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22/09/2022 | CADHP | N°004/2019

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 22 septembre 2022, 004/2019


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
IBRAHIMA PODIOGOU ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DU MALI
REQUÊTE No. 004/2019
ARRÊT
22 SEPTEMBRE 2022 I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
Ill. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
IV.DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
VI.SUR LA RECEVABILITÉ
A. Sur l'exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes.
B. Sur les autres co

nditions de recevabilité
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 13
14 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
IBRAHIMA PODIOGOU ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DU MALI
REQUÊTE No. 004/2019
ARRÊT
22 SEPTEMBRE 2022 I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
Ill. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
IV.DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
VI.SUR LA RECEVABILITÉ
A. Sur l'exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 13
14 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice-
président, Ben KIOKO, Bw Bf B, Bq AG, Br Bz
Y, An AH, Stella |. ANUKAM, Bb Bx C,
Dennis D. ADJEl —Juges ; etRobert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »), le J uge Bk AI, de
nationalité malienne, s’est récusé.
En l’affaire
lbrahima PODIOUGOU ET AUTRES
représentés par :
|, Confédération syndicale des travailleurs du Mali ; et
ii, Fédération Nationale des Mines et de l'Energie (FENAME).
Contre
RÉPUBLIQUE DU MALI
représentée par :
|, M. Bt A, Directeur général du contentieux de l’État ;
il. M. Bg Aj, Directeur général adjoint du contentieux de l’État ; et
iii. M. Ag X, Sous-directeur des procédures nationales.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
l. LES PARTIES
1. Le sieur Bg Ay et 300 autres! (ci-après dénommés « les
Requérants ») tous ressortissants maliens, sont des ex-employés de la
Société Mines d’Or de Loulo (SOMILO SA Loulo) mis à disposition par la
Société Universel Prestation Services (UP S-RH) dans le cadre d’un contrat
de prestation de fourniture de personnel la liant à la Société BCM Mali. Ils
allèguent la violation de leur droit au travail du fait du non-paiement de droits
de licenciement.
2. La Requête est dirigée contre la République du Mali (ci-après dénommée «
l'État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte ») le 21 octobre
1986 et au Protocole le 20 juin 2000. L'État défendeur a également déposé,
le 19 février 2010, la Déclaration prévue par l’article 34(6) du Protocole (ci-
après dénommée « la Déclaration »), par laquelle elle accepte la
compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus
et des organisations non gouvernementales.
Il. OBJ ET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Les Requérants allèguent qu'ils étaient employés par l’entreprise Universal
Prestation Services (UPS ) chargée de la sous-traitance du personnel et des
ressources humaines et avaient été mis à disposition de la Société BCM
Mali chargée des travaux dans la mine d’or de la Société des Mines d’Or de
Loulo (SOMILO SA Loulo).
4, Les Requérants exposent que le 3 février 2009, le Directeur de BCM Mali
SA a saisi l’UPS d’une correspondance relative au préavis de résiliation du
* Voir liste des Requérants.
contrat de fourniture et de gestion du personnel qui les liait, et ce, pour motif
économique.
Les Requérants affirment que le 06 mars 2009, l’'UPS a informé le Directeur
régional du travail de Kayes d’une demande de licenciement du personnel
mis à disposition de BCM, soit un total de trois cent un (301) travailleurs
dont vingt (20) délégués du personnel. Ils précisent que le 19 février 2009,
par deux correspondances N° 0055/DRTEFP et N°0056/DRTEFP
respectivement de la même date, le Directeur régional du travail avait
autorisé les licenciements des travailleurs concernés et par ailleurs
recommandé la satisfaction de leurs droits notamment par : le paiement des
salaires et accessoires dus jusqu’à la date de cessation effective des
prestations ; le paiement de l'indemnité compensatrice des congés ; le
paiement de l'indemnité de licenciement ; la délivrance des certificats de
travail ; le transport des familles pour tous ceux qui ont été recrutés hors du
lieu habituel de l'emploi au moment de leur embauche. Ils ajoutent que
chaque travailleur avait alors reçu un préavis de licenciement.
Les Requérants soutiennent également qu'une liste des travailleurs ayant
fait l’objet du licenciement avait été dressée à cet effet. Des montants y
avaient été spécifiés pour chaque travailleur, le tout s’élevant à un milliard
six cent quatre-vingt-dix-huit millions quatre cent vingt-cinq mille huit cent
soixante-dix (1.698.425.870) francs CFA pour deux cent soixante-quinze
(275) travailleurs.
Ils estimenten outre que cette somme versée par la Société BCM Mali pour
couvrir les droits des travailleurs avait été détournée par l'UPS qui n’a payé
les droits concernés que partiellement. Selon les Requérants, sur les trois
cent un (301) travailleurs initialement concernés, seulement vingt-cinq (25)
ont perçu la liquidation de certains de leurs droits.
Ils ajoutent enfin que l’UPS aurait procédé au licenciement des travailleurs
pour des motifs économiques pour ensuite réembaucher les mêmes travailleurs tout en se débarrassant des syndicalistes et autres travailleurs
qu’elle avait ciblés.
9. Pour se voir faire droit, les Requérants ont entrepris plusieurs procédures
judiciaires au plan national. Estimant que les juridictions nationales ne leur
ont pas fait droit dans lesdites procédures, ils ont saisi la Cour de céans.
B. Violations alléguées
10. Les Requérants allèguent :
I, la violation de la Convention n° 87 de l’Organisation internationale
du travail (OIT) relative à la liberté syndicale”;
ii a violation de l’article L 257 du Code du travail du Mali.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
11. La Requête a été reçue au Greffe le 14 janvier 2019 et communiquée à
l’État défendeur le 20 mai 2019.
12. Le 20 juin 2019, le Greffe a reçu le mémoire en défense de l’État défendeur
qui a été communiqué aux Requérants le même jour.
13. Toutes les écritures et pièces de procédure ont été régulièrement
communiquées aux parties qui ont déposé leurs écritures dans les délais
prescrits par la Cour.
2 Ratifiée par le Mali le 22 septembre 1960.
3 Article L.257 : « Il est interdit à tout employeur de prendre en considération les opinions, l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d’une activité syndicale, pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l’'embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d’avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement.
Le chef d’entreprise ou ses représentants ne devront employer aucun moyen de pression en faveur ou à l'encontre d’une organisation syndicale quelconque.
Toute mesure prise par l'employeur contrairement aux dispositions des alinéas précédents, sera considérée comme abusive et donnera lieu à des dommages-intérêts ».
14. Le 30 juin 2022, le Greffe a informé les Parties de la clôture des débats.
IV. DEMANDES DES PARTIES
15. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner les mesures suivantes :
i. Le versement d’un montant d’un milliard six cent quatre-vingt-dix-huit
millions quatre cent mille huit cent soixante-dix francs (1.698.425.870)
FCFA aux deux cent soixante-quinze (275) travailleurs conformément
à l’accord signé entre l’UPS et les conseils des travailleurs ;
ii. Le versement de la somme de dix millions (10.000.000) FCFA à
chaque salarié à titre de dommages-intérêts ;
iii. Le versement de trois millions (3.000.000.000) FCFA à titre de
dommages-intérêts ;
iv. La délivrance de certificats de travail pour chaque ex-travailleur ;
v. Le versement de tous les arriérés de cotisations à l'Institut national de
prévoyance sociale (INPS) pour les trois cent un (301) travailleurs ;
vi. La condamnation de la République du Mali à payer aux Requérants la
somme d’un milliard (1.000.000.000) FCFA à titre de rappel de prime
de logement, conformément à l'accord signé le 08 décembre 2011
entre la Fédération nationale des mines et de l’énergie (FENAME) et
les Bs Aa sous l'égide du ministère des Mines ;
vii. Une astreinte de deux millions (2.000.000) FCFA par jour de retard à
compter du prononcé de la décision ; et
viii.L’exécution provisoire de la décision à intervenir sur la moitié des
droits.
16. L'État défendeur, pour sa part, demande à la Cour de :
|. Principalement, déclarer la Requête irrecevable ; et
ii. Subsidiairement, déclarer la Requête mal fondée et la rejeter.
v. SUR LA COMPÉTENCE
17. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole est libellé comme Suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
18. En outre, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède à
un examen préliminaire de sa compétence et de la recevabilité
conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».
19. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, pour chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les exceptions d’incompétence, le cas échéant.
20. En l’espèce, la Cour note que l’État défendeur ne soulève aucune exception
d'incompétence. Les Requérants ne concluent pas non plus sur ce point.
21. Ayant constaté qu’aucun élément du dossier n'indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
la compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur
est partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration
qui permet aux individus et aux organisations non
gouvernementales de saisir directement la Cour ;
iii la compétence matérielle, étant donné, qu’en référence à sa
jurisprudence, « le fait de ne pas citer expressément la Charte
dans une requête ne signifie pas nécessairement qu'[elle] n’a pas compétence pour connaître de l’affaire. Il suffit que les droits
dont la violation est alléguée soient inscrits dans la Charte ou
dans tout autre instrument relatif aux de droits de l'homme et
ratifié par l’État concerné »*; que même s'ils n'ont pas
expressément mentionné la Charte, les Requérants ont allégué
des violations se rapportant aux droits économiques contenus
dans ledit instrument ;
ii. — la compétence temporelle, dès lors que les violations alléguées
se sont produites après que l’État défendeur est devenu partie à
la Charte et au Protocole“, ce qui est le cas en l'espèce tel
qu’indiqué au paragraphe 2 du présent arrêt ;
iv. la compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause
et les violations allégués ont eu lieu sur le territoire de l’État
défendeur.
22. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu'elle est compétente pour
examiner la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
23. L'article 6(2) du Protocole dispose que « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
24. Auxtermes de la règle 50(1) du Règlement, « La Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au présent
Règlement ».
* Ar Ae et autres c. As Bm de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJ CA 371, 5 93.
5 TLS etautres c. As Bm de Tanzanie (fond) (14 juin 2013) 1 RJ CA 34, 5 84.
25. En vertu de la règle 50(2) du Règlement qui reprend en substance l’article
56 de la Charte, pour être recevables, les requêtes introduites devant la
Cour doivent remplir toutes les conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées
par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils existent, à
moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours
se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement
des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme
faisant commencer à courir le délai de sa saisine;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de
la Charte.
26. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité
tirée du non-épuisement des recours internes. La Cour se prononcera
d’abord sur ladite exception (A) avant d’examiner, si nécessaire, les autres
conditions de recevabilité (B).
A. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes
27. L'État défendeur allègue que la Requête ne remplit pas les conditions
énoncées à l’article 56(5) de la Charte. Il soutient que les Requérants n’ont
pas exercé les voies de recours légales et judiciaires prévues par le droit
procédural interne à savoir l’appel et le pourvoi en cassation. Selon l’État défendeur, à supposer même que les Requérants aient épuisé les recours
internes, ils n’en produisent pas la preuve formelle.
28. L’État défendeur allègue en outre que le fait pour les Requérants de
produire copie de l’arrêt n° 24 du 14 avril 2020 par lequel la Cour suprême
du Mali a rejeté le pourvoi formé par eux, démontre bien qu'ils n'avaient pas
épuisé tous recours internes. L'État défendeur avance enfin que la saisine
infructueuse du Médiateur de la République ne saurait les dispenser
d’épuiser les recours judiciaires.
29. Les Requérants soutiennent quant à eux qu'il est inexact d’avancer, comme
le fait l’État défendeur, que le Tribunal a déclaré irrecevables leurs deux
requêtes susmentionnées.
30. Selon les Requérants, les procédures internes dans lesquelles le Tribunal
de travail de Kita s’est prononcé portaient sur l’assignation du comité
syndical et celle des militants. Ils ajoutent que le Tribunal les a déboutés sur
les deux actions même si la requête contre la société BCM Mali a été
déclarée irrecevable et celle contre l'UPS recevable.
31. La Cour rappelle que les recours à épuiser au sens de la règle 50(2)(e) du
Règlement sont des recours ordinaires de nature judiciaireS. En outre, il ne
suffit pas que les requérants allèguentune simple tentative d'exercer lesdits
recours. Ils doivent apporter la preuve de l’épuisement de tous les recours
existants, disponibles et utiles” sauf à démontrer l’existence d’un
empêchement imputable à l’État défendeurs. En tout état de cause, la Cour
de céans ne peut être saisie d’une Requête qu’après que la plus haute
6 Ai Ad Ba et autres c. As Bm de Tanzanie (fond) (14 juin 2013) 1 RJ CA 34, $ 31.
7 Ap Bo et autres c. Aq Ax (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RJ CA 20, $ 84 ; Bi Ao c. As Bm de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RJ CA 482, $ 64 ; Cb Bj Bh et autres c. As Bm de Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RJ CA 526, $ 95. 8 Bv Al c. As Bm de Tanzanie (fond et réparations) (26 septembre 2019) 3 RJ CA 504, 8 29.
juridiction interne a rendu une décision définitive sur les questions objet de
32. La Cour note que, relativement aux allégations faites en l'espèce, les
Requérants ont entrepris trois procédures devant les juridictions internes.
Les Requérants dans la présente affaire sont, en tout ou partie, identiques
aux demandeurs dans les trois procédures concernées. Il en est de même
pour les griefs soulevés dans lesdites procédures.
33. En ce qui concerne la première procédure, la Cour note que, par requête
du 20 décembre 2010, les membres du comité syndical de la Confédération
syndicale des travailleurs du Mali (CSTM) et les travailleurs des sociétés
UPS-RH SARL et BCM-Mali SA de Loulo, qui font partie des Requérants
devant la Cour de céans, ont saisi le Tribunal du travail de Kita d’une
demande en réintégration, de paiement d'arriérés de salaires et de
dommages-intérêts contre ces deux sociétés. Par décision du 22 février
2012, le Tribunal du travail de Kita a déclaré l’action concernant la BCM-
Mali SA irrecevable et celle contre UPS-RH SARL recevable avant de la
rejeter comme mal fondée. Appel a, ensuite, été interjeté contre ce
jugement que la Cour d'appel de Kayes a confirmé par arrêt du 12
décembre 2013.
34. La Cour fait observer qu’après cette décision d’appel de la Cour de Kayes,
les Requérants concernés n’ont pas formé pourvoi en cassation devant la
Cour suprême tel que le prévoit l’article L 217 précité de la loi n° 92-020 du
23 septembre 1992 portant Code du travail en République du Mali qui
dispose
La Cour suprême connaît des recours en cassation contre les jugements
rendus en dernier ressort et les arrêts de la Cour d'appel. Le pourvoi est
introduit et jugé dans les formes et conditions prévues par les lois relatives
à l’organisation et à la procédure de la Cour suprême.
9 Voir Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Bl (fond) (26 mai 2017) 2 RJ CA 9, 5 94 ; voir également Peter J oseph Av c. As Bm de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJ CA 413, $ 142-145.
35. Il ressort de ces dispositions que la Cour suprême malienne, juridiction de
cassation, offrait la possibilité aux Requérants, s'ils l’avaient saisie, de
modifier ou annuler la décision de la Cour d’appel de Kayes.
36. À cet égard, la Cour de céans rappelle, en référence à sa jurisprudence
constante, que le pourvoi en cassation n’est pas un recours inutile puisqu'il
est susceptible, dans certaines espèces, de changer la substance de la
décision attaquée, et que, sans avoir exercé ce recours, l’on ne pourrait
préjuger l'issue de la procédure y afférente"”,
37. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que les recours internes n’ont
pas été épuisés concernant la première procédure devant les juridictions
internes, les Requérants n’ayant pas exercé le recours du pourvoi en
cassation.
38. Pource quiestde la deuxième procédure, la Cour note que, par requête du
22 mars 2011, le comité syndical CSTM-Loulo a saisi le Tribunal de travail
de Kita d’une demande de réparation de préjudice contre la société BCM-
Mali SA en faveur de Af Ak et quatre (4) autres employés de
ladite société. Cette action a été déclarée irrecevable par décision du 29
février 2012 pour défaut du droit d’agir.
39. La Cour note que les Requérants concernés par cette deuxième procédure
interne n’ont exercé aucun autre recours pour contester la décision du
Tribunal de travail de Aj ni tenté d’agir utilement devant une autre
juridiction interne. En effet, lesdits Requérants avaientla possibilité de saisir
la Cour d’appel tel que le leur permet l’article L 213 du Code du travail qui
dispose en son alinéa premier que : « Les jugements du tribunal sont
définitifs et sans appel, sauf du chef de la compétence, lorsque le chiffre de
10 Af Ak et autres c. République du Mali, CAfDHP, Requête No. 006/2019, Arrêt du 25 juin 2021 (compétence et recevabilité), 55 30-36 ; Au Am c. République du Bénin, CAfDHP, Requête No. 020/2019, Arrêt du 25 juin 2021 (compétence et recevabilité), $S 91-94 ; Bu Az By c. République du Bénin, CAfDHP, Requête No. 027/2020, Arrêt du 2 décembre 2021 (compétence et recevabilité), S$ 72-83 ; Ap Bo et autres c. Aq Ax (fond) (28 mars 2014) 1 RJ CA 226, $ 70.
la demande n’excède pas douze (12) fois le montant du salaire minimum
interprofessionnel garanti », et en son alinéa 2 que : « Au-dessus de ce
montant, les jugements sont susceptibles d’appel devant la chambre sociale
de la cour d’appel ».
40. La Cour de céans note que le recours d’appel était bien applicable aux
Requérants en l'espèce puisque le motif de rejet de leur action devant le
Tribunal du travail de Kita était le défaut du droit d’agir et non le montant de
la demande. Au surplus, le fait pour les mêmes Requérants d’avoir, dans la
troisième procédure examinée ci-dessous, attaqué la décision d’un autre
tribunal du travail, celui de Kayes, d’abord devant la Cour d’appel puis
devant la Cour suprême, prouve bien que ces recours devantles juridictions
supérieures étaient disponibles mais n’ont pas été exercés concernant la
deuxième procédure.
41. Par suite de ce qui précède, la Cour conclut, concernant cette deuxième
procédure devant les juridictions internes, que tous les recours internes
disponibles n’ont pas été épuisés.
42. Concernantenfin la troisième procédure, la Cour fait observer que quelques
mois après les décisions intervenues dans les deux premières procédures,
Af Ak et 300 autres tous employés, et 32 autres tous travailleurs
temporaires de l’UPS-RH de Loulo, agissant en leurs noms et pour leurs
propres comptes, ont fait assigner la Société UPS-RH devantle Tribunal de
travail de Kayes pour la même cause, à savoir le paiement des arriérés de
salaires, dommages et intérêts. Le Tribunal ainsi saisi a débouté les
Requérants concernés.
43. À la suite de ce jugement du Tribunal de Kayes, les Requérants ont saisi la
Cour d’appel de Kayes qui, par son arrêt n° 04 du 23 mars 2017, a confirmé
la décision du Tribunal. Contre cet arrêt d'appel, les Requérants se sont
pourvus en cassation devant la Cour suprême.
44. Parsonarrêtn° 17 du 14 avril 2020, la Cour suprême a déclaré leur pourvoi
irecevable au motif que les Requérants n’ont fait valoir aucun moyen de
cassation tels que la violation de la loi, le défaut de base légale ou la
contrariété du jugement.
45. La Cour de céans note que cette décision de la Cour suprême aurait pu
justifier d’un épuisement des recours intemes. Cependant, elle rappelle
qu’aux termes des dispositions de l’article 56(5) de la Charte, l'épuisement
des recours internes s'apprécie à la date de l’introduction de la Requête
de l'épuisement des recours internes n’a pas été respecté puisque les
Requérants ont saisi la Cour de céans le 14 janvier 2019 alors que la
décision de la Cour suprême n’est intervenue que postérieurement à ladite
saisine, soit le 14 avril 2020. La présente Requête est donc prématurée
concernant les chefs de demande relatifs à la troisième procédure.
46. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que les Requérants n’ont pas,
à la date de l’introduction de la présente Requête, épuisé les recours
internes comme l’exige la règle 50(2)(e) du Règlement. En conséquence,
elle retient l’exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
47. La Cour rappelle que les conditions de recevabilité d’une requête déposée
devant elle sont cumulatives!?, de sorte que si l’une d’entre elles n’est pas
remplie, c'est l’entière requête qui ne peut être reçue. En l'espèce, la
Requête n’ayant pas rempli la condition d’épuisement des recours internes
et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres conditions prévues à l’article
50(2)(e) du Règlement, la Cour conclut qu’elle est irrecevable.
11 Ac Aw et Ca Aw c. République du Bénin, CAfDHP, Requête No. 008/2020, Arrêt du 23 juin 2022, 8 42.
12 Cc Ah et Ab At c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018) 2 RJCA 246, $ 63 ; Be Bc c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018) 2 RJ CA 373, 8 48.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
48. L'État défendeur demande à la Cour de dire que la partie Requérante
supporte ses propres frais de procédure.
49. Les Requérants n’ont fait aucune observation sur ce point.
50. La règle 32(2) du Règlement!* dispose : « À moins que la Cour n'en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
51. Considérant les dispositions ci-dessus, la Cour décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
LA COUR,
À l'unanimité,
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ïi. Accueille l'exception d’irrecevabilité tirée du non épuisement des
recours internes.
* Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
ii. Déclare la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
iv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Imani D. ABOUD, Présidente Ge!
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Ben KIOKO, J uge MES ;
Stella |. ANUKAM, J uge UE am.
et Bb Bp Ap Bb Bx Z, ADJEl, NTSEBEZA, Greffier. Juge ; J uge Op Æ
Fait à Bd, ce vingt-deuxième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt- deux, en français et en anglais, le texte français faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 004/2019
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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