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23/06/2022 | CADHP | N°022/2017

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 23 juin 2022, 022/2017


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Bi A AM
RÉPUBLIQUE DU MALAWI
REQUÊTE N° 022/2017
ARRÊT
23 J UIN 2022 SOMMAIRE
Sommaire
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS...
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Compétence personnelle
Compétence matérielle
Compétence temporelle
Compétence t

erritoriale
VI SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
Exception tirée du non-épuiseme...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Bi A AM
RÉPUBLIQUE DU MALAWI
REQUÊTE N° 022/2017
ARRÊT
23 J UIN 2022 SOMMAIRE
Sommaire
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS...
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Compétence personnelle
Compétence matérielle
Compétence temporelle
Compétence territoriale
VI SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
Exception tirée du non-épuisement des recours internes
Sur le recours devantla Cour constitutionnelle
Sur le recours devant la Cour suprême d'appel
Il Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable AUTRES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ
VII. SUR LE FOND
Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
Sur la non-exécution de la décision du Tribunal
Il Sur la non-prorogation de la durée du mandat du Tribunal
iii, Sur l’exclusion de la compétence des juridictions internes
Violation alléguée du droit à un recours
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
Préjudice matériel
Préjudice m12a13I14 15R17E18F19I21D21L22P23C24U26.29DISPOSITIF 10
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34 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice-
président ; Ben KIOKO, Xd Ay AI, Am C, M-Thérèse
MUKAMULISA, Bz X, Stella |. ANUKAM, Cj Cc AJ,
Bc AN —] uges ; et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné «le Règlement»), la Juge Tujilane R.
CHIZUMILA, de nationalité malawienne, s’est récusée.
En l’affaire
Bi A AM
représenté par :
Maîtres Barnet et J ames
Attorneys & Law Consultants
Barnet and J ames Law Z
Cg, Malawi
contre
RÉPUBLIQUE DU MALAWI
représentée par :
Li — Ch AH, Bj Ap Xj, ministère de la J ustice et
des Affaires constitutionnelles ;
iii Ct AK, Bv Aa Ab, ministère des Affaires étrangères
et de la Coopération internationale ; et
ii. Be AL, Principal Aa Ab, ministère des Affaires étrangères
et de la Coopération internationale.
après en avoir délibéré,
rend l'arrêt suivant :
L LES PARTIES
1. Le sieur Bi A AM Bci-après dénommé « le Requérant »)
est un ressortissant malawite, fils de feu A Cf AM
(ci-après dénommé « le de cujus »). En sa qualité d'administrateur de la
succession, il introduit la présente Requête en son nom propre et au nom
des autres ayants droit du de cujus. Il allègue que la confiscation illégale
des biens du de cujus sans indemnisation estarbitraire etcontraire au droit
international.
2. La Requête est dirigée contre la République du Malawi (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 23
février 1990 et au Protocole le 9 octobre 2008. Elle a également déposé,
le 9 octobre 2008, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole par
laquelle elle a accepté la compétence de la Cour pour recevoir des
requêtes émanant d'individus et d'organisations non gouvernementales
(ONG).
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Le Requérant fait valoir que le 26 janvier 1976, le gouvernement de l’État
défendeur, en application supposée de la loi sur la confiscation, a
confisqué tous les biens du de cujus etles a transférés au Gouvernement
par l'intermédiaire de l’Administrateur général.! Selon le Requérant, ladite
!1 Loi sur la confiscation des biens, Malawi, 25 janvier 1966. Loi conférant au ministre le pouvoir de déclarer les biens de personnes objet de confiscation ; d’en disposer et de les confisquer ; de déclarer ces personnes incapables d’intente une action en justice concernant des biens ou de les aliéner ainsi loi n’imposant pas au Gouvernement de verser une quelconque
indemnisation à la victime, celle-ci n’en a reçu aucune.
4, Suite à l'adoption d’une nouvelle Constitution en 1994 et dans le cadre du
démantèlement de l’État monopartite qui prévalait au moment de la
confiscation, l’État défendeur a créé un Tribunal national d’indemnisation
(ci-après dénommé « le Tribunal »), pour un mandat de dix (10) ans. Le
Tribunal avait la compétence exclusive de connaître des griefs concernant
la responsabilité pénale et civile alléguée du Gouvernement pour des
actes survenus avant 1994. Selon le Requérant, toute action en relation
avec de tels actes ne pouvait être intentée que devant le Tribunal.
5, Le Requérant soutient, en outre, que vers 1995, le de cujus a déposé une
plainte devant le Gouvernement par l’entremise du Bv Aa Aid
Advocate qui a porté l’affaire devant l’Ak Bl. Le 6 août 2002, il
a été demandé au de cujus de se référer au Tribunal. Après avoir mené
des investigations sur l’affaire, l’Administrateur du Tribunal a, les 21 et 24
juin 2003, adressé aux autorités compétentes de l’État défendeur
plusieurs correspondances leur notifiant l’intention du Tribunal de restituer
les biens au de cujus. Toutefois, lesdites autorités se sont opposées à la
restitution des biens, etle Tribunal n’a pas été en mesure de régler l’affaire
avant la cessation de ses activités au terme de son mandat.
6. Se sentant lésé par les procédures devant le Tribunal, le de cujus a saisi
la Haute Cour du Malawi. Le 21 octobre 2005, celle-ci a rendu un jugement
par défaut déclarant la confiscation constitutive d’une violation du droit de
propriété du de cujus, disant qu’il avait droit à une indemnisation et
ordonnant que ses biens lui soient restitués. En application de
l’ordonnance de la Cour, le Sheriff de l’État défendeur a restitué une partie
des biens du de cujus.
que d'exécuter des jugements y relatifs ; d'accorder une indemnisation à quiconque ayant disposé de ces biens ou les ayants utilisé autrement ; et de trancher les questions connexes.
7. Toutefois, lorsque l’affaire a été inscrite au rôle pour évaluation des
dommages-intérêts, la Haute Cour a, le 29 janvier 2008, rendu une
ordonnance de rejet de la demande d’indemnisation pour forclusion,
conformément à la loi sur le délai de prescription au motif qu’elle relevait
de la compétence du Tribunal. Le Requérant soutient que le de cujus n’a
pas interjeté appel devant la Cour suprême d'appel du Malawi et n’a
bénéficié d’aucune indemnisation jusqu'à son décès survenu le 2
novembre 2010.
8. Le 7 août 2012 et à de nombreuses reprises par la suite, le Requérant a
adressé des courriers à l’Ak Bl de l’État défendeur lui
demandant des réparations effectives du préjudice subi par le de cujus en
raison de la confiscation de ses biens. Le 23 mai 2016, l’Ak Bl
a, dans sa réponse, indiqué que le Gouvernement ne pouvait accorder
d'indemnisation au de cujus en dehors du cadre du Tribunal.
B. Violations alléguées
9. Le Requérant soutient que l’État défendeur a violé ses droits à une totale
égalité devant la loi, à une égale protection de la loi et à ce que sa cause
soitentendue protégés parles articles 3(1) et 7(1) de la Charte et 14(1) et
16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après
dénommé « le PIDCP »). En outre, le Requérant allègue la violation de
son droit de propriété, protégé par l’article 14 de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
10. La Requête a été reçue au Greffe le 28 juillet 2017 et communiquée à
l’État défendeur le 3 novembre 2017.
11. Toutes les écritures et pièces de procédure ont été régulièrement
déposées dans les délais fixés par la Cour et dûment communiquées.
12. Le 3 avril 2020, le Greffe a demandé au Requérant de déposer des
éléments de preuve supplémentaires sur le fond et sur les réparations,
dans un délai de dix (10) jours à compter de la date de réception. À
l'expiration du délai imparti, le Requérant n'avait déposé aucune preuve
supplémentaire.
13. Les débats ont été clos le 21 avril 2020 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
14. Le5 mai2021, le Greffe a informé les Parties de la décision de la Cour de
tenir une audience publique le 7 juin 2021.
15. Le 7 juin 2021, la Cour a tenue l'audience publique à laquelle les deux
Parties étaient dûment représentées.
16. Le 8 juin 2021, le Greffe a informé les Parties de la décision de la Cour
d’initier un règlement amiable conformément à la règle 64(1) de son
Règlement. Les deux Parties se sont dites favorables à cette procédure et
le Requérant a soumis ses observations à cet effet le 23 septembre 2021.
En dépit des nombreux rappels à lui adressés, l’État défendeur n’a pas
soumis de conclusions et a, le 3 février 2022, fait part à la Cour de son
souhait de ne plus être partie à la procédure de règlement amiable.
17. Le 4 mars 2022, le Greffe a informé les Parties que la Cour, prenant acte
de la décision de l’État défendeur de se retirer de la procédure de
règlement amiable, a décidé de rouvrir la procédure contentieuse et de
vider sa saisine.
IV. DEMANDES DES PARTIES
18. Le Requérant demande à la Cour les mesures suivantes :
i. Dire qu’en procédant à la confiscation des biens du de cujus, la conduite
de l’État défendeur était illégale et contraire au droit international.
ii. Dire que, pour n'avoir pas donné une suite favorable à la réclamation du
de cujus, l’État défendeur a violé le droit du Requérant à une égale
protection de la loi, le droit du de cujus à ce que sa cause soit entendue
et son droit de propriété.
ii. Ordonner le paiement de la somme de 1 104 539,87 (un million cent-
quatre mille cing-cents trente-neuf et quatre-vingt et sept centimes) de
dollars des États-Unis au Requérant, à titre de réparation du préjudice
subi par le de cujus du fait de la confiscation de ses biens.
iv. Ordonner à l’État défendeur d’indemniser le Requérant et sa famille pour
les souffrances endurées du fait de l’État défendeur.
v. Se prononcer sur les dépens.
19. L'État défendeur demande à la Cour de :
i. Rejeter la Requête au motif qu’elle est irrecevable.
ïi. — Condamner le Requérant aux dépens.
V. SUR LA COMPÉTENCE
20. La Cour fait observer que l’article 3 du Protocole dispose comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États
concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente,
la Cour décide.
21. La Cour note, en outre, qu’en vertu de la règle 49(1) du Règlement, « [Ja
Cour procède à un examen de sa compétence … conformément à la
Charte, au Protocole et au présent Règlement ».
22. La Cour fait observer que le Requérant affirme qu’elle est compétente
étant donné que l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et au
PIDCP, et que les droits dont il allègue la violation sont garantis par la
Charte etle PIDCP.
23. Pour sa part, l’État défendeur ne conteste pas la compétence de la Cour,
24. Nonobstant le fait que les Parties conviennent qu’elle est compétente en
l'espèce, la Cour, sur la base d’une lecture conjointe des dispositions
susmentionnées du Protocole etde son Règlement, esttenue de procéder
à un examen préliminaire de sa compétence.
25. La Cour rappelle que pour être examinée, toute Requête devant elle doit
relever de tous les quatre aspects suivants de sa compétence : personnel,
A. Compétence personnelle
26. La Cour relève, en ce qui concerne sa compétence personnelle, que l’État
défendeur, comme indiqué au paragraphe 2 supra, est partie au Protocole
et a déposé la Déclaration prévue par l’article 34(6) du Protocole. En
conséquence, la Cour estime qu’elle a compétence personnelle en
B. Compétence matérielle
27. S'agissant de sa compétence matérielle, la Cour rappelle que l’article 3(1)
du Protocole lui confère la compétence pour examiner toute requête
contenant des allégations de violations de droits protégés par la Charte ou
tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État concerné.
? Xf Bx Aq c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 010/2016, Arrêt du 25 septembre 2020, $ 22 ; J ebra Bg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 018/2018, Arrêt du 15 juillet 2020, $ 21.
28. La Cour note qu’en l'espèce, le Requérantallègue la violation des droits à
une égale protection de la loi, à ce que sa cause soit entendue et à ce que
ses biens soient protégés en vertu des articles 3(1), 7(1), 13 de la Charte
et 14 du PIDCP. Notant en outre que l'État défendeur est partie à ces
instruments, la Cour estime qu’elle a compétence matérielle pour
connaître de la présente Requête.
C. Compétence temporelle
29. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour note, et les deux Parties
en conviennent, que l’acte de confiscation et de saisie des biens du de
cujus s’est produit en janvier 1976. La Cour rappelle sa jurisprudence?
selon laquelle cetacte était instantané de par sa nature, car il ne s’est pas
poursuivi après la date susmentionnée du 9 octobre 2008 à laquelle l’État
défendeur a déposé la Déclaration par laquelle il a accepté la compétence
de la Cour de céans pour recevoir les requêtes soumises par des
individus. En conséquence, la Cour estime qu’elle n’a pas la compétence
temporelle pour examiner l’acte de confiscation et de saisie des biens du
de cujus, qui est à l'origine de la Requête dans la mesure où il était
instantané.
30. La Cour note cependant, comme relevé plus haut, que le Requérant
allègue également que les violations imputables à l’État défendeur
concernent notamment la non-restitution des biens et le refus d'accorder
une indemnisation. Ces dernières violations alléguées étant postérieures
à l'acte initial de confiscation, la question qui se pose donc est celle de
savoir si les demandes qui s'y rapportent relèvent de la compétence
temporelle de la Cour de céans.
3 Voir Ad Cx et autres c. la République du Ghana, Requête N° 059/2016, Arrêt du 27 novembre 2020 (juridiction), 85 53 à 62 ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Bd (fond) (26 mai 2017), 2 RJ CA 9, 85 64 et 65 ; Ai Cw et autres c. Aj Cb (exceptions préliminaires) (25 juin 2013), 1 RJ CA 204, 88 71 à 77, 83.
31. À cet égard, la Cour fait observer que les griefs relatifs à la non-restitution
des biens et au versement d'une compensation découlent initialement
d'enquêtes menées par le Tribunal national d'indemnisation qui, ayant
localisé certains des biens et établi qu’ils appartenaient au de cujus, avait
engagé une procédure en vue de les restituer biens au de cujus. Le Tribunal à adressé une notification aux autorités de l’État défendeur à cet
effet. Toutefois, la Cour relève qu'il ressort du dossier devant elle que le
Tribunal n’a pas mené la procédure à son terme et n’a donc pas pu rendre
son ordonnance avant la fin de ses activités dans la mesure où son
mandat avait expiré.
32. La Cour relève, en outre, que les mêmes griefs ont été soulevés dans la
procédure engagée par le de cujus devant la Haute Cour de l’État
défendeur. À l'issue de cette procédure, la Haute Cour a, d’abord, rendu
un jugement par défaut du 21 octobre 2005, par lequel elle a conclu que
la confiscation violaitle droit de propriété du de cujus eta ordonné à la fois
la restitution des biens et une indemnisation pour les avoir confisqués.
Toutefois, par ordonnance du 29 janvier 2008, la Haute Cour, en
appréciant les dommages-intérêts, a rejeté les demandes de restitution et
d'indemnisation au motif qu’elles étaient forcloses, conformément à la Loi
sur le délai de prescription, et que l'affaire relevait de la compétence
exclusive du Tribunal national d'indemnisation.
33. Au vu de ce qui précède, la dernière décision de justice rendue dans le
cadre des procédures internes est celle de la Haute Cour du 29 janvier
2008. Cet acte de justice est intervenu avant le 9 octobre 2008, date à
laquelle la compétence temporelle de la Cour a pris effet à l’égard de l’État
défendeur, suite au dépôt de la Déclaration. Toutefois, la Cour note qu’en
l'espèce, les demandes relatives à la procédure devant la Haute Cour
constituent la base de l’allégation de violation du droit à un procès
équitable. En outre, le grief relatif à la violation des droits à la restitution et
à l'indemnisation, examinée par le Tribunal national d’indemnisation et
ensuite par la Haute Cour, n’a pas été traité au fond par la Haute Cour et
est donc pendant à ce jour.
34. Il ressort des constatations ci-dessus que les violations alléguées des
droits à une égale protection de la loi, à un procès équitable et à une
indemnisation se sont poursuivies après l’acte initial de confiscation et de
saisie des biens. Lesdites violations alléguées se poursuivent donc, étant
les effets durables des actes de confiscation.*
35. Au vu de ce qui précède, la Cour dit qu’elle a compétence temporelle pour
connaître de la présente Requête, en ce qui concerne les droits à une
égale protection de la loi, au procès équitable, à la restitution et à
D. Compétence territoriale
36. La Cour conclut qu'elle a compétence territoriale pour examiner la
présente Requête étant donné que les violations alléguées se sont
produites sur le territoire de l'État défendeur, partie au Protocole.
37. À la lumière de ce qui précède, la Cour dit qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
38. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la
recevabilité des Requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
39. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [[Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes conformément à l’article 56 de la
Charte, à l’article 6(2) du Protocole et au présent Règlement ».
4 Voir J ebra Bg AG Au, 58 23 à 24 ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Bd (fond), 55 64 et 65 ; Ai Cw et autres c. Aj Cb (exceptions préliminaires), 85 71-77, 83. Voir aussi Phosphates du Maroc (By c. France), 1938 CP] (ser. A/B) No 74 (14 juin), p. 20.
40. La Cour fait observer que la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en
substance les dispositions de l’article 56 de la Charte, dispose :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l'Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s’ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre
saisine ;
g) Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux
principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif
de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout
autre instrument juridique.
41. La Cour relève que certaines conditions de recevabilité ne sont pas en
litige entre les Parties. Toutefois, l'État défendeur a soulevé deux
exceptions d’irrecevabilité de la Requête.
A. Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
42. La première exception d’irrecevabilité est tirée du non-épuisement des
recours internes etla seconde, du dépôt de la Requête dans un délai non-
raisonnable.
i. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
43. L’État défendeur fait valoir que le Requérant aurait dû saisir la Haute Cour,
siégeanten tant que Cour constitutionnelle, de son grief relatif à la violation
de son droit de propriété garanti par la Constitution, le Tribunal ayant
cessé ses activités sans avoir tranché la requête. Selon l’État défendeur,
les droits dont la violation est alléguée sont garantis par la Constitution et
la Cour constitutionnelle était investie du pouvoir de les garantir, comme
elle l’a fait dans plusieurs cas.
44, L’État défendeur fait valoir, en outre, que le Requérant aurait dû interjeter
appel des décisions de la Haute Cour devant la Cour suprême d'appel
plutôt que de préjuger de l'issue de la procédure devant celle-ci. Selon
l’État défendeur, le Requérant n’a pas démontré que le recours devant la
Cour suprême d’appel n'avait aucune chance de prospérer.
45. Pour sa part, le Requérant soutient que le de cujus n’a pas interjeté appel
devant la Cour suprême d'appel parce qu’il est évident, sur la base de la
jurisprudence des tribunaux malawites, qu’un tel recours aurait été inutile
et n'aurait aucune chance de prospérer.
46. Le Requérant soutient, par ailleurs, que l'avocat du de cujus a, à maintes
reprises, tenté sans succès de saisir le ministère de la J ustice et des Affaires constitutionnelles
47. La question qui se pose en premier est de savoir si le Requérant aurait dû
d’abord saisir la Cour constitutionnelle pour garantir ses droits
constitutionnels et en second lieu, s’il avait dû former un recours devant la
Cour suprême d'appel ou s’il a apporté la preuve qu’un tel recours n’aurait
eu aucune chance de prospérer.
48. La Cour rappelle que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, le
Requérantesttenu, notamment, d’épuiserles recours internes disponibles
et efficaces.” Pour ce qui est de l’exigence d'’efficacité, la Cour fait
observer qu’un recours valable doit toujours s'apprécier au regard de sa
capacité à remédier à la situation dont se plaint celui ou celle qui l’exerce.6
La Cour a également conclu qu’il n’est pas nécessaire que le Requérant
épuise les voies de recours inutiles.”
a. Sur le recours devant la Cour constitutionnelle
49. La Cour relève que, conformément à l’article 108 de la Constitution de
l’État défendeur, qui garantit également le droit de propriété, la Haute
Cour, siégeant en tant que Cour constitutionnelle, a compétence en
premier ressort pour connaître de la conformité de toute action du
Gouvernement avec la Constitution. En conséquence, ce recours devait
être efficace dans le traitement de la réclamation du Requérant telle que
présentée dans la procédure devant le Tribunal et la Haute Cour.
50. La Cour fait toutefois observer qu’il ressort incontestablement du dossier
que, conformément à l’article 138 de la Constitution de l’État défendeur, le
Tribunal a compétence exclusive pour connaître des griefs relatifs à la
confiscation de biens survenue dans le contexte de la période antérieure
à 1994. Ladite Constitution prévoit deux exceptions principales à la
compétence exclusive du Tribunal, à savoir : i) le Tribunal lui-même peut
renvoyer des affaires ou des questions de droit devant les juridictions
ordinaires lorsqu'il n’est pas compétent ou si l’intérêt de la justice l’exige ;
etii) la Haute Cour peut connaître des requêtes de contrôle juridictionnel,
ainsi que des procédures contre des personnes privées.
5 Cd Bk At c. République-Unie de Tanzanie (fond) (14 juin 2013), 1 RJ CA 34, $ 82.1 ; Ai Cw et autres c. Aj Cb (fond) (28 mars 2014), 1 RJ CA 219, $ 68.
8 J ebra Bg AG Au, $$ 38 ; Actions pour la protection des droits de l'Homme c. République de Côte d’Ivoire (fond) (18 novembre 2016), 1 RJ CA 697, $ 94.
7 Cd Bk At c. République-Unie de Tanzanie (fond) (14 juin 2013), 1 RJ CA 34, $ 82.3 ; Bw As Xc c. Aj Cb (fond) (5 décembre 2014), 1 RJ CA 324, $ 112.
8 Article 28, Constitution du Malawi.
51. Ainsi, les dispositions constitutionnelles citées ci-dessus excluent la
compétence de toutes les autres juridictions y compris, la compétence de
la Cour constitutionnelle. En outre, aucune des exceptions précitées ne
s’applique à la situation du de cujus. À ce titre, la Cour de céans estime
qu’il aurait été contraire au principe d'efficacité de revenir devant la Cour
constitutionnelle pour contester le refus de l’État défendeur de procéder à
la restitution, alors que le Tribunal avait examiné la requête du de cujus,
identifié certains de ses biens et engagé, sans succès, un dialogue avec
les autorités compétentes de l’État défendeur pour obtenir la restitution
desdits biens. Cette position de la Haute Cour est soutenue par sa
décision de se déclarer incompétente au motif, notamment, que le grief
relevait de la compétence exclusive du Tribunal.
52. Au vu de ce qui précède, la Cour de céans conclut que le recours devant
la Cour constitutionnelle n’était pas un recours efficace que le Requérant
aurait dû épuiser avant de la saisir.
b. Sur le recours devant la Cour suprême d’appel
53. La Cour relève qu’en vertu l'article 104 de la Constitution de l’État
défendeur, la Cour suprême d’appel a compétence pour connaître de
l'appel des décisions de la Haute Cour et des autres juridictions visées par
une loi adoptée par le Parlement. L'article 21 de la loi sur la C our suprême
énonce, plus en détail, sa compétence pour connaître des appels des
décisions de la Haute Cour en matière civile.
54. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que son raisonnement relatif, à
la Cour constitutionnelle, s'applique à la Cour suprême d’appel. La Cour
note l’argument de l’État défendeur, notamment lors de l'audience
publique, selon lequel le Requérant aurait pu contester la décision de la
Haute Cour sur l’évaluation des dommages devant la Cour suprême
d'appel. Toutefois, dans des affaires portant sur des griefs identiques à
ceux du Requérant, la Cour suprême d’appel s'est déclarée incompétente et a reconnu la compétence exclusive du Tribunal.’ La Cour estime que
cette décision de la plus haute juridiction du pays a rendu superflu toute
procédure devant la même juridiction.
55. En conséquence, la Cour estime que l’appel devant la Cour suprême
d'appel n’est pas un recours que le Requérant était tenu d'exercer avant
de la saisir.
56. Étant donné qu'aucune des voies de recours susmentionnées ne
s'appliquait à la situation du de cujus, il convient de conclure que les
recours internes ont été épuisées dès lors que la Haute Cour de l’État
défendeur a rejeté sa demande d’indemnisation le 29 janvier 2008.
57. Par conséquent, elle rejette l'exception d'irrecevabilité tirée du non-
épuisement des recours internes et estime que les recours internes sont
réputés avoir été épuisés en l'espèce.
ii. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
58. L’Étatdéfendeur affirme que la Requête n’a pas été déposée dans un délai
raisonnable, le Requérant l'ayant introduite plus de neuf (9) ans après la
décision du 29 janvier 2008 prononcée par la Haute Cour. Se fondant sur
la jurisprudence de la Cour de céans et celle de la Commission africaine
des droits de l'homme et des peuples, l’État défendeur soutient également
que le Requérant n’a pu démontrer que les exceptions à la règle de
l'épuisement des recours internes s'appliquent en ce qui concerne sa
Requête. Selon l’État défendeur, le temps mis par le Requérant pour saisir
l’Ak Bl ne devrait pas être pris en compte dans la mesure où il
ne s’agit pas d’un recours judiciaire au sens de l’article 56(6) de la Charte
et de la jurisprudence de la Cour de céans.
9 Voir par exemple, Co Cs c. Ak Bl, Appel civil MSCA n° 43 de 2000, Arrêt du 20 septembre 2002 ; Ak Bl c. J B Bt Cn, Appel civil MSCA n° 42 de 1998, Arrêt du 30 novembre 2000.
59. Pour sa part, le Requérant soutient que la Requête a été déposée dans
un délai raisonnable étant donné qu'il a tenté de saisir l’Ak Bl,
dont la dernière communication sur cette affaire remonte au 18 octobre
2016. Il affirme en outre que les violations alléguées se poursuivent.
60. La question qui se pose est de savoir si le délai dans lequel la Requête a
été introduite est raisonnable ou si le Requérant invoque des raisons pour
justifier le délai dans lequel il a saisi la Cour.
61. La Cour rappelle, conformément à l’article 56(6) de la Charte, que pour
être examinées les requêtes soumises devant elle doivent être introduites
dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours à
moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se
prolonge de façon anormale. Ces recours doivent être, en principe, des
recours judiciaires ordinaires.!° En outre, il incombe au Requérant
d'indiquer et de prouver toute exception applicable aux circonstances
particulières de l’affaire.!!
62. La Cour note également, comme précédemment établi, que le Requérant
avait épuisé tous recours internes lorsque la Haute Cour a, le 29 janvier
2008, rendu une ordonnance par laquelle elle a rejeté la demande.
Toutefois, en l'espèce, le point de départ du délai de dépôt de la Requête
doit être fixé au 9 octobre 2008, date à laquelle l’État défendeur a déposé
la Déclaration. La présente Requête a été introduite le 28 juillet 2017, soit
huit (8) ans, dix (10) mois et dix-neuf (19) jours après.
10 Cp Ah c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $$ 63 à 65 ; Ag Cr Ba et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016), 1 RJ CA 526, $ 95 ; Cz Cm Aw c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 570, 85 44 à 46 ; Av Ar Ae c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RJ CA 13, $ 44,
11 Voir Ax Xb et autre c. République-Unie de Tanzanie (compétence et recevabilité) (26 septembre 2019), 3 RJCA 491 ; 55 48 à 49 ; Xf Bx Aq c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 010/2016, Arrêt du 25 septembre 2020 (compétence et recevabilité), 5 48.
63. Toutefois, la Cour a déjà conclu que les violations alléguées par le
Requérant se poursuivent en ce qui concerne les droits à une égale
protection de la loi, à un procès équitable, à la restitution et à
l'indemnisation. En conséquence, les violations alléguées se renouvellent
chaque jour, aussi longtemps que des mesures n’auront pas été prises
pour y remédier. Elles peuvent, à ce titre, fonder à tout moment un recours
devant la Cour de céans, rendant ainsi non-pertinente l'interprétation
stricte de l'exigence du délai raisonnable au sens de l’article 56(6) de la
Charte.!?
64. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l'exception soulevée par
l’État défendeur relativement au dépôt de la Requête dans un délai
raisonnable. Elle conclut en conséquence que la Requête remplit les
conditions énoncées à l’article 56(6) de la Charte.
B. AUTRES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ
65. La Cour ne relève aucune contestation quant au respect des conditions
prévues à l’article 56 (1) (2) (3) (4) et (7), de la Charte. Néanmoins, elle
doit s'assurer que ces conditions ont été remplies.
66. Il ressort du dossier que le Requérant a été identifié par son nom
conformément à l’article 56(1) de la Charte.
67. La Requête remplit la condition prévue à l’article 56(2) de la Charte dans
la mesure où elle ne contient aucune information laissant penser qu’elle
est incompatible avec la Charte de l’OUA et la Charte.
68. La Requête n’est pas rédigée dans des termes outrageants ou insultants.
Elle remplit donc la condition prévue à l’article 56(3), de la Charte.
69. En outre, la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse mais sur des
? J ebra Bg AG Au, $8 51 à 54.
informations et des documents officiels obtenus auprès d'’institutions
nationales compétentes, conformément à la condition prévue à l’article
56(4) de la Charte.
70. Enfin, la Requête ne porte pas sur une affaire déjà réglée conformément
aux principes de la Charte des Nations Unies ou de l’Acte constitutif de
l’Union africaine ou de la Charte. La présente Requête remplit donc la
condition prévue à l’article 56, paragraphe 7, de la Charte.
71. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que toutes les conditions de
recevabilité sont remplies et déclare la présente Requête recevable.
72. Le Requérant soutient que les actes de l’État défendeur constituent une
violation du droit à une égale protection de la loi et du droit à ce que sa
cause soit entendue. Le Requérant allègue également que l’État
défendeur a violé son droit de propriété.
73. Dans son mémoire en réponse et ses conclusions sur les réparations,
l’État défendeur nie tout acte répréhensible et soutient que son
comportement ne viole aucun des droits évoqués par le Requérant.
74. En examinant sa compétence rationae temporis plus haut dans le présent
arrêt, la Cour a estimé qu’elle était compétente pour connaître de toutes
les allégations formulées dans la Requête, à l'exception de celles relatives
à la confiscation effective des biens du de cujus, qui a eu lieu en 1976,
bien avant que l’État défendeur ne devienne partie à la Charte et au
Protocole et ne formule la Déclaration. Étant donné que la confiscation
était fondée sur l’application de la loi sur la confiscation, qui a cessé
d'exister après que l’État défendeur a adopté sa nouvelle Constitution en
1994, la Cour n'examinera donc pas la violation alléguée du droit de
propriété.
75. Ceci étant, la Cour relève que la question centrale relative au moyen
invoqué devant les juridictions internes et qui se pose également devant
la Cour de Céans est celle de la restitution des biens du de cujus et de
l'indemnisation pour le préjudice subi du fait de la confiscation. Cette
question n’est autre que celle du droit à un recours, bien que le Requérant
ne l'ait pas expressément indiqué dans ses allégations et ses demandes.
76. La Cour rappelle que, comme cela est désormais bien établi dans sa
jurisprudence, il n’est pas nécessaire que la requête indique ou cite
expressément le droit ou la disposition de l'instrument qui aurait été violé.
Il suffit que la plainte porte sur des droits garantis par la Charte ou tout
autre instrument relatif aux droits de l'homme ratifié par l'État concerné.!3
77. Au vu de ce qui précède, la Cour examinera, et ce successivement, les
allégations de violation des droits à une égale protection de la loi, le droit
à ce que sa cause soit entendue et le droit à un recours.
A. Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
78. Le Requérant allègue que l'État défendeur a violé le droit à une égale
protection de la loi pour n’avoir pas prévu une indemnisation et pour avoir
exclu la compétence des juridictions internes pour connaître des recours
connexes.
79. L'État défendeur réfute ces allégations et soutient que la violation alléguée
ne peut être examinée alors que le Requérant dispose toujours de voies
de recours intemes pour faire valoir le même droit.
80. L'article 3 de la Charte dispose : « 1. Toutes les personnes bénéficient
d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une
égale protection de la loi ».
13 Cp Ah c. Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RJ CA 482, $ 45; Ag Cr Ba et autres c. Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RJ CA 526, $$ 57, 58.
81. La Cour relève en premier lieu que le Requérant allègue une violation de
l’article 3(1) de la Charte au motif que l’État défendeur n’a pas accordé
d'indemnisation et a exclu la compétence des juridictions ordinaires pour
examiner l'affaire. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence,
que l’égale protection de la loi présuppose que la loi protège tout le monde
sans discrimination.!% Le respect de ce droit exige donc que non
seulement la loi mais également les autorités chargées de sa mise en
œuvre assurent une protection égale à chaque citoyen. Par conséquent,
la violation alléguée est plutôt celle du droit à l'égale protection de la loi,
protégé par l'article 3(2) de la Charte.
82. Dans la présente Requête, il est incontestable que le Tribunal national
d'indemnisation a examiné les requêtes de nombreux autres citoyens qui
ont bénéficié de voies de recours et ont obtenu la restitution de leurs biens
confisqués ou une indemnisation pour le préjudice subi.!* Quant au de
cujus, sa requête n’a jamais été vidée par le Tribunal et les tentatives de
faire valoir ses droits devant les tribunaux ordinaires ont été vaines. Il
convient de rappeler que l'incapacité du Tribunal à mener à bien l'affaire
du de cujus est due au fait que le Parlement de l’État défendeur a refusé
de prolonger le mandat du Tribunal. En outre, lorsqu'il a été saisi par le
Requérant, l'Attorney General a maintenu que le Gouvernement ne
traiterait pas l'affaire en dehors du cadre du Tribunal.!6
83. Le de cujus et, plus tard, le Requérant, ont donc été laissés dans un vide
juridique alors que d'autres Malawites dans la même situation ont
bénéficié d’une protection de la loi. L'on ne saurait, dans ces
circonstances, dire que l’État défendeur ait respecté le droit à une égale
protection de la loi.
14 Action pour la protection des droits de l'homme c. Côte d'Ivoire (18 novembre 2016), 1 RJ CA 697, 5146.
15 Voir de manière générale, Bureau de l'Ombudsman, « Malawi's Unhealed Wounds : A Report on an investigation into allegations of maladministration and other irregularities » (Les plaies encore ouvertes du Malawi : Rapport d’enquête sur les allégations de mauvaise administration et autres irrégularités) élaboré par le gouvernement du Malawi concernant la manière dont le Tribunal national d'indemnisation a été créé, a fonctionné et a été dissous, octobre 2017.
16 Voir la Correspondance du 23 mai 2016 adressée par l’Ak Bl au Conseil du de cujus.
84. La Cour conclut donc que l’État défendeur a violé l’article 3(2) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
85. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit à ce que sa
cause soit entendue en raison de la non-exécution de la décision du
Tribunal, de la non prorogation de la durée du mandat du Tribunal et de
l'exclusion de la compétence des juridictions ordinaires pour connaître des
recours connexes.
86. L'État défendeur, pour sa part, soutient que le de cujus a déposé une
requête devantla Haute Cour, qui a été rejetée pour défaut de compétence
et pour prescription. L'État défendeur estime que cette allégation n’est pas
fondée et devrait être rejetée.
87. Aux termes de l’article 7(1) de la Charte : « Toute personne a droit à ce
que sa cause soitentendue … ». La Cour relève que le Requérantallègue
également la violation de l’article 14 du PIDCP qui, en l'espèce, n’en dit
pas plus que l’article 7(1) de la Charte, concernant les mesures
demandées par le Requérant. La Cour examinera donc cette allégation
seulement à la lumière de l’article 7(1) de la Charte.
88. Le Requérant, au titre de cette allégation, soulève trois questions, à savoir
: 1.) la non-exécution de la décision du Tribunal ; ii.) la non-prorogation du
mandat du Tribunal et iii.) l’exclusion de la compétence des tribunaux
nationaux.
i. Sur la non-exécution de la décision du Tribunal
89. La Cour de céans fait observer, concernant le droit du Requérant à ce que
sa cause soit entendue, que l’article 7(1) de la Charte dispose « … a) le
droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus. ». Ce droit comprend le
droit de à ce que sa cause soit entendue et de voir l'issue de ladite
procédure exécutée.!”
90. Dans le cadre de la présente requête, le Requérantallègue que le fait que
l’État défendeur n’ait pas exécuté la décision du Tribunal constitue une
violation du droit à ce que sa cause soit entendue. Cependant, comme il
a été établi plus haut dans cet arrêt, bien qu’il ait enquêté sur l’affaire et
se soitengagé auprès des autorités à restituer les biens identifiés comme
appartenant au de cujus, le Tribunal n’a pas été en mesure de rendre une
décision effective. La Cour a connaissance des éléments de preuve
figurant au dossier selon lesquels, dans ses communications adressées
aux autorités de l’État défendeur, le Tribunal a indiqué que certains des
biens confisqués avaient été identifiés comme étant ceux du de cujus. Le
Tribunal a également demandé aux mêmes autorités de faire preuve de
coopération pour que lesdits biens soient restitués.
91. Nonobstant leur exactitude factuelle, la Cour considère que ces
communications ne peuvent obliger l’État défendeur comme l’aurait fait
une décision judiciaire en bonne et due forme. Il ne peut en être déduit
que l’État défendeur n’a pas respecté une décision qui n’a pas été rendue
effectivement par le Tribunal.
92. La Cour conclut donc que l’État défendeur n’a pas violé le droit à ce que
sa cause soitentendue, en ce qui concerne la question examinée.
ii. Sur la non-prorogation de la durée du mandat du Tribunal
93. Concernant la prorogation de la durée du mandat du Tribunal en
particulier, la Cour de céans tient à rappeler que l’article 1°" de la Charte
fait obligation aux États d'assurer la jouissance des droits garantis par la
Charte. La Cour considère que, dans le cadre de cette obligation, l’État
17 Principle C(b)(ii), Principles and Guidelines on the Right to a Fair Trial and Legal Assistance in Africa (2003).
défendeur avait la possibilité de proroger la durée du mandat d’une
juridiction qu’il avait établie en vertu de sa propre Constitution.
94. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur s’est réservé la possibilité
de conférer une compétence exclusive à une juridiction eta ensuite décidé
de ne pas proroger la durée de son mandat, tout en excluant la
compétence d’autres juridictions ordinaires de connaître des affaires non
résolues par le Tribunal. En agissant ainsi, l’État défendeur place les
requérants potentiels et les détenteurs de droits, y compris le de cujus,
dans une situation d'insécurité juridique, qui constitue inévitablement une
violation du droit à ce que sa cause soit entendue en ce qui conceme la
deuxième question en cours d’examen.
iii. Sur l’exclusion de la compétence des juridictions internes
95. La Courfait enfin observer, s'agissant de l’exclusion de la compétence des
juridictions internes, que conformément à sa jurisprudence, le fait d’écarter
la compétence des juridictions intemes entraîne généralement une
violation du droit à ce que sa cause soit entendue.!8
96. En l’espèce, la Cour relève que, conformément à ses précédentes
constatations, ni la Cour suprême, ni la Cour constitutionnelle de l’État
défendeur n’étaient compétentes pour connaître des affaires non réglées
par le Tribunal. Dans les faits, la Constitution qui a établi les trois organes
judiciaires, a expressément écarté la compétence de toutes les autres
juridictions, en prévoyant des exceptions qui ne sont pas applicables à la
situation du de cujus. Une telle exclusion de compétence résulte des
décisions précitées de la Haute Cour et de la Cour suprême d’appel.
97. La Cour estime qu’en l’espèce, l'État défendeur a privé le de cujus, et plus
tard le Requérant, du droit d’intenter une nouvelle action devant les
juridictions ordinaires, après cessation des activités du Tribunal, sans
18 J ebra Bg AG Au, $$ 96, 103 et 104. Voir également Civil Liberties Organisation c. Xa, (2000) AHRLR (CADHP 1995), $ 14.
toutefois que l'affaire ne soit conclue. Par ailleurs, le Requérant ne pouvait
saisir une autre juridiction interne aux fins de mise en œuvre desdites
conclusions. La Cour considère donc que, du fait de l’exclusion de
compétence d’autres juridictions internes, le droit à ce que sa cause soit
entendue a été violé en ce qui concerne cette question.
98. Par conséquent, la Cour de céans considère que l’État défendeur a violé
le droit à ce que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la
Charte.
C. Violation alléguée du droit à un recours
99, Le Requérantallègue que l’État défendeur a violé le droit du de cujus à se
faire restituer ses biens confisqués et à se faire accorder une
indemnisation pour le préjudice subi.
100. L'État défendeur, pour sa part, fait valoir que des voies de recours internes
étaientencore disponibles pour le de cujus etle Requérant pour faire valoir
ces droits mais qu’ils n’en ont pas fait usage.
101. La Cour relève que, bien qu’il ne prévoie pas expressément un droit de
recours, l’article premier de la Charte dispose que « les États membres
[..], parties à la présente Charte, reconnaissentles droits qui sonténoncés
dans cette charte … et s’engagent à adopter des mesures législatives et
autres pourles appliquer ». En outre, l’article 7(1)(a) de la Charte dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend : a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de
tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis
par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur. »
102. La Cour considère qu’un droit de recours découle de l’obligation, énoncée
à l'article 1°" de la Charte, de mettre en place des mécanismes judiciaires
ou autres pour remédier aux violations alléguées des droits substantiels
protégés par la Charte. Ce droit à un recours est encore renforcé par une lecture conjointe des articles 1 et 7(1)(a) de la Charte. Ces dispositions
sont conformes au principe général du droit selon lequel une réparation
doit être accordée en cas de violation des droits.
103. En l’espèce, comme le montre le compte rendu in extenso de l’audience
publique, l'État défendeur affime qu’à la suite de sa réforme
constitutionnelle de 1994, la confiscation de biens effectuée en vertu de la
loi sur la confiscation a été déclarée illégale et que le Tribunal a été créé
pour remédier à ces violations. Il est également incontestable qu’en 1976,
le de cujus a subi une confiscation en vertu de ladite loi.!° Dans une
ordonnance du 21 octobre 2005, la Haute Cour a estimé que « 1. la
confiscation des biens par le gouvernement du Malawi estune violation du
droità la propriété du requérant, 2. le requérant a droit à une indemnisation
pour la confiscation, et 3. lesdits biens doivent être restitués au requérant
». Certains de ces biens ont effectivement été restitués en application de
la décision susmentionnée.
104. La Cour relève que les efforts considérables déployés parle de cujus pour
obtenir la restitution de ses biens et une indemnisation auprès du Tribunal
national d'indemnisation sont restés vains. En outre, par ordonnance du
29 janvier 2008 rejetant la demande d’évaluation du R equérant pour cause
de prescription et relevant exclusivement de la compétence d’un tribunal
dontle mandata expiré, la Haute Cour a confirmé qu’il n’y avait plus aucun
espoir qu’un recours effectif soit disponible au Requérant au niveau
national.
105. L'État défendeur ne nie pas les efforts déployés par le de cujus pour faire
valoir ses droits et les nombreux échanges avec l’Ak Bl
constituent une preuve suffisante à cet effet. Notamment, comme il a été
établi précédemment lors de la détermination de la recevabilité de la
présente Requête, la Haute Cour et la Cour suprême d'appel ont toutes
19 Voir notification générale n°102 du 26 janvier 1976, de la loi sur la confiscation (Chap. 14:06) A Cf AM référence de la notification n°DT/COM/173/97 du 7 février 2000 adressée par le Bv Aa Aid Advocate à l’Ak Bl; notification n°NCT/C/452 du 21 juin 2003 adressée par l'Admnistrateur du Tribunal national d'indemnisation au Directeur de la pêche avec ampliation au Commissaire du District.
deux renvoyé le Requérant devant le Tribunal national d’indemnisation,
qui, comme elles le savaient pertinemment, n’existait plus.
106. À ce titre, le fait de ne pas avoir restitué les biens du de cujus et de ne pas
l’avoir indemnisé pour le préjudice subi, constitue une violation de son droit
à un recours protégé à l’article 7(1)(a) de la Charte lu conjointement avec
l’article 1 de la Charte.
107. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation
ou l’octroi d’une réparation.
108. La Cour rappelle ses précédents arrêts et réitère sa position selon
laquelle :
Pour examiner les demandes en réparation des préjudices résultant de
violations des droits de l’homme, elle tient compte du principe selon
lequel l’État responsable d’un fait internationalement illicite a l’obligation
d’en réparer intégralement les conséquences, de manière à couvrir
l'ensemble des dommages subis par la victime.”
109. La Cour réitère en outre que la réparation « … doit, autant que possible,
effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l’état qui aurait
vraisemblablement existé si cet acte n'avait pas été commis »,?!
20 Bh Ce Bf c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 005/2016, Arrêt du 2 décembre 2022, $ 88 ; Ag Cr Ba et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019), 3 RJ CA 322, $ 13 ; Ao Bb Ca c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 209, $ 19.
21 Bx Xi c. Tanzanie (réparations), $ 20 ; Cp Ah c. Tanzanie (réparations), 812 ; Ag Cr et autres c. Tanzanie, $ 16 ; Ao Bb Ca c. Rwanda (réparations), 5 20 ; Av Ar c. Tanzanie (fond et réparations), $ 118.
110. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État pourrait prendre
pour réparer une violation constatée des droits de l'homme comprennent
notamment la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime, les
mesures de satisfaction et les mesures propres à garantir la non répétition
des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.2?
111. La Cour rappelle en outre qu’en ce qui concerne la question du préjudice
matériel, il est de principe qu’il doit exister un lien de causalité entre la
violation alléguée et le préjudice causé et que la charge de la preuve
incombe au requérant qui doit fournir les preuves justificatives de ses
réclamations. En ce qui concerne le préjudice moral, il n’est nul besoin
de le prouver.
112. En l’espèce, la Cour a conclu que l’État défendeur a violé le droit à une
égale protection devantla loi et à ce que sa cause soit entendue, ainsi que
le droit à un recours garantis respectivement par les articles 3(2), 7(1) de
la Charte et par l’article 7(1)(a) lu conjointement avec l’article 1 de la
Charte.
113. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner le paiement d’une réparation
pécuniaire pour le préjudice subi en raison de la confiscation et une
indemnisation pour le préjudice subi par lui etles autres ayants droit. Dans
ses observations écrites, le Requérant fournitune liste des ayants droit du
de cujus qui sont ses neuf (9) enfants et dont les noms suivent : Bn
AM, Af AM, Ck AM, Cq Bp AM,
Bi A AM Ble Requérant), Xe AM, Xg
AM, Cv AM, etFikani Munthali.
22 Bx Xi c. Tanzanie (réparations), $ 21 ; Cp Ah c. Tanzanie (réparations), $ 13 ; Ao Bb Ca c. Rwanda (réparations), 8 20.
23 Br Az Ci, the Legal and Bs Xh Centre c. Tanzanie, Requête n° 009/2011, Cd Bk Bm At c. Tanzanie, Requête n° 011/2011 (jonction d’instances), Arrêt (réparations), 13 juin 2014 (2014), 1 RJ CA 74, 540 ; Bw As Xc c. Aj Cb (réparations), (2016), 1 RJCA 358, $ 15 ; Bx Xi c. Tanzanie (réparations), $ 22 ; Cp Ah c. Tanzanie (réparations), $ 14 ; Ayants-droit de feu Ai Cw, Cu Cl alias Ablassé, Ac Cw, Cy Bu et Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Aj Cb (réparations) (2015), 1 RJ CA 265, $ 24.
114. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes
du Requérant et de dire qu’il n’a droit à aucune indemnisation. L'État
défendeur fait valoir que le Tribunal national de compensation n’a pas été
créé dans l'intention de fournir une indemnisation au sens des
« dommages et intérêts » accordés dans les tribunaux ordinaires ou de
réparer son préjudice mais seulement de le reconnaître et d’allouer le
franc symbolique. L'État défendeur ne conteste pas la liste des ayants
droit fournie par le Requérant.
115. À la lumière de ces demandes et des observations subséquentes faites
par les deux Parties au cours de l’audience publique, la Cour estime qu'il
faut, au préalable, rappeler quelques considérations principales qui
s'appliqueront dans la présente décision sur les réparations. Ces
considérations sont tirées non seulement des observations écrites mais
aussi des accords conclus par les Parties au cours de l’audience publique.
116. Tout d’abord, aussi bien le Tribunal national d’indemnisation que la Haute
Cour et les représentants de l’État défendeur ont reconnu que la
confiscation effectuée en vertu de la loi sur la confiscation sous le régime
constitutionnel d’avant 1994 était abusive et devait être réparée. Il est
également établi que le de cujus a subi cette confiscation pour laquelle il
a droità une réparation. La liste des propriétés concernées parla présente
demande est celle qui a été déposée par le Requérant en tant que pièce
n° 13 du dossier. Ladite liste complète celle qui figure dans l’évaluation du
17 mars 1976 établie par l’expert agréé Howard J . Downs à la demande
de l’Ak Bl de l’État défendeur.
117. Deuxièmement, suite à l'exécution de la décision de la Haute Cour du 21
octobre 2005, les biens immobiliers, à savoir les terres et les maisons, ont
été restitués au de cujus. Au cours de l'audience publique, le Requérant a
réitéré que i) les biens immobiliers récupérés étaient dans un état de
délabrement ; et que ii) certains d’entre eux avaient même été détruits.
L’État défendeur ne conteste pas ces déclarations.
118. En troisième lieu, il n’existe aucune trace des biens mobiliers ; les
documents y afférents ont été égarés lors de l’expulsion du de cujus dans
le cadre de la confiscation ; les titres de propriété n’ont pu être récupérés
auprès des administrations compétentes, l’État défendeur ne disposant
pas à l'époque d’une procédure d’enregistrement des biens mobiliers.
119. Enfin, en ce qui concerne l’évaluation du quantum, le Règlement de
procédure du Tribunal et la décision de la Cour suprême d'appel fixent un
seuil de dix millions (10 000 000) de kwachas (monnaie du Malawi) pour
l'indemnisation à accorder par le Tribunal.
120. La Cour fait observer que les demandes du Requérant concernant les
biens confisqués portent sur le préjudice matériel et qu’il demande
réparation du préjudice moral subi par les ayants droit. La Cour examinera
les demandes en tenant compte de ces facteurs.
A. Préjudice matériel
121. Le Requérant affirme qu’au moment du dépôt de la présente Requête, la
valeur totale de la perte subie était estimée à un million cent quatre mille
cinq-cents trente-neuf dollars et quatre-vingt-sept centimes (1 104 539,87)
de dollars américains. Il affirme toutefois qu’en 1995 le de cujus a évalué
cette perte, en kwacha, à dix millions deux cent quatre-vingt-cinq mille
deux cent cinquante-quatre et quatre-vingt-dix-sept cents (10 285 254,97).
122. L'État défendeur fait valoir que, quel que soit le montant des pertes, le
Tribunal ne pouvait ordonner d’indemniser une victime à hauteur de plus
de dix millions (10 000 000) de kwachas. L'État défendeur soutient que,
même si le Tribunal avait mené à terme ses procédures, l’indemnisation
n'aurait pas dépassé ce montant.
123. La Cour relève, comme il a été établi précédemment dans le présent Arrêt,
que les demandes de réparation ne doivent porter que sur l'indemnisation etnon sur la restitution des biens meubles qui n’ont pu être retrouvés. Les
mêmes demandes seront également examinées au regard du préjudice
résultant de la détérioration des biens immobiliers restitués en état de
délabrement.
124. La Cour fait observer que deux questions principales sont en litige entre
les Parties en ce qui concerne l’évaluation du préjudice matériel. Il s’agit :
1) du contenu et de l'exactitude de la liste produite par le R equérant ; et ii)
de la valeur monétaire des biens concernés.
125. S'agissant de la première question, la Cour relève que l’État défendeur
conteste l'exactitude de la liste produite par le Requérant sans toutefois
présenter sa propre liste. La Cour considère qu’en tant qu’autorité ayant
promulgué et appliqué la loi sur la confiscation, l’État défendeur avait la
responsabilité de tenir une liste exacte des articles saisis en application de
cette législation. En tout état de cause, l’exactitude de la liste devient sans
objet lorsque les Parties conviennent que les biens concernés par la
demande présentée dans le cadre de la présente Requête ont une valeur
totale inférieure ou égale à dix millions (10 000 000) de kwachas au
moment de la saisie.
126. En ce qui concerne la deuxième question, la Cour réitère l'accord des
Parties sur la valeur des biens concernés évaluée à dix millions (10 000
000) de kwachas. Toutefois, cette valeur est fondée sur une évaluation
remontant à l'époque de la saisie des biens en 1976, ou du moins à
l'époque de l'évaluation effectuée parle de cujus, c’est-à-dire en 1995. La
question qui se pose à ce stade est donc de savoir si, comme le demande
le Requérant, le montant initialement évalué devrait, en raison de
l'appréciation du taux de change et de la monnaie au fil du temps, être
réévalué à hauteur d’un million cent quatre mille cinq cent trente-neuf
dollars et quatre-vingt-sept cents (1 104 539,87 dollars EU). Le Requérant
soutient que ce chiffre est obtenu sur la base du taux de change officiel
entre le kwacha et le dollar des États-Unis.
127. Quoi qu’il en soit, à la lumière des dispositions de l'article 27(1) du
Protocole précédemment citées, il est logique que les restrictions en
termes de type de recours etde plafond du montant de la réparation soient
applicables au niveau du Tribunal et non aux tribunaux ordinaires de l’État
défendeur, etencore moins à la Cour de céans. Ce pointestcorroboré par
les dispositions de l'Acte du Tribunal et de la Constitution de l’État
défendeur.
128. La Cour estime que les biens matériels s'apprécient avec le temps et qu’il
devrait en être de même pour la valeur monétaire associée à ces biens.
Toutefois, aucune des Parties n’est en mesure de fournir à la Cour
l'évaluation actualisée la plus précise qui aurait été fournie par un
évaluateur désigné conjointement. Compte tenu du temps considérable
qui s’est écoulé depuis les événements, toute procédure d'expertise aurait
pris du temps et aurait entraîné un retard dans l'administration de la
justice. De l’avis de la Cour, l'évaluation la plus proche de la réalité serait
celle qui est basée sur l'inflation.
129. Pour arriver à un chiffre qui réponde aux besoins de la justice en matière
de droits de l’homme, la Cour ne peut ignorer les circonstances subjectives
relatives à cette demande. Le de cujus était un riche homme d’affaires actif
dans la pêche industrielle dont il exportait les produits en Afrique et à
l'étranger, mais il est décédé sans ressources. Comme il a été établi
précédemment, les dommages matériels pour lesquels une réparation est
demandée comprennent non seulement tous les biens meubles mais
aussi la détérioration des maisons qui ont été restituées. Compte tenu de
ce qui précède, l’entreprise pour laquelle ils ont travaillé avait un potentiel
de croissance dans le temps si les biens mobiliers n'avaient pas été
confisqués.
130. Enfin, la Cour note, compte tenu de l'inflation telle que décidée
précédemment, que le montant de dix millions deux cent quatre-vingt-cinq
mille deux cent cinquante-quatre kwachas et quatre-vingt-dix-sept cents
(10 285 254, 97) équivaut à cinq cent quatre-vingt-treize millions six cent quatre-vingt-douze mille cent quatre-vingt-douze (493 692 192) kwachas
au moment du dépôt de la Requête en 2017 (montant calculé sur la base
du taux de 1 dollar EU équivalant à sept-cents vingt-cinq (725) kwachas
en raison duquel le montant initial a été multiplié par quarante-huit (48)).
Si l'évaluation devait être faite à la date de la réparation, c’est-à-dire à la
date du présent arrêt, le Montant initial susmentionné équivaudrait à ce
jour six cent soixante-dix-huit millions huit cent vingt-six mille sept cent
soixante-quatre (678 826 764) kwachas (calculé sur la base du taux de
change du dollar EU), soit sur la base du taux de 1 dollar EU équivalant à
mille kwachas dix-sept cents (1 000,17) en raison duquel le montant initial
a été multiplié par soixante-six (66)).
131. En décidant du quantum des dommages et intérêts à accorder en
l'espèce, la Cour prend en compte tous les paramètres élaborés
précédemment, mais également le contexte général de la mise en place
par l’État défendeur du Tribunal national d'indemnisation en vue, non pas
nécessairement de réparer intégralement le préjudice, mais de tenter
d’atténuer les souffrances des victimes.
132. Compte tenu de ces considérations, et dans l'intérêt de la justice, la Cour
accorde au Requérant et aux autres ayants droits du de cujus la somme
de deux cents millions (200 000 000) de kwachas pour le préjudice
matériel concernant les biens meubles et pour les pertes subies du fait de
la détérioration des maisons qui ont été restituées dans un état de
délabrement.
B. Préjudice moral
133. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder, ainsi qu’aux huit (8)
autres ayants droit du de cujus, une réparation pour la souffrance qu'ils
ont endurée du fait des actions de l’État défendeur. Le Requérant
n'indique pas le montant du préjudice subi.
134. Dans ses observations écrites, l’État défendeur fait valoir que la question
de la réparation ne se pose pas, étant donné que la question ne devrait
pas être reconnue en premier lieu. Cependant, au cours de l'audience
publique, l’État défendeur a reconnu que le de cujus avait été lésé dans le
cadre des actions illégales qui se sont produites sous le régime antérieur
à 1994. Il a également reconnu que des mécanismes nationaux ont été
mis en place en vertu du devoir du gouvernement d’accorder une
réparation.
135. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, que le préjudice
moral est présumé en cas de violation et l'évaluation du montant de la
réparation y relative devrait se faire sur la base de l'équité, en tenant
compte des circonstances particulières de chaque affaire.?* La Cour a
adopté le principe d'accorder un montant forfaitaire dans de telles
136. La Cour fait observer, comme elle l’a déjà établi, que l’État défendeur a
violé les droits à une égale protection dans la loi, à ce que sa cause soit
entendue et son droit à la réparation.
137. La Cour note que le de cujus était père de neuf (9) enfants qui sont : Bn
AM, Af AM, Ck AM, Cq Bp AM, Bi
A AM Ble requérant), Xe AM, Xg AM,
Cv AM, Al AM. Il convient de rappeler que le de cujus était le
soutien de sa famille. || a été la victime d’une confiscation en 1976 et est décédé
en 2010 après avoir récupéré une partie seulement de ses biens en 2008, la
plupart dans un état délabré. Sa femme est décédée un mois plus tôt. Comme il
est ressorti de l’audience publique, tous les biens mobiliers, qui se composent
principalement de bateaux et d’autres matériaux soutenant l’entreprise du de
cujus, n’ont pas pu être récupérés, ce qui a entraîné des difficultés économiques
pour lui et sa famille.
24 Ai Cw et autres c. Aj Cb (réparations), $ 55 ; et Ao Bb Ca c. Rwanda (réparations), $ 59.
? Av Ar Ae c. Tanzanie (fond et réparations), 8119 ; Al An c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2018), 2 RJ CA 415, $ 18 ; et Bq Bo c. Tanzanie (fond et réparations), 5 177.
138. Par ailleurs, un lien de parenté directe a été établi sur la base de la liste
des ayants droit fournie dans les observations écrites du Requérant, qu'il
a réitérées lors de l’audience publique. L'État défendeur n’a pas contesté
ladite liste. Le Requérant et les autres ayants droit du de cujus ont hérité
des biens de celui-ci restitués après son décès en novembre 2010 en vertu
d’une ordonnance de la Haute Cour désignant le Requérant comme
administrateur de la succession du de cujus. Ce préjudice a donc
nécessairement découlé de l’absence continue d'indemnisation depuis
2010 et de l'incertitude quant à la possibilité de récupérer les biens
confisqués ou de recevoir une compensation pour les pertes subies.
139. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que des réparations sont
justifiées. En application du principe d'équité, la Cour accorde
conjointement au Requérant et aux autres ayants droit du de cujus, le
montant symbolique d’un million (1 000 000) de kwachas, chacun, à titre
de réparation du préjudice moral subi.
IX SUR LES FRAIS DE LA PROCÉDURE
140. Aux termes de l’article 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
141. Le Requérant demande à la Cour de se prononcer sur les frais de
procédure.
142. L'État défendeur, pour sa part, demande à la Cour de condamner le
Requérant aux dépens.
143. La Cour relève, conformément à sa jurisprudence, que la réparation peut
inclure le paiement des honoraires d’avocatetautres dépenses engagées dans le cadre de procédures, tant au niveau national qu’international.26 En
outre, le Requérant est tenu de justifier les montants réclamés.?”
144. En l'espèce, le Requérant n'indique pas le montant des frais réclamés et
ne fournit pas, non plus, de justification ou de preuve à cet égard. Ses
demandes sont donc rejetées.
145. La Cour décide, en conséquence, que chaque Partie supporte ses frais de
procédure, car il n'y a aucune raison impérieuse de déroger aux
dispositions applicables du Règlement.
X. DISPOSITIF
146. Par ces motifs,
LA COUR,
À l'unanimité :
Sur la compétence
ii Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
il. Rejette les exceptions d’irrecevabilité ;
ii. Déclare la requête recevable.
26 Ai Cw et autres c. Aj Cb (réparations), 58 79 à 93 et Cd Bk Bm At c. Tanzanie (réparations), 8 39 ; Cp Ah c. Tanzanie (réparations), $ 77 ; et Bx Xi c. Tanzanie (réparations), 8 81.
27 Ai Cw et autres c. Aj Cb (réparations), $ 81 et Cd Bk Bm At c. Tanzanie (réparations), $ 40 ; Cp Ah c. Tanzanie (réparations), 5 77 ; et Bx Xi c. Tanzanie (réparations), $ 81 Sur le fond
iv. Ditque l’État défendeur n’a pas violé le droità une égale protection
de la loi, protégé par l’article 3(1) de la Charte.
v. Dit que l’État défendeur a violé le droit à ce que sa cause soit
entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte.
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit à un recours protégé à
l’article 7(1)(a) lu conjointement avec l’article 1 de la Charte.
Sur les réparations
vi Fait droit à la demande de réparation formulée par le Requérant
au titre du préjudice subi du fait de ne lui avoir pas accordé une
indemnisation pour les pertes subies en raison de la confiscation
; etaccorde au Requérant et aux autres ayants droit du de cujus
la somme de deux cents (200 000 000) millions de kwachas ;
vii. Fait droit à la demande de réparation du préjudice moral subi par
le Requérant et les autres ayants droit du de cujus, à savoir,
Bn AM, Af AM, Ck AM, Cq
Bp AM, Bi A AM Ble Requérant),
Xe AM, Xg AM, Cv AM, et
Al AM pour le préjudice subi du fait de la défaillance
persistante de l’État défendeur à restituer les biens du de cujus et
à l'indemniser pour la perte subie du fait de la confiscation ; et leur
accorde la somme d’un million (1 000 000) de kwachas chacun, à
titre de réparation du préjudice moral subi.
ix. Ordonne à l’État défendeur de verser les montants indiqués aux
alinéas (vil) et (viii) ci-dessus, en franchise d’impôts, dans un délai
de six (6) mois, à partir de la date de notification du présent Arrêt,
faute de quoi, il devra payer également des intérêts moratoires
calculés sur la base du taux applicable fixé par la Banque centrale
du Malawi, pendant toute la période de retard de paiement et
jusqu’au paiement intégral des sommes dues ;
Sur la mise en œuvre et présentation des rapports
x. Ordonne à l’État défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, un rapport sur la mise en œuvre des décisions qui y sont contenues et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour considère toutes ses décisions entièrement exécutées.
Sur les frais de procédure
xi. Rejette les demandes relatives aux frais de procédure ;
xil. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Imani D. ABOUD, Présidente ; —QA2L
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Ben KIOKO, Juge ; 1SSSSs
M.-Thérèse MUKAMULISA, J uge 1
Bz X, J ; LES
Stella |. ANUKAM, J uge uge to A7,
Cj Cc AJ, J uge ; Je 1 œ.
Fait à Arusha, ce vingt-troisième jour du mois de juin de l'an deux mille vingt-deux,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 022/2017
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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