AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
UNIAO AFRICANA AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
J OHN MARTIN MARWA
REPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUETE N° 021/2017
ARRET
22 SEPTEMBRE 2022 a Regise,
SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA DÉFAILLANCE DE L'ÉTAT DÉFENDEUR
VI. SUR LA COMPÉTENCE
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
VIII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 12 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAY A, Vice-président; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella |.
ANUKAM, At Bx A, Bc AH et Bk Af ADJEl — Juges ; et
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2)* du Règlement de
la Cour (ci-après désigné « le Règlement»), la juge Imani D. ABOUD, Présidente de
la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
Bb Ai An
Assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par
ii M. Ao Ca Z, Bg By, Bureau du Solicitor General ;
ii. DrAlly POSSI, Az Bg By, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bq Aa X, Directrice par intérim de la Cellule juridique,
ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine.
iv. M. Al C HA, Br Cd Am, Bureau du Solicitor General ;
v. Mme Ad Aj, Cd Am, Bureau du Solicitor General ; et
vi. Mme Ba B, ] uriste, ministère des Affaires étrangères, de la
Coopération internationale et de la Coopération Est-africaine.
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
! Article 8 (2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
L LES PARTIES
1. Le sieur Bb Ai An Yci-après dénommé le « Requérant») est un
ressortissant tanzanien et enseignant de profession. Au moment du dépôt
de la présente Requête, il purgeait une peine de trente (30) ans de réclusion
à la prison centrale de Uyui, dans la région de Tabora, après avoir été
reconnu coupable de viol sur une élève âgée de dix-huit (18) ans. Il allègue
la violation de son droit à un procès équitable par les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir
des requêtes émanant d'individus et d'organisations non gouvernementales
(ci-après désignée «la Déclaration»). Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l'Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n'avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devantelle avant sa prise
d’effet un an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier devant la Cour que le Requérant aurait, la nuit,
demandé à une élève d’un établissement d’enseignement secondaire de
l'accompagner pour aller à la recherche d’un certain nombre d'élèves qui
2 Bv Bi Bf c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 37 à 39.
se trouvaient à l’extérieur de l'enceinte de l’école. Sur le chemin du retour,
le Requérant aurait agressé l’élève et aurait entrepris de la violer. L'élève a
finalement réussi à s'échapper et à regagner l’école en courant. Elle a
ensuite signalé l’incident à la police.
4. Le Requéranta par la suite été arrêté et mis en accusation pour viol devant
le tribunal de district de Nzega, dans l'affaire en matière pénale n°
198/2005. Il a été reconnu coupable et condamné à 30 ans de réclusion le
13 avril 2006.
5, Le Requérant a formé un recours en appel (n° 56/2006), lequel a été rejeté
par le Resident : Magistrates Court (Extended ] urisdiction) siégeant à Tabora le 14 décembre 2007.
6. Le Requéranta formé un autre recours devant la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Tabora au moyen de l'appel en matière pénale n° 22/2008. Dans son arrêt du 22 juin 2011, la Cour d’appel a rejeté ledit recours dans son intégralité etcondamné le Requérant à verser à la victime la somme de cinq cent mille (500 000) shillings tanzaniens à titre de réparation.
B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue la violation de ses droits par l’État défendeur, notamment
Le droit de ne pas être discriminé, consacré par l’article 2 de la Charte.
ï. Le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, garanti par
l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
ii. Le droit à ce que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été reçue au Greffe le 4 juillet 2017 et le 26 juillet 2017, la
Cour a demandé au Requérant de déposer un exemplaire de l'arrêt rendu
par la Cour d’appel siégeant à Ay YAv) dans l’appel en matière
pénale n° 22 de 2008. Après le dépôt de cette pièce par le Requérant, la
Cour a notifié la Requête à l’État défendeur le 13 août 2018.
9. Le 13 août 2018, la Cour a également demandé au Requérant de déposer
ses observations sur les réparations, mais il ne l’a pas fait malgré les
multiples rappels.
10. Le 27 septembre 2018, l’État défendeur a communiqué une liste des noms
et adresses de ses conseils.
11. Le 20 décembre 2018, la Cour a adressé un courrier de rappel à l’État
défendeur, l’invitant à déposer sa réponse à la Requête. Elle a également
accordé suo moto un délai supplémentaire de 30 jours pour le dépôt de
ladite réponse.
12. Le 21 janvier 2019, l’État défendeur a demandé à la Cour de lui accorder
un délai supplémentaire de six mois pour déposer sa réponse. Le 19 février
2019, la Cour a accordé à l’État-défendeur une dernière prorogation de
délai de quatre mois pour le dépôt de sa réponse conformément au
Règlement. L'attention de l’État défendeur a également été attirée sur les
dispositions de l’article 55 du Règlement, relatives aux décisions par
défaut.
13. Les débats ont été clos le 30 septembre 2021 et les Parties en ont été
dûment notifiées.
3 Règle 63 du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
IV. DEMANDES DES PARTIES
14. Le Requérant demande à la Cour de rétablir la justice là où elle a été
bafouée, d'annuler la déclaraton de culpabilité et la peine
d'emprisonnement de 30 ans de réclusion prononcées à son encontre et
d’ordonner sa remise en liberté. I! demande, en outre, à la Cour d’ordonner
toutes autres mesures qui pourraient être appropriées dans les
circonstances de l’espèce.
15. L'État défendeur n’a pas formulé de demande.
V. SUR LA DÉFAILLANCE DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
16. La règle 63(1) du Règlement* est ainsi libellée :
Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’abstient de faire valoir ses
moyens dans les délais fixés, la Cour peut, à la demande de l’autre
partie ou d’office, rendre une décision par défaut après s’être assurée
que la partie défaillante a été dûment notifiée de la requête et de toutes
les autres pièces pertinentes de la procédure.
17. La Cour note que la règle 63(1) énonce trois conditions pour rendre un arrêt
par défaut, à savoir : i) la notification à la partie défaillante de la requête et
des pièces de la procédure ; ii) la défaillance de l’une des parties, et iii) une
demande formulée par l’autre partie ou la Cour agissant d'office.
18. En ce qui concerne la première condition, la Cour relève que le Greffe a
transmis à l’État défendeur toutes les pièces de procédure déposées par le
Requérant.
4 Article 55(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
19. Pour ce qui est de la deuxième condition, la Cour fait remarquer que l’État
défendeur s’est vu accorder soixante (60) jours pour déposer son mémoire
en réponse, mais qu’il ne l’a pas fait. La Cour a également accordé deux
prorogations de délai pour le dépôt du mémoire en réponse, respectivement
le 20 décembre 2018 et le 19 février 2019, et dans la notification de la
dernière prorogation de délai, la Cour a attiré l'attention de l’État défendeur
sur les dispositions de l’article 55 de l’ancien Règlement, relatives aux
décisions par défaut. 5 Malgré ces prolongations de délai, l'État défendeur
n’a pas déposé de réponse. La Cour en conclut que l’État défendeur a
manqué à son obligation de faire valoir ses moyens.
20. S'agissant, enfin, de la troisième condition, la Cour note que le Règlement
lui confère le pouvoir de rendre un arrêt par défaut soit d'office, soit à la
demande de l’autre Partie. En l'espèce, le Requérant n'ayant pas demandé
d’arrêt par défaut, la C our rend d'office le présentarrêtaux fins d’une bonne
administration de la justice.6
21. Les conditions requises étant ainsi remplies, la Cour conclut qu’elle peut
statuer par défaut conformément à la règle 63(1) de son Règlement.
22. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
5 Règle 63 du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
6 Ae Bl c. République du Rwanda, CADHP, Requête n° 010/2017, arrêt du 26 juin 2020 (exception d’irrecevabilité), S$ 27 à 32. Ae Bl c. République du Rwanda, CADHP, Requête n° 011/2017, arrêt du 26 juin 2020 (exception d’irrecevabilité), 55 20 à 25.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
23. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
« [a Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence [...]
conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».
24. Après avoir constaté que sa compétence n’est pas contestée, la Cour
conclut ce qui suit :
Sa compétence matérielle est établie dès lors que la Requête allègue
des violations des articles 2 et 7 de la Charte que l’État défendeur a
ratifiée, et qu’elle a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Charte
conformément à l’article 3 (1) du Protocole.
ii. Elle a la compétence personnelle, étant donné que l’État défendeur
est partie au Protocole et qu’il a déposé la Déclaration prévue à
l’article 34(6) du Protocole, ce qui a permis au Requérant de saisir la
Cour en vertu de l'article 5(3) de cet instrument. En référence au
paragraphe 2 du présent Arrêt, la Cour rappelle avoir décidé que le
retrait de la Déclaration n’avait aucun effet rétroactif et aucune
incidence, ni sur les affaires introduites avantle dépôt de l'instrument
de retrait, ni sur les nouvelles affaires dontelle a été saisie avant que
ledit retrait ne prenne effet.” La présente Requête, introduite avant le
dépôt, par l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en est donc pas
affectée.
ii. Elle a la compétence temporelle étant donné que les violations
alléguées ont été commises après la ratification de la Charte, du
Protocole etle dépôt de la Déclaration par l’État défendeur. En outre,
les violations alléguées ontun caractère continu, la condamnation du
7 Bv Bi Bf c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 88 35 à 39.
Requérant étant maintenue sur la base de ce qu’il considère comme
une procédure inéquitable.8
iv. Elle a la compétence territoriale, les faits sur lesquels se fondent les
violations alléguées s'étant produits sur le territoire de l’État
défendeur.
25. Au vu de ce qui précède, la Cour conclutqu'elle est compétente en l’espèce.
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
26. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, «[I]a Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
27. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, etau
présent Règlement».
28. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, estainsi libellée :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat;
b. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
8 Ayant droits de feus Ak Bj, Bh Ab alias Ablassé, Bo Bj, Blaise IIboudo et Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aw Ar (exceptions préliminaires) (21 juin 2013), 1 RJ CA 204, 88 71 à 77.
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
29. Ilressortdu dossier que le Requéranta été clairementidentifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
30. La Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à protéger
ses droits garantis par la Charte. Elle note également que l’un des objectifs
de l'Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de son Acte constitutif, est
la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples. La
Requête ne contient aucune demande qui soit incompatible avec une
quelconque disposition de l’Acte. La Cour en conclut que la Requête est
compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte et estime
qu’elle satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du R èglement.
31. La Cour note en outre que la Requête ne contient pas de termes
outrageants ou insultants à l’égard de l’État défendeur. Elle satisfait donc à
l'exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
32. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais plutôt sur des pièces de procédure émanant des juridictions nationales de l’État défendeur,
conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
33. S'agissant de l'épuisement des recours internes, la Cour relève que l'affaire
du Requéranta été jugée par trois juridictions internes, à savoir le Tribunal
de district de Nzega le 13 avril 2006, le Resident Magistrate*s Court (à
compétence étendue) siégeant à Tabora le 14 décembre 2007 et la Cour
d'appel de Tanzanie le 22 juin 2011, cette dernière étant la plus haute
juridiction de l’État défendeur. La Cour en conclut que le Requérant a
entièrement épuisé les recours internes disponibles.
34. Quant à la question de savoir si la présente Requête a été déposée dans
un délai raisonnable, la Cour relève que la règle 50(2)(f) du Règlement, qui
reprend les dispositions de l’article 56(6) de la Charte, exige qu’une
Requête soit déposée dans : «un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
35. Dans l'affaire Ak Bj etautres c. Aw Ar, la Cour a estimé que
«… le caractère raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des
circonstances particulières de chaque affaire, et doit être apprécié au cas
par cas ».?
36. Il ressort du dossier que le Requérant a épuisé les recours internes le 22
juin 2011, date à laquelle la Cour d'appel a rendu son arrêt. Il a ensuite
introduit la présente Requête le 4 juillet 2017.
37. La Cour doit donc déterminer si la période allant du 22 juin 2011 au 4 juillet
2017, date à laquelle le Requérant l’a saisie, soit six (6) ans et douze (12)
jours, constitue un délai raisonnable au regard de l’article 56(6) de la Charte
et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
9 Ayants droit de feu Ak Bj, Bh Ab alias Ablasse, Bo Bj, Bm Au et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aw Ar, arrêt (exceptions d’incompétence) (21 juin 2013), 8 121.
38. Pour déterminer si une Requête a été déposée dans un délai raisonnable,
la Cour a toujours tenu compte de la situation personnelle des requérants,
notamment s’ils sont profanes en droit, indigents ou s’ils sont incarcérés.!°
39. Il importe de relever que la Cour a déjà conclu que le fait pour un requérant
de faire valoir, par exemple, qu'il était incarcéré, profane en matière de droit
etiindigent ne constitue pas une raison suffisante pour justifier qu’il n’ait pas
déposé sa requête dans un délai raisonnable.!!
40. Comme la Cour l’a fait remarquer, même les justiciables profanes en droit,
incarcérés ou indigents, sont tenus de démontrer en quoi leur situation
personnelle les a empêchés de déposer leur requête dans un délai plus
court. C’est fort de ces considérations que la Cour a conclu qu’une requête
introduite après cinq (5) ans etonze (11) mois n’a pas été déposée dans un
délai raisonnable.l? Il en estde même pour une requête déposée après cinq
(5) ans et quatre (4) mois.!? Dans une autre affaire, la Cour a estimé que le
délai de six (6) ans, trois (3) mois et quinze (15) jours n’était pas non plus
raisonnable au sens de l’article 56(5) de la Charte.!*
41. En l’espèce, bien que le Requérant soit incarcéré, il n’a pas produit
d'éléments de preuve sur le fondement desquels la Cour pourrait conclure
que sa situation personnelle l’a empêché de déposer la Requête en temps
plus opportun. Il s’est contenté d'affirmer que la Cour devait déclarer sa
requête recevable conformément à l'article 6(2) du Protocole, sans donner
la raison pour laquelle il lui a fallu six (6) ans et douze (12) jours pour saisir
la Cour.
1 Christopher J onas c. République-Unie de Tanzanie, arrêt (fond) (28 septembre 2017), 2 RJ CA 105, $ 54 ; Cc Bs c. République-Unie de Tanzanie, arrêt (fond) (11 mai 2018), 2 RJ CA 356, 8 50 ; Bw Cb c. Tanzanie, arrêt (fond et réparations), $ 56 ; Bd Ah c. Tanzanie, arrêt (fond
1 As Ap c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (recevabilité), $ 48.
!? Bz Ag Aq c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 010/2016. Arrêt du 25 septembre 2020 (recevabilité), 8 50.
13 Ax Bt et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 015/2015. Arrêt du 26 septembre 2019 (recevabilité), 5 48.
14 Bn Be c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 039/2016. Arrêt du 25 septembre 2020, (recevabilité), 8 57.
42. En l'absence de toute justification par le Requérant du délai de six (6) ans
et douze (12) jours dans lequel la Requête a été déposée, la Cour conclut
que celle-ci n’a pas été déposée dans un délai raisonnable au sens de
l’article 56(6) de la Charte, tel que repris dans la règle 50(2)(f) du
Règlement.
43. La Cour rappelle que les conditions de recevabilité d’une requête déposée
devant elle sont cumulatives, de sorte que si l’une d’entre elles n’est pas
remplie, la requête est irrecevable.!* En l'espèce, la Requête n'ayant pas
rempli la condition prévue à l’article 56(6) de la Charte, telle que reprise à
la règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour conclut qu’elle est irrecevable et la
rejette.
VIII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
44. Le Requérant et l'État défendeur n’ont pas présenté d'observations sur les
frais de procédure.
45. La Cour rappelle que conformément à la règle 32(2) de son Règlement
intérieur «à moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie
supporte ses frais de procédure ».!6
46. La Cour estime, en l'espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du
principe posé par cette disposition.
47. En conséquence, la Cour ordonne que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
1] ean Ce Ac Ak c. Côte d'Ivoire, arrêt (compétence et recevabilité) (22 mars 2018), 2 RJ CA 280, $ 61 ; Bu Bp J ohnson c. République de Ghana, CAfDHP, Requête n° 016/2017, arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), $ 57.
16 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
IX. DISPOSITIF
LA COUR,
Sur la compétence :
À l’unanimité,
Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
À la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix, la Juge Chafika BENSAOULA ayant émis une opinion dissidente,
ii. Dit que la Requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable iii. Déclare la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
iv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Chafika BENSAOULA, J uge AE
At AG Bx A, J uge ;
Bc AH, J uge faut Fause -
Bk Af ADJ El, Juge ;
Conformément à l’article 28(7)'du Protocole età la règle 70(1) du Règlement, l'Opinion dissidente de la J uge Chafika BENSAOULA est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt- deux, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.