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22/09/2022 | CADHP | N°017/2021

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 22 septembre 2022, 017/2021


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION AFRICAN UNION AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COURS AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
IBRAHIM BEN MOHAMED BEN IBRAHIM BELGUITH
RÉPUBLIQUE TUNISIENNE
REQUÊTE N° 017/2021
ARRÊT SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Sur les exceptions d’incompétence matérielle
1 Exception tirée du fait

que l’objet de la Requête n’est pas lié à des violations
des droits de l’homme
il, Exception tirée du fait que la Re...

AFRICAN UNION AFRICAN UNION AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COURS AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
IBRAHIM BEN MOHAMED BEN IBRAHIM BELGUITH
RÉPUBLIQUE TUNISIENNE
REQUÊTE N° 017/2021
ARRÊT SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Sur les exceptions d’incompétence matérielle
1 Exception tirée du fait que l’objet de la Requête n’est pas lié à des violations
des droits de l’homme
il, Exception tirée du fait que la Requête porte atteinte à la souveraineté
nationale 11 B Autres aspects de la compétence 15 VI. SUR LA RECEVABILITÉ 16 A Sur l'exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes 17 B Sur les autres conditions de recevabilité 24
VII. SUR LE FOND 26
A. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue 26
B Violation alléguée du droit du peuple à l’autodétermination et du droit de
participer à la direction des affaires publiques 29
C Violation alléguée du droit aux garanties de droits de l'homme 34 VIIL.SUR LES RÉPARATIONS 36
IX. SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES 39
X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 39
XI. DISPOSITIF 39 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente, Blaise TCHIKAYA, Vice-
président, Ben KIOKO, Bw Z, Au Ck Y, Am
AG, Stella |. ANUKAM, Co Ar A, et Bm AI, Dennis
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement»), le J uge Ch Bg C,
de nationalité tunisienne, s’est récusé.
En l’affaire :
IBRAHIM BEN MOHAMED BEN IBRAHIM BELGUITH
Avocat à la Cour de Cassation Tunisienne
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE TUNISIENNE
M. Bn At, Chargé du contentieux de l’État, ministère des Domaines de l’État et
des Affaires foncières.
après en avoir délibéré,
L LES PARTIES
1. Le sieur Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith (ci-après dénommé
« le Requérant ») est un ressortissant tunisien et avocat. Il allègue la
violation de ses droits garantis aux articles 1, 7, 13(1), 20(1) de la Charte
et par d’autres instruments relatifs aux droits de l'homme suite à la
promulgation de plusieurs décrets présidentiels en 2021.
2. La Requête est dirigée contre la République tunisienne (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 05 octobre 2007. L'État défendeur a
également déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine, le 2 juin 2017, la Déclaration prévue à l’article 34 (6) du Protocole
par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes
émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Le Requérant allègue que le Président de l’État défendeur a abrogé la
Constitution, interrompu le processus démocratique et s’est arrogé
davantage de pouvoirs en promulguant les décrets présidentiels suivants :
— N° 2021-69 du 26 juillet 2021 portant cessation de fonctions du Chef
du gouvernement et de membres du gouvernement,
— N° 2021-80 du 29 juillet2021 relatif à la suspension des compétences
de l’Assemblée des représentants du peuple et à la levée de
l'immunité parlementaire de tous ses membres pour une durée d’un
mois, à compter du 25 juillet 2021, sous réserve de prorogation de
ce délai, par décret présidentiel, conformément aux dispositions de
l’article 80 de la Constitution.
N° 2021-109 du 24 août 2021 relatif à la prorogation des mesures
exceptionnelles relatives à la suspension des compétences de
l'Assemblée des représentants du peuple, et à la levée de l'immunité
parlementaire de tous ses membres, et ce, jusqu’à nouvel ordre.
— N° 2021-117 du 22 septembre 2021, relatif aux mesures
exceptionnelles, dont l’article 20 abroge la Constitution, à l’exception
de chapitres | et Il et des dispositions qui ne sont pas contraires au
décret présidentiel, et
— N°2021-137 et2021-138 du 11 octobre 2021, portantrespectivement
nomination du chef et des membres du gouvernement.
4, Le Requérant affirme que les décrets susmentionnés ont illégalement mis
fin aux fonctions et à la nomination du chef du gouvernement et de ses
membres, etont suspendu les pouvoirs du Parlement et les dispositions de
la Constitution, à l’exception de son préambule et de ses chapitres | et Il.
B. Violations alléguées
5. Le Requérantallègue la violation des droits ci-après :
i, le droit du peuple à l’autodétermination, garanti par l’article 20(1) de la
Charte, l'article 1(1) du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (ci-après désigné « le PIDESC »), le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné « le PIDCP »! et par
l’article 21(3) de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ci-après
désignée « la DUDH ») ;
ii, le droit de participer à la direction des affaires du pays, garanti par l’article
13(1) de la Charte, et l’article 21(5) du PIDCP? ;
iii, le droit de développer des valeurs démocratiques et des droits humains,
garantis aux articles 2, 3, 4, 5, 11, 14 et 15 de la Charte africaine de la
! Instruments ratifiés par l’État défendeur le 18 mars 1969.
? Erreur du Requérant, l’article visé est le 25(a).
démocratie, des élections et de la gouvernance (ci-après désignée « la
iv. le droit de bénéficier des garanties des droits de l'homme protégées par
l’article 1 de la Charte ; et
v. le droit d’accès à la justice, garanti par l’article 7(1)(a) de la Charte, l’article
8 de la DUDH et les articles 2(3) et 14 du PIDCP.
6. Le Requérantallègue également la violation des articles 1°, 2, 3, 5, 20, 21,
49, 50, 52, 62, 65, 70, 72, 76, 77, 80, 81, 91, 92, 94, 95, 97, 100, 102, 110
et 148 (7) de la Constitution de l’État défendeur du 27 janvier 2014.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d’instance comportant une demande de mesures
provisoires a été reçue au Greffe le 21 octobre 2021.
8. Le 10 novembre 2021, la Requête a été notifiée à l’État défendeur aux fins
de réponse à la demande de mesures provisoires dans un délai de quinze
(15) jours et à la Requête au fond dans les quatre-vingt-dix (90) jours.
9. L'État défendeur n’a pas répondu à la demande de mesures provisoires.
Le 16 février 2022, il a déposé son Mémoire en réponse à la Requête,
lequel a été transmis au Requérant aux fins de réplique. Le Requérant a
déposé son Mémoire en réplique le 23 février 2022.
10. Le 7 mars 2022, le Mémoire en réplique du Requérant a été transmis à
l’État défendeur pour information.
11. Les débats ont été clos le 8 mars 2022 et les Parties en ont été dûment
notifiées.
3 L’État défendeur a signé ladite Charte le 27 janvier 2013, mais à ce jour il ne l’a pas ratifiée; voir
AFRICAN CHARTER ON DEMOCRACY ELECTIONS AND GOVERNANCE.pdf (Consulté le 30 mars 2022).
12. Le 24 mars 2022, la Cour a rendu une ordonnance de procédure, indiquant
qu’elle a décidé de statuer sur la demande de mesures provisoires en
même temps que le fond de la Requête, étant donné que toutes deux
comportaient essentiellement les mêmes allégations et demandes.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner des mesures provisoires afin
d'amener l’État défendeur à mettre fin aux mesures dites exceptionnelles,
à renouer avec la démocratie constitutionnelle et à respecter les
dispositions de la Constitution.
14. Le Requérant demande également à la Cour de :
i. Dire qu’elle est compétente ;
ii. Dire que la Requête est recevable.
15. Il demande en outre à la Cour de dire que l’État défendeur, en promulguant
les décrets précités, a violé ses droits, ainsi que les droits du peuple
tunisien, en particulier :
le droit des peuples à l’autodétermination, garanti par l’article 20(1)
de la Charte ;
ii. le droit de participer à la direction des affaires du pays, garanti à
l’article 13(1) de la Charte ;
ii. le droit de promouvoir les valeurs démocratiques et les droits
humains, garanti par les articles 2, 3, 4, 5, 10, 11, 14 et 15 de la
CADEG ;
iv. le droit de bénéficier des garanties des droits de l'homme protégées
par l’article 1 de la Charte ;
v. le droit d'accès à la justice, garanti par l’article 7 de la Charte.
16. Le Requérant demande par ailleurs à la Cour d’ordonner à l’État défendeur
d’abroger l'ensemble des six (6) décrets présidentiels énumérés au
paragraphe 3 ci-dessus, à savoir les décrets présidentiels n° 2021-69 du
26 juillet2021, 2021-80 du 29 juillet2021, 2021-109 du 24 août 2021, 2021-
117 du 22 septembre 2021 et 2021-137 et 2021-138 du 11 octobre 2021,
et de garantir les droits de l'homme énoncés dans la Charte et les autres
instruments, et, ce, en prenant les mesures suivantes :
ii Procéder à la promulgation des textes législatifs et règlementaires
nécessaires pour garantir la suprématie de la Constitution, notamment la
mise en place rapide de la Cour constitutionnelle et la levée de tous les
obstacles législatifs, règlementaires, politiques et pratiques qui
l'empêchent ;
i. Adopter des lois qui criminalisent la participation, et le soutien aux
changements anticonstitutionnels de pouvoir ;
ii. Adopter des lois qui garantissent l’inculcation de la culture démocratique
au sein de la population, en particulier chez les jeunes ;
iv. Ouvrir des voies procédurales efficaces pour remédier aux violations de la
Constitution, en attendant la mise en place de la Cour constitutionnelle, en ordonnant à l’État défendeur de soumettre à la Cour de céans un rapport
sur les procédures d'exécution de l’arrêt et les garanties de non-répétition.
17. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de dire que :
i. le Requérant n’a pas épuisé l’ensemble des recours internes ;
ii. aucune preuve de violation des droits de l'homme n’a été apportée ;
iii. l’objet de l'affaire porte atteinte au principe de souveraineté nationale ; et
iv. la Requête est rejetée quant à la forme et au fond.
V. SUR LA COMPÉTENCE
18. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour estcompétente, la Cour décide.
19. La Cour relève en outre qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement « la
Cour procède à un examen … de sa compétence et de la recevabilité d’une
requête conformément à la Charte, au Protocole et au présent
Règlement ».
20. Sur la base des dispositions susmentionnées, la Cour doit procéder à une
évaluation de sa compétence et statuer sur les exceptions d’incompétence,
le cas échéant.
21. En l’espèce, l’État défendeur soulève deux (2) exceptions d’incompétence
matérielle à l’égard de la Cour. La première est tirée du fait que l’objet de
la Requête n’est pas lié à des violations des droits de l'homme, et, la
seconde, du fait que l’objet de la Requête porte atteinte à sa souveraineté
nationale. La Cour va, en conséquence, statuer sur ces deux exceptions
avant de se prononcer sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur les exceptions d’incompétence matérielle
i. Exception tirée du fait que l’objet de la Requête n’est pas lié à des
violations des droits de l’homme
22. L'État défendeur soutient qu’aux termes des articles 3 et 26 du Protocole,
la compétence de la Cour se limite pour l’essentiel à prendre des mesures
pour faire cesser et prévenir les violations à l’encontre des citoyens
africains et pour dissuader les gouvernements de le faire, afin de préserver les droits des citoyens, tels que définis par les instruments internationaux,
principalement la Charte dont émane le Protocole.
23. L’État défendeur estime que, au regard de la Charte, les droits des citoyens
sont entièrement centrés sur quatre (4) droits, à savoir le droit à la liberté,
le droit à l'égalité, le droit à la justice et le droit à la dignité. Il soutient que
le concept de violation des droits de l’homme fait référence au fait de priver
des individus de leurs droits fondamentaux et de les traiter comme s'ils
étaient moins que des êtres humains et n'avaient pas droit à la vie et à la
dignité, en commettant des actes abominables comme le génocide, la
torture, la famine et l’esclavage. En outre, selon l’État défendeur, le concept
de violation des droits de l'homme fait également référence à la violation
des droits économiques, sociaux et culturels, lorsque l’État ne remplit pas
ses obligations de garantir la jouissance de ces droits sans discrimination,
par exemple en ne garantissant pas le droit au travail permettant de mener une vie décente.
24. L’État défendeur ajoute que la mission principale de la Cour de céans est
de protéger les droits universels et inaliénables de l'homme et de contribuer
à éviter les cas graves et imminents de violations et la survenance d’un
préjudice irréparable. Se référant, toutefois, à l’objet initial de l’affaire, l’État
défendeur soutient que le Requérant a fondé ses prétentions sur une série
de décrets pris par le président de la République dans le cadre des pouvoirs
qui lui sont conférés par la Constitution.
25. L’État défendeur met le Requérant au défi de prouver les droits de l'homme
dont il a été privé et la manière dont lesdits droits ont été violés, le cas
échéant, de sorte qu'il ait été emmené à saisir la Cour de céans. Il pose au
Requérant la question de savoir si la promulgation de décrets par le
Président dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la
Constitution entraine une violation de ses droits humains. En ce qui
concerne l’allégation du Requérant selon laquelle le peuple tunisien a été
privé de sa volonté d’autodétermination, l’État défendeur se demande qui a autorisé le Requérant à se substituer à l’ensemble du peuple tunisien et
à saisir une juridiction régionale étrangère pour obtenir un jugement en sa
faveur contre ce peuple et en son nom. L'État défendeur lui demande de
produire le mandat populaire qui lui a été donné pour agir contre tout un
peuple. il ajoute que s’il s’agit, comme le prétend le Requérant, d'une
spoliation du droit du peuple tunisien à l’autodétermination, alors il a
également spolié ce peuple de son droit de décider qui devrait agir en son
nom. || soutient en outre que le Requérant a également abusé de la
compétence de la Cour en portantune affaire devantelle sans avoir obtenu
l'autorisation de le faire.
26. L'État défendeur conclut qu’il n’y a pas de violation des droits de l'homme
alléguée ou prouvée par le Requérant. Il en déduit que l'affaire dont la Cour
est saisie est sans objet et doit être rejetée.
27. Le Requérant n’a pas répondu à cette exception.
28. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de toutes les affaires dont elle est saisie pour
autant que celles-ci portent sur des allégations de violation de la Charte ou
de tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État
défendeur.*
29. Enl’espèce, la Cour fait observer que le Requérant allègue la violation des
articles 2, 3, 4, 5, 10, 11, 14 et 15 de la Charte africaine de la démocratie,
des élections et de la gouvernance (CADEG). La Cour relève que l’État
défendeur n’ayant pas ratifié cette Charte elle ne peut appliquer ledit
instrument en l’espèce.
* Ab Aa c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 008/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), $ 21.
30. En revanche, le Requérant allègue également des violations des droits
garantis par les articles 1, 7, 13(1), 20(1) de la Charte et les articles 1(1),
2(3), 14 et 21(5) du PIDCP et l’article 1(1) du PIDESC. L’État défendeur
étant partie à ces trois instruments, la Cour peut les interpréter et les
appliquer à la présente affaire, et examiner les allégations du Requérant à
la lumière de leurs dispositions.
31. La Cour prend note de l’exception soulevée par l’État défendeur et selon
laquelle le Requérant n’a pas apporté la preuve des violations des droits de
l'homme alléguées et qu’il ne dispose pas de mandat conféré par le peuple
tunisien pour intenter une action en son nom.
32. S'agissant de la première question, la Cour fait observer que la preuve des
violations alléguées n’est pas pertinente pour déterminer sa compétence à
statuer sur une requête déposée devant elle. Il s’agit d’une question qui
devrait être différée et traitée au stade du fond.
33. Concernant la deuxième question, la Cour relève que le Requérant allègue
des violations de ses propres droits et de ceux du peuple tunisien.
Toutefois, il ressort de la Requête que le Requérant a engagé une action
d’intérêt public et, à cet égard, la Cour a précédemment fait observer que
les dispositions du Protocole :
[-….] n'obligent pas les individus ou les ONG à démontrer un intérêt personnel dans une requête pour accéder à la Cour surtout lorsqu'il s'agit d’un contentieux de norme. La seule condition préalable est que l'État défendeur, en plus d’être partie à la Charte et au Protocole, ait déposé la Déclaration permettant aux individus et aux ONG d'introduire des requêtes devant la Cour. Cela tient compte des difficultés pratiques que les victimes de violations des droits de l'homme peuvent rencontrer pour porter leurs plaintes devant la Cour, permettant ainsi à toute personne de porter ses plaintes devant la Cour sans avoir besoin de démontrer sa qualité de victime ou un intérêt individuel direct dans l'affaire.”
5 X c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 010/2020, arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations), $S 47 à 48.
34. Par conséquent, la Cour rejette les exceptions soulevées par l’État
défendeur à cet égard.
ii. Exception tirée du fait que la Requête porte atteinte à la souveraineté
nationale
35. L'État défendeur fait valoir que les relations internationales sont fondées
sur le principe de souveraineté, qui accorde à l’État la pleine autorité sur
son territoire et lui confère l'autorité suprême sur son territoire, ses
institutions, ses choix politiques, juridiques et économiques, et la conduite
de ses relations extérieures, si bien qu’en tout cela, elle n’est soumise à
aucune autorité supérieure.
36. || soutient également qu’en vertu du préambule de la Charte, « les États
membres de l’Organisation de l’unité africaine qui sont parties à la présente Charte
[...] réaffirment leur engagement solennel contenu à l’article 2 de la Charte
d'éliminer toutes les formes de colonialisme de l’Afrique et de coordonner et
d’intensifier leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions de
vie aux peuples d'Afrique etle développement de la coopération internationale en
tenant compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des
droits de l’homme ».
37. L'État défendeur ajoute que l’article 2(7) de la Charte des Nations Unies,
dispose qu’ : « [aucune disposition de la présente Charte n'autorise les
Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement
de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre
des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la
présente Charte ». L'État défendeur estime que cet article consacre le
principe de non-ingérence, qui est l’un des principes cardinaux du droit
international public et sur lequel se fondent les actions des États souverains
et des tribunaux internationaux. |! affirme que ce concept de non-ingérence
est l’élément central de la compétence nationale de l’État pour protéger son
indépendance et sa souveraineté, à moins que l’État n’entreprenne des
actions qui menacent la paix et la sécurité internationales ou ne commette une agression contre un autre État, au sens du chapitre VII de la Charte
des Nations unies.
38. Selon l’État défendeur, la souveraineté de l’État se manifeste dans la
souveraineté du gouvernement en son sein par l'exercice de trois pouvoirs,
à savoir le législatif, l'exécutif et le judiciaire. Il ajoute que les autorités
législatives et judiciaires représententun aspect de la souveraineté de l’État
et sont considérées comme le noyau de sa compétence nationale, telle
qu’énoncée à l’article 2(7) de la Charte des Nations Unies. L’État défendeur
soutient que cette Charte des Nations Unies est l’une des sources de droit
que la Cour doit prendre en considération dans sa jurisprudence, afin de
ne pas interférer dans le travail des juridictions nationales ni les contraindre
à rendre certains jugements ou décisions, ou de ne pas exercer un contrôle
sur elles en rendant des avis et décisions externes influençant ou allant à
l'encontre de leurs décisions.
39. L’État défendeur rappelle la demande du Requérant invitant la Cour de
céans à lui ordonner d’adopter les instruments législatifs et réglementaires
nécessaires pour assurer la suprématie de la Constitution, criminaliser les
changements inconstitutionnels de pouvoir et favoriser une culture
démocratique au sein du peuple, ainsi que de l’obliger à ouvrir des voies et
fournir des solutions procédurales pour remédier aux violations de la
Constitution. En réponse à cette demande, l’État défendeur fait remarquer
que l'indépendance de ses autorités est régie par des dispositions
constitutionnelles et que nul ne peut intervenir dans des affaires qui
relèvent de la compétence nationale d’un État, et que les citoyens ne sont
pas autorisés à soumettre ces questions à une procédure de règlement aux
termes de la Charte des Nations Unies.
40. L’État défendeur ajoute que la mission du pouvoir législatif et l’adoption
des lois et règlements en son sein sont au cœur de sa compétence
nationale et qu'aucune partie n’a le droit d’y intervenir ni le pouvoir de
l’obliger à adopter des lois et textes réglementaires dans un domaine
quelconque. || soutient par ailleurs, que d’un point de vue purement juridique, les décisions rendues par la Cour de céans sont des décisions
rendues par les États membres en leur qualité de personnes morales,
indépendantes de leurs autorités internes. Selon l’État défendeur, les
décisions de la Cour de céans ne doivent pas être rendues contre la
compétence nationale d’un État membre, et ses décisions ne sont pas non
plus considérées comme étant supérieures à celles du pouvoir judiciaire de
celui-ci, étant donné qu’aucune décision n’est supérieure aux décisions de
justice internes des États membres de l’Union africaine.
41. L’État défendeur en conclut que la Cour de céans ne peut rendre une
décision qui porte atteinte à sa souveraineté. La seule exception pour
prendre une telle décision concerne les cas où l’Étatentreprend des actions
qui menacent la paix et la sécurité internationales ou commet une
agression contre un autre État, au sens des dispositions du Chapitre VII de
la Charte des Nations Unies. || réaffirme qu’une partie extérieure n’est pas
autorisée à s’immiscer dans des affaires qui relèvent de la compétence
nationale de l’État défendeur. En conséquence, l’État défendeur demande
à la Cour de rejeter la Requête au fond.
42. Le Requérant n’a pas répondu à cette exception.
43. La Cour relève que la question centrale soulevée par l’exception formulée
par l’État défendeur porte sur l'affirmation selon laquelle la Cour n’a pas
compétence pour connaître d'une requête, sauf si celle-ci concerne des
actes menaçant la paix et la sécurité internationales au sens du chapitre
VII de la Charte des Nations Unies. L’État défendeur soutient que, dans
tous les autres cas, la Cour n’est pas compétente pour statuer sur une
requête, car cela irait à l'encontre de la souveraineté de l’État défendeur et
du principe de non-intervention consacré par l’article 2 de la Charte des
Nations Unies.
44. La Cour fait observer que les règles du droit international, y compris les
dispositions du Protocole dont elle tire sa compétence, découlent des
engagements consensuels des États. En général, les États ne sont pas liés
par des règles auxquelles ils n’ont pas consenti, ce qui constitue l’une des
plus hautes manifestations de leur souveraineté. Néanmoins, une fois qu’ils
ont donné leur consentement, ils ne peuvent pas invoquer l’exception de
souveraineté pour contourner ou limiter l'obligation découlant d’une règle à
laquelle ils ont volontairement accepté d’être liés.
45. À cet égard, la Cour souligne que la ratification par un État de traités et
instruments internationaux instituant un tribunal international est
l'expression de sa volonté ou de son consentement à céder une partie de
sa souveraineté et à se soumettre à la juridiction de ce tribunal.6
46. En l’espèce, l’État défendeur a ratifié le Protocole et déposé la Déclaration
prévue en son article 34(6). Si la ratification du Protocole et le dépôt de la
Déclaration sonttous deux des actes facultatifs et volontaires, ils entraînent
une obligation internationale à l’égard de l’État défendeur vis-à-vis de la
Cour, à savoir celle de se soumettre à sa compétence.” Une telle obligation
découle du comportement propre de l’État défendeur dans l’exercice de
son pouvoir souverain. Il ne peut donc invoquer sa souveraineté et le
principe de non-intervention dans ses affaires intérieures pour écarter la
compétence de la Cour.
47. La Cour tient à rappeler que sa compétence ne se limite pas à statuer sur
des requêtes contenant des allégations de violations des droits de l'homme
uniquement dans la mesure où celles-ci menacent « la paix et la sécurité
internationales ». Elle réitère sa position selon laquelle, dès lors qu'une
requête contient des allégations de violation d’un ou plusieurs des droits
protégés par la Charte ou toutautre instrument relatif aux droits de l'homme
6 Voir l’article 2(b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969).
7 Ali Ben Cg Bg Bz c. République tunisienne, CAfDHP, Requête n° 033/2018, Arrêt du 25 juin 2021, 8 45 ; Ay Al Ao c Rwanda (compétence) (2014), Décisions sur les effets du retrait de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, 3 juin 2016 (intégrant un rectificatif à la décision, 5 septembre 2016), 1 RJ CA 585, $ 58.
ratifié par l’État défendeur, elle se déclare compétente pour connaître de
cette requête, que les violations alléguées concernent ou non la paix et la
sécurité internationales. Aussi, la Cour rejette-elle l'exception
d’incompétence soulevée par l’État défendeur à cet égard.
48. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la présente Requête.
B. Autres aspects de la compétence
49. La Cour fait observer qu'aucune exception n'a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle et territoriale.
50. Ayantétabli que rien dans le dossier n'indique qu’elle n’estpas compétente,
la Cour conclut qu’elle à :
la compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est
partie à la Charte et au Protocole et a déposé la Déclaration qui
permet aux individus, à l’instar du Requérant, et aux ONG de saisir
la Cour.
ii la compétence temporelle, dans la mesure où les violations
alléguées ont été commises après l'entrée en vigueur des
instruments susmentionnés à l’égard de l’État défendeur ;
iii. la compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause et
les violations alléguées ont eu lieu sur le territoire de l’État
défendeur.
51, La Cour se déclare donc compétente en l'espèce.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
52. Conformément à l’article 6(2) du Protocole, « [Ila Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article
56 de la Charte ».
53. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [IJa Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduite devant elle conformément aux articles
56 de la Charte et 6 alinéa 2 du Protocole, et au présent Règlement ».
54. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l'anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge d’une façon anormale;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre
saisine ;
g) Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux
principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif
de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte.
55. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de
la Requête tirée du non-épuisement des recours internes.
A. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes
56. L'État défendeur soutient que l’article 50 de la Charte stipule que la
« Commission » ne peut examiner une affaire portée devant elle qu’après
s'être assurée que tous les recours internes, le cas échéant, ont été
épuisés, à moins qu’il ne soit manifeste que la procédure de ces recours se
prolonge de manière anormale. L'article 56 de la Charte stipule également
que « la Commission » examine les communications visées à l’article 55
relative aux droits de l'homme et des peuples si elles sont postérieures à
l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste pour « la Commission » que la procédure de ces recours se sont
prolongées de façon anormale.
57. L'État défendeur fait également valoir que l'article 6 du Protocole prévoit
que lorsqu’elle statue sur une affaire introduite devant elle en vertu de
l’article 5 du Protocole, pour déterminer si celle-ci remplit les conditions de
recevabilité, la Cour peut solliciter l’avis de la Commission, qui doit le
donner dans les meilleurs délais. Par ailleurs, la Cour a déjà décidé que les
requêtes soumises devaient remplir les conditions de recevabilité, au
regard des dispositions de l’article 56 de la Charte.
58. L'État défendeur considère que le Requérant a porté l'affaire directement
devant la Cour de céans, sans avoir exercé au préalable les recours
internes devant les juridictions compétentes de l’État défendeur, ce que le
Requérant lui-même a reconnu dans sa Requête.
59. En conséquence, selon l'État défendeur, l’une des conditions de
recevabilité des requêtes portées devant la Cour conformément aux
dispositions des articles 50 et 56 de la Charte et de l’article 6 du Protocole
n'est pas remplie. Il ajoute que l’article 8 du Protocole stipule qu’après avoir
déclaré l’affaire recevable comme stipulé dans les dispositions précitées,
la Cour peut, à la majorité des deux tiers de ses membres, décider de la rejeter® si, à son avis, une des conditions mentionnées à l’article 56 de la
Charte n’est pas remplie.
60. Pour sa part, le Requérant considère que la Constitution de l’État défendeur
est au sommet de la hiérarchie des normes nationales. En vertu de la
Constitution, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la
constitutionnalité des projets de lois, régler les conflits de compétence entre
le Président de la République et le P remier ministre, révoquer le Président
de la République, recevoir son serment et constater la vacance de la
fonction de P résident de la République. Ce qui, selon le Requérant, fait de
la Cour constitutionnelle la seule autorité compétente exclusivement
habilitée à statuer sur les violations graves de la Constitution par le chef de
l’État (article 69 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle) et
sur les conflits de compétences entre le Président de la République et le
Chef du gouvernement (articles 47 à 76) et plus généralement toutes les
violations constitutionnelles qui peuvent lui être imputées.
61. Le Requérant affirme que, bien que plus de cinq (5) années se soient
écoulées depuis la promulgation de la loi organique n° 2015-50, la Cour
constitutionnelle n’a pu être mise en place en raison de l'échec de toutes
les tentatives entreprises à cette fin et au fin d’élection de ses membres, ce
qui rend le contentieux national impossible en ce qui concerne les violations
imputées à l’État défendeur en l'espèce. Il affiime également que la loi
n° 50-2015 stipule dans ses dispositions transitoires (article 80) que
l'Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets
de lois (IPCCPL) créée en vertu de la loi fondamentale n° 14-2014 du 18
avril 2014 (ci-après désignée « la loi du 18 avril 2014 relative à l'IPCCPL »)
restera en place jusqu'à la mise en place de la Cour constitutionnelle. Il fait
valoir cependant que la compétence de l'IPCCPL se limite à examiner les
contestations de la constitutionnalité des projets de loi portés uniquement
8 Erreur de l’État défendeur, l’article 8 du Protocole stipule : « La Cour fixe dans son Règlement Intérieur les conditions d’examen des requêtes dont elle est saisie en tenant compte de la complémentarité entre elle etla Commission ».
par le président de la République, le Premier ministre ou un certain nombre
de députés, de sorte qu’il estimpossible de la saisir. Il ajoute qu’en tout état
de cause, le Décret présidentiel n° 2021-117, en son article 21, ayant
dissous l'IPCCPL, il n'existe dès lors aucun mécanisme de contrôle de la
constitutionnalité des lois, et par conséquent, aucune voie de recours n’est
disponible à cet égard.
62. Le Requérant affirme que l'impossibilité d’un recours interne est confirmée
par le dernier alinéa de l’article 3 de la loi du 18 avril 2014 relative à
l'IPCCPL, qui stipule que : « [IJes tribunaux sont réputés incompétents pour
contrôler la constitutionnalité des lois ». Cela correspond au premier alinéa
de l’article 120 de la Constitution relatif à la compétence exclusive en
matière de contrôle de constitutionnalité.
63. En outre, le Requérant considère que, même dans l'hypothèse d’un recours
au tribunal administratif conformément à sa loi modifiée du 4 février 2002,
qui prévoit la possibilité de faire appel des décrets à caractère
réglementaire, ce recours n’en est pas moins stérile et inefficace en raison
de l'instabilité de la jurisprudence de ce tribunal. I! affirme à cet effet que la
compétence du tribunal est fondée sur le caractère administratif de la loi.
Ainsi, les décrets contestés doivent être d'ordre organisationnel, c’est-à-
dire relever du droit administratif, ce qui n’est pas le cas des décrets à
l’origine des violations en question.
64. Le Requérant soutient également qu’en raison de l'existence de la théorie
des actes du gouvernement, de l'absence de caractère administratif, c’est-
à-dire d'activité administrative normale et de fonctionnement d’un
établissement public administratif, et du caractère constitutionnel de l’objet
des décrets en question, le tribunal administratif ne peut pas connaître des
recours contre ces décrets, ce qui rend la qualité pour agir devant lui
inopérante. À cet égard, il rappelle la décision administrative dans l'affaire
Al-Sahbi Al-Omari contre le Premier ministre rendue par la première
chambre d’appel n° 26758 le 15 juillet 2008. Le Requérant considère que,
dès lors que le décret attaqué concerne une convocation des électeurs à un référendum sur le projet de loi constitutionnelle portant sur la
modification de certaines dispositions constitutionnelles, il n'appartient pas
à la catégorie des décisions administratives susceptibles d’être attaquées
en annulation au sens de l’article 3 de la loi relative au tribunal administratif,
mais relève plutôt de la catégorie des actes souverains que le juge
administratif n’a pas le pouvoir de contrôler.
65. Il ajoute, dans le même ordre d'idées, que dans la décision portant sursis
à exécution, dans l'affaire Ziyad Al-Hani contre le président de la
République, qui visait à abroger le Décret Présidentiel n° 2016-95
chargeant une personnalité de former un gouvernement (décision
n° 4100120 du 25 août 2016), le tribunal administratif a jugé qu'il n’était pas
autorisé à examiner le recours ou à demander le sursis à exécution des
décisions concernant les rapports entre pouvoirs publics, en application de
la Constitution. Le tribunal a également estimé que la qualité de citoyen ne
confère pas la capacité juridique de contester un décret présidentiel, car il
s'agit d’une question d'intérêt public qui ne concerne pas directement une
demande individuelle, sauf dans le cas où un intérêt personnel direct est
en jeu. Le Requérant se réfère en outre à la décision administrative
n° 134049 du 6 juillet2018, dans l’affaire Abdel-R aouf AH et Rabi’AI-
Cj contre le président de l’Assemblée nationale constituante et à la
décision n°123610 du 14 juillet 2016, dans l’affaire Bd Bc
As c. le Premier ministre.
66. Le Requérant prétend que les décrets qui ont donné lieu aux violations en
question ne relèvent pas, pour l’essentiel, du pouvoir réglementaire du
président de la République, au sens de l’article 78 de la Constitution. Le
pouvoir règlementaire général est exercé par le Chef du gouvernement, tel
qu’indiqué explicitement à l’article 94 de la Constitution, qui fixe le vice de
compétence sauf si le Tribunal administratif a statué sur le respect de la
norme matérielle précitée.
67. Le Requérant invoque par ailleurs la jurisprudence de la Cour de céans
dans son arrêt dans l’affaire Ci Bb c. République-Unie de Tanzanie, dans laquelle elle à affirmé « [qu’’il n’est pas nécessaire de recourir
à la même voie judiciaire lorsque l’issue est déjà connue », une position
confirmée dans son arrêt dans l'affaire Cf Az Cp c. Aq Aw,
en son paragraphe 112. Cette position cadre également avec la
jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme établie
dans l'affaire Bs Ag c. Honduras du 29 juillet 1988, au
paragraphe 64 de l'arrêt qui est libellé comme suit : « [s]i un recours est
insuffisant en l'espèce, il va de soi qu’il ne doit pas être épuisé ». Par ailleurs, la
Cour de céans a défini l'efficacité de la procédure judiciaire comme « la
capacité à trouver une solution à l’affaire dont se plaint celui qui engage la
procédure », comme indiqué dans l'arrêt Ap Bu c. Aq Aw du
28 mars 2014, paragraphe 92.9
68. Le Requérant soutient également que la Cour de céans a déjà traité de la
question de l’examen par les juridictions administratives de la
constitutionnalité des instruments législatifs et réglementaires comme voie
de recours interne, notamment dans son arrêt dans l'affaire Action pour la
protection des droits de l'homme contre République de Côte d'Ivoire au
paragraphe 98, dans lequel la Cour a conclu que les juridictions
administratives, selon les lois qui les régissent, n’ont pas compétence pour
connaître des recours en inconstitutionnalité des lois. I! en déduit que la
présente Requête ne peut être contestée au motif que ce recours n’a pas
été exercé. En conséquence, le Requérant conclut de ce qui précède que
les recours internes sont inexistants, ce qui les rend inefficaces, et que la
Requête est donc recevable au regard de l'exigence d’épuisement des
recours internes.
69. Le Requérantfait, enfin, valoir que la réponse de l’État défendeur n’apporte
aucun élément nouveau susceptible de prouver que sa Requête est sans
objet ou d’en justifier le rejet. Au contraire, la réponse elle-même semble
confirmer ce qui a été exposé dans la Requête, la rendant ainsi cohérente
avec ses demandes.
9 Il s’agit plutôt du paragraphe 92 de l'affaire Cf Az Cp c. Aq Aw (fond), Arrêt du 5 décembre 2014, 1 RJ CA 324.
70. La Cour note que, conformément à l’article 56(5) de la Charte et à la règle
50(2)(e) du Règlement, les requêtes introduites devant elle doivent être
postérieures à l'épuisement des recours internes, à moins qu’il soit
démontré que les procédures afférentes aux recours concernés se sont
prolongées de façon anormale. La règle de l'épuisement des recours
internes vise à donner aux États la possibilité de traiter les violations des
droits de l’homme relevant de leur compétence avant qu’un organe
international des droits de l'homme ne soit saisi pour déterminer la
responsabilité de l’État à cet égard.!°
71. La Cour souligne que les recours internes qui doivent être épuisés sont les
recours de nature judiciaire, qui doivent être disponibles, c’est-à-dire qui
peuvent être exercés sans entrave par le requérant, et être effectifs et
satisfaisants en ce sens que « le plaignant est satisfait ou [que le recours
est] de nature à régler le différend »,!!
72. En l’espèce, la Cour constate, d’une part, que l’État défendeur n’a pas
indiqué de quel recours le Requérant dispose au niveau national. D'autre
part, la Cour note que le Requérant a évoqué la question du respect de
l'exigence de l'épuisement des recours internes dans la Requête et a
conclu que dans le système judiciaire de l’État défendeur, il n’y a aucun
moyen de contester la constitutionnalité des lois, étant donné que la Cour
constitutionnelle n’a pas été mise en place. Cela signifie que le seul moyen
de faire appel des décisions est de recourir à la procédure de plainte pour
abus de pouvoir. Le Requérant soutient en outre que ces recours ne sont
pas efficaces et ne sont pas susceptibles de régler la situation causée par
la publication de décrets présidentiels.
10 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RJ CA 9, 55 93 à 94.
11 Ayant droits de feus Ap Bu, Br Ac dit Ablassé, Ca Bu, By Cb et Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Aq Aw, Arrêt (fond) (28 mars 2014), 1 RJ CA 226, $68 ; Cf Az Cp c. Aq Aw (fond) (5 décembre 2014), 1RJ CA 324, 8108 ; Cl Ae Ce Bl c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 027/2020 (compétence et recevabilité), arrêt du 2 décembre 2021, $ 73.
73. La Cour relève que l’article 148(7) de la Constitution de l’État défendeur
stipule que « … [Iles tribunaux sont réputés incompétents pour contrôler la
constitutionnalité des lois ». Dans le même sens, l’article 120 est ainsi
libellé :
La Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la
constitutionnalité … des lois que lui renvoient les tribunaux, suite à une
exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’une des parties, dans les cas
et selon les procédures prévus par la loi (.…).
74. La Cour note que le 3 décembre 2015, le président de la République de
l’État défendeur a promulgué la loi organique n° 2015-50 relative à la Cour
constitutionnelle et que cette loi a été publiée au J ournal officiel. L'article
premier de ladite loi dispose comme suit :
La Cour constitutionnelle est une instance juridictionnelle indépendante
garante de la suprématie de la Constitution, et protectrice du régime
républicain démocratique et des droits et libertés, dans le cadre de ses
compétences et prérogatives prévues par la Constitution eténoncées dans
la présente loi!
75. La Cour relève en outre que l’article 54 de la loi organique n° 2015-50 du 3
décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle dispose que « les parties
dans les affaires pendantes au fond devant les tribunaux peuvent soulever
l'exception d’inconstitutionnalité de la loi applicable au litige ».
76. Parailleurs, la Cour fait observer que l’article 3 de la loi organique n° 2014-
14 du 18 avril 2014, relative à la création de l'IPCCPL, dans son dernier
alinéa, dispose que « [les tribunaux sont réputés incompétents pour
contrôler la constitutionnalité des lois ».
77. La Cour fait remarquer en outre, que les décrets présidentiels sont des
décrets à caractère législatif (décrets lois) conformément à l’article 7 du
*? } ournal officiel de la République tunisienne n° 98 du 8 décembre 2015.
Décret présidentiel n° 117, et ne sont pas susceptibles de recours en
annulation devant les tribunaux ordinaires existants.
78. La Cour note qu'en vertu de l’article 120 susmentionné de la Constitution,
la détermination de la constitutionnalité des lois relève de la compétence
exclusive de la Cour constitutionnelle, qui, selon l’article 1% de la loi
organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015 relate à la Cour
constitutionnelle, celle-ci « (...) est une instance juridictionnelle
indépendante garante de la suprématie de la Constitution, et protectrice du
régime républicain démocratique et des droits et libertés, dans le cadre de
ses compétences et prérogatives prévues par la Constitution et énoncées
dans la présente loi ».
79. La Cour de céans note qu’étant donné que la Cour constitutionnelle n’a pas
été mise en place depuis la promulgation de sa loi constitutive
susmentionnée, les voies de recours qui permettraient au Requérant
d'attaquer les décrets présidentiels en question ne sont pas disponibles
dans le système judiciaire de l’État défendeur. Dans ces circonstances, le
Requérant n’estpas tenu d’épuiser un recours qui n’estpas disponible dans
l’État défendeur.
80. Aussi, la Cour conclut que la Requête estréputée avoir satisfaità l’exigence
de l'épuisement des recours internes.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
81. La Cour note que l’État défendeur ne soulève aucune contestation quant
au respect des conditions de recevabilité énoncées à l’article
56(1)(2)(3)(4)(6) et (7) de la Charte, lesquelles sont reprises à la règle
50(2)(a)(b)(c)(d)(f) et (g) du Règlement. Néanmoins, la Cour doit s’assurer
que ces conditions sont satisfaites!
13 Bk Ad Bi et Charles J ohn Cn c. République-Unie de Tanzanie (fond) Requête n° 003/2015 (28 septembre 2017) (2017), 2 RJ CA 67, $ 56.
82. Il ressort du dossier que la Requête satisfait à l’exigence de la règle
50(2)(a) du Règlement, l'identité du Requérant ayant été clairement
indiquée.
83. La Cour note également qu’en déposantla présente Requête, le Requérant
cherche à protéger des droits qui lui sont garantis par la Charte. Elle fait
remarquer par ailleurs que l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union
africaine, énoncé en son article 3(h), est de promouvoir et de protéger les
droits de l'homme et des peuples. La Requête ne contient pas non plus
d’allégation ou de demande incompatible avec une disposition dudit Acte. La
Cour estime dès lors que la Requête est compatible avec l'Acte constitutif
de l’Union africaine et avec la Charte, et qu’elle remplit donc l’exigence
énoncée à la règle 50(2)(b) du Règlement.
84. La Cour constate en outre que la Requête ne contient pas de termes
outrageants ou insultants. Celle-ci satisfait donc à la condition de
recevabilité énoncée à la règle 50(2)(c) du Règlement.
85. La Cour note par ailleurs que la Requête ne se fonde pas exclusivement
sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse,
et satisfait ainsi aux conditions fixées par la règle 50(2)(d) du Règlement.
86. Concernant le délai raisonnable de la saisine de la Cour, la règle 50(2)(f)
du Règlement exige que les requêtes soient déposées devantla Cour dans
un délai raisonnable depuis l’épuisement des recours intemes ou depuis la
date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine. La Cour rappelle que les décrets présidentiels à l’origine de la
présente Requête ont été pris les 26 et 29 juillet, 24 août, 22 septembre et
11 octobre 2021. Le Requérant a déposé la Requête le 21 octobre 2021.
87. La Cour constate qu’il ne s'est écoulé qu’un délai de dix (10) jours entre la
date du dernier décret pris le 11 octobre 2021 et la date de dépôt de la
Requête le 21 octobre 2021. La Cour estime qu’il s’agit d’un délai raisonnable et conclut, par conséquent, que la Requête satisfait à cette
condition de recevabilité.
88. S'agissant enfin de la condition visée à la règle 50(2)(g) du Règlement, la
Cour constate que la Requête ne porte pas sur une affaire déjà réglée par
les parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, à
l’Acte constitutif de l’Union africaine, aux dispositions de la Charte ou à un
instrument juridique de l'Union africaine. La Cour estime dès lors que celle-
ci satisfait à la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement.
89. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit les
conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte et à la règle
50(2) du Règlement, etla déclare, en conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
90. Le Requérantallègue la violation du droit à ce que sa cause soit entendue,
du droit à l'autodétermination, du droit de participer à la direction des
affaires du pays, et du droit à la protection des droits de l’homme et des
libertés garantis par les articles 7(1), 13(1), 20(1), et 1 de la Charte, l’article
1(1) du PIDESC et 1(1), etles articles 1(1), 25(1), 2(3) et 14 du PIDCP.
A. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
91. Le Requérantallègue la violation du droit à ce que sa cause soitentendue,
garanti par l’article 7 de la Charte, l’article 8 de la DUDH etes articles 2(3)
et14 du PIDCP.
92. Il ajoute que le Décret présidentiel n° 2021-117 viole le droit de saisir les
juridictions en stipulant dans son article 7 que les décrets pris par le
président de la République ne sont pas susceptibles de recours.
93. Le Requérant soutient que ledit décret met en péril les garanties du droit
de saisir les juridictions prévues par les instruments internationaux ratifiés
par l’État défendeur, dans la mesure où l’organisation de la justice et de la
magistrature se fait par décrets pris par le Président de la République. Or,
selon le Requérant, la Constitution garantit les droits de l'homme relatifs au
droit d’ester en justice et au droit à un procès équitable en conférant au
pouvoir législatif l’organisation de la justice et de la magistrature sous forme
de lois organiques, conformément à l’article 65 de la Constitution, qui sont
inviolables même par rapport aux lois ordinaires.
94. L'État défendeur n’a pas conclu sur l’allégation de violation de ce droit.
95. La Cour rappelle que l’article 7(1)(a) de la Charte est libellé comme suit :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout
acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et
garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes
en vigueur.
96. La Cour fait observer que le droit à ce que sa cause soit entendue confère
à l’individu un éventail de droits, notamment le droit de saisir les autorités
judiciaires et quasi-judiciaires compétentes, le droit de bénéficier de la
possibilité d’exprimer son point de vue sur les affaires et les procédures
ayant une incidence sur ses droits, et le droit de faire appel devant des
instances supérieures lorsque les griefs exprimés n'ont pas été examinés
de manière appropriée par les juridictions inférieures.!*
14 J ebra Bv c. République-Unie de Tanzanie. CAfDHP, Requête N° 018/2018, Arrêt du 15 juillet 2020, $ 96. Bo Cc Bo c. République-Unie de Tanzanie. (fond) (2018), 2 RJ CA 539,
97. La Cour souligne que l’article 7(1)(a) de la Charte indique clairement que
l'existence d’une juridiction compétente est une condition sine qua non à la
jouissance du droit à ce que sa cause soit entendue, y compris le droit
d'appel. Cette disposition doit être lue conjointement avec l’article 26 de la
Charte qui impose aux États parties l'obligation de permettre
chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés, mais
également de garantir l'indépendance des tribunaux.
98. La Cour fait observer que, pour que le droit à ce que sa cause soitentendue
puisse être exercé, la juridiction ou autorité compétente doit exister aussi
bien en droit (de jure) qu’en fait (de facto). Le droit à ce que sa cause soit
entendue devient illusoire si l’autorité ou l'institution judiciaire ou quasi-
judiciaire compétente est établie en droit mais n'existe pas en fait.
99. En l'espèce, la Cour constate que selon l’article 118 de la Constitution de l’
État défendeur de 2014 et la loi organique n° 2015-50, une Cour
constitutionnelle est créée au sein des structures du pouvoir judiciaire de
l’État défendeur. En vertu de l’article 120 de la Constitution, la Cour
constitutionnelle est chargée de statuer, entre autres, sur les affaires
relatives aux litiges qui nécessitent l'interprétation et l’application de la
Constitution. Il s’agit notamment, selon l’article 101 de la Constitution, des
« conflits de compétence entre le P résident de la République et le Chef du
gouvernement ».
100. Or, au moment du dépôt de la présente Requête devant la Cour de céans,
la Cour constitutionnelle n’était pas encore opérationnelle. La Cour relève
qu’il n’existait pas non plus, dans l’État défendeur, d’autre juridiction ou
autorité susceptible de statuer sur les litiges constitutionnels relatifs aux
compétences du Président. L'absence de la Cour constitutionnelle a donc
créé un vide dans le système judiciaire de l’État défendeur en ce qui
concerne le règlement des différends constitutionnels, en particulier ceux
mettant en cause la constitutionnalité des décrets pris par le Président.
101. En conséquence, il est évident qu’en l’espèce le Requérant n’a pas été en
mesure de contester la constitutionnalité des décrets présidentiels. Cette
situation l'a en fait laissé sans voie de recours légale pour faire valoir ses
griefs et l’a ainsi privé du droit à ce que sa cause soit entendue.
102. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur a violé le droit
du Requérant à ce que sa cause soit entendue, garanti par l’article 7(1)(a)
de la Charte, lu conjointement avec l’article 26 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit du peuple à l’autodétermination et du droit de
participer à la direction des affaires publiques
103. Le Requérantallègue la violation de l’article 20(1) de la Charte et de l’article
1(1) du PIDPC et du PIDESC concernant le droit du peuple à l'existence et
à l’autodétermination. Il ajoute que le respect du droit du peuple à
l’autodétermination est l’un des acquis les plus importants des droits de
l’homme inscrits dans la Constitution de l’État défendeur, ce qui a conduit
à l'interdiction de sa violation par amendement constitutionnel et, a fortiori,
qu’il n’est possible pour aucun texte inférieur à la Constitution de porter
atteinte à ce droit.
104. Le Requérant soutient que ces droits ont cependant été violés par les
décrets présidentiels, notamment le Décret présidentiel n°117. Il fait valoir
que ces décrets portent atteinte aux droits et libertés de l'homme du fait
qu’ils retirent ces droits du champ des lois organiques contrairement aux
dispositions de l’article 65 de la Constitution, qui, dans sa forme et ses
procédures, offre des garanties qui transcendent les lois ordinaires pour
devenir sous la forme d’un décret. Selon le Requérant, ainsi, une simple
décision prise par une personne qui est le président de la République,
constitue une menace et une atteinte grave aux droits et libertés, surtout
en l’absence de toute autorité de contrôle ou de contre-pouvoir et en
l'absence d’un péril imminent, comme le prévoit l’article 80 de la
Constitution.
105. Le Requérantallègue en outre la violation du droit garanti à l’article 3(1) de
la Charte,!* à l’article 21(1) de la DUDH et à l’article 25(1) du PIDCP
concernant la participation à la direction des affaires du pays. Pour étayer
son allégation, il cite l’arrêt rendu le 22 septembre 2011!6 dans l’affaire
Ai Bh Av, the Ah Bf et le Ba Ci
Bb c. République-Unie de Tanzanie dans lequel la Cour précise qu’il est
nécessaire de souligner que les droits contenus dans l'article 13(1) de la
Charte sont des droits individuels qui peuvent être exercés par le citoyen
directement et individuellement. Le Requérant affirme en outre qu’en
promulguant les Décrets présidentiels n° 69, 80, 109, 117, 137 et 138 de
2021, l’État défendeur a créé une situation où les citoyens ne peuvent pas
jouir de leur droit de participer à la direction des affaires publiques de leur
propre pays.
106. Le Requérantaffirme en conséquence que l’État défendeur a violé son droit
etcelui du peuple tunisien de participer à la direction des affaires publiques
ainsi que leur droit à l’autodétermination, et n’a pas respecté ses obligations
découlant des articles 13 et 20 de la Charte.
107. L'État défendeur n’a pas répondu aux deux allégations.
108. La Cour fait observer que le Requérant allègue des violations tant du droit
à l’autodétermination que du droit de participer à la direction des affaires
publiques, droits garantis par les articles 13 et 20 de la Charte
respectivement. La Cour relève à cet égard l'importance fondamentale du
droit de tout individu de participer à la direction des affaires publiques
garanti par l’article 13 de la Charte et du droit des peuples de déterminer
leur statut politique au sens de l’article 20(1) de la Charte.
15 Erreur du Requérant, l’article visé est l'article 13(1) de la Charte
16 Erreur du Requérant, il s'agit ici de l’arrêt en l'affaire précitée au fond, en date du 14 juin 2013.
109. Toutefois, en l'espèce, la Cour constate que les principales questions
soulevées par le Requérant concernent le droit de participer à la direction
des affaires publiques. La Cour circonscrit donc son appréciation à cet
aspect de l’allégation du Requérant. Dans les circonstances de l'espèce et
au regard de la nature des arguments du Requérant, la Cour ne juge pas
nécessaire d'examiner l’allégation relative à la violation du droit à
l’autodétermination.
110. La Cour relève que le droit des citoyens de participer à la direction des
affaires publiques de leur pays est l’un des droits démocratiques
fondamentaux protégés par la Charte et d'autres instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme. L'article 13(1) de la Charte
est libellé comme suit :
Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de leurs pays, soit directement, soit par
l'intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément
aux règles édictées par la loi.
111. Le droit de participer à la direction des affaires publiques de son pays
confère à tous les citoyens le droit d’être impliqués dans la direction des
affaires publiques de leur pays, directement ou par l'intermédiaire de leurs
représentants librement choisis. I| comprend le droit de voter et de se
présenter aux élections pour assumer des fonctions politiques ou officielles
ainsi que de jouir, sans discrimination, de la possibilité de servir leur nation
en faisant partie du gouvernement. Lorsque les citoyens votent pour
participer indirectement à la direction des affaires publiques de leur pays
par l'intermédiaire de représentants, ce droitimplique le respect de la liberté
des citoyens de choisir leurs représentants et l'interdiction de toute mesure
1 Dans le même ordre d'idées, l’article 21(1) de la DUDH dispose également comme suit : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ». L'article 25(1) du PIDCP dispose également que «Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ».
qui compromettrait la capacité de ceux-ci à exercer les fonctions qu’ils leur
ont confiées.
112. La Cour fait observer, en se référant à sa jurisprudence et à la Charte, que
le droit de participer à la conduite des affaires publiques peut être soumis
à certaines mesures restrictives exceptionnelles dans l’intérêt public, en
vue du respect des droits d'autrui et pour des fins liées à la sécurité et aux
intérêts nationaux supérieurs de l'État.!8 Ces mesures doivent également
être prises conformément aux procédures établies par la loi et doivent être
nécessaires et proportionnées au(x) but(s) légitime(s) qu’elles visent.
113. En l'espèce, la Cour relève que les mesures d’exception prises par l’État
défendeur ont été mises en œuvre dans le cadre de décrets présidentiels
pris par un président démocratiquement élu en raison de certaines
situations. Ces décrets ont été pris conformément à l’article 80 de la
Constitution de l’État défendeur (2014) qui est libellé comme suit :
En cas de péril imminent menaçant l'intégrité nationale, la sécurité ou
l'indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des
pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures
qu’impose l’état d'exception, après consultaton du Chef du
Gouvernement, du P résident de l’Assemblée des représentants du peuple
et après en avoir informé le Président de la Cour constitutionnelle. Il
annonce ces mesures dans un message au peuple.
114. La Cour relève également que, comme le mentionne le préambule du
Décret présidentiel n° 2021-117, les circonstances ayant présidé à
l'adoption desdits décrets auraient résulté d’un dysfonctionnement d’une
institution élue démocratiquement, à savoir l'Assemblée des représentants
du peuple. Par ailleurs, comme il ressort du Décret présidentiel ci-dessus
mentionné, le fonctionnement des pouvoirs publics a « été entravé, que le
péril est devenu non pas imminent, mais réel ». La Cour observe qu’à la lumière
18 Ai Bh Av, Legal and Ah Bf Centre et Ba Ci Ck Bb c. Tanzanie (fond) (2013), 1 RJ CA 34, $ 100.
de ces constats, tout porte à croire que les mesures adoptées au moyen
des décrets étaient censées, en rétablissant le fonctionnement normal de
l’État, atteindre l'objectif légitime de préserver la sécurité collective ou
l'intérêt commun au sens de l’article 27 de la Charte.
115. La Cour fait toutefois observer que la disposition susmentionnée de la
Constitution de l’État défendeur accorde au président le pouvoir de prendre
« les mesures » qui s'imposent, pouvantinclure la promulgation de décrets
présidentiels, pour faire face à un « péril imminent» menaçant les
institutions de la nation ou l'indépendance sécuritaire du pays, et entravant
le fonctionnement normal de l’État. (soulignement ajouté). Le pouvoir du
président de prendre de telles mesures est toutefois limité par les
conditions de fond et les exigences procédurales énoncées à l’article 80 de
la Constitution, notamment la nécessité de « consult[er] le chef du
gouvernement et le président de l’Assemblée des représentants du
peuple» et l'obligation d'informer «le président de la Cour
constitutionnelle ».
116. La Cour relève qu'aucun élément du dossier ne montre que les conditions
de fond, à savoir la présence d'un péril imminent menaçant les institutions
de la nation ou la sécurité et l'indépendance du pays, et les exigences
procédurales susmentionnées, étaient réunies avant que le président ne
promulgue les décrets en question. À cet égard, la Cour rappelle le fait, au
regard du paragraphe 79 ci-dessus, que la Cour constitutionnelle n’était
pas opérationnelle au moment où les décrets ont été pris. Cela signifie
simplement qu’il n’y avait aucune possibilité pour le président d’informer le
président de la Cour constitutionnelle avant de promulguer les décrets. Par
conséquent, les décrets n’ont pas été promulgués conformément aux
procédures légales prévues par la Constitution.
117. En outre, la Cour estime que les décrets en question sont disproportionnés
et ont entravé le fonctionnement des institutions, y compris celui des
institutions élues telles que la Chambre des représentants du peuple. À cet
égard, la Cour constate à nouveau qu'aucun élément du dossier ne montre que les mesures introduites par les décrets ont été prises après que
d’autres mesures moins restrictives visant à résoudre le différend entre les
organes gouvernementaux et à rétablir le fonctionnement normal de l’État
ont été envisagées, mises en œuvre et ont échoué.
118. La Cour en conclut que l’État défendeur aurait dû envisager d’autres
mesures moins restrictives pour traiter ledit différend avant de prendre des
mesures aussi drastiques que la suspension des pouvoirs du Parlement et
la limitation de l’immunité de ses membres qui ont été librement élus par
les citoyens dans l’exercice de leur droit de participer à la direction des
affaires publiques de leur pays. Le fait que l’État défendeur n’ait pas agi de
la sorte a rendu les mesures adoptées non seulement disproportionnées
par rapport à leurs motifs déclarés,!° mais aussi par rapport aux lois de
l’État défendeur lui-même.”
119. La Cour estime que les mesures restrictives prises par l'État défendeur
n'ont pas été adoptées conformément à la loi et n’étaient pas non plus
proportionnées à l’objectif visé.
120. En conséquence, la Cour conclut que l’État défendeur a violé le droit du
Requérant de participer à la direction des affaires publiques, garanti par
l’article 13(1) de la Charte.
C. Violation alléguée du droit aux garanties de droits de l’homme
121. Le Requérant allègue la violation du droit d'obtenir des garanties pour
protéger les droits et libertés de l’homme énoncés par l’article 1 de la
Charte. Il soutient en outre que la Constitution de l’État défendeur accorde
une grande importance aux droits de l'homme et aux libertés publiques,
consacrés comme l’un des piliers de l’État dans le préambule. Il ajoute
qu’en les reconnaissant et les énumérant dans le premier chapitre de la
19 Cf Az Cp c. Aq Aw (fond), 8-8 145-166.
20 Ai Bh Av, Legal and Ah Bf Centre et Ba Ci Ck Bb c. Tanzanie (fond) $ 100.
Constitution?! sur les principes généraux et le deuxième relatif aux droits et
libertés en son article 49, l’État défendeur souligne l’importance qu’il
attache à ces droits et libertés.
122. En outre, le Requérant soutient que la Constitution tunisienne stipule
également en son dernier alinéa qu’aucun amendement ne peut porter
atteinte aux droits etlibertés de l’homme garantis par la Constitution.
123. L'État défendeur n’a pas répondu à l’allégation de violation de ce droit.
124. La Cour rappelle que l’article 1 de la Charte dispose :
Les États membres de l’Organisation de l’Unité Cd qui sont
parties à la présente Charte reconnaissent les droits, devoirs et
libertés qui y sont énoncés et s'engagent à prendre des mesures
législatives et autres pour leur mise en œuvre.
125. La Cour relève que cette disposition impose une double obligation aux
États parties, à savoir le devoir de reconnaître les droits, devoirs et libertés
protégés par la Charte et celui d'adopter des mesures législatives ou autres
pour leur donner effet.
126. La Cour rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle la
violation de l'un quelconque des droits énoncés dans la Charte entraîne
une violation de l’article 1% de la Charte.
21 La loi fixe les restrictions relatives à l’exercice des droits et des libertés qui sont garantis par la présente Constitution, ainsi que les conditions de leur exercice sans porter atteinte à leur essence. Ces moyens de contrôle ne sont mis en place qu’en cas de nécessité justifiable dans un État civil et démocratique et pour protéger les droits des tiers, ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique, et avec le respect de la proportionnalité et de la nécessité des restrictions à l’objectif recherché. Les instances judiciaires veillent à la protection des droits et des libertés contre toute violation.
Aucun amendement ne peut porter atteinte aux droits de l'Homme et aux libertés garantis par la présente Constitution.
22 Cl Ae Ce Bq Bl c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 065/2019, Arrêt du 29 mars 2021 (fond et réparations), $ 125.
127. En l’espèce, l’État défendeur a reconnu le droit du Requérant à ce que sa
cause soit entendue et les différentes formes du droit de participer à la
direction des affaires publiques dans les dispositions de sa Constitution.
Toutefois, comme il a été établi au paragraphe 79 du présent Arrêt, l’État
défendeur n’a pas rendu opérationnelle sa Cour constitutionnelle pour
donner effet au droit des citoyens à ce que leur cause soitentendue en leur
permettant de contester la constitutionnalité des décrets présidentiels, qui
ont violé leur droit de participer à la direction des affaires publiques de leur
pays directement et par l'intermédiaire de leurs représentants librement
choisis.
128. La Cour en conclut que l’État défendeur a également violé l’article 1 de la
Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
129. La Cour note qu’en l'espèce le Requérant n’a pas demandé de réparations
pécuniaires en raison du fait que, selon lui, même s'il est présent, réel et
continu, le préjudice matériel causé par les violations n’est pas personnel
et direct. Il ajoute qu’il n’a pas qualité d'en demander réparation au nom de
la population tunisienne.
130. Toutefois, le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur
d’abroger tous les décrets mentionnés au paragraphe 3 du présent Arrêt
afin de garantir les droits de l'homme énoncés, en prenant les mesures
suivantes :
i. Assurer la promulgation de textes juridiques qui garantissent la suprématie
de la Constitution, notamment la mise en place rapide de la Cour constitutionnelle et la levée de tous les obstacles juridiques et politiques
qui l’en empêchent.
23 Voir articles 34, 35, 50, 60, et 139 de la Constitution (2014).
ii. Adopter des lois qui criminalisent la participation et le soutien au
changement anticonstitutionnel de pouvoir;
iii. Adopter des lois qui garantissent la diffusion de la culture démocratique
parmi le peuple, en particulier la jeunesse ;
iv. Fournir des solutions procédurales efficaces pour remédier à la violation
de la constitution, en attendant le début de ses travaux par la Cour
constitutionnelle, comme l’obliger à soumettre à la cour un rapport sur les
procédures d'exécution de l'arrêt et les garanties de non-répétition.
131. L’État défendeur n’a pas abordé la question des réparations eta seulement
demandé de déclarer l’affaire irecevable sur la forme et la rejeter sur le
fond.
132. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole,
Lorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des
peuples, la Cour ordonne les mesures appropriées afin de remédier à
la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi
d’une réparation.
133. La Cour rappelle sa jurisprudence en matière de réparation et réaffirme que
pour « examiner les demandes en réparation des préjudices résultants des
violations des droits de l’homme, elle tient compte du principe selon lequel
l’État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a l’obligation de
réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir l'ensemble
des dommages subis par la victime ».2*
134. La Cour réitère aussi que « la réparation doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état qui aurait
vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis »,25
24 Cm c. Tanzanie (réparations) (2019), 3 RJ CA 349, $ 19 ; An c. Tanzanie (réparations) (2019) 3 RJ CA 299, $ 11 ; Bp c. Tanzanie (fond et réparations) (2019), 3 RJ CA 13, 8 19; Ay Al Ao c. Rwanda (réparations) (2018), 2 RJ CA 209, $ 19.
25 Ak Cm c. Tanzanie (réparations), 5 20; Bj An c. Tanzanie (réparations), 8 12; Ao c. Rwanda (réparations), $ 20 ; Be Ax Bp c. Tanzanie (fond et réparations), $ 118.
135. En outre, les mesures qu’un État doit prendre sont notamment la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et les mesures propres à
garantir la non répétition des violations, compte tenu des circonstances de
136. En l'espèce, la Cour rappelle sa conclusion selon laquelle les décrets
présidentiels n° 80, 109 et 117 de juin 2021 suspendaient les travaux du
Parlement et abrogeaient des chapitres de la Constitution, violant ainsi le
droit à ce que sa cause soit entendue et le droit des citoyens tunisiens de
participer à la direction des affaires politiques de leur pays, droits consacrés
par les articles 7(1)(a), lu conjointement avec les articles 27 et 13(1)
respectivement de la Charte. La Cour rappelle en outre que l’État défendeur
a en conséquence failli à son obligation découlant de l’article premier de
ladite Charte.
137. En conséquence, la Cour ordonne à l’État défendeur d’abroger les décrets
présidentiels à titre de mesure de restitution.
138. La Cour réitère également que le fait de n’avoir pas mis en place la Cour
constitutionnelle crée un vide juridique important et ordonne à l’État
défendeur de mettre en place la Cour constitutionnelle comme organe
judiciaire d’équilibre des institutions de l’État défendeur.
139. En conséquence, la Cour ordonne à l’État défendeur, à titre de garantie de
non-répétition des violations, de rendre opérationnelle une Cour
constitutionnelle en tant qu’organe judiciaire indépendant qui contribue à
l'équilibre et à la stabilité de son système judiciaire.
26 Ak Cm c. Tanzanie (réparations), $ 21; Bj An c. Tanzanie (réparations), 8 13; Ay Al Ao c. Rwanda (réparations), $ 20.
IX. SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES
140. La Cour rappelle que le Requéranta déposé la requête le 21 octobre 2021,
et que celle-ci était assortie d’une demande de mesures provisoires.
141. La Cour rappelle également que, le 24 mars 2022, elle a rendu une
ordonnance dans laquelle elle a décidé de statuer sur la demande en
mesures provisoires en même temps que sur le fond, étant donné que les
deux requêtes comportaient essentiellement les mêmes allégations et
demandes.
142. Compte tenu de la présente décision sur le fond, les mesures provisoires
demandées sont donc rendues sans objet.
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
143. Aucune des deux Parties n’a déposé de conclusion sur les frais de
procédure.
144. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
145. La Cour estime, en l'espèce, qu’il n’y a aucune raison de déroger à cette
disposition.
146. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
XI. DISPOSITIF
147. Par ces motifs,
LA COUR
Sur la compétence
Rejette les exceptions d’incompétence ;
Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception tirée du non-épuisement des recours internes ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l'État défendeur a violé le droit du Requérant à ce que sa
cause soit entendue garanti par l’article 7(1)(a) lu conjointement
avec l’article 26 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant de participer
à la direction des affaires publiques de son pays consacré à
l’article 13(1) de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur a également violé l’article 1 de la Charte ;
Sur les réparations
viii. Ordonne à l’État défendeur d'abroger les Décrets présidentiels
n° 2021-117 du 22 septembre 2021 etles décrets y visés Nos 69,
80, 109 du 26, 29 juillet et 24 août 2021 et les décrets n° 137 et
138 du 11 octobre 2021 et de rétabli la démocratie
constitutionnelle dans un délai de deux (2) ans à compter de la
date de notification du présent Arrêt.
ix. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires à l’opérationnalisation de la Cour constitutionnelle et à la levée de tous les obstacles juridiques et politiques qui entravent cet objectif, dans un délai de deux (2) ans à compter de
la date de notification du présent Arrêt.
Sur la mise en œuvre de l'arrêt etla soumission de rapports
x. Ordonne à l’État défendeur de faire rapport à la Cour, dans un
délai de six (6) mois à compter de la date de notification du
présent arrêt, sur la mise en œuvre des mesures ordonnées aux
points (viii) et (ix) du dispositif, et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu'à ce que la Cour considère toutes ses décisions entièrement exécutées.
Sur la demande de mesures provisoires
xi. Dit que la demande de mesures provisoires est sans objet.
Sur les Frais de procédure
xii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Imani D. ABOUD, Présidente ; —
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Ben KIOKO, Juge ; 14 S
Au Ck Y, J uge ; Lys Bx lan Am AG, J uge (GE
Stella |. ANUKAM, } uge ; Eur am.
Co Ar A, J uge Sape7 Z@ œ.
Bm AI, J uge ; frant- fase
Aj Bt B El, Juge ;
Fait à Af, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt- deux, en arabe, en anglais et en français, le texte arabe faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 017/2021
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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