajournement à la demande du Ministère public pour pouvoir citer des témoins et contacter un expert médical,
respectivement trois (3) et quatre (4) ans après le dépôt des actes
d'accusation. Ces retards ainsi que l'absence de justification, ne reflètent
pas la diligence requise par l’article 7(1)(d) de la Charte et par la
jurisprudence de la Cour de céans mentionnée ci-dessus.
87. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé le droit du Requérant d’être
jugé dans un délai raisonnable, garanti par l’article 7(1)(d) de la Charte.
Violation alléguée du droit à une représentation judiciaire efficace
88. Le Requérant allègue que ses avocats n’ont ni disposé du temps ni des
moyens suffisants pour préparer sa défense et que l’un d’entre eux était en
situation de conflit d’intérêts du fait qu’il défendait deux co-accusés du
Requérant aux premiers stades de la même affaire. S elon le Requérant, les
avocats commis d’office dans l’État défendeur sont mal rémunérés et, en
l'espèce, ils n'avaient pas les moyens de couvrir leurs frais de déplacement
jusqu’à la prison. En outre, le deuxième avocat qui lui a été commis était
inexpérimenté, celui-ci n'ayant été admis à exercer qu’un an avant sa
désignation pour assurer sa défense. Il affiime également que l’État
défendeur lui a refusé l'accès à ses avocats, qu’il ne lui a pas accordé le
temps, les fonds et les moyens nécessaires pour mener une enquête
complète sur ses antécédents sociaux et médicaux, et n’a pas mis à sa
disposition les fonds nécessaires pour citer des témoins. Le Requérant fait
également valoir que ses avocats n’ont ni identifié ni cité de témoins à
décharge et qu'il n’a tenu que deux brèves réunions avec eux avant le
procès.
89. Dans sa réponse à la Requête introductive d'instance, l’État défendeur fait
valoir que le Requéranta été défendu par un avocat commis d'office durant
les procédures devant la Haute Cour et que les témoins à charge ont été
contre-interrogés. L'État défendeur soutient en outre que le Requérant a
présenté ses moyens de défense et a exercé son droit d'appel, que les allégations sont dénuées de tout fondement et devraient de ce fait être
rejetées.
90. L'article 7(1)(c) de la Charte prévoit que toute personne a « le droit à la
défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son
choix ».
91. La Cour rappelle que le droit susmentionné ne doit pas être interprété au
sens strict comme le droit de désigner son propre conseil, mais surtout
comme le droit à une assistance judiciaire efficace, même si celle-ci est
fournie dans le cadre d’un système judiciaire mis en place par l’État22, Plus
particulièrement, la Cour a conclu dans ses arrêts précédents qu'une
représentation efficace doit être celle qui veille à ce que les personnes qui
fournissent une assistance judiciaire disposent de suffisamment de temps
et de moyens pour préparer une défense adéquate, et pour assurer une
représentation solide à tous les stades de la procédure judiciaire, à partir
de la mise aux arrêts de l’individu à qui cette représentation est fournie sans
aucune interférence3. Toutefois, la qualité de la défense et la nature des
instructions entre le client et le conseil ne relèvent pas de la responsabilité
de l'État défendeur qui ne peut intervenir que lorsque des manquements
manifestes sont portés à sa connaissance, Étant donné que le Requérant
a bénéficié d’un conseil désigné par l’État défendeur, la question pertinente
est de savoir si ladite assistance a été efficace.
92. || ressort du dossier que même si le Requérant affirme que ses avocats ne
l'ont rencontré que très brièvement à deux reprises avant son procès, il a
été représenté durant la procédure à l'issue de laquelle il a été déclaré
coupable et une peine a été prononcée, tant devant la juridiction de
première instance que devant la juridiction d'appel. En outre, et en ce qui
2 Ai Xa c. Tanzanie (fond et réparations), S$ 107 à 114 ; Ax Ac Au c. Tanzanie, op. cit 55 91 à 98.
23 Ai Xa c. Tanzanie (fond et réparations), 5 109.
concerne l'argument selon lequel le temps dont il a disposé n’a pas été
suffisant pour permettre à l’avocat d’enquêter sur ses conditions sociales et
de santé personnelles, le Requérant n’apporte pas la preuve que les
autorités de l’État défendeur ont, d’une quelconque manière, imposé des
restrictions à l'avocat. En tout état de cause, le Requérant ne démontre pas
que l’État défendeur n’a pas examiné de demande de prorogation de délai
avant et après l'ouverture de la procédure. I! convient de souligner du fait
des plus de six (6) ans de retard accusé par le procès et des demandes
formulées par les avocats en vue de faire accélérer la procédure, ceux-ci
auront eu la possibilité de demander à se voir accorder du temps et des
moyens pour entreprendre une enquête plus importante etplus approfondie
comme ils le souhaitaient. Dans ces circonstances, la Cour estime que
l’allégation n’est pas suffisamment étayée et la rejette en conséquence.
93. Le Requérant allègue également que le deuxième conseil qui lui a été
commis d’office n’avait pas l'expérience et la compétence nécessaires pour
le représenter de manière efficace, celui-ci étant spécialisé en droit foncier
et n'ayant rejoint le barreau qu’un an avant d’être commis à sa défense.
94. La Cour fait observer que le Requérant, ayant bénéficié d’une assistance
judiciaire dans le cadre de la procédure interne, il avait toute la latitude de
se plaindre du manque d'expérience et d’expertise du conseil qui lui a été
commis d'office, tant devant les juridictions de première instance que
devant les juridictions d'appel. Il aurait également dû, dans le cadre de la
présente Requête, étayer ses allégations relatives au manque d’expérience
ou d’expertise de son conseil en démontrant en quoi celui-ci n’a pas rempli
les fonctions spécifiques relevant de son mandat.
95. Dans ces circonstances, la Cour ne dispose pas des éléments requis pour
entreprendre l'évaluation nécessaire des demandes formulées en l’espèce.
Elle rejette donc cette allégation.
96. En ce qui concerne la question de savoir si le conseil était en situation de
conflit d'intérêts, il ressort des procédures devant les juridictions internes que le conseil initialement désigné dans cette affaire avait d’abord
représenté le Requérant et deux coaccusés lors de l'audience préliminaire.
Toutefois, lorsque les charges retenues contre les deux co-accusés ont été
abandonnées, le même conseil a rejoint l’équipe de défense du Requérant.
97. La Cour estime que ses conclusions concernant la question de l'expérience
et de l'expertise du conseil commis d'office s'appliquent à la demande
examinée en l’espèce. Une allégation aussi grave que celle d’un conflit
d'intérêts devrait être étayée par des preuves, ce qui n’est pas le cas en
l'espèce. Le simple fait que le conseil commis d'office ait été maintenu après
l'abandon des charges contre les coaccusés du Requérant ne saurait suffire
à établir un conflit d’intérêts. En particulier dans une situation où l'avocat
commis d'office a été désigné à partir d’une liste préétablie dans le cadre
d’un programme d'assistance judiciaire, la preuve d’un comportement
spécifique contraire à l’éthique ou d’un comportement similaire doit être
apportée pour pouvoir conclure à un conflit d'intérêts. La Cour estime qu’un
tel argument n’a pas été présenté en l'espèce. Elle rejette donc cette
allégation.
98. Le Requérant soulève, enfin, la question de la représentation inefficace
dans la présente affaire en ce qui conceme les fonds mis à la disposition
du conseil qui lui a été commis d'office. La Cour relève que le Requérant
mentionne un montant de trente (30) dollars EU — soit l'équivalent de
soixante-neuf mille (69 000) shillings tanzaniens° — versé aux avocats pour
toute la durée de l'affaire.
99. La Cour relève qu’en l'espèce, le Requérant n’apporte pas d’éléments de
preuve à l’appui des chiffres avancés, tels que des documents officiels ou
des déclarations d'avocats en exercice qui avaient, par le passé, travaillé
comme avocats commis d'office dans des affaires de meurtre. Par ailleurs,
une demande sérieuse aurait indiqué les montants précis qui ontété versés
aux conseils dans le cadre de la présente Requête, afin de permettre à la
?5 Au taux de 2.300 shillings tanzaniens pour 1 dollars EU.
Cour d'apprécier si les fonds mis à disposition par l’État défendeur
répondent aux normes d’une représentation juridique appropriée au sens
de l’article 7(1)(c) de la Charte. En l'absence de telles preuves, la demande ne saurait être retenue.
100. La Cour relève que le Requérant affirme également que ses avocats n’ont
pas été autorisés à contre-interroger les témoins à charge. Notant en outre
que le grief porte sur la défense d’aliénation mentale, qui a été dûment
examinée par les juridictions internes, et conformément à sa conclusion sur
les autres griefs, la Cour estime qu'il n’est pas déterminant de l’examiner.
101. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant à une représentation légale efficace, protégé par
l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne la situation de conflit
d'intérêt dans laquelle l'avocat qui lui a été commis d'office se trouvait, son
manque d’expérience et des fonds insuffisants qui lui ont été alloués.
C. Violation alléguée du droit à la dignité et à ne pas subir des traitements
cruels inhumains ou dégradants
102. Le Requérant allègue que son droit protégé par cette disposition de la
Charte a été violé du fait qu’il a été maintenu en détention préventive
pendant plus de six (6) ans dans le couloir de la mort et vécu dans des
conditions de confinement déplorables.
103. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
104. La Cour relève que le Requérant allègue la violation de l’article 5 de la
Charte en raison notamment de i) la longueur de sa détention préventive
qui a donné lieu à un traitement dégradant ; ii) sa détention dans le couloir
de la mortet iii) les conditions de détention déplorables dont il a souffert.
105. L'article 5 de la Charte est libellé comme suit :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d’exploitation et d’avilssement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants sont
interdites.
i. Sur la longue période de détention avant procès ayant donné lieu à
un traitement dégradant subi par le Requérant
106. Le Requérantallègue que les six (6) années et demie qu’il a passé en prison
en attendant l'ouverture de son procès constituent une violation de son droit
à ne pas être soumis à un traitement dégradant, car il a vécu dans l'anxiété,
la dépression et dans la peur de l'exécution.
107. La Cour estime que ses conclusions antérieures concernant le droit du
Requérant d’être jugé dans les meilleurs délais s'appliquent à la demande
qui fait l’objet d’examen. La Cour rappelle, comme elle l’a jugé dans l'affaire
Xa c. Tanzanie, que l’État défendeur a l’obligation de s'assurer que
l'affaire est jugée avec la diligence etla célérité voulues, et ce, d’autant plus
que le Requérant est en détention et qu’il n’a pas contribué au retard?7. La
Cour fait, en outre, observer que les retards dans les procédures relatives
aux crimes graves etla « crainte bien fondée » d’une condamnation à mort
sontsusceptibles de provoquer une anxiété etune détresse psychologique,
et constituent un traitement inhumain et dégradant®.
26 Voir également Bw Co c. Tanzanie (fond et réparations), $ 124.
27 Ai Xa c. Tanzanie, op. cit, $ 86.
28 Al Aq c. Royaume-Uni, CEDH, Requête n° 61498/08, Arrêt du 2 mars 2010, $$ 136 à 137 ; Ad c. Argentine, IHRL 3060 (CIADH 2008) Arrêt du 30 octobre 2008, 85 81 à 87.
108. Il ressort du dossier que l’État défendeur justifie les retards principalement
en invoquant la pratique du « premier arrivé, premier servi» qui est
observée dans les juridictions internes. La Cour considère que les facteurs
relatifs au fonctionnement des juridictions internes doivent être justifiés en
précisant comment ils s’appliquent à la situation du Requérant®. En
l'espèce, le Requérant étant en détention et accusé de meurtre, une
infraction passible de la peine capitale, les contraintes de gestion du rôle
invoquées par l’État défendeur ne sont pas suffisantes pour justifier le fait
que son procès n'ait été ouvert que plus de six ans après son arrestation.
109. Ayant constaté le retard excessif, la Cour de céans tient à souligner le lien
de causalité entre ce retard et les souffrances que le Requérant allègue
avoir éprouvé. Comme établi plus haut dans le présent Arrêt, le Requérant
a été mis en accusation deux ans après son arrestation. Ayant plaidé non
coupable pour cause d’aliénation mentale, il a dû attendre une (1) année
supplémentaire pour que le rapport médical soit produit, et environ trois (3)
ans en raison des ajournements demandés par le Ministère public pour
convoquer des témoins et contacter un expert médical. Dans de telles
circonstances, une personne lambda souffrirait d’anxiété et de dépression
face à l'incertitude inhérente à l'attente. Il importe de relever, en l'espèce,
que le Requérant éprouvait non seulement une « crainte fondée » mais
également vivait dans la certitude qu’il serait exécuté.
110. Par conséquent, la Cour estime que l’État défendeur a violé le droit du
Requérant à ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant,
protégé par l’article 5 de la Charte, en ce qui concerne la durée de la
détention provisoire.
ii. Sur la détention du Requérant dans le couloir de la mort
2° Ibid., 88.
111. Le Requérant fait valoir que la durée de sa détention après sa
condamnation à la peine capitale lui a causé de l'anxiété et de l'angoisse
psychologique, ce qui constitue une violation de son droit. Selon le
Requérant, le moratoire de facto adopté par l’État défendeur n’atténue pas
le risque induit par le phénomène du couloir de la mort, car l'exécution peut
intervenir à tout moment, et les conditions de détention accentuent
davantage la torture psychologique associée.
112. La Cour rappelle, comme elle l’a conclu dans l’arrêt Rajabu précédemment
cité, que le couloir de la mort est intrinsèquement susceptible d’avoir un
impact négatif sur l’état psychologique d’un individu, du fait que la personne
concernée peut être exécutée à tout moment”. La Cour a estimé, dans
plusieurs arrêts sur des mesures provisoires impliquant l'État défendeur,
que le moratoire existant n’offre pas la certitude requise pour sauvegarder
le droit à la vie lorsqu’il s’agit de la peine de mort!.
113. La Cour prend également en compte le fait qu'au moment du dépôt de la
présente Requête en 2016, le Requérant était dans le couloir de la mort
depuis au moins six (6) ans à compter de la date de sa condamnation en
2010. À la date du présent Arrêt, le Requérant aura passé douze (12) ans
dans le couloir de la mort, et ce point de repère doit être pris en compte
étant donné la conclusion antérieure de la Cour de céans selon laquelle la
peine de mort obligatoire viole le droit à la vie et n'est donc pas conforme
aux obligations juridiques de l’État défendeur.
114. Ayant établi que la longue détention du Requérant lui a causé de l’angoisse,
la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner davantage le grief relatif au
couloir de la mort, mais seulement de lier le préjudice qui en découle à
« l'ombre omniprésente de la mort »2.
30 Bj Aa c. Tanzanie (fond et réparations), S$ 148 à 150.
31 Voir] ohn Xh c. République-Unie de Tanzanie (mesures provisoires) (18 mars 2016) 1 RJ CA 618, 85 16 à 18 ; Ab Xg c. République-Unie de Tanzanie (mesures provisoires) (18 mars 2016) 1 RJ CA 596, 85 16 à 18 ; Cu Bk c. République-Unie de Tanzanie (mesures provisoires) (18 mars 2016) 1 RJ CA 681, 88 16 à 18.
32 Voir Bx c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 7 juillet 1989, série A, vol. 161, $ 42.
115. La Cour estime également qu’un examen approfondi de l’allégation relative
aux conditions de détention déplorables ne se justifie pas, car elle vise
intrinsèquement à étayer l’allégation centrale selon laquelle le Requérant a
effectivement subi et pourrait encore subir des traitements inhumains et
dégradants.
116. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur a violé
le droit à ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant protégé
par l’article 5 de la Charte en ce qui concerne le maintien du Requérant
dans le couloir de la mort.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
117. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle :
i. Lui accorde des réparations en raison du préjudice moral qu’il a
subi ;
ii. Annule la condamnation à mort etordonne la tenue d’un nouveau
procès conforme aux garanties de procès équitable prévues par
la Charte ;
ii. À titre subsidiaire, ordonne à l’État défendeur d'annuler la
condamnation à mortet de tenir une nouvelle audience de fixation
de peine ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de modifier sa législation afin de
garantir le respect du droit à la vie ;
v. Ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures appropriées
pour remédier aux violations dans un délai raisonnable, et rendre
compte à la Cour dans les six (6) mois suivant la notification de
l’arrêt des mesures prises pour la mettre en œuvre.
118. L'État défendeur, dans ses observations, demande à la Cour de :
i. Dire qu’elle n’est pas compétente pour ordonner la remise en liberté du Requérant ;
ii. Rejeter les demandes de réparation formulées par le Requérant,
celui-ci n’y ayant pas droit.
119. Aux termes de l’article 27 du Protocole, « [IJorsqu’elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
120. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence constante, que pour que
des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien
de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. En
outre, lorsqu'elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité du
préjudice subi. || incombe au requérant de justifier les demandes
121. Comme la Cour de céans l’a précédemment constaté, l’État défendeur a
violé les droits du Requérant à la vie, à un procès équitable, et à ne pas être
soumis à des traitements inhumains et dégradants protégés respectivement
par les articles 4, 7, et 5 de la Charte. Sur la base de ces conclusions, la
responsabilité de l’État défendeur a été établie, etles demandes des Parties
seront donc examinées.
122. Comme indiqué précédemment, il incombe à tout requérant de fournir les
preuves à l'appui de ses allégations de préjudice matériel. La Cour a
également conclu dans ses arrêts précédents que le but des réparations est
de rétablir, autant que possible, la victime dans la situation qui prévalait
avant la violation*. La Cour a également conclu, eu égard au préjudice
33 AminiJ uma c. Tanzanie (fond etréparations), 5 141 ; Bw Co c. Tanzanie (fond etréparations), $ 15 ; Ai Cz et autres c. Ct Cj (réparations) (5 juin 2015) 1 RJ CA 265, 88 20 à 31.
34 Ax Ac Au c. Tanzanie, ibid., $ 143.
moral, qu’elle exerce un pouvoir judiciaire discrétionnaire avec équité pour
fixer le montant à accorder°°. Dans de tels cas, la Cour a adopté la pratique
qui consiste à octroyer un montant forfaitaire°6.
A. Réparations pécuniaires
123. La Cour relève que le Requérant demande à la Cour de lui accorder des
réparations au titre du préjudice moral subi en raison de la violation de ses
droits. Comme établi dans le présent Arrêt, le Requérant a subi plusieurs
violations qui impliquent intrinsèquement un préjudice moral. Il s’agit
notamment de l'imposition de la peine de mort obligatoire, de la longue
période de détention préventive, du couloir de la mort, à tous ces éléments
venant s’ajouter une situation globale inhumaine et dégradante.
124. Dans des cas similaires, la Cour de céans a estimé que de telles
circonstances justifiaient sans équivoque l'octroi de réparations pour
préjudice moral, qu’elle a, en équité, évaluées à hauteur de quatre (4) à cinq
millions (5 000 000) de shillings tanzaniens7. La Cour estime qu’il n’y a, en
l'espèce, aucune raison particulière de s'’écarter de cette fourchette
d'indemnisation. Toutefois, au regard des circonstances et des conclusions
de fond de la Cour de céans, la Requête en l'espèce présente davantage
de similitudes avec celle de Ai Xa c. Tanzanie. Au regard de ce
qui précède, la Cour accorde au Requérant la somme de sept millions (7
000 000) de shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral qu’il
a subi.
B. Réparations non-pécuniaires
35 Ax Ac Au c. Tanzanie, ibid., 5 144 ; Bw Co c. Tanzanie, ibid., 5 181 ; Av As Ae c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RJ CA 13, $ 119.
36 Ax Ac Au c. Tanzanie, idem ; Bw Co c. Tanzanie, ibid., $ 177.
37 Ax Ac Au c. Tanzanie, ibid., 58 152 à 158 ; Ai Xa c. Tanzanie, ibid, $S 185 à 189.
125. Le Requérant demande à la Cour d'annuler sa condamnation à la peine
capitale ; d’ordonner la reprise de son procès et d’ordonner à l’État
défendeur d’amender la disposition de son droit interne relative à la peine
de mortobligatoire en vue de garantir le respect de la vie.
126. Notant que le Requérant fait par ailleurs une demande portant sur la
disposition de la loi qui prévoit la peine de mort obligatoire et à la lumière
de ces conclusions précédentes dans le présent Arrêt, la Cour estime qu’il
est approprié d’examiner préalablement la demande d’amendement du
Code pénal.
i. Amendement de la loi pour garantir le respect du droit à la vie
127. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier
sa législation afin de garantir le respect du droit à la vie.
128. La Cour rappelle que, dans de précédents arrêts relatifs à la peine de mort
obligatoire impliquant le même État défendeur, elle avait ordonné que les
dispositions concernées soient supprimées du Code pénal, conformément
à ses obligations internationales“8, La Cour fait le constat judiciaire que,
trois (3) ans après le prononcé du premier arrêt de ce genre, l’État
défendeur n’a toujours pas, à la date du présent Arrêt, mis en œuvre ladite
ordonnance. Des ordonnances identiques ont également été émises dans
deux autres arrêts rendus en 2021 et 2022, mais aucune n’a été mise en
œuvre à ce jour.
129. Dans ces conditions, le principal motif invoqué dans les affaires
précédentes reste valable en ce qui concerne la présente Requête, à savoir
que les personnes se trouvant dans la même situation courent toujours le
risque majeur d’être exécutées ou condamnées à mort. Compte tenu de
l'importance cruciale de l'ordonnance, la Cour juge donc approprié de la
38 Ai Xa c. Tanzanie, ibid, $ 207 ; Ax Ac Au c. Tanzanie, ibid, $ 170.
réitérer dans la présente Requête et d'ordonner à l’État défendeur d’abroger
la disposition relative à la peine de mort obligatoire de son Code pénal.
130. Le Requérant demande à la Cour d’annuler la peine de mort prononcer à
son encontre et de faire droit à sa demande relative à la tenue d’un nouveau
procès qui soit conforme aux garanties de procès équitable prévues par la
Charte.
131. Dans l'arrêt Rajabu cité précédemment, la Cour de céans a estimé qu'’étant
donné que l'imposition de la peine de mort obligatoire empiète sur le pouvoir
discrétionnaire des juges en matière de fixation de peine, une réparation
suffisante relative à celle-ci requiert que l'affaire soit entendue à nouveau à
l'effet de prononcer une peine différente*°. Dans la même décision, la Cour
a également estimé que le verdict ne peut être réexaminé que dans la
mesure du caractère obligatoire de la peine, étant donné principalement
que le constat de violation n’a pas d’incidence sur la culpabilité et la
condamnation du Requérant®.
132. Bien que la Requête en l’espèce présente des particularités en ce qui
concerne les faits et la situation du Requérant, les conclusions de la Cour
concernant le droit à la vie sont en fin de compte identiques à celles de
l’affaire Rajabu. Il s'ensuit que si la demande d'annulation de la
condamnation est valable à la lumière des conclusions du présent Arrêt,
cette demande doit être comprise comme visant à écarter la peine de mort
obligatoire et non à garantir une exemption de sanction, dans la mesure où
la procédure devant la Cour de céans ne remet pas en question les
conclusions des juridictions internes sur le forfait qui a été commis.
133. La Cour estime qu’il convient d’adopter la même approche corrective, et
décide donc d’ordonner à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
39 Bj Aa c. Tanzanie, ibid, $ 158.
nécessaires pour que l’affaire soit réexaminée en ce qui concerne la peine
prononcée à l’encontre du Requérant, et ce dans le cadre d’une procédure
qui n’admette pas l'imposition obligatoire de la peine de mort et qui préserve
l'entière discrétion du juge.
134. Les Parties n’ont pas soumis d'observations sur la publication.
135. Toutefois, la Cour estime que, pour des raisons désormais fermement
établies dans sa pratique, et compte tenu des circonstances particulières
de la présente affaire telles qu’exposées précédemment, la publication du
présent Arrêt se justifie. Il convient de relever que, les menaces à la vie
liées à la peine de mort obligatoire demeurent prégnantes dans l’État
défendeur, où rien n’indique que des mesures sont prises afin de modifier
la loi ni que les garanties offertes par la Charte et la Cour de céans sont
toujours requises pour protéger les justiciables. La Cour estime donc qu’il y
a lieu de rendre une ordonnance de publication.
iv. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
136. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de prendre
des mesures appropriées pour remédier aux violations dans un délai
raisonnable, et de faire rapport à la Cour, dans les six (6) mois suivant
l’Arrêt, des mesures prises en vue de sa mise en œuvre.
137. Les motifs invoqués concernant la publication sont également applicables
aux demandes relatives aux délais de mise en œuvre et de soumission de
rapports. En ce qui concerne la mise en œuvre, la Cour relève que, dans
ses précédents arrêts ordonnant l’abrogation de la disposition relative à la
peine de mortobligatoire mentionnée précédemment, l'État défendeur a été
invité à mettre en œuvre cette disposition dans un délai d’un (1) an.! Étant
41 Bj Aa c. Tanzanie, ibid, 171, xv, xvi ; Ai Xa c. Tanzanie, ibid, 203.
donné que l’État défendeur ne s’est pas conformé à l’ordonnance de la
Cour, comme établi précédemment dans le présent Arrêt, la Cour considère
que le fait de réintroduire le même délai dans la présente Requête ne
rendrait pas justice à l'urgence primordiale de faire supprimer la disposition
préjudiciable. Sur la base de ces considérations, la Cour décide de fixer le
délai de mise en œuvre à six (6) mois à compter de la date du présent Arrêt.
138. En ce qui concerne la demande relative à la soumission de rapports, la Cour
estime qu’elle est requise par la pratique judiciaire. S’agissant
particulièrement des délais, la Cour note que le délai fixé dans les arrêts
non-encore mis en œuvre s’évalue cumulativement à trois (3) ans. Pour les
mêmes raisons que celles exposées lors de l'examen de la demande
relative à la publication et à la mise en œuvre de l’Arrêt, le rapport devrait
être soumis dans un délai plus court que celui fixé dans chacun des arrêts.
La Cour estime que le délai approprié devrait être de six (6) mois en
139. La Cour constate que l’État défendeur n’a mis en œuvre ses ordonnances
dans aucune des affaires précitées dont les délais de mise en œuvre ont
expiré. Compte tenu de ce fait, la Cour considère toujours que les
ordonnances se justifient dans la mesure où elles constituent des mesures
de protection individuelle et une réaffirmation générale de l’obligation et de
l’urgence pour l’État défendeur d'abolir la peine de mort obligatoire et de
prévoir des mesures de substitution.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
140. Chacune des Parties a, dans ses observations, demandé à la Cour de
mettre les frais de procédure à la charge de l’autre.
141. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement, « à moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
142. La Cour décide, en l'espèce, que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
DISPOSITIF
143. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
ii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Ditque l'Étatdéfendeur a violé le droit du Requérant à la vie, protégé
par l’article 4 de la Charte en raison de la disposition de son Code
pénal qui prévoit l'imposition obligatoire de la peine de mort, car
celle-ci écarte le pouvoir discrétionnaire du juge ;
vi. Ditque l'État défendeur a violé le droit du Requérant à être jugé dans
les meilleurs délais, inscrit à l’article 7(1)(d) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à ne pas être
soumis à un traitement inhumain et dégradant, protégé par l’article 5
de la Charte, en raison de sa longue détention préventive, de sa
détention dans le couloir de la mort et de son enfermement.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
vil. Accorde au Requérant la somme de sept millions (7 000 000) de
shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral découlant
des violations constatées ;
ci-dessus, en franchise d'impôt, dans un délai de six (6) mois à
compter de la date de notification du présent Arrêt, faute de quoi il
sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base du
taux en vigueur de la Banque de Tanzanie pendant toute la période
de retard jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
x. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la notification
du présent Arrêt pour supprimer de ses lois l'imposition obligatoire
de la peine de mort.
xi_ Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires dans un délai d’un (1) an à compter de la notification du
présent Arrêt, pour juger à nouveau l'affaire en ce qui concerne la
condamnation du Requérant par le biais d’une procédure qui n’admet
pas l'imposition obligatoire de la peine de mort ;
xi. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un délai
de trois (3) mois à compter de la date de sa notification, sur le site
Internet du ministère de la Justice et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques, et de veiller à ce qu’il reste accessible
pendantau moins un (1) an après la date de sa publication ;
xiii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre un premier rapport sur
la mise en œuvre du présent Arrêt, dans un délai de (6) mois, à
compter de sa notification, puis des rapports selon la même
périodicité jusqu’à exécution totale du présent Arrêt ;
Sur les frais de procédure >
xiv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure. Ontsigné :
Blaise TCHIKAYA, Vice- président; (2x5
Ak Bt AO, J uge ; Li Oran la
Stella |. ANUKAM, J uge ; Eur am.
Cn AQ, J uge :Jraole fause -
et Robert ENO, Greffier. Œ
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’Opinion individuelle du J uge Blaise TCHIKAYA est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce premier jour du mois de décembre de l’année deux-mille vingt-deux,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 052/2016
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award